Du 7 avril au 14 juillet 1975
7.4 – C’est bien joué, c’est enlevé alertement, c’est astucieusement monté par l’habile Denis Llorca qui a exécuté là un travail commandé par le Directeur du Théâtre de la Ville, Jean Mercure, c’est joliment décoré et habillé par Rafaël Rodriguez, ça s’appelle LES CRUCIFIXIONS DE SAINT BARTHÉLÉMY, c’est d’un nommé Claude Prins qui n’a pas l’air de porter dans son cœur les mœurs de l’Eglise Catholique de la Renaissance, ça dure 3 heures d’horloge et avec ce que ça a coûté, 10 jeunes metteurs en scène auraient pu, à l’aise, créer chacun un spectacle « habité ». Comment ne pas contester ce gâchis ? Comment ne pas mettre en question un système qui donne une telle chance à un médiocre ? (Je parle de l’auteur) Ce n’est pas que le sujet soit dans l’absolu sans intérêt, mais pour qu’il y ait leçon, il aurait fallu que soit démonté l’enchaînement qui a permis à ce gigantesque Pogrom de se concrétiser. Au lieu de cela, Prins a écrit une molle fresque historique qu’il a cru rendre dense en y mêlant des thèmes parallèles, et audacieuse en défiant l’unité des époques. Cela nous vaut de voir évoluer périodiquement un Barthélémy croustillant de débilité, et un groupe de touristes contemporains dont le rôle en tant que témoins est affligeant d’immaturité politique. Llorca n’a pas cherché à sauver l’œuvre, mais bien plutôt, ayant accepté ce boulot alimentaire, à tirer du jeu sa propre épingle. Il y parvient avec allégresse et brio.
8.4 – Pendant un moment je me suis demandé si Catherine Dasté se foutait d’Antoine Vitez, tant le phrasé imposé par elle aux comédiens du RÊVE DU PAPILLON me paraissait ressembler à une caricature « allant beaucoup plus loin », allant même au bout du bout de l’excessif, des « directions » du singulier professeur. Et puis j'ai songé à Grotowski, capable de sortir du corps humain des sons insoupçonnables. Finalement, ce sont les vieilles glottes de Jan de Blieck qui m’ont paru être les plus proches de ce que j’ai entendu à Sartrouville. En fait, je crois que Catherine Dasté et Michel Puig (qui a travaillé avec elle), ont un peu confondu Japon et Chine dans leur recherche d’un langage non immédiatement réaliste. Mais cela n’a guère d’importance, et les résultats rauques, modulés, stridents, toujours expressifs et signifiants, ne sont pas sans étonner d’abord, intéresser et atteindre ensuite. Reste que ce gros travail demeure un peu théorique, académique, art pour l’art, et que la pièce de Kuan Han Chin n’est pas aujourd’hui très nécessaire. Reste aussi que le texte français est un peu plat et comporte des mots de bas vocabulaire qui surprennent. Certes ils font rire, mais un brin à bon marché.
En vérité, je ne sais pas bien comment rendre compte de ce spectacle de bonne humeur. Catherine Dasté m’a paru y transmettre une certaine santé, mais si sa réflexion a porté sur le contenu, cela ne m’a pas sauté aux yeux, et si la « fable » passe, c’est indépendamment de l’esthétisme du spectacle. Il est vrai que la minceur de cette fable justifiait cette désinvolture. Brecht, eût su, pourtant, la rendre exemplaire.
Bon. C’est tout de même par moments très beau. Tout a été très soigné : attitudes, lumières, environnement. C’est très discipliné, très professionnel. C’est de qualité indéniable. MAIS ce n’est pas très satisfaisant, peut-être parce que pas très utile.
11.4 – Je crois que René Ehni, avec sa JOCASTE, a voulu faire une pièce sur la « confusion ». D’ailleurs quand j’écris : « a voulu », je lui fais sans doute trop d’honneur. L’œuvre est visiblement jetée à la hâte sur le papier. Elle n’est pas construite. C’est un éboulis où s’entassent sans ordre les idées qui sont passées par la tête de l’auteur. Ainsi est-ce une pièce sur la « confusion ». N’y voit-on pas, au cœur d’une Alsace écartelée entre sa culture allemande et son souvenir de la visite du Roi de France « qui était si joli », écartelée aussi entre son paganisme paillard et son christianisme, une Jocaste femme de ménage donner naissance à un Œdipe qui est identifié au Christ d’où il ressort que le petit Jésus a sûrement couché avec sa mère, comme font d’ailleurs tous les garçons d’Alsace, le tout sous l’œil lourd d’une matrone nommée Erda (« la terre »), tandis qu’un curé gauche fasciste tient des propos qui indiquent une singulière absence de maturité politique ? Confusion des langues, confusion du destin alsacien (et son ambiguïté), confusion du petit Ehni empêtré dans les jupes du matriarcat, confusion de la pensée dudit petit Ehni homme femme intellectuel, paysan traditionaliste attaché au patrimoine et pourtant français, provocateur grossier vulgaire et capable d’envolées lyriques.
Tout ça, c’est un air sain et sincère, mais peut-on pardonner à un homme de métier d’avoir poussé la mise en œuvre de son sujet jusqu’à la confusion de la forme ?
La mise en scène de Périnetti est intelligente, exacte, belle par moments et elle éclaire autant qu’il est possible la (ou plutôt les) propos. Mais elle ne peut pas l’impossible et la distribution n’est pas terrible. Notamment la célèbre Tilly Breidenbach, qu’on avait admirée dans le rôle quasi-muet de l’Amie Rose, est ici, où elle ouvre trop souvent la bouche, bien agaçante, et Josine Comellas n’est visiblement pas à l’aise.
J’ai remarqué une Alsacienne, Françoise Ulrich, qui joue par contre avec beaucoup de conviction.
La comparaison avec L’AMIE ROSE éclaire pourquoi Jocaste n’est pas satisfaisant : il y avait là un sujet humain social vrai, intensément fondamentalement politique + les phantasmes d’Ehni ! Il n’y a ici QUE les phantasmes d’Ehni qui est bien trop individu pour atteindre à l’universel.
13.4 - L’émotion au théâtre est une denrée trop rare pour que ne soit marquée d’une pierre blanche le « DANS LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE » de Mehmet Ulusoy. Le mérite n’est point mince, car réussir à faire pleurer des spectateurs blasés avec des textes de Karl Marx, il y avait là de la gageure. Marx, il est vrai, est renforcé par Brecht, Nazim Hikmet, Maïakovski, Jack London et autres poètes moins arides que l’auteur du CAPITAL. Reste que l’ensemble est soulevant, enthousiasmant… et salutaire car il me paraît vraiment opportun aujourd’hui de théâtraliser des actes et paroles historiques que la politique du révisionniste PCF aurait tendance à estomper de l’horizon de nos « communistes » actuels eux-mêmes. Mehmet emploie ses procédés habituels, masques, projections, théâtre d’ombre, musique signifiante, mais ici au TEP tout est plus abouti, plus parfait. Les « moyens » n’ont pas grisé le THÉATRE DE LIBERTÉ, mais lui ont permis de remodeler la salle du TEP. Des filets sont tendus au-dessus des spectateurs. Sur la scène, des amoncellements de frigidaires évoluent tandis qu’en dimension verticale les acteurs vont et viennent, assénant avec FOI et CONVICTION les vérités trop oubliées sur la bourgeoisie, la lutte des classes, la marchandise, la plus value. Ici le communisme a bien le poing levé et c’est salutaire !
Bref, admirable, inespéré spectacle, de surcroît beau, rythmé, nourri, vif… pendant 1h15 sur les 2h15 qu’il dure. Car hélas, c’est trop long, et sur la fin, les scènes sur la guerre semblent pesantes, sans doute parce qu’elles enfoncent des portes plus couramment ouvertes, des rappels moins opportuns. Cette guerre interminable est un peu hors du sujet et c’est dommage. Et puis il y a une faiblesse de distribution très étonnamment en la personne d’Evelyne Istria qui semble cachetonner au milieu d’acteurs qui payent comptant. En fait, elle est déphasée et on décroche quand elle intervient.
Mais Baste ! Ne soyons pas chiens. J’ai pleuré au théâtre hier soir. Et pendant près de 90 minutes, j’ai oublié mes fatigues, mes problèmes, pour rêver en communion avec une troupe au vrai combat. Pendant 90 minutes, je me suis attendri sur mon humanité aliénée par un « système » abominable qui se défend et qu’il faut abattre pour que les hommes deviennent enfin des HOMMES. Allons : oublions longueurs et faiblesses. Elles se corrigeront d’ailleurs sans doute. Laissons ces appâts à ceux qui chercheront des prétextes pour abattre l’entreprise « subversive ». DANS LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE réclame des militants. Soyons-en. Et félicitons Puaux d’avoir inscrit cela au programme du Palais des Papes. L’impact en Avignon pourrait être considérable.
15.4 – Je crois qu’il faut être sévère : pendant 3 heures d’horloge, ON ne m’apprend RIEN que je ne sache de longue date sur le Franquisme et l’après Franquisme. On ne suscite chez moi aucune émotion. On ne m’appelle pas à l’action. On m’inflige les glapissements d’émigrés qui ressassent interminablement les mêmes litanies, et l’on « dénonce » à grand renfort de « trajectoires » compliquées, ambiguës même, le régime du pays voisin, ce qu’entre parenthèses Arrabal a déjà fait plusieurs fois de façon autrement plus forte. En a-t-elle fait couler, de l’encre, cette PASSION DU GÉNÉRAL FRANCO interdite naguère au TNP et qui, aujourd’hui encore, déplait au gouvernement espagnol au point que ses routiers menacent de déserter la Maison Calberson si elle persiste à y abriter ses détracteurs ! Ô Don Juan Roi d’Espagne, tais-toi donc ! L’entreprise va sombrer dans le silence si tu n’aides à sa sauvegarde ! Ne rends pas à Gatti le service de s’en sortir en martyr politique : il ne dit, ne montre RIEN que le monde n’ait déjà dit et montré, ne dise et ne montre tous les jours. L’« objectivité » est la même et on n’a pas besoin de Gatti pour s’entendre insidieusement rappeler qu’il y a « plus de prêtres emprisonnés en Espagne que dans tous les Pays de l’Est réunis », ce qui revient, par un procédé journalistique connu, à remettre en mémoire qu’il y en a dans lesdits Pays de l’Est !
On ne peut pas adhérer non plus à l’éthique petite-bourgeoise qui mélange les histoires de cul d’une bonne femme et la campagne pour la récolte de la canne à sucre à Cuba. Qu’est-ce qu’il a contre Cuba, d’ailleurs, Gatti ? Montrée comme un refuge trop « confortable » pour des émigrés coupables d’y oublier leur malheur national (Bon Dieu ! Si quelques-uns y ont trouvé la voie, pourquoi leur jeter la pierre ?), et en même temps condamnée pour entretenir avec la mère Patrie ancestrale des relations privilégiées avec à sa tête des convertis suspects, quels comptes règle-t-il ?
Que ce spectacle est confus ! Et quelle erreur que de l’infliger à des spectateurs debout qui s’épuisent à suivre les acteurs tout en se garant des voitures comme naguère sous Ronconi : Gatti croit-il que la fatigue physique aide à éprouver, à comprendre, à analyser, à condamner ? Et croit-il que son « Art » aide à l’impact ? Etait-il attendu, pourtant, ce Franco ! La montagne a accouché d’une souris, et c’est bien dommage. Car bien sûr, j’aimerais mieux qu’on dénonçât Giscard, notre D.S.T., nos S.A.C., notre fascisme subtil, mais enfin d’accord, Franco, c’était pas bien !
Du moins aurais-je préféré que cette dénonciation confortable de ce côté-ci des Pyrénées ne soit point si ennuyeuse.
Dois-je ajouter que si la troupe est consciencieuse, elle ne m’a guère semblé très « militante ». Gatti est loin de Mehmet…
UN DÉTOUR PAR NICE
22.4 – Le titre n’est pas « commercial », et de plus il ne prépare pas au spectacle. ENCORE UN MILITAIRE ! C’est ambigu, ça englobe tout et rien, ça change de sens si on met une virgule après le 2e mot, ça n’attire pas. Je ne dis pas qu’un titre doive être raccoleur, mais de là à ce qu’il soit repoussoir… Allons Bisson, il faudra changer ça avant de monter à Paris. Car le spectacle mérite l’épreuve parisienne. Il a toutes les chances de la gagner, car il contient beaucoup du Bisson que nous aimons, avec en plus des choses d’un Bisson nouveau, structurant, construisant son œuvre, avec un jaillissement du « métier » spontané, maîtrisant l’humour et la drôlerie sur un fil de funambule à mi-chemin du tragique pur.
Quelque part aux colonies (anglaises), un général homosexuel (J.P. Muel : il n’a qu’à parler sans composer. Le rôle a été fait sur mesure) marié à une Anglo-saxonne passablement nympho et carrément directe (Cationa Mac Coll), vient prendre le commandement d’une garnison isolée en pays hostile. Il tombe aussitôt amoureux du Capitaine (François Lafarge ), baroudeur type, modèle de virilité militaire qu’aucune étreinte ne rebute, tandis que la générale s’envoie en l’air avec un sergent d’abord (Alain Vannier), un titi parisien qui passait par là (J.P. Bisson), ensuite. Ces écarts font beaucoup souffrir son mari mais ce qui le met au maximum de ses états, c’est une fugue dans la brousse que fait le Capitaine, à la recherche des 1ères lignes… Le « drame » s’achèvera par 2 morts dont 1 suicide, le tout par une chaleur moite à la Tennessee Williams (qui aurait d’ailleurs intérêt à être plus perceptible), au milieu des bruits d’oiseaux et d’insectes, et ponctué par des interventions musicales évidemment romantiques.
Ce serait du Boulevard SI ce n’était parodique, dérisoire. L’excès des passions du général porte en lui-même l’annonce du grotesque de ces Passions (n’en a-t-il pas une, d’ailleurs, dans chaque garnison nouvelle ? ). Les indications « militaires » dans leur exactitude toute britannique, leur raideur stupidement hiérarchisée, leurs notations d’héroïsme inutile, portent en elles-mêmes la contestation de ces valeurs. Et pourtant il n’y a pas CRITIQUE d’un milieu au sens où l’entendrait un Planchon. Rien n’est lucide dans ces domaines chez Bisson et c’est bien ce qui fait son prix. L’éclatante stupidité de l’univers militaire apparaît avec naturel. Point de « dénonciation », une évidence. Au fond, Bisson a trouvé de vieux secrets que nos « docteurs » avaient quelque peu effacés de nos mémoires : il n’explique pas, il fait AGIR et c’est de l’ACTION, du comportement des personnages, que jaillit la leçon… Si j’ose employer ce mot car il n’y a aucune volonté didactique. Il y a de la vérité sur la scène, de la vie, qui, comme la vie, est toujours mi-grave, mi-pas importante. C’est ce naturel qui fait de Bisson une personnalité de plus en plus originale, hors courants.
Le décor de François Lafarge est très signifiant. On peut regretter que la pauvreté des moyens ait empêché un alourdissement de la distribution. Il eût été plus succulent d’assister à ces dramuscules intimistes sur fond de milliers de soldats manoeuvrant, en somme, sur fond de chair à canon. Ici, ils sont vraiment un peu trop seuls à être présents, ceux qui ne vivent que des sentiments dérisoires. On a trop l’impression d’une patrouille isolée. On ne se rend pas assez compte que ces misérables conflits sont le fait de donneurs d’ordres qui signifient la vie ou la mort pour des hommes. Leur solitude, rendue nécessaire par le budget, édulcore un peu l’impact de cette chronique coloniale qui n’a l’air de rien et qui porte en soi une très profonde subversion. Oui, c’est de la vie à l’état pur, celle qui faisait dire à Prévert qu’elle n’empêchait pas les fromages de se faire et la terre de tourner.
Reste que nous étions très peu nombreux hier au Théâtre de Nice. C’est la 4e création Bisson de la saison et l’indice de fréquentation est en baisse grave. De plus, l’équipe est l’objet de critiques locales fort vives. Le temps n’est plus au crédit et l’on peut se demander si ce spectacle fera le poids pour le rétablir : car il est certes tout ce que je viens d’écrire, mais quand même assez mineur. L’air de la Côte d’Azur ne vaut rien à notre jeune fougueux Parisien.
28.04 – Il faut croire que TIENS LE COUP JUSQU'À LA RETRAITE, LÉON, de Georges Michel, recèle quelques vertus contestatrices, puisqu’elle réussit à faire sortir quelques spectateurs de leurs gonds. Le journal P.C. bon teint « La Marseillaise », a titré : INSULTE À LA CLASSE OUVRIÈRE. Je le comprends : il n’y a pas un seul délégué syndical dans l’œuvre, pas l’ombre d’une solidarité. L’ouvrier Léon est seul face à l’hydre qui l’exploite avec cruauté et ingratitude. Là est certes la faiblesse de l’œuvre : la lutte ouvrière n’est pas montrée. Léon, solitaire victime entourée de solitaires victimes, ne progresse pas vers une vieillesse heureuse. Au contraire, il ne cesse de régresser et, autour de lui, il ne trouve aucun soutien. Il est jouet entre les mains d’un Pouvoir que RIEN ne limite et ses révoltes sont impuissantes. Aussi n’est-il pas étonnant que son fils ait choisi le chômage à perpétuité et que « le marginal », c’est-à-dire le feignant ricane en contemplant les stupides fourmis qui bossent parce qu’elles sont tombées dans le piège de « la famille ». Le rapport ouvrier patron montré individuel correspond-il encore à une réalité ? Dans une usine actuelle, un ouvrier va-t-il demander une augmentation comme la secrétaire à son patron d’une petite entreprise ? Tout cela n’est-il pas devenu automatisme, barèmes, catégories ? Il me semble qu’il y a irréalité dans le propos, anachronisme pour le moins.
Seulement voilà : Georges Michel non seulement néglige, mais ignore la camaraderie syndicale. Ce faisant, il choisit de montrer un univers pessimiste. Au bout du non combat de Léon et de son isolement, il n’y a pas de « révolution ». Ici, elle devient un concept abstrait, inatteignable. Le monde décrit, proche de celui de Bradbury auquel la TV omniprésente fait évidemment songer, est totalement aliéné à la « consommation » et ne s’en défend pas. L’homme s’y vend « pour pouvoir acheter », c’est tout. Allons-nous vraiment vers CETTE société, faite de « Familles Duraton » médiocres, sans ambitions, sans défenses ? Qu’il me soit laissé la liberté d’en douter, ou, à tout le moins, de ne pas vouloir le croire !
Et sans me mettre en colère comme certains qui voient dans cette lecture du monde un grave mépris pour la classe ouvrière, ne puis-je songer que Georges Michel y jette tout de même un peu trop l’œil de l’extérieur ? Cette pièce est une pièce de petit-bourgeois.
Reste qu’elle n’est pas inutile et qu’elle doit être soutenue. D’abord parce qu’elle parle d’un sujet contemporain français et que cette denrée est trop rare pour être rejetée facilement, ensuite parce qu’elle offre matière à réflexion, à discussion, justement parce qu’elle laisse dans l’ombre une bonne partie de ce qu’est la classe ouvrière. Elle peut être l’occasion d’opportunes réflexions sur les thèmes : réalité de la solidarité ouvrière ? Réalité de l’aliénation irréversible à la consommation ? La révolution est-elle une utopie ? Le combat syndical est-il compatible avec la lutte révolutionnaire ? etc. etc… EN SOI, je ne puis accepter sa « leçon », mais en tant que catalyseur, je l’approuve. Elle est très bien montée par Régis Santon avec à l’appui une très suggestive musique de Jacques Luley. Est-ce exprès que Santon a fait jouer le marginal par un étranger ? Il est dommage qu’on comprenne mal ce que dit ce zigomar, Grec sans doute, si j’en crois son nom (Danavaras). Beau et astucieux dispositif de Françoise Darne.
29.04 – Si vous avez envie de voir Alain Ollivier se masturber (vraiment) et Marie-Christine Barrault essayer de s’avorter (apparemment) avec une aiguille à tricoter, ne manquez pas TRAVAIL À DOMICILE de Kroetz au petit TEP. C’est un spectacle hyper super réaliste, quasi naturaliste, tout en gestes et en silences signifiants, remarquablement mis en scène par le sensible Jacques Lassalle à qui je ne ferai qu’un reproche : pourquoi, par les costumes et un certain choix de l’environnement musical, a-t-il cherché à me faire croire que l’anecdote montrée se situait à l’époque pré hitlérienne, alors que pour l’auteur, elle est contemporaine ? (ce qui en dit long sur la non information en matière de contraception dans la RFA). Ce décalage édulcore un peu le propos, et je trouve ça dommage, mais n’en faisons pas un plat. TRAVAIL À DOMICILE qui montre la vie de tous les jours (vie sans joies) d’un couple de prolétaires dont le mari est condamné à faire chez lui des paquets de lentilles, parce qu’étant tombé de mobylette un soir qu’il était saoul, il ne peut plus aller à l’usine. Pendant qu’il était à l’hôpital, sa femme s’est envoyée en l’air avec un type. Elle est enceinte. Elle ne réussit pas à faire passer le gosse qui naît un peu difforme. L’atmosphère est telle à la maison qu’elle se tire, laissant le bâtard et aussi les 2 aînées, légitimes, à son mari (gonflée, la nana !). Willy noiera l’avorton, après quoi elle pourra rentrer dans un climat rasséréné.
Ce que ce résumé ne traduit pas, mais que le spectacle montre parfaitement, c’est l’aspect complètement insipide de vies vides de tout contenu, de toutes espérances de bonheur, de toutes exaltations. Willy et Martha et leurs 2 filles épouvantablement sérieuses pour leurs âges, élevées sérieusement au surplus, accomplissent les gestes quotidiens machinalement, parce qu’il le faut bien. Aucune lueur à l’horizon de cette famille où l’on ne parle jamais que du strict nécessaire, où l’on ne s’aime pas, où l’obscurantisme règne, où le fait politique est inconnu ! Cette grisaille est prenante. Elle est pathétique et elle n’est au surplus que trop réelle. Cela dit, Kroetz me la fait regarder en touriste : ce n’est pas MA grisaille, c’est celle d’une autre classe sociale, allemande, avec ses traits caractéristiques. Et puis Willy et Martha ne sont pas des archétypes, ce sont des individus avec des traits de caractères particuliers : Martha est un peu légère et Willy est tolérant (tant qu’il n’y a pas de conséquences). Lassalle, comme je l’ai dit au début, a accentué l’éloignement. Les flonflons sont résolument d’Outre Rhin. Aucun ouvrier français ne boirait sa bière comme Willy, posément, scientifiquement, éthyliquement, provocateur.
Tout cela enlève de l’exemplarité à la leçon. Et c’est dommage car cette grisaille existe aussi chez nous, ô combien. Elle est le lot de tant de couples métro boulot dodo dont on peut se demander à quoi il sert qu’ils vivent si ce n’est pour produire au profit des possédants ! Aurons-nous un Kroetz français ?
04.05 – Une gigantesque scène de ménage, démesurée, fabuleuse, soutenue par un souffle aux retombées rares, un formidable cri contre toutes les impostures, tous les mensonges : la femme, synonyme d’impureté, y est fort mal traitée. L’auteur est misogyne. Mais l’homme n’est pas épargné : se racontant en même temps qu’il décrit sa compagne, il jette sur soi un coup d’œil amusé, lucide, distancié. «L’HUMOUR baigne LES PRODIGES de Jean Vautier. En voyant Debauche dans le rôle de Marc hier soir aux Bouffes du Nord, je resongeais au « bon » mot familier de notre ami : « La situation est désespérée mais elle n’est pas sérieuse ». Telle est celle de Marc et de Gilly, y compris quand l’horrible entre en scène avec la mort de la nounou brûlée vive. Toutefois l’affrontement n’oppose pas 2 êtres égaux : IL se raconte lui-même et, quoique sévère, n’est pas sans une certaine indulgence. IL LA raconte et, quoique tendre, n’est pas sans une certaine sévérité. Évidemment, Marc, c’est Vautier. On le reconnaît à mille traits. Je ne crois pas qu’il y ait un modèle pour Gilly. Elle est née de l’imagination de l’auteur. Ainsi voit-il la femme dans ses phantasmes, futile, cupide, insincère, vénale, péché, j’en passe. L’Homme est le rêveur des grands desseins, et s’il est impuissant, il n’est pas tout à fait coupable, s’il échoue, ce n’est pas tout à fait sa faute. La femme est sa nécessité déplorable, son empêcheuse d’épanouissement, en somme, son ALIBI intime face à l’échec.
Faut-il dire que l’œuvre est plus riche que cela ? Et surtout que sa langue, son style, son souffle emportent l’adhésion PARCE QUE C’EST DU THÉATRE.
Rosner a bien servi Vautier. Là où Régy il y a quelques années avait cru avoir l’air inspiré en trahissant l’univers décrit par l’auteur, en désincarnant l’environnement indiqué (une vieille maison provinciale où s’accumulent reliques et poussière et où l’argent caché l’est au fond d’une armoire de style), il s’y tient, lui, avec l’aide de Jacques Voizot qui a bien su utiliser le Théâtre des Bouffes du Nord. Pierre Debauche est un remarquable Marc et si Sylvie Genty nous semble bien davantage que lui jouer au 1er degré, faut-il accuser la comédienne ? Je n’en suis pas sûr. Marc se joue et se commente. Gilly est tout d’une pièce. Ainsi l’a voulu l’écrivain. Il est donc normal que le jeu de la fille soit moins intelligent que celui de l’homme. Je crois en fait que les deux interprètes sont exactement ce qu’ils doivent être. Vautier n’a pas à se plaindre. Il est servi avec une honnêteté exemplaire. Et s’il voulait que sa comédienne soit plus subtile, alors il faudrait qu’il réécrive le rôle…
COMMENTAIRE
Aurais je écrit le même compte-rendu si Jean Vautier n’avait pas été un ami ? Truculent personnage dans la vie, il exprimait dans ses attitudes et propos une permanente insatisfaction, comme moi, mais à travers des paramètres qui n’étaient pas du tout les mêmes que les miens.Comme quoi, tout est subjectif.
06.05 – Je ne porte pas à Fabio Paccioni une admiration sans réserves. Mais il est certain que sans sa houlette « professionnelle », l’ENSEMBLE THÉATRE DE LA CHAMBRE NOIRE me renoue avec un côté amateur prononcé, qui est fort sympathique au demeurant, mais qui ne justifie guère sa diffusion en dehors de Sainte Geneviève des Bois. L’œuvre choisie, au surplus, LA FARCE DE LA TETE DU DRAGON de Valle Inclan, conte de fée gentiment traité à la rigolade et désuètement contestataire (l’auteur ayant stigmatisé un moment largement dépassé de l’histoire espagnole et le réalisateur, Antoine Campo, n’ayant clairement pas cherché à tirer de la fable une leçon contemporaine), n’aide pas à faire illusion. Les comédiens inexpérimentés de l’équipe y vont gaiement, chacun à son gré semble-t-il, dans le grossissement. Il s’agit de faire rire. Tel est l’objectif, atteint avec bonne humeur, pour la plus grande joie d’une salle locale très « bon public ». Il y a, cela dit, quelques belles idées (très « paccionniennes ») de mise en scène, du mouvement, de l’entrain, du rythme.
J’ai finalement passé une bonne soirée. Quand j’étais petit, au lycée Condorcet, j’en passais aussi de très bonnes avec les Mascarilles !
08-05 – Il est certain que c’est très bien. Dans le monde des marionnettistes, les jaloux feront la fine bouche, mais les objectifs le reconnaîtront : c’est un beau travail d’Art. Les personnages de Don Juan sont traduits en termes de pièces d’échec et se meuvent, manipulés à vue par des personnages inexpressifs vêtus de noir, sur un échiquier dont les cases s’allument selon les nécessités de l’opportunité. Les figures sont belles et les intentions de Molière sont transposées en mouvements subtils, parfois imperceptibles,toujours d’une délicatesse extrême. Le spectateur se doit d’être attentif, sinon, son oeil sera dissipé et se fixera trop longtemps, soit sur la claveciniste, soit sur Guillot et Jeanne Houdart, qui disent le texte, très bien, un peu trop en gros plan, alternativement, soit, ce qui est moins bien, sur les taches blanches que font sur l’univers environnement les visages des manipulateurs. MOI, je les masquerais de noir. JE les ai trop regardés, ces bougres qui ne peuvent pas toujours s’empêcher de jouer (notamment celui de Sganarelle qui fait carrément corps avec sa « poupée »).
Reste que cette dernière création de Dominique Houdart ne m’a pas satisfait entièrement, de par son exigence même, de par sa perfection dans l’intransigeance. C’est un jeu de l’intelligence qui ne vise qu’à démontrer un certain style d’habileté. Il manque à l’édifice l’âme. Tout cela est « mort », comme sont « mortes » les statuettes (pour la plupart) abstraites, que l’on meut laborieusement, avec précaution, mais qui ne sont jamais ACTIVES. Ce sont des pièces de musée animées (un peu). Une fois de plus avec Houdart, l’imagination, remarquable au niveau de la conception inventive, ne fonctionne pas au niveau de la représentation. Je crois qu’une bonne part des applaudissements va à la très étonnante performance de Jeanne Houdart, exceptionnelle diseuse de textes, qui sauve littéralement la soirée. ELLE a de la chaleur. TOUT hormis elle, est GLACIAL.
10.05 – Je suis bien trop ignare en langues arabes pour m’octroyer l’audace de juger du contenu de LA TETE DE MAMLOUK JABER, de l’auteur syrien Saad Allah Wannous, que l’ACTION THÉATRALE ARABE présente au NOUVEAU CARRÉ dans le cadre du PRINTEMPS DES PEUPLES PRÉSENTS.
Cela semble se passer au temps des mille et une nuits, (mais une médina comme celle de Fez ne vit-elle pas aujourd’hui au Moyen-Age ? ) mais selon le programme la pièce « traite des problèmes internes du Monde Arabe confronté à son Histoire. »
Ne nous en mêlons pas.
Constatons seulement que c’est apparemment un beau spectacle à l’esthétisme soigné, à la gestuelle rythmée quand elle n’est pas rituelle, à la tenue hautement professionnelle, plein de bonne humeur, joliment ponctué par des beaux chants qui sortent d’un organe féminin chaud et délicat, et par des percussions très simples.
Tout est puisé aux sources artistiques traditionnelles mais rien n’est folklore. Ça paraît donc très bien. Dommage que le résumé distribué aide si peu à suivre le détail des actions.
12.05 – LA FAMILLE, feuilleton de Lodewijk de Boer, un Néerlandais de talent réputé, avait fait grand bruit lors de sa création l’an dernier au Théâtre de Poche de Bruxelles.
Le public y était convié mois après mois à suivre les épisodes et la formule était –certes- amusante. À la Cour des Miracles, Jean-Christian Grinewald propose l’ensemble de l’affaire en 2 soirées. Je n’ai vu que la seconde. Je n’irai certainement pas voir la première, car le propos m’a paru profondément dégueulasse. Non que le parti « bande dessinée », tranche de quotidien, vulgarité, m’ait gêné. MAIS LE THÈME !!! La famille en question est composée de squatters anarchistes qui se sont installés dans un appartement d’un immeuble promis à la démolition. Par la fenêtre nous arrivent les bruits des excavatrices et des marteaux piqueurs qui se rapprochent de scène en scène.
Bon, me direz-vous, voilà un beau sujet politique. C’est conforté par le fait qu’un inquiétant personnage, mi-flic, mi-huissier, mi-promoteur dispensateur de papier bleu, passe de loin en loin pour vérifier sur le vif où en est SON expulsion. HÉLAS ! Les anarchistes en question sont des dingues et des tarés. L’un d’eux, un peu trop maniaque du cran d’arrêt, a un type nord-africain prononcé (Bénichou). L’assassinat leur est denrée coutumière, et ils ne se nourrissent que de rapines. Leur « charme » ne peut faire illusion qu’à une mondaine en rupture de classe (d’ailleurs étrangement mariée à un mec dont on ne sait pas bien s’il joue à être où s’il est un caïd du milieu), qui est bien embêtée de s’être fait engrosser par le « cerveau » de la bande, entendez le moins évidemment fou. Et l’inceste qu’ils pratiquent entre frère et sœur n’est pas une protestation sociale, mais le découlement naturel d’une promiscuité excessive entre sous-développés inadaptés (la sœur est muette et apparemment demeurée).
Non seulement cette « personnalisation » enlève toute valeur exemplaire à la démonstration, mais PIRE, les crimes dont se rendent sous nos yeux coupables ces jeunes anormaux, justifie l’action de la police à leur égard, et ce ne sont pas des « victimes » qui tombent sous les balles, mais de dangereux anti-sociaux que n’anime aucun mobile. À QUOI A PENSÉ DE BOER ? Est-ce imagination pure ? Ou a-t-il, ce qui me semble être le cas, pensé à quelque chose comme la bande à Bader ? Alors son affaire s’éclaire et je ne puis que m’insurger : car il y a imposture par glissement à confondre des asociaux criminels certes, MAIS MUS PAR UN GRAND DESSEIN, avec des anormaux assassins à leur propre insu, qu’AUCUNE IDÉE NE DÉFINIT. C’est un spectacle de DROITE résolue.
13.05 – Le sujet est passionnant : un imposteur devenu héros de la Résistance par ruse fait ensuite une carrière de grand commis de la République, au cours de laquelle il livre quelques secrets à l’ « ennemi », sous l’œil de la D.S.T. qui n’en ignore rien, mais laisse faire. Jean-René Pallas est aussi un fin érudit féru de livres du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle, et un jouisseur.
MÉMOIRES SECRETS POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE CE SIÈCLE est « découpé » d’un roman de Pierre-Jean Rémy. À mon avis, TRÈS MAL. Le spectacle de Patrick Guinand est chiant comme la mort. Pourtant il a bénéficié d’une excellente distribution. Mais je n’ai jamais vu Emilfort, Stéphanie Loïk, Seiler, Françoise Danell aussi mal dirigés. Ils rament visiblement livrés à eux-mêmes. Dommage.
14.05 – Visite à Sceaux où THÉATRE OUVERT propose, réalisée par Michel Raffaëlli, une pièce d’un auteur maghrébin nommé Tahar Ben Jelloun (il travaille au Monde et est marocain) : CHRONIQUE D’UNE SOLITUDE. Cette solitude est celle des émigrés vue par un écrivain qui, au fond, en est un lui-même mais qui n’inspire aucune pitié. En contemplant, au débat, ce Monsieur bien mis aux côtés de cet autre émigré qu’est Lucien Attoun, qui n’a rien d’un martyr de l’oppression raciale, il apparaissait éclatant que la complaisance avec laquelle la bourgeoisie met en avant le problème des travailleurs étrangers n’est destinée qu’à masquer le seul vrai problème qui est celui de LA LUTTE DES CLASSES. Il y a certes des aspects spécifiques au sort de ce sous-prolétariat déraciné qui est né du refus des prolétaires français d’effectuer certaines tâches rebutantes, épuisantes, mais indispensables (d’où il ressort que ce prolétariat français s’est embourgeoisé), mais ils ne sont qu’annexes et les artistes bourgeois qui traitent de la question se gardent bien de le préciser. Et je brûlais de prendre le micro pour demander comment AU MAROC, le cultivé poète de (certainement) bonne famille, Tahar Ben Jelloun, traiterait son héros qu’il a étudié du point de vue du Docteur en Psychologie qu’il est, spécialiste des « troubles affectifs et sexuels des travailleurs émigrés en France ». Vu ainsi avec l’œil du médecin, (c’est-à-dire de l’EXTÉRIEUR), le manœuvre Malek (qui s’exprime en termes très imagés et qui bénéficie d’un « double » fou qui, dans une tradition méditerranéenne, nous affirment les émigrés bourgeois, évoque à grand renfort de clichés agricoles et maritimes la beauté de la vie au pays natal, ce qui n’est pas très honnête aux yeux de qui connaît les conditions de ladite vie dans lesdits pays, spécialement le Maroc, pour les gens de CETTE catégorie sociale) traumatisé par sa solitude s’invente criminel pour se faire juger par la société d’accueil. Celle-ci, d’ailleurs, pas dupe, renverra en fin de dossier, le « farceur » se faire voir ailleurs.
Elle ne le fait, hélas, qu’au bout de 90 minutes. Entre-temps, le lascar a eu le temps de se plaindre longuement de façon fleurie.
Quelqu’un, au débat, demandait pourquoi on ne jouait pas l’ouvrage devant des travailleurs. À MON AVIS, c’est parce qu’ils ne se reconnaîtraient pas dans ce geignard au ton plus JUIF qu’ARABE. Au fait, Tahar Ben Jelloun EST-IL ARABE ?
15.06 – Le dernier « COMMENT MONSIEUR MOCKINPOTT FUT-IL DÉLIVRÉ DE SES TOURMENTS ? » que j’avais vu, celui de Gabriel Garran, ne m’avait pas soulevé d’enthousiasme. Celui de la compagnie du Lierre a le mérite de l’ingénuité : une troupe de bonne volonté fraîche émoulue de l’école et entendant bien montrer au public qu’elle sait « prendre un PARTI » face à un texte et dépasser le jeu réaliste, donne avec cette oeuvrette une représentation qui se laisse regarder avec amitié. Reste que l’œuvre de Peter Weisz m’a semblé aussi débile cette fois-ci que l’autre, d’une exemplarité douteuse et d’une « philosophie » imprenable en compte (par moi !)… Il faudra revoir la Compagnie du Lierre une autre fois. (Cité U)
18.06 – Quelle idée que d’aller dénicher une piécette de Tennessee Williams, qui montre le désespoir d’une dame qui dit : « JE NE VOIS PAS MA VIE DEMAIN » et qu’un jeune homme, assez étrange lui-même, essaie en vain d’empêcher de se suicider ? C’est Reine Bartève qui joue la dame mise en scène par Andreas Voutsinas. Cournot a déliré. Moi je me suis emmerdé. Reine Bartève m’a semblé fort mauvaise. Elle m’a fait penser à une Arlette Reinerg qui aurait voulu imiter Ludmilla Pitoëff mais qui garderait un phrasé appris au Cours Simon ! Elle se veut bouleversante d’humanité, mais ça ne fonctionne pas. (Coupe Chou)
29.06 – Anne Barbey, Jean Darie, Marie Rouvray et Gérard Tcherka, soutenus aux guitares électriques par Christian Bézamat, disent d’un air habité, dans diverses postures et au gré d’une « mise en place » de Poétique, des textes qui, paraît- il, nous viennent des Indiens d’Amérique du Nord. Ça s’appelle : BRULER, L’ETRE DE LA LIBERTÉ… IL N’Y EN A PAS. L’impression que j’ai ressentie était qu’il s’agissait d’un spectacle xénophobe et passéiste. Vous me direz que c’est normal : on ne voit pas pourquoi les Indiens aimeraient les Blancs. Et on les comprend d’évoquer avec nostalgie le temps où les prairies leur appartenaient. Mais j’eusse aimé que les artistes ayant choisi d’exprimer leur point de vue, l’aient fait avec quelque DISTANCE : c’est trop simpliste : avant les Blancs, c’étaient vraiment apparemment le Paradis pour les Indiens. Ils détenaient toute la sagesse du monde, leur système politique était le plus idéalement libre qu’il soit possible. Ouiche ! Ça ne tient pas. Ça n’est pas sérieux. C’est de l’image d’Epinal.
Et, tel que c’est, ça trimballe une idéologie très « retour à la terre » dans la nostalgie des vertus patriarcales disparues. Je me crois revenu au temps du Maréchal Pétain !
AVIGNON 1976
10.07 – « Who is who » de Andonis Doriadis, réalisation du
Théâtre Populaire Jurassien (André Bénichou) est une assez bonne surprise pour mon 1er contact avec le Festival d’Avignon 76.
Si l’auteur n’était grec, on pourrait dire qu’il s’agit d’un Français moyen, apolitique, qui refuse de signer les pétitions contre la guerre parce que ça ne sert à rien et parce que les guerres actuelles ne le concernent pas. Il est Professeur d’Art, tourné vers la beauté pure et le respect du patrimoine. Un jour, il est convoqué par une mystérieuse instance qui entend se substituer à sa conscience et l’oblige à conter certains épisodes de sa vie. Ce « tribunal révolutionnaire » le condamnera à mort, mais ce sera pour rire : il s’agissait d’un nouveau jeu télévisé.
L’ensemble est un peu confus, touffu, finalement assez banal. Ce que Doriadis a à dire enfonce un peu les portes ouvertes pour ceux qui se sont penchés eux-mêmes sur le « système » qui fait des fausses valeurs, crée des impostures et maintient l’homme en état de sous-homme. De vous à moi, je crois que je traite mieux les mêmes thèmes. Mais la démarche est estimable et ne manque pas de courage si l’on songe qu’elle s’adresse à la bourgeoisie de Lons le Saulnier.
11.07 – Le problème est de savoir si les adolescents d’Avignon sont tous aussi purs, aussi gentils, aussi droits et aussi honnêtes que voudrait nous le faire croire l’Orphée 2000 de 16 ans issu de l’imagination de Gélas et qui, parti chercher son Eurydice aux enfers, refusera de tomber dans le piège qui avait perdu son ancêtre grec ; et qui, sans porter le serment qui l’aurait coupé de toutes les valeurs patrimoniales attachées à la vallée « du delta, de l’Amour et du Soleil », arrachera celle qu’il aime et lui-même aux ténèbres, c’est-à-dire à la société des banquiers, des promoteurs, de la bagnole et de la pollution.
Spectacle symbolique, on le voit, que cet « Orphée » montré comme un parmi des milliers cherchant la voie de la vérité simple et naïve, à travers un itinéraire semé d’embûches signifiantes d’une civilisation à rejeter. Spectacle vertueux aussi, hymne à l’Amour éternel opposé aux étreintes fugitives.
Le CHENE NOIR, décidément, a abandonné le combat politique direct, du moins sur la scène. Il milite pour l’Essentiel, c’est-à-dire pour l’Homme désaliéné, mais il n’indique aucun moyen. Sa trajectoire est CRI, témoignage, rien d’autre. En filigrane, elle est un peu trop passéiste pour mon goût. Il me semble grave que des jeunes repoussent en bloc TOUT l’acquis d’une technologie. Mais Gélas et son équipe sont-ils encore jeunes ? Ils m’ont fait songer (fugitivement) à ces grands-pères qui ressassent que tout était mieux de leur temps. Du moins cette fois-ci ne sont-ils pas retombés dans la voie « chrétienne », que j’avais cru déceler chez eux depuis 2 ou 3 ans. Reste que la musique, soutien permanent du texte, comme d’habitude au CHENE NOIR, confère au spectacle une magie efficace, et qu’au niveau de la forme comme du fond tout est satisfaisant, encore qu’un peu longuet par moments. Le rythme du CHENE NOIR, lent par essence, est valable sur 1 h 30 de spectacle, pas sur 2 h 15.
Reste que ce « témoignage » est beau (dommage que les acteurs ne soient pas tout à fait à hauteur des musiciens), que la démarche est sympathique, et que ce souffle de bonne volonté est bien rafraîchissant au milieu de la canicule théâtrale.
Mais pourquoi m’a-t-il semblé déceler du désespoir dans une action qui se voudrait positive ? N’est-ce pas parce que dans ce REFUGE, au niveau du symbole, il y a comme un aveu d’impuissance ? Malgré le happy end heureux, Orphée Gélas m’a surtout paru se taper la tête contre les murs !
12.07 – Il est certain que si un jeune auteur avait pondu une pièce aussi imbécile que COMME IL VOUS PLAIRA, nourrie d’intrigues débiles et tirées par les cheveux, dans un enchevêtrement compliqué, on eût prié ce lourdaud de s’abstenir à l’avenir d’écrire ! Mais n’est-ce pas, c’est Shakespeare… Alors les « docteurs » s’en prennent à Benno Besson pour expliquer leur déception. Ô combien à tort : à mon avis, Besson n’a commis qu’une seule erreur, et qui est d’avoir monté l’œuvre qui, outre ce que je viens d’en dire, n’est riche d’aucune « leçon » contemporaine qui nous soit lisible, est fort méprisante envers les classes laborieuses et est écrite dans un style où fleurissent les métaphores hasardeuses et les images saugrenues : en bref, c’est le type même de l’entreprise inutile. MAIS le Directeur de la Volksbühne a, lui, fait du bon travail : grâce à son éclairage, on arrive à suivre les intrigues et presque à s’intéresser à ces personnages laborieux et inconsistants. Bien sûr, il n’était pas possible de rendre SIGNIFIANT ce qui est impalpable. Du moins a-t-il tenté de montrer le grotesque de ces joutes médiévales réservées à une classe dominante stupide : nobles et prêtres sont montrés selon l’école du réalisme historique soviétique et cela nous change un peu. Et puis il a bien su réduire l’aire de jeu, encore que je n’aie pas trop aimé les espèces de tuyaux (qui rappellent les sas par lesquels on entre dans les avions à Roissy) dont il se sert (un peu au hasard, m’a-t-il semblé) pour faire entrer et sortir ses fantoches.
En somme, grâce à sa « lecture », j’ai pu supporter 3 heures de ce divertissement d’un autre âge incapable de me concerner et d’une bêtise intrépide. Ce n’est pas mal. J’ai même ri de-ci de-là ! Et d’un point de vue professionnel, je me suis bien amusé à voir des acteurs comme Dominique Serreau, Anne Bellec, Marie Gonzalez, Benguigui etc. incarner leurs rôles « en tout d’une pièce » selon les recettes de l’expressionnisme allemand, toujours sur une facette caricaturée, grossissant les effets.
Est-ce du théâtre « populaire » ? En ces temps de dépolitisation, on pourrait dire que c’est un certain souffle d’« Art pour Art » qui nous vient de l’Est. C’est l’opium du peuple à la mode Socialiste. Du moins n’en sort-on ni aliéné ni mystifié. Du moins n’y cherche-t-on pas à faire entendre le contraire de ce qu’il a écrit. La « critique » est clairement désignée comme étant le fait du metteur en scène. Sa démonstration va dans le sens que j’ai toujours soutenu. MAIS SERA-T-IL COMPRIS lorsqu’il nous susurre avec évidence que le « grand Elisabéthain » est à enfouir dans les brumes de l’oubli ? Voire ! Et n’est-il pas utopique de monter un spectacle inutile pour démontrer qu’il est inutile ?
COMMENTAIRE ÉCRIT 30 ANNÉES PLUS TARD
SHAKESPEARE or not SHAKESPEARE
J’éais en ces temps d’une certaine violence lorsque j’évoquais l’œuvre du génial Elisabethain. Non que je contestasse la beauté de la langue (en Anglais surtout) et certains traits de génie, mais je me permettais de trouver que les intrigues étaient souvent menées de bric et de broc. Surtout, je contestais (et je persiste) l’usage à des fins de politique de gauche selon lequel certains « créateurs » pensaient pouvoir s’arroger le droit de lui faire dire ce qu’il n’avait jamais voulu dire.
Exemples : OTHELLO A mes yeux c’est une pièce raciste. Le général nègre qui se tape une belle jeune fille blanche est un imbécile en dehors des champs de bataille, puisqu’il se laisse manipuler comme un enfant par Iago.
LE MARCHAND DE VENISE C’est une pièce anti-sémite. On fait grand état de la célèbre tirade du Juif: « J’ai des yeux des oreilles « … Mais que penser de sa vengeance de type cannibale : « donnez moi une livre de votre chair » ?
JULES CESAR le fameux discours de Marc Antoine, sublime.exemple de manipulation des masses. Bandes d’abrutis, vous vous laissez faire comme des cons.
CORIOLAN pour moi un des seuls cas où Brecht se soit
planté en tentant d’infléchir une œuvre vers une leçon anti-petite bourgeoise. C’est une pièce résolument fasciste.
LA TEMPÊTE Ces pauvres jeunes gens bien nés sont les victimes d’un sauvage
Je ne vais pas multiplier les citations. Mais quelqu’un peut il me citer une œuvre, une seule, où le peuple, disons plutôt la populace ne soit pas montrée comme un ramassis de paillards, ivrognes, abrutis, vulgaires ?
Serviteur des GRANDS de l’époque, son utilisation à des fins signifiantes relève d’une manipulation.
C’est cela surtout qui m’agaçait.
13.07 – GROS CALIN, monté et joué par le « joyeux » Leenhardt d’après un roman d’Emile Ajar, est un serpent python de 2 m 20 de long sur lequel un vieux garçon a reporté tous ses besoins en affection. Du moins était-ce le cas, avant qu’il ne tombe amoureux de Melle Dreyfus, qui, « comme son nom l’indique », est une Noire de la Guyane Française, et qui travaille dans le même bureau que lui, au 9e étage d’un building. Tout un roman est alors fantasmé par le solitaire à l’occasion des voyages quotidiens qu’il effectue dans l’ascenseur avec sa dulcinée qui, de toute évidence, ignore tout de ses sentiments.
Petit one show de 50 minutes, c’est une bonne surprise. Le texte, tout en petites touches fines bourrées d’humour, de tendresse, et parfois de délicate tragédie, est très gentiment joué par un Leenhardt assez maladroit mais touchant. Ce n’est pas « politique » mais c’est de la vérité humaine. « Boul d’Hums » comme aurait dit Adamov.
13.07 – Le Théâtre de la Carriera, mi en occitan, mi en français, joue LA LIBERTÉ OU LA MORT au Cloître des Carmes à l’occasion du 14 juillet !
C’est le Malet et Isaac corrigé par des Provençaux hostiles au Pouvoir Central et à l’Unité de la Patrie. Ainsi voyons-nous comment les Rois de France ont trahi les anciens sujets du Comte de Provence en supprimant peu à peu les libertés constitutionnelles qui, apparemment, assuraient aux hommes de cette région des avantages remarquables, puis comment la Révolution de 1789 a porté le coup de grâce à cette originalité en instituant la langue française obligatoire et la départementalisation.
Le Marquis de Sade (dont j’ignorais qu’il fut une des gloires de cette contrée) joue dans ce fort spectacle de 3 h 30 (que j’ai quitté à l’entracte vers 0 h 30) un rôle de lien. Que dire ? Le spectacle est spectaculaire, joué avec Foi par une troupe ardente dans un dispositif éclaté. La démonstration politique convainc les convaincus et m’atteint, moi, surtout, quand elle fait ressortir à quel point la révolution bourgeoise n’a pas supprimé les riches et les pauvres !
Je doute pourtant que le sort du peuple ait été si idyllique que ça sous les Comtes de Provence, et j’ai peine m’exalter pour la prise de position de cette région en 1791 en faveur des curés et des émigrés. Le rythme du spectacle est d’autre part un peu mou : les liaisons manquent de nerf entre des scènes souvent vigoureuses, truffées de belles images et de trouvailles. C’est, de toute manière, une démarche estimable et utile, militante, donc à approuver.
8.4 – Pendant un moment je me suis demandé si Catherine Dasté se foutait d’Antoine Vitez, tant le phrasé imposé par elle aux comédiens du RÊVE DU PAPILLON me paraissait ressembler à une caricature « allant beaucoup plus loin », allant même au bout du bout de l’excessif, des « directions » du singulier professeur. Et puis j'ai songé à Grotowski, capable de sortir du corps humain des sons insoupçonnables. Finalement, ce sont les vieilles glottes de Jan de Blieck qui m’ont paru être les plus proches de ce que j’ai entendu à Sartrouville. En fait, je crois que Catherine Dasté et Michel Puig (qui a travaillé avec elle), ont un peu confondu Japon et Chine dans leur recherche d’un langage non immédiatement réaliste. Mais cela n’a guère d’importance, et les résultats rauques, modulés, stridents, toujours expressifs et signifiants, ne sont pas sans étonner d’abord, intéresser et atteindre ensuite. Reste que ce gros travail demeure un peu théorique, académique, art pour l’art, et que la pièce de Kuan Han Chin n’est pas aujourd’hui très nécessaire. Reste aussi que le texte français est un peu plat et comporte des mots de bas vocabulaire qui surprennent. Certes ils font rire, mais un brin à bon marché.
En vérité, je ne sais pas bien comment rendre compte de ce spectacle de bonne humeur. Catherine Dasté m’a paru y transmettre une certaine santé, mais si sa réflexion a porté sur le contenu, cela ne m’a pas sauté aux yeux, et si la « fable » passe, c’est indépendamment de l’esthétisme du spectacle. Il est vrai que la minceur de cette fable justifiait cette désinvolture. Brecht, eût su, pourtant, la rendre exemplaire.
Bon. C’est tout de même par moments très beau. Tout a été très soigné : attitudes, lumières, environnement. C’est très discipliné, très professionnel. C’est de qualité indéniable. MAIS ce n’est pas très satisfaisant, peut-être parce que pas très utile.
11.4 – Je crois que René Ehni, avec sa JOCASTE, a voulu faire une pièce sur la « confusion ». D’ailleurs quand j’écris : « a voulu », je lui fais sans doute trop d’honneur. L’œuvre est visiblement jetée à la hâte sur le papier. Elle n’est pas construite. C’est un éboulis où s’entassent sans ordre les idées qui sont passées par la tête de l’auteur. Ainsi est-ce une pièce sur la « confusion ». N’y voit-on pas, au cœur d’une Alsace écartelée entre sa culture allemande et son souvenir de la visite du Roi de France « qui était si joli », écartelée aussi entre son paganisme paillard et son christianisme, une Jocaste femme de ménage donner naissance à un Œdipe qui est identifié au Christ d’où il ressort que le petit Jésus a sûrement couché avec sa mère, comme font d’ailleurs tous les garçons d’Alsace, le tout sous l’œil lourd d’une matrone nommée Erda (« la terre »), tandis qu’un curé gauche fasciste tient des propos qui indiquent une singulière absence de maturité politique ? Confusion des langues, confusion du destin alsacien (et son ambiguïté), confusion du petit Ehni empêtré dans les jupes du matriarcat, confusion de la pensée dudit petit Ehni homme femme intellectuel, paysan traditionaliste attaché au patrimoine et pourtant français, provocateur grossier vulgaire et capable d’envolées lyriques.
Tout ça, c’est un air sain et sincère, mais peut-on pardonner à un homme de métier d’avoir poussé la mise en œuvre de son sujet jusqu’à la confusion de la forme ?
La mise en scène de Périnetti est intelligente, exacte, belle par moments et elle éclaire autant qu’il est possible la (ou plutôt les) propos. Mais elle ne peut pas l’impossible et la distribution n’est pas terrible. Notamment la célèbre Tilly Breidenbach, qu’on avait admirée dans le rôle quasi-muet de l’Amie Rose, est ici, où elle ouvre trop souvent la bouche, bien agaçante, et Josine Comellas n’est visiblement pas à l’aise.
J’ai remarqué une Alsacienne, Françoise Ulrich, qui joue par contre avec beaucoup de conviction.
La comparaison avec L’AMIE ROSE éclaire pourquoi Jocaste n’est pas satisfaisant : il y avait là un sujet humain social vrai, intensément fondamentalement politique + les phantasmes d’Ehni ! Il n’y a ici QUE les phantasmes d’Ehni qui est bien trop individu pour atteindre à l’universel.
13.4 - L’émotion au théâtre est une denrée trop rare pour que ne soit marquée d’une pierre blanche le « DANS LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE » de Mehmet Ulusoy. Le mérite n’est point mince, car réussir à faire pleurer des spectateurs blasés avec des textes de Karl Marx, il y avait là de la gageure. Marx, il est vrai, est renforcé par Brecht, Nazim Hikmet, Maïakovski, Jack London et autres poètes moins arides que l’auteur du CAPITAL. Reste que l’ensemble est soulevant, enthousiasmant… et salutaire car il me paraît vraiment opportun aujourd’hui de théâtraliser des actes et paroles historiques que la politique du révisionniste PCF aurait tendance à estomper de l’horizon de nos « communistes » actuels eux-mêmes. Mehmet emploie ses procédés habituels, masques, projections, théâtre d’ombre, musique signifiante, mais ici au TEP tout est plus abouti, plus parfait. Les « moyens » n’ont pas grisé le THÉATRE DE LIBERTÉ, mais lui ont permis de remodeler la salle du TEP. Des filets sont tendus au-dessus des spectateurs. Sur la scène, des amoncellements de frigidaires évoluent tandis qu’en dimension verticale les acteurs vont et viennent, assénant avec FOI et CONVICTION les vérités trop oubliées sur la bourgeoisie, la lutte des classes, la marchandise, la plus value. Ici le communisme a bien le poing levé et c’est salutaire !
Bref, admirable, inespéré spectacle, de surcroît beau, rythmé, nourri, vif… pendant 1h15 sur les 2h15 qu’il dure. Car hélas, c’est trop long, et sur la fin, les scènes sur la guerre semblent pesantes, sans doute parce qu’elles enfoncent des portes plus couramment ouvertes, des rappels moins opportuns. Cette guerre interminable est un peu hors du sujet et c’est dommage. Et puis il y a une faiblesse de distribution très étonnamment en la personne d’Evelyne Istria qui semble cachetonner au milieu d’acteurs qui payent comptant. En fait, elle est déphasée et on décroche quand elle intervient.
Mais Baste ! Ne soyons pas chiens. J’ai pleuré au théâtre hier soir. Et pendant près de 90 minutes, j’ai oublié mes fatigues, mes problèmes, pour rêver en communion avec une troupe au vrai combat. Pendant 90 minutes, je me suis attendri sur mon humanité aliénée par un « système » abominable qui se défend et qu’il faut abattre pour que les hommes deviennent enfin des HOMMES. Allons : oublions longueurs et faiblesses. Elles se corrigeront d’ailleurs sans doute. Laissons ces appâts à ceux qui chercheront des prétextes pour abattre l’entreprise « subversive ». DANS LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE réclame des militants. Soyons-en. Et félicitons Puaux d’avoir inscrit cela au programme du Palais des Papes. L’impact en Avignon pourrait être considérable.
15.4 – Je crois qu’il faut être sévère : pendant 3 heures d’horloge, ON ne m’apprend RIEN que je ne sache de longue date sur le Franquisme et l’après Franquisme. On ne suscite chez moi aucune émotion. On ne m’appelle pas à l’action. On m’inflige les glapissements d’émigrés qui ressassent interminablement les mêmes litanies, et l’on « dénonce » à grand renfort de « trajectoires » compliquées, ambiguës même, le régime du pays voisin, ce qu’entre parenthèses Arrabal a déjà fait plusieurs fois de façon autrement plus forte. En a-t-elle fait couler, de l’encre, cette PASSION DU GÉNÉRAL FRANCO interdite naguère au TNP et qui, aujourd’hui encore, déplait au gouvernement espagnol au point que ses routiers menacent de déserter la Maison Calberson si elle persiste à y abriter ses détracteurs ! Ô Don Juan Roi d’Espagne, tais-toi donc ! L’entreprise va sombrer dans le silence si tu n’aides à sa sauvegarde ! Ne rends pas à Gatti le service de s’en sortir en martyr politique : il ne dit, ne montre RIEN que le monde n’ait déjà dit et montré, ne dise et ne montre tous les jours. L’« objectivité » est la même et on n’a pas besoin de Gatti pour s’entendre insidieusement rappeler qu’il y a « plus de prêtres emprisonnés en Espagne que dans tous les Pays de l’Est réunis », ce qui revient, par un procédé journalistique connu, à remettre en mémoire qu’il y en a dans lesdits Pays de l’Est !
On ne peut pas adhérer non plus à l’éthique petite-bourgeoise qui mélange les histoires de cul d’une bonne femme et la campagne pour la récolte de la canne à sucre à Cuba. Qu’est-ce qu’il a contre Cuba, d’ailleurs, Gatti ? Montrée comme un refuge trop « confortable » pour des émigrés coupables d’y oublier leur malheur national (Bon Dieu ! Si quelques-uns y ont trouvé la voie, pourquoi leur jeter la pierre ?), et en même temps condamnée pour entretenir avec la mère Patrie ancestrale des relations privilégiées avec à sa tête des convertis suspects, quels comptes règle-t-il ?
Que ce spectacle est confus ! Et quelle erreur que de l’infliger à des spectateurs debout qui s’épuisent à suivre les acteurs tout en se garant des voitures comme naguère sous Ronconi : Gatti croit-il que la fatigue physique aide à éprouver, à comprendre, à analyser, à condamner ? Et croit-il que son « Art » aide à l’impact ? Etait-il attendu, pourtant, ce Franco ! La montagne a accouché d’une souris, et c’est bien dommage. Car bien sûr, j’aimerais mieux qu’on dénonçât Giscard, notre D.S.T., nos S.A.C., notre fascisme subtil, mais enfin d’accord, Franco, c’était pas bien !
Du moins aurais-je préféré que cette dénonciation confortable de ce côté-ci des Pyrénées ne soit point si ennuyeuse.
Dois-je ajouter que si la troupe est consciencieuse, elle ne m’a guère semblé très « militante ». Gatti est loin de Mehmet…
UN DÉTOUR PAR NICE
22.4 – Le titre n’est pas « commercial », et de plus il ne prépare pas au spectacle. ENCORE UN MILITAIRE ! C’est ambigu, ça englobe tout et rien, ça change de sens si on met une virgule après le 2e mot, ça n’attire pas. Je ne dis pas qu’un titre doive être raccoleur, mais de là à ce qu’il soit repoussoir… Allons Bisson, il faudra changer ça avant de monter à Paris. Car le spectacle mérite l’épreuve parisienne. Il a toutes les chances de la gagner, car il contient beaucoup du Bisson que nous aimons, avec en plus des choses d’un Bisson nouveau, structurant, construisant son œuvre, avec un jaillissement du « métier » spontané, maîtrisant l’humour et la drôlerie sur un fil de funambule à mi-chemin du tragique pur.
Quelque part aux colonies (anglaises), un général homosexuel (J.P. Muel : il n’a qu’à parler sans composer. Le rôle a été fait sur mesure) marié à une Anglo-saxonne passablement nympho et carrément directe (Cationa Mac Coll), vient prendre le commandement d’une garnison isolée en pays hostile. Il tombe aussitôt amoureux du Capitaine (François Lafarge ), baroudeur type, modèle de virilité militaire qu’aucune étreinte ne rebute, tandis que la générale s’envoie en l’air avec un sergent d’abord (Alain Vannier), un titi parisien qui passait par là (J.P. Bisson), ensuite. Ces écarts font beaucoup souffrir son mari mais ce qui le met au maximum de ses états, c’est une fugue dans la brousse que fait le Capitaine, à la recherche des 1ères lignes… Le « drame » s’achèvera par 2 morts dont 1 suicide, le tout par une chaleur moite à la Tennessee Williams (qui aurait d’ailleurs intérêt à être plus perceptible), au milieu des bruits d’oiseaux et d’insectes, et ponctué par des interventions musicales évidemment romantiques.
Ce serait du Boulevard SI ce n’était parodique, dérisoire. L’excès des passions du général porte en lui-même l’annonce du grotesque de ces Passions (n’en a-t-il pas une, d’ailleurs, dans chaque garnison nouvelle ? ). Les indications « militaires » dans leur exactitude toute britannique, leur raideur stupidement hiérarchisée, leurs notations d’héroïsme inutile, portent en elles-mêmes la contestation de ces valeurs. Et pourtant il n’y a pas CRITIQUE d’un milieu au sens où l’entendrait un Planchon. Rien n’est lucide dans ces domaines chez Bisson et c’est bien ce qui fait son prix. L’éclatante stupidité de l’univers militaire apparaît avec naturel. Point de « dénonciation », une évidence. Au fond, Bisson a trouvé de vieux secrets que nos « docteurs » avaient quelque peu effacés de nos mémoires : il n’explique pas, il fait AGIR et c’est de l’ACTION, du comportement des personnages, que jaillit la leçon… Si j’ose employer ce mot car il n’y a aucune volonté didactique. Il y a de la vérité sur la scène, de la vie, qui, comme la vie, est toujours mi-grave, mi-pas importante. C’est ce naturel qui fait de Bisson une personnalité de plus en plus originale, hors courants.
Le décor de François Lafarge est très signifiant. On peut regretter que la pauvreté des moyens ait empêché un alourdissement de la distribution. Il eût été plus succulent d’assister à ces dramuscules intimistes sur fond de milliers de soldats manoeuvrant, en somme, sur fond de chair à canon. Ici, ils sont vraiment un peu trop seuls à être présents, ceux qui ne vivent que des sentiments dérisoires. On a trop l’impression d’une patrouille isolée. On ne se rend pas assez compte que ces misérables conflits sont le fait de donneurs d’ordres qui signifient la vie ou la mort pour des hommes. Leur solitude, rendue nécessaire par le budget, édulcore un peu l’impact de cette chronique coloniale qui n’a l’air de rien et qui porte en soi une très profonde subversion. Oui, c’est de la vie à l’état pur, celle qui faisait dire à Prévert qu’elle n’empêchait pas les fromages de se faire et la terre de tourner.
Reste que nous étions très peu nombreux hier au Théâtre de Nice. C’est la 4e création Bisson de la saison et l’indice de fréquentation est en baisse grave. De plus, l’équipe est l’objet de critiques locales fort vives. Le temps n’est plus au crédit et l’on peut se demander si ce spectacle fera le poids pour le rétablir : car il est certes tout ce que je viens d’écrire, mais quand même assez mineur. L’air de la Côte d’Azur ne vaut rien à notre jeune fougueux Parisien.
28.04 – Il faut croire que TIENS LE COUP JUSQU'À LA RETRAITE, LÉON, de Georges Michel, recèle quelques vertus contestatrices, puisqu’elle réussit à faire sortir quelques spectateurs de leurs gonds. Le journal P.C. bon teint « La Marseillaise », a titré : INSULTE À LA CLASSE OUVRIÈRE. Je le comprends : il n’y a pas un seul délégué syndical dans l’œuvre, pas l’ombre d’une solidarité. L’ouvrier Léon est seul face à l’hydre qui l’exploite avec cruauté et ingratitude. Là est certes la faiblesse de l’œuvre : la lutte ouvrière n’est pas montrée. Léon, solitaire victime entourée de solitaires victimes, ne progresse pas vers une vieillesse heureuse. Au contraire, il ne cesse de régresser et, autour de lui, il ne trouve aucun soutien. Il est jouet entre les mains d’un Pouvoir que RIEN ne limite et ses révoltes sont impuissantes. Aussi n’est-il pas étonnant que son fils ait choisi le chômage à perpétuité et que « le marginal », c’est-à-dire le feignant ricane en contemplant les stupides fourmis qui bossent parce qu’elles sont tombées dans le piège de « la famille ». Le rapport ouvrier patron montré individuel correspond-il encore à une réalité ? Dans une usine actuelle, un ouvrier va-t-il demander une augmentation comme la secrétaire à son patron d’une petite entreprise ? Tout cela n’est-il pas devenu automatisme, barèmes, catégories ? Il me semble qu’il y a irréalité dans le propos, anachronisme pour le moins.
Seulement voilà : Georges Michel non seulement néglige, mais ignore la camaraderie syndicale. Ce faisant, il choisit de montrer un univers pessimiste. Au bout du non combat de Léon et de son isolement, il n’y a pas de « révolution ». Ici, elle devient un concept abstrait, inatteignable. Le monde décrit, proche de celui de Bradbury auquel la TV omniprésente fait évidemment songer, est totalement aliéné à la « consommation » et ne s’en défend pas. L’homme s’y vend « pour pouvoir acheter », c’est tout. Allons-nous vraiment vers CETTE société, faite de « Familles Duraton » médiocres, sans ambitions, sans défenses ? Qu’il me soit laissé la liberté d’en douter, ou, à tout le moins, de ne pas vouloir le croire !
Et sans me mettre en colère comme certains qui voient dans cette lecture du monde un grave mépris pour la classe ouvrière, ne puis-je songer que Georges Michel y jette tout de même un peu trop l’œil de l’extérieur ? Cette pièce est une pièce de petit-bourgeois.
Reste qu’elle n’est pas inutile et qu’elle doit être soutenue. D’abord parce qu’elle parle d’un sujet contemporain français et que cette denrée est trop rare pour être rejetée facilement, ensuite parce qu’elle offre matière à réflexion, à discussion, justement parce qu’elle laisse dans l’ombre une bonne partie de ce qu’est la classe ouvrière. Elle peut être l’occasion d’opportunes réflexions sur les thèmes : réalité de la solidarité ouvrière ? Réalité de l’aliénation irréversible à la consommation ? La révolution est-elle une utopie ? Le combat syndical est-il compatible avec la lutte révolutionnaire ? etc. etc… EN SOI, je ne puis accepter sa « leçon », mais en tant que catalyseur, je l’approuve. Elle est très bien montée par Régis Santon avec à l’appui une très suggestive musique de Jacques Luley. Est-ce exprès que Santon a fait jouer le marginal par un étranger ? Il est dommage qu’on comprenne mal ce que dit ce zigomar, Grec sans doute, si j’en crois son nom (Danavaras). Beau et astucieux dispositif de Françoise Darne.
29.04 – Si vous avez envie de voir Alain Ollivier se masturber (vraiment) et Marie-Christine Barrault essayer de s’avorter (apparemment) avec une aiguille à tricoter, ne manquez pas TRAVAIL À DOMICILE de Kroetz au petit TEP. C’est un spectacle hyper super réaliste, quasi naturaliste, tout en gestes et en silences signifiants, remarquablement mis en scène par le sensible Jacques Lassalle à qui je ne ferai qu’un reproche : pourquoi, par les costumes et un certain choix de l’environnement musical, a-t-il cherché à me faire croire que l’anecdote montrée se situait à l’époque pré hitlérienne, alors que pour l’auteur, elle est contemporaine ? (ce qui en dit long sur la non information en matière de contraception dans la RFA). Ce décalage édulcore un peu le propos, et je trouve ça dommage, mais n’en faisons pas un plat. TRAVAIL À DOMICILE qui montre la vie de tous les jours (vie sans joies) d’un couple de prolétaires dont le mari est condamné à faire chez lui des paquets de lentilles, parce qu’étant tombé de mobylette un soir qu’il était saoul, il ne peut plus aller à l’usine. Pendant qu’il était à l’hôpital, sa femme s’est envoyée en l’air avec un type. Elle est enceinte. Elle ne réussit pas à faire passer le gosse qui naît un peu difforme. L’atmosphère est telle à la maison qu’elle se tire, laissant le bâtard et aussi les 2 aînées, légitimes, à son mari (gonflée, la nana !). Willy noiera l’avorton, après quoi elle pourra rentrer dans un climat rasséréné.
Ce que ce résumé ne traduit pas, mais que le spectacle montre parfaitement, c’est l’aspect complètement insipide de vies vides de tout contenu, de toutes espérances de bonheur, de toutes exaltations. Willy et Martha et leurs 2 filles épouvantablement sérieuses pour leurs âges, élevées sérieusement au surplus, accomplissent les gestes quotidiens machinalement, parce qu’il le faut bien. Aucune lueur à l’horizon de cette famille où l’on ne parle jamais que du strict nécessaire, où l’on ne s’aime pas, où l’obscurantisme règne, où le fait politique est inconnu ! Cette grisaille est prenante. Elle est pathétique et elle n’est au surplus que trop réelle. Cela dit, Kroetz me la fait regarder en touriste : ce n’est pas MA grisaille, c’est celle d’une autre classe sociale, allemande, avec ses traits caractéristiques. Et puis Willy et Martha ne sont pas des archétypes, ce sont des individus avec des traits de caractères particuliers : Martha est un peu légère et Willy est tolérant (tant qu’il n’y a pas de conséquences). Lassalle, comme je l’ai dit au début, a accentué l’éloignement. Les flonflons sont résolument d’Outre Rhin. Aucun ouvrier français ne boirait sa bière comme Willy, posément, scientifiquement, éthyliquement, provocateur.
Tout cela enlève de l’exemplarité à la leçon. Et c’est dommage car cette grisaille existe aussi chez nous, ô combien. Elle est le lot de tant de couples métro boulot dodo dont on peut se demander à quoi il sert qu’ils vivent si ce n’est pour produire au profit des possédants ! Aurons-nous un Kroetz français ?
04.05 – Une gigantesque scène de ménage, démesurée, fabuleuse, soutenue par un souffle aux retombées rares, un formidable cri contre toutes les impostures, tous les mensonges : la femme, synonyme d’impureté, y est fort mal traitée. L’auteur est misogyne. Mais l’homme n’est pas épargné : se racontant en même temps qu’il décrit sa compagne, il jette sur soi un coup d’œil amusé, lucide, distancié. «L’HUMOUR baigne LES PRODIGES de Jean Vautier. En voyant Debauche dans le rôle de Marc hier soir aux Bouffes du Nord, je resongeais au « bon » mot familier de notre ami : « La situation est désespérée mais elle n’est pas sérieuse ». Telle est celle de Marc et de Gilly, y compris quand l’horrible entre en scène avec la mort de la nounou brûlée vive. Toutefois l’affrontement n’oppose pas 2 êtres égaux : IL se raconte lui-même et, quoique sévère, n’est pas sans une certaine indulgence. IL LA raconte et, quoique tendre, n’est pas sans une certaine sévérité. Évidemment, Marc, c’est Vautier. On le reconnaît à mille traits. Je ne crois pas qu’il y ait un modèle pour Gilly. Elle est née de l’imagination de l’auteur. Ainsi voit-il la femme dans ses phantasmes, futile, cupide, insincère, vénale, péché, j’en passe. L’Homme est le rêveur des grands desseins, et s’il est impuissant, il n’est pas tout à fait coupable, s’il échoue, ce n’est pas tout à fait sa faute. La femme est sa nécessité déplorable, son empêcheuse d’épanouissement, en somme, son ALIBI intime face à l’échec.
Faut-il dire que l’œuvre est plus riche que cela ? Et surtout que sa langue, son style, son souffle emportent l’adhésion PARCE QUE C’EST DU THÉATRE.
Rosner a bien servi Vautier. Là où Régy il y a quelques années avait cru avoir l’air inspiré en trahissant l’univers décrit par l’auteur, en désincarnant l’environnement indiqué (une vieille maison provinciale où s’accumulent reliques et poussière et où l’argent caché l’est au fond d’une armoire de style), il s’y tient, lui, avec l’aide de Jacques Voizot qui a bien su utiliser le Théâtre des Bouffes du Nord. Pierre Debauche est un remarquable Marc et si Sylvie Genty nous semble bien davantage que lui jouer au 1er degré, faut-il accuser la comédienne ? Je n’en suis pas sûr. Marc se joue et se commente. Gilly est tout d’une pièce. Ainsi l’a voulu l’écrivain. Il est donc normal que le jeu de la fille soit moins intelligent que celui de l’homme. Je crois en fait que les deux interprètes sont exactement ce qu’ils doivent être. Vautier n’a pas à se plaindre. Il est servi avec une honnêteté exemplaire. Et s’il voulait que sa comédienne soit plus subtile, alors il faudrait qu’il réécrive le rôle…
COMMENTAIRE
Aurais je écrit le même compte-rendu si Jean Vautier n’avait pas été un ami ? Truculent personnage dans la vie, il exprimait dans ses attitudes et propos une permanente insatisfaction, comme moi, mais à travers des paramètres qui n’étaient pas du tout les mêmes que les miens.Comme quoi, tout est subjectif.
06.05 – Je ne porte pas à Fabio Paccioni une admiration sans réserves. Mais il est certain que sans sa houlette « professionnelle », l’ENSEMBLE THÉATRE DE LA CHAMBRE NOIRE me renoue avec un côté amateur prononcé, qui est fort sympathique au demeurant, mais qui ne justifie guère sa diffusion en dehors de Sainte Geneviève des Bois. L’œuvre choisie, au surplus, LA FARCE DE LA TETE DU DRAGON de Valle Inclan, conte de fée gentiment traité à la rigolade et désuètement contestataire (l’auteur ayant stigmatisé un moment largement dépassé de l’histoire espagnole et le réalisateur, Antoine Campo, n’ayant clairement pas cherché à tirer de la fable une leçon contemporaine), n’aide pas à faire illusion. Les comédiens inexpérimentés de l’équipe y vont gaiement, chacun à son gré semble-t-il, dans le grossissement. Il s’agit de faire rire. Tel est l’objectif, atteint avec bonne humeur, pour la plus grande joie d’une salle locale très « bon public ». Il y a, cela dit, quelques belles idées (très « paccionniennes ») de mise en scène, du mouvement, de l’entrain, du rythme.
J’ai finalement passé une bonne soirée. Quand j’étais petit, au lycée Condorcet, j’en passais aussi de très bonnes avec les Mascarilles !
08-05 – Il est certain que c’est très bien. Dans le monde des marionnettistes, les jaloux feront la fine bouche, mais les objectifs le reconnaîtront : c’est un beau travail d’Art. Les personnages de Don Juan sont traduits en termes de pièces d’échec et se meuvent, manipulés à vue par des personnages inexpressifs vêtus de noir, sur un échiquier dont les cases s’allument selon les nécessités de l’opportunité. Les figures sont belles et les intentions de Molière sont transposées en mouvements subtils, parfois imperceptibles,toujours d’une délicatesse extrême. Le spectateur se doit d’être attentif, sinon, son oeil sera dissipé et se fixera trop longtemps, soit sur la claveciniste, soit sur Guillot et Jeanne Houdart, qui disent le texte, très bien, un peu trop en gros plan, alternativement, soit, ce qui est moins bien, sur les taches blanches que font sur l’univers environnement les visages des manipulateurs. MOI, je les masquerais de noir. JE les ai trop regardés, ces bougres qui ne peuvent pas toujours s’empêcher de jouer (notamment celui de Sganarelle qui fait carrément corps avec sa « poupée »).
Reste que cette dernière création de Dominique Houdart ne m’a pas satisfait entièrement, de par son exigence même, de par sa perfection dans l’intransigeance. C’est un jeu de l’intelligence qui ne vise qu’à démontrer un certain style d’habileté. Il manque à l’édifice l’âme. Tout cela est « mort », comme sont « mortes » les statuettes (pour la plupart) abstraites, que l’on meut laborieusement, avec précaution, mais qui ne sont jamais ACTIVES. Ce sont des pièces de musée animées (un peu). Une fois de plus avec Houdart, l’imagination, remarquable au niveau de la conception inventive, ne fonctionne pas au niveau de la représentation. Je crois qu’une bonne part des applaudissements va à la très étonnante performance de Jeanne Houdart, exceptionnelle diseuse de textes, qui sauve littéralement la soirée. ELLE a de la chaleur. TOUT hormis elle, est GLACIAL.
10.05 – Je suis bien trop ignare en langues arabes pour m’octroyer l’audace de juger du contenu de LA TETE DE MAMLOUK JABER, de l’auteur syrien Saad Allah Wannous, que l’ACTION THÉATRALE ARABE présente au NOUVEAU CARRÉ dans le cadre du PRINTEMPS DES PEUPLES PRÉSENTS.
Cela semble se passer au temps des mille et une nuits, (mais une médina comme celle de Fez ne vit-elle pas aujourd’hui au Moyen-Age ? ) mais selon le programme la pièce « traite des problèmes internes du Monde Arabe confronté à son Histoire. »
Ne nous en mêlons pas.
Constatons seulement que c’est apparemment un beau spectacle à l’esthétisme soigné, à la gestuelle rythmée quand elle n’est pas rituelle, à la tenue hautement professionnelle, plein de bonne humeur, joliment ponctué par des beaux chants qui sortent d’un organe féminin chaud et délicat, et par des percussions très simples.
Tout est puisé aux sources artistiques traditionnelles mais rien n’est folklore. Ça paraît donc très bien. Dommage que le résumé distribué aide si peu à suivre le détail des actions.
12.05 – LA FAMILLE, feuilleton de Lodewijk de Boer, un Néerlandais de talent réputé, avait fait grand bruit lors de sa création l’an dernier au Théâtre de Poche de Bruxelles.
Le public y était convié mois après mois à suivre les épisodes et la formule était –certes- amusante. À la Cour des Miracles, Jean-Christian Grinewald propose l’ensemble de l’affaire en 2 soirées. Je n’ai vu que la seconde. Je n’irai certainement pas voir la première, car le propos m’a paru profondément dégueulasse. Non que le parti « bande dessinée », tranche de quotidien, vulgarité, m’ait gêné. MAIS LE THÈME !!! La famille en question est composée de squatters anarchistes qui se sont installés dans un appartement d’un immeuble promis à la démolition. Par la fenêtre nous arrivent les bruits des excavatrices et des marteaux piqueurs qui se rapprochent de scène en scène.
Bon, me direz-vous, voilà un beau sujet politique. C’est conforté par le fait qu’un inquiétant personnage, mi-flic, mi-huissier, mi-promoteur dispensateur de papier bleu, passe de loin en loin pour vérifier sur le vif où en est SON expulsion. HÉLAS ! Les anarchistes en question sont des dingues et des tarés. L’un d’eux, un peu trop maniaque du cran d’arrêt, a un type nord-africain prononcé (Bénichou). L’assassinat leur est denrée coutumière, et ils ne se nourrissent que de rapines. Leur « charme » ne peut faire illusion qu’à une mondaine en rupture de classe (d’ailleurs étrangement mariée à un mec dont on ne sait pas bien s’il joue à être où s’il est un caïd du milieu), qui est bien embêtée de s’être fait engrosser par le « cerveau » de la bande, entendez le moins évidemment fou. Et l’inceste qu’ils pratiquent entre frère et sœur n’est pas une protestation sociale, mais le découlement naturel d’une promiscuité excessive entre sous-développés inadaptés (la sœur est muette et apparemment demeurée).
Non seulement cette « personnalisation » enlève toute valeur exemplaire à la démonstration, mais PIRE, les crimes dont se rendent sous nos yeux coupables ces jeunes anormaux, justifie l’action de la police à leur égard, et ce ne sont pas des « victimes » qui tombent sous les balles, mais de dangereux anti-sociaux que n’anime aucun mobile. À QUOI A PENSÉ DE BOER ? Est-ce imagination pure ? Ou a-t-il, ce qui me semble être le cas, pensé à quelque chose comme la bande à Bader ? Alors son affaire s’éclaire et je ne puis que m’insurger : car il y a imposture par glissement à confondre des asociaux criminels certes, MAIS MUS PAR UN GRAND DESSEIN, avec des anormaux assassins à leur propre insu, qu’AUCUNE IDÉE NE DÉFINIT. C’est un spectacle de DROITE résolue.
13.05 – Le sujet est passionnant : un imposteur devenu héros de la Résistance par ruse fait ensuite une carrière de grand commis de la République, au cours de laquelle il livre quelques secrets à l’ « ennemi », sous l’œil de la D.S.T. qui n’en ignore rien, mais laisse faire. Jean-René Pallas est aussi un fin érudit féru de livres du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle, et un jouisseur.
MÉMOIRES SECRETS POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE CE SIÈCLE est « découpé » d’un roman de Pierre-Jean Rémy. À mon avis, TRÈS MAL. Le spectacle de Patrick Guinand est chiant comme la mort. Pourtant il a bénéficié d’une excellente distribution. Mais je n’ai jamais vu Emilfort, Stéphanie Loïk, Seiler, Françoise Danell aussi mal dirigés. Ils rament visiblement livrés à eux-mêmes. Dommage.
14.05 – Visite à Sceaux où THÉATRE OUVERT propose, réalisée par Michel Raffaëlli, une pièce d’un auteur maghrébin nommé Tahar Ben Jelloun (il travaille au Monde et est marocain) : CHRONIQUE D’UNE SOLITUDE. Cette solitude est celle des émigrés vue par un écrivain qui, au fond, en est un lui-même mais qui n’inspire aucune pitié. En contemplant, au débat, ce Monsieur bien mis aux côtés de cet autre émigré qu’est Lucien Attoun, qui n’a rien d’un martyr de l’oppression raciale, il apparaissait éclatant que la complaisance avec laquelle la bourgeoisie met en avant le problème des travailleurs étrangers n’est destinée qu’à masquer le seul vrai problème qui est celui de LA LUTTE DES CLASSES. Il y a certes des aspects spécifiques au sort de ce sous-prolétariat déraciné qui est né du refus des prolétaires français d’effectuer certaines tâches rebutantes, épuisantes, mais indispensables (d’où il ressort que ce prolétariat français s’est embourgeoisé), mais ils ne sont qu’annexes et les artistes bourgeois qui traitent de la question se gardent bien de le préciser. Et je brûlais de prendre le micro pour demander comment AU MAROC, le cultivé poète de (certainement) bonne famille, Tahar Ben Jelloun, traiterait son héros qu’il a étudié du point de vue du Docteur en Psychologie qu’il est, spécialiste des « troubles affectifs et sexuels des travailleurs émigrés en France ». Vu ainsi avec l’œil du médecin, (c’est-à-dire de l’EXTÉRIEUR), le manœuvre Malek (qui s’exprime en termes très imagés et qui bénéficie d’un « double » fou qui, dans une tradition méditerranéenne, nous affirment les émigrés bourgeois, évoque à grand renfort de clichés agricoles et maritimes la beauté de la vie au pays natal, ce qui n’est pas très honnête aux yeux de qui connaît les conditions de ladite vie dans lesdits pays, spécialement le Maroc, pour les gens de CETTE catégorie sociale) traumatisé par sa solitude s’invente criminel pour se faire juger par la société d’accueil. Celle-ci, d’ailleurs, pas dupe, renverra en fin de dossier, le « farceur » se faire voir ailleurs.
Elle ne le fait, hélas, qu’au bout de 90 minutes. Entre-temps, le lascar a eu le temps de se plaindre longuement de façon fleurie.
Quelqu’un, au débat, demandait pourquoi on ne jouait pas l’ouvrage devant des travailleurs. À MON AVIS, c’est parce qu’ils ne se reconnaîtraient pas dans ce geignard au ton plus JUIF qu’ARABE. Au fait, Tahar Ben Jelloun EST-IL ARABE ?
15.06 – Le dernier « COMMENT MONSIEUR MOCKINPOTT FUT-IL DÉLIVRÉ DE SES TOURMENTS ? » que j’avais vu, celui de Gabriel Garran, ne m’avait pas soulevé d’enthousiasme. Celui de la compagnie du Lierre a le mérite de l’ingénuité : une troupe de bonne volonté fraîche émoulue de l’école et entendant bien montrer au public qu’elle sait « prendre un PARTI » face à un texte et dépasser le jeu réaliste, donne avec cette oeuvrette une représentation qui se laisse regarder avec amitié. Reste que l’œuvre de Peter Weisz m’a semblé aussi débile cette fois-ci que l’autre, d’une exemplarité douteuse et d’une « philosophie » imprenable en compte (par moi !)… Il faudra revoir la Compagnie du Lierre une autre fois. (Cité U)
18.06 – Quelle idée que d’aller dénicher une piécette de Tennessee Williams, qui montre le désespoir d’une dame qui dit : « JE NE VOIS PAS MA VIE DEMAIN » et qu’un jeune homme, assez étrange lui-même, essaie en vain d’empêcher de se suicider ? C’est Reine Bartève qui joue la dame mise en scène par Andreas Voutsinas. Cournot a déliré. Moi je me suis emmerdé. Reine Bartève m’a semblé fort mauvaise. Elle m’a fait penser à une Arlette Reinerg qui aurait voulu imiter Ludmilla Pitoëff mais qui garderait un phrasé appris au Cours Simon ! Elle se veut bouleversante d’humanité, mais ça ne fonctionne pas. (Coupe Chou)
29.06 – Anne Barbey, Jean Darie, Marie Rouvray et Gérard Tcherka, soutenus aux guitares électriques par Christian Bézamat, disent d’un air habité, dans diverses postures et au gré d’une « mise en place » de Poétique, des textes qui, paraît- il, nous viennent des Indiens d’Amérique du Nord. Ça s’appelle : BRULER, L’ETRE DE LA LIBERTÉ… IL N’Y EN A PAS. L’impression que j’ai ressentie était qu’il s’agissait d’un spectacle xénophobe et passéiste. Vous me direz que c’est normal : on ne voit pas pourquoi les Indiens aimeraient les Blancs. Et on les comprend d’évoquer avec nostalgie le temps où les prairies leur appartenaient. Mais j’eusse aimé que les artistes ayant choisi d’exprimer leur point de vue, l’aient fait avec quelque DISTANCE : c’est trop simpliste : avant les Blancs, c’étaient vraiment apparemment le Paradis pour les Indiens. Ils détenaient toute la sagesse du monde, leur système politique était le plus idéalement libre qu’il soit possible. Ouiche ! Ça ne tient pas. Ça n’est pas sérieux. C’est de l’image d’Epinal.
Et, tel que c’est, ça trimballe une idéologie très « retour à la terre » dans la nostalgie des vertus patriarcales disparues. Je me crois revenu au temps du Maréchal Pétain !
AVIGNON 1976
10.07 – « Who is who » de Andonis Doriadis, réalisation du
Théâtre Populaire Jurassien (André Bénichou) est une assez bonne surprise pour mon 1er contact avec le Festival d’Avignon 76.
Si l’auteur n’était grec, on pourrait dire qu’il s’agit d’un Français moyen, apolitique, qui refuse de signer les pétitions contre la guerre parce que ça ne sert à rien et parce que les guerres actuelles ne le concernent pas. Il est Professeur d’Art, tourné vers la beauté pure et le respect du patrimoine. Un jour, il est convoqué par une mystérieuse instance qui entend se substituer à sa conscience et l’oblige à conter certains épisodes de sa vie. Ce « tribunal révolutionnaire » le condamnera à mort, mais ce sera pour rire : il s’agissait d’un nouveau jeu télévisé.
L’ensemble est un peu confus, touffu, finalement assez banal. Ce que Doriadis a à dire enfonce un peu les portes ouvertes pour ceux qui se sont penchés eux-mêmes sur le « système » qui fait des fausses valeurs, crée des impostures et maintient l’homme en état de sous-homme. De vous à moi, je crois que je traite mieux les mêmes thèmes. Mais la démarche est estimable et ne manque pas de courage si l’on songe qu’elle s’adresse à la bourgeoisie de Lons le Saulnier.
11.07 – Le problème est de savoir si les adolescents d’Avignon sont tous aussi purs, aussi gentils, aussi droits et aussi honnêtes que voudrait nous le faire croire l’Orphée 2000 de 16 ans issu de l’imagination de Gélas et qui, parti chercher son Eurydice aux enfers, refusera de tomber dans le piège qui avait perdu son ancêtre grec ; et qui, sans porter le serment qui l’aurait coupé de toutes les valeurs patrimoniales attachées à la vallée « du delta, de l’Amour et du Soleil », arrachera celle qu’il aime et lui-même aux ténèbres, c’est-à-dire à la société des banquiers, des promoteurs, de la bagnole et de la pollution.
Spectacle symbolique, on le voit, que cet « Orphée » montré comme un parmi des milliers cherchant la voie de la vérité simple et naïve, à travers un itinéraire semé d’embûches signifiantes d’une civilisation à rejeter. Spectacle vertueux aussi, hymne à l’Amour éternel opposé aux étreintes fugitives.
Le CHENE NOIR, décidément, a abandonné le combat politique direct, du moins sur la scène. Il milite pour l’Essentiel, c’est-à-dire pour l’Homme désaliéné, mais il n’indique aucun moyen. Sa trajectoire est CRI, témoignage, rien d’autre. En filigrane, elle est un peu trop passéiste pour mon goût. Il me semble grave que des jeunes repoussent en bloc TOUT l’acquis d’une technologie. Mais Gélas et son équipe sont-ils encore jeunes ? Ils m’ont fait songer (fugitivement) à ces grands-pères qui ressassent que tout était mieux de leur temps. Du moins cette fois-ci ne sont-ils pas retombés dans la voie « chrétienne », que j’avais cru déceler chez eux depuis 2 ou 3 ans. Reste que la musique, soutien permanent du texte, comme d’habitude au CHENE NOIR, confère au spectacle une magie efficace, et qu’au niveau de la forme comme du fond tout est satisfaisant, encore qu’un peu longuet par moments. Le rythme du CHENE NOIR, lent par essence, est valable sur 1 h 30 de spectacle, pas sur 2 h 15.
Reste que ce « témoignage » est beau (dommage que les acteurs ne soient pas tout à fait à hauteur des musiciens), que la démarche est sympathique, et que ce souffle de bonne volonté est bien rafraîchissant au milieu de la canicule théâtrale.
Mais pourquoi m’a-t-il semblé déceler du désespoir dans une action qui se voudrait positive ? N’est-ce pas parce que dans ce REFUGE, au niveau du symbole, il y a comme un aveu d’impuissance ? Malgré le happy end heureux, Orphée Gélas m’a surtout paru se taper la tête contre les murs !
12.07 – Il est certain que si un jeune auteur avait pondu une pièce aussi imbécile que COMME IL VOUS PLAIRA, nourrie d’intrigues débiles et tirées par les cheveux, dans un enchevêtrement compliqué, on eût prié ce lourdaud de s’abstenir à l’avenir d’écrire ! Mais n’est-ce pas, c’est Shakespeare… Alors les « docteurs » s’en prennent à Benno Besson pour expliquer leur déception. Ô combien à tort : à mon avis, Besson n’a commis qu’une seule erreur, et qui est d’avoir monté l’œuvre qui, outre ce que je viens d’en dire, n’est riche d’aucune « leçon » contemporaine qui nous soit lisible, est fort méprisante envers les classes laborieuses et est écrite dans un style où fleurissent les métaphores hasardeuses et les images saugrenues : en bref, c’est le type même de l’entreprise inutile. MAIS le Directeur de la Volksbühne a, lui, fait du bon travail : grâce à son éclairage, on arrive à suivre les intrigues et presque à s’intéresser à ces personnages laborieux et inconsistants. Bien sûr, il n’était pas possible de rendre SIGNIFIANT ce qui est impalpable. Du moins a-t-il tenté de montrer le grotesque de ces joutes médiévales réservées à une classe dominante stupide : nobles et prêtres sont montrés selon l’école du réalisme historique soviétique et cela nous change un peu. Et puis il a bien su réduire l’aire de jeu, encore que je n’aie pas trop aimé les espèces de tuyaux (qui rappellent les sas par lesquels on entre dans les avions à Roissy) dont il se sert (un peu au hasard, m’a-t-il semblé) pour faire entrer et sortir ses fantoches.
En somme, grâce à sa « lecture », j’ai pu supporter 3 heures de ce divertissement d’un autre âge incapable de me concerner et d’une bêtise intrépide. Ce n’est pas mal. J’ai même ri de-ci de-là ! Et d’un point de vue professionnel, je me suis bien amusé à voir des acteurs comme Dominique Serreau, Anne Bellec, Marie Gonzalez, Benguigui etc. incarner leurs rôles « en tout d’une pièce » selon les recettes de l’expressionnisme allemand, toujours sur une facette caricaturée, grossissant les effets.
Est-ce du théâtre « populaire » ? En ces temps de dépolitisation, on pourrait dire que c’est un certain souffle d’« Art pour Art » qui nous vient de l’Est. C’est l’opium du peuple à la mode Socialiste. Du moins n’en sort-on ni aliéné ni mystifié. Du moins n’y cherche-t-on pas à faire entendre le contraire de ce qu’il a écrit. La « critique » est clairement désignée comme étant le fait du metteur en scène. Sa démonstration va dans le sens que j’ai toujours soutenu. MAIS SERA-T-IL COMPRIS lorsqu’il nous susurre avec évidence que le « grand Elisabéthain » est à enfouir dans les brumes de l’oubli ? Voire ! Et n’est-il pas utopique de monter un spectacle inutile pour démontrer qu’il est inutile ?
COMMENTAIRE ÉCRIT 30 ANNÉES PLUS TARD
SHAKESPEARE or not SHAKESPEARE
J’éais en ces temps d’une certaine violence lorsque j’évoquais l’œuvre du génial Elisabethain. Non que je contestasse la beauté de la langue (en Anglais surtout) et certains traits de génie, mais je me permettais de trouver que les intrigues étaient souvent menées de bric et de broc. Surtout, je contestais (et je persiste) l’usage à des fins de politique de gauche selon lequel certains « créateurs » pensaient pouvoir s’arroger le droit de lui faire dire ce qu’il n’avait jamais voulu dire.
Exemples : OTHELLO A mes yeux c’est une pièce raciste. Le général nègre qui se tape une belle jeune fille blanche est un imbécile en dehors des champs de bataille, puisqu’il se laisse manipuler comme un enfant par Iago.
LE MARCHAND DE VENISE C’est une pièce anti-sémite. On fait grand état de la célèbre tirade du Juif: « J’ai des yeux des oreilles « … Mais que penser de sa vengeance de type cannibale : « donnez moi une livre de votre chair » ?
JULES CESAR le fameux discours de Marc Antoine, sublime.exemple de manipulation des masses. Bandes d’abrutis, vous vous laissez faire comme des cons.
CORIOLAN pour moi un des seuls cas où Brecht se soit
planté en tentant d’infléchir une œuvre vers une leçon anti-petite bourgeoise. C’est une pièce résolument fasciste.
LA TEMPÊTE Ces pauvres jeunes gens bien nés sont les victimes d’un sauvage
Je ne vais pas multiplier les citations. Mais quelqu’un peut il me citer une œuvre, une seule, où le peuple, disons plutôt la populace ne soit pas montrée comme un ramassis de paillards, ivrognes, abrutis, vulgaires ?
Serviteur des GRANDS de l’époque, son utilisation à des fins signifiantes relève d’une manipulation.
C’est cela surtout qui m’agaçait.
13.07 – GROS CALIN, monté et joué par le « joyeux » Leenhardt d’après un roman d’Emile Ajar, est un serpent python de 2 m 20 de long sur lequel un vieux garçon a reporté tous ses besoins en affection. Du moins était-ce le cas, avant qu’il ne tombe amoureux de Melle Dreyfus, qui, « comme son nom l’indique », est une Noire de la Guyane Française, et qui travaille dans le même bureau que lui, au 9e étage d’un building. Tout un roman est alors fantasmé par le solitaire à l’occasion des voyages quotidiens qu’il effectue dans l’ascenseur avec sa dulcinée qui, de toute évidence, ignore tout de ses sentiments.
Petit one show de 50 minutes, c’est une bonne surprise. Le texte, tout en petites touches fines bourrées d’humour, de tendresse, et parfois de délicate tragédie, est très gentiment joué par un Leenhardt assez maladroit mais touchant. Ce n’est pas « politique » mais c’est de la vérité humaine. « Boul d’Hums » comme aurait dit Adamov.
13.07 – Le Théâtre de la Carriera, mi en occitan, mi en français, joue LA LIBERTÉ OU LA MORT au Cloître des Carmes à l’occasion du 14 juillet !
C’est le Malet et Isaac corrigé par des Provençaux hostiles au Pouvoir Central et à l’Unité de la Patrie. Ainsi voyons-nous comment les Rois de France ont trahi les anciens sujets du Comte de Provence en supprimant peu à peu les libertés constitutionnelles qui, apparemment, assuraient aux hommes de cette région des avantages remarquables, puis comment la Révolution de 1789 a porté le coup de grâce à cette originalité en instituant la langue française obligatoire et la départementalisation.
Le Marquis de Sade (dont j’ignorais qu’il fut une des gloires de cette contrée) joue dans ce fort spectacle de 3 h 30 (que j’ai quitté à l’entracte vers 0 h 30) un rôle de lien. Que dire ? Le spectacle est spectaculaire, joué avec Foi par une troupe ardente dans un dispositif éclaté. La démonstration politique convainc les convaincus et m’atteint, moi, surtout, quand elle fait ressortir à quel point la révolution bourgeoise n’a pas supprimé les riches et les pauvres !
Je doute pourtant que le sort du peuple ait été si idyllique que ça sous les Comtes de Provence, et j’ai peine m’exalter pour la prise de position de cette région en 1791 en faveur des curés et des émigrés. Le rythme du spectacle est d’autre part un peu mou : les liaisons manquent de nerf entre des scènes souvent vigoureuses, truffées de belles images et de trouvailles. C’est, de toute manière, une démarche estimable et utile, militante, donc à approuver.