12 novembre 1971 au 15 janvier 1972

Publié le par André Gintzburger

Carnet n°3

Quoiqu’exilé en Italie pour cause de faillite en France, Patrice Chéreau n’oubliait pourtant pas sa mère patrie.

12-XI -    Je confesse m’être emmerdé comme un rat mort à la représentation en italien de LA FAUSSE SUIVANTE de marivaux que présentait Chéreau à Nanterre dans le cadre du Théâtre des Nations pour un prix, selon Pierre Laville, exhorbitant. C’est une pièce de texte qui ne permettait pas à Chéreau de nous montrer un grand échantillon de ses talents picturaux. Le décor est celui des soldats. Une rampe aux néons éclaire le mur du fond et les acteurs jouent à contre jour, à peine soutenus entre eux et nous par des projecteurs plats. La mysogynie du réalisateur et celle du décorateur Jacques Schmidt se conjuguent pour rendre ignoble le personnage de la Comtesse. Marivaux est naturellement dégagé de toute légèreté et on assiste à un lourd drame larmoyant, souligné par le jeu très expressionniste et plein de ficelles des acteurs italiens. On me dit que ce spectacle a été la révélation du Festival de Spolète . Mais je le tiens pour un petit Chéreau. Il semblerait que notre génie l’ait monté sur son acquis, ses recettes. La langue étrangère est cruelle, qui avive l’oeil du voyeur en l’empêchant d’être aliéné par l’anecdote.

13-XI - “Tu ne fais pas ton métier, Gintz”, me disait-on de toutes parts, “si tu ne vas pas voir REAL REEL” de Frédéric Bral, par le THÉÂTRE LABORATOIRE VICINAL de Bruxelles. Me voici donc à 21h rue Cabanis, face à l’hôpital Ste Anne, dans une salle rectangulaire, assis sur une chaise. Deux hommes succinctement vêtus attendent le public dans une pose grotowskienne. Puis ils se mettent à gesticuler, à prononcer des phrases hors de toute intelligibilité et sans diction. Ils jouent avec des bâtons et s’en servent à des fins sexuellement signifiantes. Ca n’a ni queue ni tête, mais en lisant le programme, je vois que c’est exprès. Ca finit ex abrupto après plusieurs “ruptures”, à une heure très raisonnable.
    C’est donc un spectacle inspiré par l’école du maître de Wroclaw Il se distingue pourtant des autres - et ça, c’est BIEN - en ce qu’il n’est pas sérieux et ne se prend pas tel. On se marre quelquefois. Bref, la technique est mise au service d’un jeu gratuit, quasi canularesque. Point de message ni de mystique.
    Ce n’est quand même pas si important: un bon exercice. Mais le Public -relations de la troupe connaît bien son métier.

14-XI - J’ai vu LA BANDE À BONNOT au T.O.P. mêlé au public clairsemé du Samedi soir à Boulogne. Je ne sais pas pourquoi, -c’est en fait hors du sujet-, je me suis mis tout à coup pendant la représentation à méditer que si jamais la révolution ne sortait d’un théâtre, c’était parce que les gens de théâtre faisait bonne garde pour que RIEN au théâtre ne soit JAMAIS réellement révolutionnaire. En somme, j’ai pensé qu’ils agissaient comme des ramolisseurs et des édulcoreurs d’élans. Vielhescaze a ramené LA BANDE À BONNOT aux dimensions d’une bande dessinée. “Objectif” il a tenu, avec la complicité de Henry François Roy qui a pondu le texte, à souligner l’ambiguïté de Bonnot.
    Le personnage sort douteux et par conséquent la lutte que mène la société contre lui  sous la houlette du Préfet Lépine, n’apparaît pas injustifiée. Vielheseaze la veut ridicule. Mais il ne la condamne pas En fait, sa démonstration est plutôt anti-anarchie. La dépolitisation des anars veut éclater dans cette réalisation comme preuve pour les prolétaires du coin que cette voie ne peut-être ni valable (par l’isolement dans lequel s’enferment les terroristes), ni pure (par le fait que des éléments “douteux” ne peuvent pas ne pas s’infiltrer dans ces aventures brûlées), ni utile (puisque vouée à l’échec). J’évoquais en contemplant ce spectacle sans épaisseur, l’impact de Bonny and Clyde où le public était touché par le DÉSESPOIR des motivations. Ici, on m’a montré des fantoches, des pantins, des marionnettes, et cela m’a irrité car, - entendons- nous bien: je ne suis pas du tout anar et je ne crois absolument pas à cette voie - l’anarchisme est incontestablement une conséquence de la RAGE qu’éprouvent certains hommes ressentant leur IMPUISSANCE face à l’OPPRESSION de la SOCIÉTÉ; il est romantique et GÉNÉREUX, aberration estimable. Je reproche donc à Vielhescaze de l’avoir traité à la légère, désinvoltement, de l’avoir désamorcé. Et cela explique la réflexion que je signalais au début de ces lignes.
    Une fois dépassée l’irritation que m’a provoqué ce parti de minimiser l’ANARCHIE et acceptée l’idée qu’une fois encore les spectateurs périphériques n’étaient pas conviés à autre chose qu’ à un anodin divertissement, une fois effacée la sensation que cette démarche était dégueulasse, et rengainée mon ironie au souvenir des “inquiétudes” qu’exprimait Vielhescaze il y a quelques semaines quand il se demandait si son “audace” ne lui vaudrait pas des ennuis! (sic), je dois dire que le but du spectacle, faire rire aux dépends des anars comme des bourgeois, n’a pas été atteint. À part ma voisine et moi, et un monsieur au rang derrière qui fumait pendant la séance pour signifier sans doute sa qualité de contestataire, personne ne se fendait la gueule dans la salle et c’est avec un sérieux imperturbable comme sans réaction, que le public du TOP regardait le spectacle. Bien joué, bien réglé avec mouvement et rythme, quoiqu’avec une certaine lourdeur, l’espèce de western montré en toute surface,ne frappait pas non plus d’effroi. Le vent de l’indifférence soufflait sur la morne rue de la Belle Feuille. “Un beau travail de Vielhescaze”, m’avait-on dit. OUI. Ca en avait l’air, MAIS DE TELLES ENTREPRISES n’en sont pas moins des crimes contre le théâtre à l’heure où d’autres moyens d’expression frappent tellement plus loin et plus fort.

Commentaire a posteriori :

Dans les années 50 il y avait à côté du théâtre des Noctambules un petit et incommode théâtre frère qui s’appelait le théâtre du Quartier Latin et qui était ditigé par Michel de Ré. Il avait monté LA BANDE A BONNOT comme on le faisait à l’époque, sans chercher la signifiance au delà du contenu du texte. C’est peut être parce que j’étais plus jeune, mais il me semble me souvenir que l’impact était beaucoup plus fort. Il est vrai qu’on était dans un lieu de 80 places et dans un arrondissement de Paris que ne fréquentaient pas les banlieusards et qui se consacrait très ciblé au contexte anarchique. Juste avant ou juste après, il y a eu LES MARIÉS DE LA TOUR EIFFEL.

LE SIGMA de BORDEAUX

Je crois que j’ai le devoir avec quarante ans et plus de recul, de rendre un hommage appuyé à son initiateur et fondateur Roger Lafosse. Je n’ai jamais su quelle était sa mouvance politique, mais il avait le sens du “politique”et son festival, a été longtemps à la pointe de l’audace. Disons que son action se situait en la dépassant dans la mouvance de Chaban-Delmas, Maire de la ville qui rêvait d’une “nouvelle société”au point d’en avoir fait son slogan.
De quelle utopie, voire imposture, rêvait ce personnage de droite, va savoir, mais le certain est que Roger Lafosse, d’abord aux entrepôts Laînés, lieu informel du genre des halles de Paris, puis bientôt dans des hangars sur les berges de la Gironde, l’avait pris au mot en proposant à un public jeune avide de “changement”des événements qui furent longtemps en pointe de toutes les contestations. Le SIGMA, ce n’était pas Nancy, c’était autre chose, et d’abord parce que c’était orienté en priorité vers la créativité française, mais cela a  pour beaucoup aussiété un espace de reconnaissance et un tremplin. Je n’y ai fait cette année là qu’un bref séjour. Il fallait un Lafosse pour payer le cachet prévu pour pour la création qui fait l’objet de mon commentaire ci-dessous:

15-XI -    Je parlerai en janvier 72 du nouveau spectacle du GRAND MAGIC CIRCUS créé à Bordeaux au SIGMA: “LES DERNIERS JOURS DE SOLITUDES DE ROBINSON CRUSOË”. Ce n’était pas prêt et je présume que notamment sur les plans rythme et contenu, cela ira bien plus loin dans  deux mois. Disons seulement que cet opéra “romantique” où Robinson est incarné principalement par un chanteurd’opéra  qui sort de l’océan tout nu (eh oui, pour une fois c’est justifié!)et ensuite tue le temps en chantant du Gabriel Fauré,en compagnie d’un “Vendredi” qui lui sert la soupe, demande à être analysé politiquement.   Mais ici le “jeu” ne débouche que sur des scènes jouées, dansées ou chantées. On ne voit pas le dessein
    Disons  pourtant  mon admiration pour cette troupe, qui montrant un spectacle pas au point du tout, jalonné de gags involontaires et de changements interminables, sait récupérer les pépins et les errements à son profits grâce à son ART de l’IMPROVISATION. Grâce aussi au fait qu’elle n’a peur de RIEN, assume TOUT. Jusqu’à un certain point, le GRAND CIRCUS, c’est une école. en tout cas, il est exemplaire.

16-XI -    Je n’avais pas revu l’ORBE depuis l’ORATORIO CONCENTRATIONNAIRE, et les soubresauts qui avaient agité la troupe avec le départ de Numa Sadoul  m’avaient rendu méfiant. Aussi, en ai-je pris plein la gueule les voyant à l’Alhambra de Bordeaux dans le cadre du SIGMA, “L’AUTRE LA 2”, mise en scène de Irène Lambelet et Jean-Phillipe Guerlais.
    Cela n’a plus rien à voir avec l’ORATORIO. Ni d’ailleurs avec grand chose quoique cela fasse songer par instants à l’ OPÉRATION de Gélas. C’est à grand renfort de musique Pop, un CRI de la jeunesse CONTRE la guerre, CONTRE la société et ses hypocrisies. Une seule personne HURLE ce texte tandis que le spectacle est avant tout gestuel et déambulation d’une foule de cour des miracles jeune. l’important est que c’est SUBMERGEANT, que cela entraîne les spectateurs et que c’est FAIT jusqu’au bout donnant une certaine impression de PUISSANCE.
    Le CRI n’est guère référencié politiquement. Il est clameur sans plus. AInsi, une certaine ambiguïté m’a-t-elle gêné car aussi bien que gauchiste, cette vocifération pourrait être fasciste.
    Cela dit, de toute manière, c’est un spectacle qui remue. Il ne laisse pas indifférent. Il est donc efficace et utile. Il s’achève très joliment par les comédiens formant avec les spectateurs des petits groupes de discussion.

Qui se souvient de l’ORBE, d’Irène Lambelet et de Jean Philippe Guerlais ? Ce sont eux cependant qui ont les premiers inventé le théâtre de rue vertical: c’était sur la façade de la Maison de la Culture de Bourges, dont le directeur Gabriel Monnet disait : “j’aurai gagné mon pari de décentralisateur culturel le jour où on surprendra un jeune couple berruchon en train de baiser dans un couloir”  (c’était avant Mai 68).
Depuis le toit, plusieurs hommes et femmes faisaient une désescalade dont je me souviens seulement qu’elle était périlleuse, très spectaculaire et singulièrement efficace car, bien sûr, elle attirait vers le lieu infranchissable dans beaucoup de têtes  de la CULTURE une population locale étonnée.
Dans les compte-rendus qui vont suivre vont apparaître des noms de gens qui y ont cru, en qui on a cru, et qui sont oubliés

Et hélas, le CRI est 50 ans après, encore plus d’actualité.
 
PARIS ENCORE

Quand je dis “Paris”, évidemment cela veut dire région parisienne. Il est certain que j’étais plus souvent en banlieue que dans la capitale”. Parce que c’est dans cette périphérie que subsistait un ferment de théâtre comme je le cherchais, loin des vaudevilles du boulevard et même de certaines productions privées de qualité dont les discours ne m’atteignaient guère. Parce que je croyais au rôle social du théâtre. Je n’allais pas tarder à déchanter. Naturellement, il y avait des exceptions, comme celle ci (mais Chaillot était il bien en ce temps là un théâtre parisien?):
 
17-XI -    Jean-Pierre Vincent ne s’embarrasse pas de préoccupations sur les rapports scène-salle ni sur la création collective. Metteur en scène tel son ex complice Chéreau, il monte des grands textes. En l’occurrence, ici au TNP Gémier, la pièce de Rezvani CAPITAINE SCHELL CAPITAINE ESSO. Sur un navire à la dérive, que ses “enfants” ont abandonné et dans les cales duquel la révolte gronde, d’abord contenue puis triomphante, un monde à la frontière de la mort agonise, figé et sinistre, fait de transpositions non déguisées de Niarkos, Onassis, La Callas, Jacqueline Kennedy etc... : Rois du pétrole s’épiant les uns les autres mais UNIS face au reste du monde, jouisseurs, fatigués, désabusés, indifférents et leurs serviteurs, flics experts en tortures diverses, majordomes et masseurs, tous sans scrupules et d’ailleurs ils n’ont pas le choix, cruels, s’ennuyants terriblement, mortellement. La première partie est un peu longuette. Rien n’est plus difficile évidemment, que de rendre vivant un univers mort. Mais la deuxième partie soutenue par l’”anecdote” de l’assassinat de sa femme par Niarkos, puis de l’”enquête” postérieure, est admirable et prenante. Le tableau final où tous ces puissants sont pendus et échangent des propos dans la mort est d’une très grande beauté.
    Le spectacle est du grand Vincent. Dégagé du souci de se faire valoir en tant que lui-même, il sert en l’espèce avec fidélité et art un texte essentiellement subversif, fortement dénonciateur et exceptionnel de forme, puisqu’à la destruction d’une classe il surajoute celle d’un langage. Le rire fuse de certains gosiers dans la salle, mais pas de tous. C’est une représentation “conventionnelle”, mais qui prouve que quand on a quelque chose à crier, la manière dont on le fait importe peu pourvu qu’elle soit talentueuse. J’ai assisté à une grande soirée UTILE.

19-XI -    Dans la catégorie des soirées vraiment pas exaltantes, TIMON D’ATHÈNES de Shakespeare par L’ENSEMBLE THEATRAL DE GENNEVILLIERS est à marquer d’une pierre grise. Dispositif brechtien autant dégagé de la couleur que possible, jeu distancié sans morceaux de bravoure ni éclats, 3h15 de spectacle, les laborieuses populations de la ceinture rouge de Paris n’ont pas à se plaindre. Elles sont servies copieusement et dogmatiquement à souhait. Il n’en est que plus étonnant de voir à quel point elles fréquentent peu la salle des Grésillons. Ce vendredi soir, nous étions une cinquantaine en tout dans le local pourtant transformé très positivement pour une meilleure accoustique et une communication plus présente. Je ne voudrais pas avoir l’air de mettre en avant mes dadas, mais Shakespeare ne serait-il pas pour quelque chose dans cette fuite? TIMON est un riche noble insouciant qui traite si fastueusement ses amis qu’il s’en trouve ruiné et même couvert de dettes. Les “amis” se détachent alors de lui et il fait connaissance avec l’ingratitude. Seuls lui restent fidèles ses serviteurs et surtout son dévoué intendant. Il découvre un trésor, ce qui lui permet de se venger un peu. Mais écoeuré par les hommes, il se fait quelque chose comme ermite. Naturellement, on peut tirer de cette histoire des enseignements: que l’or corrompt tout, que la bourgeoisie a joué à une certaine époque un rôle “révolutionnaire”, que tout ci  et tout ça je ne vois à dire vrai pas bien quoi, qu’en tout cas les riches sont des écervelés ou des salauds. Reste que la “truculence” est réservée au “bas peuple” ignare et grossier, et que cette histoire n’est pas parvenue à m’atteindre car j’en suis demeuré complètement éloigné. J’ai souvent songé à VOLPONE, sauf que je n’ai pas rigolé une seule fois. Je dois dire que si la mise en scène est exacte et rigoureuse, j’ai par contre été frappé par l’insuffisance de certains acteurs. Quant à la traduction dûe à un travail collectif de l’ENSEMBLE THEATRAL DE GENNEVILLIERS, elle est tout simplement inaudible, rocailleuse, impossible à mettre en bouche, épouvantable. Phrases interminables et “imagées”, la colère m’a plusieurs fois soulevé de mon fauteuil!

20-XI - Nicolas Bataille a acquis le PIGALL’S. Il a très joliment arrangé ce cabaret en petit théâtre tout rouge et roccoco. HANAFUDA qu’il y présente est malheureusement une pièce tout à fait incompréhensible à la sensibilité occidentale. Il y est question de rapports entre les vivants et les morts qui nous sont trop étrangers. Rougerie joue un croque mort, Catherine Hubeau très enlaidie, une jeune fille partagée entre l’amour d’un voleur vivant et d’un rêveur mort. Richard Leduc incarne ce dernier. Je cite ces noms pour bien indiquer que la distribution (nombreuse) a été choisie à un haut niveau. Hélas la mise en scène semble inexistante. C’est une japonaiserie qui ne nous apprend et ne nous apporte rien. Ca se situe dans le facile. J’ai été très déçu.

 CARRIÈRES – ITINÉRAIRES - PARCOURS 

Aviez vous entendu parler de Claude Cyriaque dont j’ai déjà parlé et qui semblait tel le Sphinx renaître constamment de ses cendres? Méritait il cette indifférence, puis cet oubli?

25XI -    J’ai fini par découvrir à force d’obstination que LES CUISINES DU CHÂTEAU de Claude Cyriaque se jouait au Théâtre 71 de Malakoff. J’ai assisté mêlé à une trentaine de personnes, à une des plus belles performances d’actrices que j’ai jamais vues: celle de Maria Casarès, qui est tout simplement sublime... et d’une irrésistible drôlerie dans certains morceaux de bravoure. Étrange et belle pièce qui semble un peu déracinée dans ce cadre banlieusard, LES CUISINES DU CHÂTEAU montre un univers très chaotique qui est fait de quelques réminiscences (LE ROI SE MEURT - Beckett- Le Fuentès) et de beaucoup de personnalité. Cyriaque a son style, où l’horrible glisse sous la plaisanterie absurde. Nous ne nageons pas dans le surréallisme mais dans un réel accentué et rendu DÉRISOIRE. Le roi et la reine gouvernent avec autorité un monde en fin de course constitué de dindons tous condamnés à mort puique l’industrie de l’Etat est la plume ,et de bébés industriellement conçus qui vagissent et qu’on baillonne pour les faire taire, un monde où le concentrationnaire” est poussé à fond et comme transcendé.
    L’oeuvre est donc intimement politique et on pourrait dire qu’elle traite du grand vent glacé du fascisme. MAIS surtout, c’est le portrait d’un monde clos où les gestes humains ont perdu leur logique et quasi leurs sens. D’où le dérisoire. J’y reviendrais à tête plus reposée.
    Le spectacle est pauvrement mais TRÈS bien monté avec des plumes qui voltigent et des costumes devenus loques qui expriment très bien l’univers décrit. La mise en scène est inventive et (presque trop) rigoureuse. Bref, il faut aider, ce spectacle qui est un des meilleurs de l’année à sortir de la confidence.

Par contre la “résistible” ascension d’Antoine Vitez figure dans toutes les anthologies.

1-XII -    A la salle des fêtes de Nanterre, Antoine Vitez poursuit son expérience de contact avec le public des quartiers en présentant ÉLECTRE de Sophocle agrémenté de textes de Ritsos, dits en grec par une belle voix chaude enregistrée au début, à la fin et aux points de rupture, récités en français par les acteurs à des moments de la représentation par une sorte de glissement d’un univers sur l’autre. Il paraît que par perfidie, Pierre Laville m’avait mal placé parce que d’où j’étais, j’avais une vision globale du spectacle alors que Vitez l’a monté (je cite) pour que chaque spectateur n’en ait qu’une vision fragmentaire. Le public n’était pas très prolétaire. Il était composé principalement d’étudiants. Selon Vitez, il était beaucoup trop nombreux. Nous étions environ 200 dans la salle! Monique Bertin m’avait dit son enthousiasme. Sont-ce les mauvaises conditions qui m’ont été imparties ou ma mauvaise humeur chronique de ces temps-ci? Je n’ai pas partagé ce bonheur.
    Et d’abord parce que la démarche m’a semblé inutile. Jouer cette version compliquée pour atteindre des gens censés n’aller jamais au théâtre n’a de sens que pour l’esthète qui se complaît dans l’illusion de faire un travail populaire, alors que son oeuvre ne peut que passer par dessus la tête d’un égaré qui aurait cru qu’on avait pensé à lui en le conviant. De toute manière, au mieux, cet innocent n’aurait été convoqué que pour voir du BEAU hors de tout contenu concernant pour lui.
    L’action de Vitez rejoint donc celle des animateurs à la solde du gouvernement pour qui la culture doit endormir le peuple plutôt que l’éveiller. Nous sommes loin de F.F.K.! D’autre part, je dois confesser que tout m’a semblé gratuit dans le spectacle à commencer par le mélange Sophocle / Ritsos. Tout le monde a l’air de trouver ce salmigondi sublime, mais moi, je trouve qu’il n’aide pas à l’intelligence des textes de l’un et l’autre auteur et que la juxtaposition joue en négatif. Rien ne me semble la justifier qu’un itinéraire obscur dans l’âme du réalisateur. Le moins qu’on puisse dire est que ses motivations sont ésotériques.
    Gratuit aussi le parti du jeu inspiré aux acteurs par le metteur en scène. Entre des phrases dites sur un ton apparamment réaliste, ils se mettent soudain à vociférer un mot ou un membre de proposition, voire une période et toujours sur un ton qui dépasse les intentions. C’est un style certes, mais je n’y entre pas. Je ne comprends pas à quelle necessité, il correspond. Le maquillage verdâtre grisâtre infligé aux acteurs et actrices m’a d’autre part été pénible à supporter. Voilà. Il m’a semblé assister à une manifestation snob et ce qui m’a le plus irrité était sa destination, soit disant vocation populaire. Il m’apparaît que Vitez se fout du peuple comme de l’an quarante. Je n’aime pas la malhonnêteté.
    Cela dit, qu’il soit clair que ces réserves jouent sur un spectacle de haute tenue, parfaitement réglé et conçu, joué avec rigueur. Bien sûr, c’est de la qualité.

2-XII -    Assisté à Nanterre, aux Amandiers, à un spectacle tchèque ( le théâtre de Gilina) mélangeant marionnettes et expressions corporelle. C’est très court, assez joli et astucieux, avec des bonnes idées qui ne vont pas très loin.

3-XII -    Vu à la GAITÉ MONTPARNASSE le PRÉCEPTEUR de Lenz / Brecht monté par Mehring. On a envie d’appeler cela “Le joyeux précepteur”, tant tout est tiré à la caricature, voire à la farce. J’ai bien rigolé.

UN GRAND SOUVENIR

4-XII -    L’HOMOSEXUEL ou LA DIFFICULTÉ DE S’EXPRIMER est, me semble-t-il, le premier évènement réel de la saison. L’analyse est assez difficile à faire car la pièce de Copi aborde les problème du monde par un biais qui m’est exotique. Comme vous le savez, l’homosexualité m’est assez étrangère. Reste que je vous dis: “Courez à la Resserre, et d’abord  pour voir Raymond Jourdan et Copi  lui-même qui s’y livrent à une extraordinaire performance d’acteurs d’une irrésistible drôlerie. Je dis “d’acteurs”, je devrais dire “d’actrices” car ils incarnent deux étonnantes bonnes femmes, l’une mère et l’autre professeur de piano d’une jeune fille russe fort dépravée.
    Ensuite, parce que c’est une oeuvre complètement subversive et destructrice. Les remises en cause passent par le sexe, dont l’ambiguïté est constamment mise en évidence.
    L’univers de ces Russes passe par le Maroc où l’on change de sexe comme d’autres se font avorter en Suisse, et par la Chine, Eldorado espéré  lointain. Il est scatologique; la jeune fille fait sous elle. Elle rejette en bloc le monde, renfermée et de total REFUS. Elle a des “accidents”, se casse une jambe, se coupe la langue avec ses dents. Elle est rebelle au sens le plus profond du mot.
    En même temps, le monde décrit est désuet. On nage dans une sorte de bourgeoisie complètement décadente où les convenances ne sont plus que des caricatures. Tout bascule, tout s’effondre. On songe au Genêt des BONNES mais en vérité Copi plonge plus loin dans la négation des valeurs. C’est une FIN DE PARTIE totale. On le voit, j’emploie les mots “complètement”, “total”, “profond”. C’est qu’ici, TOUT VA JUSQU’AU BOUT. et c’est bien sûr, ce qui fait l’exceptionnelle qualité de ce CRI intimement personnel, littérallement projeté sur l’universel parce qu’au fond  il s’attache à l’essence-même de notre civilisation.
    Cela dit, n’allez pas croire à un spectacle sinistre. On rit constamment, et sans  arrière goût. On en a pas honte. On nous montre un effondrement complet, mais c’est à hurler de rire.
    Je crois que Lavelli a fait un admirable travail sur les acteurs. Lui aussi sait aller au bout des choses et de lui-même. La non médiocrité passe par la TOTALITÉ. Il y avait peu de monde à cette première peu annoncée. Mais dans l’audience, il y avait Victor Garcia, Alain Crombecque, Claude Régy, Arrabal et moi-même. Ce sont des signes qui ne trompent pas.

Quarante ans plus tard, le théâtre de la Cité Internationale dirigé par une personne que j’avais estimée auparavent, Nicole Gautier, a offert son lieu à une compagnie dont je préfère avoir oublié le nom, qui a sans vergogne annoncé un spectacle  appelé : “L’HOMOSEXUEL OU LA DIFFICULTÉ DE S’EXPRIMER.  Or il s’agissait d’une bluette chantonnée par des filles très (trop) convenables qui, à l’évidence, étaient passées à côté du message de Copi, ou plutôt, pire, l’avaient détourné au profit d’on ne sait quelle aberration esthétique de bon goût. Le scandale venait surtout de ce que la publicité  n’annonçait en rien qu’il s’agissait d’un divertissement de jeunes femmes autour d’un vague canevas. Des jeunes qui n’avaient jamais connu rien de Copi mais qui en avaient ouï causer, sont venus pour le découvrir.J’ai dit ,à Nicole Gautier ma colère devant cette trahison, que dis-je, cet enterrement.
Et je l’ai désormais classée parmi les fossoyeurs d’une certaine idée  du respect que l’on doit à certains créateurs. Je sais bien que Shakespeare, Molière, bien d’autres Tchekhov,sont accommodés à des sauces souvent bizarres par des “jeunes” en quête d’une imagination qu’ils n’ont pas sans marchepied.  Mais ces classiques là n’ont rien à perdre. Copi oui.

SURVOL DE QUELQUES SPECTACLES OUBLIÉS

 7-XII -    Dominique Houdart présentait cet après-midi son ARLEQUIN POLI PAR L’AMOUR, devant quelques personnalités professionnelles. Naturellement, tout le monde a fait la fine bouche. Or le parti adopté, des grandes marionettes grotesques maniées à la manière du Bunraku, tandis que le texte est dit par deux personnes, méritait l’intérêt, pour le moins. D’autant que ce parti est tenu jusqu’au bout, avec une grande rigueur et un incontestable professionnalisme.
    Marivaux sort de cette épreuve de lenteur décortiqué à zéro. La féérie est améliorée par l’apport des marionnettes qui sont belles et hideuses à la fois et échappent aux dimensions de la pesanteur et aux contingences des costumes de scène. La performance de l’acteur et de l’actrice qui lisent tous les personnages est évidente. C’est pourtant le point contestable du spectacle. Quelqu’un parlait de pléonasme entre cette lecture toujours “composée” et l’utilisation des poupées. C’est assez juste. Houdart tombe un peu dans le piège où il s’était enfermé pour ANDROMAQUE en ce sens que quelques idées excellentes ne font pas une soirée. Pendant dix minutes, on est admiratif devant l’intérêt de la démarche et de la réussite de son esthétisme. Seulement, cela ne se renouvelle pas. Et  je ne vois pas au surplus comment cela aurait pu se renouveler. Houdart dit que son spectacle est très efficace sur le public normal. Peut-être. Je ne sais pas.

10-XII -Pour un soir, un seul soir, le PALACE a trouvé son sens. Le Folidrome, issu du “Théâtre d’Expression de la Résidence Universitaire d’Antony”, y présentait POURQUOI LES CLOWNS. Il y avait dans la salle 500 jeunes trouvant justifié de s’asseoir par terre, mais qui fument tout naturellement dans cette position pour le plus grand dam de la moquette de Mme Weber. Le spectacle est proche de celui de l’ORBE de son contenu qui est une protestation de la jeunesse envers le monde dans lequel on la fait vivre. Cri de rage et d’espoir qui ne manque ni de drôlerie par moments sous forme d’humour noir ou agressif, ni d’esthétisme. Il y a des tableaux réellement très beaux. Mais c’est surtout essentiellement du théâtre combat. “A la limite, le théâtre, on s’en fout”, disait à la fin un animateur du groupe. Et cette attitude indique que c’est l’efficacité de l’action qui est recherchée. L’”Art” est à son service. Et c’est très bien. Cette troupe est à suivre avec attention. Elle est certainement une des meilleure du genre. Marie-José Weber a brillé par sa connerie durant cette soirée, faisant descendre le rideau de fer juste à la fin, éteindre les lumières pour que les gens, qui causaient paisiblement, évacuent la salle. Je crois qu’elle avait  détesté le spectacle! Pauvre Marie-Jo qui a construit un théâtre pour CE TYPE-LÀ de manifestations et n’en fera plus jamais sans doute.

14-XII -    Lucernaire, 20h30

    FEMME + FEMME = FEMME d’André Halimi, réalisation de Voutsinas, joué de façon piquante et légère par Isabelle Ehni et Gaby Sylvia brille par sa remarquable nullité, son indigence et son inintérêt.

    Par contre à 22h, POLICE de Mrozeck mis en scène par Le Guillocher est une manière de petit chef-d’oeuvre. Il s’agit d’une fable paradoxale, puisque elle suppose (l’auteur est polonais, ne l’oublions pas) un pays où le peuple entier serait si intimement d’accord avec la POUVOIR que toute police y serait devenu inutile. Depuis dix ans, le chef de police garde jalousement lui-même son dernier “politique”. La pièce commence quand celui-ci vient faire son autocritique et son repentir. Ainsi, la police n’aura-t-elle plus la tâche! Elle tâte de la provocation, mais le provocateur se fait quasi lyncher! Bref, vous voyez. Cela dit, après un premier acte brillant, la pièce s’étire un peu. Mais c’est sain ,tonique et réjouissant.

15-XII -    Vu à Sartrouvilles le PUNTILA de Rossner. C’est un grand long lourd spectacle de 3h30. Aucune coupure n’a été pratiquée dans l’oeuvre qui est montée avec une rigoureuse exactitude brechtienne. C’est Jean Martin qui joue Puntila et il a par moments l’air du colonel de la BATAILLE D’ALGER. Plaisanterie mise à part, il est remarquable. C’est Pia Colombo qui chante la partition de Dessau. Je me faisais réflexion que je déteste décidément la musique de Dessau, qui me semble antipopulaire au possible. La pièce m’a semblé un peu méandreuse. D’après ceux qui ont vu le PUNTILA de Wilson, l’ascension finale était mieux réussie par ce dernier que par Rossner.

 17-XII- Sorte de Scapin Latino-américain, je suis convaincu que sous ses dehors de farce, le TESTAMENT DU CHIEN d’Ariano Suassuna révèle un contenu social critique. Mais la représentation qu’en donne le jeune Théâtre National dans une mise en scène de Guy Lauzin fait tout ce qu’elle peut pour que cet aspect “glisse”. Tout a était sacrifié à “l’enlevé”. Ce ne sont que pirouettes et gags. Les mouvements des personnages sont vifs mais gratuits. Tout est montré joyeux, y compris le moment où les voleurs, qui sont aussi des justiciers, et peut-être des révolutionnaires, fusillent tout le joli monde qu’on a vu évoluer sur la scène. C’est l’art de noyer le poisson et c’est vraiment malgré Lauzin que la pièce montre le bout de l’oreille. J’ai bien aimé l’acte qui se passe au ciel, où l’on voit un Christ nègre (très bien joué par Bachir Touré) et une Sainte Vierge un peu saoûle. (Je n’ai pas bien détecté si c’était voulu mais ça allait en tout cas dans le sens d’une certaine contestation de la religion qui était assez de mon goût). J’ai aprécié à sa juste valeur la fin où le magot objet des convoitises finit à sa vraie place utile, c’est-à-dire dans le trésor de l’église du village. Voilà une belle moralité, non? Je ne sais quel public aura le J.T.N. mais celui qu’avait invité Guette pour cette soirée réservée où j’ai été admis comme une hirondelle dont on n’a pas besoin pour faire le Printemps, n’était composé que de vieux croûtons. À part Planchon que le hasard a placé à côté de moi et qui rêvait que s’il avait eu l’idée de rajouter un acte à l’INFAME qui se serait passé au ciel il aurait évité le phénomène de censure - (j’espère qu’il n’est pas devenu pédé, je lui ai trouvé un petit côté Chéreau!), et Touchard, je n’ai rencontré personne de connaissance.

21-XII -Très déçu par le nouveau spectacle de Jean-Pierre Bisson. “L’exemplaire histoire de la condamnation, de la grâce puis de l’élection du lieutenant William Calley, marchand d’armes et champion de l’ordre nouveau”, pièce que Bisson co-signe avec un nommé Ali Raffi, est aussi loupée que son titre est snob. C’est une série de scènes décousues, mal liées les unes aux autres et souvent confuses, qui retracent la vie d’un militaire américain faciste vivant dans une Amérique exclusivement peuplée de facistes. Sans connaître visiblement l’Amérique autrement que par ce qu’ils en ont lu de ce côté-ci de l’Atlantique, les auteurs jettent un cri fragmentaire qui ne peut que sonner faux aux oreilles de l’objectif. En plus, on se demande bien pourquoi Bisson s’en prend avec cette vigueur à la poudre dans l’oeil du voisin et quel est le sens du remplacement de la PASSION DE MALRAVY qu’il devait monter par cette élucubration anti-américaine. C’est joué avec une apparente conviction par quelques mâles et une fille, Françoise Vercruysj en plus une autre fille pour une scène de trente secondes. Quelques culs dénudés apparaissent de-ci, delà pour illustrer les turpitudes de l’armée des Etats-Unis. Des culs masculins, bien sûr selon la mode actuelle. Ah! Quand reviendrons-nous aux Académies féminines. Franchement, je ne suis peut-être pas normal mais je les préfère! Je voudrais bien avoir autre chose à écrire sur ce spectacle, mais ça ne vient pas. en vérité, je crois qu’il n’y a rien de plus à en dire. Dommage.

22-XII -    J’aurais bien aimé relire ce que j’avais écrit en son temps sur LES IMMORTELLES montées à la Biennale de Paris il y a x années dans une mise en scène de ? Je me rappelle vaguement que Madame Rita Renoir y faisait de la gymnastique et qu’elle était “érotiquement dévêtue”. Au LUCERNAIRE, dans une mise en scène de Dominique Serreau, la pièce de Bourgeade est jouée par cinq minettes qui vêtent et dévêtent des peignoirs et des habits de cérémonie et n’hésitent pas à se montrer fréquemment complètement nues. Évolutions des moeurs: ce qui était audacieux il y a x années débouche maintenant sur la totale nudité. Comme ces jeunes femmes sont fraîches et pas mal bâties, le spectacle est agréable à regarder. Mais il n’est pas sensuel du tout. Très à l’aise, les protagonistes donnent plus l’impression, avec tous ces changements de costumes, d’être dans un salon d’essayage que dans un bordel. Le vice ne semble point du tout les habiter et les étreintes que les metteurs en scène a imposées à certaines d’entre elles ne m’ont paru nullement assumées.
    A ce détail (d’importance) près, la réussite du jeune Serreau est certaine. Avec goût et sûreté, il a éclairé l’oeuvre qui naguère m’avait semblée extrêmement confuse. En attendant les passes, cinq pensionnaires de maison close se livrent à des jeux dans un salon commun, se distribuant des rôles et “signifiant” leur univers. Cela m’a fait penser à Genêt. Un Genêt, cela dit, très au petit pied et plus celui  des des BONNES que du BALCON. Ce qu’exprime Bourgeade n’est pas important, et il y a mélange entre un style complètement quotidien et un langage poëtiquement hermétique. Cette non unité crée une distance par rapport à ces femmes qui nous demandent alternativement de croire en elles au premier et au 17ème degré. Je ne vois pas où Pierre-Aimé Touchard qui est cité dans le programme, a détecté du chef-d’oeuvre là-dedans. Mais Baste, ça se laisse VOIR sinon entendre. Et ça ne dure qu’une heure.

22-XII -    Au fait, Avant les IMMORTELLES, j’avais vu au PLAISANCE LE PIANO DE LUNE de Pierre Jacques Arrèse. C’est incroyablement con!

24-XII -    Il y aura toujours pour moi des mystères: Michèle Marquais cherche partout des spectacles pour le PIGALL’S et pendant ce temps-là, à la Resserre au Diable, Nicolas Bataille présente sous le titre vague de “Spectacle Sade”, un remarquable montage sur LA PHILOSOPHIE DANS LE BOUDOIR qui marcherait du tonnerre de Dieu place Pigalle. Il faut dire que le texte est un chef-d’oeuvre. L’accumulation des turpitudes des êtres pervers décrits s’exprime en un langage distingué des plus exquis. Ici, point de nu, mais la perversion à l’état pur, le renversement de toutes les valeurs morales, la contestation au niveau le plus pernicieux. La dépravation est évidence, la “vertu” crime. Le “pouvoir” ne se trompe pas sur les dangers que recèle encore ce texte, qui l’interdit à l’affichage et par la même occasion oblige le spectacle à se réfugier sous l’étiquette “club privé” et à ne pas néanmoins s’annoncer sous son titre véritable. C’est remarquablement joué, avec “bienséance” par Gaby Sylvia, Jean-Paul Cisife et surtout Martine Couture, excellente “élève” de ses maîtres ès débauches. Ce serait rigolo d’emmener ça en tournée.On pourrait faire une première partie avec LES IMMORTELLES!

Heureusement qu’il y avait le Sade à minuit, car AMOUR SANS TÊTE d’Asturias monté par Marc Olivier Cayre, m’avait à 22h fortement irrité dans cette même Resserre aux diables. Pendant une heure, un garçon laid et une fille en collant académique gris jouent à être dix personnages différents tandis qu’un torrent de mots est débité par une sono. J’ai été hérissé.
    À noter qu’entre les deux spectacles, mon séjour à la RESSERRE m’a coûté 64 Frs. Je m’étais fait accompagner et le taulier ne fait pas d’exos sur les consommations qui sont obligatoires. et pour l’Acturias, on pratique le principe du filet à finance. J’ai feint de ne pas le voir!

03-I-72 -    Je n’avais pas sur l’instant rendu compte du spectacle Jeanine Worms affiché au petit Odéon, comportant LE GOÛTER et TOUT À L’HEURE, deux piécettes mises en scène par Jacques Échantillon. J’ai dû y aller le 28 ou le 29 décembre. Résultat: J’ai tout oublier, sauf que c’était bien joué et assez drôle mais oh! combien mineur, MINEUR! Je ne vois pas pourquoi je me creuserais la cervelle à en dire davantage.

UNE ESCAPADE À LYON

13-I-72    Je n’avais pas eu grand chose à dire sur le PUNTILA de Rossner. Celui du Théâtre du Huitième est beaucoup plus intéressant. Notons pour l’histoire que je ne l’ai pas vu avec sa vraie distribution. Luce Mélite, qui jouait Eva, avait été remplacée par Francesca Solleville qui jouait après des raccords visiblement hâtifs. Hubert Gignoux s’était foulé la cheville et après un jour de relâche forcée, Maréchal avait décidé de le reprendre, en le lisant, le rôle de Puntila. Pierre Debauche avait fait une annonce avec humour et la sympathie de la salle à la performance était acquise. Il y avait donc une atmosphère insolite.Reste que les intentions du metteur en scène sont parfaitement “sorties”. Je ne sais ce que donne Gignoux dans le rôle, mais avec le Maréchal ânonnant par moments mais possédant fort bien son affaire, et par moments sublime, notamment dans le dernier tiers de la pièce, j’ai assisté à une GRANDE représentation.
    D’abord,on avait jeté aux orties la musique de Dessau et fait un montage avec des morceaux connus, ce qui popularisait et actualisait le spectacle. On avait renoncé notamment aux songs entre les tableaux pour le plus grand profit du rythme.
    Ensuite, on avait pris une distance envers la distanciation brechtienne, ce qui conférait parfois au dialogue un côté un peu patronnage, mais le plus souvent le rendait drôle, percutant et efficace. Les esprits chagrins diront que c’était tiré au boulevard, que Brecht n’aurait pas aimé qu’on rit tant, qu’il aurait déploré la disparition de l’ennui et l’aliénation du spectateur pris dans l’étau de l’anecdote. Songez que je me suis intéressé à l’histoire! Que ces conservateurs aillent à Canossa ou se taisent. Maréchal a réussi là où Rossner a échoué, à rendre cette aventure caricaturale dense. Sandier soulignait avec une délicieuse complaisance la “complicité” apparente pour la première fois dans ce montage entre Puntila et Matti. Il y avait du vrai dans cette remarque, mais Dieu merci, la densité n’entrait pas que dans cette ambiguïté et jamais, je crois, les leçons sociales et politiques de la pièces n’ont été ÉCLAIRÉES avec autant d’impact. À la fin, lors de l’ascension célèbre, Maréchal a laissé le lyrisme - et quasi le romantisme - prendre le dessus, ce qui nous a donné (dans un style proche de CAPITAINE BADA) un des plus beaux moments de théâtre que j’ai connus.
    Cela dit, il y a des longueurs dans la pièce et surtout en première partie. Les “fiancées” de Puntila étaient pesantes et interminables (mais leurs scènes ne vont pas jusqu’au bout. Brecht s’est arrêté en chemin au niveau du texte et Maréchal n’a pas compensé). Très beau le tableau des écrevisses, remarquable le banquet, admirable la destruction de la montagne par un Matti excédé.
    Bernard Ballet est très excellent, placide avec richesse intérieure.
    Je suis content d’avoir vu ce PUNTILA-là après l’autre et peut-être ai-je eu de la chance que Gignoux ait eu une coquetterie dans la cheville!

 UN SPECTACLE IMPORTANT QUOIQUE RATÉ ET DE CE FAIT OUBLIÉ

15-I-72    Marie-Claire Pasquier a beau nous expliquer à longueur de BREF que DES FRITES, DES FRITES, DES FRITES d’Arnold Wesker n’est pas plus une pièce sur l’armée que la CUISINE n’en était une sur les restaurants, il n’en reste pas moins que l’univers ici choisi comme milieu exemplaire pour montrer les mécanismes de la société occidentale est beaucoup plus familier que l’autre à la plupart des hommes, et jusqu’à un certain point moins signifiant. Je rêvais qu’il y aurait une pièce à faire, qui mettrait en gros plan l’incroyable culot de la classe dominante qui étale sans vergogne aux yeux des peuples sa volonté de hiérarchisation des hommes, d’inégalisation, d’oppression des uns par les autres, avec ce système fondé sur l’obéissance absolue qui dans tous les pays où elle règne est imposé aux jeunes gens un, deux ou trois ans de leurs vies, afin de leur inculquer définitivement leur catégorisation ultérieure. Il faudrait s’en prendre aux galons, aux ordres exécutables “sans hésitation ni murmure”, au recrutement fondé sur la culture acquise et par conséquent sur la richesse des parents. Société “idéale” où les chefs sont incontestables, où les grèves sont interdites, où la répression la plus aveugle et la plus cruelle est légale. Il faudrait dénoncer que le facisme n’est pas autre chose que l’application à la vie civile de ces données essentielles ÉTALÉES au grand jour et dont chacun peut faire l’espérience.
    Mais le pièce de Wesker (fort mal traduite par un certain François Sommarifas avec des jurons du genre de “Putain de bon sang!”) ne s’attaque pas au fond du problème et se borne à stigmatiser la fatalisation de l’appartenance originelle à une classe. Pit Thomspson, le riche fils d’une famille de général, ne parviendra pas à échapper à son destin qui est de devenir officier. Il aura beau faire la mauvaise fête, ses égaux, c’est-à-dire ses chefs de la caste supérieure le briseront en le ramenant à eux. Ses “camarades” prolétaires le traitaient, de leur côté, avec une certaine distance.
    Depuis le TRAIN DE HUIT HEURE QUARANTE SEPT, il y a eu au théâtre, en littérature, ou au cinéma des centaines d’oeuvres qui sur le mode comique ou tragique, ont toutes dénoncé des aspects extérieurs ou fragmentaires de la vie militaire. Celle-ci s’inscrit dans la même ligne mais pas plus que ses soeurs elle n’atteint l’essentiel, c’est-à-dire l’Institution elle-même. Evidemment, la mise en scène de Gérard Vergez est peut-être pour quelque chose dans l’insatisfaction ressentie. D’abord, l’environnement dû à Françoise Darne et baptisé “décor” est totalement gratuit et luxueux à contre texte. Ensuite, il n’hésite pas à faire rire avec le maniement d’arme et les exercices complaisamment dirigés par Chaussat dans la meilleure tradition de la “saine rigolade” édulcolorante. Il aurait fallu THE BRIG, mais on en était loin. Enfin, l’ensemble est confus sous une apparence de netteté et je soupçonne que le réalisateur n’ait pas SU ou pas VOULU éclairer complètement ce qu’il pouvait y avoir de pernicieux dans la pièce. Car si j’ai rêvé durant le spectacle comme je l’ai décrit plus haut, c’est quand même que sans aller jusqu’au, le texte contenait des indications, des lignes d’orientation. Il eut fallu les renforcer. Au lieu de cela, on les a laissé filer dans tous les sens et on a préféré faire “du spectacle”. La mollesse l’emporte, l’approximation. C’est dommage. Et ce ne sont pas les joyeux dessins projetés sur l’écran dans un style qui (à vrai dire sans raison) m’a fait penser à Folon (je me demande bien pourquoi?), qui arrangent les choses.
    Il y avait beaucoup de monde dans la grande salle du TNP en ce samedi soir.

RÉFLEXION À POSTERIORI ESSENTIELLE :

pour la plus grande satisfaction des jeunes gens, la cinquième République a supprimé le service militaire. Effectivement à l’heure du nucléaire et de ce qu’on appelle “les armes de destructions massives”infliger à des futurs fantassins ou cavaliers la dure épreuve décrite dans ce commentaire n’avait plus beaucoup de sens, d’autant plus que la hiérarchie s’est modifiée. A présent, ce sont les techniciens qui sont au pouvoir.
N’empêche que personnellement j’ai été réticent devant cette destruction de l’armée de la République qui était à mes yeux un symbole, celle qui avait été forgée par la conscription. Désormais, être militaire, c’est un métier comme un autre. Le soldat est un salarié. Il n’a pas besoin d’états d’âme patriotique. A la limite il n’est de nulle part, il doit accomplir sans réfléchir la besogne qu’on lui dicte.
Le “DEVOIR DE DÉSOBÉISSANCE” qui avait été inculquée à la France par le Général de Gaulle, ne l’oublions jamais, à DEUX reprises, tout le monde pense bien sûr à l’appel du 18 Juin 1940 que personne n’a entendu, mais qui était un appel à refuser l’ordre du “Maréchal”
et on oublie la deuxième fois quand le contingent a refusé de suivre les “généraux félons de l’Algérie Française”parce que c’étaient des gens du peuple qui le composaient ... et, peut-être, y a t’il dans le “peuple” des gens qui pensent voire qui osent.
Si cette deuxième fois là il n’y avait eu que des mercenaires, que se serait il passé?

Publié dans histoire-du-theatre

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