13 janvier au 18 février 1971

Publié le par André Gintzburger

13.01.71    “On a beaucoup dit que c’était une curieuse idée de la part de Roger Mollien que d’ouvrir son expérience au cinéma Vézelay dans le XIIIème arrondissement avec “LE JEUNE HOMME EN COLÈRE” d’Osborne. Mais à voir les réactions de la salle - pas très pleine mais quand même - composée en majorité de jeunes gens, on peut se demander si une tentative plus moderne aurait été justifiée. LES TRÉTEAUX DU SUD PARISIEN se défendent d’ailleurs de faire de la recherche et renvoient leurs spectateurs au théâtre le plus proche dans ce domaine, L’ÉPÉE DE BOIS.
Au demeurant, le sujet traité par Osborne ne manque pas d’actualité puisqu’il s’égit d’un jeune homme qui rue dans les brancards de la société en vase clos, refusant son genre de vie “petit bourgeois” mais ne le faisant qu’en colères stériles. Tyran domestique, il est incapable de discerner le vrai du faux.. Mon  Dieu, ce n’est pas tellement dépassé! Ce qui l’est par contre, c’est la forme, la façon d’appréhender le sujet sous les dehors d’une comédie de caractère à 3 personnages :deux femmes + le jeune homme + un comparse qui a choisi la passivité par inadaptation. C’est joué avec des moments de curieuse distanciation. Mollien a semblé vouloir signifier qu’autour de Jimmy (le jeune homme) qu’il incarne VRAI, les autres sont artificiels. Mais il est aveugle à cette non-vérité.”

15.01.71    “Après L’HOMME COUCHÉ et MOLLIEN, me voici une troisième fois rajeuni de 20 ans avec la pièce d’Eric Westphal “TOI ET ES NUAGES”.que Roland Monod a monté à l’ATHÉNÉE avec Anna Karina, Eléonore Hirt, François Darbon et Georges Staquet. Ce n’est pas que ce soit mauvais, loin de là, et que soit initéressante l’histoire de cette jeune femme folle qui a des appétits périodiques de meurtre et les satisfait sur des singes, tandis que sa soeur, frustrée sexuelle évidente a sacrifié sa vie à enfermer sa cadette avec elle dans un grenier pour que l’asile ne la capte pas..
        Darbon avec qui je bavardais à l’issue de spectacle, m’expliquait qu’un tel  thème touchait beaucoup de gens, tous ceux qui enferment des mystères honteux au fond de leurs maisons et aussi tous ceux qui de près ou de loin ont eu maille à partir avec la démence. C’est un sujet qui fait peur aux normaux et qui par conséquent les attire. Bertrand Poirot-Delpesch écrivait qu’il ne pouvait situer cette pièce par rapport à aucune référence. Moi, j’ai  beaucoup songé à Tennessee Williams, en moins fort et en non exotique. J’ai  admiré la pudeur de la mise en scène qui évite que jamais ce drame d’atmosphère d’où les excès ne sont pas absents, ne tombe dans le ridicule. Si j’ai souri  parfois,choquant mes voisins car je n’ai pu retenir des gloussements, du moins n’ai-je jamais ricané, encore moins eu envie d’emboiter. C’est que c’est aussi très bien joué. Mais je le confesse : est-ce le thème auquel je suis allergique ? Est-ce la forme résolument conventionnelle et vieille? Je me suis vraîment demandé pourquoi on montait des choses comme ça, et qui ça pouvait  intéresser. Question oiseuse : il y avait beaucoup de monde à l’Athénée en cette soirée qui n’était pas une générale et les applaudissements furent très nourris à la fin.Les Dupuy affichaient un sourire que je ne leur avais pas vu depuis longtemps.. Serait-ce que je suis un inadapté?”

        Note: François Darbon était un vieux compagnon de route puisque c’est au centre dramatique de l’est que je l’avais connu. Trappu, de taille moyenne, il s’exprimait avec en accent Bordelais prononcé (comme André Clavé d’ailleurs). Pratiquement adjoint du directeur il était de presque toutes les distributions, à telle enseigne que la présence quasi permanente sur les scènes d’Alsace et de Lorraine avait fini par lasser. Quand je téléphonais à des structures pour leur proposer un nouveau spectacle il m’était arrivé d’entendre (prononcé cette fois avec le redoutable accent alsacien) : “est ce que nous aurons ENCORE Monsieur Darbon ?

        Quant au couple Dupuy, je ne me souvenais pas qu’il avait un moment dirigé l’ATHÉNÉE. C’est à peu près à l’époque du spectacle dont je viens de rendre-compte que IONESCO, BECKETT et O’BALDIA furent interdits à l’O.R.T.F. “comme n’étant pas toniques”.

20.01.71    “Il y a des sujets qui requièrent la forme du drame psychologique. On peut parler de style rétrograde, dépassé, rêver qu’il eût mieux valu jouer épique. Je n’en suis pas si sûr et me faisais réflexion hier  soir au T.O.P.en voyant “TA VUE ME DÉRANGE  HOTNOT”.de l’écrivain Sud-Africain blanc Athol Fugard que jamais une fresque sur le sort des noirs dans la république des Boers n’aurait atteint la sensibilité du public comme le fit cette tranche de vie de deux êtres ainsi disséqués, en tout cas sur moi, car il y avait des allergiques comme Lucien Attoun.
        Je reprocherai à Pierre Vielhescaze de n’avoir pourtant pas joué complètement le jeu. Ce théâtre tout en touches délicates, en notations sensibles, ce théâre qui vise à identifier les spectateurs aux personnages, exige une atmosphère intîme et certainement la pièce a été conçue pour être jouée dans des salles à l’Italienne. Ce n’est pas le cas du T.O.P. et il est normal que le réalisateur soit parti des données de son lieu. Mais pourquoi cette scène en ring? cette  fiction des sièges entourant le plateau? alors que de toute évidence le spectacle a été conçu pour n’être vu que d’un seul côté! Pourquoi ces espèces de cages suspendues au dessus des acteurs pour SIGNIFIER bien sûr la prison morale dans laquelle ils sont enfermés? Vision primaire engendrée par l’école Gabriel Garran qui a formé Vielhescaze, mal dégagé du didactisme ainsi que l’illustrent ses notes publiées dans le programme.
        Reste que grâce à Yvan Labejof et à Robert Rimbaud qui se livrent trois heures durant à une assez prodigieuse performance, le spectacle est bon. Mais l’ennui qui m’a fait sommeiller parfois ne se fût sans doute pas fait jour si le rapprochement scène-salle avait été plus grand.
        On sait le sujet: deux noirs vivent ensemble dans un quartier réservé aux gens de leur couleur. Ils sont demi-frères et l’un d’eux, presque blanc,a été tenté de se faire passer pour un visage pâle authentique, et si j’ai bien compris il n’a pas osé, tandis que l’autre, carrément foncé, assume son état. On les voit vivre, l’un renfermé dans sa rancoeur de ce qui aurait pu être possible, physiquement isolé volontaire dans la maison pauvre d’où il ne sort pas, occupant son temps aux tâches ménagères, l’autre travaillant au dehors et recélant une certaine joie de vivre. C’est lui qui a l’idée d’entretenir une correspondance avec une jeune fille blanche. Cette “liaison” par lettres donnera l’intrigue du spectacle, le fil conducteur, le suspense. Mais là n’est pas le propos de l’auteur qui veut surtout nous montrer par le détail quotidien ce qu’est le problème  noir en Afrique du Sud et je crois qu’il y réussit bien.
        Quant à savoir si cette dénonciation du racisme à 9.000 kilomètres du T.O.P. est nécessaire ... Bien sûr on aimerait que nos animateurs s’intéressent davantage à nos problèmes nationaux et il y a beaucoup à dire sur cette liberté de dénoncer les tares des autres dont ils jouissent, ce qui permet au POUVOIR de donner l’illusion aux foules qu’en France on peut tout dire et que tout va par comparaison mieux chez nous qu’ailleurs. Mais il est vrai qu’il y a aussi du racisme chez nous et que de toute manière il est bon de dénoncer cette abomination en toute occasion. A bon entendeur Français, salut! “

SOIR APRÈS SOIR

27.01.1971    “-Deux thés, Marie, tout de suite!
        - Voilà Madame!
        - Avez vous  passé une bonne nuit, Maya?
        - J’ai rêvé de ce petit Torup qui est drôlement séduisant.
        - C’est un malade, comme tous  les pensionnaires de cet hotel, et comme vous-même, ma chère! Ah, si  seulement vous m’aimiez!
        - Essayez donc avec cette pute de Lili!
        - D’accord, si ça pouvait vous rendre jalouse!
        - Oh ça!”
        ...
        Bon, je voudrais rendre compte de la platitude du style de “LA FIN DE L’ÉTÉ et je n’y arrive pas faute d’avoir appris par coeur d’authentiques répliques. J’attends de lire les articles des  critiques professionnels qui ont trouvé vieux le langage de “TA VUE ME DÉRANGE HOTNOT” pour voir ce qu’ils pensent de la jeunesse de Tadeusz Rittner ... et aussi pour savoir ce qui se passe à la fin de la pièce car je n’ai vu que le 1er acte. C’est une mise en scène de Daniel Leveugle.”

 28.01        “Forlani m’agace, Forlani m’irrite, Forlani me fout en rogne. C’est un esprit subversif mais sa subversion a un relent de clin d’oeil aux bourgeois. Il donne l’impression d’être aigri, malpropre. Il me fait songer à Anouilh. Et d’ailleurs ce n’est sans doute pas par hasard que sa dernière pièce “AU BAL DES CHIENS” est montée par Barsacq à l’ATELIER. Il y a de ces rencontres qui sont des signes.
        Je rappelle l’histoire : Les événements de Mai 68 bloquent dans la cave d’une grande école puis dans les égouts quatre femmes de ménage. D’abord elles sont dépassées par l’événement, puis elles rencontrent un égoutier, relai avec le monde extérieur, qui suscite leur espoir en une vie nouvelle. La fin sera amertume et déception. Ce pourrait être, on le voit, un beau sujet. Mais le sarcasme l’emporte. Le vers de mirliton employé par les personnages leur confère un langage dérisoire. Leur “liberté” manque d’imagination, et le “bonheur” des deux femmes qui se découvrent gouines aurait pu sans nul doute se révéler hors du contexte de la révolution.
        Reste la dernière scène, celle de la fille qui refuse la défaîte et qui décide qu’elle restera dans son égoût, repliée, tant que les hommes n’auront pas changé la vie.Cette scène là doit SIGNIFIER la position de l’auteur et je la prends en compte. Mais elle vient après trop de bave éructante. Sa netteté valable n’efface pas la putasserie du spectacle.”

31 01.1971    Je rentre d’Amiens où j’ai vu l’ANTIGONE de Brecht montée par Jean Pierre Miquel. C’est un souvenir pour moi, cette pièce: ma premièren tournée en Algérie avec Robert Postec. Miquel a renoncé au prologue et l’a remplacé par des poëmes de Brecht dont l’admirable “je suis né dans les forêts noires”. A cela près, il a resitué l’oeuvre dans son contexte anti-nazi par un décor de photos. Son montage est exact, net, sans failles, précis, impeccable, mais on n’a rien à en dire: il est impersonnel. C’est du bon travail de bon serviteur, du non génie à l’état pur. Heureusement il y a la pièce, qui est roublarde, maligne. Comme naguère j’ai aprécié avec quelle économie de moyens Brecht a su transformer fondamentalement l’oeuvre de Sophocle dans son sens profond, presqu’en n’y changeant rien. Je me suis aussi fait réflexion en réentendant les mots de ce texte que le LIVING-THÉÂTRE dans sa transposition gestuelle criée et psalmodiée, en avait extraordinairement traduit l’esprit. Sous Miquel, c’est bien joué, sans trop d’âme. Connaissant bien Evelyne Istria et Claude Lévêque, j’ai vu qu’ils n’avaient guère été dirigés. Aussi ne rendent ils pas le 100% qu’ils pourraient. Pierre Hatet est bien en Créon.
        Mais pourquoi avoir réduit ce texte fait pour une grande salle en la présentant dans la petite de la Maison de la culture? Cette erreur là me rend rêveur.

REGLEMENT DE COMPTE

3.II.1971    “Je ne comprends décidément pas ce qu’ils trouvent tous à Claude Régy. Très tristement je trouve que son montage des “PRODIGES” de Jean Vauthier est une catastrophe. Ce n’est pas une trahison, c’est un DÉRACINEMENT.
        Et d’abord, quand un auteur minutieux, dont toute la profession sait  qu’il ne laisse rien au hasard, se donne  la peine de décrire avec précision le vestibule où se passera l’action, précisant qu’il y a “de nombreux contrastes”, des beaux meubles voisinant  avec des meubles en bois blanc, “un mur orné de gravures anciennes, ... des plans et épures en papier bleu, ... quelques tréteaux, des moulages d’antiques”, bref un un bric à brac hétéroclite qui, dans l’âme de Vauthier devait signifier L’UNIVERS des personnages décrits, DE QUEL DROIT un petit bonhomme de metteur en scène substitue t’il à ce monde palpable UNE ABSTRACTION GRATUITE? Un podium central flanqué d’un escalier d’un côté et dedeux ailes grimpantes de l’autre. Marc et Gilly vont et viennent sans motivations apparentes sur cet espace arbitraire, donnant une impression d’agitation factice, là où le moindre déplacement devrait être une impulsion venue de l’intérieur.
        D’autre part, Wilson en Marc joue le personnage d’un bout à l’autre à FAUX. Est ce Régy qui lui a indiqué cette caricature d’imitation de Vauthier? Est ce Régy qui, pour qu’il exprime LA DÉMESURE voulue par le texte, lui a imposé cette gestuelle grottesquement artificielle, qui a pour conséquence que constamment le public se distancie du personnage et ne peut  parvenir à y croire? Alors que l’auteur, parlant de sa pièce prononce le mot de “pornographie”, est ce exprès que Régy en a fait une messe froide complètement désensualisée? Qui pourrait croire, en voyant CES rapports entre Marc et sa nourrice qu’il éprouve pour elle “l’Amour ABSOLU, non incarné, plus que maternel”. Je lis pourtant cela dans le programme sous la plume de Régy. Alors quoi? Est il impuissant puisqau’apparemment lucide, ou est-ce un salaud?
        Qu’ai-je vu de l’oeuvre admirable de Vauthier hier soir? D’abord des spectateurs, ceux qu’on avait placé en face de moi, Colette Dorsay, Raymond Laubreaux et sa fille, Irène Ajer et de Beer, Simone Ben-Mussa et Maurice Bernard, un couple volumineux de gens simples (peut-être les gardiens du chien de Vauthier?); ensuite une scène de ménage sans dimensions, obscure, confuse, mal éclairée, ennuyeuse.
        Dieu Merci, il y avait Judith Magre, vive, vraie, puissante, drôle, intense. ELLE est remarquable par moments et toujours bien. Est ce parce que son tempérament l’a amenée à jouer le JEU de la pièce CONTRE les brumeuses divagations de son metteur en scène? La connaissant bien, je serais enclin à le croire. En tout cas HEUREUSEMENT qu’elle est là pour rétablir LA JUSTESSE!
Mais que peut une Gilly sans Marc dans un univers désincarné?”

 Commentaire : Le fait que Jean Vauthier ait toléré ce massacre illustre à quel point un auteur, même le plus exigeant, est faible en face d’un metteur en scène terroriste.Ce rapport de force entre le créateur de base (l’auteur) et le re-créateur “à la lecture personnelle selon les critères du protocole de Villeurbanne” a peu à peu entraîné une démission des écrivains de théâtre: s’ils voulaient être joués, il fallait qu’ils acceptent cette revisitation de leurs oeuvres. C’était présenté comme un enrichissement. La réalité est qu’au contraire, cela aboutissait le plus souvent à un appauvrissement, voire à un détournement, bref selon moi, à une malhonnèteté.

Et voyez comme moi-même je me laissais entraîner dans la spirale de la mode (je devrais peut-être écrire : de cette nouvelle ligne de forces). Je constate que mes critiques sont souvent méprisantes pour les (je me cite) “tâcherons” qui se bornent à être des serviteurs de la chose écrite. En tout cas le mouvement qui s’esquissait allait progressivement transformer profondément le théâtre : il y aurait de plus en plus de montages sans base littéraire, des décryptages d’improvisations; la notion de “commande d’écriture” allait apparaître, ce qui signifie que l’idée du spectacle à réaliser viendrait désormais du metteur en scène, l’auteur étant, curieuse inversion, réduit à être (reprenons le même mot) SERVITEUR à son tour. Cette réflexion, naturellement, ne concerne pas “le boulevard”.Mais essayons d’approfondir à travers un exemple:

 Je vois que dans un de mes petits pamphlets, j’évoque Anouilh, je voudrais en dire ceci : Jean Anouilh a un jour écrfit une petite pièce qui durait une petite demie heure et qui s’appelait : HUMULUS LE MUET. C’était l’histoire d’un jeune homme qui ne pouvait dire qu’un mot par mois (je crois). Il tombe amoureux d’une jeune fille. Il attend trois mois, et il lui dit :”je vous aime” ; à ce moment elle sort un  cornet acoustique et lui  réponds :”je suis un peu dure d’oreille, pouvez vous répéter s’il vous plaît”.Les pièces roses et les pièces noires qu’il a éditées, n’ont été ensuite que des développements à la sauce joyeuse ou à la sauce triste de cette parabolle.
Si je raconte ça, c’est pour réaffirmer qu’à mes yeux chaque créateur porte en soi UNE GRANDE IDÉE, les génies au maximum trois ou quatre thèmes.A 80 ans passés je persiste et signe. D’ailleurs la preuve de cette affirmation, c’est que les rédacteurs des dictionnaires peuvent définir quelqu’un en quelques lignes. Donc (est-ce un sophisme?)si les écrivains passent leur vie à se paraphraser, on peut se demander si cette  relève de la créativité par les gens du terrain ne correspondait pas à une inconsciente collective prise de conscience d’une réalité.Malheureusement le génie n’a pas souvent été au rendez-vous.

MOI AUSSI, J’AI FAIT DES MISES EN SCÈNES

Certains remarqueront peut-être qu’il m’arrive parfois, évoquant une comédienne ou un comédien, de dire que je la ou le connais bien. Cela vient de ce que j’ai moi-même  été à plusieurs reprises metteur en scène et cela s’est peu su dans la capitale, car mes spectacles s’adressaient toujours à la province et à l’étranger. Nul ne les a vus à Paris,.mais en vérité il y en a eu pas mal et je peux dire sans me flatter que l’étais un bon directeur d’acteurs.
Cela avait commencé avec “LES MOUCHES” de Sartre vers les années 1960 (je ne peux pas être plus précis). L’anecdote est la suivante. Lucien Attoun, qui n’était pas encore devenu le chroniqueur de FRANCE CULTURE avait décidé de monter cette oeuvre et m’avait demandé de lui monter une tournée. Je m’y étais attelé avec succès, mais pour je ne sais plus quelle raison, il s’était désisté et je me suis retrouvé avec une tournée bien programmée et pas de spectacle. Je me suis dit alors: “pourquoi commander la réalisation à quelqu’un et si tu la faisais toi-même?”.Ce fut ma foi, en toute honnêteté une réussite. Jean Davy, qui était une vedette selon la définition : “combien rapportez vous de spectateurs?” m’a donné un Jupiter parfait et Antoine Mozin un Créon très plausible.
Moi aussi, j’ai été saisi par la tentation des re-lectures. C’est ainsi que pour “ON NE BADINE PAS AVEC L’AMOUR”. J’avais estimé qu’il y avait dans la pièce de Musset des personnages de chair et de sang, Camille, Perdican, Rosette, et des caricatures, Madame Pluche, Bridaine, Blazius. J’avais choisi de les faire dessiner et il apparaissaient en projections. Moi même, je jouais “les paysans”. Cette expérience m’a prouvé que je n’éprouvais pas à entrer en scène le même bonheur que mes camarades. Au lendemain de la dernière, je me suis rasé la barbe que je m’étais laissé pousser six mois durant pour être crédible dans ce personnage à facettes. Une tournée aux Etats Unis m’a permis de découvrir l’Amérique profonde: Jene sais même plus si nous avions joué à New York, mais je me souviens de Chicago, Détroit, Cincinati, Houston, Colorado Spring, Salt Lake City. Organisée par Mel Howard, nous faisions la tournée dans une voiture que conduisait Philippe Jarry, notre régisseur, et qui traînait un U-hall. Mais il manquait une place si bien qu’à tour de rôle l’un de nous prenait l’avion. C’est à l’occasion de cette tournée que j’ai connu Claude Lévêque et Evelyne Istria.        
        Judith Magre fut pour moi “PHÉDRE”. Ce fut un délice que de la diriger. Si j’ai pu écrire dans mon compte-rendu sur LES PRODIGES, qu’elle avait probablement joué le rôle à sa manière c’est parce que la première de la tournée avait été programmée à l’école des Roches, collège pour jeunes gens de très bonnes familles, qui n’en n’avaient rien à foutre de Racine (et probablement du théâtre). Dès les premières répliques ils commencèrent leur chahut et Judith, en guise de représailles, a dit plutôt que joué tout son texte de dos au public. Ensuite elle fut magnifique devant d’autres publics. J’avais choisi Antoine Mozin pour jouer Thésée parce que le personnage me paraissait stupide. Je l’appelais mon gros Thésée. En fait je m’étais attaqué à cette oeuvre parce que j’avais eu honte d’une tournée précédente montée par Jean Lechanois avec Sylvia Monfort dans le rôle. A part qu’elle était assez belle à contempler car elle jouait le rôle alanguie et à moitié à poil, c’était très mauvais : au premier plan, Lechanois avait placé une statue de Vénus dont la main supportait à hauteur du zizi une bougie que le régisseur allumait en guise de trois coups. Il y avait une pause bruyante entre chaque acte, car pour signifier le cheminement du soleil au cours de la journée, le metteur en scène avait choisi de déplacer les panneaux de fond. Je lui avais bien suggéré que des éclairages tournant auraient aussi bien fait l’affaire sinon mieux, mais il s’en était tenu à son idée..
        Françoise Goléa, ce fut une relation tendre et éphémère pour moi. Le spectacle était “INTERMEZZO” de Giraudoux, ce chef d’oeuvre qui expose que la carrière de fonctionnaire est la plus aventureuse du monde puisqu’elle trimbale ses titulaires “de Gap à Bressuire et finalement en haut de la pyramide, à Paris”. Elle incarnait l’institutrice écologique avec beaucoup de charme et de poësie
         Il y eût aussi une adaptation de “LA NOUVELLE HÉLOÎSE de Rousseau avec André Cellier et une très belle actrice dont j’ai malheureusement oublié le nom.
        J’avais une équipe de fidèles pour la technique, Bado, Jean Baptiste Maistre, qui inventait et construisait mes décors dans son atelier qui était situé derrière le théâtre Montparnasse (c’est aujourd’hui LE  PETIT MONTPARNASSE) et puis Jacques Voillot,le petit bossu, qui montait toutes mes bandes son, et tous ces spectacles circulaient dans l’autocar de Monsieur Ben Baziz, un Mercédès confortable. J’avais parfois des angoisses car ce brave homme prenait souvent des risques.”Ne vous inquiétez pas, Allah me protège”. - “oui mais pas nous” lui ai-je un jour répliqué.

        Vous allez me dire que tout ça n’était pas très “moderne”. En effet, mais cela correspondait à une nécessité de survie pendant les années qui ont immédiatement  suivi ma faillite du THÉÂTRE D’AUJOURD’HUI . Cela se situe dans le temps entre 1960 et 1968.  Après les événements, je n’ai plus rien monté moi-même si ce n’est mes propres pièces.Durant cette période d’ailleurs, je suivais Sacha Pitoëff dans son exploration de Tchékhov et de Pirandello, Guy Suarès dans celle de Llorca, Serge Ligier dans sa recherche d’un théâtre où la notion de respiration remplacerait celle de talent, et puis aussi Arlette Reinerg et Dubillard, Weingarten, René Ehni, le Living Théâtre etc etc ... Vitez, Chéreau, Hermon,dans le cadre d’une entreprise dont j’étais que le directeur artistique, et qui s’appelait LES PRODUCTIONS D’AUJOURD’HUI

 MAIS TRÊVE DE DIGRESSIONS

5;II.1971    “Ce n’est certainement pas moi qui jetterai la pierre à la COMÉDIE FRANçAISE qui  a chargé Jean Pierre Miquel de mettre sur pied un cycle consacré aux “auteurs Français nouveaux”. Ce souci de recherche honore la Maison de Molière. Un pratiquable s’avançant en coin vers le public et empêchant la manoeuvre du rideau de fer indique que Mmes Mrs les Sociétaires savent AUSSI suivre la mode de la simplification du rapport scène-salle.
        Reste qu’il y a un problème de choix:
        Qui est Madame Andrée Chédid auteur du “MONTREUR”, genre de conte arabe philosophique, poëtique et chiant mis en scène avec esthétique et ennui par Yves Gasq? Je ne vois que des raisons de stratégie politique au fait que cette oeuvrette ait pu être retenue comme signifiante du jeune théâtre. J’ai au contraire éprouvé une étonnante impression de désuétude qui m’a amené à un sommeil profond.
        J’avais déjà vu en Amiens “COEUR À DEUX” de Guy Foissy.J.P. Miquel gagne ici facilement la partie car la pièce est drôle, accessible à toutes les intelligences, doucement contestatrice de la société de consommation et aimablement moralisante sous une forme “moderne” avec projections et style Ionesquien. Mais c’est un texte mineur, à la limite du sketch,  une sorte d’impromptu sans conséquence dont on se demande si la place dans l’illustre maison est justifiée.
        “ARCHITRUC” de Pinget, est plus important, mais il faut bien dire que le pédé Jacques Charon mis en scène par le pédé Olivier Hussenot et jouant le pédé vous a quelque chose de provocateur grossier qui n’est peut-être pas du meilleur goût, avec des effets appuyés au kilo qui amusent un peu, puis finissent par agacer. Je ne parlerai pas de la pièce, il faudrait que je la relise. Telle quelle, je n’ai pas l’impression de l’avoir bien vue. Elle m’a semblé rabaissée, vulgaire, privée de ses dimensions. Ou alors, c’est qu’entre ce Pinget là et celui de “LA MANIVELLE”, il y a un monde. Mais je ne crois pas. Je crois plutôt que l’univers de Pinget n’a pas été recréé.
        Je n’ai pas vu le premier spectacle consacré notamment à Dubillard et à Weingarten. Je verrai le prochain car de toute manière il est sympathique que ces messieurs-dames courent après la jeunesse. Peut-être, à force d’efforts, la rattrapperont ils un jour”

AH OUI, C’EST VRAI, IL Y A EU UNE ANNÉE SHAKESPEARE

6.II.1971    “Bon! Je n’ai pas vu HAMLET avec Trintignant. La”critique” m’en a dissuadé avec tant d’unanimité que l’ai eu tendance à la croire.
        Le cycle Shakespearien, pendant de l’année Beethoven sur les ondes, commence donc pour moi avec le “ROMÉO ET JULIETTE” de Marcel Maréchal à l’ODÉON THÉÂTRE DE FRANCE. Reste à voir Henry VIII et OTHELLO la semaine prochaine; Ouille ouille ouille! quels épuisements en perspective. Oserai-je le redire que Shakespeare m’emmerde, que Shakespeare me fait chier, que je trouve ses personnages cons et ses intrigues puériles, que je ne parviens point à entrer dans ses motivations, qu’il m’est étranger, que je n’éprouve aucun besoin d’être respectueux envers lui, et que je ne verrais aucun inconvénient à ce qu’une révolution culturelle le balaye de nos mémoires? Je sais bien qu’il faut replacer ses fleuves verbeux  aux intrigues lâches et mal fagottées dans un contexte qui a trois siècles. On mesure par parenthèse le chemin parcouru entretemps par l’humanité. Je sais bien aussi que ce que j’écris là ne se fait pas: Shakespeare fait partie du patrimoine de l’humanité et chacun connait l’histoire du naufragé qui sera heureux sur son ile déserte si Shakespeare et la Bible s’échouent avec lui sur la plage. Donc j’ai tort, donc je suis un con, donc je suis injuste!
        Bien! Revenons à ce ROMÉO là. Compte tenu de ce que je viens d’écrire, il est certain que le texte français de Jean Vauthier est beau, poëtique, riche, truculent, et en un mot “Shakespearien”. C’est sans doute la meileure adaptation de l’oeuvre qui existe.La mise en scène de Maréchal est intelligente, personnelle, et vive. L’aspect PROVOCATION dans les prémices des duels fameux est très bien montré. La façon dont la querelle entre les Montaigu et les Capullet leur échappe, comment ils sont les victimes d’un état de choses  dont ils sont devenu prisonniers, est éclairé avec beaucoup de lucidité. Par contre, L’AMOUR-COUP DE FOUDRE irrésistible entraînement qui rapproche Roméo et Juliette m’a paru gommé.: Roméo passe d’une fille à l’autre  sans que j’aie senti le souffle de la fatalité l’effleurer. Cette aventure finit mal, mais elle ne parait pas SÉRIEUSE. Sans doute que ça n’intéressait pas Maréchal que de traiter de la passion. En tout cas, il n’a pas ménagé les gros plans nécessaires. Le déracinement de Roméo par rapport aux siens est par contre visible et même son éloignement de classe, je dirai peut-être plutôt son DÉTACHEMENT à partir de l’instant où une seule affaire l’occupe. Il se rapproche alors de qui l’aide ou le comprend. hors des notions de castes et de clans. Lisible aussi est l’arrachage de Juliette, clair surtout par rapport à sa nourrice. Le couple constitue une île de solitude au milieu du monde: il ne peut compter que sur soi-même.Les “familles” sont montrées dépoussiérées,avec leurs éclatantes médiocrités.
        Olivier Hussenot est remarquable en Capullet, Denise Perron étonnante en nourrice. J’ai bien aimé aussi le couple Catherine Hubeau - Bernard Ballet. D’une façon générale pourtant tout le monde joue EXCESSIF sans plages et sans ruptures de ton (après LE SANG, Maréchal aurait dû comprendre, pourtant, que c’est utile). Ce qui sied bien aux personnages caricaturés, ridiculisés, convient moins aux amants. Le côté mélo n’a pas été estompé. C’est un parti. Maréchal a joué le western.
        Une mention à Jacqueline Staup, mère de Juliette très Clytemnestre Sartrienne. Que dire de Jacques Lagarde, très troisième couteau en frère Laurent? Il est dans cette ligne qui ne cache rien de l’importance du hasard et rend humain, trop humain, ce qui se voudrait grand.
        J’ai aimé le dispositif d’Angéniol. Il est à noter que Maréchal ne s’est pas donné de rôle, ce qui est à son crédit.
        Bref quoi ? C’est un bon spectacle, plein de trouvailles, avec un parti-pris, un professionnalisme. Ca n’a pas le génie de Chéreau mais c’est  bien empaqueté. D’ailleurs je n’ai pas dormi, mais j’ai baillé! ça pour ça  oui, j’ai baillé! ... ça n’engage que moi.”

 11.02        Je me demande bien si HENRY VIII est de Shakespeare. Certes, le texte français de Richard Marienstras qu’on joue au THÉÂTRE DE LA COMMUNE D’AUBERVILLIERS” contient les formules alambiquées et les images brillantes auxquelles nous a habitués le vieil auteur anglais. Mais j’y ai trouvé comme une pointe d’humour, quelque chose comme une moquerie dudit style, une pincée de non prise au sérieux, un clin d’oeil de “pas dupe” aux auditeurs qui, quant à moi m’ont ravi et surpris.
        D’autre part, est-ce Gabriel Garran qui, après tant d’années de lourdeur didactique aurait acquis de son côté l’humour, ou faut il mettre la relative légéreté du spectacle à l’actif de Catherine Monnot qui co-signe la mise en scène?
        Quoiqu’il en soit, j’ai passé à Aubervilliers une très bonne soirée, ayant eu, il est vrai, pour m’entretenir dans ma bonne humeur la volonté, hors des tunnels et des plages qui nonobstant, existent, de me raccrocher au JEU de Clément Harari, un “politique” dela cour du Roi, véritable bain d’hilarité pour moi. C’est qu’il est prodigieux cet homme là: sa tension, son intériorité ne connaissent nul relâche. Fagotté en vieille fille perverse, un sourire énigmatique l’habite constamment. A côté de lui, qui regarderait l’ honnête Daubin, son collègue “conseiller” et les autres gentilshommes? Sacré Harari, je lui dois de n’avoir éprouvé AUCUN instant d’ennui, sauf peut-être au tout début, lors de la laborieuse et complexe exposition du sujet de la pièce, durant laquelle il est, du reste, quasi muet, sinon absent.
        C’est Pierre Santini qui joue Henry VIII. Je l’ai trouvé un peu fluet au début, mais il s’étoffe sur la fin et y acquiert autorité et assurance. D’une façon générale une très bonne troupe avec Mottet, Cellier, Giraud, plein de copains, joue avec aisance et professionnalisme.Il n’est que Michèle Marquais que je n’ai pas trouvé très bien distribuée dans le rôle de l’épouse répudiée  où ellene peut guère montrer ce qu’elle sait faire.
        Est-ce Garran? Est-ce Catherine Monnot? Il ne m’a pas semblé qu’ON eût cherché à rendre signifiante cette oeuvre qui montre pourtant un redoutable autocrate,un dictateur impitoyable, un abuseur du pouvoir absolu. Il ne m’est pas apparu de leçon politique et je n’ai pas repéré de “contexte” montrant la misère du peuple anglais en cette période pré-Elysabéthaine. ON s’est borné à jouer l’anecdote,  et celle-ci se passe dans le monde des grands. Les disgrâces se succèdent avec le rejet du Catholicisme et  l’instauration de l’église Anglicane. Mais le spectateur n’est pas frappé d’effroi et ne tire pas d’enseignement nouveau. La chronique est conforme à ce qu’en content Mallet et Isaac, linéaire dans son implacabilité.
        A moins que l’HUMOUR que j’ai détecté dans le montage ne soit justement le SIGNE de la SIGNIFIANCE, comme une manière de montrer le dérisoire des motivations d’un roi baiseur à créer le plus grand schisme du Christianisme, qui fut si important pour l’isolement insulaire de la Grande Bretagne. Peut-être. En tout cas, cette recherche a su être dépassée et l’impression que laisse ce spectacle  au demeurant pas très majeur, est que Garran et Catherine Monnot n’ont pas cherché midi à quaorze heure.”

note        J’adorais Clément Harari. Même dans la vie, c’était un personnage haut en couleur en même temps qu’un militant communiste fervent et cultivé.. D’origine Egyptienne, il s’exprimait avec un léger accent et surtout un professionnalisme parfois poussé jusqu’à l’absurde. C’est ainsi qu’un jour, il jouait dans un film de série B un personnage traqué qui à un certain moment était happé par une grue et soulevé à 50 mètres du sol. Le bras de la grue pivotait et le personnage était lâché d’une certaine hauteur et tombait sur un tas de je ne sais quoi destiné à amortir la chute. Naturellement pour cette séquence, la production avait engagé un cascadeur mais cela ne plaisait pas à Clément et il insistait pour être lui même attrapé par la grue “parce que (disait il) MOI, quand je serai en haut de la grue, JE JOUERAI...” Je n’en dirai pas plus. Tout L’HOMME est dans cette volonté. On pourrait multiplier les anecdotes,mais il faudrait un livre entier pour être complet

12.II.1971    “L’OTHELLO de Jose Valverde est pour le moins un singulier spectacle. La tentation serait grande de le jeter aux orties sans examen. Le T.G.P. (THÉÂTRE GÉRARD PHILIPE DE SAINT DENIS) va probablement en prendre gravement sur la gueule dans la presse. La consternation se lisait dans les yeux des amis. .
        Et d’entrée de jeu je dois dire que je ne suis pas d’accord avec le parti du metteur en scène. Pourtant il ne serait pas impossible que ce Shakespeare là marque davantage les mémoires futures que les deux autres vus récemment.
        “Quel mauvais goût!” fait dire René Ehni à un  de ses personnages de “QUE FEREZ VOUS EN NOVEMBRE?” OTHELLO réduit par Jose Valverde à une anecdote d’une heure trois quart, privé de sa substance shakespearienne au point d’être une bande dessinée animée et rien d’autre, c’est le triomphe du mauvais goût. Pire, c’est la vulgarité érigée sur un piédestal. Le texte est plat, fade, c’est un langage de film américain doublé.
        Remarquez bien que moi, qui suis allergique à Shakespeare, je me marre plutôt en assistant à cette destruction, à ce saccage d’un réputéchef-d’oeuvre. Seulement voilà la question: cette réduction d’OTHELLO à quelque DIABOLIK, SATANIK, ou SUPERMAN fut elle volontaire ? Valv erde a t’il été conscient de son assassinat ... ou est il tout bonnement con?
        Quoi qu’il en soit, il a installé sur son beau plateau des passerelles représentant quelques rares itinéraires possibles pour les acteurs. Ainsi sont ils constamment limités dans leurs déplacements. C’est pour le moins étrange qu’un metteur en scène se prive ainsi de dimensions de manière irrémédiable: au bout de dix minutes on sait que tout au long de la soirée on verra les personnages se mouvoir identiquement au gré d’étroits chemins aliénants, érigés de surcroît sur de hauts pilotis pour éviter toute tentation aux acteurs d’en sortir
        Le “décor” est projeté en cinérama. Constamment mouvant, il est fait de films montrant les personnages en gros plans aux instants psychologiques, de lignes, de taches coloriées, qui soulignent l’action et parfois s’y substitue.L’étranglement de Desdémone est ainsi projeté. Je ne dis pas que l’idée soit mauvaise. Mais l’effet FOUDRE n’arrive JAMAIS. Pourquoi alors que la tentative d’envelopper les spectateurs dans l’univers voulu est presque réussie? N’est-ce pas parce que cet univers n’est réellement qu’une pâte lumineuse comparable à ces pâtes musicales qu’on ptratique à Hollywood  pour les génériques de films? C’est néanmoins probablement une prouesse technique: On n’a jamais l’impression d’insuffisance à laquelle nous sommes habitués au théâtre en ces matières..
        Sauf  Med Hondo qui joue Othello et Valverde qui s’est octroyé Iago, la distribution est intégralement médiocre. Med m’a fait songer à Tayeb Saddiki. Il PEUT jouer le rôle, mais dans ce contexte, il accentue sa négritude, dont le texte parle, m’a t’il semblé, plus que dans l’original. Valverde a sûrement vouu dénoncer le racisme des vénitiens, mais il a du fait de son digest ramené Othello au rang d’un sous-développé débile mental. Ainsi ne peut on s’empêcher de songer que s’il n’était pas un nègre, il réagirait autrement La démonstration tourne donc à la nécessité du racisme.
        La seule chose positive , à ce degré d’analyse, est donc l’interprétation de Iago par Valverde. Il m’a fait songer à Pierre Lucas dans la vie, ce gars si honnête, si franc, si bourré de bonne volonté et qui semble toujours être au coeur des coups fourrés. En tout cas Valverde m’a semblé être un grand Iago. Il ne le joue en rien en troisième couteau. C’est comme un Mr Jekyll au moment où il ne parvient plus à se séparer de Mr Hyde. Comme si le mal qu’il fit était vraîment inspiré par le bien. Je crois qu’il faudra qu’un jour Jose joue Tartuffe. Quoi qu’il en soit le spectacle devrait s’appeler IAGO et non OTHELLO. Ce n’est peut-être pas une critique.”

J’ai voulu présenter le cycle Shakespeare d’un bloc.
Voici un petit retour en arrière
ET À LA ROUTINE

10.II.1971    “Le spectacle régulier qui succède à la MAMA lyrique au VIEUX COLOMBIER est constitué par une “première pièce” jouissant de l’aide de l’état : “L’ESCALIER DE SILAS”, de Geneviève Serreau.
        L’oeuvre date clairement de la quatrième république: elle est Beckettienne en diable. Silas et Godot sont frères jumeaux. Mais le “ton” n’est pas le même. Geneviève Serreau n’a pas la PUISSANCE ni la DENSITÉ de son maître. Les jeux d’attente auxquels se livrent les trois couples venus au pied de l’escalier fermé par une porte qui ne s’ouvrira jamais sont accélérés temporellement mais finalement mineurs. Intéressante est la notion de gens qui ne tiennent pas en place et convoitent toujours celle des autres quelle qu’elle soit. Le jeu de la bombe atomique en happy-end n’est pas terrifiant parce que peut-être soudain TROP PRÉCIS dans un  texte par ailleurs isolé du monde actuel.
        L’histoire d’amour vécue par deux jeunes gens et qui s’achève, comme si c’était inéluctable, par la destruction du dit amour semble être autobiographique.
        Bref c’est de l’avant-garde secondaire des années 50. On est bien loin des préoccupations actuelles et la forme aussi est désuette. Mais cela se laisse voir et écouter dans la mise en scène d’un inconnu:Michel Peyrelon, qui semble avoir accentué le côté “pas important” de la pièce. Peut-être est il responsable de l’impression que j’ai ressentie: aurait il eu le souci de FACILITER l’accès de la pièce en cherchant à faire rire, à distraire, quitte à la désamorcer?”

13..II.1971    “Ca a beau s’appeler LE GOBEDOUILLE, c’est rude: un spectacle qui ne contient aucun élément attractif autre que d’être mineur: 4 impromptus de Dubillard, du niveau des sketchs de cabaret, 2 piécettes de Guy Foissy, 1 de Grumberg, enfin dans un registre différent “LA MORT DE LORD CHATTERLEY” de C.Frank, où éclate la totale incapacité de Jacques Seiler de s’ériger en metteur en scène. Car enfin, c’est sûrement drôle, cette histoire de Lady Chatterley attendant la mort de son époux en compagnie de son amant valet. Ouiche! c’est grave, sérieux, pas marrant, et surtout - étrange pour quelqu’un, qui a vécu longtemps avec Rita Renolir - pas érotique du tout.Si Marthe Mercadier croit qu’à minuit elle aura du public au Vieux Colombier pour cette insignifiance, elle aura des lendemains mal chantant!”

 UN SPECTACLE SCOLAIRE

14.II. 71 -  C’est très intéressant :  Antoine Vitez montre en avant-première un ANDROMAQUE destiné à  être présenté dans le domaine des tournées scolaires  
    C’est un spectacle économique:  6 artistes sur scène. Aucun décor, une table, une échelle et trois chaises. Pas de costume. Et pourtant un grand spectacle. Que demander de mieux?
     À dire le vrai, la représentation n’est pas contre-indiquée aux jeunes gens. Et il est même probable que la clarification de l’anecdote à laquelle Vitez a porté tous ses soins, allant jusqu’à rappeler à plusieurs reprises QUI aime QUI, aidera les étudiants à s’intéresser à l’oeuvre. Je serais surpris que leur ETONNEMENT dégénère en chahut. Ils recevront donc la pièce, et après tout, c’était le but à atteindre. Mais il clair que Vitez n’a pas pensé à eux au cours de son travail qui apparaît surtout comme une recherche de professeur d’Art dramatique très intelligent avec son groupe d’apprentis comédiens. Et il est clair aussi que le résultat obtenu est de nature à toucher de vastes publics d’adultes, et à intéresser les spécialistes du théâtre.
    Voici se qui se passe : chaque scène est annoncée comme telle (à l’image des séquences dans FFK ) et les acteurs, qui ne sont pas distribués d’avance mais seulement disponibles disent : “Telle scène, je joue un tel”. Démarche qui détruit la notion d’emploi. Ce sera sans doute une révélation pour nombre de conservateurs comme l’acteur, empêchant l’un comme l’autre de se laisser AVOIR par la continuité, n’empêche en rien que le déroulement de la pièce existe. Au bout de quelques temps, ce qui semble au départ un EXERCICE de style devient simple et naturel, quasi ÉVIDENT : il n’est nullement nécessaire que Madame X joue Hermione ou Andromaque. Les interprétations diverses soutiennent au contraire l’attention.
    Chacun étant vêtu comme il l’est dans la vie, l’aspect EXERCICE est poussé au paroxysme. Mais le spectateur s’aperçoit qu’il n’en a rien à foutre d’un parti sur le plan des costumes, comme d’un environnement sur celui des décors. Le TEXTE est livré POUR LUI-MÊME et il GAGNE.
    Pourtant à certains moments du spectacle, j’ai éprouvé qu’il était MAOÏSTE, c’est-à-dire, - ceci  n’engage que moi - DESTRUCTEUR culturellement parlant. C’est que le metteur en scène - et ceci  m’agaça souvent - a voulu une GRATUITE dans les attitudes, les places, les intonations. Ce côté Michel Hermon sans psychanalyse, je n’ai pu m’empêcher de le mettre au compte d’un certain PARISIANISME, qui baigne, c’est certain, toute cette production. Il est possible que ces concessions soient nécessaires pour faire passer l’important. Je les regrette néanmoins. Il y a eu des moments où seule la bienséance m’a empêché de hurler à la putasserie : des cris non amenés, en rupture de ton sans motif. Des attitudes carrément voulues acrobatiques, sans raison apparente. Ca m’a rappelé les auditions que je rêve de faire passer aux filles : “Dites-moi je vous AIME dans le le sentiment tout en faisant les pieds au mur”. BON.moi, je n’irai pas jusqu’à faire de ce canular la substance d’un spectacle. Vitez se trompe s’il croit devoir ainsi sacrifier à la mode. Il n’atteindra jamais aux rétablissements des acteurs de Bourseiller dans AXEL il y a 9 ans! Mais naturellement, je retire mes réserves si sa réflexion l’a amené à vouloir démystifier Racine. J’en doute cependant.
    Vitez n’a pas été jusqu’au bout de son PARTI et là, peut-être, sa thèse s’effondre : les acteurs changent, mais parmi eux, il y a une nana exceptionnelle nommée, sauf erreur, GASTALDI. On la remarque déjà parmi les autres Hermione au début de la pièce. Mais au IV et au V, elle devient la seule Hermione. Ici apparaît la limitation du SYSTÈME. Est-ce tendresse pour son interprète la meilleure, est ce désir d’enlever à tout prix le morceau, ici, Vitez laisse jouer l’aliénation du spectateur, l’identification d’une actrice avec un personnage. IL A RAISON car elle est ADMIRABLE et fera carrière. Grâce à elle, il enlève la partie, mais c’est au prix d’un abandon de sa THÉORIE. Abandon? ou suprême LUCIDITÉ? Au fond, je m’en fous.
Je salue le talent.

Je n’ai aucun souvenir du lieu où j’ai vu ce spectacle présenté comme didactique. Sans doute quelque part en banlieue parisienne.

 17. II. 71 - Vu hier soir à Amiens LE BALCON de Genêt mis en scène par André Steiger (spectacle du TNS). C’est une pièce pernicieuse, destructrice, profondément contestatrice de la société. Genêt dénonce celle-ci impitoyablement en des scènes qui n’ont pas vieilli, à travers les fantasmes des clients du bordel très spécialisé de Mme Irma, où chacun peut l’espace d’une passe et avec l’aide de filles et d’accessoires, se donner l’illusion d’être socialement ce qu’il rêve d’être : archevêque, général etc. Dehors, la révolution gronde. Le peuple s’est soulevé. L’incertitude plane : le pouvoir l’emportera-t-il, ou les insurgés? A l’intérieur, tout est capitonné. Seuls des bruits de rafales pénètrent ce qui se joue. Le chef de la police est attendu. Son drame, c’est qu’aucun client du bordel ne souhaite être identifié à lui. Or justement, il s’en présente UN Irma veut le lui montrer. Mais pourra-t-il arriver?
    La pièce est un peu bavarde. On s’y explique dru, en un langage qui n’est transféré que lors des “jeux” d’aliénation. Aussi, les metteurs en scène ont-ils tendance à baroquiser le spectacle. Steiger a joué le jeu du sérieux : il a servi le texte, quitte à ennuyer parfois. Mais on n’est plus brechtien pour rien. Son parti en tout cas est HONNÊTE. Et il a su très bien érotiser les scènes des chambres spécialisées. Les costumes de ses filles sont très beaux, d’une nudité très accentuée. On sent qu’il a joui en les faisant concevoir, et on ne peut certes pas lui reprocher de refuser, comme au conservatoire, les attouchements, contacts et obscénités. Il faudra que je le recommande à Touchard  pour une classe. Son bordel est identifié à un cimetière qui, à mesure que la pièce avance, s’autodéglingue. Ce serait mieux si les changements étaient un peu moins laborieux. Comme d’habitude avec Steiger, qui est Suisse, ne l’oublions pas, on fait beaucoup le ménage en scène.LOURDEUR est d’ailleurs le mot qui vient à l’esprit à cause de la pesanteur didactique de certains moments parlés et de ces moments trop pesants. Steiger ne se refera plus maintenant. Il manque d’imagination d’habillage et d’enchaînements. Reste qu’il est intelligent, lubrique , professionnel et que la pièce est importante (quoique évidemment non populaire). LE BALCON n’est pas un spectacle.extraordinaire, mais c’est un très bon spectacle.

Est ce que j’aurais changé d’avis sur Genêt depuis LES PARAVENTS?Je suis un peu surpris de lire ce compte-rendu à postériori. Mais il faut dire que le thème de la pièce et le traitement du metteur en scène sont différents. Et n’oublions pas la fragilité de ces jugements rédigés à chaud dès le lendemain matin d’ un spectacle.

18. II -     Les BRIGANDS dans la cave des Halles (Pavillon X). Lieu magnifique. C’est Anne Regnaud (ex assistante de Vitez) qui a monté la pièce. Il faut bien jeter sa gourme.

Publié dans histoire-du-theatre

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