Du 9 novembre 1978 au 8 janvier 1979

Publié le par André Gintzburger


9.11.78 Dans un décor douillet qui ressemble aux environnements qu’a toujours affectionnés le bourgeois de bon goût Antoine Bourseiller, une troupe unisexe de deux garçons (Bourseiller lui-même et Michel Berto) et deux filles (Chantal Darget et Laurence Bourdil) tous vêtu d’un identique smoking strict avec cravatte bouffante, disent et incarnent Baudelaire.Austère et rigoureux montage, opération vieille de vieux, « CRÉNOM » c’est le dernier mot qu’aurait prononcé l’homme.Le théâtre parvient parfois à montrer le but de son nez, notamment quand Baudelaire s’adresse à sa mère pour lui demander d’éponger ses dettes.
Ionesco s’est fendu d’un impromptu, dialogue à l’asile entre Baudelaire malade et une bonne sœur. C’est ce qu’il y a de moins bien dans un spectacle qui par ailleurs jette sur le maudit un regard juste et bienveillant.
Chantal Darget a tendance à zozoter depuis que l’âge a tendu à l’excès sa peau entre son nez plusieurs fois refait (et désormais résolument en trompette) et sa lèvre supérieure, mais sa chaude chanson enveloppe bellement les vers. Laurence Bourdil a l’air d’avoir pris 20 ans d’un coup sur son visage marqué et sur son corps bouffi, mais sa présence est incisive et « on » l’écoute. Michel Berto est le seul qui, dans l’entreprise, ait l’air de s’amuser un peu de temps en temps. Vous surprendrai-je en vous révélant que Bourseiller ne donne jamais la même impression ?

15.11.78 Il faut malheureusement emboucher la trompette des
détracteurs. MINIMATA AND CO de l’auteur Japonais Osamu Takahashi est une mauvaise pièce. C’est bien dommage car ce qu’elle raconte est important et vrai : il s’agit de cette usine Nippone de produits chimiques qui a contaminé les poissons de la baie dans laquelle elle déversait ses déchets non épurés, ce qui a entraîné des centaines de décès parmi la population pauvre qui ne vivait que du produit de la pêche.A travers l’exemple montré, la troupe de vieux militants dirigée par Roger Blin, veut jeter un cri d’alarme anti-pollution généralisé : « garde-manger de l’humanité ou poubelle, il faut choisir ».C’est bien sûr de la mer que parle Paul Crauchet, et plus spécialement de la « sienne », la Méditerranée.
Bon, alors, me direz vous : « vous êtes content ? C’est du théâtre UTILE ! »
Ce le serait en effet
1/ si le public du théâtre d’Aubervilliers n’était pas visiblement convaincu d’avance à part entière du bien-fondé du combat écologique,
2/ si l’œuvre était soit un strict exposé clinique des faits, du « théâtre journal », soit une transposition à la manière de ce que sait si bien faire l’AQUARIUM. Mais le 1er degré dans lequel baigne l’œuvre est bâtard comme du Gabriel Cousin, d’un poëtique de bazar complètement irritant.
3/ André Acquart, s’inspirant du dispositif du Nô a fait un beau décor tout en Japonaiserie, mais les acteurs semblent avoir été livrés à eux-mêmes.Le vieux pêcheur, Crauchet, est trop humain. La femme qui a perdu son enfant et son mari dans la « maladie » (Dominique Vincent) est trop bouleversée. Edwine Moatti fait trop « poëtique ». Andrée Tainsy, Jeau Pierre Jorris, André Rouyer, Bruno Balp,sont tous un peu trop quelque chose : trop « syndicaliste ouvrier », trop « patron machiavélique », « trop stupide », « trop … » mais ce n’est pas voulu et certains semblent même n’être pas sûrs de leur texte. Vingt vieux militants sont venus faire leur B.A. sous la houlette du plus vieux d’entre eux, Roger Blin, et tout cela est sûrement très bien PAYÉ. Peut-être est ce pour cela que le combat semble manquer d’âme et que la soirée est mortellement morne.C’est dommage. Les entreprises à contenu contemporain ne sont plus si fréquentes aujourd’hui. C’est pourquoi il faut être impitoyable avec les sabotages.

16.11.78   Stéphanie Loïk a décidément beaucoup de talent. Elle   est laide, mais gracieuse, sensible, émouvante. Dans BONS BAISERS DU LAVANDOU, au Petit TEP, on est loin des caricatures qu’on lui imposait à ses débuts. De même que c’est sur la gentillesse et la naïveté de Jean Paul Farré qu’à misé le metteur en scène Jean Luc Moreau, qui a monté la pièce de Christian Giudicelli, toute imprégnée d’envie de vivre et d’impossibilité d’y parvenir.
Il paraît que le fait divers est authentique :Une dactylo et un employé se rencontrent dans un bal et s’aiment.Il braque une banque et récolte 10.000 Frs, avec quoi ils font la fête une semaine sur la côte avant de s’ouvrir les veines quand l’argent est fini. Bonnye and Clide au petit pied, ce couple est complètement médiocre, mais justement il émeut par son insignifiance, par sa banalité même. En rien il n’agit par contestation de la société ou par révolte. Le hold up est un moyen d’acquérir l’argent qui donnera accès à la consommation. Un moyen objectif, c’est tout. Quelque part les amants ont conscience de brûler les étapes de la vie. Ils en jouissent à la mesure de leurs ambitions toutes modestes. La mort est une conclusion même pas dramatique, LOGIQUE.Œuvre mineure, mais « boul d’hum » surtout servie par une excellente interprétation.

17.11.78    Il a fallu que la mise en scène soit de Maurice Attias pour que j’aille au théâtre Marie Stuart assister à une représentation de L’ÉCHANGE de Paul Claudel.J’espérais grâce à mn souvenir des CAPRICES DE MARIANNE, jouir d’une mise en pièce de ce monument du théâtre bourgeois de la fin du XIXème Siècle, d’une mysogynie stupéfiante, d’un Catholicisme bâlant injecté et d’un mépris incroyable, non pas seulement d’une classe supérieure pour une inférieure, mais élémentairement d’un être humain pour un autre.
On sait l’histoire : un riche magnat de la finance maqué à une comédienne de haut vol (la « femme libre »)s’amuse à déranger la quiétude d’un petit couple de simples gens. Le garçon sera séduit par la femme et l’argent mais finalement se suicidera. La fille, incarnation de toutes les vertis Chrétiennes, résistera. Avec l’aide du Ciel, la vengeance des pauvres sera l’anéantissement par le feu de la maison du riche, recélant tous les papiers de ses insolentes possessions.

Ecrite simplement, cete anecdote aurait pu faire un roman-photo passable pour CONFIDENCE. C’est ce qu’a compris le réalisateur, qui a fait jouer ses acteurs (comme il le faisait déjà pour Musset) sur les registres de la passion exaspérée avec gestes signifiants.Ce sont les courants profonds de sentiments paroxistiques qui les meuvent. Cela donne le contraire d’une représentation « retenue », comme le fut, me semble t’il jouée jadis la pièce avec Edwige Feuillère.Mais ce n’est pas une « mise en pièce ». L’érotisme, qui est le cheval de bataille de Maurice Attias baigne dans un univers qui ressemble plus à du Tennessee Willians qu’à Claudel.Justement, c’est comme s’il forçait Monsieur l’Ambassadeur à sortir de sa réserve, comme s’il le démasquait en enfonçant l’opacité créée par la langue. Tout devient physique, et par là-même sensibilisant.Deux acteurs, et surtout deux actrices dont je n’ai pas les noms (c’est dommage) servent sans caricature ce propos qui serait satisfaisant si l’œuvre méritait le traitement. C’est la question que je pose.Les troubles appétits partouzards du diplomate auteur drapé dans l’hypocrisie de la religion et enfermé dans l’obscurantisme de sa classe méritait il l’honneur de tant d’intelligence dépensée ? Je dois confesser que mon plaisir a été entaché d’ennui.

21.11.78 Samuel Beckett est l’auteur incontesté d’une œuvre majeure de ce Siècle, EN
 ATTENDANT GODOT, qu’il a paraphrasée dans FIN DE PARTIE. Ayant dit son message, le système commercial qui gère la littérature l’a obligé années après années à répéter sous diverses formes ce qu’il avait exprimé une fois.Je décris ainsi le parcours de cet écrivain parce que je le crois exemplaire dans la mesure où l’homme est rigoureusement honnête. Pourtant il a accepté de se soumettre à des obligations matérielles. Il faut bien vivre, n’est-ce-pas et entretenir son image, sa publicité.Combien sont ils ceux qui portent en SOI un, deux grands desseins, et doivent les pressurer jusqu’à la lie du jus parce qu’ils sont catalogués « professionnels » de la plume.Comme si on pouvait être professionnel de son intimité.
Beckett est peut-être celui qui, avec l’aide de certains grands artistes contemporains, a le plus pressé la matière produite par sa vision apocalyptique du monde. A mesure que le temps passe, sa manière devient de plus en plus elleptique.Pourquoi préciserait il sa pensée, d’ailleurs ? Tout le monde sait ce qu’il exprime. On l’écoute, on le lit, dans l’esprit de se conforter dans la pensée que notre univers est bouché de tous les côtés. C’est plus qu’un message de désespoir, c’est l’affirmation de l’inutilité de l’espoir.
Ce pessimisme fondamental recoupe malheureusement la sensibilité des masochistes du XXème Siècle. Finalement, ils sont nombreux ceux qui aiment à se vautrer dans la facilité de cette fatalité liée à la « faute originelle » : quoique fasse l’homme, il est « perdu » (sauf grâce divine octroyée arbitrairement).

LE DEPEUPLEUR est une nouvelle. Chez Barrault, l’exploitation de Beckett marche à fond.Le message est bourgeois, il ne dérange pas le Pouvoir. La « métaphysiqe » fait intelligent. Pierre Tabbar a donc été accueilli au Petit Orsay lorsqu’il a suggéré de « faire dire (à Serge Merlin) ce texte dans sa nudité absolue ».
De quoi parle ce poëme : Il décrit minutieusement un cylindre de 50 mètres de diamètre et de 16 mètres de haut (pour l’harmonie) avec alvéoles, niches et tunnels à l’intérieur duquel gravitent 200 corps humains. Nous n’en saurons pas plus, pas plus que ne sera justifié le titre.
Il est probable qu’une lecture à plat nous aiderait peut-être à découvrir des repères. Mais la lecture de Serge Merlin est une sur-lecture permaente,un commentaire que nous impose l’artiste à grand renfort de pathos.. A travers l’œuvre, c’est son psychisme qu’il défoule. Il ne laisse pas Beckett s’exprimer. Il VIT à sa manière excessive ce qui est écrit, et le dissimule.Le résultat dépend de la réceptivité des spectateurs, de l’excellence de l’état de l’artiste quand il entre en scène, et, sans doute pour une part, des qualités magiques de la salle choisie.Le Petit Orsay, à ce point de vue, ne fait sûrement pas le poids à côté des caves du Palais des Papes.
Et puis. Beckett ainsi utilisé, manipulé à des fins personnelles,tous comptes faits, je trouve ça agaçant. La « performance » du comédien est « admirable ». Il éprouve , sue, joue avec le feu, montre sous un bon éclairage de bougies son visage raviné, prend des poses de Christ, poitrail dénudé, hurle, se tord de douleur, tremble, touche la table comme s’il tâtait la « terre de France du Maréchal Pétain » et semble voir avec douleur les corps tournant dans le cylindre … Mais il y a quelque chose de faux dans tout ça.

23.11.78        Henri, le plus clown des MACLOMA, qui est aussi le plus poëtique, part en dissidence.Avec une partenaire clownesque, il a fondé la CLOWN KOMPANIE. Ensemble, ils présentent au théâtre de la rue Dunois un joli spectacle drôle et tendre dont le contenu a été recherché moins au niveau « politique » qu’au niveau « humain », ce qui, aprè tout, est sans doute plus proche de la vocation de l’arrt du clown. C’est tout bêtement,l’histoire de la rencontre d’un homme et d’une femme. Elle et lui sont ouvriers et c’est à l’heure du casse-croûte qu’ils se découvrent.Leur union sera heureuse. C’est tout, mais c’est beaucoup car c’est fouillé dans le détail avec un grand sens du gag et une chaleur très communicative. Je pense que les MACLOMA perdent beaucoup avec l’éloignement d’Henri.

25.11.78 Vu le MABOU MIMES à Saint Denis dans DRESSED LIKE AEGG
(d’après des thèmes de Colette). C’est du Bob Wilson sans chair, de l’estétisme gratuit, de l’opium pour distributeur d’ennui aux intellectuels. Colette Godard a écrit qu’elle avait aimé. La besogne de journaliste est ingrate.

28.11.78 On pourrait, à propos de la NOTRE DAME DE PARIS de Robert Hossein,
rouvrir le vieille querelle : Qu’est ce que c’est que le « théâtre populaire » ? Querelle vaine, me semble t’il, hors d’un rejet révolutionnaire de NOTRE société libérale. Seul un régime à idéologie dominante pourrait (mais est-ce souhaitable ?) mener une politique de manifestations déplaçant des grandes foules et les incitant à penser, à s’élever l’âme et l’esprit, à exercer le sens critique, à se forger une conscience, à se rapprocher d’une notion du « beau » qui ne soit point vulgaire.Il faudait que les médias participent à cette opération et que les Mireille Mathieu disparaissent des ondes,sans pourtant que ce soient des intellectuels qui les supplantent.
Dans un monde où les héritiers de  Brecht et de Vilar sont trop souvent des distillateurs d’ennui parce que leur culture du peuple est passée par une éducation bourgeoise imprégnée de philosophie universitaire, quand ce n’est pas de Jésuitisme, Hossein s’inscrit résolument dans le système qui fait de Sardou une plus grosse vedette que de Reggiani.
Fonçant avec des gros moyens dans le 1er degré, il n’a pas songé à sonder les intentions profondes de Victor Hugo. C’est l’imagerie d’Epinal qui l’a intéressé, les tableaux, les mouvements, le panache,le clinquant.
Il est clair qu’une œuvre opposant avec évidence les classes sociales du temps de Louis XI aurait pu faire l’objet d’un traitement dramaturgique . Il n’aurait pas fallu gratter beaucoup pour « signifier » l’oppression hiérarchique règnante en ces temps historiques où l’obscurantisme de la redoutable classe religieuse s’était arrogé un Pouvoir exhorbitant.
Mais Hossein, en fait de « lecure » n’en n’a qu’une qui fut la mienne quand j’avais 12 ans, et que je dévorais ce pathétique roman coincé dans ma mémoire entre les aventures de ZIG ET PUCE et celles de BICOT PRÉSIDENT DE CLUB. Telle je pouvait me la visionner en ces temps sans télé, telle Hossein me sert l’œuvre  au Palais des Sports, pour l’apparent plaisir de 3.000 spectateurs m’entourant.
Pourquoi feindrais-je de dire que je n’ai pas pris plaisir à cette grosse machine bien faite, au rythme bien soutenu, qui ne m’a inspiré en2h30 aucun baillement ? Ca me paraîtait bêcheur. J’ai vu NOTRE DAME DE PARIS avec des yeux d’enfant, et j’ai été heureux qu’Hossein ose aller aussi loin dans la « putasserie ». Il faut dire que Boucaron dans Quasimodi a fait un admirable travail.

29.11.78 Et, comme pour m’offrir la possibilité de bien balancer les compte-rendus
 de ce carnet, voici que Pablo Neruda, dans le dernier et très beau poëme qui clôt son « CHANT GÉNÉRAL » me dit qu’il SAIT qu’il n’est pas « populaire », que les ouvriers et paysans d’aujourd’hui n’accèdent pas à la beauté de son œuvre et que POURTANT C’EST POUR EUX QU’IL ÉCRIT.Ils le liront plus tard, quand, ayant eu accès à la culture, ils pourront l’entendre. En attendant, il leur lègue ses biens matériels de ce monde. Vision politiquement juste de FOI en l’Homme, en ses facultés de se transformer,en son appétit de savoir,en sa volonté de changer le système social où Hossein se vautre et nous maintient.
La soirée poëtique et musicale que nous propose Marc Normand au théâtre Essaïon ne touche malheureusement pas le spectateur avec le même bonheur et il faut attendre plus d’une demie heure morne et guindée pour qu’un déclic se mette à fonctionner avec le poëme superbe sur l’Amérique du Nord.
Une demie heure pendant laquelle je me demandais POURQUOI, PAR QUEL MIRACLE ET APTITUDE AUX PUBLICS-RELATIONS certains artistes « opposants » réussissaient à se faire un nom. Combien, me demandais-je,d’obscurs peut être géniaux, ne savaient pas se faire écouter,éditer…
Vous le voyez, je rêvais et c’est, je crois, parce qu’utel montage exige de la part du récitant des qualités de PRÉSENCE que n’a pas, avec sa voix de gorge qui m’a rappelé celle de Marcel Herrand, Marc Normand.Il ne dégage pas l’amour, la générosité, la ympathie.Il est en contradiction avec ce qu’il dit, monocordement,sèchement emphatique, jouant le « poëtique » au lieu d’être habité. C’est dommage car l’Espagnole et les deux Pieds-Noirs qui l’accompagnent musicalement sont d’excellents musiciens. La fille surtout, a une belle voix, un chaud sourire et son soutien aide à l’émotion quand, le texte s’imposant grâce au soutien de la musique, on arrive à oublier les insuffisances du diseur.

30.11.78 – On n’est pas innocemment la femme de Dario Fo. Le choix de ce compagnon suppose un militantisme et celui-ci englobe, évidemment, le féminisme anti-mâle.
J’imagine pourtant que quand Franca Rame joue ses PETITES VIOLENCES ET GRANDES VIOLENCES DE TOUS LES JOURS dans sa langue et avec la faconde italienne, l’« héneaurmité » des trois sketchs de son one-woman-show doit enlever l’adhésion. Car ils ne sont pas agressifs au premier degré, ces sketchs, et ils sont drôles et habiles. Le premier conte l’éveil d’une jeune mère au moment de partir au travail. Il faut préparer le môme, qui « a fait » bien entendu. Elle est en retard. Le réveil n’a pas sonné. Il ne faut pas éveiller le père qui dort, bref c’est un petit enfer quotidien.
La fille belge qui joue ça au Théâtre de la PÉNICHE étant apparemment originaire de l’équivalent bruxellois du 16ème arrondissement, on a quelque peine à l’accepter dans ce rôle de prolétaire.
Elle est plus plausible dans le deuxième numéro, qui montre une bourgeoise mûre enfermée dans son appartement « où elle ne manque de rien », harcelée par un sadique au téléphone, un amant et un créancier à la porte, investie par un beau-frère infirme à qui elle doit céder deux fois par jour, mère d’un enfant excessivement dormeur. Son épanchement auprès d’une voisine par la fenêtre la conduira au crime.
Mais l’actrice est limitée, et le « conte de fées » qu’elle débite en numéro trois, histoire paradoxale d’une poupée très méchante, lasse vite.
Nicole Colchat est une actrice de boulevard. Elle fera mieux d’y retourner.

04.12.78 – Le porte-à-faux de l’entreprise est total. Le TRISTAN ET YSEULT d’Arlette Bonnard (pour la mise en scène) et Alain Enjary (pour la compilation et la mise bout à bout des textes du XIIème siècle qui relatent la fameuse aventure) ne saurait que faire chier les enfants, car le côté épique a été soigneusement gommé par la réalisatrice, et je ne vois pas quel adulte il peut concerner, car l’aspect romantique a été rigoureusement effacé.
Deux heures quarante durant sans entracte, coincé à la Resserre de la Cité Internationale, le spectateur s’afflige à voir cachetonner les (d’ailleurs bons ?) acteurs engagés par le Centre Dramatique de Nanterre, mornes, sans rythme, ballottés au gré d’une mise en place sans imagination, Michel Hermon gauche en roi Marc à la voix de pédé, Colin Harris irritant avec son baragouin anglo-saxon incorrigible, Agnès Delume et Alain Anjary pâlichons héros, Arlette Bonnard qui a l’air de la mémé d’Yseult aux blanches mains qu’elle incarne maladroitement.
Triste affaire qui déçoit. D’où vient que l’on croyait du talent à ces gens-là ?

06.12.78 – Je viens de revoir L’EXÉCRÉE au Centre Pompidou. Je vais essayer de rendre compte du spectacle comme si je n’avais pas vu la précédente réalisation du THÉATRE D’EN FACE, comme si je ne connaissais pas Pierre Friloux et Françoise Gedanken, comme s’ils ne m’avaient pas donné des clefs pour pénétrer dans leur univers.
Au risque de passer pour un obtus borné, je le confesserai : le message du spectacle ne m’est point parvenu. Je n’ai pas su lire ce qu’on me disait. Et je crois que je n’ai pas été le seul. Parce que l’écriture de l’EXÉCRÉE est, je le pense, parfaitement illisible au néophyte. En vérité, la question est de savoir si cette opacité a été voulue ou non par les réalisateurs. Eux seuls pourraient répondre.
Est-ce à dire que l’EXÉCRÉE ne se laisse pas voir ?
Personnellement, je me suis ennuyé mais j’ai su que certains spectateurs avaient été viscéralement atteints par le propos. Dominique Bruschi a trouvé ça « très fort » et je sentais bien que, quelque part, il avait été touché sensuellement. D’autres avaient réagi très violemment à la provocation  par l’immobilité, le répétitif : Sandier, rouge comme une crête de coq, était tout hérissé. Moi, je me suis laissé aller à rêver. Ces tableaux m’ont paru beaux, certains même superbes (l’espace a été remarquablement utilisé). Par instants j’ai été saisi. J’ai admiré la discipline des artistes, la maîtrise du corps qu’ils possèdent extraordinairement, y compris dans des positions inconfortables de déséquilibre apparent ; leur contrôle aussi de l’expression du visage.
Mais je ne suis pas entré dans le spectacle.

08.12.78 – Il est peu probable que je garde un souvenir de FLEURS DE LA PAPIER, de l’auteur chilien Egon Wolff, présenté au Studio des Champs-Elysées par Jean-François Prévand. C’est une oeuvrette à mi-chemin du boulevard qui raconte l’histoire d’une femme mûre et esseulée qui aimerait bien se taper un adolescent du genre agressif qui, comprenant la situation, deviendra vite abusif et mettra l’appartement de la belle à sac. Rien de très original, on le voit, mais on ne s’ennuie pas et certains détails sont drôles. Comme par exemple le fait que le grossier et mal embouché jeune homme s’exprime parfois en un style choisi qui semble sortir tout droit d’un livre. Les « fleurs de papier » avec lesquelles il remplace les meubles et décorations qu’il vandalise, sont dues à Pace. Elles n’ont donc rien d’extraordinaire, non plus que Françoise Brion qui joue avec naturel la femme rongée par le désir. Elle sert la soupe à son partenaire, le jeune Christian Parisy, qui tient de Belmondo avec quelque chose de Harpo Marx et qui, lui, est extraordinaire.

19.12.78 – Il fait reconnaître à Peter Brook un mérite : les anecdotes des œuvres qu’il monte comptent à ses yeux et ses efforts principaux visent à les rendre lisibles. Déjà son UBU ROI avait brillé par sa clarté.
MESURE POUR MESURE de même, qu’il propose aux Bouffes du Nord, est surtout remarquable par ce souci. Ce qui a pour effet de rendre éclatante la puérilité de l’histoire racontée par Shakespeare ; d’illustrer l’anachronisme et l’irrecevabilité de l’idéologie qu’elle trimballe avec une hiérarchie des valeurs qui place le « trésor » de la virginité au-dessus de la vie, et qui présente comme évident que soit un « crime » punissable de mort le fait pour un homme d’avoir couché hors du mariage avec une femme ; sans parler du fait que le problème du POUVOIR y est posé en des termes que je juge pernicieux, opposant le « bon » et le « mauvais » chef, celui qui est indulgent et celui qui est sans pitié, celui qui est verbeux et celui qui est hypocrite sans que jamais soit remis en question l’absolutisme. Le sort de tous ceux dont il est le « duc de Vienne » est entre ses seules mains. Dans cet univers, la liberté n’existe pas et il est limpide que pour l’auteur, c’est bien ainsi.
Au crédit de Brooke, est donc à mettre l’honnêteté : il ne cherche pas à gommer l’aspect réactionnaire de la pièce, il ne cherche pas à lui conférer une signifiance « populaire » qu’elle n’a pas. Sa « lecture » est du premier degré sans traitement dramaturgique. Le peuple qui aime son spectacle se définit dès lors lui-même comme étant mûr pour suivre un bélier à la première occasion. Au crédit de Brooke, il faut mettre aussi le « langage » mis dans la bouche des personnages, qui colle exactement et perceptiblement à leurs positions sociales et (« annexement ») à leurs caractères. Ce mérite revient plutôt sans doute à l’adaptateur, mais il est certain que le réalisateur est pour beaucoup dans cette réussite que je ressens pour la première fois dans un spectacle Shakespeare en français.
A son crédit, d’une façon moins catégorique, je mettrai aussi l’extrême simplicité des décors (un tas de paille, c’est tout) et des costumes, ainsi que l’inexistence des éclairages (du moins en apparence). Un peu de panache et de musique de-ci de-là n’eussent cependant pas été inutiles.
A son débit, je dois dire que la tour de Babel qui constitue sa troupe rend l’audition de certains acteurs très pénible. On a parfois l’impression d’assister à l’exercice de fin d’année d’une classe de Français à l’école Berlitz. C’est souvent insupportable.

28.12.78 – Arlette Reinerg était timide, fragile racée. La germaine qu’elle incarnait venait de Pontoise, mais c’était « Pontoise au Pays des Merveilles ». Les NAÏVES HIRONDELLES semblaient en venir. Stéphanie Loïk est une solide gourde campagnarde. Dans son Pontoise à elle, on a construit des H.L.M. et son étonnement quand elle pénètre dans l’univers de Bertrand et de Fernand ne va pas sans rouerie.
Bernard Fresson en Bertrand était un grand bel adolescent râblé, charmant et charmeur. Que toutes les femmes lui tombent dans les bras ne pouvait pas surprendre, d’autant plus qu’en ce temps-là les grands chiens fous de bons jeunes gens contestataires de l’ordre étaient à la mode. Georges Dufossé n’a pas le physique du rôle. On ne peut pas croire à son goût du bricolage. Sa présence ne s’impose pas. S’il est « enfant terrible à qui l’on pardonne tout parce qu’on l’adore », c’est à son insu.
Dubillard, en Fernand, était désinvolte, comme le personnage qu’il a écrit pour lui. En disant son texte, il avait toujours l’air d’improviser. Jean-Jacques Moreau est moins à l’aise. Il joue directement les situations. Il n’a pas de mystère. L’épaisseur impalpable lui manque.
Seule Evelyne Istria fait à peu près le poids par rapport à la précédente distribution. Mais c’est sans doute parce qu’elle retrouve, curieusement, des accents de Tania Balachova, irritante et inoubliable. De toute manière elle est trop jeune. Quand elle se pomponne pour le troisième acte, elle n’a pas l’air, pas plus que Fernand Moreau, d’un laissé-pour-compte abandonné. D’ailleurs, la mise en scène de Mireille Laroche est trop systématique, trop voulue. Celle d’Arlette Reinerg ne se voyait pas mais il était clair qu’elle collait exactement à l’œuvre, tant à son aspect farfelu qu’au Tchékhovien, au poétique, à l’inexprimé. Les mots faisaient rire comme ils le font aujourd’hui, car le texte sait s’imposer et il tient le coup. Mais ils avaient un au-delà que je ne retrouve pas dans ce devoir de bon élève studieux. Je commence à craindre, après Mahagonny, que Mireille Laroche ne plafonne déjà.
Reste que la pièce « passe », qu’elle amuse et émeut, que même réduits comme ils le sont, les personnages ont une consistance. Leur philosophie face au monde est gentiment marginale. Dubillard n’a jamais voulu faire la révolution, mais il se situe à côté de la Société, dans un univers où rien n’est grave. Son art est petit-bourgeois avec des sentiments à sa mesure. C’est joli, c’est tendre, c’est mélancolique, c’est doucement dingue… On est « ailleurs »…
J’ai revu NAÏVES HIRONDELLES avec plaisir, à la Péniche.

29.12.78 – PIF PAF de Philippe Adrien est l’œuvre d’un auteur qui ne semble pas avoir grand-chose à dire. Gilles Guillot a un peu l’air d’un Arabe et Jacques Charby d’un pied-noir. Cette dimension accentuée aurait pu créer entre les deux personnages un rapport de force, mais « on » ne l’a pas voulue. Sur la scène il y a un escalier. Deux hommes s’y croisent. L’un monte. L’autre descend. Qui sait s’où ils viennent, où ils vont. Leur dialogue tire à la ligne. L’éditeur a dû demander un certain nombre de pages. Après, il y a un lit. Quand l’un dort, l’autre veille. La partie métaphysique du début était peut-être un rêve de l’un des deux. A la fin, comme dans l’Aveugle et le Paralytique, un des deux qui n’y voit plus, prend l’autre sur son dos et ils semblent, ainsi unis, aller vers quelque part avec joie ! Le spectateur est ravi de ce départ parce qu’il coïncide avec la fin d’un spectacle dont l’inutilité « publique » est éclatante.
Peut-être est-ce le tandem qu’il a fait avec Jean-Claude Fall qu’Adrien transpose ici. De toute façon, je m’en fous. Son propos est illisible. 
(Essaïon)

06.01.79 – La question que l’on peut se poser est : pourquoi monter aujourd’hui LA VIE EST UN SONGE de Calderon ? Je pense que Stuart Seide, familier de son patrimoine culturel anglo-saxon (il n’en est jamais sorti jusqu’ici, de Shakespeare à John Ford et à Melville), aura voulu s’exercer à l’irrespect à travers un texte qui lui parût étranger. En vérité, j’aimerais le voir un jour traiter Shakespeare comme il le fait du Maître du Siècle d’Or espagnol. Il frise la caricature et le traitement qu’il inflige à ses « grands » de Pologne et de Moscovie, décrits par un Espagnol, pourrait avoir été imaginé par un metteur en scène allemand de l’Est. Leurs ridicules sont poussés au comique, leur mépris de la populace est souligné, de la hiérarchie qu’ils entretiennent entre eux également, leur code de l’honneur, la relativité de leurs amours, la spéciosité de leurs raisonnements froids, leur lucidité sans vergogne, tout cela est bafoué à coup de bistouri, fouillé, démonté, au prix d’une très rigoureuse direction d’acteurs et d’une très intelligente utilisation des défauts de certains d’entre eux. Cette « lecture » est en vérité une mise en pièce. Elle m’a en tous cas intéressé,  amusé. D’autant que la « philosophie » très pascalienne de l’ouvrage (La Vie étant un « songe », Dieu seul sait dans quel état on se retrouvera au réveil, alors soyons prudents et comportons-nous bien) n’est pas plus que le reste respecté. Si j’écrivais dans LIBÉ, je pourrais mettre : « Gaffe ! Sigsmond ! Gaffe ! La première fois tu as cru que c’était arrivé et tu t’en es mordu les doigts. Alors maintenant que tu rêves encore ( ?) peut-être, vas-y mollo ! » Ce style rendrait assez bien compte de l’esprit du spectacle dont on doit souligner, cela dit, qu’il est très bien joué par des jeunes artistes disciplinés, exacts, sensibles et distanciés. Claudia Stavisky mérite à elle seule le détour tant son jeu très juif est inattendu, comme si elle était un Daniel Emilfork femelle.
Mais Thierry Gabriel Fortineau (Sigismond) pourrait aller loin et c’est curieux comme Wladimir Yordanoff (Astolphe) fait penser à Bisson. D’autre part, est-ce par « parti » ou par soucis d’afficher un certain paupérisme que les costumes sont inachevés ?
Entendez bien que certains sont somptueux, mais que certains autres sont contemporains faits de matériaux sans noblesse (une robe de chambre en molleton, par exemple). Ce mélange des styles à vrai dire ne gêne guère et permet parfois des effets.
Dirai-je de ce spectacle qu’il est parfaitement réussi ? Il est certes satisfaisant et le chirurgien a apparemment manié le scalpel avec une habileté sans complaisance. Pourtant il manque comme une densité, comme une épaisseur.
Il faudrait être sûr que le résultat est le produit d’une réflexion dramaturgique et non d’une recherche de gags superficiels.

08.01.79 – Garance est une femelle. N’y voyez rien de péjoratif. Sa sensualité est gourmande et on voudrait en dire autant des trois filles qui l’entourent dans CHAIR CHAUDE, d’une certaine C. Chawak. Il ne s’agit pas vraiment d’une pièce mais plutôt d’un poème, dont le style, sinon le contenu, oscillerait entre le genre Giono et la manière Claudel. C’est un hymne au corps humain et plus spécialement féminin où les viscères, les entrailles, la fécondation, l’accouchement, la copulation, j’en passe et beaucoup, sont tour à tour passés en revue « en allant jusqu’au bout ». Je crois avoir perçu de temps en temps une note d’humour. Je me suis même permis de glousser mais je ne sais pas si c’était séant. Une belle joie essaye d’habiter les interprètes de cette affaires de femmes qui a le mérite de ne pas stigmatiser l’homme.

Publié dans histoire-du-theatre

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