22 avril au 27 juillet 1971
FESTIVAL de NANCY 1971
C'était en principe un festival de théâtre universitaire initié par un professeur nommé Jack Lang. Mais très vite, c'est devenu un lieu de promotion fabuleux pour des groupes hors institutions qui sont venus du monde entier à leurs frais. Plusieurs y ont trouvé leur lancement.
22-IV - Un noir superbement musclé, cinq Sud- Américains typés, l'un par une barbichette, l'autre par une moustachette, tous nus mais attributs cachés par un slip blanc immaculé, c'est le groupe METAMORPHOSIS de Caracas, Venezuela, présentant un spectacle intitulé LE PROCÈS. Point de texte : ces athlètes se mettent dans tous leurs états par l'expression corporelle. Ils éructent, crient, se contorsionnent, forment des figures avec leurs corps mêlés ou pyramidalisés. La scène est recouverte de papier blanc et cet élément leur sert d'accessoire pour de fugitives vêtures signifiantes. Ils s'enroulent aussi dans du plastique, lancent des pétards, tombent sur les gens dans la salle au nom de la participation, ou leur chipent lunettes et mouchoirs (qu'ils rendent) à des fins d'humour. On ne peut qu'admirer la performance. Ça dure 40 minutes mais les gaillards ne se ménagent pas. Le programme m'a appris que cela a un sens et que j'ai vu : SOCIALISATION dans une première partie, ÉVALUATION dans une seconde. Le groupe a publié un manifeste d'où il ressort qu'il n'est pas très prophète en son pays parce qu'il "aborde de nouveaux chemins d'investigation théâtrale avec l'intention d'ouvrir des possibilités à un nouveau type d'expression".
22-IV - Je n'ai jamais vu de spectacle comme LE REGARD DU SOURD (DEAFMAN GLANCE) de Robert Wilson présenté par THE BIRD HOFFMAN SCHOOL OF BIRDS - IOWA CITY, et je pense que je n'en reverrai jamais. Ca dure 6 heures. (Du moins suis-je parti me coucher au bout de 6 heures) : il y a 10 minutes de texte à tout casser. Tout est LENTEUR, gestes, déplacements et même phrase prononcées : comme un rêve qui se déroulerait au ralenti devant chacun. C'est le RALENTI qui donne son cachet au show. Le programme dit qu'une certaine somnolence des spectateurs est souhaitée par le metteur en scène et qu'elle fait dans son esprit, partie du spectacle.
J'imagine que pour ce monsieur, tout ce qu'on voit et entend au fil de ces interminables heures doit avoir un sens. Tout ça doit être bourré de symboles et de SIGNIFIANCE. D'après le programme un thème dominant est l'opposition raciale blancs / noirs et cela apparaît notamment dans une scène rituelle très belle où l'on voit une mère noire poignarder ses deux enfants, au nom, je présume, de l'impossibilité pour eux de vivre heureux dans un monde white. L'univers montré est fait de sable, de fumées, de lumières très belles, de décors d'opéras wagnériens, de bruits naturels, d'animaux vrais (il y a un mouton et une chèvre) ou figurés, de bible paradisiaque, nativitaire ou infernale, de gens ne faisant rien que se traîner ou courir. Imperturbable tout au long de la soirée, un type traverse la scène comme s'il faisait un marathon. Des filles blanches, seins nus, font des mouvements sans sens apparent. En tout soixante personnes vont et viennent formant des groupes, les défaisant au rythme d'un petit pas par personne toutes les deux ou trois minutes. Spectacle complètement ESTHÉTIQUE, vision d'un peintre travaillant par petites touches et transformant en continuité son tableau primitif au gré de l'évolution de son inspiration. D'abord, c'est une sorte de plage. Puis la plage devient un genre de grange. Puis la grange une caverne. Puis si j'ai bien compris le ciel et enfin autre chose qui est peut-être l'enfer, mais je n'en mettrais pas ma main au feu.
En somme, nous sommes conviés à regarder un tableau se faisant et se modifiant devant nous. Reste à savoir si l'on peut regarder un tableau pendant 6 heures, même très beau (car c'est TRÈS beau), même onirique avec des plages réservées au rêve individuel. L'envoûtement est-il possible au bout de tout ce temps et de trois entr'actes? Cela dit, la ligne de Wilson se rapproche esthétiquement, CONTENU en plus, chant en moins, de celle de la ETC COMPANY OF LA MAMA (celle d'EMER et de CARMILLA). Wilson EST un lyrique. Quoique démente, sa démarche est fascinante, passionnante. Dans un tel festival expérimental, elle a sa place. Ailleurs, ce serait autre chose !
Comme quoi je me suis trompé. La carrière de Bob Wilson a été par la suite brillante. Il a imposé SON style à travers un contexte de plus en plus couteux pour ses producteurs avec des dispositifs souvent très sophistiqués. Très vite il est devenu un metteur en scène à la mode qu'on s'est arraché à coup de dollars bientôt partout dans le monde.
Si j'en crois ce qu'on m'a raconté à l'époque, à Nancy il serait arrivé les mains dans les poches. Il aurait fait son décor et ses costumes avec les vieilleries qui trainaient dans les réserves de l'opéra municipalet la plupart de ses acteurs et actrices étaient des amateurs locaux. L'une d'entre ces dernières, vieille ouvreuse dans ce théâtre était spécialement émouvante.
23-IV - Le groupe DIAF animé par un certain Jaromir Knittel dont les origines me semblent slaves, montre LE CANTIQUE DES CANTIQUES en une heure. Son style est fait de réminiscences diverses et sa recherche est celle d'une atmosphère de violence et de sensualité. Toto Bissainthe quasi nue sous une tunique transparente est belle à voir, mais l'esprit biblique a beau taper sur des tam-tam et sur un gong se réclamant de l'Afrique, une nana nommée Sarah quelque chose qui finira le spectacle les seins nus a beau se frotter le sexe d'une main avide et apparemment experte, le roi Salomon a beau former des groupes avec ses concubines des lueurs de lucre dans les yeux sur un lit praticable orgiaque, les costumes ont beau se vouloir érotiques, tout ça ne suffit pas pour émouvoir un vieux blasé comme moi, ni même tout simplement pour l'introduire dans le spectacle qui pourtant se voudrait envoûtant. Je sais bien qu'il y a eu un pépin technique. D'ACCORD. Ca a troublé.Mais quand même, ce CANTIQUE DES CANTIQUES ne me paraît pas être allé au bout de lui-même.
24-IV - Assisté à une répétition de ZUMBI par le Théâtre ARENA de Sao Paulo (Brésil) dont le directeur est en taule dans son pays en raison de l'action politique qu'il mène contre le régime militaire en place. C'est Pedro, l'ancien régisseur de Bourseiller, qui mène la troupe. Le spectacle raconte l'histoire de ce royaume noir qui a duré presqu'un siècle au XVIème et XVIIème, et qui s'était créé dans la jungle amazonienne avec des esclaves échappés aux mains portugaises. Seule la traîtrise en vint à bout. Inutile de dire que ce thème est prétexte à stigmatiser le racisme, l'oppression, l'hypocrisie religieuse, les dominantes de la contestation moderne.
Ce n?est pas par ligne esthétique, mais faute d'argent, qu'ARENA présente ses spectacles sans aucun décor, ni costume. Mais PRATIQUEMENT, dans la mesure où les acteurs SONT et FONT tout, cela inscrit la compagnie dans les lignes de Vitez et du Freehold. Et une fois de plus, je suis replongé dans l'admiration en constatant à quel point ce dépouillement recrée le phénomène théâtral. Les acteurs et actrices de l'ARENA n'ont pas le plus petit accessoire pour se raccrocher. Ils sont vêtu de neutre. Ils passent d'un rôle à l'autre, sont meubles, et EN PLUS ils ont le patrimoine musical du Brésil dont ils usent largement, et la samba, et tous les rythmes, ce qui APPORTE à leur spectacle un côté ATTRAYANT des plus féconds. "C'est enlevé", a-t-on envie de dire, alors que les thèmes développés n'ont rien de rigolo. Il y a des scènes semi-improvisées, comiques. L'HUMOUR baigne cette production GÉNÉREUSE, débordante de SANTÉ et de VIE, riche d'AUTHENTICITÉ, et qui SEMBLE ne pas se prendre au sérieux, alors que pourtant, son contexte LOCAL est dangereux. Si ARENA est SIGNIFIANT de contestation brésilienne, c'est encourageant pour les témoins de ce peuple.
24-IV - L'ORATORIO, ou LA VIOLENCE CONTENUE DU PEUPLE ESPAGNOL, par la troupe LEBRIJA, qui oeuvre dans des villages de la région de Séville, c'est autre chose, un autre ton. C'est aussi un autre COURAGE, car c'est un CRI jeté à la face du fascisme. C'est aussi un ACTE clairement issu du peuple, une manifestation POPULAIRE. Si elle ne l'est pas authentiquement, c'est bien imité.
La troupe LEBRIJA m'a fait faire une découverte qui tient de l'oeuf de Colomb : c'est que le SUPPORT d'une contestation politique réellement POPULAIRE ne peut que baigner dans les traditions artistiques du peuple. C'est sur la tradition populaire que s'appuie la révolte exprimée, en un mot, sur le FOLKLORE. Mais attention : pas sur le folklore commercialisé : l'autre, le vrai, qui se perpétue dans les villages d'Andalousie, sans costume clinquant et sans castagnettes, fait de guitare et de chants venus du fond des gorges, fait de rites où le feu (une vasque allumée, puis des bougies) tient une place mythologique.
Dénonciation de la violence, l'ORATORIO le fait avec une VIOLENCE extrême. Ce ne sont pas des faux coups édulcolorés que les "comédiens" se flanquent les uns aux autres, mais des gnions qui font mal. La scène du camp de concentration est inouïe de brutalité et d'efficacité. Aucun humour, aucune drôlerie chez ces garçons et ces filles aux visages sans beauté, aux corps paysans. Les Brésiliens jouent avec leurs malheurs. Les Espagnols sont sérieux. Graves. Dramatiques. Il est vrai qu'ARENA chez soi est une troupe qui a son théâtre et qui s'adresse à des spectateurs plus ou moins d'accord mais semblables à ceux que connaissent nos AQUARIUM et autres CHÊNE NOIR. Tandis que le LEBRIJA est errant DANS LES RUES ou dans des salles de fortunes et s'adresse à ceux-là même qui sont concernés par la contestation formulée. Pas question de se moquer de soi-même. L'enjeu est trop terrible.
Série de tableaux, l'ORATORIO commence par une étonnante transposition d'ANTIGONE, jeune fille andalouse condamnée à mort par les deux juges évêques inquisiteurs de Séville pour avoir enterré son frère. Scène forte. Le choeur est sans ornement. Il "prend conscience" de l'ARBITRAIRE. Puis la CROIX drapée de violet sous laquelle le jugement se tenait, se retourne et c'est un bombardier. Évocation de la guerre (civile et autre), de la brutalité, de l'oppression. La participation du public doit être grande en Espagne car les acteurs se mêlent fréquemment à lui SANS AGRESSION; AU CONTRAIRE puisqu'on souffre ensemble, on communie ensemble.
La notion de FÊTE n'est pourtant pas exclue de ce cri de douleur. Le spectacle SIGNIFIANT semble surgir d'un rassemblement, par une chaude nuit étoilée, de travailleurs se reposant avant d'aller dormir. Par glissement, la détente devient combat. On sent des arrières notions de magie, de superstitions.
En somme, l'ORATORIO, c'est un peu du LORCA moins la fausseté qui vient du style "poétique". Mais l'ENRACINEMENT est comparable. Je me demandais à quelles traditions populaires pourrait se rattacher un auteur populaire de Boulogne Billancourt. Peut-être faudrait-il réexhumer le folklore français. Mais à quoi bon, s'il n'a plus de sens pour le peuple français? Alors quoi? Sheïla? Mais elle est octroyée au peuple. Alors?
Il y avait dans ce spectacle un jeune chanteur à la voix rauque qui s'appelait Salvador Tavora. On ne le savait pas encore, mais il allait devenir célèbre car de retour au pays, il allait fonder LA CUADRA DE SEVILLE, que le monde entier découvrira un ou deux ans plus tard quand il l'amènera à Nancy ayant bien compris que ce festival qui se parait toujours du sigle "universitaire" était devenu un formidable tremplin. Et en effet, toute la presse s'y donnait rendez-vous. C'était incontournable car on était quasiment certain d'y découvrir à chaque édition une ou plusieurs perles.
Cela a été dit et redit, mais toute la programmation était faite par des têtes chercheuses qui sillonnaient le monde à l'insu des pouvoirs en place. Jack Lang leur faisait confiance car en ce temps là les voyages étaient longs et fatigants. D'où des déchets. Il n'est pas toujours aisé d'être objectif quand vous allez voir une troupe à l'autre bout du monde et qu'elle vous entoure de petits soins dans l'esprit avide d'être ... tiens, c'est drôle, le mot n'avait pas encore été inventé, "nominée".
24-IV - Vu 20 minutes du spectacle des Polonais, le Théâtre Kalambour de Wroclaw, une demi-heure de spectacle des Congolais Kimshasa, trois-quarts d'heure de celui des Anglais (DO IT).
25-IV - Vu la première partie de MINUS ONE, spctacle joué NU par des Américains apôtres de la nudité et qui accusent l'église catholique d'avoir arbitrairement inventé la pudeur. Après avoir l'un après l'autre exposé leur théorie, ils se dévêtent donc et jettent leurs hardes dans une poubelle, après quoi ils se livrent à divers exercices devant les spectateurs. L'ennui est qu'ils ne savent rien faire et qu'il ne suffit pas d'être NU pour maintenir l'intérêt. On ne tarde donc pas à se raser. J'ajoute que si la nudité féminine ne me gêne pas, la masculine non bandante ne me paraît pas très jolie. Franchement ces couilles et ces pénis qui pendouillent mollement et se balancent au moindre mouvement, c'est sans grâce.
RETOUR À PARIS
C'est un plongeon dans la grisaille
29- IV - Nous n'étions pas très nombreux hier soir à NANTERRE où se jouait LA CIGOGNE d'Armand Gatti pour le public local du jeudi soir. Aussi, dans le lieu transformé par Yannis Kokkos et Danièle Rozier en une sorte de Grand Magic Circus esthétisé et pas rigolo qui se serait installé aux pieds des escaliers de l'Église de la Madeleine, avec un itinéraire qui rappelait la fontaine du lac du Bois de Boulogne, le vent soufflait-il frais.
Pas une seconde je n'ai été touché, pas un instant je n'ai été ému. Et pourtant, d'excellents acteurs me parlaient avec foi et conviction de la bombe atomique. Aucune horreur ni honte ne m'investissait. Et pourtant, c'est le drame des survivants, des atomisés, qu'on me montrait.
Je crois que je sais pourquoi cet échec : les coupables sont la "transposition", "la poësie", et ce goût qu'à Gatti pour les folklores qui se traduit ici en japonaiserie, à mes yeux résolument insupportable. D'autant plus que ce galimatias s'exprime en un langage couleur locale gattifié totalement inaudible à mes oreilles. J'ajoute que l'idée de faire jouer les objets rescapés m'a paru puérile et qu'irrésistiblement dans ma tête quand ils s'exprimaient, retentissaient les notes d'une vieille chansonette qui s'appelait : LA RÉVOLTE DES JOUJOUS.
Et puis c'est long, sans entr'acte, et ça n'en finit pas de finir comme une symphonie de Gustav Mahler.
En somme quoi, l'idée est généreuse, le parti courageux et valable, l'austérité rigoureuse. Mais c'est de la confusion qui surgit, et pour moi de l'inefficacité.
Parce que Gatti VEUT FAIRE UNE OEUVRE là où l'agitateur devrait DÉNONCER simplement, MONTRER clairement. L'exemple de LA CIGOGNE me semble frappant d'un texte où l'esthétisme TUE le message. Là où je devrais être soulevé d'indignation, j'entends quelqu'un qui fait de l'ART ! (ou du moins qui VEUT en faire car comme chez COUSIN, ça reste -en plus- de l'Art au petit pied). Là où je devrais pleurer de rage, je m'endors, je m'emmerde, je m'agite sur mon siège et je m'en veux d'être venu si loin au bout du R.E.R. et de l'autobus 159! Un reproche de plus : il me choque, MOI, que ces Japonais, soient montrés exclusivement comme des victimes. Certes le largage des deux bombes américaines fut un crime historique contre l'humanité. Mais il ne faudrait quand même pas oublier que le peuple japonais était en ce temps-là fanatiquement militariste, approbateur d'un régime oppressif, et fournisseurs d'assassins sans scrupules sur ordres hiérarchisés. Cette inobjectivité me choque et réduit à mes yeux l'impact du message. A vouloir rendre ces Japonais trop blancs, Gatti désamorce sa démonstration.
C'est très bien joué par une troupe triste d'où se détache Françoise Dannell (plus que Catherine Sellers) et Claude Aufaure (charmant en petite frappe des après-guerre du marché noir). Marc Eyraud devrait apprendre à articuler (à son âge il serait temps). Pascale de Boysson en Japonaise américaine est horripilante.
Que dire de la mise en scène ? (de Pierre Debauche) et de la "dramaturgie" ? (de Pierre Laville) ? Qu'il aurait fallu couper; tailler, trancher, réécrire, changer, et surtout... ne pas monter CETTE pièce-là sur CE drame-là! Il est vrai que c'est un spectacle de remplacement en réplique à un coup de Monsieur Voisin! Alors...
Pour ceux aux quels il faudrait le rappeler, Monsieur Voisin était le directeur des éditions de l'Arche et il avait un goût prononcé pour les interdictions.
1- V - Il faut s'appeler Jean Rougerie pour faire au Parc de Choisy une générale un vendredi 30 avril, veille d'un exceptionnel week-end, alors que toute la critique est à NANCY. Je ne jugerai pas d'autre part que L'ÉTOILE AU FRONT de Roussel soit le spectacle convenant le mieux au NON PUBLIC du 13ème arrondissement. Il est sûr qu'avec la DOUBLE INCONSTANCE, Mollien réussira mieux localement. Mais apès tout qu'est-ce qu'on en a à foutre du public? Moi, j'aime L'ÉTOILE AU FRONT, et le style surréalisant de Roussel m'enchante, me ravit. Je crois aussi que Rougerie a réussi là sa meilleure mise en scène, éclatante d'intelligence et de rigueur. Pour une fois, le chapiteau fait propre. Le spectacle est sans bavure et pratiquement sans faiblesse. Il est vrai que Jean Dalmain conduit le jeu en acteur remarquable. Une réussite certaine. Pourvu qu'il y ait du public.
9-V - Un soir de cette semaine, je ne sais plus lequel, j'ai vu NAGGERTY Où ES-TU ? de David Mercer, adapté par Rolland Dubillard et je n'ai gardé AUCUN souvenir du spectacle si ce n'est que Maria Machado et Dubillard m'ont paru jouer en état d'ébriété relative. A dire vrai, je crois que l'oeuvre mériterait des commentaires, mais elle a été si mal montée par Barsacq que ses SENS n'ont pas été éclairés.
8-V - Assisté à une avant première de LA PEAU D'UN FRUIT SUR UN ARBRE POURRI de Victor Haïm (édité d'enthousiasme par Attoun), mise en scène de Roussillon, un seul acteur : Etienne Bierry. Il s'est passé deux choses très graves : d'abord, je n'ai pas pu résister à une certaine somnolence. Ensuite, alors que j'avais lu attentivement la pièce, j'ai cru qu'on en était à l'entr'acte lorsque c'était fini. Tant dans mon rêve de lecteur, j'avais perçu une progression que je n'ai retrouvé qu'à moitié à la représentation.
Je souhaite sincèrement le succès à nos amis, mais à moins qu'ils ne cravachent dur d'ici à lundi, je crains qu'ils n'aillent vers des déceptions.
Coincé par un piton rocheux entre un aigle et une armée qui veut s'emparer de lui, un homme (un fasciste, donc un énergique) va résister et peu à peu s'effondrer. Abplanalp a cerné la scène avec un écran de cinérama. Je n'ai pas aimé ce dispositif, pas plus que l'arbre d'épouvante, qui m'a paru un petit gadget amusant (ça monte et ça se déplie comme un joujou) au lieu d'être l'oeil de la tombe de Caïn. Il paraît qu'on a coulé du ciment sur un plateau pour donner l'impression du roc. Mais moi, j'ai cru que c'était du carton-pâte. Une bonne idée pourtant : les cailloux sur la scène, mais ils étaient beaucoup trop bien rangés.
Le personnage investi devrait donner l'impression que le monde extérieur tout entier le menace. Or ce monde extérieur est très insuffisamment signifié. Il n'est pas non plus terrifiant du tout. La voix du lieutenant semble semble venir tout bonnement d'où elle vient. C'est à dire de la coulisse. On a cru bon d'autre part de faire relayer Bierry par lui-même en voix off et cela crée, à mon avis, une confusion. il est trop facile de dire "moi, j'aurais fait comme ci ou comme ça". Mais il me semble qu'il fallait monter cette pièce en partant du monde extérieur, c'est-à-dire obliger l'acteur à écouter, réagir, à observer par conséquent des silences. Et moi je crois que ces silences devraient être de plus en plus insoutenablement longs à mesure que la pièce avance, pour SOULIGNER l'aspect déconfiture, désagrégation progressive du personnage.
La voix extérieure vient par un poste radio mais celui-ci est minuscule et nous tourne le dos ce qui me semble être une erreur. Je crois que j'aurais, moi, imaginé un truc avec des antennes, une technicité, que sais-je ? Et puis, j'aurais voulu du vent, des bruits inquiétants, des ordres brefs, un authentique investissement, en somme. Au lieu de quoi, j'ai assisté à un monologue sans rupture, sans évolution visible. "Monologue" pour une pièce à un personnage, c'est la mort. Bierry est bien, mais son texte n'est pas RESPIRÉ parce qu'il n'y a pas en vérité de mise en scène. Je ne crois pas que Roussillon ait pris son travail très à coeur. Au bistrot, à la sortie, il prenait ses précautions en disant dans le style de la COMÉDIE FRANÇAISE que la pièce est très belle mais qu'elle est difficile, que Bierry est un merveilleux acteur, mais que c'était peut-être une erreur de l'imposer dans ce rôle, que le POCHE est un théâtre épatant, mais qu'il est bien petit et qu'il manque de technicité etc... etc... Bref le rat s'apprête à toutes fins utiles à quitter le navire! Je reviendrais sans doute à la générale.
Un petit commentaire : Je cite souvent des noms d'acteurs ou de réalisateurs sans éprouver le besoin de les situer, voire de redire leurs prénoms, puisqu'ils sont supposés être connus par les lecteurs rares auxquels je m'adresse à l'époque. Mais si des érudits d'aujourd'hui souhaitent en savoir plus sur les carrières de certaines ou certains, je suis prêt à essayer de les éclairer, si mes archives et ma mémoire me le permettent.
8-V - Pour qui suit attentivement la carrière de GELAS, AURORA présenté à la sauvette chez Arianne Mnouchkine pour une semaine, marque un nouveau progrès de ce jeune et talentueux animateur. Progressivement, il se dégage de ses influences. Son langage devient de plus en plus personnel. Son style atteint à la presque perfection. Il épure, dépouille, découvre la simplicité. Il se dégage de l'agitation gauchiste au premier degrè. Il réalise la beauté formelle mais son esthétisme n'appelle pas le reproche tant il est naturel apparemment et évident.
AURORA comporte une part de texte qui ne doit guère excéder deux pages et c'est un spectacle de 80 minutes. Le thème est celui de la TERRE, notre mère à tous, qui a engendré des hommes libres et égaux. De mystérieux êtres malfaisants venus des galaxies ont soufflé aux hommes l'idée de la propriété et dès lors, ils se déchirent entre eux jusqu'à détruire leur mère. L'argument, on le voit, est enfantin. Mais cet enfantin-là n'est puéril qu'une vingtaine de minutes au début et de toute manière il n'est pas péjoratif. Il est la transposition d'un désespoir profond. Car AURORA est un spectacle mélancolique, sinon désespéré. Les bouillants émules de Mai 68 n'attendent plus la Révolution, n'appellent plus à l'agitation. Ils replongent au fond de la question en une démarche païenne mais métaphysique. Le spectateur garde le DROIT de refuser en soi-même la fin du monde annoncée dans la pièce, mais Gelas ne donne aux Communistes aucune prise où se raccrocher. Il projette sa vision sans concession. Et elle n'est pas optimiste. C'est pourquoi il s'attend à être contesté à gauche. Il le sera. Là où dans OPÉRA-TION le bruit était tonitruant, ici la musique est simple. Un très beau solo de saxophone n'est pas sans rappeler LA STRADA ou la fin des CLOWNS. LES SILENCES surtout, sont chargés de densité, habités. L'expression corporelle est maîtrisée, signifiante et rigoureuse. Une certaine lenteur des mouvements tournant autour du praticable central APPORTE à l'efficacité du cri. Bref, c'est un spectacle BEAU, DIGNE et personnel.
2-VI - Attoun consacre son émission à la mort de VILAR.
2-VI - Je dois être blasé, ne pas avoir la morale de tout le monde, être pourri de l'âme et de partout, mais quand je vois un spectacle comme COCKSTRONG monté par le RIDICULOUS de John Vaccaro, je suis surpris que des phénomènes de censure aient pu jouer deci delà, que la police bruxelloise se soit émue au point d'arrêter les artistes, que Jo Dekmine s'en soit publiquement désolidarisé etc...
Car je crois que j'en suis arrivé à un tel point qu'on pourrait me montrer n'importe quoi sur scène - hormi peut-être le sang réel coulant, ou l'agonie d'une bête - sans que cela révulse en moi quoi que ce soit.
Alors évidemment, quand je lis sous la plume d'un critique américain que les personnages montrés ont l'air de sortir d'un tableau de Jérôme Bosch, quand j'entends prononcer les mots d'OBCÉNITÉ, d'HORRIBLE, je me bats les flancs pour être à l'heure de mes contemporains, mais je n'y arrive pas.
Cela dit, il faut peut-être tenir compte de l'éloignement imparti par le difficile Théâtre de la Cité Universitaire. COCKSTRONG, très spectaculaire, avec un brillant apport de la musique pop, une troupe qui chante, danse trémousse en payant comptant, vêtue d'oripeaux disparates et maquillée à outrance à la manière des clowns, montre une série de sketches un peu trop bavards pour ma connaissance de l'anglo-saxon, où il n'est question que de SEXE. Un phallus stylisé, gonflé d'eau qu'on projettera à la fin sur les spectateurs, constitue l'unique décor. Il est suspendu au dessus des acteurs. On mime le coït, la masturbation, les accouplements. Le mot de FRÉNÉSIE peut être prononcé. Le rythme est ENDIABLÉ. Des gestes OSÉS. sont faits. A noter qu'il n'y a pas de nudité à part un cul entrevu un instant. Le travesti se mêle à l'hétérosexualité. Bref, on ne s'ennuie pas, mais c'est limité.Ca ne va pas très loin et la PROTESTATION, si elle est évidente, n'est pas dans une ligne aussi intéressante qu'au BREAD AND PUPPET ou au LIVING THEATRE.
En fait l'Amérique théâtrale contestatrice est engagée dans un cycle de surenchère, chaque troupe voulant en faire PLUS et AUTREMENT que les autres. Les sujets d'étonnement pour les spectateurs ne sont pas innombrables et à ce jeu, la VULGARITÉ fait vite son apparition. C'est évidemment le cas ici. D'une troupe sur l'autre, l'INTÉRÊT baisse quant au FOND ce qui ne veut pas dire que COMMERCIALEMENT les affaires soient moins bonnes.
Moi, j'aimerais mieux que ces Américains pas d'accord RÉFLÉCHISSENT, approfondissent leur contestation, l'étayent. En voyant le RIDICULOUS c'est RÉCUPÉRATION qui me semble le mot à dire. C'est dommage.
Nous allions en effet vers la fin d'une certaine façon qu'une certaine Amérique avait de nous adresser des messages. En relisant ce commentaire, je ne peux pas m'empêcher d'évoquer ma conversation avec Claude Sarraute avant l'agonie du THEATRE D'AUJOURD?HUI. Eh oui, cela se ressemblait. Maintenant le grand homme de la pensée américaine, ce sera Bob Wilson En attendant l'apparition beaucoup plus tard et autrement, en tout cas à grand renfort d'esthétisme, de nouveaux contestataires.
3-VI - Le Théâtre des Capucines s'ouvre aux "Jeunes".
- "Vous ne trouvez pas, Monsieur, vous, qu'ils sont trop jeunes ?", me dit la vieille directrice centenaire de ce demi lupanar.
- "Non ! Madame", je lui fais car il ne faut pas contrarier les bonnes volontés. Pourtant, je ne peux pas affirmer avoir été convaincu par la "revue musicale satyrique" écrite et mise en scène par Claude Cortesi : SI LES CERISES ... AVAIENT DES DENTS !
L'idée de départ était cependant drôle et PARISCOPE la résume bien : "La rencontre insolite de chansonniers qui ne prennent rien au sérieux". De fait YON DE MURGUIA (qui doit être célèbre si j'en juge par le grosseur de son nom sur l'affiche) et CONSUELO IBANEZ chantent imperturbablement au long de la soirée des morceaux de bravoure du répertoire de l'opérette la plus éculée, SÉRIEUSEMENT, avec conscience et tous les trucs rendus visibles, tandis que des jeunes gens dérangent par leurs facéties et gags cet hommage à la culture.
L'ennui, c'est que RIEN ne va assez loin. Le public (jeune pourtant) applaudit les deux lyriques et y va de son aliénation. Les contestataires font peu rire car leur esprit vole bas et ne se hissent même pas au niveau des chansonniers ! Seule Liliane Geney, qui a fait beaucoup de progrès décidément, est à la hauteur des ambitions de l'entreprise. Mais seule, que peut-elle contre tous ?
L'entreprise reste sympathique et sans doute est-elle audacieuse pour les CAPUCINES (charmant lieu où je n'avais jamais mis les pieds, très "anglais", cossu et chaud). Mais j'ai bien peur que ce ne soit un massacre à la presse ! Justifié! ...
4-VI - Alors que Victor Hugo a écrit des floppées de pièces, Yves Gasc a préféré pour jouer une oeuvre de lui adapter pour la scène, le roman L'HOMME QUI RIT (accueilli au T.O.P.). Le résultat est qu'il ne reste qu'une trame anecdotique. Le texte est plat, sans beauté, presque sans lyrisme, sans grandeur. Il n'est guère de Victor Hugo. Au cinéma, on aurait sans doute écrit au générique : "L'HOMME QUI RIT de Yves Gasc d'après une idée de Victor Hugo".
A part cela, Yves Gasc n'a de préoccupations ni sociales, ni politiques. Esthétiquement, il ne recherche aucune nouveauté, et il n'a même pas adapté sa mise en place au plateau tout en largeur au TOP. Non seulement, il n'utilise qu'un très petit espace au milieu, mais encore il n'a tenu aucun compte des spectateurs assis un peu sur les côtés. C'est aisi que Poirot Delpesch et moi avons dû deviner toute une partie du spectacle qui se jouait (pour nous) derrière un malencontreux paravent, normalement, je suppose, destiné à être appuyé au portant italien jardin d'un théâtre !
Sa démarche est celle d'un bon faiseur. A Sarlat, son HOMME QUI RIT ferait merveille. C'est vieux, conventionnel, sans imagination; les décors et costumes de Mario Franceschi ne m'ont atteint en rien. Ce n'est pas mal joué quoique sans unité par des comédiens que je ne connaissais pas.
Raymond Acquaviva s'est fait en Gwinplaine un maquillage "horrible !", que j'ai surtout trouvé laid, mais pas comme l'eût voulu Hugo. Evelyne Bouix joue Déa comme une Ophélie, mais elle a de la fragilité et de l'émotion. elle est assez belle à voir.
Périmony en Ursus m'a rajeuni de trente ans en me ramenant à l'Odéon des Albert Lambert. Ils sont nombreux dans cette entreprise d'un autre temps. Seul point positif : Gasc semble avoir renoncé à trimballer sur scène une pédérastie militante. On ne saurait pas qu'il l'est, qu'on ne s'en apercevrait pas.
7-VI - A moins d'un accident par lequel serait loupée la GÉNÉRALE, nous avons mis sans doute dans le mille avec la DOUBLE INCONSTANCE car c'est un très bon spectacle, bien supérieur dans le même ordre d'idée à LA LOCANDIERA de Valverde. Et d'abord parce que c'est une pièce prodigieuse : méchante, cruelle, tous les personnages y montrent leur double face, y revêtent des masques de fausseté, de ruse, d'imposture ou y exposent des vanités, des vices. Je crois qu'aucun n'est n'est totalement sympathique. Marivaux n'en récupère pas. Chacun manipule quelqu'un, joue un jeu, est instrument, sauf bien sûr, les deux manipulés Arlequin et Sylvia; mais ils ne sont pas blancs comme neige pour autant. Mollien a parfaitement cerné que cette immoralité est le fruit d'un système politique. Le prince est aimable, mais il est souverain absolu. Pour conquérir Sylvia, il ment, il ruse, il biaise, il utilise des comparses et notamment Flaminia, qui le sert car cela sert ses propres intérêts. Grâce à elle, il obtiendra la satisfaction de son caprice par la main de velours, MAIS sa puissance n'en est pas moins menaçante et présente. Ses flics ont amené de force à la cour les deux innocents qu'il va s'agir de pourrir et si ces serviteurs de l'ordre font mine d'être les domestiques des deux jeunes gens, c'est par calcul. Ils utilisent les armes de la séduction et de la corruption mais c'est une chance que les deux sujets se laissent faire. Car tout l'appareil est en place pour que la contrainte la plus odieuse s'exerce sur eux, d'un mot du prince pour que cette cour gracieuse se transforme en Gestapo. Le point de départ : enlèvement et séquestration des deux amoureux, est d'ailleurs carrément fasciste. J'emploie ce mot moderne parce qu'à travers de la classicité du spectacle, c'est ce FROID là que Mollien a cerné, avec ses ombres qui passent et repassent, gens se surveillant, s'épiant, profitant des "bontés" du prince mais éventuellement ruinables, chassés, voire ... que sais-je ?
Moderne est aussi l'aspect "sentimental" de la pièce, illustrant la fragilité des passions humaines : "C'est un amour qui m'était venu, c'est un amour qui s'en est allé ! Voilà tout", dit Sylvia.
Pascale Audret est bien en Flaminia mais pas irremplaçable. Agathe Matanson est par contre remarquable dans Sylvia.
15-VI - Vu enfin AU BOIS LACTÉ de Dylan Thomas, mis en scène par Stéphane Meldegg. Créée au TRIPOT, cette pièce poursuit une carrière au LUCERNAIRE. Il y a du monde. Les gens ont l'air content. Moi, je le dis carrément : ce style poëtique venu des brumes de Synge me rappelle Clavé, les débuts de Vilar et les années 40. Déjà en ce temps-là, je comprenais mal l'engouement de mes contemporains pour cet ésotérisme celtique. Les images du langage m'amusaient parfois mais les motivations des personnages me restaient étrangères. J'ai retrouvé face à ces aventures galloises que montre LE BOIS LACTÉ, le même sentiment d'éloignement que naguère. Cet univers m'indiffère. En 1971, l'inutilité de l'exhibition à Paris de ce folklore me frappe. RIEN ne me sensibilise dans une entreprise que je ressens comme marginale, "hors du temps et des dimensions" comme disait Beckett ! Mais Beckett, c'est autre chose.
17- VI - L'EXCEPTION ET LA RÈGLE est une pièce DIDACTIQUE. Bernard Sobel l'a montré avec l'ensemble théâtral de Gennevilliers de façon EXEMPLAIRE. La démonstration de Brecht apparaît avec les ans un peu floue, primaire mais elle est efficace. La mise en scène est nette, précise, énergique, distanciée. Maurice Valin ne m'a pas fait oublier Médina dans le marchand mais Alain Girault dans le coolie est excellent. Un public nombreux suivait hier aux Halles ce cours du soir sans concession.
QUELQUES RÉFLEXIONS PERSONNELLES
Il y a maintenant un an que j'exerce mon métier d'organisateur de tournées en serviteur. Monique Bertin a installé sa machine à écrire (une vieille Underwood)dans mon living-room. Nous n'avons qu'une ligne téléphonique. Je ne sais pas encore que le fax va bientôt transformer nos conditions de travail. Nos prospections partent ronéotypées. Je crois qu'aujourd'hui personne ne daignerait les lire tant elles étaient barbares.
Quelque part, je retrouve ma vocation de (comme je l'écrivais non sans quelque vanité vers les années 60) de "nager sur la crête des lignes de force". Tour après tour le Grand Magic Circus, le Groupe Tse, bientôt, cela va être le Théâtre de Liberté de Mehmet Ulusoy, puis le Théâtre de l'Aquarium me choisissent pour organiser leurs tournées. En vérité ils sont "à la mode" mais je récuse ce mot qui sent son opportunisme. Ils ne le sont d'ailleurs que dans un certain univers du spectacle qui s'adresse à un public branché intellectuel, petit et moyen bourgeois, de sensibilité à gauche. Où sont les ouvriers de nos rêves militants de naguère? Maintenant les comités d'entreprise remplissent les salles de grandes variétés, celles où des noms prestigieux s'affichent.
Quoiqu'il en soit, que ce soit Savary, Alfredo Arias ou les autres, c'est la novation de ma formule d'intervention, à leur service, et non plus en intermédiaire, qui les séduit. Loin de redouter d'être "responsables d'eux-même", ils le revendiquent.
Les PRODUCTIONS D'AUJOURD?HUI poursuivent de leur côté leur chemin d'entreprise à l'ancienne, avec comme vedettes Michel Hermon, Antoine Vitez et quelques autres. Elles survivront jusqu'en 1972. Colette Dorsay deviendra administratrice adjointe à Villeurbanne, auprès de Planchon.
EN ROUTE VERS AVIGNON
Je n'ai jamais appris à conduire une voiture. Monique Bertin en posséde une. Cela devait être une Renault 4. Pas le grand luxe. C'est dans ce véhicule que nous sommes descendus vers Avignon, par petites étapes. D'où cet arrêt à Beaune que je relate ici, histoire de parler un peu de la décentralisation :
21-VII - Je regrette de n'avoir pas vu SPLENDEUR ET MORT DE JOAQUIN MURIETA en Italie monté par Chéreau. Mais qu'ici la pièce de Neruda soit présentée par Alberto Rodi dans une adaptation de Guy Suarès me paraît exemplaire de la médiocrité dans laquelle se complaît la DÉCENTRALISATION.
Car cette réalisation floue est la grande création de l'année en Province. Coproduction des TNS et THÉÂTRE DE BOURGOGNE, elle tournera dans les plus grandes maisons de la culture, Reims, Grenoble etc...
Nos chers directeurs n'ont pas "confiance" en Michel Berto mais ils ont confiance en Rodi. Il y a pour moi d'insondables mystères.
EXEMPLAIRE, l'entreprise l'est d'abord au niveau politique. Il est clair que dans le Chili de 1964 livré économiquement aux USA, le poëme de Neruda avait un sens. Tout en références précises et locales, contant une histoire qui appartient à la légende du peuple, mêlant la parole au jeu, à la danse et au chant, il dénonçait un combat de toujours, celui de l'égoïsme yankee ne reculant devant rien pour écraser les défenseurs de la langue espagnole. Déracinée en Bourgogne, l'épopée de Joaquin Murieta devient western. Qui, dans cette région se sentirait concerné par cette anecdote naïve? (il paraît que le metteur en scène a voulu insister sur cette naïveté). Il voit bien que les Américains en prennent plein la gueule, que ce sont des cruels sans scrupules et des méchants pas accueillants aux noirs et aux métis. Pas un mot, pas une indication ne vise à évoquer, fût-ce de loin, un de SES problèmes. Il n'a donc pas de problème dans la douce France de 1971! Il voit par contre ceux qu'ont eu les Chiliens face aux BLANCS du nord; et il sent que cet antagonisme garde quelques vigueurs. Pauvres peuples exotiques, comme on est bien chez nous ! La besogne CULTURELLE est menée sous couvert de "dénoncer". C'est que notre décentralisation y tient à avoir l'air de prendre des risques "courageux". Qu'elle se rassure, les notables seront contents.
EXEMPLAIRE, L'ENTREPRISE L'EST AUSSI PAR SA RICHESSE. 23 comédiens, un dispositif gigantesque, des détails très fouillés esthétiquement sur le plan des costumes, maquillages, masques, chaussures etc, tout cela a coûté fort cher. Cette INUTILITÉ s'est faite sur le dos de ceux qui crèvent.
Mais il fallait cette poudre aux yeux pour masquer la trahison. Car Rodi a édulcoloré tant qu'il a pu : on sent confusément une violence dans la pièce. Mais elle n'est pas dans sa mise en scène molle. On sent que la danse et le chant se réfèrent à ce qu'il y a de plus profond dans le folklore chilien. Mais on n'a pas fait de recherches. Les comédiens ont inventé une musiquette harmonieuse et sans agressivité. Les poëmes durs, percutants, riches de contestation sont noyés dans un pathos de récitatifs psalmodiés, qui en rend le contenu inintelligible. Neruda a terminé le spectacle par un poëme qui parle du Viêt Nam et montre que les Yankee n'ont pas changé. Rodi commence par ce poëme, ce qui le vide de valeur combative. Aldebert, dont j'évoquais le souvenir en voyant ces mouvements de foule sans ordre, sans chorégraphie sans force ni puissance, sans dynamique, sans "oeil de peintre", groupes non composés se mouvant dans l'ennui, devait se retourner de contentement dans sa tombe. Car c'est son TNP qui ressuscite, celui d'avant Vilar. Je ne crois pas que Jeanne Laurent serait très heureuse, par contre, de voir ainsi la médiocrité de sa décentralisation. JOAQUIN MURIETA de Rodi dans la très plate, fade, mal écrite traduction de Suarès est enfin EXEMPLAIRE d'un certain comportement des comédiens. Ils cachetonnent. Ils s'emmerdent. Ils le disent et ça se voit. Tout le monde bouffe du gâteau. Ce monde des privilégiés n'est pas le mien.
Michel Humbert, nouveau directeur du Théâtre de Bourgogne va monter BRITANNICUS, puis LA DAME AUX CAMÉLIAS. On le voit : le flambeau est repris. Poujade, maire de Dijon, sera content.
AVIGNON 71
22-VII - Au premier coup d'oeil, mais peut-être cette première impression s'affirmera-t-elle, Avignon 1971 me paraît vide par rapport aux autres années. A 20h30, il y a des tables libres place de l'Horloge, pas de hippy. La Civette transformée n'accepte plus les messages et un flic à qui je demande un renseignement me dit qu'il ne sait pas - "Il n'est pas d'ici", m'indique une bonne dame qui passe. Aperçu Maître Baëlde, suçotant une banane, et qui me fait un brillant éloge d'AURORA, Pierre Peyrou et Lucien Attoun. Il est vrai que j'ai pris mon temps, cette année et que j'arrive dans la deuxième moitié.
21h30 - Malgré une très mauvaise presse, le cloître des Carmes est bourré. C'est la dernière (ici) de BÉATRICE DU CONGO de Bernard Dadié, mise en scène de Jean Marie Serreau. C'est l'histoire, contée à gros traits d'imagerie populaire, d'une invasion coloniale "pacifique", la dénonciation du processus "protectorat". L'hypocrisie, la férocité, l'aliénation à l'argent et aux tabous chrétiens des blancs, leur intolérance, leur rapacité, sont montrés avec bonne humeur. On a reproché à Serreau d'avoir présenté un spectacle pas prêt et il est vrai qu'il est inadmissible qu'un acteur joue à la 5ème avec sa brochure à la main. Mais pour le reste, il m'apparaît surtout que c'est un spectacle libre. On a l'impression d'une mise en place rigoureuse, et que chaque acteur a reçu une ligne directrice de motivations précise, et puis qu'au-delà de ce carcan, on leur a dit : "Et maintenant amusez-vous". Ainsi, recueille-t-on le sentiment que tous y vont à coeur joie. C'est le contraire du spectacle de Rody. Bien sûr, cela ne va pas sans des baisses de rythme et de tension. Il y a des plages bavardes qui manquent de punch. Mais ça confère à l'entreprise un aspect sympathique et une originalité.. Serreau qui s'est consacré ces dernières années aux spectacles "nègres", reste fidèle à sa ligne. Cette pièce simplette et simpliste, c'est l'antihistoire coloniale telle qu'elle me fut contée quand j'étais petit. C'est la démystification de l'épopée "glorieuse" narrée par les instituteurs complices ou aliénés. Je me faisais réflexion qu'elle est moins utile au premier degré, celui où est stigmatisé l'ACTE des blancs vivants puisqu'ici elle s'adresse à eux pour leur faire prendre conscience de leur "erreur" passée, justificatrice des difficultés de la décolonisation présente ici et de la poursuite de la lutte de la libération là, qu'au second degré, celui où elle crie à quel point le corps enseignant blanc a menti aux enfants blancs, les marquant pour la vie d'une image criminelle.
SUR QUOI ces redoutables serviteurs du pouvoir bourgeois mentent-ils AUJOURD'HUI à nos enfants ?... Mais une duperie à cette échelle serait-elle possible maintenant ?
BÉATRICE du Congo, Jeanne d'Arc du San Salvador est donc à marquer à la pierre blanche (si j'ose dire), des réalisations signifiantes. Il faudra retourner à la Cartoucherie de Vincennes. Les spectacles de Serreau sont comme le vin. Ils se bonifient en vieillissant.
24 heures
Couturière au cloître des Célestins de la CHASSE AU SNARK, d'après Lewis Carroll par la Compagnie de la Pomme Verte, musique de Michel Puig, mise en scène de Catherine Dasté. C'est un spectacle "chanté" (ou plutôt crié) en anglais pour 80 % et dans un français inintelligible pour 20%. Je n'ai donc RIEN compris. Et encore moins ce que cet exercice de recherche pure, ésotérique, confus, contestable et en tout cas élitaire, vient faire sous le chapeau populaire du théâtre de Sartrouville. Je ne dis pas que ce ne soit pas beau visuellement. On a fait des décors et des costumes qui ont dû coûter un bon prix et ne manquent pas d'esthétique. Mais pourquoi cet effort, ce travail, cet argent dépensé ? Cela m'est étranger, ne me concerne pas.
Rencontré Claire Duhamel qui a aimé AURORA, Jean-Jacques Leyrand qui a aimé AURORA, Bénichou, Jean-Pierre Vincent, Bernard Richard (de Grenoble, Théâtre municipal, qui m'explique que dans l'organigramme de sa ville, l'accueil de troupes comme les miennes appartient à la Maison de la Culture) et Bourdet qui m'arrache que j'irai voir demain à 15 h son spectacle pour mouflets.
23-VII à 15h
Vu enfin à sa 600ème, le spectacle pour enfants de René Bourdet : POËSIE EN LIBERTÉ. C'est un montage didactique bon enfant, qui est surtout destiné à être montré dans les classes. Queneau, Tardieu, Boris Vian, Prévert et quelques autres, sont dits ou chantés, et commentés avec efficacité. Les enfants participent sous la direction du meneur de jeu, Bourdet, qui m'a fait songer à un curé.
Rencontré Steiger, qui n'a pas aimé AURORA, Claude Ollivier, qui n'a pas aimé AURORA, Jean Caune (d'Angers), Tamiz et Iglésis (avec qui je n'ai pas parlé), J. J. Célérier et Charles Mughe, Isabelle Ehni. Appris que c'est Guillot (de Mâcon) qui va remplacer Barrat à Angers. Le commentaire qui suit est important, car il a marqué une époque importante de ce festival où le "off" n'avait pas encore pris le pouvooir
21h30
Lucien Attoun va trouver le moyen de redonner un sens au festival voire en devenir le roitelet avec ses "lectures spectacles" données en la Chapelle des Pénitents blancs. En tout cas, son premier coup avec la pièce de Rezvani: LE CAMP DU DRAP D'OR, orchestrée par Jean Pierre Vincent, fut un coup de maître. Netteté de la réalisation, excellence du travail de Jean Pierre et de ses acteurs qui ont résolument pris le parti de donner à l'oeuvre son ton, son rythme, son style, ses intonations, mais de ne PAS jouer physiquement. C'est une opération RADIO faite en 8 jours et réduite à des symboles sous l'angle de la mise en scène visuelle. C'est une réussite incontestable. Il faut dire que la pièce, actuelle au possible puisqu'elle prend pour prétexte la dénonciation du banquet que le Shah d'Iran va offrir au monde des grands à l'occasion du 2 500 ème anniversaire de sa dynastie, a sur ma sensibilité, un impact comparable à celui qu'y trouve Ehni. Les deux lascars sont de la même race, ils appellent un chat, un chat, ils déchirent à belles dents la civilisation occidentale et en démontrent les processus de décadence avec une lucidité sans référence aux idéologies en place. Direct au point de friser parfois le cabaret, Rezvani est à mon avis perceptible aux plus larges masses et quand un intellectuel demande au débat "à qui il s'adresse", j'ai envie d'y répondre: "aux gens". Et quant à savoir si c'est utile, bien sûr que ce l'est comme toutes les petites gouttes de pluie qui frappent la surface de l'océan d'indifférence. Moi, en tout cas je me sens concerné, et c'est bien réconfortant, après ces soirées qui me sont demeurées étrangères ou marginales ces derniers temps. L'oeuvre a un langage et ce langage porte sur moi. Rozvani fait partie de ceux qui - SINCÈRES OU PAS, ET CA N'A PAS TELLEMENT D'IMPORTANCE - contestent notre civilisation jusque dans ses racines. Il rejoint Savary, Gelas. C'est une ligne de force. La seule sans doute qui me satisfasse intimement. Elle porte le ferment d'une révolution profonde. A voir comment elle essaime, des espoirs deviennent permis. L'heure de la remise en question de l'homme par lui-même a commencé à sonner. C'est évident pour qui se retourne en arrière et mesure le chemin parcouru depuis EN ATTENDANT GODOT.
27-VII - Il est tout à fait étonnant qu'à un certain moment on ait pu comparer Gelas et Benedetto, tant 3 ans après, la démarche du Théâtre des Carmes diverge de celle du Chêne noir. A BEC ET A GRIFFES est un spectacle de dérision, politique au premier degré, frisant le cabaret contestataire en ce que clairement, il refuse le jeu du off Festival en ne signifiant aucune recherche esthétique. Volontairement, Benedetto s'enferme dans son contexte avignonnais. Il ne joue même pas lui-même. Sa troupe est composée de semi-amateurs du cru. Elle raconte et chante en bande dessinée et en raccourcis le son et lumière à la blague de l'histoire d'Avignon.Elle s'adresse aux TOURISTES, à ceux qu'on ne voit que l'été. Elle dit en somme "Merde" aux étrangers, mais avec tant de bonne humeur et de drôlerie, qu'elle rallie ceux qui veulent bien s'amuser sans chercher midi à quatorze heures. Ce n'est pas un grand spectacle. Mais c'est un spectacle sain. Ce qui ne l'empêche pas de porter ses leçons.
C'était en principe un festival de théâtre universitaire initié par un professeur nommé Jack Lang. Mais très vite, c'est devenu un lieu de promotion fabuleux pour des groupes hors institutions qui sont venus du monde entier à leurs frais. Plusieurs y ont trouvé leur lancement.
22-IV - Un noir superbement musclé, cinq Sud- Américains typés, l'un par une barbichette, l'autre par une moustachette, tous nus mais attributs cachés par un slip blanc immaculé, c'est le groupe METAMORPHOSIS de Caracas, Venezuela, présentant un spectacle intitulé LE PROCÈS. Point de texte : ces athlètes se mettent dans tous leurs états par l'expression corporelle. Ils éructent, crient, se contorsionnent, forment des figures avec leurs corps mêlés ou pyramidalisés. La scène est recouverte de papier blanc et cet élément leur sert d'accessoire pour de fugitives vêtures signifiantes. Ils s'enroulent aussi dans du plastique, lancent des pétards, tombent sur les gens dans la salle au nom de la participation, ou leur chipent lunettes et mouchoirs (qu'ils rendent) à des fins d'humour. On ne peut qu'admirer la performance. Ça dure 40 minutes mais les gaillards ne se ménagent pas. Le programme m'a appris que cela a un sens et que j'ai vu : SOCIALISATION dans une première partie, ÉVALUATION dans une seconde. Le groupe a publié un manifeste d'où il ressort qu'il n'est pas très prophète en son pays parce qu'il "aborde de nouveaux chemins d'investigation théâtrale avec l'intention d'ouvrir des possibilités à un nouveau type d'expression".
22-IV - Je n'ai jamais vu de spectacle comme LE REGARD DU SOURD (DEAFMAN GLANCE) de Robert Wilson présenté par THE BIRD HOFFMAN SCHOOL OF BIRDS - IOWA CITY, et je pense que je n'en reverrai jamais. Ca dure 6 heures. (Du moins suis-je parti me coucher au bout de 6 heures) : il y a 10 minutes de texte à tout casser. Tout est LENTEUR, gestes, déplacements et même phrase prononcées : comme un rêve qui se déroulerait au ralenti devant chacun. C'est le RALENTI qui donne son cachet au show. Le programme dit qu'une certaine somnolence des spectateurs est souhaitée par le metteur en scène et qu'elle fait dans son esprit, partie du spectacle.
J'imagine que pour ce monsieur, tout ce qu'on voit et entend au fil de ces interminables heures doit avoir un sens. Tout ça doit être bourré de symboles et de SIGNIFIANCE. D'après le programme un thème dominant est l'opposition raciale blancs / noirs et cela apparaît notamment dans une scène rituelle très belle où l'on voit une mère noire poignarder ses deux enfants, au nom, je présume, de l'impossibilité pour eux de vivre heureux dans un monde white. L'univers montré est fait de sable, de fumées, de lumières très belles, de décors d'opéras wagnériens, de bruits naturels, d'animaux vrais (il y a un mouton et une chèvre) ou figurés, de bible paradisiaque, nativitaire ou infernale, de gens ne faisant rien que se traîner ou courir. Imperturbable tout au long de la soirée, un type traverse la scène comme s'il faisait un marathon. Des filles blanches, seins nus, font des mouvements sans sens apparent. En tout soixante personnes vont et viennent formant des groupes, les défaisant au rythme d'un petit pas par personne toutes les deux ou trois minutes. Spectacle complètement ESTHÉTIQUE, vision d'un peintre travaillant par petites touches et transformant en continuité son tableau primitif au gré de l'évolution de son inspiration. D'abord, c'est une sorte de plage. Puis la plage devient un genre de grange. Puis la grange une caverne. Puis si j'ai bien compris le ciel et enfin autre chose qui est peut-être l'enfer, mais je n'en mettrais pas ma main au feu.
En somme, nous sommes conviés à regarder un tableau se faisant et se modifiant devant nous. Reste à savoir si l'on peut regarder un tableau pendant 6 heures, même très beau (car c'est TRÈS beau), même onirique avec des plages réservées au rêve individuel. L'envoûtement est-il possible au bout de tout ce temps et de trois entr'actes? Cela dit, la ligne de Wilson se rapproche esthétiquement, CONTENU en plus, chant en moins, de celle de la ETC COMPANY OF LA MAMA (celle d'EMER et de CARMILLA). Wilson EST un lyrique. Quoique démente, sa démarche est fascinante, passionnante. Dans un tel festival expérimental, elle a sa place. Ailleurs, ce serait autre chose !
Comme quoi je me suis trompé. La carrière de Bob Wilson a été par la suite brillante. Il a imposé SON style à travers un contexte de plus en plus couteux pour ses producteurs avec des dispositifs souvent très sophistiqués. Très vite il est devenu un metteur en scène à la mode qu'on s'est arraché à coup de dollars bientôt partout dans le monde.
Si j'en crois ce qu'on m'a raconté à l'époque, à Nancy il serait arrivé les mains dans les poches. Il aurait fait son décor et ses costumes avec les vieilleries qui trainaient dans les réserves de l'opéra municipalet la plupart de ses acteurs et actrices étaient des amateurs locaux. L'une d'entre ces dernières, vieille ouvreuse dans ce théâtre était spécialement émouvante.
23-IV - Le groupe DIAF animé par un certain Jaromir Knittel dont les origines me semblent slaves, montre LE CANTIQUE DES CANTIQUES en une heure. Son style est fait de réminiscences diverses et sa recherche est celle d'une atmosphère de violence et de sensualité. Toto Bissainthe quasi nue sous une tunique transparente est belle à voir, mais l'esprit biblique a beau taper sur des tam-tam et sur un gong se réclamant de l'Afrique, une nana nommée Sarah quelque chose qui finira le spectacle les seins nus a beau se frotter le sexe d'une main avide et apparemment experte, le roi Salomon a beau former des groupes avec ses concubines des lueurs de lucre dans les yeux sur un lit praticable orgiaque, les costumes ont beau se vouloir érotiques, tout ça ne suffit pas pour émouvoir un vieux blasé comme moi, ni même tout simplement pour l'introduire dans le spectacle qui pourtant se voudrait envoûtant. Je sais bien qu'il y a eu un pépin technique. D'ACCORD. Ca a troublé.Mais quand même, ce CANTIQUE DES CANTIQUES ne me paraît pas être allé au bout de lui-même.
24-IV - Assisté à une répétition de ZUMBI par le Théâtre ARENA de Sao Paulo (Brésil) dont le directeur est en taule dans son pays en raison de l'action politique qu'il mène contre le régime militaire en place. C'est Pedro, l'ancien régisseur de Bourseiller, qui mène la troupe. Le spectacle raconte l'histoire de ce royaume noir qui a duré presqu'un siècle au XVIème et XVIIème, et qui s'était créé dans la jungle amazonienne avec des esclaves échappés aux mains portugaises. Seule la traîtrise en vint à bout. Inutile de dire que ce thème est prétexte à stigmatiser le racisme, l'oppression, l'hypocrisie religieuse, les dominantes de la contestation moderne.
Ce n?est pas par ligne esthétique, mais faute d'argent, qu'ARENA présente ses spectacles sans aucun décor, ni costume. Mais PRATIQUEMENT, dans la mesure où les acteurs SONT et FONT tout, cela inscrit la compagnie dans les lignes de Vitez et du Freehold. Et une fois de plus, je suis replongé dans l'admiration en constatant à quel point ce dépouillement recrée le phénomène théâtral. Les acteurs et actrices de l'ARENA n'ont pas le plus petit accessoire pour se raccrocher. Ils sont vêtu de neutre. Ils passent d'un rôle à l'autre, sont meubles, et EN PLUS ils ont le patrimoine musical du Brésil dont ils usent largement, et la samba, et tous les rythmes, ce qui APPORTE à leur spectacle un côté ATTRAYANT des plus féconds. "C'est enlevé", a-t-on envie de dire, alors que les thèmes développés n'ont rien de rigolo. Il y a des scènes semi-improvisées, comiques. L'HUMOUR baigne cette production GÉNÉREUSE, débordante de SANTÉ et de VIE, riche d'AUTHENTICITÉ, et qui SEMBLE ne pas se prendre au sérieux, alors que pourtant, son contexte LOCAL est dangereux. Si ARENA est SIGNIFIANT de contestation brésilienne, c'est encourageant pour les témoins de ce peuple.
24-IV - L'ORATORIO, ou LA VIOLENCE CONTENUE DU PEUPLE ESPAGNOL, par la troupe LEBRIJA, qui oeuvre dans des villages de la région de Séville, c'est autre chose, un autre ton. C'est aussi un autre COURAGE, car c'est un CRI jeté à la face du fascisme. C'est aussi un ACTE clairement issu du peuple, une manifestation POPULAIRE. Si elle ne l'est pas authentiquement, c'est bien imité.
La troupe LEBRIJA m'a fait faire une découverte qui tient de l'oeuf de Colomb : c'est que le SUPPORT d'une contestation politique réellement POPULAIRE ne peut que baigner dans les traditions artistiques du peuple. C'est sur la tradition populaire que s'appuie la révolte exprimée, en un mot, sur le FOLKLORE. Mais attention : pas sur le folklore commercialisé : l'autre, le vrai, qui se perpétue dans les villages d'Andalousie, sans costume clinquant et sans castagnettes, fait de guitare et de chants venus du fond des gorges, fait de rites où le feu (une vasque allumée, puis des bougies) tient une place mythologique.
Dénonciation de la violence, l'ORATORIO le fait avec une VIOLENCE extrême. Ce ne sont pas des faux coups édulcolorés que les "comédiens" se flanquent les uns aux autres, mais des gnions qui font mal. La scène du camp de concentration est inouïe de brutalité et d'efficacité. Aucun humour, aucune drôlerie chez ces garçons et ces filles aux visages sans beauté, aux corps paysans. Les Brésiliens jouent avec leurs malheurs. Les Espagnols sont sérieux. Graves. Dramatiques. Il est vrai qu'ARENA chez soi est une troupe qui a son théâtre et qui s'adresse à des spectateurs plus ou moins d'accord mais semblables à ceux que connaissent nos AQUARIUM et autres CHÊNE NOIR. Tandis que le LEBRIJA est errant DANS LES RUES ou dans des salles de fortunes et s'adresse à ceux-là même qui sont concernés par la contestation formulée. Pas question de se moquer de soi-même. L'enjeu est trop terrible.
Série de tableaux, l'ORATORIO commence par une étonnante transposition d'ANTIGONE, jeune fille andalouse condamnée à mort par les deux juges évêques inquisiteurs de Séville pour avoir enterré son frère. Scène forte. Le choeur est sans ornement. Il "prend conscience" de l'ARBITRAIRE. Puis la CROIX drapée de violet sous laquelle le jugement se tenait, se retourne et c'est un bombardier. Évocation de la guerre (civile et autre), de la brutalité, de l'oppression. La participation du public doit être grande en Espagne car les acteurs se mêlent fréquemment à lui SANS AGRESSION; AU CONTRAIRE puisqu'on souffre ensemble, on communie ensemble.
La notion de FÊTE n'est pourtant pas exclue de ce cri de douleur. Le spectacle SIGNIFIANT semble surgir d'un rassemblement, par une chaude nuit étoilée, de travailleurs se reposant avant d'aller dormir. Par glissement, la détente devient combat. On sent des arrières notions de magie, de superstitions.
En somme, l'ORATORIO, c'est un peu du LORCA moins la fausseté qui vient du style "poétique". Mais l'ENRACINEMENT est comparable. Je me demandais à quelles traditions populaires pourrait se rattacher un auteur populaire de Boulogne Billancourt. Peut-être faudrait-il réexhumer le folklore français. Mais à quoi bon, s'il n'a plus de sens pour le peuple français? Alors quoi? Sheïla? Mais elle est octroyée au peuple. Alors?
Il y avait dans ce spectacle un jeune chanteur à la voix rauque qui s'appelait Salvador Tavora. On ne le savait pas encore, mais il allait devenir célèbre car de retour au pays, il allait fonder LA CUADRA DE SEVILLE, que le monde entier découvrira un ou deux ans plus tard quand il l'amènera à Nancy ayant bien compris que ce festival qui se parait toujours du sigle "universitaire" était devenu un formidable tremplin. Et en effet, toute la presse s'y donnait rendez-vous. C'était incontournable car on était quasiment certain d'y découvrir à chaque édition une ou plusieurs perles.
Cela a été dit et redit, mais toute la programmation était faite par des têtes chercheuses qui sillonnaient le monde à l'insu des pouvoirs en place. Jack Lang leur faisait confiance car en ce temps là les voyages étaient longs et fatigants. D'où des déchets. Il n'est pas toujours aisé d'être objectif quand vous allez voir une troupe à l'autre bout du monde et qu'elle vous entoure de petits soins dans l'esprit avide d'être ... tiens, c'est drôle, le mot n'avait pas encore été inventé, "nominée".
24-IV - Vu 20 minutes du spectacle des Polonais, le Théâtre Kalambour de Wroclaw, une demi-heure de spectacle des Congolais Kimshasa, trois-quarts d'heure de celui des Anglais (DO IT).
25-IV - Vu la première partie de MINUS ONE, spctacle joué NU par des Américains apôtres de la nudité et qui accusent l'église catholique d'avoir arbitrairement inventé la pudeur. Après avoir l'un après l'autre exposé leur théorie, ils se dévêtent donc et jettent leurs hardes dans une poubelle, après quoi ils se livrent à divers exercices devant les spectateurs. L'ennui est qu'ils ne savent rien faire et qu'il ne suffit pas d'être NU pour maintenir l'intérêt. On ne tarde donc pas à se raser. J'ajoute que si la nudité féminine ne me gêne pas, la masculine non bandante ne me paraît pas très jolie. Franchement ces couilles et ces pénis qui pendouillent mollement et se balancent au moindre mouvement, c'est sans grâce.
RETOUR À PARIS
C'est un plongeon dans la grisaille
29- IV - Nous n'étions pas très nombreux hier soir à NANTERRE où se jouait LA CIGOGNE d'Armand Gatti pour le public local du jeudi soir. Aussi, dans le lieu transformé par Yannis Kokkos et Danièle Rozier en une sorte de Grand Magic Circus esthétisé et pas rigolo qui se serait installé aux pieds des escaliers de l'Église de la Madeleine, avec un itinéraire qui rappelait la fontaine du lac du Bois de Boulogne, le vent soufflait-il frais.
Pas une seconde je n'ai été touché, pas un instant je n'ai été ému. Et pourtant, d'excellents acteurs me parlaient avec foi et conviction de la bombe atomique. Aucune horreur ni honte ne m'investissait. Et pourtant, c'est le drame des survivants, des atomisés, qu'on me montrait.
Je crois que je sais pourquoi cet échec : les coupables sont la "transposition", "la poësie", et ce goût qu'à Gatti pour les folklores qui se traduit ici en japonaiserie, à mes yeux résolument insupportable. D'autant plus que ce galimatias s'exprime en un langage couleur locale gattifié totalement inaudible à mes oreilles. J'ajoute que l'idée de faire jouer les objets rescapés m'a paru puérile et qu'irrésistiblement dans ma tête quand ils s'exprimaient, retentissaient les notes d'une vieille chansonette qui s'appelait : LA RÉVOLTE DES JOUJOUS.
Et puis c'est long, sans entr'acte, et ça n'en finit pas de finir comme une symphonie de Gustav Mahler.
En somme quoi, l'idée est généreuse, le parti courageux et valable, l'austérité rigoureuse. Mais c'est de la confusion qui surgit, et pour moi de l'inefficacité.
Parce que Gatti VEUT FAIRE UNE OEUVRE là où l'agitateur devrait DÉNONCER simplement, MONTRER clairement. L'exemple de LA CIGOGNE me semble frappant d'un texte où l'esthétisme TUE le message. Là où je devrais être soulevé d'indignation, j'entends quelqu'un qui fait de l'ART ! (ou du moins qui VEUT en faire car comme chez COUSIN, ça reste -en plus- de l'Art au petit pied). Là où je devrais pleurer de rage, je m'endors, je m'emmerde, je m'agite sur mon siège et je m'en veux d'être venu si loin au bout du R.E.R. et de l'autobus 159! Un reproche de plus : il me choque, MOI, que ces Japonais, soient montrés exclusivement comme des victimes. Certes le largage des deux bombes américaines fut un crime historique contre l'humanité. Mais il ne faudrait quand même pas oublier que le peuple japonais était en ce temps-là fanatiquement militariste, approbateur d'un régime oppressif, et fournisseurs d'assassins sans scrupules sur ordres hiérarchisés. Cette inobjectivité me choque et réduit à mes yeux l'impact du message. A vouloir rendre ces Japonais trop blancs, Gatti désamorce sa démonstration.
C'est très bien joué par une troupe triste d'où se détache Françoise Dannell (plus que Catherine Sellers) et Claude Aufaure (charmant en petite frappe des après-guerre du marché noir). Marc Eyraud devrait apprendre à articuler (à son âge il serait temps). Pascale de Boysson en Japonaise américaine est horripilante.
Que dire de la mise en scène ? (de Pierre Debauche) et de la "dramaturgie" ? (de Pierre Laville) ? Qu'il aurait fallu couper; tailler, trancher, réécrire, changer, et surtout... ne pas monter CETTE pièce-là sur CE drame-là! Il est vrai que c'est un spectacle de remplacement en réplique à un coup de Monsieur Voisin! Alors...
Pour ceux aux quels il faudrait le rappeler, Monsieur Voisin était le directeur des éditions de l'Arche et il avait un goût prononcé pour les interdictions.
1- V - Il faut s'appeler Jean Rougerie pour faire au Parc de Choisy une générale un vendredi 30 avril, veille d'un exceptionnel week-end, alors que toute la critique est à NANCY. Je ne jugerai pas d'autre part que L'ÉTOILE AU FRONT de Roussel soit le spectacle convenant le mieux au NON PUBLIC du 13ème arrondissement. Il est sûr qu'avec la DOUBLE INCONSTANCE, Mollien réussira mieux localement. Mais apès tout qu'est-ce qu'on en a à foutre du public? Moi, j'aime L'ÉTOILE AU FRONT, et le style surréalisant de Roussel m'enchante, me ravit. Je crois aussi que Rougerie a réussi là sa meilleure mise en scène, éclatante d'intelligence et de rigueur. Pour une fois, le chapiteau fait propre. Le spectacle est sans bavure et pratiquement sans faiblesse. Il est vrai que Jean Dalmain conduit le jeu en acteur remarquable. Une réussite certaine. Pourvu qu'il y ait du public.
9-V - Un soir de cette semaine, je ne sais plus lequel, j'ai vu NAGGERTY Où ES-TU ? de David Mercer, adapté par Rolland Dubillard et je n'ai gardé AUCUN souvenir du spectacle si ce n'est que Maria Machado et Dubillard m'ont paru jouer en état d'ébriété relative. A dire vrai, je crois que l'oeuvre mériterait des commentaires, mais elle a été si mal montée par Barsacq que ses SENS n'ont pas été éclairés.
8-V - Assisté à une avant première de LA PEAU D'UN FRUIT SUR UN ARBRE POURRI de Victor Haïm (édité d'enthousiasme par Attoun), mise en scène de Roussillon, un seul acteur : Etienne Bierry. Il s'est passé deux choses très graves : d'abord, je n'ai pas pu résister à une certaine somnolence. Ensuite, alors que j'avais lu attentivement la pièce, j'ai cru qu'on en était à l'entr'acte lorsque c'était fini. Tant dans mon rêve de lecteur, j'avais perçu une progression que je n'ai retrouvé qu'à moitié à la représentation.
Je souhaite sincèrement le succès à nos amis, mais à moins qu'ils ne cravachent dur d'ici à lundi, je crains qu'ils n'aillent vers des déceptions.
Coincé par un piton rocheux entre un aigle et une armée qui veut s'emparer de lui, un homme (un fasciste, donc un énergique) va résister et peu à peu s'effondrer. Abplanalp a cerné la scène avec un écran de cinérama. Je n'ai pas aimé ce dispositif, pas plus que l'arbre d'épouvante, qui m'a paru un petit gadget amusant (ça monte et ça se déplie comme un joujou) au lieu d'être l'oeil de la tombe de Caïn. Il paraît qu'on a coulé du ciment sur un plateau pour donner l'impression du roc. Mais moi, j'ai cru que c'était du carton-pâte. Une bonne idée pourtant : les cailloux sur la scène, mais ils étaient beaucoup trop bien rangés.
Le personnage investi devrait donner l'impression que le monde extérieur tout entier le menace. Or ce monde extérieur est très insuffisamment signifié. Il n'est pas non plus terrifiant du tout. La voix du lieutenant semble semble venir tout bonnement d'où elle vient. C'est à dire de la coulisse. On a cru bon d'autre part de faire relayer Bierry par lui-même en voix off et cela crée, à mon avis, une confusion. il est trop facile de dire "moi, j'aurais fait comme ci ou comme ça". Mais il me semble qu'il fallait monter cette pièce en partant du monde extérieur, c'est-à-dire obliger l'acteur à écouter, réagir, à observer par conséquent des silences. Et moi je crois que ces silences devraient être de plus en plus insoutenablement longs à mesure que la pièce avance, pour SOULIGNER l'aspect déconfiture, désagrégation progressive du personnage.
La voix extérieure vient par un poste radio mais celui-ci est minuscule et nous tourne le dos ce qui me semble être une erreur. Je crois que j'aurais, moi, imaginé un truc avec des antennes, une technicité, que sais-je ? Et puis, j'aurais voulu du vent, des bruits inquiétants, des ordres brefs, un authentique investissement, en somme. Au lieu de quoi, j'ai assisté à un monologue sans rupture, sans évolution visible. "Monologue" pour une pièce à un personnage, c'est la mort. Bierry est bien, mais son texte n'est pas RESPIRÉ parce qu'il n'y a pas en vérité de mise en scène. Je ne crois pas que Roussillon ait pris son travail très à coeur. Au bistrot, à la sortie, il prenait ses précautions en disant dans le style de la COMÉDIE FRANÇAISE que la pièce est très belle mais qu'elle est difficile, que Bierry est un merveilleux acteur, mais que c'était peut-être une erreur de l'imposer dans ce rôle, que le POCHE est un théâtre épatant, mais qu'il est bien petit et qu'il manque de technicité etc... etc... Bref le rat s'apprête à toutes fins utiles à quitter le navire! Je reviendrais sans doute à la générale.
Un petit commentaire : Je cite souvent des noms d'acteurs ou de réalisateurs sans éprouver le besoin de les situer, voire de redire leurs prénoms, puisqu'ils sont supposés être connus par les lecteurs rares auxquels je m'adresse à l'époque. Mais si des érudits d'aujourd'hui souhaitent en savoir plus sur les carrières de certaines ou certains, je suis prêt à essayer de les éclairer, si mes archives et ma mémoire me le permettent.
8-V - Pour qui suit attentivement la carrière de GELAS, AURORA présenté à la sauvette chez Arianne Mnouchkine pour une semaine, marque un nouveau progrès de ce jeune et talentueux animateur. Progressivement, il se dégage de ses influences. Son langage devient de plus en plus personnel. Son style atteint à la presque perfection. Il épure, dépouille, découvre la simplicité. Il se dégage de l'agitation gauchiste au premier degrè. Il réalise la beauté formelle mais son esthétisme n'appelle pas le reproche tant il est naturel apparemment et évident.
AURORA comporte une part de texte qui ne doit guère excéder deux pages et c'est un spectacle de 80 minutes. Le thème est celui de la TERRE, notre mère à tous, qui a engendré des hommes libres et égaux. De mystérieux êtres malfaisants venus des galaxies ont soufflé aux hommes l'idée de la propriété et dès lors, ils se déchirent entre eux jusqu'à détruire leur mère. L'argument, on le voit, est enfantin. Mais cet enfantin-là n'est puéril qu'une vingtaine de minutes au début et de toute manière il n'est pas péjoratif. Il est la transposition d'un désespoir profond. Car AURORA est un spectacle mélancolique, sinon désespéré. Les bouillants émules de Mai 68 n'attendent plus la Révolution, n'appellent plus à l'agitation. Ils replongent au fond de la question en une démarche païenne mais métaphysique. Le spectateur garde le DROIT de refuser en soi-même la fin du monde annoncée dans la pièce, mais Gelas ne donne aux Communistes aucune prise où se raccrocher. Il projette sa vision sans concession. Et elle n'est pas optimiste. C'est pourquoi il s'attend à être contesté à gauche. Il le sera. Là où dans OPÉRA-TION le bruit était tonitruant, ici la musique est simple. Un très beau solo de saxophone n'est pas sans rappeler LA STRADA ou la fin des CLOWNS. LES SILENCES surtout, sont chargés de densité, habités. L'expression corporelle est maîtrisée, signifiante et rigoureuse. Une certaine lenteur des mouvements tournant autour du praticable central APPORTE à l'efficacité du cri. Bref, c'est un spectacle BEAU, DIGNE et personnel.
2-VI - Attoun consacre son émission à la mort de VILAR.
2-VI - Je dois être blasé, ne pas avoir la morale de tout le monde, être pourri de l'âme et de partout, mais quand je vois un spectacle comme COCKSTRONG monté par le RIDICULOUS de John Vaccaro, je suis surpris que des phénomènes de censure aient pu jouer deci delà, que la police bruxelloise se soit émue au point d'arrêter les artistes, que Jo Dekmine s'en soit publiquement désolidarisé etc...
Car je crois que j'en suis arrivé à un tel point qu'on pourrait me montrer n'importe quoi sur scène - hormi peut-être le sang réel coulant, ou l'agonie d'une bête - sans que cela révulse en moi quoi que ce soit.
Alors évidemment, quand je lis sous la plume d'un critique américain que les personnages montrés ont l'air de sortir d'un tableau de Jérôme Bosch, quand j'entends prononcer les mots d'OBCÉNITÉ, d'HORRIBLE, je me bats les flancs pour être à l'heure de mes contemporains, mais je n'y arrive pas.
Cela dit, il faut peut-être tenir compte de l'éloignement imparti par le difficile Théâtre de la Cité Universitaire. COCKSTRONG, très spectaculaire, avec un brillant apport de la musique pop, une troupe qui chante, danse trémousse en payant comptant, vêtue d'oripeaux disparates et maquillée à outrance à la manière des clowns, montre une série de sketches un peu trop bavards pour ma connaissance de l'anglo-saxon, où il n'est question que de SEXE. Un phallus stylisé, gonflé d'eau qu'on projettera à la fin sur les spectateurs, constitue l'unique décor. Il est suspendu au dessus des acteurs. On mime le coït, la masturbation, les accouplements. Le mot de FRÉNÉSIE peut être prononcé. Le rythme est ENDIABLÉ. Des gestes OSÉS. sont faits. A noter qu'il n'y a pas de nudité à part un cul entrevu un instant. Le travesti se mêle à l'hétérosexualité. Bref, on ne s'ennuie pas, mais c'est limité.Ca ne va pas très loin et la PROTESTATION, si elle est évidente, n'est pas dans une ligne aussi intéressante qu'au BREAD AND PUPPET ou au LIVING THEATRE.
En fait l'Amérique théâtrale contestatrice est engagée dans un cycle de surenchère, chaque troupe voulant en faire PLUS et AUTREMENT que les autres. Les sujets d'étonnement pour les spectateurs ne sont pas innombrables et à ce jeu, la VULGARITÉ fait vite son apparition. C'est évidemment le cas ici. D'une troupe sur l'autre, l'INTÉRÊT baisse quant au FOND ce qui ne veut pas dire que COMMERCIALEMENT les affaires soient moins bonnes.
Moi, j'aimerais mieux que ces Américains pas d'accord RÉFLÉCHISSENT, approfondissent leur contestation, l'étayent. En voyant le RIDICULOUS c'est RÉCUPÉRATION qui me semble le mot à dire. C'est dommage.
Nous allions en effet vers la fin d'une certaine façon qu'une certaine Amérique avait de nous adresser des messages. En relisant ce commentaire, je ne peux pas m'empêcher d'évoquer ma conversation avec Claude Sarraute avant l'agonie du THEATRE D'AUJOURD?HUI. Eh oui, cela se ressemblait. Maintenant le grand homme de la pensée américaine, ce sera Bob Wilson En attendant l'apparition beaucoup plus tard et autrement, en tout cas à grand renfort d'esthétisme, de nouveaux contestataires.
3-VI - Le Théâtre des Capucines s'ouvre aux "Jeunes".
- "Vous ne trouvez pas, Monsieur, vous, qu'ils sont trop jeunes ?", me dit la vieille directrice centenaire de ce demi lupanar.
- "Non ! Madame", je lui fais car il ne faut pas contrarier les bonnes volontés. Pourtant, je ne peux pas affirmer avoir été convaincu par la "revue musicale satyrique" écrite et mise en scène par Claude Cortesi : SI LES CERISES ... AVAIENT DES DENTS !
L'idée de départ était cependant drôle et PARISCOPE la résume bien : "La rencontre insolite de chansonniers qui ne prennent rien au sérieux". De fait YON DE MURGUIA (qui doit être célèbre si j'en juge par le grosseur de son nom sur l'affiche) et CONSUELO IBANEZ chantent imperturbablement au long de la soirée des morceaux de bravoure du répertoire de l'opérette la plus éculée, SÉRIEUSEMENT, avec conscience et tous les trucs rendus visibles, tandis que des jeunes gens dérangent par leurs facéties et gags cet hommage à la culture.
L'ennui, c'est que RIEN ne va assez loin. Le public (jeune pourtant) applaudit les deux lyriques et y va de son aliénation. Les contestataires font peu rire car leur esprit vole bas et ne se hissent même pas au niveau des chansonniers ! Seule Liliane Geney, qui a fait beaucoup de progrès décidément, est à la hauteur des ambitions de l'entreprise. Mais seule, que peut-elle contre tous ?
L'entreprise reste sympathique et sans doute est-elle audacieuse pour les CAPUCINES (charmant lieu où je n'avais jamais mis les pieds, très "anglais", cossu et chaud). Mais j'ai bien peur que ce ne soit un massacre à la presse ! Justifié! ...
4-VI - Alors que Victor Hugo a écrit des floppées de pièces, Yves Gasc a préféré pour jouer une oeuvre de lui adapter pour la scène, le roman L'HOMME QUI RIT (accueilli au T.O.P.). Le résultat est qu'il ne reste qu'une trame anecdotique. Le texte est plat, sans beauté, presque sans lyrisme, sans grandeur. Il n'est guère de Victor Hugo. Au cinéma, on aurait sans doute écrit au générique : "L'HOMME QUI RIT de Yves Gasc d'après une idée de Victor Hugo".
A part cela, Yves Gasc n'a de préoccupations ni sociales, ni politiques. Esthétiquement, il ne recherche aucune nouveauté, et il n'a même pas adapté sa mise en place au plateau tout en largeur au TOP. Non seulement, il n'utilise qu'un très petit espace au milieu, mais encore il n'a tenu aucun compte des spectateurs assis un peu sur les côtés. C'est aisi que Poirot Delpesch et moi avons dû deviner toute une partie du spectacle qui se jouait (pour nous) derrière un malencontreux paravent, normalement, je suppose, destiné à être appuyé au portant italien jardin d'un théâtre !
Sa démarche est celle d'un bon faiseur. A Sarlat, son HOMME QUI RIT ferait merveille. C'est vieux, conventionnel, sans imagination; les décors et costumes de Mario Franceschi ne m'ont atteint en rien. Ce n'est pas mal joué quoique sans unité par des comédiens que je ne connaissais pas.
Raymond Acquaviva s'est fait en Gwinplaine un maquillage "horrible !", que j'ai surtout trouvé laid, mais pas comme l'eût voulu Hugo. Evelyne Bouix joue Déa comme une Ophélie, mais elle a de la fragilité et de l'émotion. elle est assez belle à voir.
Périmony en Ursus m'a rajeuni de trente ans en me ramenant à l'Odéon des Albert Lambert. Ils sont nombreux dans cette entreprise d'un autre temps. Seul point positif : Gasc semble avoir renoncé à trimballer sur scène une pédérastie militante. On ne saurait pas qu'il l'est, qu'on ne s'en apercevrait pas.
7-VI - A moins d'un accident par lequel serait loupée la GÉNÉRALE, nous avons mis sans doute dans le mille avec la DOUBLE INCONSTANCE car c'est un très bon spectacle, bien supérieur dans le même ordre d'idée à LA LOCANDIERA de Valverde. Et d'abord parce que c'est une pièce prodigieuse : méchante, cruelle, tous les personnages y montrent leur double face, y revêtent des masques de fausseté, de ruse, d'imposture ou y exposent des vanités, des vices. Je crois qu'aucun n'est n'est totalement sympathique. Marivaux n'en récupère pas. Chacun manipule quelqu'un, joue un jeu, est instrument, sauf bien sûr, les deux manipulés Arlequin et Sylvia; mais ils ne sont pas blancs comme neige pour autant. Mollien a parfaitement cerné que cette immoralité est le fruit d'un système politique. Le prince est aimable, mais il est souverain absolu. Pour conquérir Sylvia, il ment, il ruse, il biaise, il utilise des comparses et notamment Flaminia, qui le sert car cela sert ses propres intérêts. Grâce à elle, il obtiendra la satisfaction de son caprice par la main de velours, MAIS sa puissance n'en est pas moins menaçante et présente. Ses flics ont amené de force à la cour les deux innocents qu'il va s'agir de pourrir et si ces serviteurs de l'ordre font mine d'être les domestiques des deux jeunes gens, c'est par calcul. Ils utilisent les armes de la séduction et de la corruption mais c'est une chance que les deux sujets se laissent faire. Car tout l'appareil est en place pour que la contrainte la plus odieuse s'exerce sur eux, d'un mot du prince pour que cette cour gracieuse se transforme en Gestapo. Le point de départ : enlèvement et séquestration des deux amoureux, est d'ailleurs carrément fasciste. J'emploie ce mot moderne parce qu'à travers de la classicité du spectacle, c'est ce FROID là que Mollien a cerné, avec ses ombres qui passent et repassent, gens se surveillant, s'épiant, profitant des "bontés" du prince mais éventuellement ruinables, chassés, voire ... que sais-je ?
Moderne est aussi l'aspect "sentimental" de la pièce, illustrant la fragilité des passions humaines : "C'est un amour qui m'était venu, c'est un amour qui s'en est allé ! Voilà tout", dit Sylvia.
Pascale Audret est bien en Flaminia mais pas irremplaçable. Agathe Matanson est par contre remarquable dans Sylvia.
15-VI - Vu enfin AU BOIS LACTÉ de Dylan Thomas, mis en scène par Stéphane Meldegg. Créée au TRIPOT, cette pièce poursuit une carrière au LUCERNAIRE. Il y a du monde. Les gens ont l'air content. Moi, je le dis carrément : ce style poëtique venu des brumes de Synge me rappelle Clavé, les débuts de Vilar et les années 40. Déjà en ce temps-là, je comprenais mal l'engouement de mes contemporains pour cet ésotérisme celtique. Les images du langage m'amusaient parfois mais les motivations des personnages me restaient étrangères. J'ai retrouvé face à ces aventures galloises que montre LE BOIS LACTÉ, le même sentiment d'éloignement que naguère. Cet univers m'indiffère. En 1971, l'inutilité de l'exhibition à Paris de ce folklore me frappe. RIEN ne me sensibilise dans une entreprise que je ressens comme marginale, "hors du temps et des dimensions" comme disait Beckett ! Mais Beckett, c'est autre chose.
17- VI - L'EXCEPTION ET LA RÈGLE est une pièce DIDACTIQUE. Bernard Sobel l'a montré avec l'ensemble théâtral de Gennevilliers de façon EXEMPLAIRE. La démonstration de Brecht apparaît avec les ans un peu floue, primaire mais elle est efficace. La mise en scène est nette, précise, énergique, distanciée. Maurice Valin ne m'a pas fait oublier Médina dans le marchand mais Alain Girault dans le coolie est excellent. Un public nombreux suivait hier aux Halles ce cours du soir sans concession.
QUELQUES RÉFLEXIONS PERSONNELLES
Il y a maintenant un an que j'exerce mon métier d'organisateur de tournées en serviteur. Monique Bertin a installé sa machine à écrire (une vieille Underwood)dans mon living-room. Nous n'avons qu'une ligne téléphonique. Je ne sais pas encore que le fax va bientôt transformer nos conditions de travail. Nos prospections partent ronéotypées. Je crois qu'aujourd'hui personne ne daignerait les lire tant elles étaient barbares.
Quelque part, je retrouve ma vocation de (comme je l'écrivais non sans quelque vanité vers les années 60) de "nager sur la crête des lignes de force". Tour après tour le Grand Magic Circus, le Groupe Tse, bientôt, cela va être le Théâtre de Liberté de Mehmet Ulusoy, puis le Théâtre de l'Aquarium me choisissent pour organiser leurs tournées. En vérité ils sont "à la mode" mais je récuse ce mot qui sent son opportunisme. Ils ne le sont d'ailleurs que dans un certain univers du spectacle qui s'adresse à un public branché intellectuel, petit et moyen bourgeois, de sensibilité à gauche. Où sont les ouvriers de nos rêves militants de naguère? Maintenant les comités d'entreprise remplissent les salles de grandes variétés, celles où des noms prestigieux s'affichent.
Quoiqu'il en soit, que ce soit Savary, Alfredo Arias ou les autres, c'est la novation de ma formule d'intervention, à leur service, et non plus en intermédiaire, qui les séduit. Loin de redouter d'être "responsables d'eux-même", ils le revendiquent.
Les PRODUCTIONS D'AUJOURD?HUI poursuivent de leur côté leur chemin d'entreprise à l'ancienne, avec comme vedettes Michel Hermon, Antoine Vitez et quelques autres. Elles survivront jusqu'en 1972. Colette Dorsay deviendra administratrice adjointe à Villeurbanne, auprès de Planchon.
EN ROUTE VERS AVIGNON
Je n'ai jamais appris à conduire une voiture. Monique Bertin en posséde une. Cela devait être une Renault 4. Pas le grand luxe. C'est dans ce véhicule que nous sommes descendus vers Avignon, par petites étapes. D'où cet arrêt à Beaune que je relate ici, histoire de parler un peu de la décentralisation :
21-VII - Je regrette de n'avoir pas vu SPLENDEUR ET MORT DE JOAQUIN MURIETA en Italie monté par Chéreau. Mais qu'ici la pièce de Neruda soit présentée par Alberto Rodi dans une adaptation de Guy Suarès me paraît exemplaire de la médiocrité dans laquelle se complaît la DÉCENTRALISATION.
Car cette réalisation floue est la grande création de l'année en Province. Coproduction des TNS et THÉÂTRE DE BOURGOGNE, elle tournera dans les plus grandes maisons de la culture, Reims, Grenoble etc...
Nos chers directeurs n'ont pas "confiance" en Michel Berto mais ils ont confiance en Rodi. Il y a pour moi d'insondables mystères.
EXEMPLAIRE, l'entreprise l'est d'abord au niveau politique. Il est clair que dans le Chili de 1964 livré économiquement aux USA, le poëme de Neruda avait un sens. Tout en références précises et locales, contant une histoire qui appartient à la légende du peuple, mêlant la parole au jeu, à la danse et au chant, il dénonçait un combat de toujours, celui de l'égoïsme yankee ne reculant devant rien pour écraser les défenseurs de la langue espagnole. Déracinée en Bourgogne, l'épopée de Joaquin Murieta devient western. Qui, dans cette région se sentirait concerné par cette anecdote naïve? (il paraît que le metteur en scène a voulu insister sur cette naïveté). Il voit bien que les Américains en prennent plein la gueule, que ce sont des cruels sans scrupules et des méchants pas accueillants aux noirs et aux métis. Pas un mot, pas une indication ne vise à évoquer, fût-ce de loin, un de SES problèmes. Il n'a donc pas de problème dans la douce France de 1971! Il voit par contre ceux qu'ont eu les Chiliens face aux BLANCS du nord; et il sent que cet antagonisme garde quelques vigueurs. Pauvres peuples exotiques, comme on est bien chez nous ! La besogne CULTURELLE est menée sous couvert de "dénoncer". C'est que notre décentralisation y tient à avoir l'air de prendre des risques "courageux". Qu'elle se rassure, les notables seront contents.
EXEMPLAIRE, L'ENTREPRISE L'EST AUSSI PAR SA RICHESSE. 23 comédiens, un dispositif gigantesque, des détails très fouillés esthétiquement sur le plan des costumes, maquillages, masques, chaussures etc, tout cela a coûté fort cher. Cette INUTILITÉ s'est faite sur le dos de ceux qui crèvent.
Mais il fallait cette poudre aux yeux pour masquer la trahison. Car Rodi a édulcoloré tant qu'il a pu : on sent confusément une violence dans la pièce. Mais elle n'est pas dans sa mise en scène molle. On sent que la danse et le chant se réfèrent à ce qu'il y a de plus profond dans le folklore chilien. Mais on n'a pas fait de recherches. Les comédiens ont inventé une musiquette harmonieuse et sans agressivité. Les poëmes durs, percutants, riches de contestation sont noyés dans un pathos de récitatifs psalmodiés, qui en rend le contenu inintelligible. Neruda a terminé le spectacle par un poëme qui parle du Viêt Nam et montre que les Yankee n'ont pas changé. Rodi commence par ce poëme, ce qui le vide de valeur combative. Aldebert, dont j'évoquais le souvenir en voyant ces mouvements de foule sans ordre, sans chorégraphie sans force ni puissance, sans dynamique, sans "oeil de peintre", groupes non composés se mouvant dans l'ennui, devait se retourner de contentement dans sa tombe. Car c'est son TNP qui ressuscite, celui d'avant Vilar. Je ne crois pas que Jeanne Laurent serait très heureuse, par contre, de voir ainsi la médiocrité de sa décentralisation. JOAQUIN MURIETA de Rodi dans la très plate, fade, mal écrite traduction de Suarès est enfin EXEMPLAIRE d'un certain comportement des comédiens. Ils cachetonnent. Ils s'emmerdent. Ils le disent et ça se voit. Tout le monde bouffe du gâteau. Ce monde des privilégiés n'est pas le mien.
Michel Humbert, nouveau directeur du Théâtre de Bourgogne va monter BRITANNICUS, puis LA DAME AUX CAMÉLIAS. On le voit : le flambeau est repris. Poujade, maire de Dijon, sera content.
AVIGNON 71
22-VII - Au premier coup d'oeil, mais peut-être cette première impression s'affirmera-t-elle, Avignon 1971 me paraît vide par rapport aux autres années. A 20h30, il y a des tables libres place de l'Horloge, pas de hippy. La Civette transformée n'accepte plus les messages et un flic à qui je demande un renseignement me dit qu'il ne sait pas - "Il n'est pas d'ici", m'indique une bonne dame qui passe. Aperçu Maître Baëlde, suçotant une banane, et qui me fait un brillant éloge d'AURORA, Pierre Peyrou et Lucien Attoun. Il est vrai que j'ai pris mon temps, cette année et que j'arrive dans la deuxième moitié.
21h30 - Malgré une très mauvaise presse, le cloître des Carmes est bourré. C'est la dernière (ici) de BÉATRICE DU CONGO de Bernard Dadié, mise en scène de Jean Marie Serreau. C'est l'histoire, contée à gros traits d'imagerie populaire, d'une invasion coloniale "pacifique", la dénonciation du processus "protectorat". L'hypocrisie, la férocité, l'aliénation à l'argent et aux tabous chrétiens des blancs, leur intolérance, leur rapacité, sont montrés avec bonne humeur. On a reproché à Serreau d'avoir présenté un spectacle pas prêt et il est vrai qu'il est inadmissible qu'un acteur joue à la 5ème avec sa brochure à la main. Mais pour le reste, il m'apparaît surtout que c'est un spectacle libre. On a l'impression d'une mise en place rigoureuse, et que chaque acteur a reçu une ligne directrice de motivations précise, et puis qu'au-delà de ce carcan, on leur a dit : "Et maintenant amusez-vous". Ainsi, recueille-t-on le sentiment que tous y vont à coeur joie. C'est le contraire du spectacle de Rody. Bien sûr, cela ne va pas sans des baisses de rythme et de tension. Il y a des plages bavardes qui manquent de punch. Mais ça confère à l'entreprise un aspect sympathique et une originalité.. Serreau qui s'est consacré ces dernières années aux spectacles "nègres", reste fidèle à sa ligne. Cette pièce simplette et simpliste, c'est l'antihistoire coloniale telle qu'elle me fut contée quand j'étais petit. C'est la démystification de l'épopée "glorieuse" narrée par les instituteurs complices ou aliénés. Je me faisais réflexion qu'elle est moins utile au premier degré, celui où est stigmatisé l'ACTE des blancs vivants puisqu'ici elle s'adresse à eux pour leur faire prendre conscience de leur "erreur" passée, justificatrice des difficultés de la décolonisation présente ici et de la poursuite de la lutte de la libération là, qu'au second degré, celui où elle crie à quel point le corps enseignant blanc a menti aux enfants blancs, les marquant pour la vie d'une image criminelle.
SUR QUOI ces redoutables serviteurs du pouvoir bourgeois mentent-ils AUJOURD'HUI à nos enfants ?... Mais une duperie à cette échelle serait-elle possible maintenant ?
BÉATRICE du Congo, Jeanne d'Arc du San Salvador est donc à marquer à la pierre blanche (si j'ose dire), des réalisations signifiantes. Il faudra retourner à la Cartoucherie de Vincennes. Les spectacles de Serreau sont comme le vin. Ils se bonifient en vieillissant.
24 heures
Couturière au cloître des Célestins de la CHASSE AU SNARK, d'après Lewis Carroll par la Compagnie de la Pomme Verte, musique de Michel Puig, mise en scène de Catherine Dasté. C'est un spectacle "chanté" (ou plutôt crié) en anglais pour 80 % et dans un français inintelligible pour 20%. Je n'ai donc RIEN compris. Et encore moins ce que cet exercice de recherche pure, ésotérique, confus, contestable et en tout cas élitaire, vient faire sous le chapeau populaire du théâtre de Sartrouville. Je ne dis pas que ce ne soit pas beau visuellement. On a fait des décors et des costumes qui ont dû coûter un bon prix et ne manquent pas d'esthétique. Mais pourquoi cet effort, ce travail, cet argent dépensé ? Cela m'est étranger, ne me concerne pas.
Rencontré Claire Duhamel qui a aimé AURORA, Jean-Jacques Leyrand qui a aimé AURORA, Bénichou, Jean-Pierre Vincent, Bernard Richard (de Grenoble, Théâtre municipal, qui m'explique que dans l'organigramme de sa ville, l'accueil de troupes comme les miennes appartient à la Maison de la Culture) et Bourdet qui m'arrache que j'irai voir demain à 15 h son spectacle pour mouflets.
23-VII à 15h
Vu enfin à sa 600ème, le spectacle pour enfants de René Bourdet : POËSIE EN LIBERTÉ. C'est un montage didactique bon enfant, qui est surtout destiné à être montré dans les classes. Queneau, Tardieu, Boris Vian, Prévert et quelques autres, sont dits ou chantés, et commentés avec efficacité. Les enfants participent sous la direction du meneur de jeu, Bourdet, qui m'a fait songer à un curé.
Rencontré Steiger, qui n'a pas aimé AURORA, Claude Ollivier, qui n'a pas aimé AURORA, Jean Caune (d'Angers), Tamiz et Iglésis (avec qui je n'ai pas parlé), J. J. Célérier et Charles Mughe, Isabelle Ehni. Appris que c'est Guillot (de Mâcon) qui va remplacer Barrat à Angers. Le commentaire qui suit est important, car il a marqué une époque importante de ce festival où le "off" n'avait pas encore pris le pouvooir
21h30
Lucien Attoun va trouver le moyen de redonner un sens au festival voire en devenir le roitelet avec ses "lectures spectacles" données en la Chapelle des Pénitents blancs. En tout cas, son premier coup avec la pièce de Rezvani: LE CAMP DU DRAP D'OR, orchestrée par Jean Pierre Vincent, fut un coup de maître. Netteté de la réalisation, excellence du travail de Jean Pierre et de ses acteurs qui ont résolument pris le parti de donner à l'oeuvre son ton, son rythme, son style, ses intonations, mais de ne PAS jouer physiquement. C'est une opération RADIO faite en 8 jours et réduite à des symboles sous l'angle de la mise en scène visuelle. C'est une réussite incontestable. Il faut dire que la pièce, actuelle au possible puisqu'elle prend pour prétexte la dénonciation du banquet que le Shah d'Iran va offrir au monde des grands à l'occasion du 2 500 ème anniversaire de sa dynastie, a sur ma sensibilité, un impact comparable à celui qu'y trouve Ehni. Les deux lascars sont de la même race, ils appellent un chat, un chat, ils déchirent à belles dents la civilisation occidentale et en démontrent les processus de décadence avec une lucidité sans référence aux idéologies en place. Direct au point de friser parfois le cabaret, Rezvani est à mon avis perceptible aux plus larges masses et quand un intellectuel demande au débat "à qui il s'adresse", j'ai envie d'y répondre: "aux gens". Et quant à savoir si c'est utile, bien sûr que ce l'est comme toutes les petites gouttes de pluie qui frappent la surface de l'océan d'indifférence. Moi, en tout cas je me sens concerné, et c'est bien réconfortant, après ces soirées qui me sont demeurées étrangères ou marginales ces derniers temps. L'oeuvre a un langage et ce langage porte sur moi. Rozvani fait partie de ceux qui - SINCÈRES OU PAS, ET CA N'A PAS TELLEMENT D'IMPORTANCE - contestent notre civilisation jusque dans ses racines. Il rejoint Savary, Gelas. C'est une ligne de force. La seule sans doute qui me satisfasse intimement. Elle porte le ferment d'une révolution profonde. A voir comment elle essaime, des espoirs deviennent permis. L'heure de la remise en question de l'homme par lui-même a commencé à sonner. C'est évident pour qui se retourne en arrière et mesure le chemin parcouru depuis EN ATTENDANT GODOT.
27-VII - Il est tout à fait étonnant qu'à un certain moment on ait pu comparer Gelas et Benedetto, tant 3 ans après, la démarche du Théâtre des Carmes diverge de celle du Chêne noir. A BEC ET A GRIFFES est un spectacle de dérision, politique au premier degré, frisant le cabaret contestataire en ce que clairement, il refuse le jeu du off Festival en ne signifiant aucune recherche esthétique. Volontairement, Benedetto s'enferme dans son contexte avignonnais. Il ne joue même pas lui-même. Sa troupe est composée de semi-amateurs du cru. Elle raconte et chante en bande dessinée et en raccourcis le son et lumière à la blague de l'histoire d'Avignon.Elle s'adresse aux TOURISTES, à ceux qu'on ne voit que l'été. Elle dit en somme "Merde" aux étrangers, mais avec tant de bonne humeur et de drôlerie, qu'elle rallie ceux qui veulent bien s'amuser sans chercher midi à quatorze heures. Ce n'est pas un grand spectacle. Mais c'est un spectacle sain. Ce qui ne l'empêche pas de porter ses leçons.