29 octobre au 26 novembre 1970
Note importante : ce qui est présenté ci-dessous est une transcription fidèle des écrits manuscrits originaux. Ce qui est en italique correspond à des commentaires a-posteriori.
AUTOMNE 1970
Edmond Michelet qui, quoique de droite, était un ministre suscitant quelques espoirs, meurt le 9 Octobre 1970. Jacques Chaban-Delmas, premier ministre nomme le 19 André Béthencourt “ministre des affaires culturelles, chargé d’interim” (sic)
Je n’ai pas la date précise du premier vrai compte-rendu de cette rentrée, mais le voici :
“ OCTOBRE A ANGOULÊME” , à la Cité Internationale, n’est pas innovateur sur le plan du rapport scène - salle, encore que l’aspect “comédie musicale” voire “opérette” voulu par André Louis Périnetti, fasse qu’automatiquement entre les scènes jouées l’on s’y adresse à moi en direct. Les recettes sont vieilles mais, adaptées à un thème jeune, en sortent toutes revigorées. Curieusement la forme désuète paraît fraîche tant on a besoin dans un théâtre qui se traîne de rythme, de vie, de tourbillon en somme. DIRE ce qu’il a à DIRE tout en faisant RIRE, voilà ce que réussit Périnetti avec le texte de Thévenin. Je ne pense pas, au contraire, que le contenu soit trahi par la forme “enlevée” ni édulcoré, ou rendu illusoire.
Pratiquant leur méthode habituelle, les défenseurs secrets du système politique que nous vivons déclarent que ce contenu est enfantin, primaire, que tout le monde sait ces choses-là et qu’il est inutile de les répéter.
Ma démarche de l’été ayant été d’entrer en guerre contre l’ésotérisme de classe et le second degré des privilégiés, j’approuve pleinement ce parti de simplicité, de sarcasme franc et massif contre ce qui doit être dénoncé ET NE LE SERA JAMAIS ASSEZ!
N’en déplaise aux intellectuels de gauche, les mêmes qui traitent René Ehni de fasciste, la légèreté du spectacle fait passer une sauce grave et poivrée, et son primarisme est le premier qui sur une scène de théâtre dise clairement ce qu’il y a lieu de penser de la lumineuse Union Soviétique, la grande Prolétarie embourgeoisée qui ne se soucie plus de révolutions encombrantes.
La charge est cruelle, qui montre ses dirigeants enfermés dans leurs souvenirs minables et leur ivrognerie. L’idée de la SAINTE GRÈVE COMMÉMORATIVE n’est certes pas pour plaire aux Cégétistes. Mais ces choses sont à dénoncer, et elles le seront de plus en plus. Il y a malhonnêteté à rejeter à droite ceux qui dénoncent les errements communistes. L’AUTOCRITIQUE est une des règles les plus fondamentales de cette philosophie DIALECTIQUE. Retour aux sources, Messieurs ès satisfaits, et cessez de vous plaindre, vous qui participez avec les bourgeois à des débats à la TV ou sur EUROPE 1.
Gai, enlevé, sain, joyeux, OCTOBRE à ANGOULÊME est un acte politique qui montre à une jeunesse avide d’une autre vie qu’elle n’a rien à espérer de ses vieux maîtres devenus décadents.
Est-ce un tel lieu commun de le dire ?
Faut-il vraiment le taire?
Je ne le pense pas.”
pour la petite histoire, il faut se rappeler que le pouvoir Gaulliste n’avait pas pardonné à Barrault d’avoir laissé les hordes de “révolutionnaires” de Mai 1968 envahir le théâtre de l’Odéon, et surtout, alors qu’il ne le faisait sans doute que pour protéger son outil, d’avoir feint d’être solidaire avec eux. Démis de son mandat, il s’était donc retrouvé rejeté dans le secteur privé... Ce n’est pas pour autant que j’allais être indulgent :
29 Octobre : “JARRY SUR LA BUTTE, spectacle de Jean Louis Barrault à l’Elysée Montmartre
“Que c’est riche
“Que c’est luxueux
“Que c’est brillant
“Que c’est beau
“Que c’est commercial
“et pourtant quel ennui par moments, quel sentiment de bâtardise, quelle impression de porte à-faux... Comme le titre le laisse entendre, c’est, semblable au RABELAIS, un montage sentimentalo-didactique. La TV scolaire pourrait en proposer de semblables moins le clinquant. On prend l’oeuvre globale d’un Monsieur, on en fait une salade russe, et il faut que ça mousse, Nom de Dieu, c’est KULTUREL! C’est KULTIVÉ! ... ET C’EST MÊME UN BRIN KONTESTATAIRE!
Dans Hugo, dans Villon, dans Rousseau, dans Aristophane, on trouverait aussi de quoi alimenter de tels spectacles “jeunes et dynamiques, émouvants et nostalgiques”. C’est un truc de démission. Barrault n’a-t-il plus en carton de pièces à monter ? Je suis irrité par cette spécialisation qui ne donne, ne peut que donner des Reader Digests au théâtre.
Cela dit le principe étant ainsi déploré, il faut reconnaître que le spectacle est vigoureux, animé, beau à regarder (Jacques Noël a fait des costumes magnifiques) avec des moments où on est pris. Jarry sort un brin vieillot de l’aventure, c’est dommage pour le souvenir qu’on en a. Sans doute le destructeur de la société des débuts du XXème siècle, ne se serait-il pas exprimé de la même façon aujourd’hui. L’audace de Barrault vieilli s’arrête sans doute à l’âge où Jarry n’effrayait plus les bourgeois. Fort bien joué, le spectacle se veut moderne, avec un abus de flaschs éblouissants. Je suis sûr qu’un jour, à force de surenchérir sur le psychédélisme, un génie des lumières réussira à aveugler une salle. Une innovation : la nudité recréée par le costume! c’est original et valable, sans doute érotique. Je me demande si ceux qui ne connaissent pas Jarry s’y retrouveraient dans ce salmigondi. A l’évidence, cela s’adresse à l’élite.
Est-ce que ça marchera? Barrault courant après sa jeunesse réussira-t-il à imposer SA révolte qui n’a pas mué depuis les années 35? A quel public ? S’il n’était une vedette, son spectacle serait-il pris en considération?
Jacques Alric est remarquable en Père Ubu, Michel de Ré en Empereur Claude trimbale une nonchalance pleine de grâce d’un bout à l’autre de cette “non” pièce.
A noter que l’Elysée Montmartre a été transformé et qu’il ne comporte plus de mauvaise place. Tant mieux pour les catcheurs. La richesse de Jean Louis, “qui n’est plus pauvre” aura servi à quelque chose!”
“30.X.1970 - Ouverture du T.G.P. avec LA LOCANDIERA. C’était une première publique avec spectateurs Dyonisiens presqu’ exclusivement. J’ai repéré dans la salle d’authentiques prolétaires. José Valverde s’est efforcé de donner à la représentation un environnement. Au foyer, il y a une exposition d’art cinétique. Dès l’entrée, les gens sont baignés dans une atmosphère de foire époque Goldoni. Un gars jongle avec des torches allumées, un autre avec je ne sais quoi. Micheline Uzan vend des oranges à la criée. Les comédiens accueillent le public, lui ouvrent les portes de la salle, et, pendant qu’il s’installe, lui offrent un pré-spectacle de Commedia dell’ Arte très conventionnel, mais fort bien enlevé, avec musique, sketchs etc... C’est gai, vivant, c’est la FÊTE. Peut-être est-ce un peu trop construit. On dirait déjà le spectacle et dans cette hypothèse, c’est trop long. Car le public n’entre pas à petit feu, mais d’un bloc. Il s’asseoit, regarde, écoute.Pour lui, c’est COMMENCÉ. Cependant comme naguère dans l’ARLEQUIN d’Edmond Tamiz, les acteurs se griment sur la scène. Le lieu de l’action est dissimulé par un rideau du type de ceux qu’on s’est habitué à appeler “brechtien”. Quand LA LOCANDIERA débute, on constate que l’action se déroule sur un pratiquable incliné en verre translucide, éclairé par en dessous. Les meubles, en harmonie avec cet élément de base, seront seuls à signifier les changements de lieux. Un cyclo blanc, très loin, achève de donner à l’ensemble une luminosité qui, à elle seule, montre l’esprit du propos de Valverde : il veut divertir, faire rire. A l’occasion, le contenu de l’oeuvre sera enseignement pour qui le voudra bien. Mais aucun didactisme apparent ne semble préoccuper le metteur en scène. Aussi les personnages caricaturés décrits par Goldoni sont ils joués à la charge. Je crois qu’il y aura intérêt au fil des représentations à gommer un peu car les acteurs ont beau être excellents, ils me donnent pourtant l’impression d’en faire un peu trop. Seul Descazes en Fabrice, m’a paru très juste, nourri de l’intérieur , solide comme un paysan. LUI porte en soi un réel contenu social. Les autres dépassent la mesure, ce qui ne les empêche pas, je le répète, d’être très biens, surtout DeGeorgi qui campe le chevalier en vieux garçon aigri avec un parti très convainquant. Seule Micheline Uzan est médiocre. C’est étrange car je sais bien quelle actrice ellest, bête de théâtre jusqu’au bout des ongles. Mais son jeu, poussé lui aussi, ne se distingue pas assez de celui des pantins que son personnage veut mystifier. Je ne sens pas en elle LA PATRONNE dont l’humilité face aux petits “grands” qu’elle héberge, n’est que feinte.. Sa gouaille presque clownesque, et que j’ai vue pathétique, confine ici à la vulgarité. Et puis, elle n’est pas belle : elle est trop petite pour le rôle, et -ô quelles idées avez-vous parfois, metteurs en scène - elle est affublée d’une perruque cendrée frisée sous laquelle ses mimiques semblent grimaces. Cette perruque était d’ailleurs hier l’objet d’une scène de ménage entre les époux Valverde et j’espère que José saura ne pas faire de son erreur une question d’honneur. Entendons bien cependant que le choix de Micheline Uzan pour ce rôle était sans doute une fausse bonne idée. Mais bien sûr, cette critique se situe à un niveau de qualité élevé. Et sachons bien que Micheline Uzan, quand elle se sera libérée sera quand même très acceptable.
J’avais toujours entendu LA LOCANDIERA dans le texte de Michel Arnaud. Je n’ai pas trouvé tellement plus moderne celui de José Valverde. La langue est moins châtiée. Des expressions communes, presque vulgaires, s’y glissent. Cela aurait été plus valable avec une mise en scène plus originale. Car en somme tout est bien dans ce spectacle, à part les réserves que j’ai faites, mais rien n’y sonne nouveau, rien n’y apparaît différent. C’est une bonne représentation CLASSIQUE poussée à la farce. Je crains un peu que la presse parisienne n’espère autre chose que cette exactitude.”
Faisons l’impasse sur une reprise au théâtre La Bruyère d’une pièce que Marcel Achard avait écrite “au temps où il n’était pas encore le porte-parole de la vulgarité française “VOULEZ VOUS JOUER AVEC MOA ?” par la compagnie Vollard-Rosny, mise en scène de Jacques Echantillon et arrivons tout de suite à ce spectacle sur lequel je n’avais rien écrit quand je l’avais vu en Avignon, parce que je n’étais pas en état d’avoir un jugement sain :
6 Novembre 1970 : “Hier soir à l’ATHENEE c’était la Générale du “ROI NU” d’Evguenei Schwartz, mise en scène de Christian Dente. Une grande et belle soirée, une mise en scène ingénieuse, et des décors marrants, et des costumes cocasses, et de l’invention dans les gags, et une troupe dans l’ensemble excellente. Pourtant, j’ai éprouvé comme une insatisfaction, et, ce qui est grave, je n’ai pas envie d’analyser pourquoi. Si ce n’était que Dente est un copain, et qu’il y a 99 chances sur 100 pour que je me retrouve organisateur de la tournée de cette affaire là, ce “ROI NU” ferait partie de la grisaille hivernale à mes yeux et déjà je serais sans doute en train de l’oublier.
Mais cette attitude est injuste. Le somme que j’ai piqué lors des premiers tableaux était peut-être dû au manque de rythme de l’ouvrage et de la présentation. Mais peut-être aussi à la digestion de mon dîner puisque, par mesure d’économie, j’avais bouffé avant.
Au vrai, cette charge contre l’absurdité des régimes totalitaires - dans laquelle paraît-il, Staline avait vu une attaque contre SA personne et son système, tandis que l’auteur affirmait avoir voulu stigmatiser Hitler - est, et je crois que cela explique en partie mon éloignement, transposée dans un univers d’opérette qui est grottesque, mais dont l’HORREUR est insuffisamment signifiée. Bien sûr, il est clair que sous la férule du féroce autocrate la tête des hommes, y compris celle des privilégiés du régime, ne tient aux corps que par des cous fragiles; mais; comment dire? cette TERREUR ne semble pas sérieuse. Est-ce la pièce? Est-ce l’adaptation de Soria? Est-ce la conception de Dente ? L’univers dans lequel j’ai baigné n’était pas grinçant. Je n’ai pas eu l’impression qu’il était dénoncé, condamné, que l’objet de la séance ait été de me rendre conscient d’une aberration. On me faisait trop baigner dans une atmosphère de fable. Dans l’irréalité. Les lumières étaient trop claires. On tendait trop à me faire rire. Les fantoches montrés étaient trop caricaturés. Bref c’était un poisson noyé. Schwartz, Soria ou Dente, je crois que c’est le dernier qui est responsable de ne pas avoir su interpréter, lire, ce que l’auteur avait volontairement - vu son contexte - masqué. Il ne fallait pas SERVIR, mais DEPASSER. Dente est, je le crains, resté au premier degré. Il a joué la charge FACILE. Alors, je me suis marré, j’ai passé, une fois le premier sommeil envolé, une plaisante soirée. Je n’ai pas éprouvé le souffle glacé de la mort, et je pense que, de ce fait, s’est créé un déséquilibre, qui a engendré en moi ce sentiment de “petite soirée” divertissante, qui est à l’origine de mon désintéressement, de mon insatisfaction. “HORRIBLE, HORRIBLE, HORRIBLE” a retenti en moi comme dans l’HAMLET de Jules Laforgue, point comme dans celui de Shakespeare. C’est dommage, il faudra un jour monter Schwartz vraiment”.
Pour l’anecdote, je dois raconter que depuis plusieurs années j’étais fournisseur de spectacles français pour un festival de Barcelone qui s’appelait le “Ciclo de Teatro Latino”. C’est un certain Xavier Regas, qui en était l’âme. Cet avocat avait fui sa Catalogne lorsque Franco avait pris le pouvoir au terme d’une terrible guerre civile, et s’était réfugié en France, mais lorsque les armées allemandes ont déferlé sur notre hexagone, il s’était dit que courber l’échine sous le poids d’une dictature, ou se faire humble sous celle de son pays, tout compte fait, il serait plutôt mieux chez lui. Or, c’est une curiosité mal connue de l’histoire. Il est arrivé que vers les années 1942, Franco offrit un marché aux exilés. Ils se présenteraient à la frontière. Ils purgeraient un jour de prison. Et puis ils seraient libérés, sous condition de ne pas faire de la politique.
Comment l’avais-je connu, je ne m’en souviens pas. En ce temps -à, l’Espagne était “UNA, GRANDE, LIBRE” (sic!), la langue Catalane était interdite, tous les spectacles se jouaient en Castillan mais Regas, qui était un fanatique de son idiome, avait obtenu du Pouvoir la permission de présenter une fois par an un spectacle dans cette langue, à condition qu’il soit noyé dans un contexte de latinité. En clair, cela voulait dire qu’il lui fallait inviter chaque année une troupe italienne et une troupe française. Je crois que c’est avec la Compagnie Fabbri qu’avait commencé une collaboration régulière qui allait le devenir d’autant plus que les contrats que je rédigeais l’étaient avec la Municipalité de Barcelone, mais après que j’eusse été payé en espèces (il y veillait de très près), on allait boire un café au bistrot du coin, et je lui passais sous la table une enveloppe avec 10% du pactole pour lui. Alors c’est comme ça que les Catalans ont fait la connaissance de Jacques Mauclair, de Jean-Marie Serreau, d’Edmond Tamiz, j’en passe. Les oeuvres passaient à la censure mais comme il s’agissait de jouer en français, ces Messieurs qui n’étaient semble-t-il pas très cultivés, n’étaient pas très regardants.
Encore que le système franquiste était particulièrement vicieux, parce qu’à la différence des Nazis qui accordaient ou refusaient les visas mais c’était une fois pour toutes - l’ordre venait de la tête et la petite visite que je rendais aux responsables locaux des Komandantur pendant l’occupation n’avaient qu’à vérifier que les pages du texte avaient bien toutes été tamponnées - , les censeurs de Madrid suggéraient au Gouverneur de la Province qui suggérait au Maire de la Ville qui suggérait au commissaire du quartier d’accorder l’autorisation. Ainsi la perversité s’était t’elle installée à tous les échelons de cette hiérarchie descendante et cela allait naturellement avec force pourboires grâce auxquels les permissions étaient toujours accordées.
J’avais proposé LE ROI NU pour le “Ciclo” de 1971 et le texte était passé sans problème à la censure soit que les lecteurs ne l’aient pas lu, soit qu’ils n’aient pas pensé que le tyran décrit puisse être interprété comme ressemblant au Généralissime. Cela a failli mal tourner quand le décor a été monté sur la scène du TEATRO ROMEA parce que Dente avait eu l’idée d’affubler le pays imaginaire dont il était question d’un drapeau qui était exactement aux couleurs de l’Espagne : Rouge Or et Rouge en bandes horizontales. Tollé général. Du coup le tyran décrit ne s’appelait plus Staline comme on l’avait généreusement annoncé pour faire passer la sauce, mais très clairement Franco. Dente faisait l’innocent. Il n’avait pas du tout, disait-il, pensé à cet aspect. Pour lui ces couleurs s’intégraient bien dans l’harmonie de son environnement. Il affirmait qu’il ne savait pas comment était le drapeau espagnol. Mais en même temps, il se refusait à enlever ces emblêmes qui ornaient notamment la barrière de la frontière. J’ai dû me fâcher et on a finalement joué en recouvrant de pendrillons noirs les couleurs coupables.
Mais cela a été la fin de cette collaboration avec Xavier Regas dont j’avais sans le vouloir mis en danger SON festival et même SA personne, qui, depuis 25 ans, s’était peu à peu affirmée à Barcelone comme un porte flambeau de la future Catalogne libérée du joug Castillan. Mais en 1971, Franco avait encore quatre années de pouvoir absolu devant lui.
Je ne sais plus si j’ai revu Regas ensuite. Il a maintenant son “mémorial” à Barcelone. Grâce à lui j’ai passé vers les années 55 / 60
des vacances merveilleuses à Rosas, chez un certain Duran qui était un très gros Monsieur, possesseur de trois restaurants réputés, dont un au Col du Perthuis, sur le trottoir espagnol de la rue dont l’autre bord est français. En ce temps-là, Rosas était à quelques encablures de Cadaquès (où résidait le célèbre Salvador Dali dont l’hommage à ce grand homme qu’était Franco avait fait grand bruit du côté de Montparnasse, un charmant village. La côte était à l’état vierge. C’était un véritable paradis naturel que les promoteurs allaient bientôt s’empresser de défigurer.
Mais trève de digressions
“18 Novembre 1970 - Jean Pierre Vincent revient à Sartrouville sous le chapeau du GRENIER de TOULOUSE avec une pièce de Goldoni :”LE MARQUIS DE MONTEFOSCO”. C’est une vraie chance pour Maurice Sarrazin, qui redorera avec ce spectacle le blason de son centre dramatique, car la réalisation de l’ex-collaborateur de Patrice Chéreau est absolument remarquable. Ex-collaborateur ou disciple, on peut hésiter tant les points communs sont frappants entre les deux compères: même goût de la matière et de la couleur donnant l’UNITÉ. Ici des teintes ocres pastellisées. Même principe des groupes humains qui se font et se recréent en tableaux réalistes harmonieusement composés. Même souci de prendre dans le texte son essence en refusant les traditions et en faisant ressortir par des gros plans JOUÉS ce qu’il semble important d’éclairer. Même rigueur dans la mise en place qui ne semble laisser aucune liberté aux acteurs quoique l’évidence des mouvements effectués éclate. Même refus de faire des effets avec l’électricité. Qu’on soit de nuit ou en plein jour, le plein feu crache sa lumière crue. Même cruauté du regard recréateur : nulle tendresse ne s’y lit pour quiconque. Et si les nobles y sont décrits vicieux, salauds et “liés”, les bourgeois possédants n’y sont pas plus récupérés pour autant que les paysans ultimes victimes.
Vous me direz que Goldoni l’a voulu ainsi. Certes, mais J.P. Vincent fait charger la jeune paysane au point qu’elle paraisse stupide. La “résistance” des métayers se résume à une histoire de canards prenant leurs ébats hors de leur basse-cour. Pourtant la leçon du spectacle est claire, nette, impitoyable, brechtienne, sans didactisme. La tranche de vie est montrée et cela suffit. Ici, J.P. Vincent se distingue de son Maître : il entend enseigner, MILITER positivement. On sait ce que je pense d’ordinaire de ces dénonciations d’une société morte au travers d’oeuvres classiques “relues”. Mais ici, la dénonciation en question est MAGISTRALE, EXEMPLAIRE. Le spectacle, en dépit de quelques longueurs n’est jamais ennuyeux tant le jaillissement constant de l’imagination le renourrit sans cesse. On rit, on s’amuse, mais pas à la manière du Dente du ROI NU en édulcorant le contenu. Chaque rire arraché est franc, mais ne lénifie en rien la portée voulue. Bref, c’est un spectacle ADULTE, dur, personnel, drôle, cependant, sans concession ni facilité, sans poudre aux yeux, de CLASSE. C’est un GRAND spectacle qui mérite une carrière. J’ai oublié hier soir mes exégèses sur les classiques replacés dans leurs contextes sociaux et rendus de ce fait signifiants pour nous. Ce n’est pas peu dire. Comme ce n’est pas peu dire le fait que Simone Turck soit BONNE à la tête de la troupe du GRENIER, quoiqu’évidemment, Hélène Vincent et Bénichou, ce soit autre chose.”
Le 19 Novembre
je suis allé à la Gaîté Montparnasse où j’ai vu “Chère Janet, cher Mister Kooling” avec Evelyne Ker et Jean Topart. Je me suis demandé en relisant mon compte rendu si je devais en faire bénéficier la postérité. C’est une pièce épistolaire dûe à un certain Stanley Eveling et mis en scène par Max Stafford Clarck du “Traverse Theatre Club” d’Edinburgh. Peut-être suis-je inculte, mais il ne me semble pas que cette oeuvre ait laissé beaucoup de traces dans les mémoires. Quoiqu’il en soit, voici une partie de mes réflexions :
“Je crois qu’on peut recevoir ce spectacle très britannique de deux manières. En disant que c’est bref, drôle , hors de toutes les préoccupations actuelles, inutile, boulevard au fond, mineur. Ou bien en se demandant si cette “non” pièce, qui refuse jusqu’au dialogue et dont le vide du contenu va jusqu’à la destruction à certains instants du langage, ne serait pas contestataire très profondément, c’est-à-dire contestataire au point de ne même plus l’être. Car il semble évident que l’auteur n’est pas un con, car visiblement son NON cri est un parti : n’insiste-t-il pas, d’ailleurs, sur le thème de l’impuissance ? Son sarcasme ne s’en prend t’il pas aux intelligences? Sa trame mélodramatique dérisoire n’est-elle pas en soi une critique ? Bref, je ne serais pas surpris que finalement ce spectacle figure dans les anthologies comme ayant signifié quelque chose... Mais est-ce que je ne me monte pas la tête ? Attendons que les penseurs professionnels aient rêvé.”
commentaire a posteriori : il ne semble pas qu’ils aient rêvé.
20.11 : “LA MÈRE de Witkiewicz, présenté au Récamier par la compagnie Renaud - Barrault dans une mise en scène sans doute trop sage, mais exacte, nette, professionnelle, de Claude Régy , c’est d’abord un TEXTE. Et vous me direz tout ce que vous voudrez, il n’y a que ça de vrai.
C’est un texte qui date des années 30, quoique l’oeuvre n’ait été jouée qu’en 1964 à CRACOVIE. Une fois de plus je suis frappé par la prodigieuse actualité des oeuvres écrites à cette époque-là. Je dis toujours qu’on ne tape pas assez dans le répertoire de ce début d’entre-deux guerres qui fut plus lucide, contestataire, virulent, violent que tous nos montages collectifs d’après Mai 68. Musil, Töller, Gombrowicz, Brecht (ne l’oublions pas), ces hommes qui ont connu l’exaltation de la révolution Russe, puis la déception du bureaucratisme Stalinien, ont pondu des pièces dont le parfum fleure le vrai, l’authentique.
Witkiewicz est regardé par les Polonais d’aujourd’hui comme le plus grand phénomène artistique polonais de la première moitié du XXème siècle. On le tient pour le maître, l’inspirateur de Gombrowicz, Mrozek et quelques autres. Il est vrai qu’il a eu la bonne idée de se suicider en 1939. Ainsi n’eut-il pas à choisir pour ou contre le communisme en Pologne en 1945. Sans quoi, il eût sans doute émigré, car il n’aurait sans doute pas supporté la “dictature du prolétariat”.
S’exprimant pas la bouche de LÉON, (le personnage de LA MÈRE incarné par Michel Lonsdale,) il stigmatise le collectivisme, l’homme groupé, enrégimenté, désindividualisé, esclave du machinisme, mécanisé. L’homme paumé ne peut trouver la joie que dans la drogue. Alors il se sent bien, momentanément, mais il retombe, et la chute est rude, au fond du puit dont il ne trouve pas l’issue. Elle existe pourtant cette porte vers le printemps perpétuel, mais Léon (l’auteur) n’en n’accepte pas le chemin. Et sa mère meurt avant, tuée par une vie embrumée d’alcool, les yeux détruits par une interminable séance de tricotage refuge, ayant cherché une autre évasion dans une hypothétique folie, tandis que Léon et son épouse sombraient dans la perversion sexuelle.
Oeuvre pessimiste, négative, mais sujet de réflexion, oeuvre forte, baignée d’irrationnel, à l’atmosphère surréalisante. Maître ou pas de Gombrowicz, on songe à ce dernier et on peut se demander si Claude Régy a bien été l’homme de ce texte. Il y a dans cette mise en scène - où chacun joue admirablement, avec une mention spéciale à Juliette Brac qui est étonnante - quelque chose que je qualifierai de mou.
Dispositif et mise en place ne sont pas conformes au texte écrit et ont un relent de gratuit, encore que la rigueur fasse tout passer. En fait je ne suis pas très capable de définir ce qui ne va pas, car à vrai dire, ça va. Mais Lavelli dans YVONNE, c’était autre chose.
Reste le problème de fond : je comprends cette terreur des “hommes de qualité” face à l’égalitarisme communiste. Je comprends leur cri de désespoir. Quand Léon dit (en l’espèce) que c’est de SA vie qu’il s’agit, je comprends bien qu’il ne juge pas valable de la sacrifier pour une éventuelle réhumanisation de l’homme promu dans plusieurs générations privées de LIBERTÉS FORMELLES. L’aspect “fourmis” contesté n’est pourtant - que ne l’ont-ils compris, et pourquoi tant de gens ne le comprennent-ils pas encore aujourd’hui ? - qu’une vision au premier degré. L’autre vision, c’est que l’homme doit faire un immense travail sur lui-même pour changer ses structures mentales actuellement aliénées par le SYSTÈME. Ce travail ne pourra - sans utopie - être mené à bien que par un bon siècle de DICTATURE DURE. Sans quoi les profiteurs qui croient ( mais eux aussi se trompent) avoir intérêt au maintien de l’ordre des choses veilleront à ce que l’évolution soit contrariée, voire stoppée. C’est une question de foi, mais si on croit en cette FIN meilleure, je crois qu’il faut en accepter les MOYENS, et même les RISQUES. Il s’agit d’une mutation au terme de laquelle l’homme peut sortir transformé au terme d’un chemin qu’il aura LUI-MÊME TRACÉ. DE TOUTE MANIÈRE C’EST SA SEULE CHANCE. A MOINS QUE VOUS NE SOYEZ SATISFAITS DU MONDE DANS LEQUEL VOUS VIVEZ. Qui vous dit au surplus que vous ne vous sentiriez pas LIBRES et HEUREUX pendant la phase de construction du Communisme ? Seuls, à mon sens, s’y sentiront dans un carcan ceux qui ont à perdre quelque chose de matériel, argent, terre, puissance. Car au bout du tunnel c’est la VRAIE LIBERTÉ de l’homme LIBÉRÉ des contraintes ataviques qui surgira. L’expérience vaut d’être tentée et je ne pense pas que l’homme ait le choix.
L’oeuvre de Witkiewicz pèche à mes yeux par AVEUGLEMENT. Elle est à sa place chez les Renaud-Barrault, montée par le bourgeois Claude Régy. Elle fait partie de la tâche d’endoctrinement menée par la Vème République pour décourager ceux qui voudraient engager leur pays et le monde sur la voie de la NAISSANCE (car je ne puis écrire “renaissance”) . Je crois que l’HOMME n’est point NÉ et qu’il a besoin du ventre de la dictature du Prolétariat pour s’accoucher!
C’est donc un spectacle POLITIQUE profondément, mais politique RÉACTIONNAIRE.
Mieux vaut cependant une telle opération que les déprimantes démissions auto-censurées auxquelles j’assiste quotidiennement. Car il s’agit du fond du problème, et de toute manière une opinion exprimée sur le fond du problème est utile si elle peut amener des spectateurs à se poser la question. Il faut donc complimenter la Compagnie de ce choix.
Revenant à la mise en scène, il me vient que peut être le sentiment de gratuité que j’ai éprouvé pourrait être dû au fait que Régy a eu le souci de monter “moderne” une oeuvre qui n’a pas été écrite ainsi. Il a voulu du vertical des acteurs dans la salle, une déstructuration du rapport scène-salle. Tout cela est plaqué sur un texte conçu pour être joué “éloigné” derrière le cadre à l’italienne.
Je ne sais pas, mais il se peut que ce sacrifice à la mode du jour ait été à l’origine du malaise éprouvé.
Reste que la pièce passe. Après tout, c’est l’essentiel”.
Où EN SUIS-JE POLITIQUEMENT À CE MOMENT LÀ?
Je ne peux pas laisser passer ce compte rendu sans le commenter 35 ans plus tard, alors qu’il est clair que les “lendemains qui chantent” sont pour l’instant derrière l’humanité.
Je persiste et signe: il y a eu un assassin historique. Il s’appelle Khroutchev. Le jour où, au XXème Congrès, il a démystifié Staline, il a tué la seule chance qui était offerte à l’Homme de se promouvoir différent par lui-même. Entendez moi : je ne nie pas que Staline fut un autocrate cruel, qu’il eût des millions de morts sur la conscience, que le culte de la personnalité l’ait aveuglé. Mais le personnage avait été dépassé dans l’imaginaire des déshérités de cette terre par l’image qu’il représentait, celle du rêve d’un “petit père des peuples”, et peu importait en vérité ce qu’il était. Il incarnait une idée, celle de la dictature du prolétariat, impitoyable (on le savait) , à la Russe, que voulez vous? (rappelez vous PIERRE LE GRAND), et il ne cachait pas qu’il devrait y avoir encore deux ou trois générations de “travailleurs acharnés” pour arriver à ce fameux lendemain merveilleux Comprenez bien ce que je dis à travers le mot “travailleur”; Il était question d’un travail de chacun sur soi-même, pas forcément à son propre profit, mais à celui de ses enfants, petits enfants et arrière petits enfants de manière à ce que de fil en aiguille soient oubliées des habitudes inculquées par les religions, et notamment celle de l’argent ROI. Maintenant,de toute manière, un tel discours ne peut être que celui d’un vieux con. “Enrichissez vous” (si vous pouvez ... car sous Guizot il y avait moins d’entraves). Le rêve communiste est devenu objet de mépris! Beurk! Eh bien c’est dommage. Et le vieux con que je revendique d’être maintient son opinion.
Vous avez le droit de m’objecter : toi, qui cause si bien, est ce que tu aurais su être partie prenante d’ un certain renoncement à la qualité de vie que t’octroyait ton appartenance à la classe petite bourgeoise, pour que peut-être dans cent ans, ou dans deux cent ans le monde soit plus humain? Quand j’avais 20 ans, je crois que j’aurais répondu oui. Mais à l’époque je n’étais pas encore un petit bourgeois et la fable du “lapin et les chameaux” n’a cessée depuis de me poursuivre ...
Naturellement le compte rendu ci-dessous est un peu triste après ce que je viens d’écrire :
21.XI - C’est mêlé au pubilc populaire inconditionnel du THEATRE DE LA COMMUNE d’AUBERVILLIERS que j’ai assisté à une représentation d’”HOMME POUR HOMME” de Brecht, qui devait être quelque chose comme la 30ème. Aucune personnalité dans la salle. Moi-même, j’étais arrivé discrètement à 20h30 précises et j’étais indétectable du plateau, ayant dû me contenter d’une place tout au fond.
J’ai donc eu droit de la part des acteurs à une démonstration de NON CONCIENCE PROFESSIONNELLE scandaleuse : a-rythmie, molasse, ton en dessous, exécution sans conviction des mouvements, seulement indiqués pour éviter la fatigue. J’ai eu le sentiment d’être méprisé, et je me suis fait réflexion qu’eussé-je été un néophyte venu au théâtre pour la première fois, on ne m’y reprendrait plus. Rassurez-vous, les empopularisés qui peuplaient les lieux ont vigoureusement applaudi en cadence à la fin pour récompenser le non-effort des artistes, tant est amenuisé leur sens critique.
Reste que l’ennui mortel qui se dégageait de ce spectacle ne devait pas être dû uniquement à ce laisser-aller. Il semble que Rosner, dans sa lecture de l’oeuvre, ait oublié que Brecht l’avait baptisée “Lustspiel” ce qui veut dire en mot à mot “Joyeux Jeu” , autrement dit “FARCE”.
En fait de farce, tout est joué sérieusement, dramatisé, alourdi, cela pèse cent tonnes. On a didactisé suprêmement là où la leçon coulait de source dans la gaîté! On a dépoètisé, asséché, ralenti. Montre en main, cet HOMME POUR HOMME-là dure 3 heures alors que celui de Serreau, si ma mémoire est bonne, devait faire dans les 2h10. Bref, je ne vois qu’une explication à ce consternant ensemble : Rosner et ses acteurs ont dû se dire qu’il fallait définitivement éliminer Brecht du marché. Car ils ont tout fait pour en dégoûter les masses.
Plus grave, en otant de l’oeuvre son aspect comique, ils en ont supprimé le côté grinçant, et le résultat est qu’on arrive à un exposé à la gloire des armées britanniques aux Indes. Je vous le jure: il faut le voir pour le croire. C’est un spectacle militariste... Ô mânes de Brecht!
Dirais-je encore que parmi ces acteurs criminels se détachent, plus excécrables que les autres, Judith Magre (une Begbick absente et qui chante d’une voix faible, disgracieuse et tremblante les célèbres Songs) François Perrot (en Quinte de sang, complète erreur de distribution) Jean Brassat (en Polly, tous ses défauts dehors). Virlogeux en Galy Gay aurait pu être pas mal, mais il participe de l’ambiance générale.
Quant à Emilfork en Bonze, c’est un choix au premier degré, mais enfin c’est Emilfork égal à soi-même avec tout ce que cela implique.
Ô la triste soirée!”
EN CE TEMPS LÀ LA CENSURE SAVAIT S’EXERCER AU GRAND JOUR.
Voici, l’histoire du théâtre de Chelles ...
Cela commence très bien : pas de problème à l’horizon
22.XI - Une troupe insuffisante et pratiquement qualifiable d’amateurs, un rythme défectueux à la fois par la faute de noirs trop longs entre certains tableaux, et par une incapacité des dits-acteurs à tenir le mouvement ... et pourtant le GERMINAL de Philippe Dauchez d’après Zola est un bon spectacle. Je ne regrette pas de m’être imposé 20 minutes d’un train de banlieue sordide et bondé + près de trois quart d’heure d’errance dans la bruine à l’intérieur d’une localité où nul, sauf un prolétaire saoûl ne semblait avoir ouï causer d’un centre culturel!
Car d’abord cette représentation a le mérite d’être politique. Vous me direz que Zola ne date pas d’hier mais d’avant hier, certes, mais son propos est d’AUJOURD’HUI. Disons qu’en suivant l’excellent découpage de Dauchez, on mesure que la classe ouvrière a tout de même conquis une certaine amélioration de son sort depuis la fin du XIXème siècle.
Mais le problème de fond est posé: lutte pour les 10 sous ou révolution violente.
Justement avec le recul on se rend compte à quel point la première option est fondamentalement pernicieuse en ce qu’elle pousse le prolétariat à conquérir les avantages de la classe bourgeoise, somme toutes à DEVENIR bourgeoise. La lucidité de Zola montrait ainsi comment, même à travers ses défaites, la bourgeoisie est gagnante. GERMINAL est aussi ACTUEL, aussi MILITANT, aussi UTILE que l’EMBALLAGE de Benedetto et les deux spectacles ne sont d’ailleurs pas sans parenté.
Au niveau de la mise en scène, Dauchez est très influencé par le LIVING THEATRE, et toutes sortes de réminiscences diverses surgissent au fil de son montage. Il n’a pas encore digéré toutes ces découvertes. Il est vrai que de Firminy à Chelles elles doivent paraître encore exotiques. Lui aussi a son stromboscope dont il se sert fort bien quoiqu’ un peu beaucoup à mon gré: il doit falloir justifier le prix de cet engin onéreux.
Mais les bonnes idées fourmillent. RIEN n’est réellement gratuit. L’efficacité est certaine. Avec de petits moyens, les espaces scéniques, l’un réservé aux exploiteurs, l’autre aux exploités sont remarquablement suggérés. On suit deux heures durant sans entr’acte le fil de l’intrigue et l’ennui ne perce jamais en dépit des imperfections relatées.
Et puis il n’était pas aisé de résumer pour la scène le monument de Zola. Or je n’ai pas éprouvé la sensation de digest quoique certains chapitres soient ramenés à des raccourcis de 30 secondes. L’aspect “terre nourricière et régénératrice” a été un peu négligé au profit de la seule lutte sociale. Il fournit seulement le thème de l’envolée finale. Mais l’ensemble est fidèle, fort ... et somme toute courageux en cette cité U.D.R. qu’est Chelles.
Emile Copfermann qui s’était dérangé et m’a au retour ramené jusqu’au Château de Vincennes affichait une sincère satisfaction.”
Cet article requiert quelques éclaircissements : Philippe Dauchez (dont je doute que qui que ce soit se souvienne aujourd’hui) avait été directeur de l’étrange Maison de la Culture de Firminy, construite par Le Corbusier, et qui avait pour caractéristique de n’offrir aucun espace au théâtre. Il avait présenté son GERMINAL à Chelles (le théâtre est place des Martyrs de Chateaubriant)
on pouvait donc penser que ce lieu était ouvert à un certain non conformisme politique. Hélas ...
21.XII1970 - La France est un grand pays LIBRE, mais ce qui arrive à Gérard Gélas dans ce temple subtil doit être consigné : une ville de banlieue, CHELLES, RIEN en somme, a interdit le spectacle du théâtre du Chêne Noir “ OPERATION” parce qu’il pourrait (je cite) “éventuellement troubler l’ordre public”. C’est le DROIT du maire que d’en user ainsi. Si le pouvoir central voulait le fustiger , il serait COUPABLE au nom du droit des communes!
La troupe, qui a joué 66 fois sans incident, est avisée verbalement cinq jours avant de jouer et par lettre la veille. On ne lui a même pas offert une indemnité. Elle n’a qu’à se soumettre, et au besoin crever.
Un meeting est organisé par le directeur du CENTRE CULTUREL POPULAIRE. à la place de la représentation. Il attire 150 personnes dont une moitié de gauchistes et une de “fidèles abonnés”. La municipalité qui a pris l’initiative n’y dépêche aucun émissaire. Le Conseil d’administration du Centre est totalement absent. 3 ou 4 “en bourgeois” sont là qui écoutent ce qui se dit sans même prendre de notes. Pas de flic dehors. La censure est affaire de pure routine. Parce que, j’insiste : LE MONDE relate l’aventure en un papier de 30 lignes “objectif” et prudent. Lucien Attoun insiste pour qu”ON” ne fasse pas de bruit autour de l’affaire. Il pense à l’avenir de la troupe.
Le week-end se passe, et le théâtre de Nancy “renonce au spectacle... le contrat étant arrivé trop tard” ! Celui de Louvain (en Belgique) y renonce aussi “la subvention étant refusée”. On sait que Gelas est “déconseillé à l’exportation” par les inspecteurs généraux.
Au même moment, Chaban Delmas inaugurant le centre culturel de Saint Médard en Jalles dans sa Gironde, explique que ceux qui veulent politiser la culture sont des pouacres et des dégoûtants! Aucun lien bien sûr. Pourtant le Maire de Chelles est U.D.R. Existe-t-il des circulaires secrètes visant à étouffer dans l’oeuf certains cris malsonnants, notamment JEUNES ? On pourrait se le demander.
Pourtant Gelas est subventionné. 5.000 Francs que lui a donné l’Etat. Pour de l’ambiguïté, c’est de l’ambiguïté, non ? et c’est malin, touchant une équipe CONTESTABLE dans son spectacle dont l’impact politique est MEDIOCRE! Mais le phénomène CENSURE aura joué, et si elle veut toucher son cachet, elle devra utiliser les voies juridiques d’un système qu’elle réprouve. Ainsi sera-t-elle enfermée dans une contradiction. Vraiment, c’est bien empaqueté. Si j’étais Gelas, je me dépêcherais de monter LE MALADE IMAGINAIRE ...”
Intéressant, non ? Je transcris cet article un samedi de Mai 2003 alors que la décentralisation, que dis-je, la “déconcentration” est l’essentielle préoccupation du gouvernement momentanément actuel. Le théâtre va donc être laissé à l’appréciation des petits chefs locaux. Comment ne pas frémir ?
Ajoutons que le spectacle ne méritait pas, à mes yeux, tant d’honneur : je l’avais vu en Avignon et il avait été invité par André Louis Périnetti à la Cité Universitaire à Paris. Voici quel avait été mon compte-rendu :
“Je ne crois pas que l’idée ait été bonne de faire venir Gelas à la Cité Universitaire.
Lorsque j’avais vu OPERATION cet été en Avignon, j’avais remarqué que sur la scène il ne se passait pas grand chose, que le texte n’était pas terrible, que les “signes du cérémonial montré étaient trop ésotériques pour être populaires. Mais dans la petite salle du CHÊNE NOIR , l’apport musical inestimable aidant, j’avais été au sens propre du mot ENVOUTÉ.
Or, dans la grande salle de la Cité U dont nous connaissons l’ingratitude, le phénomène ne joue plus de la même façon, malgré un potentiomètre poussé au maximum. La musique reste le grand élément positif du spectacle: cette improvisation est très remarquable.
Mais dans ce grand cadre, le RITUEL un peu lent, confus, prend de l’importance et l’ensemble ne passe pas très convainquant. Ca fait “jeune”, pas très élaboré, pas très mûr, finalement guère agressif, pas “agitateur”, trop esthétisé pour être vraiment politique, pêt de braves petits mécontents de province qui ne savent qu’inventer pour se faire remarquer mais ne dérangent en rien les assistants. Les “prises de position” affichées à la porte, l’ordre formel et appliqué de ne laisser entrer aucun retardataire, un certain genre de vie selon lequel la troupe se réunit dès la fin de la représentation pour discuter “entre soi” au moment où les visiteurs se pointent font un brin prétentieux. Ces moufflets ne se prennent sûrement pas pour de la merde de linotte et ils ont l’assurance de soi un peu trop voyante.
Reste que c’est quand même très bien replacé dans le contexte d’une équipe toute fraîche émoulue des rives duRhône et surtout PROMETTEUSE “
J’ai été triste, plus tard, de découvrir que Gelas, devenu directeur d’un théâtre permanent d’Avignon, s’était assagi. il s’est mis peu à peu à y programmer des choses de bonne tenue, mais pas dangereuses. Le Théâtre du Chêne noir fait aujourd’hui partie de l’institution avec la caution fidèle d’une municipalité de droite
RETOUR à la ROUTINE
Le théâtre de Plaisance, comme beaucoup d’autres petits lieux créatifs parisiens a disparu. c’est là que j’étais le ...
26.XI - En ai-je vu durant ma vie déjà longue des UBU ROI petits et gros, filiformes et laids, signifiants contestataires ou esthétisés, divertissants ou stylisés, révolutionnaires ou mystifiants, en français, en arabe, en tchèque, en serbo-croate ou en jargon hispano-gaulois. C’est que l’oeuvre de Jarry est une proposition suffisamment floue pour qu’un metteur en scène y voie et y projette SES préoccupations au travers d’un spectacle qui de toute manière sera mouvementé, vivant, choquant, agressif. En somme, je n’ai jamais vu quelqu’un monter UBU ROI avec l’authentique souci de SERVIR Jarry. Or, c’est peut-être ce qu’a voulu faire Letiec dans la version qu’il donne au théâtre de Plaisance sous le pseudonyme de Guénolé AZERTHIOPE et le label du PHENOMENAL THEATRE. En tout cas il n’a pas mélangé les Ubus comme d’autres les Oedipes. Il a présenté l’ouvrage tel qu’il fut écrit, avec quelques coupures, et peut-être est-ce pour cela que l’ANECDOTE contée m’a pour la première fois paru claire.
Quant au contenu de cette pièce, il laisse chacun libre d’y voir ce qu’il désire.
Le Tiec prend le parti d’estimer que ce C0NTENU est creux, vide, pure spéculation, (je n’invente pas : il l’explique dans le programme) et de JOUER LE CONTENANT. Non seulement ce n’est point sot et sans doute est-ce honnête, mais c’est EFFICACE : la troupe s’en donne à coeur joie, active, drôle, submergeante. Des projections en contre-point ajoutent au spectaculaire. Si le CONTENU est vide, par contre le plateau est plein d’un mouvement sans répit, d’une liberté dynamique... Quand je dis “le plateau”, c’est une façon de parler, car Le Tiec a tracé autour des spectateurs des itinéraires submergeants. L’équipe technique (à vue si on se retourne) fait ses commentaires à haute voix, pas toujours de bon goût : c’est un peu vulgaire comme le sont les acteurs eux-même et spécialement la mère Ubu ... mais qu’importe ?
Le spectacle finit en apothéose par l’aspersion des spectateurs dont certains jouissent de parapluies protecteurs, mais pas tous! On passe sur cette concession à la provocation bon enfant au titre de la gratuité de ses motivations.
Finalement, somme toute, ce refus de se servir d’UBU ROI comme généralement aux fins d’avoir l’air courageux sans danger revient à jouer la RECUPERATION de Jarry. C’est en quoi cet UBU est l’anti-Barrault qui, lui, tente pathétiquement de faire croire le contraire. C’est une démarche de REFUS DE JOUER LE JEU qui comporte peut-être son ferment.
Quoique cela n’ait aucun rapport, cela a une parenté avec ce que je détectais déjà ailleurs dans d’autres non propositions : il y a peut-être là une ligne de force qui aboutira un jour au NON THEATRE sur une NON SCÈNE comme d’autres ont abouti au carré blanc sur fond blanc en peinture. A suivre”
AUTOMNE 1970
Edmond Michelet qui, quoique de droite, était un ministre suscitant quelques espoirs, meurt le 9 Octobre 1970. Jacques Chaban-Delmas, premier ministre nomme le 19 André Béthencourt “ministre des affaires culturelles, chargé d’interim” (sic)
Je n’ai pas la date précise du premier vrai compte-rendu de cette rentrée, mais le voici :
“ OCTOBRE A ANGOULÊME” , à la Cité Internationale, n’est pas innovateur sur le plan du rapport scène - salle, encore que l’aspect “comédie musicale” voire “opérette” voulu par André Louis Périnetti, fasse qu’automatiquement entre les scènes jouées l’on s’y adresse à moi en direct. Les recettes sont vieilles mais, adaptées à un thème jeune, en sortent toutes revigorées. Curieusement la forme désuète paraît fraîche tant on a besoin dans un théâtre qui se traîne de rythme, de vie, de tourbillon en somme. DIRE ce qu’il a à DIRE tout en faisant RIRE, voilà ce que réussit Périnetti avec le texte de Thévenin. Je ne pense pas, au contraire, que le contenu soit trahi par la forme “enlevée” ni édulcoré, ou rendu illusoire.
Pratiquant leur méthode habituelle, les défenseurs secrets du système politique que nous vivons déclarent que ce contenu est enfantin, primaire, que tout le monde sait ces choses-là et qu’il est inutile de les répéter.
Ma démarche de l’été ayant été d’entrer en guerre contre l’ésotérisme de classe et le second degré des privilégiés, j’approuve pleinement ce parti de simplicité, de sarcasme franc et massif contre ce qui doit être dénoncé ET NE LE SERA JAMAIS ASSEZ!
N’en déplaise aux intellectuels de gauche, les mêmes qui traitent René Ehni de fasciste, la légèreté du spectacle fait passer une sauce grave et poivrée, et son primarisme est le premier qui sur une scène de théâtre dise clairement ce qu’il y a lieu de penser de la lumineuse Union Soviétique, la grande Prolétarie embourgeoisée qui ne se soucie plus de révolutions encombrantes.
La charge est cruelle, qui montre ses dirigeants enfermés dans leurs souvenirs minables et leur ivrognerie. L’idée de la SAINTE GRÈVE COMMÉMORATIVE n’est certes pas pour plaire aux Cégétistes. Mais ces choses sont à dénoncer, et elles le seront de plus en plus. Il y a malhonnêteté à rejeter à droite ceux qui dénoncent les errements communistes. L’AUTOCRITIQUE est une des règles les plus fondamentales de cette philosophie DIALECTIQUE. Retour aux sources, Messieurs ès satisfaits, et cessez de vous plaindre, vous qui participez avec les bourgeois à des débats à la TV ou sur EUROPE 1.
Gai, enlevé, sain, joyeux, OCTOBRE à ANGOULÊME est un acte politique qui montre à une jeunesse avide d’une autre vie qu’elle n’a rien à espérer de ses vieux maîtres devenus décadents.
Est-ce un tel lieu commun de le dire ?
Faut-il vraiment le taire?
Je ne le pense pas.”
pour la petite histoire, il faut se rappeler que le pouvoir Gaulliste n’avait pas pardonné à Barrault d’avoir laissé les hordes de “révolutionnaires” de Mai 1968 envahir le théâtre de l’Odéon, et surtout, alors qu’il ne le faisait sans doute que pour protéger son outil, d’avoir feint d’être solidaire avec eux. Démis de son mandat, il s’était donc retrouvé rejeté dans le secteur privé... Ce n’est pas pour autant que j’allais être indulgent :
29 Octobre : “JARRY SUR LA BUTTE, spectacle de Jean Louis Barrault à l’Elysée Montmartre
“Que c’est riche
“Que c’est luxueux
“Que c’est brillant
“Que c’est beau
“Que c’est commercial
“et pourtant quel ennui par moments, quel sentiment de bâtardise, quelle impression de porte à-faux... Comme le titre le laisse entendre, c’est, semblable au RABELAIS, un montage sentimentalo-didactique. La TV scolaire pourrait en proposer de semblables moins le clinquant. On prend l’oeuvre globale d’un Monsieur, on en fait une salade russe, et il faut que ça mousse, Nom de Dieu, c’est KULTUREL! C’est KULTIVÉ! ... ET C’EST MÊME UN BRIN KONTESTATAIRE!
Dans Hugo, dans Villon, dans Rousseau, dans Aristophane, on trouverait aussi de quoi alimenter de tels spectacles “jeunes et dynamiques, émouvants et nostalgiques”. C’est un truc de démission. Barrault n’a-t-il plus en carton de pièces à monter ? Je suis irrité par cette spécialisation qui ne donne, ne peut que donner des Reader Digests au théâtre.
Cela dit le principe étant ainsi déploré, il faut reconnaître que le spectacle est vigoureux, animé, beau à regarder (Jacques Noël a fait des costumes magnifiques) avec des moments où on est pris. Jarry sort un brin vieillot de l’aventure, c’est dommage pour le souvenir qu’on en a. Sans doute le destructeur de la société des débuts du XXème siècle, ne se serait-il pas exprimé de la même façon aujourd’hui. L’audace de Barrault vieilli s’arrête sans doute à l’âge où Jarry n’effrayait plus les bourgeois. Fort bien joué, le spectacle se veut moderne, avec un abus de flaschs éblouissants. Je suis sûr qu’un jour, à force de surenchérir sur le psychédélisme, un génie des lumières réussira à aveugler une salle. Une innovation : la nudité recréée par le costume! c’est original et valable, sans doute érotique. Je me demande si ceux qui ne connaissent pas Jarry s’y retrouveraient dans ce salmigondi. A l’évidence, cela s’adresse à l’élite.
Est-ce que ça marchera? Barrault courant après sa jeunesse réussira-t-il à imposer SA révolte qui n’a pas mué depuis les années 35? A quel public ? S’il n’était une vedette, son spectacle serait-il pris en considération?
Jacques Alric est remarquable en Père Ubu, Michel de Ré en Empereur Claude trimbale une nonchalance pleine de grâce d’un bout à l’autre de cette “non” pièce.
A noter que l’Elysée Montmartre a été transformé et qu’il ne comporte plus de mauvaise place. Tant mieux pour les catcheurs. La richesse de Jean Louis, “qui n’est plus pauvre” aura servi à quelque chose!”
“30.X.1970 - Ouverture du T.G.P. avec LA LOCANDIERA. C’était une première publique avec spectateurs Dyonisiens presqu’ exclusivement. J’ai repéré dans la salle d’authentiques prolétaires. José Valverde s’est efforcé de donner à la représentation un environnement. Au foyer, il y a une exposition d’art cinétique. Dès l’entrée, les gens sont baignés dans une atmosphère de foire époque Goldoni. Un gars jongle avec des torches allumées, un autre avec je ne sais quoi. Micheline Uzan vend des oranges à la criée. Les comédiens accueillent le public, lui ouvrent les portes de la salle, et, pendant qu’il s’installe, lui offrent un pré-spectacle de Commedia dell’ Arte très conventionnel, mais fort bien enlevé, avec musique, sketchs etc... C’est gai, vivant, c’est la FÊTE. Peut-être est-ce un peu trop construit. On dirait déjà le spectacle et dans cette hypothèse, c’est trop long. Car le public n’entre pas à petit feu, mais d’un bloc. Il s’asseoit, regarde, écoute.Pour lui, c’est COMMENCÉ. Cependant comme naguère dans l’ARLEQUIN d’Edmond Tamiz, les acteurs se griment sur la scène. Le lieu de l’action est dissimulé par un rideau du type de ceux qu’on s’est habitué à appeler “brechtien”. Quand LA LOCANDIERA débute, on constate que l’action se déroule sur un pratiquable incliné en verre translucide, éclairé par en dessous. Les meubles, en harmonie avec cet élément de base, seront seuls à signifier les changements de lieux. Un cyclo blanc, très loin, achève de donner à l’ensemble une luminosité qui, à elle seule, montre l’esprit du propos de Valverde : il veut divertir, faire rire. A l’occasion, le contenu de l’oeuvre sera enseignement pour qui le voudra bien. Mais aucun didactisme apparent ne semble préoccuper le metteur en scène. Aussi les personnages caricaturés décrits par Goldoni sont ils joués à la charge. Je crois qu’il y aura intérêt au fil des représentations à gommer un peu car les acteurs ont beau être excellents, ils me donnent pourtant l’impression d’en faire un peu trop. Seul Descazes en Fabrice, m’a paru très juste, nourri de l’intérieur , solide comme un paysan. LUI porte en soi un réel contenu social. Les autres dépassent la mesure, ce qui ne les empêche pas, je le répète, d’être très biens, surtout DeGeorgi qui campe le chevalier en vieux garçon aigri avec un parti très convainquant. Seule Micheline Uzan est médiocre. C’est étrange car je sais bien quelle actrice ellest, bête de théâtre jusqu’au bout des ongles. Mais son jeu, poussé lui aussi, ne se distingue pas assez de celui des pantins que son personnage veut mystifier. Je ne sens pas en elle LA PATRONNE dont l’humilité face aux petits “grands” qu’elle héberge, n’est que feinte.. Sa gouaille presque clownesque, et que j’ai vue pathétique, confine ici à la vulgarité. Et puis, elle n’est pas belle : elle est trop petite pour le rôle, et -ô quelles idées avez-vous parfois, metteurs en scène - elle est affublée d’une perruque cendrée frisée sous laquelle ses mimiques semblent grimaces. Cette perruque était d’ailleurs hier l’objet d’une scène de ménage entre les époux Valverde et j’espère que José saura ne pas faire de son erreur une question d’honneur. Entendons bien cependant que le choix de Micheline Uzan pour ce rôle était sans doute une fausse bonne idée. Mais bien sûr, cette critique se situe à un niveau de qualité élevé. Et sachons bien que Micheline Uzan, quand elle se sera libérée sera quand même très acceptable.
J’avais toujours entendu LA LOCANDIERA dans le texte de Michel Arnaud. Je n’ai pas trouvé tellement plus moderne celui de José Valverde. La langue est moins châtiée. Des expressions communes, presque vulgaires, s’y glissent. Cela aurait été plus valable avec une mise en scène plus originale. Car en somme tout est bien dans ce spectacle, à part les réserves que j’ai faites, mais rien n’y sonne nouveau, rien n’y apparaît différent. C’est une bonne représentation CLASSIQUE poussée à la farce. Je crains un peu que la presse parisienne n’espère autre chose que cette exactitude.”
Faisons l’impasse sur une reprise au théâtre La Bruyère d’une pièce que Marcel Achard avait écrite “au temps où il n’était pas encore le porte-parole de la vulgarité française “VOULEZ VOUS JOUER AVEC MOA ?” par la compagnie Vollard-Rosny, mise en scène de Jacques Echantillon et arrivons tout de suite à ce spectacle sur lequel je n’avais rien écrit quand je l’avais vu en Avignon, parce que je n’étais pas en état d’avoir un jugement sain :
6 Novembre 1970 : “Hier soir à l’ATHENEE c’était la Générale du “ROI NU” d’Evguenei Schwartz, mise en scène de Christian Dente. Une grande et belle soirée, une mise en scène ingénieuse, et des décors marrants, et des costumes cocasses, et de l’invention dans les gags, et une troupe dans l’ensemble excellente. Pourtant, j’ai éprouvé comme une insatisfaction, et, ce qui est grave, je n’ai pas envie d’analyser pourquoi. Si ce n’était que Dente est un copain, et qu’il y a 99 chances sur 100 pour que je me retrouve organisateur de la tournée de cette affaire là, ce “ROI NU” ferait partie de la grisaille hivernale à mes yeux et déjà je serais sans doute en train de l’oublier.
Mais cette attitude est injuste. Le somme que j’ai piqué lors des premiers tableaux était peut-être dû au manque de rythme de l’ouvrage et de la présentation. Mais peut-être aussi à la digestion de mon dîner puisque, par mesure d’économie, j’avais bouffé avant.
Au vrai, cette charge contre l’absurdité des régimes totalitaires - dans laquelle paraît-il, Staline avait vu une attaque contre SA personne et son système, tandis que l’auteur affirmait avoir voulu stigmatiser Hitler - est, et je crois que cela explique en partie mon éloignement, transposée dans un univers d’opérette qui est grottesque, mais dont l’HORREUR est insuffisamment signifiée. Bien sûr, il est clair que sous la férule du féroce autocrate la tête des hommes, y compris celle des privilégiés du régime, ne tient aux corps que par des cous fragiles; mais; comment dire? cette TERREUR ne semble pas sérieuse. Est-ce la pièce? Est-ce l’adaptation de Soria? Est-ce la conception de Dente ? L’univers dans lequel j’ai baigné n’était pas grinçant. Je n’ai pas eu l’impression qu’il était dénoncé, condamné, que l’objet de la séance ait été de me rendre conscient d’une aberration. On me faisait trop baigner dans une atmosphère de fable. Dans l’irréalité. Les lumières étaient trop claires. On tendait trop à me faire rire. Les fantoches montrés étaient trop caricaturés. Bref c’était un poisson noyé. Schwartz, Soria ou Dente, je crois que c’est le dernier qui est responsable de ne pas avoir su interpréter, lire, ce que l’auteur avait volontairement - vu son contexte - masqué. Il ne fallait pas SERVIR, mais DEPASSER. Dente est, je le crains, resté au premier degré. Il a joué la charge FACILE. Alors, je me suis marré, j’ai passé, une fois le premier sommeil envolé, une plaisante soirée. Je n’ai pas éprouvé le souffle glacé de la mort, et je pense que, de ce fait, s’est créé un déséquilibre, qui a engendré en moi ce sentiment de “petite soirée” divertissante, qui est à l’origine de mon désintéressement, de mon insatisfaction. “HORRIBLE, HORRIBLE, HORRIBLE” a retenti en moi comme dans l’HAMLET de Jules Laforgue, point comme dans celui de Shakespeare. C’est dommage, il faudra un jour monter Schwartz vraiment”.
Pour l’anecdote, je dois raconter que depuis plusieurs années j’étais fournisseur de spectacles français pour un festival de Barcelone qui s’appelait le “Ciclo de Teatro Latino”. C’est un certain Xavier Regas, qui en était l’âme. Cet avocat avait fui sa Catalogne lorsque Franco avait pris le pouvoir au terme d’une terrible guerre civile, et s’était réfugié en France, mais lorsque les armées allemandes ont déferlé sur notre hexagone, il s’était dit que courber l’échine sous le poids d’une dictature, ou se faire humble sous celle de son pays, tout compte fait, il serait plutôt mieux chez lui. Or, c’est une curiosité mal connue de l’histoire. Il est arrivé que vers les années 1942, Franco offrit un marché aux exilés. Ils se présenteraient à la frontière. Ils purgeraient un jour de prison. Et puis ils seraient libérés, sous condition de ne pas faire de la politique.
Comment l’avais-je connu, je ne m’en souviens pas. En ce temps -à, l’Espagne était “UNA, GRANDE, LIBRE” (sic!), la langue Catalane était interdite, tous les spectacles se jouaient en Castillan mais Regas, qui était un fanatique de son idiome, avait obtenu du Pouvoir la permission de présenter une fois par an un spectacle dans cette langue, à condition qu’il soit noyé dans un contexte de latinité. En clair, cela voulait dire qu’il lui fallait inviter chaque année une troupe italienne et une troupe française. Je crois que c’est avec la Compagnie Fabbri qu’avait commencé une collaboration régulière qui allait le devenir d’autant plus que les contrats que je rédigeais l’étaient avec la Municipalité de Barcelone, mais après que j’eusse été payé en espèces (il y veillait de très près), on allait boire un café au bistrot du coin, et je lui passais sous la table une enveloppe avec 10% du pactole pour lui. Alors c’est comme ça que les Catalans ont fait la connaissance de Jacques Mauclair, de Jean-Marie Serreau, d’Edmond Tamiz, j’en passe. Les oeuvres passaient à la censure mais comme il s’agissait de jouer en français, ces Messieurs qui n’étaient semble-t-il pas très cultivés, n’étaient pas très regardants.
Encore que le système franquiste était particulièrement vicieux, parce qu’à la différence des Nazis qui accordaient ou refusaient les visas mais c’était une fois pour toutes - l’ordre venait de la tête et la petite visite que je rendais aux responsables locaux des Komandantur pendant l’occupation n’avaient qu’à vérifier que les pages du texte avaient bien toutes été tamponnées - , les censeurs de Madrid suggéraient au Gouverneur de la Province qui suggérait au Maire de la Ville qui suggérait au commissaire du quartier d’accorder l’autorisation. Ainsi la perversité s’était t’elle installée à tous les échelons de cette hiérarchie descendante et cela allait naturellement avec force pourboires grâce auxquels les permissions étaient toujours accordées.
J’avais proposé LE ROI NU pour le “Ciclo” de 1971 et le texte était passé sans problème à la censure soit que les lecteurs ne l’aient pas lu, soit qu’ils n’aient pas pensé que le tyran décrit puisse être interprété comme ressemblant au Généralissime. Cela a failli mal tourner quand le décor a été monté sur la scène du TEATRO ROMEA parce que Dente avait eu l’idée d’affubler le pays imaginaire dont il était question d’un drapeau qui était exactement aux couleurs de l’Espagne : Rouge Or et Rouge en bandes horizontales. Tollé général. Du coup le tyran décrit ne s’appelait plus Staline comme on l’avait généreusement annoncé pour faire passer la sauce, mais très clairement Franco. Dente faisait l’innocent. Il n’avait pas du tout, disait-il, pensé à cet aspect. Pour lui ces couleurs s’intégraient bien dans l’harmonie de son environnement. Il affirmait qu’il ne savait pas comment était le drapeau espagnol. Mais en même temps, il se refusait à enlever ces emblêmes qui ornaient notamment la barrière de la frontière. J’ai dû me fâcher et on a finalement joué en recouvrant de pendrillons noirs les couleurs coupables.
Mais cela a été la fin de cette collaboration avec Xavier Regas dont j’avais sans le vouloir mis en danger SON festival et même SA personne, qui, depuis 25 ans, s’était peu à peu affirmée à Barcelone comme un porte flambeau de la future Catalogne libérée du joug Castillan. Mais en 1971, Franco avait encore quatre années de pouvoir absolu devant lui.
Je ne sais plus si j’ai revu Regas ensuite. Il a maintenant son “mémorial” à Barcelone. Grâce à lui j’ai passé vers les années 55 / 60
des vacances merveilleuses à Rosas, chez un certain Duran qui était un très gros Monsieur, possesseur de trois restaurants réputés, dont un au Col du Perthuis, sur le trottoir espagnol de la rue dont l’autre bord est français. En ce temps-là, Rosas était à quelques encablures de Cadaquès (où résidait le célèbre Salvador Dali dont l’hommage à ce grand homme qu’était Franco avait fait grand bruit du côté de Montparnasse, un charmant village. La côte était à l’état vierge. C’était un véritable paradis naturel que les promoteurs allaient bientôt s’empresser de défigurer.
Mais trève de digressions
“18 Novembre 1970 - Jean Pierre Vincent revient à Sartrouville sous le chapeau du GRENIER de TOULOUSE avec une pièce de Goldoni :”LE MARQUIS DE MONTEFOSCO”. C’est une vraie chance pour Maurice Sarrazin, qui redorera avec ce spectacle le blason de son centre dramatique, car la réalisation de l’ex-collaborateur de Patrice Chéreau est absolument remarquable. Ex-collaborateur ou disciple, on peut hésiter tant les points communs sont frappants entre les deux compères: même goût de la matière et de la couleur donnant l’UNITÉ. Ici des teintes ocres pastellisées. Même principe des groupes humains qui se font et se recréent en tableaux réalistes harmonieusement composés. Même souci de prendre dans le texte son essence en refusant les traditions et en faisant ressortir par des gros plans JOUÉS ce qu’il semble important d’éclairer. Même rigueur dans la mise en place qui ne semble laisser aucune liberté aux acteurs quoique l’évidence des mouvements effectués éclate. Même refus de faire des effets avec l’électricité. Qu’on soit de nuit ou en plein jour, le plein feu crache sa lumière crue. Même cruauté du regard recréateur : nulle tendresse ne s’y lit pour quiconque. Et si les nobles y sont décrits vicieux, salauds et “liés”, les bourgeois possédants n’y sont pas plus récupérés pour autant que les paysans ultimes victimes.
Vous me direz que Goldoni l’a voulu ainsi. Certes, mais J.P. Vincent fait charger la jeune paysane au point qu’elle paraisse stupide. La “résistance” des métayers se résume à une histoire de canards prenant leurs ébats hors de leur basse-cour. Pourtant la leçon du spectacle est claire, nette, impitoyable, brechtienne, sans didactisme. La tranche de vie est montrée et cela suffit. Ici, J.P. Vincent se distingue de son Maître : il entend enseigner, MILITER positivement. On sait ce que je pense d’ordinaire de ces dénonciations d’une société morte au travers d’oeuvres classiques “relues”. Mais ici, la dénonciation en question est MAGISTRALE, EXEMPLAIRE. Le spectacle, en dépit de quelques longueurs n’est jamais ennuyeux tant le jaillissement constant de l’imagination le renourrit sans cesse. On rit, on s’amuse, mais pas à la manière du Dente du ROI NU en édulcorant le contenu. Chaque rire arraché est franc, mais ne lénifie en rien la portée voulue. Bref, c’est un spectacle ADULTE, dur, personnel, drôle, cependant, sans concession ni facilité, sans poudre aux yeux, de CLASSE. C’est un GRAND spectacle qui mérite une carrière. J’ai oublié hier soir mes exégèses sur les classiques replacés dans leurs contextes sociaux et rendus de ce fait signifiants pour nous. Ce n’est pas peu dire. Comme ce n’est pas peu dire le fait que Simone Turck soit BONNE à la tête de la troupe du GRENIER, quoiqu’évidemment, Hélène Vincent et Bénichou, ce soit autre chose.”
Le 19 Novembre
je suis allé à la Gaîté Montparnasse où j’ai vu “Chère Janet, cher Mister Kooling” avec Evelyne Ker et Jean Topart. Je me suis demandé en relisant mon compte rendu si je devais en faire bénéficier la postérité. C’est une pièce épistolaire dûe à un certain Stanley Eveling et mis en scène par Max Stafford Clarck du “Traverse Theatre Club” d’Edinburgh. Peut-être suis-je inculte, mais il ne me semble pas que cette oeuvre ait laissé beaucoup de traces dans les mémoires. Quoiqu’il en soit, voici une partie de mes réflexions :
“Je crois qu’on peut recevoir ce spectacle très britannique de deux manières. En disant que c’est bref, drôle , hors de toutes les préoccupations actuelles, inutile, boulevard au fond, mineur. Ou bien en se demandant si cette “non” pièce, qui refuse jusqu’au dialogue et dont le vide du contenu va jusqu’à la destruction à certains instants du langage, ne serait pas contestataire très profondément, c’est-à-dire contestataire au point de ne même plus l’être. Car il semble évident que l’auteur n’est pas un con, car visiblement son NON cri est un parti : n’insiste-t-il pas, d’ailleurs, sur le thème de l’impuissance ? Son sarcasme ne s’en prend t’il pas aux intelligences? Sa trame mélodramatique dérisoire n’est-elle pas en soi une critique ? Bref, je ne serais pas surpris que finalement ce spectacle figure dans les anthologies comme ayant signifié quelque chose... Mais est-ce que je ne me monte pas la tête ? Attendons que les penseurs professionnels aient rêvé.”
commentaire a posteriori : il ne semble pas qu’ils aient rêvé.
20.11 : “LA MÈRE de Witkiewicz, présenté au Récamier par la compagnie Renaud - Barrault dans une mise en scène sans doute trop sage, mais exacte, nette, professionnelle, de Claude Régy , c’est d’abord un TEXTE. Et vous me direz tout ce que vous voudrez, il n’y a que ça de vrai.
C’est un texte qui date des années 30, quoique l’oeuvre n’ait été jouée qu’en 1964 à CRACOVIE. Une fois de plus je suis frappé par la prodigieuse actualité des oeuvres écrites à cette époque-là. Je dis toujours qu’on ne tape pas assez dans le répertoire de ce début d’entre-deux guerres qui fut plus lucide, contestataire, virulent, violent que tous nos montages collectifs d’après Mai 68. Musil, Töller, Gombrowicz, Brecht (ne l’oublions pas), ces hommes qui ont connu l’exaltation de la révolution Russe, puis la déception du bureaucratisme Stalinien, ont pondu des pièces dont le parfum fleure le vrai, l’authentique.
Witkiewicz est regardé par les Polonais d’aujourd’hui comme le plus grand phénomène artistique polonais de la première moitié du XXème siècle. On le tient pour le maître, l’inspirateur de Gombrowicz, Mrozek et quelques autres. Il est vrai qu’il a eu la bonne idée de se suicider en 1939. Ainsi n’eut-il pas à choisir pour ou contre le communisme en Pologne en 1945. Sans quoi, il eût sans doute émigré, car il n’aurait sans doute pas supporté la “dictature du prolétariat”.
S’exprimant pas la bouche de LÉON, (le personnage de LA MÈRE incarné par Michel Lonsdale,) il stigmatise le collectivisme, l’homme groupé, enrégimenté, désindividualisé, esclave du machinisme, mécanisé. L’homme paumé ne peut trouver la joie que dans la drogue. Alors il se sent bien, momentanément, mais il retombe, et la chute est rude, au fond du puit dont il ne trouve pas l’issue. Elle existe pourtant cette porte vers le printemps perpétuel, mais Léon (l’auteur) n’en n’accepte pas le chemin. Et sa mère meurt avant, tuée par une vie embrumée d’alcool, les yeux détruits par une interminable séance de tricotage refuge, ayant cherché une autre évasion dans une hypothétique folie, tandis que Léon et son épouse sombraient dans la perversion sexuelle.
Oeuvre pessimiste, négative, mais sujet de réflexion, oeuvre forte, baignée d’irrationnel, à l’atmosphère surréalisante. Maître ou pas de Gombrowicz, on songe à ce dernier et on peut se demander si Claude Régy a bien été l’homme de ce texte. Il y a dans cette mise en scène - où chacun joue admirablement, avec une mention spéciale à Juliette Brac qui est étonnante - quelque chose que je qualifierai de mou.
Dispositif et mise en place ne sont pas conformes au texte écrit et ont un relent de gratuit, encore que la rigueur fasse tout passer. En fait je ne suis pas très capable de définir ce qui ne va pas, car à vrai dire, ça va. Mais Lavelli dans YVONNE, c’était autre chose.
Reste le problème de fond : je comprends cette terreur des “hommes de qualité” face à l’égalitarisme communiste. Je comprends leur cri de désespoir. Quand Léon dit (en l’espèce) que c’est de SA vie qu’il s’agit, je comprends bien qu’il ne juge pas valable de la sacrifier pour une éventuelle réhumanisation de l’homme promu dans plusieurs générations privées de LIBERTÉS FORMELLES. L’aspect “fourmis” contesté n’est pourtant - que ne l’ont-ils compris, et pourquoi tant de gens ne le comprennent-ils pas encore aujourd’hui ? - qu’une vision au premier degré. L’autre vision, c’est que l’homme doit faire un immense travail sur lui-même pour changer ses structures mentales actuellement aliénées par le SYSTÈME. Ce travail ne pourra - sans utopie - être mené à bien que par un bon siècle de DICTATURE DURE. Sans quoi les profiteurs qui croient ( mais eux aussi se trompent) avoir intérêt au maintien de l’ordre des choses veilleront à ce que l’évolution soit contrariée, voire stoppée. C’est une question de foi, mais si on croit en cette FIN meilleure, je crois qu’il faut en accepter les MOYENS, et même les RISQUES. Il s’agit d’une mutation au terme de laquelle l’homme peut sortir transformé au terme d’un chemin qu’il aura LUI-MÊME TRACÉ. DE TOUTE MANIÈRE C’EST SA SEULE CHANCE. A MOINS QUE VOUS NE SOYEZ SATISFAITS DU MONDE DANS LEQUEL VOUS VIVEZ. Qui vous dit au surplus que vous ne vous sentiriez pas LIBRES et HEUREUX pendant la phase de construction du Communisme ? Seuls, à mon sens, s’y sentiront dans un carcan ceux qui ont à perdre quelque chose de matériel, argent, terre, puissance. Car au bout du tunnel c’est la VRAIE LIBERTÉ de l’homme LIBÉRÉ des contraintes ataviques qui surgira. L’expérience vaut d’être tentée et je ne pense pas que l’homme ait le choix.
L’oeuvre de Witkiewicz pèche à mes yeux par AVEUGLEMENT. Elle est à sa place chez les Renaud-Barrault, montée par le bourgeois Claude Régy. Elle fait partie de la tâche d’endoctrinement menée par la Vème République pour décourager ceux qui voudraient engager leur pays et le monde sur la voie de la NAISSANCE (car je ne puis écrire “renaissance”) . Je crois que l’HOMME n’est point NÉ et qu’il a besoin du ventre de la dictature du Prolétariat pour s’accoucher!
C’est donc un spectacle POLITIQUE profondément, mais politique RÉACTIONNAIRE.
Mieux vaut cependant une telle opération que les déprimantes démissions auto-censurées auxquelles j’assiste quotidiennement. Car il s’agit du fond du problème, et de toute manière une opinion exprimée sur le fond du problème est utile si elle peut amener des spectateurs à se poser la question. Il faut donc complimenter la Compagnie de ce choix.
Revenant à la mise en scène, il me vient que peut être le sentiment de gratuité que j’ai éprouvé pourrait être dû au fait que Régy a eu le souci de monter “moderne” une oeuvre qui n’a pas été écrite ainsi. Il a voulu du vertical des acteurs dans la salle, une déstructuration du rapport scène-salle. Tout cela est plaqué sur un texte conçu pour être joué “éloigné” derrière le cadre à l’italienne.
Je ne sais pas, mais il se peut que ce sacrifice à la mode du jour ait été à l’origine du malaise éprouvé.
Reste que la pièce passe. Après tout, c’est l’essentiel”.
Où EN SUIS-JE POLITIQUEMENT À CE MOMENT LÀ?
Je ne peux pas laisser passer ce compte rendu sans le commenter 35 ans plus tard, alors qu’il est clair que les “lendemains qui chantent” sont pour l’instant derrière l’humanité.
Je persiste et signe: il y a eu un assassin historique. Il s’appelle Khroutchev. Le jour où, au XXème Congrès, il a démystifié Staline, il a tué la seule chance qui était offerte à l’Homme de se promouvoir différent par lui-même. Entendez moi : je ne nie pas que Staline fut un autocrate cruel, qu’il eût des millions de morts sur la conscience, que le culte de la personnalité l’ait aveuglé. Mais le personnage avait été dépassé dans l’imaginaire des déshérités de cette terre par l’image qu’il représentait, celle du rêve d’un “petit père des peuples”, et peu importait en vérité ce qu’il était. Il incarnait une idée, celle de la dictature du prolétariat, impitoyable (on le savait) , à la Russe, que voulez vous? (rappelez vous PIERRE LE GRAND), et il ne cachait pas qu’il devrait y avoir encore deux ou trois générations de “travailleurs acharnés” pour arriver à ce fameux lendemain merveilleux Comprenez bien ce que je dis à travers le mot “travailleur”; Il était question d’un travail de chacun sur soi-même, pas forcément à son propre profit, mais à celui de ses enfants, petits enfants et arrière petits enfants de manière à ce que de fil en aiguille soient oubliées des habitudes inculquées par les religions, et notamment celle de l’argent ROI. Maintenant,de toute manière, un tel discours ne peut être que celui d’un vieux con. “Enrichissez vous” (si vous pouvez ... car sous Guizot il y avait moins d’entraves). Le rêve communiste est devenu objet de mépris! Beurk! Eh bien c’est dommage. Et le vieux con que je revendique d’être maintient son opinion.
Vous avez le droit de m’objecter : toi, qui cause si bien, est ce que tu aurais su être partie prenante d’ un certain renoncement à la qualité de vie que t’octroyait ton appartenance à la classe petite bourgeoise, pour que peut-être dans cent ans, ou dans deux cent ans le monde soit plus humain? Quand j’avais 20 ans, je crois que j’aurais répondu oui. Mais à l’époque je n’étais pas encore un petit bourgeois et la fable du “lapin et les chameaux” n’a cessée depuis de me poursuivre ...
Naturellement le compte rendu ci-dessous est un peu triste après ce que je viens d’écrire :
21.XI - C’est mêlé au pubilc populaire inconditionnel du THEATRE DE LA COMMUNE d’AUBERVILLIERS que j’ai assisté à une représentation d’”HOMME POUR HOMME” de Brecht, qui devait être quelque chose comme la 30ème. Aucune personnalité dans la salle. Moi-même, j’étais arrivé discrètement à 20h30 précises et j’étais indétectable du plateau, ayant dû me contenter d’une place tout au fond.
J’ai donc eu droit de la part des acteurs à une démonstration de NON CONCIENCE PROFESSIONNELLE scandaleuse : a-rythmie, molasse, ton en dessous, exécution sans conviction des mouvements, seulement indiqués pour éviter la fatigue. J’ai eu le sentiment d’être méprisé, et je me suis fait réflexion qu’eussé-je été un néophyte venu au théâtre pour la première fois, on ne m’y reprendrait plus. Rassurez-vous, les empopularisés qui peuplaient les lieux ont vigoureusement applaudi en cadence à la fin pour récompenser le non-effort des artistes, tant est amenuisé leur sens critique.
Reste que l’ennui mortel qui se dégageait de ce spectacle ne devait pas être dû uniquement à ce laisser-aller. Il semble que Rosner, dans sa lecture de l’oeuvre, ait oublié que Brecht l’avait baptisée “Lustspiel” ce qui veut dire en mot à mot “Joyeux Jeu” , autrement dit “FARCE”.
En fait de farce, tout est joué sérieusement, dramatisé, alourdi, cela pèse cent tonnes. On a didactisé suprêmement là où la leçon coulait de source dans la gaîté! On a dépoètisé, asséché, ralenti. Montre en main, cet HOMME POUR HOMME-là dure 3 heures alors que celui de Serreau, si ma mémoire est bonne, devait faire dans les 2h10. Bref, je ne vois qu’une explication à ce consternant ensemble : Rosner et ses acteurs ont dû se dire qu’il fallait définitivement éliminer Brecht du marché. Car ils ont tout fait pour en dégoûter les masses.
Plus grave, en otant de l’oeuvre son aspect comique, ils en ont supprimé le côté grinçant, et le résultat est qu’on arrive à un exposé à la gloire des armées britanniques aux Indes. Je vous le jure: il faut le voir pour le croire. C’est un spectacle militariste... Ô mânes de Brecht!
Dirais-je encore que parmi ces acteurs criminels se détachent, plus excécrables que les autres, Judith Magre (une Begbick absente et qui chante d’une voix faible, disgracieuse et tremblante les célèbres Songs) François Perrot (en Quinte de sang, complète erreur de distribution) Jean Brassat (en Polly, tous ses défauts dehors). Virlogeux en Galy Gay aurait pu être pas mal, mais il participe de l’ambiance générale.
Quant à Emilfork en Bonze, c’est un choix au premier degré, mais enfin c’est Emilfork égal à soi-même avec tout ce que cela implique.
Ô la triste soirée!”
EN CE TEMPS LÀ LA CENSURE SAVAIT S’EXERCER AU GRAND JOUR.
Voici, l’histoire du théâtre de Chelles ...
Cela commence très bien : pas de problème à l’horizon
22.XI - Une troupe insuffisante et pratiquement qualifiable d’amateurs, un rythme défectueux à la fois par la faute de noirs trop longs entre certains tableaux, et par une incapacité des dits-acteurs à tenir le mouvement ... et pourtant le GERMINAL de Philippe Dauchez d’après Zola est un bon spectacle. Je ne regrette pas de m’être imposé 20 minutes d’un train de banlieue sordide et bondé + près de trois quart d’heure d’errance dans la bruine à l’intérieur d’une localité où nul, sauf un prolétaire saoûl ne semblait avoir ouï causer d’un centre culturel!
Car d’abord cette représentation a le mérite d’être politique. Vous me direz que Zola ne date pas d’hier mais d’avant hier, certes, mais son propos est d’AUJOURD’HUI. Disons qu’en suivant l’excellent découpage de Dauchez, on mesure que la classe ouvrière a tout de même conquis une certaine amélioration de son sort depuis la fin du XIXème siècle.
Mais le problème de fond est posé: lutte pour les 10 sous ou révolution violente.
Justement avec le recul on se rend compte à quel point la première option est fondamentalement pernicieuse en ce qu’elle pousse le prolétariat à conquérir les avantages de la classe bourgeoise, somme toutes à DEVENIR bourgeoise. La lucidité de Zola montrait ainsi comment, même à travers ses défaites, la bourgeoisie est gagnante. GERMINAL est aussi ACTUEL, aussi MILITANT, aussi UTILE que l’EMBALLAGE de Benedetto et les deux spectacles ne sont d’ailleurs pas sans parenté.
Au niveau de la mise en scène, Dauchez est très influencé par le LIVING THEATRE, et toutes sortes de réminiscences diverses surgissent au fil de son montage. Il n’a pas encore digéré toutes ces découvertes. Il est vrai que de Firminy à Chelles elles doivent paraître encore exotiques. Lui aussi a son stromboscope dont il se sert fort bien quoiqu’ un peu beaucoup à mon gré: il doit falloir justifier le prix de cet engin onéreux.
Mais les bonnes idées fourmillent. RIEN n’est réellement gratuit. L’efficacité est certaine. Avec de petits moyens, les espaces scéniques, l’un réservé aux exploiteurs, l’autre aux exploités sont remarquablement suggérés. On suit deux heures durant sans entr’acte le fil de l’intrigue et l’ennui ne perce jamais en dépit des imperfections relatées.
Et puis il n’était pas aisé de résumer pour la scène le monument de Zola. Or je n’ai pas éprouvé la sensation de digest quoique certains chapitres soient ramenés à des raccourcis de 30 secondes. L’aspect “terre nourricière et régénératrice” a été un peu négligé au profit de la seule lutte sociale. Il fournit seulement le thème de l’envolée finale. Mais l’ensemble est fidèle, fort ... et somme toute courageux en cette cité U.D.R. qu’est Chelles.
Emile Copfermann qui s’était dérangé et m’a au retour ramené jusqu’au Château de Vincennes affichait une sincère satisfaction.”
Cet article requiert quelques éclaircissements : Philippe Dauchez (dont je doute que qui que ce soit se souvienne aujourd’hui) avait été directeur de l’étrange Maison de la Culture de Firminy, construite par Le Corbusier, et qui avait pour caractéristique de n’offrir aucun espace au théâtre. Il avait présenté son GERMINAL à Chelles (le théâtre est place des Martyrs de Chateaubriant)
on pouvait donc penser que ce lieu était ouvert à un certain non conformisme politique. Hélas ...
21.XII1970 - La France est un grand pays LIBRE, mais ce qui arrive à Gérard Gélas dans ce temple subtil doit être consigné : une ville de banlieue, CHELLES, RIEN en somme, a interdit le spectacle du théâtre du Chêne Noir “ OPERATION” parce qu’il pourrait (je cite) “éventuellement troubler l’ordre public”. C’est le DROIT du maire que d’en user ainsi. Si le pouvoir central voulait le fustiger , il serait COUPABLE au nom du droit des communes!
La troupe, qui a joué 66 fois sans incident, est avisée verbalement cinq jours avant de jouer et par lettre la veille. On ne lui a même pas offert une indemnité. Elle n’a qu’à se soumettre, et au besoin crever.
Un meeting est organisé par le directeur du CENTRE CULTUREL POPULAIRE. à la place de la représentation. Il attire 150 personnes dont une moitié de gauchistes et une de “fidèles abonnés”. La municipalité qui a pris l’initiative n’y dépêche aucun émissaire. Le Conseil d’administration du Centre est totalement absent. 3 ou 4 “en bourgeois” sont là qui écoutent ce qui se dit sans même prendre de notes. Pas de flic dehors. La censure est affaire de pure routine. Parce que, j’insiste : LE MONDE relate l’aventure en un papier de 30 lignes “objectif” et prudent. Lucien Attoun insiste pour qu”ON” ne fasse pas de bruit autour de l’affaire. Il pense à l’avenir de la troupe.
Le week-end se passe, et le théâtre de Nancy “renonce au spectacle... le contrat étant arrivé trop tard” ! Celui de Louvain (en Belgique) y renonce aussi “la subvention étant refusée”. On sait que Gelas est “déconseillé à l’exportation” par les inspecteurs généraux.
Au même moment, Chaban Delmas inaugurant le centre culturel de Saint Médard en Jalles dans sa Gironde, explique que ceux qui veulent politiser la culture sont des pouacres et des dégoûtants! Aucun lien bien sûr. Pourtant le Maire de Chelles est U.D.R. Existe-t-il des circulaires secrètes visant à étouffer dans l’oeuf certains cris malsonnants, notamment JEUNES ? On pourrait se le demander.
Pourtant Gelas est subventionné. 5.000 Francs que lui a donné l’Etat. Pour de l’ambiguïté, c’est de l’ambiguïté, non ? et c’est malin, touchant une équipe CONTESTABLE dans son spectacle dont l’impact politique est MEDIOCRE! Mais le phénomène CENSURE aura joué, et si elle veut toucher son cachet, elle devra utiliser les voies juridiques d’un système qu’elle réprouve. Ainsi sera-t-elle enfermée dans une contradiction. Vraiment, c’est bien empaqueté. Si j’étais Gelas, je me dépêcherais de monter LE MALADE IMAGINAIRE ...”
Intéressant, non ? Je transcris cet article un samedi de Mai 2003 alors que la décentralisation, que dis-je, la “déconcentration” est l’essentielle préoccupation du gouvernement momentanément actuel. Le théâtre va donc être laissé à l’appréciation des petits chefs locaux. Comment ne pas frémir ?
Ajoutons que le spectacle ne méritait pas, à mes yeux, tant d’honneur : je l’avais vu en Avignon et il avait été invité par André Louis Périnetti à la Cité Universitaire à Paris. Voici quel avait été mon compte-rendu :
“Je ne crois pas que l’idée ait été bonne de faire venir Gelas à la Cité Universitaire.
Lorsque j’avais vu OPERATION cet été en Avignon, j’avais remarqué que sur la scène il ne se passait pas grand chose, que le texte n’était pas terrible, que les “signes du cérémonial montré étaient trop ésotériques pour être populaires. Mais dans la petite salle du CHÊNE NOIR , l’apport musical inestimable aidant, j’avais été au sens propre du mot ENVOUTÉ.
Or, dans la grande salle de la Cité U dont nous connaissons l’ingratitude, le phénomène ne joue plus de la même façon, malgré un potentiomètre poussé au maximum. La musique reste le grand élément positif du spectacle: cette improvisation est très remarquable.
Mais dans ce grand cadre, le RITUEL un peu lent, confus, prend de l’importance et l’ensemble ne passe pas très convainquant. Ca fait “jeune”, pas très élaboré, pas très mûr, finalement guère agressif, pas “agitateur”, trop esthétisé pour être vraiment politique, pêt de braves petits mécontents de province qui ne savent qu’inventer pour se faire remarquer mais ne dérangent en rien les assistants. Les “prises de position” affichées à la porte, l’ordre formel et appliqué de ne laisser entrer aucun retardataire, un certain genre de vie selon lequel la troupe se réunit dès la fin de la représentation pour discuter “entre soi” au moment où les visiteurs se pointent font un brin prétentieux. Ces moufflets ne se prennent sûrement pas pour de la merde de linotte et ils ont l’assurance de soi un peu trop voyante.
Reste que c’est quand même très bien replacé dans le contexte d’une équipe toute fraîche émoulue des rives duRhône et surtout PROMETTEUSE “
J’ai été triste, plus tard, de découvrir que Gelas, devenu directeur d’un théâtre permanent d’Avignon, s’était assagi. il s’est mis peu à peu à y programmer des choses de bonne tenue, mais pas dangereuses. Le Théâtre du Chêne noir fait aujourd’hui partie de l’institution avec la caution fidèle d’une municipalité de droite
RETOUR à la ROUTINE
Le théâtre de Plaisance, comme beaucoup d’autres petits lieux créatifs parisiens a disparu. c’est là que j’étais le ...
26.XI - En ai-je vu durant ma vie déjà longue des UBU ROI petits et gros, filiformes et laids, signifiants contestataires ou esthétisés, divertissants ou stylisés, révolutionnaires ou mystifiants, en français, en arabe, en tchèque, en serbo-croate ou en jargon hispano-gaulois. C’est que l’oeuvre de Jarry est une proposition suffisamment floue pour qu’un metteur en scène y voie et y projette SES préoccupations au travers d’un spectacle qui de toute manière sera mouvementé, vivant, choquant, agressif. En somme, je n’ai jamais vu quelqu’un monter UBU ROI avec l’authentique souci de SERVIR Jarry. Or, c’est peut-être ce qu’a voulu faire Letiec dans la version qu’il donne au théâtre de Plaisance sous le pseudonyme de Guénolé AZERTHIOPE et le label du PHENOMENAL THEATRE. En tout cas il n’a pas mélangé les Ubus comme d’autres les Oedipes. Il a présenté l’ouvrage tel qu’il fut écrit, avec quelques coupures, et peut-être est-ce pour cela que l’ANECDOTE contée m’a pour la première fois paru claire.
Quant au contenu de cette pièce, il laisse chacun libre d’y voir ce qu’il désire.
Le Tiec prend le parti d’estimer que ce C0NTENU est creux, vide, pure spéculation, (je n’invente pas : il l’explique dans le programme) et de JOUER LE CONTENANT. Non seulement ce n’est point sot et sans doute est-ce honnête, mais c’est EFFICACE : la troupe s’en donne à coeur joie, active, drôle, submergeante. Des projections en contre-point ajoutent au spectaculaire. Si le CONTENU est vide, par contre le plateau est plein d’un mouvement sans répit, d’une liberté dynamique... Quand je dis “le plateau”, c’est une façon de parler, car Le Tiec a tracé autour des spectateurs des itinéraires submergeants. L’équipe technique (à vue si on se retourne) fait ses commentaires à haute voix, pas toujours de bon goût : c’est un peu vulgaire comme le sont les acteurs eux-même et spécialement la mère Ubu ... mais qu’importe ?
Le spectacle finit en apothéose par l’aspersion des spectateurs dont certains jouissent de parapluies protecteurs, mais pas tous! On passe sur cette concession à la provocation bon enfant au titre de la gratuité de ses motivations.
Finalement, somme toute, ce refus de se servir d’UBU ROI comme généralement aux fins d’avoir l’air courageux sans danger revient à jouer la RECUPERATION de Jarry. C’est en quoi cet UBU est l’anti-Barrault qui, lui, tente pathétiquement de faire croire le contraire. C’est une démarche de REFUS DE JOUER LE JEU qui comporte peut-être son ferment.
Quoique cela n’ait aucun rapport, cela a une parenté avec ce que je détectais déjà ailleurs dans d’autres non propositions : il y a peut-être là une ligne de force qui aboutira un jour au NON THEATRE sur une NON SCÈNE comme d’autres ont abouti au carré blanc sur fond blanc en peinture. A suivre”