Du 10 au 20 janvier 1977
10.01.77 – Une chose est sûre : le décor de René Allio, tout en glaces qui reflètent les personnages et en motifs gothiques rococo, avec son escalier praticable qui descend des sommets du théâtre, est magnifique et, tous comptes faits, peut être considéré comme signifiant, selon les indications de Vigny « l’arrière-boutique opulente et confortable de John Bell », parvenu des années 1770 en Angleterre devenu maître d’une usine et d’une ville, grâce à sa cruauté, son âpreté au gain et (aussi) sa puissance de travail.
CHATTERTON, le poète romantique, dévoré par la soif d’absolu et la tentation du suicide (à laquelle il succombera), rongé par l’amour impossible et traqué par les faux (quoiqu’un peu vrais quand même, mais esclaves des modes) amis, c’est Jean-Louis Hourdin, secret, renfermé, ne cédant jamais aux éclats lyriques (dont pourtant le texte est riche), pudique. Pudique aussi, à l’extrême, est la tentée Kitty Bell (Arlette Chosson) qui contient son bouillonnement intérieur au nom de son DEVOIR d’épouse mariée à un butor, et de mère « exemplaire » comme le sont son petit garçon et sa fille « modèles », sous l’œil d’un Quaker (Hubert Gignoux) octogénaire et qui « comprend tout », à la différence des Catholiques. Son âge l’autorise à quelque humour, voire à certaines indulgences « condamnables ».
Ces guillemets disent clairement que Jourdheuil (c’est une production T.N.S) a « replacé la pièce de Vigny dans son contexte originel ». Je le crois. Cette représentation baigne toute entière dans les « leçons » Brechto Planchonno Vencentiennes. Le public est censé tirer un enseignement des conséquences de l’intolérance des hommes du passé. Aucun signe n’y montre que des hommes d’aujourd’hui puissent aussi être intolérants. Ce doit être « positif » dans l’esprit d’un des maîtres à penser de la contestation officielle et financée par l’Etat. Vive nos grands classiques qui n’étaient pas contents de leur temps. Ils aident nos grands modernes nantis à avoir l’air de n’être pas contents aujourd’hui. Cela dit, le CHATTERTON de Jourdheuil, c’était de très grande « qualité ».
11.01.77 – La seconde MÈRE COURAGE de la saison nous arrive de Suisse. C’est Françoise Giret qui remplace, dans le rôle, Magali Noël, que François Rochaix avait primitivement choisie et qui l’a joué en Suisse. Disons tout de suite qu’elle est exemplairement parfaite comme est exemplairement fidèle la mise en scène du directeur de Carouge. Aucune imagination. Une exactitude totale. On se croirait revenu à la création par Vilar à Suresnes de l’œuvre de Brecht avec Montero. Cela permet de rejeter sur la pièce un œil dégagé de toute « relecture ». Eh bien, sérieusement, si elle était un peu plus courte et surtout si elle était dégagée de l’horrible abominable exécrable musique de Dessau, et puis si elle était un peu moins pesante, elle serait bonne. Dommage qu’on ne puisse la voir avec la fraîcheur de la découverte. Ses leçons gardent toute leur valeur. (Gémier)
12.01.77 – L’émigré roumain Pétrika Ionesco a richement monté à Nanterre une des pièces de Shakespeare à mes yeux les plus cruelles : Le Songe d’une nuit d’été, œuvre de « jeunesse » où le génial Elisabéthain montrait déjà son goût pour la hiérarchie des Pouvoirs et son mépris pour les inférieurs sociaux. Chacun a le Pouvoir sur quelqu’un, dans ce texte, et en use pour se gausser ou pour contraindre. Le monde « surnaturel » domine celui des humains.
Dans ce monde surnaturel même, Obéron est le maître absolu et malheur à qui ose lui résister. Dans l’univers des hommes, le Duc a plein pouvoir sur ses soldats, et le Père sur ses enfants. Les plébéiens sont « truculents », c’est-à-dire grossiers, grotesques et ridicules, mais les artisans eux-mêmes ne sont pas égaux les uns aux autres. Un Valverde aurait pu faire d’Obéron un général nazi et placer l’anecdote dans le contexte d’un camp de concentration sans avoir à guère tripoter le texte.
La version Ionesco ne va pas si loin, mais elle ne donne quand même pas dans la joyeuse fantaisie. Peut-on parler de lecture ? De dramaturgie ? Non au sens où l’entendrait un Jourdheuil. Car il ne semble pas qu’il y ait eu réflexion sur les personnages, et si Robin en Puck n’est pas conforme à la tradition sautillante, je ne pense pas que le choix de ce grand benêt pataud corresponde à une volonté de démystification. Ce contre-pied a dû sembler plaisant à Ionesco et c’est tout.
C’est plutôt par l’environnement (décor de Florica Malureanu tout en glaces miroirs, arbres morts et neige poudreuse –très beau-, éclairages savants et nuées, musique rumeur troublante) qu’il exprime la transformation des rêves en cauchemars.
L’impalpabilité du sol symbolise la fragilité des marionnettes humaines manipulées par les êtres maléfiques surgis de ce sol même. La forêt enchantée est « terrible » et les jeux de glace renvoient les protagonistes à des doubles authentiques. (encore que la « morale » ne semble embarrasser personne, et si la pudeur virginale d’Hermia au début l’amène à s’éloigner des étreintes de son amant, c’est un détail qui ne l’empêche pas d’être venue à moitié à poil dans la forêt. L’érotisme semble d’ailleurs être chéri par Ionesco, mais qui s’en plaindrait quand Titania est si belle en Daisy Amias dépouillée de tout ornement.
Que dire d’autre ? Que le réalisateur n’a pas infléchi sa mise en scène vers le « politique » ? Mais que pourtant il a traité le sujet gravement ? Je dirai plutôt qu’au fond, je m’en fous, car je ne me suis pas senti concerné par ce qui, tout de même, n’est qu’un divertissement. À noter que Claude Lévêque en mur est très bien.
13.01.77 – Lorsque Jean Vauthier m’avait fait l’honneur, il y a quelque mois, de lire sa pièce ELISABETH (sauf erreur elle n’avait pas encore son titre complet : TON NOM DANS LE FEU DES NUÉES ELISABETH) à mon exclusive attention, j’avais ressenti que je me trouvais en face d’une grande machine vide de contenu, mais riche d’une langue superbe, et emportée par un souffle violent engouffré dans une étroite vallée bordée d’un côté par la montagne « tragédie », et de l’autre par le bossellement « dérision ». Et puis je me disais que le réalisateur saurait peut-être tirer un parti brillant de l’intelligence où les degrés s’accumulent, où le théâtre n’est plus seulement le théâtre dans le théâtre, mais la télévision dans le théâtre qui est lui-même dans le théâtre. Je ne détectais pas de « message » au niveau de ce texte, mais cette invasion de l’audiovisuel chassant à la limite les acteurs de la scène, c’est quand même un danger qui nous menace, et d’autre part le thème du « dérangement » ne saurait me laisser indifférent.
Dois-je dire que je n’ai rien trouvé de ces espérances de spectacle dans la représentation très provinciale apportée à l’ODÉON par l’ex-Lyonnais Maréchal, dont on peut se demander, à le voir multiplier les échecs, ce qui reste de son talent ? Dans des décors suprêmement laids, il fait évoluer avec des vêtements sans âme des acteurs médiocres qui confondent hurlements et lyrisme, vociférations et paroxysme, humour et galéjade.
Je sais bien qu’il ne signe pas seul sa mise en scène, qu’il a fait faire le travail pratique par Ballet et qu’il a compromis l’auteur. Reste que c’est lui le patron et que son entreprise rapetisse gravement le propos. Cela dit, je crois savoir qu’il ne tenait pas tellement à Judith Magre. C’était Vauthier qui la voulait. Je me demande s’il n’avait pas raison car elle est exécrable. Pas un mot du texte ne m’est parvenu à travers son organe. Cette méchante actrice gâchée par son égocentrisme fou est à écarter des distributions futures. Elle arrive à nous donner l’impression que la langue de Vauthier n’existe pas. J’ai cru, à travers elle (et Maréchal), assister à un spectacle sans texte. C’est quand même incroyable, non ?
J’ajouterai ceci : il ressort des lignes ci-dessus que le RÉSULTAT n’est pas à la hauteur de la PROPOSITION offerte par Vauthier. Mais il faut avouer que cette proposition elle-même n’était pas à la hauteur d’un homme à qui l’on doit des œuvres essentielles du XXe siècle. À le voir s’amuser avec les textes élisabéthains (ici ARDEN DE FAVERSHEIM, faut-il le rappeler ? ) on en arrive à se demander s’il est devenu sec, si son imagination créatrice originale est tarie. Si je ne SAVAIS qu’il porte en lui des sujets, je le croirais. Mais alors, qu’attend-il pour revenir à l’essentiel ?
COMMENTAIRE
Curieux, ce jugement sévère porté sur Judith Magre. Je l’avais moi-même engagée pas mal d’années auparavent pour jouer le rôle de PHÈDRE dans une de mes propres mises en scène. Elle était merveilleuse à diriger et superbe à l’arrivée. L’avais je à ce point oublié ? C’est vrai qu’elle était très capable, dans ses accès de mauvaise humeur,de saboter son talent. Peut-être était-ce le cas ce soir là.
Et quant à Vauthier, je crois qu’en ce début de 1977 il amorçait sous la férule de Maréchal, avec qui il se plaisait à entretenir des rapports troubles du genre dominant dominé, sa lente descente aux enfers de la confusion boulimique des idées, jamais satisfaisantes à ses propres yeux, au terme de laquelle il laissera une œuvre inachevée riche de mille perles, mais informe.
14.01.77 – Daniel Benoin a choisi de « regarder » LE ROI LEAR de Shakespeare avec (principalement) un œil de psychanalyste. Il est dommage, compte tenu de ce parti, qu’il n’ait pas eu pour jouer le rôle un monstre comme Alain Cuny qui aurait certainement su le suivre dans les méandres de la tempête intérieure. Jean-Marc Bory reste en effet au niveau du sol, et son jeu réaliste ne s’accommode guère d’éléments silencieusement déchaînés que seul exprime un grondement sonore apocalyptique qui va croissant dans la dernière demi-heure du spectacle. De toute manière, l’introversion des personnages, leur contemplation de leurs motivations et quelquefois leur exploration de leurs cônes de Bergson, jointes à leur immobilisme, quand la violence ne les investit pas (une violence que le metteur en scène paraît goûter avec saveur), donnent à la représentation un rythme d’une extrême lenteur qui distille sur les spectateurs un ennui profond. Le souffle des « amers tourbillons de l’air » n’a pas soulevé, emporté les contemplateurs de nombrils que sont ici devenus les héros célèbres. Certes, cela confère de la densité et il ne viendrait pas à l’idée, après avoir vu ce Lear-là, de les trouver débiles comme après celui de Debauche. D’un autre côté, le décor de Dominique Pichon, qui oppose les éléments eau, terre et feu qui environnent Lear et d’une manière générale les errants de la pièce d’une part, l’imagerie d’Epinal dans laquelle s’épanouissent en tableautins les installés dans les Pouvoirs d’autre part, est intéressant quoiqu’un peu systématique avec cette lourde porte qu’on doit sans cesse ouvrir et fermer. (passons sur le fait que nous avons droit à des « nuées » pour la 4e fois de la semaine !)
Et St Etienne n’a pas lésiné sur la distribution qui, autour de Pascale Audret, nous ramène entre autres Marcel Champel, Paul Descombes, Gilles Segal (pas des jeunes, hein ? ) et un Daniel Laloux en fou sous-employé. Reste que si l’entreprise est estimable, -et si elle nous change un peu des tentatives habituelles d’infléchissement « politique » des traiteurs ès contenu shakespearien à la mode-, elle n’est pas convaincante. Pour moi, cela n’a pas « passé. »
15.01.77 – Django Edwards, c’est un peu Alberto Vidal, un peu Savary, Coluche ou Bouteille, un peu Pradel, Lebreton et Marceau. Il plonge (vraiment) dans un verre d’eau. Sa langue, sa bouche, sa main se mettent à exister indépendamment de sa volonté. De sketch en sketch, il est Zorro, le dur, le pianiste et la chanteuse de beuglant des westerns, il est Johnny Hallyday ou quelque Roi du rock, il est travelo minable ; disons que c’est un clown. Il fait rire. Il a des idées. Il ne promène pas de message. Mais il ne sait pas se limiter. Je suis parti au bout de 2 heures moins satisfait qu’après 1. Il est accompagné avec intelligence par un trio de jazz excellent : les FRIENDS ROADSHOW. Ça lui permet de se définir comme un « Rock and Roll Clown ».
17.01.77 – D’un point de vue « politique », il est certain que le spectacle des Mirabelles « Les GUERRILLEROSES » (version revue et corrigée depuis celle à laquelle j’avais assisté en Avignon l’été dernier), n’est pas le fruit d’une réflexion. Mais la bonne volonté et le bon sens ne manquent pas à ces « Messieurs dames », et quand ils rêvent que des marguerites poussent sur les centrales nucléaires, on doit bien convenir qu’ils ont des préoccupations autres que celles qui consistent à revendiquer le droit à la différence pour les homosexuels. L’aspect « travelo » de cette équipe n’est d’ailleurs pas son essentiel. Il donne lieu à un sketch drôle. A part cet instant tourné du reste en dérision, le militantisme est dépassé et l’on a simplement en face de soi des personnages désopilants ou émouvants, selon, qui chantent, jouent et disent des textes d’eux tantôt sur le mode parodique et tantôt sur le poétique. Le comique est à mon sens davantage leur fort, et il n’est pas possible d’oublier la parodie d’opérette paysanne de la première partie, non plus qu’au début de la seconde, l’étonnant opéra où chacun suit SA partition propre à tour de rôle, communiquant une certaine image de la solitude qui est assez forte.
Les Mirabelles –est-ce leur condition qui l’inspire ?- sont sensibles à l’Absurde et leurs numéros frisent facilement le surréel. C’est pourquoi sans doute, ces numéros, sans rapports les uns avec les autres, se succèdent sans lien logique. Je n’ai pourtant pas retrouvé l’impression de décousu ressentie en Avignon car le rythme transforme en « parti » ce qui là-bas était défaut.
Dommage qu’à la Cour des Miracles il y ait un entracte. Rien ne le justifie sinon sans doute la limonade.
18.01.77 – Je suis bien triste et pas content après des gens que j’estime. Car Betty Raffaelli a traité Tchékhov comme Arlette Reinberg en usait naguère envers Dubillard. Elle a « changé l’ordre » des scènes et des répliques écrites, au nom d’une intellectuelle mise en valeur de « l’infinité des rouages historiques , sociaux, psychologiques » du XIXe siècle russe vieillissant, et d’une arbitraire volonté de « mieux définir » les interdépendances des personnages, qui existent toujours en fonction de tous et de chacun ».
Ajoutez qu’elle s’est refusée à traiter Tchékhov « uniquement en humaniste » et que pour méthode de travail, elle a voulu se souvenir « avant tout que Tchékhov était médecin, et que le regard scientifique, le culte de l’INDIFFERENCE étaient pour lui religion, DISTANCIATEUR avant l’heure »…
Moyennant quoi l’IVANOV du THÉATRE CHRONIQUE dure 3 h 15, est chiant et ne touche pas. C’est un comble avec une œuvre que j’ai vue, dans la mise en scène de Mauclair en 1956, faire jouir de joie et d’émotion des foules innombrables. Il est vrai que notre « inestimable ami » de ce temps-là n’avait pas cherché midi à quatorze heures. Il s’était contenté de bien distribuer la pièce, choisissant de bons acteurs répondant aux descriptions du texte, de la mettre en espace RÉALISTE, le seul convenable, et DE LA LAISSER FONCTIONNER, CE QUI, À MES YEUX, EST LA SEULE CHOSE À FAIRE AVEC TCHÉKHOV. C’est du théâtre d’aliénation, qui doit fonctionner par touches impressionnistes et ÉMOUVOIR.
SI MOI je m’identifie à Ivanov, c’est-à-dire avec l’homme qui a porté de grandes œuvres en lui et qui a démissionné, si je pleure à ce coup porté à mon cœur, j’aurai peut-être un sursaut passionnel qui me fera reprendre l’entreprise abandonnée. L’aliénation me fera prendre conscience de l’intérieur. Mais si je suis mis en face de ce personnage en voyeur étranger, si on me contraint à la contempler avec un œil seulement clinique, pourquoi voulez-vous que sa dissection m’intéresse ? IVANOV est un admirable personnage qui porte en soi une universalité. Car ceux qui réalisent les aspirations de leur jeunesse sont rarissimes dans notre Humanité. Chacun en pleurant sur lui, pleure un peu sur soi-même et là est la grandeur, la beauté, bien plus, l’UTILITÉ de Tchékhov.
L’« éloigner » fait perdre tout son sens à la pièce.
Les acteurs ne semblent pas bien heureux dans le décor de Michel Raffaelli qui –très abstraitement d’ailleurs- confond volontairement au nom des conceptions ci-dessus exposées la Maison d’Ivanov et celle des Lebedev. Ils disent un texte d’Anne-Marie Lazarini et Betty Raffaelli qui ressemble comme un frère à celui de Mauclair qui m’était resté dans l’oreille. Miloud Khetib n’est pas mal en Lvov (le médecin honnête). J’ai déjà vu Malek Eddine Kateb mieux. Dominique Bernard ne fait pas oublier Max dans Chabolski, mais il est possible. Jeanne Champagne en Sacha et Marie Tikova en Anne ne sont pas suffisantes. Comme est insuffisant le reste de la distribution.
Triste entreprise. S’il ne s’agissait d’une œuvre d’un auteur qui n’a rien à perdre, elle serait criminelle.
19.01.77 – Je confesse ne m’être jamais intéressé particulièrement aux personnalités de Scott et de Zelda Fitzgerald. Dans ces conditions, c’est seulement en curieux que je puis considérer le spectacle de Denis Llorca et Serge Keuton intitulé HIER DANS LA NUIT DE ZELDA.
La nuit en question, c’est celle qu’a traversée à plusieurs reprises la dépressive Américaine dans des maisons « de repos » et des asiles de fous. Un médecin, dans l’un de ces établissements, a l’idée de faire jouer sa vie à l’héroïne. C’est à ce psychodrame que nous assistons, et comme il s’agit d’une maison pour femmes, ce sont des filles qui tiennent les rôles, ce qui nous vaut de voir de savoureuses gouines bien connues incarner Scott (Claude Degliame) et Hemingway (Denise Perron). Mais sans la Foi envers cette Amérique brûleuse de vies, et sans la totale connaissance des tenants et aboutissants, le spectacle reste très éloigné du néophyte qui est un peu surpris de voir Llorca penser. Il le fait à travers ses personnages, ce qui lui permettrait, s’il était critique, de contester les visibles conséquences de l’American Way of life. Malheureusement, son romantisme l’amène à prendre en compte comme héros ces déchets de l’humanité dont le seul titre de gloire est leur œuvre.
MAIS JUSTEMENT celle-ci est absente du spectacle. C’est un élève d’ICI PARIS qui a écrit le spectacle, et non un des NOUVELLES LITTÉRAIRES ou de TÉMOIGNAGE CHRETIEN, encore moins de FRANCE NOUVELLE !
Esthétiquement il y a de beaux moments, dus sans doute à Serge Keuten, mais le parti de lenteur qui a été imprimé au spectacle le rend souvent trop ennuyeux.
Colette Godard a écrit qu’Anne Alvaro avait trop de santé pour être une Zelda plausible. C’est probable.
20.01.77 – Vers les années 40, j’étais très agacé par l’œuvre d’un Monsieur qui plaisait beaucoup au Maréchal Pétain et qui s’appelait Giono.
Joseph Delteil, qui a plu à Jacques Echantillon, a la même hérissante façon paysanne d’écrire dans un style soi-disant « ruralement poétique ».
Il est pavé de bonnes intentions, ce Delteil, d’ailleurs. Son JESUS II, c’est un dingue qui s’évade d’un asile de fous, qui arrive à rallier une douzaine de fadas, et se trimballe « dans la région » avec « un enthousiasme indescriptible » pour expliquer aux gens qu’ils ne vivent pas vraiment, qu’ils doivent « rêver de ponts d’ étoiles et de pyramides de ciel » (sic) en se rappelant que « impossible n’est pas fou ». Il paraît qu’après l’entracte, (mais je n’étais plus là pour le voir), ce zigomar part à Rome pour convertir le Pape au Christianisme, et qu’il est (si j’en crois une photo, placée dans le hall du Théâtre de Paris) crucifié par les pieds par l’homme, « le seul animal qui triche au jeu de la vie ».
À dire le vrai, ce n’est pas le contenu qui m’a fait fuir et j’aurais probablement pu supporter le « langage », s’il n’y avait eu la mise en scène plein air mal transposée en salle d’Echantillon. UN seul acteur est écoutable, c’est Prévand, qui raconte sa propre histoire (c’est JESUS II bis), avec distance et flegme. Tous les autres hurlent, vocifèrent, grasseyent en permanence avec une « vitalité » aussi fausse que le style de ce qu’ils disent. Ils s’agitent en truculence excitée sous la direction d’un Jean-Claude Drouot que je n’ai jamais vu aussi mauvais. Cette agitation relève de la plus mauvaise tradition.
Reste que le contenu lui-même –chrétien de bonne volonté gentiment contestataire dans le ton boy-scout- en dit long sur la « politisation » du directeur des « Tréteaux du Midi ». Quel choix !
CHATTERTON, le poète romantique, dévoré par la soif d’absolu et la tentation du suicide (à laquelle il succombera), rongé par l’amour impossible et traqué par les faux (quoiqu’un peu vrais quand même, mais esclaves des modes) amis, c’est Jean-Louis Hourdin, secret, renfermé, ne cédant jamais aux éclats lyriques (dont pourtant le texte est riche), pudique. Pudique aussi, à l’extrême, est la tentée Kitty Bell (Arlette Chosson) qui contient son bouillonnement intérieur au nom de son DEVOIR d’épouse mariée à un butor, et de mère « exemplaire » comme le sont son petit garçon et sa fille « modèles », sous l’œil d’un Quaker (Hubert Gignoux) octogénaire et qui « comprend tout », à la différence des Catholiques. Son âge l’autorise à quelque humour, voire à certaines indulgences « condamnables ».
Ces guillemets disent clairement que Jourdheuil (c’est une production T.N.S) a « replacé la pièce de Vigny dans son contexte originel ». Je le crois. Cette représentation baigne toute entière dans les « leçons » Brechto Planchonno Vencentiennes. Le public est censé tirer un enseignement des conséquences de l’intolérance des hommes du passé. Aucun signe n’y montre que des hommes d’aujourd’hui puissent aussi être intolérants. Ce doit être « positif » dans l’esprit d’un des maîtres à penser de la contestation officielle et financée par l’Etat. Vive nos grands classiques qui n’étaient pas contents de leur temps. Ils aident nos grands modernes nantis à avoir l’air de n’être pas contents aujourd’hui. Cela dit, le CHATTERTON de Jourdheuil, c’était de très grande « qualité ».
11.01.77 – La seconde MÈRE COURAGE de la saison nous arrive de Suisse. C’est Françoise Giret qui remplace, dans le rôle, Magali Noël, que François Rochaix avait primitivement choisie et qui l’a joué en Suisse. Disons tout de suite qu’elle est exemplairement parfaite comme est exemplairement fidèle la mise en scène du directeur de Carouge. Aucune imagination. Une exactitude totale. On se croirait revenu à la création par Vilar à Suresnes de l’œuvre de Brecht avec Montero. Cela permet de rejeter sur la pièce un œil dégagé de toute « relecture ». Eh bien, sérieusement, si elle était un peu plus courte et surtout si elle était dégagée de l’horrible abominable exécrable musique de Dessau, et puis si elle était un peu moins pesante, elle serait bonne. Dommage qu’on ne puisse la voir avec la fraîcheur de la découverte. Ses leçons gardent toute leur valeur. (Gémier)
12.01.77 – L’émigré roumain Pétrika Ionesco a richement monté à Nanterre une des pièces de Shakespeare à mes yeux les plus cruelles : Le Songe d’une nuit d’été, œuvre de « jeunesse » où le génial Elisabéthain montrait déjà son goût pour la hiérarchie des Pouvoirs et son mépris pour les inférieurs sociaux. Chacun a le Pouvoir sur quelqu’un, dans ce texte, et en use pour se gausser ou pour contraindre. Le monde « surnaturel » domine celui des humains.
Dans ce monde surnaturel même, Obéron est le maître absolu et malheur à qui ose lui résister. Dans l’univers des hommes, le Duc a plein pouvoir sur ses soldats, et le Père sur ses enfants. Les plébéiens sont « truculents », c’est-à-dire grossiers, grotesques et ridicules, mais les artisans eux-mêmes ne sont pas égaux les uns aux autres. Un Valverde aurait pu faire d’Obéron un général nazi et placer l’anecdote dans le contexte d’un camp de concentration sans avoir à guère tripoter le texte.
La version Ionesco ne va pas si loin, mais elle ne donne quand même pas dans la joyeuse fantaisie. Peut-on parler de lecture ? De dramaturgie ? Non au sens où l’entendrait un Jourdheuil. Car il ne semble pas qu’il y ait eu réflexion sur les personnages, et si Robin en Puck n’est pas conforme à la tradition sautillante, je ne pense pas que le choix de ce grand benêt pataud corresponde à une volonté de démystification. Ce contre-pied a dû sembler plaisant à Ionesco et c’est tout.
C’est plutôt par l’environnement (décor de Florica Malureanu tout en glaces miroirs, arbres morts et neige poudreuse –très beau-, éclairages savants et nuées, musique rumeur troublante) qu’il exprime la transformation des rêves en cauchemars.
L’impalpabilité du sol symbolise la fragilité des marionnettes humaines manipulées par les êtres maléfiques surgis de ce sol même. La forêt enchantée est « terrible » et les jeux de glace renvoient les protagonistes à des doubles authentiques. (encore que la « morale » ne semble embarrasser personne, et si la pudeur virginale d’Hermia au début l’amène à s’éloigner des étreintes de son amant, c’est un détail qui ne l’empêche pas d’être venue à moitié à poil dans la forêt. L’érotisme semble d’ailleurs être chéri par Ionesco, mais qui s’en plaindrait quand Titania est si belle en Daisy Amias dépouillée de tout ornement.
Que dire d’autre ? Que le réalisateur n’a pas infléchi sa mise en scène vers le « politique » ? Mais que pourtant il a traité le sujet gravement ? Je dirai plutôt qu’au fond, je m’en fous, car je ne me suis pas senti concerné par ce qui, tout de même, n’est qu’un divertissement. À noter que Claude Lévêque en mur est très bien.
13.01.77 – Lorsque Jean Vauthier m’avait fait l’honneur, il y a quelque mois, de lire sa pièce ELISABETH (sauf erreur elle n’avait pas encore son titre complet : TON NOM DANS LE FEU DES NUÉES ELISABETH) à mon exclusive attention, j’avais ressenti que je me trouvais en face d’une grande machine vide de contenu, mais riche d’une langue superbe, et emportée par un souffle violent engouffré dans une étroite vallée bordée d’un côté par la montagne « tragédie », et de l’autre par le bossellement « dérision ». Et puis je me disais que le réalisateur saurait peut-être tirer un parti brillant de l’intelligence où les degrés s’accumulent, où le théâtre n’est plus seulement le théâtre dans le théâtre, mais la télévision dans le théâtre qui est lui-même dans le théâtre. Je ne détectais pas de « message » au niveau de ce texte, mais cette invasion de l’audiovisuel chassant à la limite les acteurs de la scène, c’est quand même un danger qui nous menace, et d’autre part le thème du « dérangement » ne saurait me laisser indifférent.
Dois-je dire que je n’ai rien trouvé de ces espérances de spectacle dans la représentation très provinciale apportée à l’ODÉON par l’ex-Lyonnais Maréchal, dont on peut se demander, à le voir multiplier les échecs, ce qui reste de son talent ? Dans des décors suprêmement laids, il fait évoluer avec des vêtements sans âme des acteurs médiocres qui confondent hurlements et lyrisme, vociférations et paroxysme, humour et galéjade.
Je sais bien qu’il ne signe pas seul sa mise en scène, qu’il a fait faire le travail pratique par Ballet et qu’il a compromis l’auteur. Reste que c’est lui le patron et que son entreprise rapetisse gravement le propos. Cela dit, je crois savoir qu’il ne tenait pas tellement à Judith Magre. C’était Vauthier qui la voulait. Je me demande s’il n’avait pas raison car elle est exécrable. Pas un mot du texte ne m’est parvenu à travers son organe. Cette méchante actrice gâchée par son égocentrisme fou est à écarter des distributions futures. Elle arrive à nous donner l’impression que la langue de Vauthier n’existe pas. J’ai cru, à travers elle (et Maréchal), assister à un spectacle sans texte. C’est quand même incroyable, non ?
J’ajouterai ceci : il ressort des lignes ci-dessus que le RÉSULTAT n’est pas à la hauteur de la PROPOSITION offerte par Vauthier. Mais il faut avouer que cette proposition elle-même n’était pas à la hauteur d’un homme à qui l’on doit des œuvres essentielles du XXe siècle. À le voir s’amuser avec les textes élisabéthains (ici ARDEN DE FAVERSHEIM, faut-il le rappeler ? ) on en arrive à se demander s’il est devenu sec, si son imagination créatrice originale est tarie. Si je ne SAVAIS qu’il porte en lui des sujets, je le croirais. Mais alors, qu’attend-il pour revenir à l’essentiel ?
COMMENTAIRE
Curieux, ce jugement sévère porté sur Judith Magre. Je l’avais moi-même engagée pas mal d’années auparavent pour jouer le rôle de PHÈDRE dans une de mes propres mises en scène. Elle était merveilleuse à diriger et superbe à l’arrivée. L’avais je à ce point oublié ? C’est vrai qu’elle était très capable, dans ses accès de mauvaise humeur,de saboter son talent. Peut-être était-ce le cas ce soir là.
Et quant à Vauthier, je crois qu’en ce début de 1977 il amorçait sous la férule de Maréchal, avec qui il se plaisait à entretenir des rapports troubles du genre dominant dominé, sa lente descente aux enfers de la confusion boulimique des idées, jamais satisfaisantes à ses propres yeux, au terme de laquelle il laissera une œuvre inachevée riche de mille perles, mais informe.
14.01.77 – Daniel Benoin a choisi de « regarder » LE ROI LEAR de Shakespeare avec (principalement) un œil de psychanalyste. Il est dommage, compte tenu de ce parti, qu’il n’ait pas eu pour jouer le rôle un monstre comme Alain Cuny qui aurait certainement su le suivre dans les méandres de la tempête intérieure. Jean-Marc Bory reste en effet au niveau du sol, et son jeu réaliste ne s’accommode guère d’éléments silencieusement déchaînés que seul exprime un grondement sonore apocalyptique qui va croissant dans la dernière demi-heure du spectacle. De toute manière, l’introversion des personnages, leur contemplation de leurs motivations et quelquefois leur exploration de leurs cônes de Bergson, jointes à leur immobilisme, quand la violence ne les investit pas (une violence que le metteur en scène paraît goûter avec saveur), donnent à la représentation un rythme d’une extrême lenteur qui distille sur les spectateurs un ennui profond. Le souffle des « amers tourbillons de l’air » n’a pas soulevé, emporté les contemplateurs de nombrils que sont ici devenus les héros célèbres. Certes, cela confère de la densité et il ne viendrait pas à l’idée, après avoir vu ce Lear-là, de les trouver débiles comme après celui de Debauche. D’un autre côté, le décor de Dominique Pichon, qui oppose les éléments eau, terre et feu qui environnent Lear et d’une manière générale les errants de la pièce d’une part, l’imagerie d’Epinal dans laquelle s’épanouissent en tableautins les installés dans les Pouvoirs d’autre part, est intéressant quoiqu’un peu systématique avec cette lourde porte qu’on doit sans cesse ouvrir et fermer. (passons sur le fait que nous avons droit à des « nuées » pour la 4e fois de la semaine !)
Et St Etienne n’a pas lésiné sur la distribution qui, autour de Pascale Audret, nous ramène entre autres Marcel Champel, Paul Descombes, Gilles Segal (pas des jeunes, hein ? ) et un Daniel Laloux en fou sous-employé. Reste que si l’entreprise est estimable, -et si elle nous change un peu des tentatives habituelles d’infléchissement « politique » des traiteurs ès contenu shakespearien à la mode-, elle n’est pas convaincante. Pour moi, cela n’a pas « passé. »
15.01.77 – Django Edwards, c’est un peu Alberto Vidal, un peu Savary, Coluche ou Bouteille, un peu Pradel, Lebreton et Marceau. Il plonge (vraiment) dans un verre d’eau. Sa langue, sa bouche, sa main se mettent à exister indépendamment de sa volonté. De sketch en sketch, il est Zorro, le dur, le pianiste et la chanteuse de beuglant des westerns, il est Johnny Hallyday ou quelque Roi du rock, il est travelo minable ; disons que c’est un clown. Il fait rire. Il a des idées. Il ne promène pas de message. Mais il ne sait pas se limiter. Je suis parti au bout de 2 heures moins satisfait qu’après 1. Il est accompagné avec intelligence par un trio de jazz excellent : les FRIENDS ROADSHOW. Ça lui permet de se définir comme un « Rock and Roll Clown ».
17.01.77 – D’un point de vue « politique », il est certain que le spectacle des Mirabelles « Les GUERRILLEROSES » (version revue et corrigée depuis celle à laquelle j’avais assisté en Avignon l’été dernier), n’est pas le fruit d’une réflexion. Mais la bonne volonté et le bon sens ne manquent pas à ces « Messieurs dames », et quand ils rêvent que des marguerites poussent sur les centrales nucléaires, on doit bien convenir qu’ils ont des préoccupations autres que celles qui consistent à revendiquer le droit à la différence pour les homosexuels. L’aspect « travelo » de cette équipe n’est d’ailleurs pas son essentiel. Il donne lieu à un sketch drôle. A part cet instant tourné du reste en dérision, le militantisme est dépassé et l’on a simplement en face de soi des personnages désopilants ou émouvants, selon, qui chantent, jouent et disent des textes d’eux tantôt sur le mode parodique et tantôt sur le poétique. Le comique est à mon sens davantage leur fort, et il n’est pas possible d’oublier la parodie d’opérette paysanne de la première partie, non plus qu’au début de la seconde, l’étonnant opéra où chacun suit SA partition propre à tour de rôle, communiquant une certaine image de la solitude qui est assez forte.
Les Mirabelles –est-ce leur condition qui l’inspire ?- sont sensibles à l’Absurde et leurs numéros frisent facilement le surréel. C’est pourquoi sans doute, ces numéros, sans rapports les uns avec les autres, se succèdent sans lien logique. Je n’ai pourtant pas retrouvé l’impression de décousu ressentie en Avignon car le rythme transforme en « parti » ce qui là-bas était défaut.
Dommage qu’à la Cour des Miracles il y ait un entracte. Rien ne le justifie sinon sans doute la limonade.
18.01.77 – Je suis bien triste et pas content après des gens que j’estime. Car Betty Raffaelli a traité Tchékhov comme Arlette Reinberg en usait naguère envers Dubillard. Elle a « changé l’ordre » des scènes et des répliques écrites, au nom d’une intellectuelle mise en valeur de « l’infinité des rouages historiques , sociaux, psychologiques » du XIXe siècle russe vieillissant, et d’une arbitraire volonté de « mieux définir » les interdépendances des personnages, qui existent toujours en fonction de tous et de chacun ».
Ajoutez qu’elle s’est refusée à traiter Tchékhov « uniquement en humaniste » et que pour méthode de travail, elle a voulu se souvenir « avant tout que Tchékhov était médecin, et que le regard scientifique, le culte de l’INDIFFERENCE étaient pour lui religion, DISTANCIATEUR avant l’heure »…
Moyennant quoi l’IVANOV du THÉATRE CHRONIQUE dure 3 h 15, est chiant et ne touche pas. C’est un comble avec une œuvre que j’ai vue, dans la mise en scène de Mauclair en 1956, faire jouir de joie et d’émotion des foules innombrables. Il est vrai que notre « inestimable ami » de ce temps-là n’avait pas cherché midi à quatorze heures. Il s’était contenté de bien distribuer la pièce, choisissant de bons acteurs répondant aux descriptions du texte, de la mettre en espace RÉALISTE, le seul convenable, et DE LA LAISSER FONCTIONNER, CE QUI, À MES YEUX, EST LA SEULE CHOSE À FAIRE AVEC TCHÉKHOV. C’est du théâtre d’aliénation, qui doit fonctionner par touches impressionnistes et ÉMOUVOIR.
SI MOI je m’identifie à Ivanov, c’est-à-dire avec l’homme qui a porté de grandes œuvres en lui et qui a démissionné, si je pleure à ce coup porté à mon cœur, j’aurai peut-être un sursaut passionnel qui me fera reprendre l’entreprise abandonnée. L’aliénation me fera prendre conscience de l’intérieur. Mais si je suis mis en face de ce personnage en voyeur étranger, si on me contraint à la contempler avec un œil seulement clinique, pourquoi voulez-vous que sa dissection m’intéresse ? IVANOV est un admirable personnage qui porte en soi une universalité. Car ceux qui réalisent les aspirations de leur jeunesse sont rarissimes dans notre Humanité. Chacun en pleurant sur lui, pleure un peu sur soi-même et là est la grandeur, la beauté, bien plus, l’UTILITÉ de Tchékhov.
L’« éloigner » fait perdre tout son sens à la pièce.
Les acteurs ne semblent pas bien heureux dans le décor de Michel Raffaelli qui –très abstraitement d’ailleurs- confond volontairement au nom des conceptions ci-dessus exposées la Maison d’Ivanov et celle des Lebedev. Ils disent un texte d’Anne-Marie Lazarini et Betty Raffaelli qui ressemble comme un frère à celui de Mauclair qui m’était resté dans l’oreille. Miloud Khetib n’est pas mal en Lvov (le médecin honnête). J’ai déjà vu Malek Eddine Kateb mieux. Dominique Bernard ne fait pas oublier Max dans Chabolski, mais il est possible. Jeanne Champagne en Sacha et Marie Tikova en Anne ne sont pas suffisantes. Comme est insuffisant le reste de la distribution.
Triste entreprise. S’il ne s’agissait d’une œuvre d’un auteur qui n’a rien à perdre, elle serait criminelle.
19.01.77 – Je confesse ne m’être jamais intéressé particulièrement aux personnalités de Scott et de Zelda Fitzgerald. Dans ces conditions, c’est seulement en curieux que je puis considérer le spectacle de Denis Llorca et Serge Keuton intitulé HIER DANS LA NUIT DE ZELDA.
La nuit en question, c’est celle qu’a traversée à plusieurs reprises la dépressive Américaine dans des maisons « de repos » et des asiles de fous. Un médecin, dans l’un de ces établissements, a l’idée de faire jouer sa vie à l’héroïne. C’est à ce psychodrame que nous assistons, et comme il s’agit d’une maison pour femmes, ce sont des filles qui tiennent les rôles, ce qui nous vaut de voir de savoureuses gouines bien connues incarner Scott (Claude Degliame) et Hemingway (Denise Perron). Mais sans la Foi envers cette Amérique brûleuse de vies, et sans la totale connaissance des tenants et aboutissants, le spectacle reste très éloigné du néophyte qui est un peu surpris de voir Llorca penser. Il le fait à travers ses personnages, ce qui lui permettrait, s’il était critique, de contester les visibles conséquences de l’American Way of life. Malheureusement, son romantisme l’amène à prendre en compte comme héros ces déchets de l’humanité dont le seul titre de gloire est leur œuvre.
MAIS JUSTEMENT celle-ci est absente du spectacle. C’est un élève d’ICI PARIS qui a écrit le spectacle, et non un des NOUVELLES LITTÉRAIRES ou de TÉMOIGNAGE CHRETIEN, encore moins de FRANCE NOUVELLE !
Esthétiquement il y a de beaux moments, dus sans doute à Serge Keuten, mais le parti de lenteur qui a été imprimé au spectacle le rend souvent trop ennuyeux.
Colette Godard a écrit qu’Anne Alvaro avait trop de santé pour être une Zelda plausible. C’est probable.
20.01.77 – Vers les années 40, j’étais très agacé par l’œuvre d’un Monsieur qui plaisait beaucoup au Maréchal Pétain et qui s’appelait Giono.
Joseph Delteil, qui a plu à Jacques Echantillon, a la même hérissante façon paysanne d’écrire dans un style soi-disant « ruralement poétique ».
Il est pavé de bonnes intentions, ce Delteil, d’ailleurs. Son JESUS II, c’est un dingue qui s’évade d’un asile de fous, qui arrive à rallier une douzaine de fadas, et se trimballe « dans la région » avec « un enthousiasme indescriptible » pour expliquer aux gens qu’ils ne vivent pas vraiment, qu’ils doivent « rêver de ponts d’ étoiles et de pyramides de ciel » (sic) en se rappelant que « impossible n’est pas fou ». Il paraît qu’après l’entracte, (mais je n’étais plus là pour le voir), ce zigomar part à Rome pour convertir le Pape au Christianisme, et qu’il est (si j’en crois une photo, placée dans le hall du Théâtre de Paris) crucifié par les pieds par l’homme, « le seul animal qui triche au jeu de la vie ».
À dire le vrai, ce n’est pas le contenu qui m’a fait fuir et j’aurais probablement pu supporter le « langage », s’il n’y avait eu la mise en scène plein air mal transposée en salle d’Echantillon. UN seul acteur est écoutable, c’est Prévand, qui raconte sa propre histoire (c’est JESUS II bis), avec distance et flegme. Tous les autres hurlent, vocifèrent, grasseyent en permanence avec une « vitalité » aussi fausse que le style de ce qu’ils disent. Ils s’agitent en truculence excitée sous la direction d’un Jean-Claude Drouot que je n’ai jamais vu aussi mauvais. Cette agitation relève de la plus mauvaise tradition.
Reste que le contenu lui-même –chrétien de bonne volonté gentiment contestataire dans le ton boy-scout- en dit long sur la « politisation » du directeur des « Tréteaux du Midi ». Quel choix !