Du 29 février au 27 avril 2004

Publié le par André Gintzburger

QUELQUES DÉPLACEMENTS :
LE PREMIER A VENISE avec le GRAND MAGIC CIRCUS

29.02.84 - Jérôme Savary ayant décidé de créer BYE-BYE-SHOW-BIZZ au Théâtre Goldoni de Venise, l’aventure a commencé, dimanche 26 au soir, par le transbordement du matériel des camions aux péniches et des péniches aux chariots poussés manuellement, enfin, desdits chariots au plateau par l’intermédiaire d’un treuil, le tout sous la pluie. L’ensemble a pris huit bonnes heures, au terme desquelles le Directeur du NTPM, Michel Hauvy, a décrété que le travail proprement dit ne commencerait que le lundi matin, fatale décision qui a d’entrée de jeu gâché l’atmosphère, car le théâtre, à la demande de Savary, avait affrété son personnel pour bosser toute la nuit. Malheureusement, ledit Jérôme n’était pas là. Saisi à la fin de la dernière semaine du besoin impérieux de revoir ses enfants à Caves, il n’est arrivé que le lendemain pour ordonner une répétition, alors que la technique n’avait pas encore fini d’équiper. Notamment au niveau électrique. Obligé de glander, le génial éclairagiste Poisson avait mis à profit l’attente imposée pour essayer les whiskys des bistrots du quartier, si bien qu’après avoir insulté le directeur italien du théâtre, il s’est effondré ivre mort, laissant en plan la mise au point de son super système d’éclairages automatiques. Pire : sans crier gare, le génial concepteur des lumières s’est tiré le lundi par l’avion de treize heures cinquante-cinq, laissant en plan les éclairages qu’il devait réaliser. Ou plutôt, les abandonnant au point zéro, sans avoir même entrepris de les commencer. Naturellement, la « générale » du mardi soir a été annulée, ce qui n’a pas arrangé les rapports entre le Teatro Goldoni et le Magic Circus qui en avaient pris un rude coup quand Savary, piquant une de ses colères insultantes, s’en était pris à Carignano et à Marella de Liberis sur les coups de quatre heures du matin, dans la nuit du lundi au mardi. Il est vrai que la « générale » en question était sans doute un piège car, à mon avis, ce ne sont pas « quelques amis », comme annoncé, qui devaient y assister, mais bien le « Tout Venise » à la langue de vipère. Quoi qu’il en soit, la venue de la RAI à seize heures le mardi a encore ralenti le travail, car, au lieu de répéter comme prévu la deuxième partie, Savary a passé trois heures à lécher un superbe tableau pour la télévision. Pourtant, le gigantesque matériel apporté s’était peu à peu agencé grâce à quelques bonnes, et même excellentes volontés, et malgré son souci de démontrer que la dispositif ne pouvait pas s’installer en un jour, Michel Hauvy avait dû, en dépit de ses freinages, constater que, même au premier montage, il y était fort bien parvenu.
Et le spectacle, me direz-vous ? Eh bien, jusqu’à mardi soir, mû par la volonté d’aller me coucher vers une heure du matin, je n’en ai vu que l’éternel même début. La nuit du mardi au mercredi a été longue. Elle s’est achevée à sept heures trente du matin, mais l’ensemble du spectacle, décors, costumes, a été survolé, les musiciens, danseurs, acteurs, se sont harmonisés, et Savary a arrêté autant de fois qu’il le fallait pour faire des lumières avec le jeune assistant de Poisson et l’un des chauffeurs de camion, décidément doué pour tout. Au matin du mercredi, il reste du souvenir de cette nuit qu’il y a une probabilité de représentation effective ce soir. De nombreux cadavres de bouteilles et des mégots jonchent le sol de la salle. Lebois fignole ses bricoles. Pourtant, il y a encore un incident de parcours l’après-midi, quand Savary s’aperçoit qu’aucun des effets de lumières réalisés la nuit dernière n’a été noté. Découragé, il en pleure presque. Il est sûr que cet homme-là n’est pas suivi comme il devrait. Ses coups de gueule blessent, mais ne remplacent pas une réelle autorité.
Dans dix représentations, BYE-BYE-SHOW-BIZZ sera un très grand spectacle du Grand Magic Circus, et pourtant nous serons loin du compte si nous prenons comme référence LES MÉLODIES DU MALHEUR. Certes, le spectacle parle du chômage des artistes, et donc, quelque part, du chômage tout court, placé dans le contexte contradictoire d’une agence pour l’emploi déshumanisée et cependant accueillante. Mais le discours, même s’il est teinté de mélancolie, ne vole pas très haut. C’est de la littérature pathétique pour midinettes, et les six histoires racontées, revécues, sont, il faut bien le dire, d’une banalité que ne dépasse aucune transposition par démesure ou vraie poésie. Notamment le texte de liaison que Savary s’est écrit pour lui-même, et qui est beaucoup trop explicatif tout en restant excessivement superficiel, manque absolument d’ingéniosité. Savary le transformera-t-il en improvisant dans quelques représentations ? Il faut l’espérer, car sa façon de réciter des phrases apprises n’est pas digne du merveilleux meneur de jeu que nous connaissons.
Mélancolique, nostalgique, pathétique même si c’est à la manière de NOUS DEUX ou d’ICI PARIS, le spectacle n’est pas très drôle. On y rit assez peu, et même, à mon avis, on s’y ennuie un brin en deuxième partie quand Mona, d’une voix trop faible (à quoi sert son micro-cravate à ce moment-là ?) raconte qu’issue d’une petite troupe d’avant-garde, elle a voulu triompher à Broadway. Elle rame visiblement avant d’arriver à la chanson qui couronne la scène et qui, elle, est très belle.
Toute la musique du spectacle est d’ailleurs réussie. Et puis, ne gâchons pas notre plaisir, on y retrouve des moments de grand Savary. Par flashs, des trouvailles viennent nous secouer. L’histoire de Maxime, qui s’est fait flic parce qu’il voulait être « mime utile », est savoureuse. (Maxime Lombard est remarquable dans tout le spectacle). Savary en magicien Astor est très crédible et il réussit même deux vrais numéros excellents. Pris comme une revue, avec une liaison lâche entre les scènes, BYE-BYE-SHOW-BIZ est plaisant à voir et à entendre, encore que le genre, popularisé par la TV, exige des moyens visuels que le Magic Circus n’a pas pu s’offrir, malgré une accumulation de matériel extrême.
L’ensemble, avec ses éclairages carrément ratés, ne fait pas riche. Le dispositif, à mon avis, fait même très décentralisation. Comment peut-on, aujourd’hui, se contenter pour cerner le cadre de scène, de loupiottes fixes ? Bien sûr, le côté rétro de l’entreprise éclate à de tels détails. Le rôle de Pépé que s’est octroyé Savary souligne cet aspect tourné vers le passé. Astor, le magicien à la retraite, a beau se battre les flancs pour clamer que le show-business ne mourra jamais, son exploration n’en est pas moins pessimiste. Le titre du spectacle signifie certainement quelque chose qui n’est pas innocent.
Bon… Vous allez croire que c’est un mauvais spectacle, à lire ce compte-rendu fait sur un spectacle pas encore au point. NON. Ce n’est pas un mauvais spectacle et on y prend, pas moments, un vif plaisir. Par moments seulement ! Savary nous a rendus difficiles. Il ne s’est pas surpassé ! Ne vous y trompez quand même pas : BYE-BYE-SHOW-BIZ sera un succès.

TOUJOURS LE GRAND MAGIC CRCUS AILLEURS :

08.03.84 - J’ai revu BYE-BYE-SHOW-BIZ à Luxembourg et à Eindhoven.
Savary a coupé pas mal de choses. Pas assez à mon gré. Moi, il me semble que je sucrerais carrément le sketch de la Blanche mariée à un acteur shakespearien, et qui se prend pour une Négresse. Le début est beaucoup trop long et causant. La mise en jeu de l’entreprise n’a pas du tout besoin de ce laborieux exposé. Il y a des redites : la scène du souffleur, excellente en soi, double celle où l’acteur de la Comédie Française lit son texte avec une lampe de poche dans son bouclier.
On ne voit pas le fond de teint d’Othello souiller la chemise de Desdémone. Mona en cul de jatte est trop visiblement à genoux, et le coup de théâtre est mal amené. La démesure chère à Savary est devenue timide et ce ne sont pas quelques audaces de langage qui l’apportent. Elles font seulement vulgaires. Dans la deuxième partie, le numéro de Savary lui-même en prestidigitateur est devenu parfait. La chanson de Mona -« Je veux triompher à Broadway »- est trop jouée dans la sophistication, compte tenu de son contenu pathétique. J’aime bien le numéro de la chanteuse rock « découverte » par un impresario du genre Johnny Starck. L’histoire de la danseuse Cari, à qui le « grand » Maurice a préféré « la perle qui rate tout et est complètement dada », est charmante et cruelle, mais interminable. Encore trop d’explications. L’auteur Savary est trop disert en paroles.
Et puis, je maintiens que le décor n’est pas beau. La boîte « petit théâtre » où se jouent les scènes, m’a rappelé la C.D.O. du temps de Goubert et Parigot. L’espace A.N.P.E. est mal signifié. Le journal lumineux n’est pas utilisé au vingtième de ses possibilités, notamment à l’étranger.
Bref cela fait beaucoup, car j’en oublie, d’insatisfactions. Trop. Le succès que j’annonçais à Venise, passe, à mon avis, par une remise en chantier, même au niveau de la conception. Le GRAND MAGIC CIRCUS ne peut pas satisfaire avec des sucreries là où naguère il donnait de la mélasse. Or c’est bien là que le bât me blesse : BYE-BYE-SHOW-BIZ, c’est du G.M.C. amorti !

Tout ceci correspond à la période où Savary, entré dans l’institution, dirigeait le centre dramatique national de Montpellier baptisé NTPM. Le trublion qui avait naguère clamé qu’il ne voulait aucune subvention pour conserver sa liberté, avait cédé à l’offre qui lui avait été faite pour des nécessités économiques. N’était il pas menacéde faillite ?

15.03.84 - Je vois moins de spectacles depuis quelques temps. Il y en a trop qui sollicitent d’être vus, et trop qui ne me font pas envie.
Pourquoi Dominique Maurin a-t-il écrit et joué L’HOMME JOB ? Ce personnage, qui est à mes yeux un des plus contestables de l’Ancien Testament, un de ceux qui illustrent le mieux ce que je reproche à la religion, c’est-à-dire l’humiliation permanente, l’asservissement imposé aux hommes par un Dieu ivre de sa toute-puissance, est certes pris ici à contre-pied, et son « combat » aboutit à l’adresse finale : « Tu n’existes pas ! », qui pourrait me satisfaire si ne me semblait inutile, trop long et chiant le cheminement méandreux qui y conduit.
De plus l’acteur, qui joue sur la mort de son frère Patrick Dewaere en s’étalant longuement sur le thème du trépas, ne m’a pas paru très à l’aise devant le public très clairsemé qui le regardait, à la Resserre, essayer de faire rire à l’aide d’un thème qui laisse indifférent.
Pourtant le début était prometteur avec, pendant vingt minutes, une savoureuse invocation au langage parodique inventé, à consonance arabe hébraïque. Hélas, dès qu’il parle en vrai, ça se gâche.

16 et 17.03.84 - (dates fausses : j’ai vu les spectacles il y a quelques jours).
Le principe du THÉATRE DE L’OPPRIMÉ est le suivant : la troupe joue une pièce à l’intérieur de laquelle il y a un personnage qui est, quelque part, « opprimé » par les autres.
Dans « HISTOIRE D’UNE QUI CROYAIT ÉPOUSER LA MONTAGNE », celle qu’on empêche de vivre à sa guise est une fille qui rêvait de se faire guide de haute montagne, et contre qui fiancé et famille s’unissent parce que « ce n’est pas un métier de femme ».
« LE RADEAU » est une fable exemplaire, très brechtienne, dont la moralité appliquée est que le capitaliste ne fait avec ses collaborateurs ouvriers, ou autres, QUE les bouts de chemin qui LUI sont utiles. Celui qui est opprimé est un complice du patron : il croit de son intérêt de le servir même contre ses camarades et il sera largué à son tour, une fois la besogne faite.
Les anecdotes sont claires, exprimées en termes simples, elles visent à être comprises par tous. Nous ne sommes pas en présence d’une distribution d’opium au peuple. Et pourtant !...
Chaque piécette dure une heure environ, et puis il y a un entracte, et puis on fait faire au public un petit jeu de mise en entraînement de ces exercices, du type « MYSTERIES AND SMALLER PIECES » comme on les pratique dans les stages d’anti-timidité. Et puis les acteurs rejouent trois moments forts de la pièce, et là, il est suggéré à des spectateurs d’intervenir à la place de l’Opprimé -mais peut-être trouveront-ils que l’Opprimé n’est pas celui qu’on pense-, non pas par une prise de parole, mais par une intervention, en jouant à la place de l’acteur incarnant le personnage à modifier.
Cette « improvisation » est amusante mais elle suppose deux choses : 1 / que l’intervenant ait quelque chose d’intéressant à dire, et 2 / qu’il sache l’exprimer en action, ce qui suppose des qualités d’acteur et d’invention, et une faculté d’élocution exceptionnelles. Le résultat, en tout cas dans ce que j’ai vu, est qu’après avoir soulevé, ce qui est un mérite, des grands problèmes contemporains, on en noie le débat dans la « saltimbanquerie » !
Personnellement, face aux problème posés, et volontairement, je pense, posés dans les termes aliénés où nos médias nous les assènent, j’aurais eu des choses à dire, et notamment justement que le problème de la libération de la femme, comme celui du chômeur, sont insolubles à l’intérieur du type de société que nous a légués le judéo-christianisme, avec son fameux et déplorable « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ! », mais je n’aurais jamais osé me lancer à jouer ces abstractions. L’entreprise est patronnée par la C.F.D.T et, justement, elle me paraissait faire éclater la non-politisation, je veux dire le manque de réflexion politique de ce syndicat. Mais comment JOUER cette impression ? Comme les intervenants, même s’ils ont de l’abattage, ET DES CERTITUDES SANS NUANCES, n’ont pas plus de génie que moi, on reste à une bonne soirée divertissante d’où certains sortent  un peu défoulés mais, à mon avis, sans aucune prise de conscience des voies à suivre en sortant du chapiteau.
 De même, quelque part, que Julian Beck faisait du « théâtre dans la Rue » et n’y prenait pas le « Pouvoir », Augusto Boal ne fait sous son chapiteau que du « théâtre ». Il est vrai que ce « théâtre »-là laisse à ce qui le veulent la possibilité, au-delà du jeu pur, de réfléchir chez eux. Il a le mérite de faire surgir sur scène des thèmes généralement « oubliés ».

De nouveau en voyage :

19.03.84 - À Genève, à la Comédie, j’ai assisté à la couturière d’une pièce de Flaubert montée par Benno Besson : LE SEXE FAIBLE. C’est la première fois, absolument, que cette œuvre, écrite en 1873, est jouée.
Cette pièce « corrosive », écrit le programme, dépeignait « avec une férocité qui n’était pas de mise à l’époque, les mœurs de la bonne société et les rapports de force qui existaient entre les hommes et les femmes ». Disons-le clairement : ici ce sont les femmes qui tirent toutes les ficelles, y compris politiques. Les hommes sont tous des « opprimés », surtout le plus brave, le plus honnête d’entre eux, le jeune Paul Duvernier. La pièce est sans complaisance. Elle n’annonce ni Labiche, ni Feydeau, mais Bernstein. La classe dominante, menée par les femmes, n’y a comme partenaire social que des domestiques avides, sans scrupules et sans moralité. La « morale » d’ailleurs n’est que code de conventions bourgeoises. Ce qui est décent ou non n’a rien à voir avec le bien et le mal, mais avec ce qui peut ou ne doit pas être public à l’intérieur du petit monde qui gravite autour des arcanes de la « République ». Une IIIe République toute fraîche, qui semble ne s’être pas bien dégagée des turpitudes du IIe Empire !!! La particule y tient d’ailleurs une place de choix.
Benno Besson a navigué à l’aise dans ces méandres nauséabonds de bon ton. Il a appliqué les recettes qu’il avait éprouvées à la Volksbühne de Berlin-Est. Sans aller jusqu’au tic, chaque personnage est typé jusqu’à la presque caricature, par un maquillage appuyé et par un costume aux couleurs crues qui se détache sans flou sur des toiles peintes encore plus crues. Les bleus, les verts, les roses d’Ezio Toffulutti sont plus chromas que nature. En permanence, deux accessoires trônent au premier plan : une statuette de petit Nègre d’un côté sert de cendrier, une Annamite, de l’autre, fait office de crachoir.
Je ne sais pas si, dans l’esprit de Flaubert, la comédie devait être désopilante. On ne rit pas beaucoup, mais on ne s’ennuie pas et même les scènes moliéresques du quatrième acte, où la domestique parvenue se fait, avec ridicule, donner des leçons de diction et de maintien, gênent un peu parce qu’elles sont faciles. Les effets, dans cette comédie dramatique cruelle parce que le seul personnage de bonne volonté y est la victime, proviennent de la mise en scène.
Benno Besson sait jusqu’où la caricature peut aller pour que les caractères aient l’air vrais. C’est fort. Un gag par-ci par-là montre qu’il a le sens du comique. Mais, même quand il ressort d’un geste insolite, voire incongru, ce comique n’est jamais gratuit.
Bref, cette exhumation fait un peu mentir l’adage selon lequel il y a toujours une raison pour qu’une pièce non jouée ne l’ait pas été. Mais le talent du metteur en scène, le rythme qu’il a su inculquer -Dieu sait si c’est difficile- aux comédiens suisses choisis tous avec discernement, ne sont certainement pas étrangers à cette réussite.

23.03.84 - Voir LA PERLE DE LA CANEBIÈRE après LE SEXE FAIBLE est redoutable. D’abord parce que Labiche n’est pas Flaubert : les personnages n’y ont pas de consistance et la caricature n’est faite que de gros traits. Ensuite parce que Pierre Ascaride n’est pas Besson. Il se laisse entraîner dans le vaudeville dans une vocifération sans mesure, dans une machine emballée qu’il ne sait apparemment pas contenir. 
Pourtant, son « parti » de départ était amusant : une troupe de tournée minable a à son répertoire le vaudeville de Labiche. Mais la principale interprète, qui joue le rôle d’une riche Marseillaise venue semer la zizanie dans une famille bourgeoise, s’est fait enlever la veille par un sous-préfet. Le Directeur de la troupe, pour sauver la recette, jouera lui-même « La Perle de la Canebière » pour sauver la recette.
Bien : nous allons donc assister à du théâtre dans le théâtre. Quelque chose va surprendre les partenaires du patron dévoué ! Vont-ils pouffer, être saisis de fou rire, lui tendre des crocs-en-jambe ou, au contraire, l’aider dans son entreprise ? Lui-même, va-t-il avoir des trous, signifier quelque chose par un décalage ? Point ! Rien ! Le prologue annonce un type de représentation qui ne se produit pas. Le salvateur de recette incarne le personnage en travesti. Il y paraît complètement à l’aise. Il n’étonne personne. Chacun joue la pièce comme si de rien n’était ! Et de quelle manière : on sait que je ne suis pas un fana des « lectures signifiantes ». Mais celle-ci n’est que bruit, agitation, hurlements souvent mal intelligibles, caricatures grotesques. Autour d’une intrigue mal ficelée, bâclée, simpliste.
Là, pour le coup, on a envie de dire qu’il y a toujours une raison pour qu’une œuvre oubliée le soit ! L’exhumation de LA PERLE DE LA CANEBIÈRE ne se justifiait, à mes yeux, guère. En tous cas pas à ce premier degré de jeu que n’annonçait pas le prologue, au demeurant laborieux lui-même, quoiqu’il donne une idée assez juste d’un certain type de tournée des années cinquante.
Mais au fait, pourquoi Ascaride n’a-t-il pas complété la soirée par un épilogue. Ca aurait pu être drôle de voir, après le spectacle, les comédiens et leurs chefs commenter leurs prestations !
Il paraît que cette PERLE DE LA CANEBIÈRE est un triomphe. À Choisy, nous étions une trentaine dans la salle, mais c’était, m’affirme-t-on, comble à Sartrouville et ce le sera à Malakoff. Bien. Tant mieux pour les CAC producteurs associés. Tant pis si leurs publics en 1984 se contentent de productions aussi ringardes !

24.03.84 - Il est toujours difficile de porter à la scène un roman, surtout quand il s’agit d’un roman-fleuve aux multiples rebondissements, avec des trajectoires épiques entraînant les personnages dans des méandres parfois tortueux.
Dans LA LÉGENDE DES MILLE TAUREAUX, le poète turc Yacher Kemal raconte l’odyssée d’un clan de nomades turkmènes confronté à l’hostilité des sédentaires qui leur refusent le droit de séjourner, l’hiver, sur leurs terres, et l’été, sur les pâturages dont ils sont propriétaires. Ce combat est aggravé par la vie moderne, qui ne laisse plus aux errants d’espaces libres. Farouchement attachés à des traditions dont ils s’enorgueillissent, ne comprenant rien à l’évolution du monde, perdus en face de la « civilisation » occidentalisée, gardiens jaloux de leur identité, ces survivants d’un autre âge sont condamnés à disparaître par la mort, ou en tous cas, par la dispersion.
L’analogie avec le peuple juif est frappante, d’autant plus que cette tribu-là a elle aussi commis sa faute originelle, les égoïsmes individuels ayant, à un moment où il ne l’aurait pas fallu, supplanté le sens de la collectivité : le petit Kerem a souhaité avoir un faucon à lui, Djérène a désiré que son amant parti au loin revienne, chacun a exprimé un vœu personnel à l’heure où le chef avait supplié qu’on présente aux étoiles divinisées, qui veillent sur le clan, une requête commune.
Ainsi les victimes sont-elles quelque part coupables. D’un point de vue religieux, elles expient leur péché. Je n’aime pas trop cet aspect-là qui, à mes yeux, justifie de façon regrettable le rejet dont les nomades sont l’objet. Comme si, à l’entrée de nos villages français dont les romanichels connaissent bien l’hostilité, des pancartes annonçaient : « Interdit aux nomades PARCE QU’ILS ONT PÉCHÉ ». Cet aspect a-t-il été mis en gros plan par l’adaptation de Gérard Gelas ? Il faudrait, pour répondre, que je relise l’œuvre originale. Mais il est sûr que, telle qu’elle nous est contée par la Compagnie du Chêne Noir, l’aventure de ces hommes et des ces femmes perpétuellement et partout interdits de séjour, n’apparaît pas comme un injustice inadmissible, mais comme le prix à payer pour une faute envers le ciel. J’aurais préféré que l’éclairage soit davantage mis sur des motifs de heurts entre des modes de vie, plus terrestres : la fatalité qui s’acharne sur ces êtres semble avoir ici la forme d’une DESTINÉE, sans que, pour autant, leur obscurantisme soit dénoncé ou condamné. Gelas adaptant Kemal le donne comme un postulat : tant pis pour les égoïstes. Ils ont encouru le courroux du ciel. Tant pis pour eux ! Certes, me direz-vous, il y a dans cette aventure une moralité valable, et qui est que l’intérêt général doit en toutes circonstances être placé par les peuples, AVANT le goût qu’a chacun de réaliser sa propre fortune. Oui ! Mais Brecht aurait-il tiré la leçon en la soumettant ainsi, SANS critique à un arrêt divin ? N’aurait-il pas glissé une pointe contre ses Dieux obtus, qui exécutent à la lettre  les commandes que leur font leurs fidèles au détriment de l’intérêt général -celui-ci, d’ailleurs, devrait-il être « oublié » au nom de l’erreur de quelques uns- ?
Que dire au surplus de cette philosophie, qui anéantit une collectivité parce que quelques-uns l’ont trompée ? Et ces Dieux impitoyables qui, si volontiers, se prêtent à la machination ? Telle qu’elle est, l’adaptation privilégie évidemment les défenseurs des traditions. Le vieux maître Heydar qui forge la magnifique épée qu’il offrira au sultan en échange -il en est sûr- des terres convoitées, a toute la sympathie du réalisateur. Comme le sage Suleyman, chef du clan, qui porte sur ses épaules la responsabilité du groupe, et qui s’assoit toujours, en tailleur bien sûr, pour palabrer ? Gelas est fasciné par ces vieillards qui parlent au nom des siècles, pendant lesquels leurs ancêtres ont accumulé des VALEURS dont ils sont DÉPOSITAIRES.
Je l’avais déjà subodoré mais je le sens de plus en plus, spectacle après spectacle, CONSERVATEUR ! (faites-moi la grâce de ne pas appliquer à ce mot un sens politique ordinaire : Gelas ne désire évidemment pas « conserver » dans notre pays le capitalisme sauvage, ou même revenir à la hiérarchie féodale ! Ce qu’il ressent est plus profond, plus intime, a à voir avec les racines, et aussi avec la magie du monde surnaturel, telle qu’elle est léguée de bouche à oreille, de père en fils, de MÉMOIRE EN MÉMOIRE !). Finalement, SA « LÉGENDE DES MILLE TAUREAUX », c’est le combat entre les ANCIENS (qui jouissent de toute sa sympathie même quand ils agissent mal) et les MODERNES (qui sont presque caricaturés, tant aucun d’eux  ne rachète l’autre) : avides, cupides, cruels, sans pitié, foncièrement mauvais, les villageois et paysans ne sont pas montrés comme ayant peur des nomades, lesquels d’ailleurs sont d’une vertu irrécusable ! Ils veulent les pressurer à merci et aussi, -c’est dit trop fugitivement, mais enfin ce l’est- les empêcher d’abîmer leurs terrains et que les troupeaux détruisent leurs semences.
Le spectacle est composé d’une série d’aventures qui toutes aboutissent à la nécessité pour le clan de déménager. Toujours au milieu des intempéries. Toujours dramatiquement, à la hâte. Le répétitif finit par être un peu longuet, d’autant plus que les trois trajectoires individuelles mises en gros plan, celle de Djérène, la femme fidèle, celle de Kerem, l’enfant qui rêvait d’un faucon, et celle de Maître Haydar, le forgeron, ne sont pas très adroitement conduites.
Gelas a voulu être fidèle au roman et en même temps être assez bref. Le résultat illustre ce que je pensais en entreprenant cette réflexion : adapter un roman au théâtre oblige à naviguer entre deux flux, celui de la chose écrite, qui peut s’étaler, s’enfoncer dans des fjords, musarder, et celui de la chose jouée, qui suppose rythme, équilibre, ruptures. Les trois anecdotes citées m’ont paru un peu réduites à l’ossature, tandis qu’au contraire l’épopée du clan m’a semblée trop immuablement, constamment semblable à elle-même, donc monotone. Cela dit, l’imagination de Gelas -metteur en scène- éclate à plusieurs reprises : il a le sens du visuel, il a des idées spectaculaires et, il faut bien le dire une fois encore, le cadre de la chapelle dont il a fait son lieu aide.
Je ne sais pas si cette réalisation trouverait grâce auprès de nos critiques parisiens. Josyane Horville, qui assistait à la même représentation que moi, affirmait catégoriquement que non, et elle a peut-être raison. Pourtant, je pense que, si le spectacle arrivait de la Schaubühne en allemand, certains crieraient au génie. Il n’est pas à la mode « mesguichienne », c’est sûr. Il colle trop honnêtement aux anecdotes de l’auteur avec le souci de les servir efficacement, pas toujours adroitement, on l’a vu, mais loyalement. La troupe n’est pas mauvaise, quoiqu’un peu ringarde. La petite naine Mireille Mossé, seule survivante de l’ancien CHENE NOIR, me gêne un peu dans le rôle du petit garçon, avec son visage devenu fripé. Mais elle joue bien, c’est sûr. Je me demande bien pourquoi Gelas a introduit dans sa distribution Jean-Guy Bireta, dont la négritude détonne au milieu de ce clan plutôt tatar ! Mathieu François et Pierre Marie Van Die Voet sont, grâce sans doute à leurs barbes postiches mais vénérables, copiées sur celle, authentique, du brave barde Ali Dédé Altintas que l’on retrouve avec plaisir, transfuge de chez Mehmet, plausibles en gardiens des traditions.

26.03.84 - Lorsque Dussarat, Jean-Paul Muel et Alain Marcel avaient produit leur « PEDALOS », rien que par le titre ils collaient à leur créneau de  pédés folles tordues bien parisiennes. De surcroît, la pochade était créée dans un café-théâtre. Les trois lascars estimés, grâce pour deux d’entre eux au Magic Circus, honoraient le petit lieu, lui donnaient de la plus-value, mais ils se présentaient modestement.
Personnellement, je n’avais pas raffolé de cette exhibition que n’épargnait pas la vulgarité, et j’ai bien plus aimé la nouvelle réalisation du groupe, RAYON FEMMES FORTES, mais encore une fois, le vieux con que je suis sans doute, passe à côté du verdict des médias parisiennes. Ces pédés se mêlent de raconter « la femme », de la naissance à la maison de retraite. Leur « lecture » ne va pas, bien sûr, sans misogynie, mais pas non plus sans lucidité. Il y a beaucoup de clairvoyance dans le regard qu’ils jettent sur cette moitié de l’humanité, qu’ils ont choisi de ne pas fréquenter bibliquement dans la vie. Ils auraient pu effectuer cette exploration méchamment, en travestis, et je gage qu’alors ils auraient enchanté leurs laudateurs par affinités. Hélas, ils ont commis l’erreur de s’adjoindre trois actrices et de jouer, eux, comme des hommes (enfin, la plupart du temps : lorsqu’ils incarnent nos compagnes, c’est sans ambiguïtés, pour faire ressortir tels traits caricaturaux, mais comme une Elvire Popesco ou une Marguerite Moreno auraient pu le faire). Ca a déçu les gays ! Les homosexuelles féminines n’ont pas reconnu leurs frères dans ce survol, qui n’épargne ni le mariage, ni la maternité et qui surtout ne revendique rien.
Le ver était dans la conception du projet. Paris nous l’a souvent appris     -et j’en fais moi-même, dans un autre domaine, l’expérience-, il classe les gens une fois pour toutes. Chacun doit, À L’INTÉRIEUR de son contexte imparti, se renouveler à chaque nouvelle création, étonner, surprendre, MAIS MALHEUR À QUI SORT DE CE CONTEXTE. Dommage, car spectaculairement parlant, RAYON FEMMES FORTES aurait dû être une réussite. C’est d’un haut professionnalisme. Les costumes (de Dussarat, bien sûr), sont superbes (il y en a pour du pognon !), la musique d’Alain Marcel est amusante et la performance des changements ultrarapides, auxquels se soumettent les artistes, est d’une virtuosité qui, à elle seule, aurait mérité le crédit. Reste quand même que cette « revue » reste au niveau du café-théâtre. Les critiques conviés au Petit Théâtre de Paris -ex-théâtre moderne, pourquoi l’avoir rebaptisé ?- ont peut-être eu tendance dans ce cadre à le minimiser.

01.04.84 - Le Centre Dramatique de La Courneuve a monté pour les enfants un digest en quarante-cinq minutes du CHATEAU DES CARPATHES, de Jules Verne.
Les sympathiques comédiens ont fait ça en « création collective » et, au premier degré, ça n’est pas mal. Le suspense est bien ménagé, et la leçon -le loup garou vampire assassin était tout simplement le fruit de l’utilisation de l’électricité-, est tirée avec le minimum nécessaire (mais sans appuyer) de didactisme. Reste que ce n’est pas avec cette modeste production, que nos amis vont redécoller…

13.04.84 - Après un séjour à LA ROCHELLE en compagnie de BYE-BYE-SHOW-BIZ qui a trouvé maintenant sa vitesse de croisière, ma « rentrée » est pour Hector Malamud, « acteur, mime, clown », qui ouvre aux AMANDIERS DE PARIS un cycle intitulé « FOLIES BURLESQUES INTERNATIONALES », avec un one-man-show intitulé  avec ambiguïté : PEOPLE LOVE ME (prière ou affirmation ? L’anglais permet de douter !).
Comme Stewy, l’Argentin apparaît d’abord dans la salle avec un panier de confiseries. Mais il ne va pas jusqu’au bout, LUI, il n’en vend pas, n’en donne pas. D’entrée de jeu, sa volonté de communication n’est pas naturelle. En vérité, tout au long de la soirée, l’artiste m’a paru se battre les flancs pour faire des choses, tout le temps, souvent gratuites, parfois réminiscentes, mais il lui manque LA PRÉSENCE. J’avais dans la tête en le regardant la phrase célèbre de Jean Richard : « On a beau se lancer des confettis à la gueule, ça égaie pas ! ». Est-il possible de communiquer avec les autres quand on est complètement tourné vers la contemplation de soi ? La scène, d’ailleurs applaudie, où le vieil ouvreur se regarde, jeune et souriant sur l’écran -un peu comme Grugru le faisait- donne sans doute une clef à cet échec. Car c’en est un. J’ai même trouvé pathétiquement pénible cette exhibition.

15.04.84 - Si la variation sur le thème de MACBETH, que nous annonce le THÉATRE ÉCARLATE, est aussi réussie que le ROMÉO ET JULIETTE de la CLOWN KOMPANIE, Gilles Zaepffel aura conquis, après LA BRASSE À L’ENVERS, ses bâtons de lieutenant.
 Le spectacle que propose Henri Thébaudeau  n’est  pas d’une mise en pièce, mais plutôt d’une traduction de l’œuvre shakespearienne en langage clownesque. Peu de mots, le plus souvent dits en anglais ou en italien, comme pour souligner qu’ils n’ont guère d’importance. Surtout des gestes, des mimiques, de la virtuosité, de l’acrobatie gentille (mais mûre tout de même), et une volonté de transformer le tragique en comique qui, quelque part, rend dérisoire l’anecdote, la réduit -sacrilège, diront peut-être certains- à une ossature vaudevillesque. Le drame élisabéthain ne contenait-il pas les règles du mélodrame en germe ?
Évidemment, il n’y a pas dans ce jeu à chercher de message ou de contenu. Henri Thébeaudeau est fidèle à l’anecdote. Ainsi son spectacle a-t-il une continuité. Les spectateurs sont tranquillement guidés par leurs souvenirs, à moins que, vierges comme les petits-enfants qui accompagnent leurs parents, ils n’inventent l’amour contrarié des deux enfants de Vérone à travers cette version-là. Version assez paillarde, il faut le dire. Juliette (Dominique Lannes) va directement à l’appétit sexuel. La truculence de la nourrice et de Frère Laurent est, bien sûr, aidée par l’univers utilisé.
L’évolution de Henri se distingue de celle des MACLOMA, en ce sens que sa fantaisie paraît plus libre. La représentation est moins rigoureusement « professionnelle », mais elle gagne en bonhomie ce qu’elle perd en exactitude. Je ne suis pas sûr qu’il n’y ait pas, ici, une petite part laissée à l’improvisation. Cela dit, c’est peut-être le chapiteau, le vent qui le soulevait, le soleil qui perçait par les trous, qui créaient cette impression de moindre propreté. Ce qui est sûr, c’est que les quatre musiciens qui exécutent la musique « moderne » (dans le genre chiant) d’Alexandre Desplats, ne sont pas terribles.
Mais, niveau clowns,  le couple de la CLOWN KOMPANIE a su très bien s’entourer, notamment par Marie Vincent, qui est très efficace en nourrice.

24.04.84 - Si Sylvie Chenus considère son « QUERELLES INTESTINES » comme une incursion expérimentale (et momentanée) dans l’univers du ONE-WOMAN-SHOW, je dis « OK ! ». Dans le cadre de ce genre, l’artiste n’échappe pas au piège de l’exhibitionniste. Lâché seul sur la scène, ne pouvant attendre aucun secours de qui que ce soit, il lui faut impérativement meubler tout le temps et accumuler les morceaux de bravoure, au risque de les asséner gratuitement aux spectateurs. Ceux-ci en sont réduits à « admirer » les performances sportives, beaucoup plus qu’à entrer dans une entreprise théâtrale. C’est ce jeu à l’état pur qui m’avait gêné dans le PEOPLE LOVE ME d’Hector Malamud, qui ouvrait, à la Maison des Amandiers, le cycle « burlesque » auquel participe cette semaine la transfuge du 4 L 12. Disons-le clairement : le spectacle de Sylvie Chenus est beaucoup plus intéressant que celui de Malamud, d’abord  parce qu’il est moins ostensiblement narcissique, ensuite parce qu’il y a une trame, une histoire continue, un contenu.
Sylvie Chenus incarne plusieurs personnages, mais à travers le prisme d’un personnage dominant, une boniche, très, trop dévouée à ses patrons, qui finira par les bouffer « cannibalement ». Ce n’est pas LES BONNES comme dans Genêt. C’est LA BONNE et il n’y a pas que MADAME, il y a aussi MONSIEUR, et ils ne sont pas là physiquement, l’unique interprète en chair et en os les recrée à l’aide d’accessoires et de vieux chiffons, leur insufflant grâce à son dynamisme, à la richesse de sa palette vocale et à l’exactitude de sa gestuelle, une présence vivante tout à fait remarquable. Grâce à eux -et même aux enfants qu’elle recrée le temps de raconter une histoire-, Sylvie Chenus n’est pas seule en scène. Elle a su s’entourer, et, bien sûr, cela l’amène à nous infliger son exercice de virtuosité, on se dit : « Bon ! Qu’est-ce qu’elle sait en faire, des choses ! », mais en même temps on s’amuse et même -pourquoi pas, quoique tout soit annoncé d’avance ?- on s’intéresse à l’anecdote. Il est vrai que l’imagination a bien nourri la « pièce ».

25.04.84 - J’ai connu Jean-Marie Pradier Directeur de l’Alliance Française de Montevideo. Le revoici metteur en scène d’une FEDRA polonaise, présentée à la MAISON DES CULTURES DU MONDE par le Teatr C. NORWIDA de JELENIA GORA.
Réalisation curieuse, transposition, pourrait-on dire, de la tragédie de Racine, à l’intérieur d’un univers baroque, bizarrement plus médiéval qu’antique, ne manquant pas de couleurs, peu respectueux de la majesté ampoulée imposée aux artistes francophones par leur respect des alexandrins : le polonais dit est visiblement en prose et les coupes sont évidemment nombreuses. Le metteur en scène a de l’imagination, du punch, de la jeunesse. Il se croit sûrement révolutionnaire, mais nous sommes blasés, nous en avons vu d’autres.
Le dommage, c’est que le troupe n’est pas de premier ordre et que, notamment, l’actrice qui joue Phèdre a un peu l’air d’une bûche. J’ai cru comprendre que le rejet de l’aventure dans le temps des croisades visait à identifier le clergé aux croyances grecques. C’est un peu hasardeux, mais ça aurait amusé Anne Delbée. Elle prendrait d’ailleurs sans doute quelque plaisir à ce spectacle pas si loin, somme toute, du sien !

27.04.84 - Trouver sa place dans le tissu social, s’y sentir intégré, reconnu, pris en considération par la collectivité, il n’y a pas qu’en URSS que la question se pose à ceux qui, quelque part, sont ou se sentent en porte-à-faux.
LE SUICIDÉ, de l’auteur soviétique Nicolaï Erdman, raconte la trajectoire d’un anti-héros, chômeur, « exclu », qui trouve dans l’annonce qu’il profère de sa prochaine autodestruction, sa raison de vivre. Soudain honoré, devenu utile au groupe, car chacun tirera de sa mort une leçon profitable à attirer l’attention sur ses propres problèmes, il se découvre fort et heureux… Jusqu’au moment où il lui faudrait effectivement se tuer, ce à quoi s’oppose son goût profond de vivre et sa toute jeune revitalisation.
Écrite en 1928, la pièce ne plut pas à Staline. En effet, le texte est un prétexte à satire et les réalités de la vie quotidienne de la Russie des débuts de la langue de bois y sont égratignées : avec une lourdeur correspondant à la mode de cette époque, qui voulait qu’on ne conçoive que des pièces interminablement longues, enrichies par de nombreux personnages, que Jean-Pierre Vincent n’a malheureusement pas su alléger. Je pense que l’adaptation de Michel Vinaver n’a pas dû, non plus, aller dans le sens d’une vivacité qui eût pu transposer le comique  moscovite des années trente en une drôlerie parisienne fin de millénaire !
Dans des décors pesants de Lucio Fanti, soutenus par une musique de Michel Frantz qui ne fait que réorchestrer en les déformant des airs soviétiques connus, dont il est vraiment dommage d’avoir détruit l’harmonie, les comédiens français, plus Évelyne Didi, Michèle Foucher et quelques autres « invités », pataugent dans les méandres de l’anecdote. C’est dommage, car il y a de forts bons moments et il eût suffi d’un peu plus de volonté de rythme pour que l’entreprise devienne excellente. Il est en tout cas réjouissant de voir des actrices et des acteurs qui JOUENT  naturellement, sur notre deuxième scène nationale.

Publié dans histoire-du-theatre

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