Du 14 juillet au 15 septembre 1976

Publié le par André Gintzburger

14.07 – Les serpents sont à l’honneur en Avignon cette année. Après le GROS CALIN de Leenhardt, voici le BOA SOUS LA CLOCHE de Bernard Mazeas (l’auteur des VEUFS monté naguère par Bourseiller)  mis en scène par un garçon nommé Jean-Pierre Andréani avec une distribution comprenant notamment Hélène Arié, J-L Martin Barbaz, Roger Jacquet. 
Ils jouent à 10 heures du matin, éclairés par le soleil, dans une très jolie cour jouxtant la Cloître des Carmes.
Le boa de Mazeas est celui que sous-alimente un gardien de zoo cupide que par ailleurs sa femme trompe. Un garçonnet de 16 ans qui rêve d’avoir le boa à lui et qui est très doué pour son âge découvre le double trafic, et fait chanter les époux pour obtenir ce qu’il convoite. C’est l’anecdote conduite 1 h  45 durant selon une logique qui fait songer à Ionesco et à O’Baldia. En vérité, l’animal (symbolisé par une corde épaisse) et son jeune voyou de maître servent de révélateur au couple (il faudrait dire « aux couples » car Mag et Tom se dédoublent jusqu’à devenir sur la fin « autres », c’est-à-dire leurs partenaires adultérins). Et c’est la chanson bien connue des amants désunis ; « Comment avons-nous pu en arriver là » revient comme un leitmotiv. L’incommunicabilité fondée sur la défiance mutuelle y est née de l’accumulation des mensonges quotidiens. Cela se passe dans un milieu de médiocres. Le gardien de zoo fait payer 1 Dollar des entrées qui sont réellement à 50 cents. Sa femme est bistrotière. L’amant de sa femme est garagiste. L’enfant violent, sans scrupules, calculateur, y fait figure de JUSTICIER. IL incarne la pureté dans un monde où rien ne l’est, un monde rond où les turpitudes font une chaîne bien bouclée, un monde où, à l’échelle cosmique, « rien n’est beau, rien n’est juste, rien n’est vrai », comme eût dit Montherlant.
 Ce débouché sur le « cosmique » donne à cette œuvre où le quotidien côtoie l’étrange et le réalisme, l’absurde, une certaine dimension. On se laisse prendre à suivre, à écouter, à s’intéresser, avec le sentiment que ce qu’on voit est à côté de la plaque. C’est une appréhension PESSIMISTE de l’Homme qui finit d’ailleurs par perdre MEME son langage. C’est à la fois personnel et bourré de réminiscences, à la fois original et vieux, lassant et attachant. C’est en tout cas imparfait, mais la mise en scène est inventive (quoiqu’un peu trop voyante) et les acteurs sont bons. L’an dernier en Avignon j’aurais parlé d’une tentative déracinée. MAIS Y A-T-IL UNE LIGNE DANS CE FESTIVAL ? Jusqu’à présent, je n’en décèle pas et ce doit être un signe que tous les jeunes que je rencontre me conseillent d’aller à LA PÉNICHE voir EN ATTENDANT GODOT

14.07 – 18h – « Rapidité et détermination = Réussite. » C’est le slogan de MACHI MACHI, appareil à éduquer des jeunes hommes pour en faire des citoyens respectueux du système, qui a été inventé par François et Bertrand Migeat. C’est un spectacle de l’Atelier Théâtre mobile de Philippe Dauchez qui n’a joué ici que le rôle de… subventionneur !
Les méthodes de MACHI MACHA tiennent de l’école du Cirque et se ressentent du service militaire que les auteurs ont visiblement expérimenté récemment. Mais l’adjudant 1976 sait se transformer en speakerine d’Orly pour communiquer des ordres doucereux qui, mieux que les brutaux, seront expérimentés par les matricules 7002 et 7003, cobayes choisis à titre d’exemple pour notre instruction, à nous, spectateurs. Enfermés dans une cage, confrontés à des modules numérotés qu’ils manipulent avec adresse, les 2 sujets exécutent des tests jusqu’au moment où, ayant pris conscience de leurs individualités, ils abattront leurs barreaux. Mais échapperont-ils à MACHI MACHI ? Si nous les voyons venir à bout de leur tortionnaire dompteur physiquement présent, nous restons sur une interrogation quant aux ressources de l’ordinateur.
C’est sympathique, puéril, un peu confus. C’est une nouvelle fois des jeunes face à un monde d’adultes oppressifs. J’écrivais qu’il n’y a pas de ligne directrice dans les spectacles que je vois cette année en Avignon. Il y a celle-là, celle des jeunes sans référence marxiste (ou n’y croyant clairement plus) face à un monde inacceptable, face à un mur, comme les adolescents américains. Oh ! P.C. de Marchais et de la main tendue, P.C. du compte des voix électorales, P.C. de l’aliénation à la société libérale avancée, ne les vois-tu pas sombrer dans le désespoir, ces jeunes PAUMÉS ?
Dois-je ajouter que, selon le programme (car son nom n’est jamais prononcé) le dompteur physiquement présent (bien joué par Christian Bouillette) s’appelle Zarathoustra ?...

COMMENTAIRE

Ecrit le 22 Mars 2005 en mémoire d’un soulèvement lycéen de 1968 qui revendiquait exactement le contraire de ce que réclament les lycéens actuels
 
Je crois que je n’avais pas encore en ce temps là mesuré à quel point la réflexion prémonitoire d’Eugène Ionesco dans sa pièce « LE TUEUR SANS GAGES » était essentielle. « « IL NOUS FAUT DES MYSTIFICATIONS NOUVELLES » écivait il. Je remplacerai seulement « mystifications » qui induisait une profonde méfiance en l’avenir par « repères ».
Aucune révolution ne se bâtira demain tant qu’un philosophe (un vrai)  n’en aura pas re-fixé les enjeux. Marx et Engels constituent une bonne base, mais leur analyse date d’une période différente. Et, n’en déplaise aux versets de l’Internationale » : « il n’est pas de sauveur suprême »,je pense qu’un meneur du jeu sera nécessaire pour que « le monde change de bases ».
L’anarchie ne serait qu’une solution de désespoir qui mènerait au chaos.
 
14.07 – Je dois à Lucien Attoun et à son THÉATRE OUVERT mon 1er vrai coup de barbe de la saison avignonnaise. J’étais si furieux de m’être fait chier pendant 2 heures que j’ai fait le serment de ne plus jamais me déranger quand on annoncerait un spectacle de Georges Lavaudant. En tout cas, que ce zigomar à la mode change très vite le nom de son THÉATRE PARTISAN. Après 68, il s’y était attachée une odeur politique sympathique ! Mais à considérer LOUVE BASSE (d’après Denis Roche), on voit bien que cet opportuniste cherche à se faire bien voir du Pouvoir. Quoi de plus bourgeois en effet que ce savant dosage de scatologie (description sans complaisance du corps humain), de pornographie (description complaisante d’étreintes mondaines), de politique à la Che Guevara au petit pied, et de je ne sais quoi en plus de confus sous le couvert d’un film que tourne un metteur en scène « italien » du genre excité et brumeux ? ON me dit que le roman est beau. Peut-être. Mais Lavaudant, en tout cas, ne l’a pas « lu ». Ses acteurs, (parmi lesquels l’abominable Tatiana Moukine qui fait de chaque mot qu’elle prononce une bouillie inaudible) DISENT un découpage morne d’une voix plate. Ça n’a pas été travaillé. C’est bâclé. C’est incompréhensible au commun des mortels. En plus, c’est sinistrement prétentieux et compassé.

15.07 – Laloux se définit lui-même dans son spectacle :     TAMBOUR AILLEURS, comme un « artiste de variétés ». Et c’est juste, car en plus de son talent d’acteur, il est un virtuose de la percussion. C’est en s’appuyant sur une caisse claire, un tambour trafiqué (et sonorisé), et un instrument étonnant à multiples résonances, qu’il a construit son personnage et bâti son histoire. En fait, baguettes en main et, si l’on peut dire, tambour battant, ce grand garçon pince-sans-rire qui manie comme personne le paradoxe nous entraîne selon sa logique à travers les méandres d’une histoire abracadabrante où les vessies semblent être des lanternes et où l’on s’y retrouve parce que sa présence est exceptionnelle et sa force de conviction peu commune. Cette anecdote qui mène de Vesoul à Rethel un amuseur de fêtes campagnardes à travers une envolée dans un monde où tout s’enchaîne et où la mort est inatteignable, est gentiment subversive mais sans volonté apparente de l’être. La « leçon », si tant est qu’on puisse en parler, vient plutôt d’un REFUS du réel, non méprisé mais moqué. Nulle méchanceté, nulle agressivité. Du cocasse, de la tendresse, jamais la moindre prétention. C’est un spectacle éminemment sympathique d’où l’on sort heureux, même si l’univers entrevu vous laisse légèrement troublé et un brin mélancolique.

15.07 – Tout est beau dans le DIWAN D’AMOUR d’Evelyne Moatti. Les poèmes algériens qu’elle dit avec l’aide d’une acolyte et d’un Noir qui joue de la flûte et fait des percussions (arabes), parlent des femmes, de la terre, des arbres, de l’oppression, du sang et de la Révolution. Un tapis blanc, un châle qui ondule au rythme de la derbouka, des pierres qu’on choque en mesure et deux branches d’arbre mort suffisent à créer l’atmosphère.
Ce souffle d’Afrique du Nord qui ne dure qu’une petite heure aurait dû m’exalter, car tout y est authentique, exigeant, rigoureux. Pourtant je m’y suis ennuyé. Mais je crois que je dois le taire car c’est moi qui suis allergique à cette littérature. Cette poésie imagée et répétitive alternativement joyeuse au point d’en être transfigurante et mélancolique, voire geignarde, m’agace.
Peut-être dois-je accuser la langue française. La sincère et honnête Evelyne Moatti serait horrifiée de me lire, mais son montage nostalgique m’a fait songer à un Enrico Macias qui ne serait pas putain ! Aux deux pôles de la qualité, la démarche est la même. Je voudrais bien voir ce spectacle joué devant des Arabes. Le dernier poème, toutefois, « Tu es belle comme un comité de gestion, comme un commerçant qui baisse ses prix, comme une usine nationalisée… etc » enlève l’adhésion sans réserves.

15.07 – Vu une demi-heure du GODOT de la Péniche. On m’en parlait tellement que j’ai voulu me rendre compte. Mireille Laroche, dont c’est la 1ère mise en scène, fait évoluer Wladimir et Estragon sur de la terre glaise humide et glissante. Son arbre décrit une arabesque. Pozzo est un petit bonhomme sec et chauve et Lucky un costaud qui porte 2 belles valises. De temps en temps une musique vient ponctuer des temps morts (ce qui est une erreur). Je comprends que ceux qui n’ont JAMAIS vu Godot (apparemment il y en a beaucoup) soient atteints. La « jeunesse » d’aujourd’hui n’attend-elle pas Godot  plus que jamais ?

16.07 – Les Mirabelles sont des homosexuels qui revendiquent pour eux-mêmes et pour leurs semblables l’intégration sans racisme à l’intérieur de la Société Libérale Avancée. Il est clair que le moment important du spectacle : LES GUERRILLEROSES (titre au demeurant signifiant) est le discours (dérisoire) de la soi-disant dame du monde sur la question. Le reste de la soirée (60 minutes) est remplissage avec des chansons sketches numéros, et là il y a du désopilant, de l’excellent, du très drôle… et aussi du moins bon. Le début est remarquable et au bout de 20 minutes on est enchanté. C’est moins le cas au bout d’une heure. Le défaut du spectacle vient d’ailleurs surtout de son décousu. Point de trame, point de thème (même pas tellement, à dire le vrai, celui de l’homosexualité.) – La dominante « travesti » arrive même à se faire oublier (et bien sûr, la nudité affichée y contribue). C’est une série sans lien apparent de courts « événements ». J’ai marqué d’une pierre blanche le tableau champêtre, dérision de l’opérette traditionnelle, et celui où l’on asperge délicatement les spectateurs de déodorant.

17.07 – J’ai été bien content de revoir DANS LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE au Palais des Papes car le pari n’était pas facile à tenir et le THEATRE DE LIBERTÉ partait avec le lourd handicap d’un Mehmet Ulusoy absent. Eh bien, la gageure a été gagnée superbement et la transplantation du TEP à la Cour d’Honneur a joué au crédit de cette dernière. Il est vrai que l’espace a été très bien utilisé en hauteur. L’image projetée de Marx a presque d’entrée de jeu emporté l’adhésion et les ombres projetées sur le mur du Palais étaient très parlantes. Évelyne Istria, que j’avais trouvée médiocre à Paris, est maintenant très bien, de même que Winling et le trio des 3 « Capitalistes ». Les détracteurs du contenu n’étaient pas à la fête devant cette réussite, mais leurs arguments sonnaient faux. Heureusement ils avaient pour se conforter les «amis » qui avaient assisté au filage laborieux de la veille. Ceux-là ouvraient des yeux surpris quand on leur parlait du succès de la Première. Comme quoi il faut se méfier des copains que l’on convie à une séance de travail. Un spectacle ne décolle vraiment QUE devant le public.

COMMENTAIRE

Au XXIème Siècle, en France, Décentralisation aidant, il est devenu courant que des spectacles hors institution soient créés en plusieurs étapes. Cela tient à des raisons économiques perfides : Une compagnie indépendante ne peut créer que grâce à des co-producteurs officiels qui offrent des « résidences » de travail rémunérées. Mais chacune d’elle suppose un contact avec des gens du public.
La tentation est grande lors des dernières résidences, d’y convier des amis, ne serait ce que pour avoir un avis extérieur.
Amis ? Oui … si ce sont des vrais amis.
Professionnels : Jamais.
Un critique qui a vu une répétition non aboutie, figera les imperfections dans sa tête et ne reviendra pas quand on lui dira que la réalisation est aboutie.

24.07 – Quand je songe que je suis revenu spécialement en Avignon pour voir DELLA MONNA que cette ordure de Delcampe nous a fait mettre en programmation, je ne suis pas content. Non que le sujet ne soit estimable : après tout, moi qui réclame qu’on me parle de sujets contemporains, voilà une allégorie qui devrait me combler puisqu’elle dénonce la collusion entre le Pouvoir et le Capital, à travers l’Histoire belge, de la perte des colonies aux grandes grèves ouvrières de 60, et au mouvement étudiant de 68, jusqu’à la restructuration de l’économie de ce Pays à la suite de la « fausse crise du pétrole ». Hélas, comme je voudrais pouvoir, ainsi que le requiert le programme, aller « au-delà de lénifiants débats esthétiques » et ne juger l’œuvre de Michel Huisman QUE sur son contenu politique. Malheureusement, la pièce, écrite en vers, s’il vous plaît !, est si primaire que même des primates ne la trouveraient pas convaincante, et si mal montée par un certain Toni Ceccinato qu’on reste confondu (après le MISTERO BUFFO) par tant de maladresse. Force m’a donc été de rejoindre le camp des gens de droite qui haussaient les épaules. Ici la droite avait gagné des points. Elle faisait 98 % du public. Dario Fo aurait, paraît-il, désavoué l’opération.

25.07 – Si l’on ne voit plus guère sur les scènes avignonnaises de combats politiques, il semblerait par contre qu’une ligne de force contemporaine soit LE CONSTAT.
Aucun militantisme dans cette démarche au bout de laquelle il n’y a aucune lueur d’espoir, aucun chemin esquissé pour en sortir.
La misère humaine est montrée dans sa crudité, non pas d’un point de vue économique, mais, pourrait-on dire, au niveau qualitatif, dans ses conséquences : déchéance morale, ennui chronique, désespoir d’une vie étriquée, inutilité d’exister. Cette ligne, qui est en gros celle de Krotz, s’appuie sur un réalisme extrême. Les détails sordides n’ont pas à être dissimulés aux yeux pudiques des spectateurs. Celui-ci est, en somme,   appelé à prendre conscience du vide infernal dans lequel naissent, vivent et meurent nombre de ses contemporains. C’est la dénonciation (hélas sans propositions « constructives ») du « métro-boulot-dodo ».
Jacques Lassalle semble être à l’aise dans cet univers où chaque détail compte, où le temps qui passe pour rien devient presque un personnage allégorique. Et ce n’est sûrement pas par hasard que Jean-Pierre Thibaudat, qui a écrit cet  HISTOIRES DE DIRES, dont Théâtre Ouvert nous propose l’esquisse, est  un de ses collaborateurs depuis 3 ans. On y trouve un père handicapé, dont la maigre paye ne suffit plus à nourrir sa famille. La mère « fait des vitrines » (j’avoue que je n’ai compris que vers la fin que cela veut dire, sans doute, qu’elle fait des passes pour arrondir les fins de mois). La préférence des époux va au fils, Louis, qui se destine à la boxe et est  incapable de passer son C.A.P. La fille, mal aimée chez elle, se laisse séduire par un jeune homme que le père ne juge pas être un bon parti. Enceinte, elle se laisse avorter par timidité, incommunicabilité. Victime totale, elle se suicidera sur la dernière réplique. Tableau désespérant, hyperréaliste, MAIS Thibaudat n’est pas Krotz. Il y a du Lassalle en lui et c’est pourquoi il y a dans sa pièce des contrepoints oniriques assez beaux, mais heureusement brefs.
Lassalle, avec une très bonne équipe, a fait en 15 jours (paraît-il) un travail de « mise en place « remarquablement professionnel ». Les moments réalistes sont pratiquement définitivement montés. Les instants oniriques sont lus. La présentation étonnamment « pauvre » est parfaitement efficace.

Commentaire

Faut il rappeler que le principe de Théâtre Ouvert, initié en Avignon par Lucien Attoun était de présenter des « lectures » de pièces, en principe sans aucune « relecture » scénique par le metteur en place qui serait peut-être, plus tard  le metteur en scène, avec des acteurs qui n’étaient pas toujours obligés de lâcher la brochure du texte. Ce fut pendant un temps une formule tellement efficace qu’elle porta ombrage à Paul Puaux, successeur de Jean Vilar à la direction du festival : la grosse tête avait investi Lucien Attoun et trop de bons amis le désignaient prématurément pour supplanter le trop stalinien (au gré de certains) maître des lieux. THEATRE OUVERT fut la victime du conflit et ce fut dommage.
 
25.07 – La Volksbühne présente des films sur le travail de Benno Besson. Pour les professionnels, il est bien sûr intéressant d’être mis ainsi en position de comparer 3 mises en scène de COMME IL VOUS PLAIRA, à Berlin, à Sofia et en Avignon. MAIS à la réflexion, que de temps perdu. Quel intérêt y a-t-il ainsi à travailler 3 fois sur un texte classique ? À entendre un « Docteur » assistant du metteur en scène, Shakespeare aurait illustré dans son œuvre « les contradictions de la classe dominante de son époque » et il serait important de montrer aux peuples présents de quelle Société (parfois récente comme en Bulgarie), ils sont issus.
Ouais ! MOI j’aimerais mieux qu’on leur montrât en quoi le communisme est enviable et qu’on dénonçât les contradictions des sociétés actuelles pour essayer, à travers l’Art, de pressentir ce que pourrait être la Cité Marxiste.
Mais bien sûr, en D.D.R, cette démarche serait risquée et il est plus sage de monter ANDROMAQUE, LE ROI CERF et d’autres grandes œuvres du Répertoire que l’on présente sous une forme signifiante bon teint. C’est un ACADÉMISME !

COMMENTAIRE

Evitons les redites. J’ai déjà glosé sur Shakespeare et cette oeuvrette

26.07 – LOUISE MICHEL ou LES ŒILLETS ROUGES de Dominique Houdart, lu par Jeanne Heuclin et l’auteur au Gueuloir d’Attoun, est (je cite) « une réflexion théâtrale sur les rapports de l’Utopie et de l’Histoire ». En fait, c’est –ce sera- un exposé animé avec images et sons sur la vie exemplaire de la célèbre anarchiste française, un survol historique opportun de qui fut l’héroïne si souvent célébrée par les partis de gauche, et qui a laissé son nom à une station de métro. J’avoue que j’ai trouvé utile cette remise en mémoire bien étayée, et que je ne me suis pas attardé à critiquer la forme, cependant fort conventionnelle de l’ouvrage. En fait, Houdart ne s’embarrasse pas de « degrés » : il raconte, dans l’ordre chronologique, de la naissance à la mort, la vie de Louise Michel, l’illustrant de flashs à la manière radiophonique. Sa fresque serait dans la ligne des grands brasseurs de foules des années 36, s’il n’avait pour lui le truc des marionnettes. C’est donc en miniature que nous assisterons, quand le spectacle sera abouti, aux batailles de la Commune, à l’incendie de Paris, au procès des Communards, aux séances de l’Assemblée de Versailles, à la déportation en Nouvelle-Calédonie, aux meetings sous le drapeau noir etc… Cela coûtera moins cher évidemment !
La « réflexion », cela dit, et cela est bien, a sans doute précédé la mise en forme, car elle n’est pas lisible dans ce qui sera le spectacle. Celui-ci est une succession de faits, en tout cas apparemment ; comme le Napoléon d’Abel Gance ! Vous voyez…
Houdart est un professeur, un didactique. Il aime à enseigner, à être clair, concis, à appeler un chat un chat. En cela, il n’est pas « dans le vent ». Mais il est « populaire ».

26.07 – Je n’ai pas vu intégralement « EINSTEIN in the Beach », le nouveau spectacle de Bob Wilson (5 heures d’horloge), qui est créé au Théâtre Municipal, mais j’en ai vu un bon bout. C’est incontestablement très beau. Cela dit, rien de neuf par rapport à ce que nous avons déjà vu, si ce n’est que le « thème » (l’Espace ? La 4e dimension ?) s’annonce sous un emballage re-fabriqué. Mais c’est toujours la même lenteur, ce sont toujours les mêmes gestes inlassablement répétés, les ascenseurs qui montent, les plateformes qui glissent, les lumières qui clignotent, c’est toujours la musique envoûtante aux notes sans cesse ré-assénées, c’est toujours la dérision des découpes en carton pâte : un train, un wagon, que sais-je ? C’est toujours le temps qui s’égrène, interminable et pourtant sans ennui.
C’est TRÈS PROFONDÉMENT un art de ce temps « occidental ». Mais j’aimerais qu’un jour Bob Wilson monte un spectacle pauvre. Je serais curieux de voir comment il s’en tirerait.

27.07 – LES FAISEUSES D’ANGE de Serge Ganzl n’est certes pas une œuvre coulée dans le bronze du Cartésianisme. « Œuvre » est d’ailleurs un grand mot pour désigner ce psychodrame joué par un couple aux sexes interchangeables. « Pochade » conviendrait mieux. Mais Catherine Monnot et Françoise Decaux sont charmantes, et leur « improvisation » pleine de bonne humeur enlève l’adhésion avec un délicieux manque de sérieux. Parlant en somme pour ne rien dire pendant 1 h 15, elles arrivent à créer un rapport avec le public qui est très agréable. Ce n’est pas un mince éloge. Mais qu’a voulu exprimer ce bâcleur de Ganzl ?
D’abord on voit une nana en chemise de nuit seule dans sa chambrette. Elle observe le désert avec des jumelles. Arrive un militaire avec qui elle veut coucher mais qui semble se dérober (sans doute parce qu’il est une fille). Il a prévu de faire sauter la ville dans 3 heures, mais bientôt, les 2 commères échangent leurs costumes « interchangeant » leurs sexes supposés. L’une joue alors Jeanne d’Arc couronnant Charles VII et c’est peut-être un jeu d’enfants… Que dire de plus ? Çà et là émergent quelques drôleries dans le texte, de temps à autre, une perle. Bien sûr, c’est « érotique ». reste que sans les 2 interprètes, le spectacle ne serait rien.

UN DÉTOUR

Nîmes, ça change d’Avignon. À 21 h 30, la ville est déserte et d’un calme bien reposant. Quelques rares bistrots éclairés trouent la nuit et les quelques passants sont fort complaisants pour orienter l’étranger cherchant le jardin du Chapître où le Théâtre Populaire du Midi joue LES FUSILS DE LA MÈRE CARRAR, pièce que Brecht, dans son testament, destinait aux amateurs. Le lieu est agréable et l’accueil de Bernard Gauthier (qui n’en revient pas de me voir débarquer) est chaleureux. Il y a quelque chose comme 200 spectateurs qui attendent sagement que la nuit tombe complètement en contemplant un décor très réaliste montrant la salle commune d’une maison espagnole (dont la pauvreté aurait gagné à être plus accentuée). Puis une bande sonore se met en marche : musique « gardes civil 1936 », puis flashs d’information 36 et 76 mêlés dans un rythme de plus en plus rapide qui va se confondant. Enfin la pièce commence, jouée réaliste comme le décor : la mère Carrar pétrit le pain et le met au four, puis se met à repriser un filet de pêche, tandis que son fils cadet guette par la fenêtre son frère Juan qu’elle a envoyé à la pêche au lamparo pour l’empêcher d’aller à une réunion au cours de laquelle il aurait risqué de revendiquer son droit à partir au front contre les Franquistes. C’est que le front est tout près. On entend le canon en toile de fond (pas assez à mon gré d’ailleurs)…
Je passe sur l’anecdote. On sait que la Mère Carrar incarne un mythe : celui de la femme qui croit pouvoir rester neutre au milieu d’un conflit. Cette « distance » est impossible et Brecht entend bien nous signifier qu’elle l’est TOUJOURS, même si, dans cette pièce, le cadre de la guerre d’Espagne aggrave l’impossibilité en question. Nul ne peut, dans CE Monde, demeurer en retrait, spectateur, passif. La non action EST une action, la non prise de parti EST une prise de parti. Hitler en 1942 avait récupéré cette évidence avec son fameux : « Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ».
Œuvre opportune, et Gauthier a eu raison de la réactualiser en faisant ressortir que les drames du Chili, de l’Argentine, du Liban et de l’Afrique du Sud ne sont pas des phénomènes qui ne nous concernent pas. On n’est jamais « au-dessus de la mêlée. » Cela dit, son spectacle est honnête, propre, probe. L’atmosphère régnant dans le village à la veille de l’arrivée des Franquistes, l’héroïsme de ceux qui veulent lutter sans illusions, mais farouchement, sont montrés en forme un peu désuète mais efficace. Brecht aurait aimé, je pense, que le curé soit moins humain, moins honnête au 1er degré. Quand la Weigel, après la mort de son fils tué par un garde côte ayant fait un carton, effectuait son revirement et décidait de partir au combat avec ses fusils planqués, c’était plus grand, plus « tragique » qu’avec l’actrice nîmoise.
Mais ne soyons pas chiens. Ce travail est sans prétention. Il ne bouscule pas l’esthétique. Gauthier n’aurait aucun succès en Avignon ou au Festival d’Automne. C’est un artisan. Il en faut.

27 AÔUT 1976    RAYMOND BARRE, PREMIER MINISTRE, NOMME FRANçOISE GIROUD SECRÉTAIRE D’ÉTAT À LA CULTURE.
LE 9 SEPTEMBRE UN DÉCRET FIXE SES ATTRIBUTIONS

Est-ce la raison pour laquelle Jack Lang et Michèle Kokosowski ont fait surgir en Septembre  1976 un mini-festival de Nancy ? J’y fus :

  03.09 – MASANIELLO, réalisation collective du TEATRO LIBERO de Naples, est l’« événement » du Festival populaire comique de Nancy 76. Cette troupe (qui n’a rien de jeune), « refuse les aires de jeux traditionnelles et recherche un rapport nouveau avec les spectateurs. » Moyennant quoi ces derniers sont entassés, debout entre deux espèces de tours carrées mobiles où l’essentiel du jeu se passe tandis que des espaces secondaires latéraux servent à évoquer l’atmosphère d’une fête napolitaine. Ce n’est pas très nouveau. Et Ronconi, tout compte fait, avait plus d’imagination lorsqu’il avait, il y a bientôt 10 ans, rêvé la même rupture avec la tradition. L’ennui, ici, c’est qu’à moins d’avoir 2 mètres de haut, on ne voit le spectacle que très fragmentairement. Et l’on s’épuise plus encore qu’au FRANCO de Gatti car il faut se démancher le cou pour percevoir quelque chose, et posséder un auto radar pour se garer des mouvances. Décidément, je ne crois pas à ces révolutions-là : il faut au théâtre un lieu où les artistes jouent et un où le public regarde. Ce n’est pas en créant l’informel qu’on fera participer les gens davantage. Cette « recherche », en tout cas, me paraît exemplaire de l’impasse dans laquelle est empêtré le théâtre contemporain. Le nouveau y est finalement toujours le même et je dirai sans mépris qu’il n’épate que les provinciaux. Elvie Porta et Armanda Pugliese, animateurs du groupe, ne dorent, cela dit, la pilule à personne et se recommandent formellement de leur maître Ronconi. Ils sont de bons élèves et je pense que des Italiens entendant leur langue s’intéresseraient à l’histoire ainsi illustrée de ce zigomar qui s’est insurgé en 1649 contre le mauvais Roi de Naples Charles V qui pressurait ses sujets d’impôts ! D’autant que le spectacle m’a paru extrêmement CLASSIQUE dans son jeu. La recherche n’a porté QUE sur le rapport « scène salle » qui été voulu fluctuant et qui est (involontairement) fasciste car LES ARTISTES IMPOSENT LEURS VOLONTÉS AUX SPECTATEURS : sous peine d’être blessés, ceux-ci doivent se déplacer et c’est avec autorité que les ORDRES leur sont signifiés. L’INCONFORT N’EST QUE D’UN COTÉ !
Mais l’interprétation est parfaitement banale, avec de longues plages bavardes. Heureusement, quelques passages chantés viennent deci delà égayer le pauvre spectateur privé par la station debout du seul réconfort qu’il pourrait trouver ailleurs, celui de sommeiller pendant cet ennuyeux exemple de « paumage » d’un festival à la fréquence stupidement accrue (quand il faudrait la raréfier), qui répète ses événements et perd ainsi sa signification de découvreur. Cocosowsky et Lang avaient absolument tenu à inviter le Teatro Libero. Ils ont, par cette volonté, montré leur sclérose.

COMMENTAIRE

 c’est grâce à ce mini-festival que l’Europe a découvert une étonnante troupe de Mexicains immigrés en Californie : EL TEATRO CAMPESINO

03.09 – Il y a des troupes qui ont une âme. C’est ce qui distingue le Magic Circus de ses imitateurs. Cette âme, en fait, c’est un homme qui la communique.
Le Savary du Teatro Campesino, c’est Luiz Valdez. Grâce à lui, ce groupe de paysans mexicains qui chante et conte le sort des travailleurs émigrés en Californie, dégage une chaleur, une sympathie qui forcent la complicité et l’amitié.
Pourtant ce petit homme rond, rieur, qui introduit son spectacle avec une liberté brouillonne et un apparent laisser-aller, n’emploie que des accessoires très simples (peu coûteux) et des moyens d’expression peu élaborés (en fait directement issus du monde farceur de l’enfance). MAIS justement, c’est du VRAI théâtre, celui du MISTERO BUFFO, celui du SOLEIL FOULÉ PAR LES CHEVAUX.
Dario Fo qui était dans la salle ne s’y trompait pas, qui applaudissait à tout rompre, et s’est, avec humilité, fait présenter à Valdez. C’est du théâtre de contestation authentique qui se borne à DÉCRIRE avec tendresse la vie d’un émigré, de son passage de la frontière à son arrivée au Paradis après avoir été tué, Paradis où il retrouve le schéma social dans lequel il a toujours vécu. Description jamais agressive et cependant féroce pour les Etats-Unis, mais sans complaisance pour le Campesino dénoncé dans sa crédulité, sa Foi aveugle, son penchant à l’ivrognerie, sa conception de la Femme. On le voit, après avoir payé son entrée aux USA, embauché au noir et trimant dur pour peu d’argent qu’il dépense au bordel, au bar et dans les « stores ». On le voit faisant la cour à une fille, l’épousant et en faisant aussitôt son esclave. On le voit lui faisant des sextuplés et la battant. On le voit téléphonant à Mexico et coupé, par  manque de monnaie, au milieu de la communication. Quelques pancartes indiquent les lieux. Un pneu qu’on roule, c’est une voiture. Le mouvement, le dynamisme, sont permanents et point n’est besoin de comprendre les langues pour suivre l’anecdote, tant tout est corporellement exprimé. Je ne vais pas tout raconter en détails. Disons que c’est SAIN, pétant de générosité. Le Mexicain décrit est l’enfant face au monde des adultes. Ceux-ci sont les Américains, caricaturés à l’extrême et exprimés en forme de DIABLES et de MORT. On songe aux LÉGENDES À VENIR de Mehmet et à MOHAMMED PRENDS TA VALISE, mais, comment dire ?, il y a au TEATRO CAMPESINO une dimension de gentillesse (Attoun dirait de « naïveté) à laquelle je suis très sensible. Ce qui n’empêche pas la prise de conscience : sur la fin du spectacle, les opprimés se soulèvent, font la grève et c’est à cette occasion que le héros sera descendu. Le COMBAT est engagé. Mais ne se traduit pas scéniquement en termes prétentieux. Cette lutte est naturelle, et est amenée naturellement. Ainsi est-elle évidemment JUSTIFIÉE, sans palabres. Le fait politique ressort de l’ÉVIDENCE. Il est donc parfaitement à l’état pur. À l’état d’AVANT MARX. Si le philosophe avait vu LA GRAN CARPA DE LOS RASQUACHIS, il aurait pu inventer LE CAPITAL.

COMMENTAIRE :

Vous lirez certainement plus loin un compte-rendu évoquant le retour, un ou deux ans plus tard, du TEATRO CAMPESINO. Les immigrés se sont américanisés. Ils sont revenus avec une sono super sophistiquée à travers laquelle la spontanéïté ne passait plus. Il n’y avait d’ailleurs plus de vrai message. Le capitalisme avait fait son œuvre en récupérant les trublions. Parbleu, leur dynamisme était tellement crédible artistiquement qu’il faisait recette. Luis Valdès était dvenu riche !Mais en l’occurrence,j’anticipe. Je ne me réfère qu’à des souvenirs.

04.09 – Le festival mondial du théâtre organise à 14h30 à la Faculté de droit un débat sur le Théâtre Populaire comique auquel participent, sous la direction d’Abirached, des sommités de la matière. En fait de débat, chacun fait son petit exposé, et c’est ainsi que nous apprenons que Jean-Louis Barrault a découvert que le Rire était le propre de l’homme, et Dario Fo que tous ceux qui se prenaient au sérieux prêtaient à rire (et c’est pourquoi ceux qui détiennent des Pouvoirs offrent une telle matière aux auteurs comiques).  Alain Cuny a confessé qu’il ne se sentait pas très qualifié pour parler du comique, et ça a fait beaucoup rigoler. Ça l’a encouragé à nous laisser entendre qu’il faisait très bien l’amour et se sentait heureux après ! Luiz Valdez a très gentiment exprimé son travail et a été fort applaudi quand il a déclaré que le théâtre devait aller au Peuple. (Oui, ai-je pensé, à condition qu’il parle au peuple, comme le Campesino le fait, de choses qui LE concernent). Joan Littlewood (Bon Dieu qu’elle est laide) a baragouiné pour ne rien dire pendant 10 minutes et la parole n’a pas été donnée au Public.

COMMENTAIRE

Je hais les colloques. On n’y dit jamais rien d’important. Ou plutôt chaque fois qu’au milieu d’un débat il y a quelqu’un qui pose une vraie question politique, il y a toujours un noyeur de poissons pour faire dériver les dialogues vers des directions abscondes.

 04.09 – 17h – je veux voir le POZDRAVI de Zagreb, mais ils ont annulé la représentation. Soi-disant qu’un acteur est malade. Moi je crois que c’est faute de public, et il est certain qu’à ce mini festival de septembre, qui joue à en être un presque grand mais qui est évidemment pauvre en « matière », la fréquentation est loin d’être ce qu’elle est d’habitude. J’estime qu’il y a entre 800 et 1200 personnes en tout qui se trimballent aux spectacles pendant ce week-end, ce qui veut dire qu’il est impossible de remplir 3 ou 4 lieux par plage horaire. Hier soir, il y avait du monde au Teatro Libero mais il n’y avait que ça à 20 h 30.
Au Campesino à 17h, 1/3 de salle. Au RIDICULOUS (paraît-il fort mauvais), une centaine de spectateurs clairsemaient le Théâtre Municipal. Tout à l’heure, le débat « groupait » dans les 400 personnes. On ne se bat nulle part pour entrer et l’on est facilement assis partout. Aucun directeur de festival ou d’organisme d’accueil potentiel n’est là. La profession est représentée par Ten Cate , Maria Rankow et moi en tant que marchands, ceux que j’ai cités comme participant au « débat » comme personnalités + Avron et Evrard ; Sandier et Colette Godard comme journalistes. Soyons juste : j’allais oublier Crombecque ! Je n’ai pas aperçu une seule fois la silhouette de Jack Lang.

04.09 – 20 h 30 – Dario Fo fait le plein à la Salle Poirel en ce samedi soir. Il faut dire que ce diable d’homme le mérite car son cour sur la Commedia dell’arte en 1ère partie, sur le Mistero Buffo en 2e, est magistral, surtout quand il l’illustre d’exemples. Oui, il fait du vrai théâtre comique populaire quand il joue en « grommelot » un avocat anglais qui fait condamner une fille coupable d’avoir incité un jeune homme à la violer, ou quand il montre Scapino enseignant à un élève français du XVIIe l’art de se conduire dans le beau monde ; ou lorsqu’il incarne la célèbre scène d’Arlequin se gorgeant de nourritures au point d’être malade, après l’avoir replacé dans le contexte d’une Venise où l’on jetait chaque jour dans les canaux 100 cadavres d’hommes morts de faim, tandis qu’on dénombrait 11.000 putains sur une population de 100.000 habitants. Seul en scène avec son micro-cravate, il tient son millier de spectateurs, ou plutôt le conquiert,  car ça démarrait mal, avec des trublions de province à la con qui se croyaient à une scolaire. C’est incontestablement une personnalité non usurpée.
Ce soir, Lang s’était dérangé. Melle Perrault est venue passer le week-end. Frédéric Mignon aussi. Jacques Blanc a fait un saut de Strasbourg. J’apprends comme ça que le T.N.S. a 300.000 F. de trou ! Dans la tribune d’honneur, il y a Guy Bedos, Barrault, Sandier et (sans doute) quelques politiciens locaux.

COMMENTAIRE

Donc, Dario Fo est une vedette. Eh bien tant mieux !

04.09 – Au MABOU MINES, je vois se pointer Matthieu Galey et Raymonde Chavagnac, ainsi que Lang qui est décidément de sortie ce soir. Nous sommes 80 dans une salle de l’Hôtel de Lillebonne, mais ça veut dire que c’est bourré. Ce groupe américain lié à l’équipe de Bob Wilson et qui joue là, si j’ai bien compris, sur le chemin de Belgrade, nous propose une pièce radiophonique de Beckett : CASCANDO. On ne peut qu’être séduit par le rigoureux professionnalisme de la représentation. Tant de minutie, de soin dans le détail, d’exactitude forcent le respect. Cela dit, je n’ai pas compris grand-chose à l’œuvre, si ce n’est que, hyperréaliste en toile de fond, elle débouche sur l’onirisme à plusieurs reprises. Apparemment, c’est une famille. 5 hommes, 1 femme. Ils bricolent. Trop de cartes ; le jeu se révèle consister à édifier des châteaux de cartes. Jeu qui suspend le souffle de tous les participants et assistants. Puis la femme lévite tandis que les autres font tourner la table.
C’est remarquablement réglé. J’aurais aimé percevoir le contenu. Maria Rankow a pris sous son aile le chef du groupe.

Pour la compréhension, Maria Rankow est une anciene secrétaire du BITEF de Belgrade qui est venue s’installer en France et a monté une entreprise de tournées qui se veut concurrente de la mienne.

05.09 - 00 h 30 – Tout le monde se retrouve à l’Excelsior, transformé en brasserie du Festival. Lang est là, traitant ses hôtes de marque au veau jardinière. Lew Bogdan, qui s’est trimballé toute la journée de spectacle en spectacle serrant des tas de mains, n’est pas là. Koko non plus. Finalement, à condition de suivre le Festival d’événement en événement, on s’aperçoit qu’il existe. Mais éloignez-vous de 50 mètres d’un lieu d’expression, et la province lorraine se referme sur vous comme un piège. J’ai été pessimiste dans mes estimations. Ce soir, le festival fait le plein et peut revendiquer un certain succès. Il faudrait voir ce que donnera demain UBU dans la rue, MAIS je ne serai pas là pour le voir !

RETOUR À PARIS

09.09.76 – C’est la rentrée parisienne et elle commence bien à Essaïon avec le GRUPO TSE qui présente NOTES, avec Facundo Bo et Marilu Marini.
Comme toujours avec le TSE, on remarque avant tout la rigueur du « fonctionnement ». Mais, ce qui était froideur impitoyable dans 24 heures, impitoyable répétition d’effets identiques dans COMÉDIE POLICIÈRE, est ici rehaussé de chaleur et évolutif. Commencé plat et réaliste, le « Jeu » théâtral entre la Princesse Amanda et Henry, (signifié comme résultant du travail de 2 comédiens d’abord montrés comme tels, errant ennuyés à travers les rues de Londres au gré d’un petit film rétro qui introduit le spectacle) débouche très vite sur l’onirique, et prend une « dimension » mi-sérieuse mi-dérisoire, teintée d’humour, qui vous investit dans un CHARME assez indéfinissable mais certain. Cette réflexion sur le théâtre, faite de notes délicates et référenciées, ponctuée par 2 personnages qui semblent sortir d’une œuvre « historique » des années 20, est pourtant complètement hors de toute actualité. Mais justement, l’évasion est si complète, le dépaysement si total que ça en devient satisfaisant. Et puis cela suinte l’intelligence : une fois de plus on a envie de parler de dissection, de cruauté lucide, d’étude clinique, mais l’œil est devenu pince-sans-rire et l’impassibilité s‘est fait flegme. Alfredo Rodriguez Arias a acquis des globules rouges dans un sang qui, jusque-là, n’était pas assez sain. Attendons avec impatience VIERGE qui sort dans 12 jours.

15.09 – Je présume qu’en écrivant sa SERVANTE, Victor Haïm a dû très profondément ressentir le poids de sa transposition et qu’en la montant, André Thorent a dû s’éprouver très intelligent, peut-être même continuant un certain combat contre tous ceux qui, dans ce monde, pratiquent la torture et, « annexement », des expériences au détriment du corps humain des « victimes » éternelles. Mais pourquoi avoir choisi le temps et le ton « marivaudier » du 18e siècle pour dénoncer un type de criminel à bonne conscience, qui sévit effectivement de nos jours (encore que l’exemple du médecin opérant sur cobayes humains de Haïm, ne soit un peu trop référencié à un certain boucher de Dachau qui n’existe plus aujourd’hui avec le même premier degré) ? Cet éloignement » dans le badin, le primesautier, l’étrange, ce refuge dans un comique que n’atteignent pas les interprètes, sont pure timidité : Haïm est plus juif que nature. Il est incapable d’aborder sa dénonciation de front. Alors il biaise, tourne autour, a l’air de jouer avec et finalement édulcore son propos. Ajoutons que sa « forme » est terriblement banale, classique, boulevardière. François Maistre excellent puisqu’il joue une ordure, un « porc » (c’est dans le texte-) mène un jeu vieux à la tête d’une distribution bonne, mais qui fait vieille. Cette entreprise est vaine.

Publié dans histoire-du-theatre

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