Du 23 février au 5 avril 1985

Publié le par André Gintzburger

23.02.85 - Me revoici placé devant la fameuse question : pourquoi, à la suite de quels processus, des gens de talent s’unissent-ils pour donner vie à certaines entreprises ? Stuart Seide est homme de qualité. Il fait partie de ceux dont je suis le travail avec le sentiment qu’il est un créateur honnête. Vitez est ce qu’il est, mais compte tenu de la prudence avec laquelle il fait sa programmation d’accueil, et du nombre de conseils dont il s’entoure, on peut supposer qu’avant de produire une pièce (et à grands frais, s’il vous plaît), il aura lu, relu, encore relu le texte, il l’aura pesé, soupesé, disséqué !
L’HOTEL DE L’HOMME SAUVAGE de Jean-Pol Fargeau est une mauvaise pièce, confuse, mal bâtie, pas drôle, traînante, même pas « bien parisienne », c’est une espèce de western qui se passe au Chili… Au fait, c’est peut-être ça qui a séduit ces messieurs : le Chili, c’est « bien parisien », même si ce n’est pas celui de Pinochet, ça se passe bien avant Allende, sans doute au dix-neuvième siècle puisqu’il y a encore des Indiens qui tirent avec des flèches, mais l’atmosphère de ce pays sent son régime dictatorial et arbitraire.
Un écrivain, nommé Santerre, retiré dans une île, entretient avec un jeune garçon des rapports qui semblent quelque part ambigus, encore que rien dans les gestes ou dans les mots ne signifient clairement autre chose qu’une amitié. Les parents du garçon haïssent l’homme de plume. Est-ce pour ce qu’il écrit ? On en entend des bribes qu’il a enregistrées sur un magnétophone anachronique. Je n’ai rien repéré de politique dans le discours. Pourtant, la police politique du pouvoir ourdit un complot contre le trublion avec l’aide d’un médecin marron qui le déclarera fou. Santerre est-il marié avec la patronne de « l’hôtel de l’homme sauvage » ? Elle l’affirme, mais peut-être est-ce pour échapper aux assiduités d’un pasteur ancien officier de la marine, lubrique, qui est là parce qu’il recherche justement Santerre qui a été son adjoint, jadis. Il y a un contentieux entre les deux hommes. Finalement, les Indiens et la Taboso, patronne de l’hôtel, qui est aussi un peu bordel, tueront les méchants.
Vous avez compris ? On pense au petit pied à AU DESSOUS DU VOLCAN, au TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR, à certains westerns d’atmosphère. Mais comment s’intéresserait-on à cette aventure sans discours ni message, terriblement verbeuse par moments, écrite, trop écrite dans un style qui mêle les phrases à prétention littéraire à des lazzis du genre de « poil au cul ».
Le scandale, c’est le pognon dépensé pour cette erreur. Mes vingt-et-un décors de DEUTSCHLAND D… sont vraiment enfoncés, et s’il n’y a pas cinquante personnes en scène, elles y sont bien dans le personnel qui a collaboré à l’affaire. Le « scénographe » (on ne dit plus « décorateur », pouah !) Jacques Marty peut se frotter les mains. Pour réaliser ses chromes sur écran ordinaire ou cinémascope, il a eu tous les moyens ! Jean-Claude Jay en pasteur paillard tire son épingle du jeu. Jean-Claude Durand en écrivain ne fera jamais croire qu’il est Hemingway. Stuart Seide a-t-il cachetonné ? A-t-il été obligé de monter cela ? On voudrait l’espérer.

24.02.85 -Voilà un spectacle pour le troisième âge. Chaque récital de Louison Roblin devrait être relayé par Radio Bleue ! Les vieux auditeurs de la station spécialisée se réjouiraient à entendre le public nostalgique reprendre en chœur, avec bonheur, les airs qui furent de Mistinguett, de Fréhel, de Damia, et, bien entendu, de Piaf et de Trénet. J’y suis allé de ma petite larme nostalgique. « C’était comment déjà ? » survole malheureusement un peu trop sans plan ni sans parti un répertoire excessivement vaste. Louison Roblin, qui a de l’abattage et de la santé, et encore beaucoup de fraîcheur malgré un léger embonpoint, aurait intérêt à se limiter (elle chante pendant deux heures, c’est beaucoup) et à structurer son affaire. Car ne vous y trompez pas, j’ai cité cinq noms, mais il y en a plein d’autres, certains qu’elle est contrainte d’évoquer en pot-pourri. Elle change plusieurs fois de robes (somptueuses), de perruques et de chapeaux. C’est une bonne entraîneuse qui sait récupérer à son profit les petites bavures d’un spectacle occasionnel. Je la préfère dans l’émotion. La comédienne de talent peut s’y laisser aller de façon un peu moins conventionnelle. C’est une bonne imitatrice. Elle évite la vulgarité… Pas tout à fait quand même. Enfin, c’est bien, réduit à trois quarts d’heure, cela se situerait bien à LA BELLE ÉPOQUE ou dans un cabaret rétro. L’Alliance Française devrait s’intéresser à la chose !

26.02.85 - « Le spectacle se construit autour du Père », nous révèle le programme, et je présume que c’est le personnage ventripotent masqué d’une tête animale, qui participe à sa manière différente aux actions de la « famille ». Celle-ci, figée dans l’attitude qu’elle retrouvera à la fin du rêve, va se transformer oniriquement sous nos yeux, selon une vision enfantine qui mélangera allègrement, dans la fantaisie de son PARADIS GRAFFITI, les notions culturelles mythologiques grecques et celle de la genèse judéo-chrétienne.
La danse, la musique, l’imagerie naïve (le programme prononce le mot de « bande dessinée »), les textes même, seraient satisfaisants si nous étions mis par Serge Noyelle, le réalisateur, en position de démêler les fils de son évasion. « Le spectacle », selon le programme, est supposé « nous entraîner dans un imaginaire d’où naîtront des rencontres impossibles… « Nous bousculerons », écrit Serge Noyelle, « les données de la réalité et du rêve en questionnant cette part du réel qui vit en nous et qui nous frustre de nos rêves comme d’un paradis perdu. »
L’ennui, c’est que la part de rêve et de réel qui vit en Serge Noyelle, ne recoupe guère la part de rêve et de réel qui vit en MOI. Le rêve est une chose si intime, si personnelle, et quelque part si secrètement imprévisible, qu’il lui est difficile de constituer la base d’un projet théâtral satisfaisant, puisque pour moi, la règle est formelle : est théâtral tout acte, toute parole, toute attitude qui, exprimant une pensée ou une sensation individuelle, débouche sur la sensibilité universelle parce que la recoupant. Je dois dire que l’univers montré par Serge Noyelle m’a amusé quelques minutes. J’ai regardé le « théâtre images » d’atelier avec sympathie, mais très vite j’ai été investi par l’ennui parce que cette fantaisie ne me concernait nulle part. J’y étais étranger. La petite planète de Serge Noyelle n’avait pas une orbite qui rencontrait la mienne.
Monique Bertin qui avait vu et aimé le précédent spectacle , « CHAGRIN ZOOLOGIQUE », encore un qui était (je cite) « aux limites du rêve et du réel », affirme que son « contenu » était intéressant et lisible. Ce n’est pas le cas cette fois-ci en tous cas !

27.02.85 - L’AQUARIUM a réussi avec LES INCURABLES à réaliser un spectacle très satisfaisant. Et d’abord parce que Jean-Louis Benoît, qui signe le texte et la mise en scène, a un langage non seulement visuel, mais écrit. C’est une œuvre véritable qu’il nous propose, avec un style, un phrasé, une règle littéraire. Les dialogues de ces quatre malades chroniques sont un vrai régal pour l’oreille. Et le personnage du Nègre qui vient chaque nuit à trois heures dix supplier qu’on le laisse dormir -c’est le seul qui mourra à la fin- est des plus croustillants qui soient.
Langage et univers : les quatre incurables vivent leur maladie (imaginaire peut-être) sous la forme d’une vigilance et d’un combat permanents. Le moindre bouton prend des proportions gigantesques. La logique des comportements est surréaliste. Je préfère dire cela plutôt qu’absurde. Tout se réfère au corps, dont ils nous récitent les parties à titre thérapeutique. Sous le comique affleure l’horrible, car n’est-ce pas horrible, ce qui se trafique et grouille en nous, et, réellement, est si dangereux ? Des énumérations, Benoît nous en livre plusieurs, dont celle, interminable et par ordre alphabétique, de la liste des médicaments du marché. Des descriptions, il nous en propose aussi, justement celle d’une attaque de la peste. Affreux ! Mais c’est le dialogue vif, drôle, incisif, clair, du combat quotidien, qui donne son ton au spectacle, avec la violence d’une porte qui claque, d’un pan de mur qui tombe, et plein de petits gadgets, dont un TGV miniature qui, sans aucune raison, traverse un plateau de farces et d’attrapes.
Style du texte, ton personnel de la réalisation, professionnalisme impeccable, ce spectacle qui se moque de la maladie… presque en forme de défi, et qui condamne la condition inhumaine faite à l’homme, va très au-delà d’une simple boutade. D’ailleurs ce n’est pas « léger ». Le rire ne vole pas dans les airs : il s’impose, il est imposé par l’énormité des solutions apportées aux problèmes, comme celle du garçon qu’on met en quarantaine dans un panier qui s’élèvera vers le toit de la Cartoucherie. Il y restera quarante-deux jours, sans pouvoir se soulager, et à son retour sur terre, il sera bouché de partout, y compris de la langue. C’est quand il redécouvrira, laborieusement, le langage avec le discours cohérent, ou à peu près, qu’il pourra, guéri provisoirement, réintégrer sa petite communauté, au demeurant très conviviale.
Martine Bertrand, Stéphane Boyendal, Louis Mérino, Karen Rencurel et Meyong-Bakate ont l’air de bien s’amuser à jouer cette pochade… qui est au fond très sérieuse.

UN VOYAGE A BERLIN

Du 28.02 au 03.03.85 - Dès notre arrivée à Berlin sur le coup de vingt heures, nous avons été l’objet d’une prise de pouvoir de la part de nos hôtes, nous, c’est-à-dire les invités du « Meeting théâtral européen informel ». Trois heures durant, dix messieurs très sérieux disposés sur la scène de l’AKADEMIE DER KÜNSTE, nous ont exposé leurs problèmes, qui, de toute évidence, sont différents des nôtres. La chanson « Jamais content » me trottait dans la tête, car leurs plaintes, certes réelles, m’ont paru se situer à un niveau de privilèges déjà appréciables. Leurs problèmes se situent entre le trop, et le moins trop, et non pas, comme les nôtres, entre le pas assez et le pas du tout assez. Une traductrice simultanée psalmodiait au fur et à mesure ces discours complaisants qui me faisaient me demander si c’était vraiment à Moscou qu’on avait inventé la langue de bois.
Cela dit, le meeting n’a pas été que ça et, sous la conduite de Michaël Haerdter, nous avons pu rencontrer pas mal de gens, représentant ce qu’on  appelle ici les groupes « libres », ou « alternatifs ». Tous se sont plaints du peu de subventions que leur accordait le Sénat (ils doivent se partager une pauvre enveloppe de un million cinq cent mille Deutschemarks, tandis que les riches en ont quatre millions, sans parler de Peter Stein, qui a ça pour sa Schaubühne toute seule, qui trône maintenant sur Kürfürstendamm, Leninplatz. (Il paraît que les spectateurs se plaignaient d’avoir à monter des escaliers pour accéder à la salle de Hallisches Ufer !). Il faut dire qu’il y en a qui semblent avoir des préoccupations tordues, tel celui qui, spécialisé dans les spectacles pour enfants, s’est fixé pour mission, en toute pureté évangélique, dit-il, d’apprendre aux mômes la sexualité.
Nous avons aussi visité un théâtre « privé », dont le directeur avait été viré la veille par une intrigue politique (nous a-t-il dit) ourdie au Sénat de Berlin. C’est toute l’Allemagne que nous avons eue sous les yeux : un  bonhomme chassé hier, qui nous a consacré académiquement trois heures comme si de rien n’était, le lendemain matin. Nous avons par lui appris un des vices fondamentaux du théâtre à Berlin, à savoir que trois associations de spectateurs y font la loi au point de (presque) dicter aux directeurs ce qu’ils doivent programmer. Selon leur appartenance politique, les gens s’abonnent à l’une ou l’autre. Ils y ont intérêt puisque, ainsi, ils bénéficieront d’une tarif réduit. Mais le théâtre encaissera pour chacun le tarif plein, car le Sénat subventionne chaque spectateur de la différence. Déjà, si l’argent allait directement aux théâtres, le système serait peu favorable au développement du goût du risque chez les créateurs, mais ici, en plus ce n’est pas le théâtre mais l’association de spectateurs qui reçoit le subside. Imaginez le pouvoir que cette méthode conférerait à une FNAC ! Et, quel rêve pour le TEC !
Nous avons aussi visité la Maison de Culture Béthanien, adossée au mur, qu’ici des artistes ont peint de couleurs vives et joyeuses, alors que juste derrière, un mirador est visible. C’est un lieu « alternatif », où les jeunes gens « désoeuvrés » trouvent à s’occuper culturellement. J’ai trouvé que ça sentait un peu son curé, mais non : la maison est protestante !
Partout nous avons entendu le même discours sur la situation de Berlin, île vieillissante, sans industrie, progressivement délaissée par la jeunesse qui va maintenant chercher ailleurs les voies de la survie. C’est vrai que cette cité est irréelle. Une excursion à l’Est fait de plus en plus éclater que là, il y a une vraie ville, une Capitale, et ici une entité anachronique décadente. Cela dit, le samedi soir dans les bistrots et dans les rues, il y a de l’ambiance, on ne peut pas le nier !
Notre meeting « informel » a repris ses droits lors des réunions à l’Akademie der Künste, où chacun a échangé ses points de vue (et a fait ses affaires) avec les partenaires de son choix. Il est venu beaucoup de monde, de toute l’Europe, peut-être un peu trop. C’est sympathique, utile. Peut-être ces réunions auraient-elles intérêt à s’espacer un peu. Elles perdent de leur objet à partir du moment où tout le monde se connaît trop bien.

Il n’y avait pas grand-chose à voir au théâtre : Zadek présente une pièce américaine causante de trois heures. Stein, c’est les TROIS SŒURS qu’il réussit à faire durer quatre heures trente. Quand je repense que ça durait trois heures avec Pitoëff qui ne lésinait pas sur les silences, je me demande comment il a réussi à gagner quatre-vingt-dix minutes de plus ! Mais je n’ai fait que me le demander. Je suis quand même allé voir, à Kreuzberg, SUR LA GRAND-ROUTE, dans la mise en scène de Gruber que le T.G.P. avait accueillie. Faut être juste. C’est assez beau.
Patrick explique que le T.G.P. va émigrer à Lyon pour faire l’ESPACE THÉATRAL EUROPÉEN, qui « mettra des créateurs étrangers dans des situations différentes de celles qu’ils trouvent dans leur pays ». Ce sera un lieu de productions et de création. Daniel Girard raconte qu’il est depuis le premier mars co-Directeur de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon qui va orienter son efforts vers les œuvres lyriques contemporaines. Ceci se passe le dimanche lors de la séance de clôture.
Colin, de l’ATEM, se plaint de n’avoir pas vu de spectacles. La discussion va bon train trois heures durant. Finalement, nous sommes tous invités à Edimbourg du sept au dix novembre prochain.



RETOUR EN FRANCE

06.03.85 - Ce qu’il y a de bien chez Raymond Roussel, c’est que les personnages y parlent comme des livres. Avec sérieux, ils débitent des informations susceptibles de nous instruire, souvent étonnantes, toujours intéressantes, parfois suspectes (on a envie de les vérifier, ça tient du « incroyable mais vrai », on se demande si c’est un érudit qui cause ou un farceur) ; et ces informations arrivent régulièrement comme des cheveux sur la soupe, sans aucun rapport avec l’anecdote racontée, ici, dans POUSSIÈRE DE SOLEIL, une course au trésor qui est aussi une course de vitesse entre deux équipes rivales, l’une légitime et l’autre criminelle.
Il s’agit d’un voyage. Liliane Nataf a donc eu l’idée de projeter les décors. Sinon, il eût fallu tomber, soit dans la fiction Vilar, soit dans l’insolence dispendieuse à la… je ne nommerai personne ! Ces projections ne sont pas réalistes. Imaginées par Olivier Agid, elles se veulent des interprétations imaginaires des visions de l’auteur. Cela donne évidemment à l’artiste une grande liberté. Le problème est que l’écran est à deux mètres à peine du rebord de la scène, si bien que toute la représentation se passe avec des personnages de profil allant généralement du jardin à la cour, ce qui nous donne de la Guyane Française en 1925, lieu de l’exploration choisi par l’auteur, une vision singulièrement aplatie, que ne compense pas, en dernière minute, la déambulation des personnages perdus à travers toute la scène. Le systématisme du procédé finit par lasser, d’autant plus que la direction d’acteurs, au demeurant exacte, n’a pas inculqué aux interprètes la dimension diversifiée qui eût aidé le propos à passer.
Malgré la musique de Marius François Gaillard, quelque chose ne fonctionne pas dans ce dessin animé qui se voudrait initiatique. Monique Brun et Anne Lévy tirent moins leurs épingles du jeu que les garçons.

07.03.85 - Le gentil Michel Berto a monté au Petit Athénée une pièce qui est signée de deux noms Français, Christian Charmetant et Antoine Duléry. Ils sont comédiens et jouent tous les deux dans IMPASSE - PRIVÉ avec une fille, Isabelle Mergault, et un autre garçon, Paul Minthe. C’est une amusante mais banale parodie de série noire. Il y a là un détective désoeuvré, comme dans les romans de Chase, et son bras droit dévoué. Il y a une secrétaire amoureuse de son patron en silence ! On s’amuse bien à retrouver, rendue dérisoire, l’atmosphère bien connue faite de tous les tics du style américain. Mais ça ne va pas chercher. C’est du gentil divertissement sans le moindre élément critique.

08.03.85 - Il ne faut jamais oublier, quand on voit un spectacle de Dominique Houdart, de rendre d’abord hommage à Alain Roussel qui signe « dispositif et formes animées ». Houdart est un metteur en scène, un manipulateur de classe. Il a des idées, mais les petites merveilles qu’il exhibe, c’est l’autre qui les conçoit et les fabrique.
Voilà. Il fallait  le dire car le succès incontestable du COMBAT DE TANCRÈDE ET CLORINDE vient pour une part du plaisir des yeux. Et si Dominique Houdart et Neuza Roche apportent, en les mettant en mouvement, la vie aux poupées admirables, inspirées du Bunraku, qui figurent le héros et l’héroïne de Monteverdi, la perfection des objets qu’ils ont entre les mains mérite qu’on mette à l’honneur leur créateur. Il y a d’ailleurs une partie du spectacle qui lui revient totalement, c’est la projection sur un rideau clair, volontairement plissé, d’une longue, longue bande dessinée qui, commençant et finissant par un simple de trait de crayon (ou de plume) noir, s’anime en continuité jusqu’au moment où des figures de théâtre d’ombre entrent en action pour donner uniquement visuellement une des quatre narrations du combat que nous propose le spectacle.
Celui-ci commence en mineur : un castelet est installé dans le hall du théâtre. Par un trou, on voit la tête barbue de Houdart qui essaie de faire rire en manipulant deux petites marionnettes à gaine, sœurs lilliputiennes de celles qu’on admirera tout à l’heure, et en débitant un texte qui se veut drôle par trituration de la langue française. C’est l’auteur chéri de Houdart, Gérard Lépinois, qui a pondu ce chef-d’œuvre ( ! ) d’humour heureusement court. Mais ce prologue inquiète d’autant qu’une fois entrés dans la salle, on nous assène une deuxième narration du combat, sérieuse celle-là. Après la rigolade, on a l’impression qu’il s’agit de gagner du temps. Et puis, le miracle arrive avec ce trait qui se dessine et qui, bien mieux que les mots, va raconter l’histoire de ce sanglant et stupide champ de bataille. Grâce à lui, le combat singulier qui oppose les amants de Torquato Tasso, est replacé dans son contexte des croisades.
Enfin, l’opéra lui-même porte au sommet un spectacle qui désormais à décollé. D’abord, il y a la voix du phénomène vocal de la troupe, Jeanne Heuclin, qui peut chanter les trois rôles, Tancrède, Clorinde, et le narrateur, grâce à son exceptionnelle tessiture. Non seulement elle les chante, mais elle les chante bien, accompagnée par un clavecin et un violon. C’est très beau pour l’oreille. Mais en même temps, Houdart et Neuza se livrent à un extraordinaire ballet de dédoublement, d’identification, avec leurs marionnettes géantes auxquelles ils sont attachés des pieds à la tête par des liens subtils. Ici le manipulateur opère avec tout son corps et sans se dissimuler. Au contraire, il joue de la complicité avec les êtres étranges auxquels il confère une vie éphémère. On mesure la difficulté de l’entreprise, la discipline, la maîtrise de soi qu’elle suppose. Du reste, la technique ne suffit pas : Neuza et Houdart se valent à ce niveau, mais très vite on ne regarde plus que Houdart, parce qu’il apporte quelque chose, une âme, en plus.
J’ai tenu, ici, à citer Roussel que je trouve un peu trop en bas de la page dans les génériques de la compagnie, mais c’est Dominique Houdart qui rend l’opéra très impressionnant. Oui, c’est le mot. À la fin de la représentation, on a pardonné au réalisateur sa version du vestibule. Après tout, il la fallait peut-être, à titre de repoussoir, pour assurer la mise en valeur des parties importantes de l’affaire. On sort admiratif et heureux.  

09.03.85 - Dominique Houdart, encore lui, ne se contente pas comme la plupart des marionnettistes -dont il tient d’ailleurs à se distancier- d’exploiter une forme animée au détriment des autres. C’est un explorateur encyclopédiste, et il le montre dans le petit spectacle de trente-cinq minutes qu’il joue à douze heures trente au théâtre Essaïon : LA PETITE PHYSIQUE DES QUATRE ÉLÉMENTS.
Dans un espace scénique grand comme celui qui sert dans la 2 CV de l’UNITÉ pour LES MULOTS DU LAC, on le voit aux prises avec le feu, l’eau, l’air… et du sable en guise de terre, maniant l’infiniment petit avec le même type d’habileté qu’un Waschinsky. Il le fait en proférant austèrement un texte abscond à qui d’aucuns semblent trouver des vertus poétiques de… devinez ? Coucou le revoilà ! Éh oui ! Lépinois.

12.03.84 - Le Groupe palestinien EL HAKAWATI a retravaillé ALI LE GALILÉEN. Les objections que j’avais formulées quand j’avais vu le spectacle à Valladolid ne sont plus justifiées.
La seconde partie a été retravaillée, raccourcie, et la vente du fallafel n’occupe plus qu’une scène. Les Juifs ne font plus non plus cuire l’Arabe dans le chaudron, ce qui donnait à supposer que les Israéliens s’adonnaient à l’Anthropophagie ! Le chaudron est désormais utilisé à de toutes autres fins.
Je persiste à être un peu agacé par le présentateur de la fête, qui fait le lien, de façon fort lourde, entre les scènes à la gloire d’Ali que sont supposées interpréter des troupes locales, à grand renfort de gestuelle appuyée et de vociférations bruyantes.
Mais le tout est bien enlevé, dit ce qu’il a à dire, et est efficace.

14.03.85 - « C’est un lieu abstrait », a découvert Colette Godard. C’est surtout un lieu gratuit et laid, une espèce de rampe de parking sans rambarde, se perdant vers les hauteurs au terme d’un arrondi qui, à la base, débouche sur un espace gris et terne sans âme.
Nous avons connu Richard Peduzzi autrement inspiré. Pierre Vial et Michel Piccoli jouent Frontin et Trivelin. Le premier est franchement ringard. Le second grasseille avec le genre de truculence que je hais, et va et vient à pas vifs dans des déplacements qui, souvent, n’ont pas de sens. Jane Birkin est inaudible. Sa comtesse est fragile. Colette Godard écrit qu’on « entendait son trac jusqu’au dixième rang ». Aimable euphémisme de complaisance. Didier Sandre en Lélio et Bernard Ballet en Arlequin sont quelconques. Seule Laurence Bourdil sert le chevalier avec efficacité. C’est une bête de théâtre. Elle surmonte le handicap d’un costume qui l’engonce au point de la rendre gourde. Cet habit est de Jacques Schmidt.
Patrice Chéreau a traité LA FAUSSE SUIVANTE de Marivaux selon les recettes lassalliennes les plus terroristes. Tout l’accent a été mis sur le sordide de l’œuvre, la dégueulasserie des personnages, leurs calculs minables, leur inféodation au fric, leur absence de sincérité. Marivaux disséqué y est étalé dans toute sa fureur, avec une lourdeur encore plus pesante qu’avec le Lassalle ci-dessus cité. Terrifiant ! L’explication de texte est tellement appuyée qu’elle ne touche plus. Où est passée la lucide intelligence de Chéreau ? Pourquoi arrive-t-il bon dernier dans la course aux dramaturges tripoteurs de Marivaux, comme pour porter le coup de grâce à « l’anti-marivaudisme » ? Ce genre de traitement, qui explicite à l’usage de spectateurs réputés incapables de « lire » eux-mêmes les motivations des personnages, n’a plus cours. Comment l’ignore-t-il ?
De toute manière, même dans le cadre de ce « parti », sa FAUSSE SUIVANTE est ratée. Comme s’il ne l’avait pas vraiment pensée ! Triste !

16.03.85 - Une surprise, une bonne surprise. À Strasbourg, je vois LE PROFESSEUR TARANE d’Adamov. C’est le fameux Jacques Lassalle qui a fait la mise en scène, et je dois dire que sa lecture est juste, forte, efficace, honnête. Il est vrai que le spectacle se passe dans une petite salle rectangulaire. Les acteurs sont entourés par les spectateurs de quatre côtés. L’intimité du lieu facilite l’exploration intimiste chère à celui que nous avions découvert quand il disséquait Krotz.
L’étonnante lucidité d’Adamov, qui, en 1950 (je crois, par là, en tous cas), décrivait le processus de dépersonnalisation d’un homme, comment soudain il n’existe plus, est pris pour un autre, l’univers kafkaïen -mais disons plutôt stalinien- dans lequel il est plongé, a été remarquablement éclairée. Ce « rêve » onirique dont la réputation voulait qu’il fût confus, nous est livré sur un plateau de clarté logique et d’humour. Le personnage exhibitionniste, pédophile, professeur plagiaire, est-il la victime innocente d’un complot mystérieux ou n’est-il pas si blanc que cela ? Telle que Lassalle nous livre l’œuvre, l’ambiguïté pencherait plutôt vers la culpabilité. Mais il y a de la tendresse dans son verdict. On imaginerait bien Adamov venant faire un débat après la représentation, et l’ouvrant en souriant : « Il est drôle, n’est-ce pas, ce salopard ? »
L’atmosphère du « procès » a été très fidèlement exprimée par cette « lecture », qui illustre bien les derniers mots que prononce Taranne : « Puisque ça se voit, puisque ça saute aux yeux du premier coup ! » La duplicité de Lassalle et celle d’Adamov ne pouvaient que faire bon ménage. Elles se retrouvent dans cette réussite.

20.03.85 - BRECHT OPERA est à Brecht ce que BORIS SUPERVIAN est à Boris Vian, c’est-à-dire une mise en espace et en gestuelle des chansons de l’auteur. Le metteur en scène Yougoslave Zoran Tasic a fortement théâtralisé son propos et ce sont d’ailleurs des comédiens, Pierre Santini en tête, qui interprètent les songs célèbres, ce qui ne va pas parfois sans quelques approximations vocales.
Le spectacle nous transporte gentiment dans le rétro de la distanciation et nous fait regretter que Brecht n’ait pas, tout au long de son œuvre, collaboré avec Kurt Weill. Je maintiens qu’en se liant avec Paul Dessau et Hans Eisler, Caribde  puis Sylla, il s’est rendu l’abominable service d’aliéner SON œuvre à celle de deux  tâcherons de la musique, terriblement ancrés dans les modes de leurs temps.
Autre remarque : une des chansons est chantée en allemand et aussitôt éclatent une complicité, une harmonie entre les notes et les mots, dont ne rend aucunement compte la langue française. Pire, les marchands ont figé Brecht dans des traductions dont la médiocrité est incroyable. Ces « voisins »-là ont fait croire qu’ils promouvaient Brecht  par idéologie, mais les serviteurs en question n’oubliaient pas de se servir. Pour cinquante ans, guerres non comprises, ils émargeront au budget Brecht. J’y songeais en m’écorchant les oreilles à réentendre ces tournures de phrases lourdes malheureusement trop familières.

28.03.85 - On ne peut pas s’empêcher en voyant UN HOMME VÉRITABLEMENT SANS QUALITÉ, de réévoquer le spectacle de Philippe Adrien, REVES. Certes la démarche n’est pas la même : au THÉATRE DE LA TEMPETE, il s’agissait de mettre en scène ces rêves racontés par Kafka dans son JOURNAL.
Christian Fischer Naudin, mis en scène par Michèle Vénard, prétend se colleter avec l’œuvre, la prendre comme partenaire d’une bagarre qu’il anime à son gré. L’entreprise est intellectuelle. Elle a trouvé en Michel Cournot et Armelle Héliot des laudateurs enthousiastes, preuve à mes yeux une fois de plus que ces chroniqueurs paradoxaux  ne sont pas crédibles. Car ce qui ressort d’abord du spectacle que j’ai vu, c’est qu’il est gratuit, que le jeu de l’acteur est intégralement fabriqué, avec une gestuelle et une vocifération d’où toute sincérité est bannie. Cette représentation correspond exactement à tout ce que je déteste. C’est du complot à l’état pur.

30.03.85 - Il faut beaucoup d’audace, quand on est une jeune troupe, pour oser s’attaquer à ce difficile monument qu’est LULU de Wedekind. D’abord parce que c’est une œuvre sur laquelle les grands se sont cassés la gueule. Elle suppose des acteurs et surtout deux actrices exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas, au PANTAGRUÉLIQUE THÉATRE, des deux filles qui incarnent l’héroïne et son amante homosexuelle. Je ne peux pas citer les noms, à cause de cette manie qu’ont maintenant les programmes de ne pas publier les distributions. Dommage, car celle qui joue LULU, si elle n’a pas l’envergure du rôle, ne manque pas de qualités.
De toute manière, la mise en scène de Guy Delamotte oscille entre une direction d’acteurs qui par moments est réaliste. À d’autres, ils font des choses gratuites, vont et viennent sans raisons, se balancent. Cette agitation veut sans doute créer une distance que ne requérait point cet ouvrage largement ante brechtien.
Audace ? Présomption ? Il faut aussi, pour s’intéresser à LULU, n’avoir rien de plus contemporain à dire, car, aujourd’hui, il est bien évident qu’on n’écrirait plus de la même façon l’histoire de cette danseuse déchue que hante le sexe sous toutes ses formes, au point qu’elle prend plaisir à sa prostitution finale. L’œil de Wedekind est, évidemment, celui de la bourgeoisie de son temps, qui pouvait trouver scandaleuse une conduite qu’on jugerait actuellement tout autrement. Du reste, Lulu, comme Calamity Jane, n’est-elle pas un phare des féministes qui y voient une combattante de la première heure de leur cause ?
Il y a par instants dans cette représentation provinciale qu’accueille l’Atelier du Chaudron (rénové à l’image, ou presque, de L’ÉPÉE DE BOIS), des scènes qui accrochent. Et le dispositif d’Alain Chevalier, qui confond astucieusement la coulisse d’un théâtre lépreux et la rue, n’est pas inintéressant.
Reste que ce spectacle de cent cinquante minutes est interminable parce que « ça » ne passe pas, dans l’ensemble. Cette Lulu-là, en plus, manque gravement d’érotisme. (Mais je suis sûr que c’est voulu !).


31.03.85 - Elles, en tous cas, s’amusent bien. Même qu’elles piquent des fous rires qu’on leur pardonne parce qu’elles sont sympathiques, et que la petitesse du charmant Théâtre des Vinaigriers crée un effet de rapprochement propice à la complicité. Françoise Danell et Michèle Pages, femmes de ménage dans un théâtre, amoureuses, l’une surtout, de leur métier, parce que, n’est-ce pas, balayer un plateau, ça n’est pas donné à tout le monde, différencient fort bien leurs personnages, s’envoyant l’une à l’autre des répliques souvent drôles, se racontant des histoires (de théâtre) souvent amusantes.
Françoise Danell, la chef, a de l’autorité et de la moralité. Michèle Pages, la stagiaire, est amorale et un peu fainéante. C’est la chef qui prend les initiatives, y compris quand elle cite, ou invente, des tunnels du répertoire, ou d’un pseudo répertoire.
DEUX SOUS POUR TES PENSÉES est un aimable divertissement qui reste au niveau d’un bon café-théâtre, et auquel, bien sûr, les professionnels prennent (encore) plus de plaisir que les profanes. La pirouette moliéresque finale situe bien l’univers de l’entreprise. Qui est Albert Albert, le metteur en scène ?

03.04.85 - Le THÉATRE NU est composé de quatre personnes ; Philippe Minella, Abel Aboualitan et Sophie Mayer sont sur la scène. Ayrald Petit est aux percussions. Tous sont parfaits. Le percussionniste « percussionne » dans la meilleure tradition afro-cubaine. Les trois artistes visibles sur scène sont des gymnastes parfaits, infatigables et rigoureux, bourrés d’imagination gestuelle et, par instants, d’humour. Ils se produisent dans le cadre des Folies burlesques internationales. Je me demande si c’est leur place, car les cinq numéros qui composent leur programme me paraissent plus se rapprocher de l’univers de la danse que de celui des clowns.

04.04.85 - Le Théâtre d’Ostrelande, qui est implanté en Normandie à Hérouville-Saint-Clair près de Caen, a monté ARSENIC ET VIEILLES DENTELLES. Le programme est muet sur le nom de l’auteur de la pièce, dont Franck Capra fit en 1940 un film très drôle.
René Pareja, metteur en scène et « adaptateur », je dirai plutôt « tripoteur », est parti du principe que tout le monde ayant vu le film, il pouvait tranquillement transformer les deux bonnes vieilles loueuses de chambres, qui tuaient leurs pensionnaires par charité chrétienne, en jeunes femmes percluses de refoulements sexuels, et les hôtes desdites en cinglés super agités. Pourquoi  pas ? Sauf que le spectacle inflige aux spectateurs un paroxysme constant, qui finit par fatiguer d’autant plus qu’après tout, rien ne le justifie.
À l’autre bout du « complot » décrit pour L’HOMME SANS QUALITÉS, c’est de l’agitation sexuelle et verbale à l’état pur. Ici, le réalisateur cherche à faire rire. Il y parvient par instants. Au niveau de la scénographie, le décor, tout en portes qui claquent et s’ouvrent de façon inattendue, est amusant. (Sorano - Vincennes)

05.04.85 - Il faut vraiment se méfier des one-man-show. À elle seule, la démarche qui amène un artiste à s’exhiber tout seul au moins une heure durant, en débitant un texte de son cru, est tout un programme. Seule la très grande classe d’un Devos ou d’un Boujenah excuse le procédé nombriliste.
Claude Berne a peut-être un petit talent comme auteur. Son « étonnante histoire d’un reporter photographique des années trente qui partageait son temps entre l’amour du bain et l’amour de l’aventure », et qui se réveille, mort, assassiné, dans un no man’s land  intermédiaire entre sa vie passée, qu’il revoit, et sa prochaine vie, où il sera réincarné en puce, serait amusante peut-être, jouée par un autre. Mais l’acteur de ce DERNIER BAIN est nettement insuffisant, et en tous cas, il ne devrait pas chanter… (Épicerie - 18 h 30)

05.04.85 - 21 h. Ayant reçu, dans ses Cévennes natales, une éducation protestante, Gilbert Rouvière a eu envie de monter LE CONCILE D’AMOUR. Ce qui l’a séduit dans l’œuvre d’Oscar Panizza, c’est peut-être moins le contenu anti-catholique de la pièce que le cri de l’auteur mort fou en hôpital psychiatrique, dont la démence se fait jour à travers ce texte. Ce qui est sûr, c’est qu’il a su remarquablement « lire » ce pamphlet et qu’il en donne, avec son ZINC THÉATRE, une représentation très claire, à la fois honnête malgré quelques modernisations, après tout acceptables puisque les personnages sont immortels et de tous les temps, et hautement professionnelle ainsi qu’équilibrée, avec juste ce qu’il faut d’érotisme et de sacrilège. Le mot « sacrilège » s’impose toutefois ici, alors que dans la version que j’avais vue cet hiver à l’Université de Saint-Denis, j’aurais plutôt été tenté de parler d’irrévérence.
Avec André Lacombe dans le rôle de Dieu (une nouvelle fois, cet acteur éclate de façon spectaculaire), la justesse de ce créateur fatigué, épuisé, vieillard devenu immonde au milieu d’un paradis de bande dessinée que hante l’ennui, est parfaitement appréhendée. Joep Dorten en Jésus est sublime, plus qu’en pape. La scène chez les Borgia est d’ailleurs la faiblesse du spectacle, avec, mais il s’installera peut-être mieux dans le rôle avec le temps, Luc Antoine Diguero en diable, qui ne fait pas, et c’est dommage, tout à fait le poids.
Mais on passe sur ces légères insuffisances car l’ensemble du spectacle est emporté par un souffle épique. La dérisoire y contrarie avec évidence la tragédie. C’est une dialectique maîtrisée sans complaisance, mais sans goût du scatologique ou volonté de scandale. Seuls ceux qui recevront le message de Panizza au premier degré s’en offenseront. Mais les autres ne recevront pourtant pas un simple divertissement car, pour qui que ce soit, la farce est sans innocence : la syphilis n’est-elle pas la plus diabolique des maladies, qui se contracte à l’insu de la victime, au milieu du plaisir le plus vif, et qui fait dans le corps un chemin destructeur lent jusqu’au moment où l’homme, rongé, détruit, souvent devenu dément, se réfugiera dans la prière, offrant ainsi son âme au rédempteur. La fable est une vraie parabole. Dans cette version-là, je me suis surpris à m’y intéresser.
Les filles du spectacle sont superbes à regarder. Et le Zinc -Théâtre, que je suivais avec intérêt depuis quelques années, débouche ici sur une vraie réussite… Puisqu’il n’existe pas de grand spectacle sans quelques passages à vide.

Publié dans histoire-du-theatre

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