Du 7 septembre au 3 décembre 1990

Publié le par André Gintzburger

17.09.90 - Cette saison commence sous le signe de la santé. Rien de moins abscond que le spectacle de Gilles Cohen, LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE JAUNE, adapté du célèbre roman de Gaston Leroux, avec aussi des emprunts au PARFUM DE LA DAME EN NOIR. Certes, la fin, au moment du dénouement, a un côté un peu laborieux. Certes, on peut regretter que le dispositif de Julie Mertzweiller ne soit qu’astucieux. Il ne flatte carrément pas l’œil. On ne peut pas s’empêcher de penser qu’il a été réalisé à l’économie. Il a un petit air « décentralisation » du temps où les Centres Dramatiques tournaient dans des lieux pas très équipés. On peut aussi faire la moue sur la distribution qui est bonne, là encore d’un bon niveau provincial, mais pas brillante, sauf en ce qui regarde Philippe Duclos qui, dès son entrée, s’impose en Frédéric Larsan et Alain Fromager, qui n’est pas mal en Rouletabille.
Mais on ne s’ennuie pas alors que la soirée dure deux heures vingt, et il y a même au début de la deuxième partie un très amusant morceau de bravoure burlesque, quand tous les protagonistes se retrouvent en chemise de nuit entrant et sortant par les portes de leurs chambres et faisant, à celle des toilettes, une queue croustillante.
À noter que les costumes, dus à Frédérique Glainereau, sont amusants.
Bref, un spectacle sans prétention, amusant, plaisant, agréable. On est loin du « complot » ! (Tempête)

18.09.90 - Je ne sais pas si Catherine de Seynes se prend pour Jean-Paul Sartre, mais elle a sûrement été chatouillée par HUIS CLOS quand elle a écrit STATION VOLONTAIRES, qu’Alain Rais a mis en scène avec le soutien de « l’aide à la création dramatique ».
Pourquoi ce Nègre militant contre l’Apartheid et cette groupie amoureuse d’un Blanc d’Afrique du Sud marié se retrouvent réunis sur ce quai de métro un jour de trafic perturbé sur la ligne douze ? Mystère. Ce n’est pas expliqué. Au demeurant c’est sans doute gratuit. Séparés par dix mille kilomètres, les amants n’ont aucune raison de s’y retrouver. Mais il s’agissait de signifier leurs enfermements dans des schémas d’où ils ne pouvaient pas s’évader. Je dois dire que je n’ai pas été très convaincu. Chaque acteur (actrice) joue cette solitude indécrottable sur un ton où se mêlent les réminiscences inévitablement poétiques et les actualisations bien sûr dramatiques.
Intéressant est le personnage qu’incarne l’auteure, qui s’est mise apparemment à militer pour compenser son insatisfaction en tant que maîtresse. Les autres, ne m’ont pas paru très originaux : le Nègre militant joue le Nègre militant et, naturellement aussi, d’un instrument à vent ! Marc Michel, en amant lointain, trimballe une pathétique convention, et quant à Maria Verdi, qui a beaucoup grossi, son personnage d’épouse compréhensive n’a pas été assez nourri par l’écrivain, si bien que la malheureuse passe presque toute la soirée à meubler ses temps morts comme elle peut !
Voilà. Pour tout dire, j’ai trouvé le spectacle inintéressant et chiant. Et puis, que l’espace entre les rangs de fauteuils est étroit à Essaïon ! Aïe ! Aïe ! Aïe !

23.09.90 - Ayant remarqué que Joël Jouanneau était programmé un peu partout au cours de la saison, j’ai eu la curiosité de venir voir à LA BASTILLE le spectacle (inclus dans le Festival d’Automne) qu’il a tiré du roman d’un certain Robert Walser, vraisemblablement suisse alémanique puisque le programme cite Pro-Helvetia dans les co-producteurs). J’aurais dû me méfier. Si j’avais découvert à temps sa qualité de « conseiller artistique » de Bruno Bayen, je serais sans doute resté chez moi. Mais bon, ce qui est fait est fait, ma désinformation m’a permis d’assister à une représentation comme je croyais qu’elles étaient en voie d’extinction, terroriste pour les spectateurs.
Ce n’est pas que le thème soit inintéressant, au contraire, l’itinéraire de Simon Tanner, un jeune homme en quête d’une vie qui lui plaise, voguant d’employeur en employeur et d’aventure en aventure au gré de la route et du hasard, a une certaine valeur actuelle.
Mais bon Dieu, comment les adaptateurs, Jouanneau lui-même et Jean Launay, ont-ils pu réduire la transcription théâtrale à une série de monologues interminables, d’épouvantables tunnels qui passent quand ils sont dans la bouche de Philippe Demarle, mais deviennent ennuyeux au possible quand ils sont débités monotonement par Yvette Théraulaz et Marief Guittier, environnées par une pénombre propice à l’endormissement des spectateurs.
Le metteur en scène a pourtant eu quelques idées amusantes. Toute une partie de la ballade (qui est un peu sautillante à la manière de l’Histoire du Soldat du Centre Dramatique de La Courneuve) se passe en avant-scène sur dix mètres de large et un demi mètre de profondeur, avec au sol des petites trappes d’où émergent les têtes des patrons du garçon et en fond une toile transparente qui laisse apercevoir de temps en temps un espace certain, vide, cerné d’un cyclo représentant abstraitement des arbres et des montagnes. Il y a une joueuse de violon alto qui a, en qualité de meneuse de jeu, beaucoup de présence. Elle s’appelle Virginie Michaud. Mais bon, LES ENFANTS TANNER sont chiants. C’est dommage.

25.09.90 - Pierre Debauche est un homme heureux. Il a gagné son procès contre Jack Lang. Enfin l’autre a fait appel, mais l’issue ne fait aucun doute pour le Directeur évincé au Grand Huit. Il ne lui reviendra d’ailleurs pas un sou de cette victoire. Ce sera éventuellement une providence pour son successeur Emmanuel de Véricourt. Sur lui-même, le Ministre s’est vengé. Sa compagnie n’est plus subventionnée « hors commission ». Il devra désormais passer par l’aide au projet, comme le tout-venant, et notamment comme les débutants. Eh bien, il est content et il joue le jeu. Le voici, sans aide aucune, présentant dans une petite cave théâtre du sixième arrondissement, le THÉATRE DE NESLE, une oeuvrette de sa plume que jouent ses actrices favorites, et notamment sa fidèle Françoise Danell.
Quatre nanas, théâtreuses à la petite semaine, font antichambre en attendant d’être filmées dans une séquence où elles incarneront des amazones… et elles causent. Et ce qu’elles disent sort clairement de la bouche de l’auteur. Pour ceux qui le connaissent bien, c’est parfois drôle. Je ne pense pas qu’il ait écrit pour les autres.
J’ai oublié de dire que ça s’appelle « Le Vol nuptial des mouches mâles sous les lustres » ! 

05.10.90 - J’avoue avoir été surpris par le spectacle présenté au Théâtre 18 par SPEEDY BANANA : WELCOME. Sur la scène il y a tout un bric-à-brac : des meubles entassés, des accessoires du genre moulinette, certains bricolés astucieusement (sans atteindre à la perfection ferrailleuse du ROYAL DE LUXE, mais on est dans ce type de mouvance).
Les espaces sont privilégiés tour à tour par des éclairages de qualité. Une bande-son aide à plonger le spectateur dans un monde inquiétant, qu’on découvrira peu à peu domaine de deux vampires, un valet bossu et un majordome sadique qui s’acharneront sur une espèce de Rouletabille, à grand renfort de trappes, de trucs et de fumigènes. Il y a peu de texte, mais il y a en un, proféré par un personnage à moitié visible à l’intérieur d’une machine horloge dont le fonctionnement bruyant m’a un peu rappelé celui de mon fax. Les phrases sont peu cohérentes, mais on ne peut pas leur nier une certaine qualité littéraire surréaliste. Le langage des tortionnaires est exclusivement gestuel en expressionnisme de cinéma.
SPEEDY BANANA a évidemment pensé au célèbre NOSFERATU, un peu comme il y a naguère Philippe Azoulay dans OSCAR CLAPP. Le visiteur voudrait être de la famille des Buster Keaton, mais il ne fait que s’en approcher.
Bref, tout cela se laisse voir sans ennui… c’est quelque part parfait et hautement professionnel, mais mon impression générale en sortant est pourtant d’insatisfaction. En vérité, je crois que c’est parce que l’anecdote ne me tient aucun discours. Cette qualité n’est au service que d’une morbidité gratuite, qui vise sûrement à faire rire plutôt qu’à terroriser. J’ai ri de temps en temps… un peu.

06.10.90 - J’ai pris un vif plaisir, au Théâtre Moderne, à la représentation de MIQUETTE ET SA MÈRE de Messieurs de Flers et Caillavet par la Compagnie Françoise Merle. La réalisatrice elle-même joue la mère, et une de ses très bonnes idées a été de confier le rôle de Miquette, qui avait été écrit pour la très belle et très parisienne Ève Lavallière, à une certaine Muriel Ryngaert qui a le physique d’une boulette de province, presque une bécassine, qui est d’ailleurs beaucoup plus à son aise dans les deux premiers actes, quand elle est encore la gamine fille de la tenancière du bureau de tabac dans un bled près de Château-Thierry, que dans le troisième où elle a quelque peine à figurer la grande actrice qu’elle est supposée être devenue, et surtout la cocotte que le « monde » croit qu’elle est. Mais sans doute est-ce à dessein que le metteur en scène a voulu que perce la jeune fille convenable, butée, sossette sous le masque de la vedette somptueusement vêtue.
Puisque je parle des costumes, il faut féliciter celui qui les a conçus, d’époque mais délirants, extravagants, magnifiques et « surréalistement » portés, Olivier Bériot.
L’autre très bonne idée de Françoise Merle a été de faire incarner tous les personnages secondaires par une sorte de parodie dérisoire de chœur, composé alternativement de trois filles ou, plus exceptionnellement, comme pour marquer un contrepoint, de trois hommes. Ce sont les témoins, les juges, la rumeur, le commérage, le voyeurisme. Le chœur signifie en vrai l’œil de la Société dans ce qu’il a de méchant, d’impitoyable.
On peut regretter que les rôles masculins soient, sauf celui du jeune Urbain amoureux de Miquette, tenus par des acteurs pas assez mûrs. Jean-Jacques Levassier est excellent en Monchablon, vieux ringard des tournées de province qui n’a pas hésité à réécrire en trois actes LE CID de Corneille, mais il n’en a pas le poids. C’est encore plus vrai pour Christophe Garcia qui n’a visiblement pas les soixante-cinq ans du Marquis, oncle d’Urbain et « protecteur », sans être payé en nature, de Miquette. L’acteur compose à outrance pour compenser. Au surplus, c’est le cas de toute la distribution qui surjoue jusqu’à la caricature, il s’agit donc d’un parti. Il est recevable si on veut quand le marquis insulte son ami Lahirel, en lui assénant qu’il est trop gros alors que Hervé Jouval qui l’incarne est mince comme un fil.
Et puis il est certain que l’anecdote s’essouffle en rebondissements, que le rythme de la représentation a peine à suivre sur la fin. Je me demande s’il n’aurait pas fallu creuser un peu plus le personnage du marquis, pathétique au fond dans son attachement à faire le bonheur d’une jeune personne qui le mène à la baguette. Il y a dans l’œuvre un combat pour le POUVOIR entre deux êtres dont l’un est fort au départ, faible à l’arrivée, au contraire de l’autre. Cet aspect n’a pas été traité, du moins lisiblement.
Françoise Merle a choisi de nous divertir. Remercions-la. Ma réflexion appliquée aurait peut-être alourdi l’entreprise. Je terminerai donc ces lignes en disant qu’elle-même, actrice, en mère de Miquette, est sublime, et plus encore quand elle se croit devenue grande dame jetant l’argent par les fenêtres. Il est vrai que ELLE, ELLE A L’AGE DE SON ROLE.
Oh ! J’allais oublier une dimension très importante du spectacle : probablement en contradiction avec le discours de Flers et Caillavet, j’ai lu, moi, dans la vocation de Miquette et même dans le délire caricatural de Monchablon, un hommage au théâtre. C’est un des paradoxes de cette représentation qui n’en manque pas.

07.10.90 - Christian Benedetti signe pour le THÉATRE STUDIO l’adaptation, le décor, les costumes et la mise en scène d’un LILIOM de Ferenc Molnar, qui ne baigne pas dans ce que LE ROBERT appelle « une fantaisie qui est propre à la poésie hongroise », qui même m’a semblé écourtée sur sa fin « pénétrée de mysticisme » quand le héros, seize ans après sa mort, est admis par le Tribunal du Ciel à revenir sur terre pour voir ce que sont devenues son ex-femme et sa fille, avec pour mission de faire quelque chose de bien pour cette dernière, ce qui aurait pour effet de gommer ses turpitudes d’homme vivant, et de lui entrouvrir une porte du Paradis, (mais l’adolescente n’en a rien à cirer).
Évidemment, j’ai gardé le souvenir, vers les années cinquante, d’une comédie musicale qui s’appelait LILIOM, où les rôles étaient tenus par Yves Robert et Marie Mergey. Récemment, un LILIOM fumeux, nourri au suc du « complot », dû à Bruno Bayen (à moins que ce ne soit Bruno Boeglin) m’avait fort ennuyé. Ce ne fut pas le cas de celui-là, traité en tranche de bifsteack saignant, carrément comme un mélo que ne parviennent pas à rajeunir des costumes et des instruments d’aujourd’hui. Quand on veut mettre l’environnement d’un spectacle au goût du jour, c’est d’abord au texte qu’il faut s’en prendre et, en effet, j’ai entendu de-ci de-là des expressions qui n’auraient pu être écrites en 1909, mais qu’est-ce que cela change puisque le contenu de l’œuvre nous est livré tel quel, et le moins qu’on puisse dire est qu’il est ancré dans son époque ?
Michel Fouquet, qui joue Liliom, n’est pas mal, mais il ne décolle pas vraiment. Par contre, Sophie Guille de Buttes n’est pas très jolie, mais elle s’identifie bien au personnage de Julie, de même que Véronique Vellard fait preuve de beaucoup de tempérament en Madame Muscat, propriétaire du manège où Liliom est bonimenteur. Dans l’ensemble, c’est une distribution de qualité qui joue au premier degré. Comme c’est rafraîchissant. Et comme voilà là un spectacle honnête, avec une anecdote qu’on a plaisir à redécouvrir. Sans chercher midi à quatorze heure. 

08.10.90 - C’est sans doute parce que le jeune Antoine Basler a fait ses études dramatiques à Genève avant de se faire diriger comme acteur par Benno Besson, Matthias Langhoff, Bernard Sobel et Adel Akim, ce qui veut dire qu’il a échappé aux maîtres destructeurs, qu’il joue Raskolnikov avec sincérité, en éprouvant son rôle dans un registre émotionnel qui n’est pas rappeler, éclats en moins, Michel Vitold dans le même personnage.
Quant à Jean-Claude Amyl, le metteur en scène de ce CRIME ET CHATIMENT qui se donne au Théâtre 14, son trajet passe par le Cours Périmoni, la Comédie-Française, Jean-Paul Roussillon, Jean-Pierre Miquel, Gérard Vergez, Guy Lauzin et Jean-Louis Thamin. Cet homme d’une cinquantaine d’années qui dirige depuis 1985 ce Théâtre 14 Jean-Marie Serreau, a donc échappé au « complot ». C’est pour cela, bien sûr, que son spectacle fait penser à ceux de Sacha Pitoëff, l’âme russe spontanée en moins, malheureusement, ici elle n’est qu’imitée. Les silences s’en ressentent, ils n’ont pas la densité slave. Le dispositif scénique, signé Gilone Brun, manque aussi du réalisme. C’est un praticable à dessous clos par un mur sinistre, avec une sorte de passerelle qui longe un des côtés de la salle, austère en diable, on y pose parfois des meubles fonctionnels. Les éclairages sont supposés définir les lieux.
Il y a plusieurs noms connus depuis longtemps dans la distribution, Joseph Barbouth, Dominique Bernard, Pierre Constant (ça fait quand même plaisir de constater que tous les vieux pédés n’ont pas le sida), Sylvie Genty, Alain Mac Moy, en tout avec les jeunes ils sont dix-sept en scène.
Attention : ce n’est pas une adaptation du roman de Dostoïevski qu’annonce le programme, c’est une pièce de Jean-Claude Amyl, d’après ce roman. Pierre Laville a fait des émules.
Faut-il parler ici de l’œuvre, dont un intelligent digest nous est livré avec quelque chose de sa richesse ? Grâce à Pierre Constant, le rapport Porphyre - Raskolnikov atteint à un haut degré. C’est déjà beaucoup.

09.10.90 - J’ai bien fait d’aller voir HOM par la Compagnie Melpomène au Théâtre des Amandiers de Paris, car c’est un spectacle amusant et poétique qui se laisse voir avec plaisir. Le sujet, c’est l’histoire d’un couple, ponctuée par trois naissances, et qui va en se dégradant. L’homme se réfugie dans un étonnant fantasme aquatique et une rencontre amoureuse avec une tortue de mer. Je ne sais pas si c’est Catherine ou Laurence Léger qui joue la femme pondeuse de bébés (l’autre se dissimulant sous une carapace et un masque d’animal très tendre, voire pathétique), mais elle est tout à fait remarquable dans une gestuelle vive, nette, précise, d’une clarté de discours parfaite, quoique aucun mot ne soit prononcé. Le spectacle tout entier est hors langage articulé. Par contre la bande-son est expressive et parlante.
J’ai moins aimé Bruno Léonelli, l’homme et aussi le Directeur de la Compagnie, qui a éprouvé le besoin de jouer son rôle dans un costume et avec un maquillage de clown cradingue, que l’univers onirique du spectacle ne justifie pas. En plus il n’a pas la présence de sa partenaire et son long monologue muet, quand il se met pour la première fois les coquillages sur les oreilles, est difficile à décrypter avant que la tortue ne se décide à venir l’explorer.
Je pense que c’est Laurence Léger, qui signe décor et costumes (visiblement pauvres, hélas, mais est-ce un reproche à faire ?) qui a aussi réalisé les aspects « objets », souvent ridicules mais très bien mis en gros plan par les éclairages de Michel Morel. C’est seulement à la fin qu’on comprend leur justification, quand la tortue contemple pensivement et tendrement son amoureux qu’elle a miniaturisé et mis en bouteille. Cet apport « théâtre de figure », soutenu par l’univers sonore de Pierre Coutaudier, est charmant.
Bref, c’est un joli spectacle, qui aurait la dimension internationale s’il était, quelque part, plus clean ! L’amusant, c’est que le précédent spectacle de la Compagnie, que je n’ai pas vu, s’appelait KLEEN !

10.10.90 - Qu’il y ait du bon Bolek dans LA SÉANCE que présente à Beaubourg la DIVADLO NA PROVASKU dans le cadre d’une semaine de la culture tchèque, c’est sûr. Mais le spectacle n’est pas du grand Bolek. Il me paraît correspondre à une période politique assez dure de la Tchécoslovaquie, qui incitait les artistes à la prudence. Il n’y a donc pas à y chercher comme dans « Le Naufrage » ou « Le bouffon et la reine », une deuxième lecture décryptable par tous sauf par les censeurs obtus.
Donc, le personnage qu’incarne Polivka est supposé rêver qu’il est le mime Debureau. En première partie, il y a trois rêves cauchemardesques, mais drôles. Après l’entracte, on sombre dans le drame. Il est vrai que Debureau a eu réellement maille à partir avec la justice pour avoir, dans un chemin de campagne, assassiné un jeune garçon qui le persiflait. Bolek a introduit dans le spectacle tous les gags qu’il sait faire. On a plaisir à le revoir mimer l’oiseau, l’homme très grand à fausses jambes très courtes, que sais-je encore. Chantal Poullain joue la femme de Debureau, mais elle se transforme dans les cauchemars, ce qui lui permet de changer de costume à presque chaque apparition. Pezza et une grosse dame, qui ressemble à Colette et est assez rigolote, jouent différents rôles qui ont semblé utiles à l’auteur metteur en scène.
En vérité, tout cela est très bavard, et comme le Festival d’Automne a exigé que les dialogues soient dits en tchèque, force est d’écouter la traduction qui est simultanément débitée. Cela n’aide pas à l’aliénation.

16.10.90 - À QUOI REVENT LES ENFANTS est un bien joli titre et le sujet en est amusant : quatre petites vieilles partent de leur hospice pour aller sur le toit du monde à la recherche d’un ancêtre fabuleux, mi-homme mi-Dieu. Elles sont conduites par le Directeur de l’hospice transformé en Sherpa. Elles reviendront avec les enfants du Yé-ti qui prendront place dans une navette spatiale dont l’explosion mettra un terme au rêve. Je dis « rêve » parce que, on le sait à cette anecdote, la trame fonctionne dans un gentil irrationnel. Richard Demarcy s’adresse à ce qu’il y a d’imagination enfantine en nous.
C’est sympathique, mais malheureusement sa fable n’est pas bien ficelée et la mise en scène de Guy Cambreleng n’a pas su imprimer un rythme soutenu à l’entreprise. Elle est molle, avec des passages à vide et des enchaînements qui semblent bâclés. Si bien qu’on s’ennuie un peu malgré l’excellente présence de Gilette Barbier, Florence Dionneau, Isabel Juanpera et Danielle Van Bercheyke, très crédibles dans leurs compositions, sans oublier Didier Lesour, assez étonnant en guide inquiétant, sorte de deus ex machina tirant des ficelles pour le divertissement de ces dames. Car bien entendu, ce voyage n’est qu’un jeu. Dommage que cet aspect ne soit pas plus évident.
Belle scénographie de Geneviève Dudret, toute entière fondée sur un piano à queue placé au milieu d’une aire de jeu toute blanche. Des fils ont été tissés sur le galerie de la Cité U pour permettre à des grands draps de s’élever pour figurer les montagnes. C’est assez beau.
Par contre, j’ai trouvé la Yé-ti et surtout les deux poupées chiffons qui figurent ses mouflets assez médiocres, pour ne pas dire laids, et les chansons de Florence Dionneau ne m’ont pas paru géniales.

18.10.90 - De plus en plus orienté vers l’Espagne, le Théâtre des Chimères de Bayonne propose une savoureuse pièce d’un certain Fermin Cabal, du vrai théâtre avec un vrai dialogue, parfois à la limite du boulevard intelligent, un réel plaisir, loin, très loin du « complot ».
D’abord il y a une situation. C’est la nuit, avant d’aller se coucher, le Préfet des études d’une école catholique jouit d’un calme agréable. On frappe. C’est un de ses subordonnés, un jeune prêtre que titille sa conscience. Il veut sur le champ être entendu en confession. Dérangé, emmerdé d’autant plus qu’il ne peut pas encadrer l’intrus, le Père Odilon finit par céder et ce sera, une heure durant, un  combat verbal entre les deux hommes qui nous permet, à nous autres spectateurs, de pénétrer dans les secrets de la religion professionnelle, sérail aux détours succulents quand ils sont dévoilés à hauteur de l’humain, avec distance et humour.
Bref, on s’amuse beaucoup pendant ces quatre-vingts minutes même s’il y a parfois des anecdotes un peu faciles, comme celle où le Père Odilon, jadis missionnaire en Afrique, raconte comment il a été obligé de se taper une pucelle parce que c’était le prix à payer pour évangéliser une tribu d’anthropophages.
Jean-Marie Broucaret a monté ça avec sincérité. Il a été bien servi par deux très bons acteurs, Maxime Bourette et Guy Labadens. J’allais oublier de dire que ça s’appelle NUIT D’INSOMNIE ou VADE RETRO.

COMMENTAIRE :

Je parle beaucoup du « complot » dans ces compte rendus et j’ai déjà dans un carnet précédent expliqué ce que je voulais dire à travers ce mot. Mais pour ceux qui prendraient le train de cette lecture en marche  je rappelle briévement ce que cela signifie pour moi : je l’ai résumé en une formule :collusion entre certains metteurs en scène, diffuseurs et médiateurs journalistiques pour distribuer de l’opium aux intellectuels. En somme se faire plaisir de façon aussi hermétique que possible pour le commun des mortels mais pas pour ce que Antoine Vitez appelait le « cercle des initiés » à travers l’imposture de sa célèbre formule : « du théâtre élitaire pour tous ». Oui en effet pour tous les initiés de l’intelligencia et d’une certaine presse dont le but n’est pas de rendre compte de ce qu’est un spectacle mais de se faire valoir à travers l’article qui montrera aux lecteurs du journal à quel point IL (ou ELLE) est intelligent et a su décrypter l’indiscernable pour tous les spectateurs sauf pour LUI et quelques confrères, malheureusement toutes tendances politiques confondues. A ce niveau le plus étrange est Léonardini, critique de L’HUMANITÉ : plus « parisien » que lui, tu meurs et moins « communiste » dans ce qu’il écrit tu ne trouves pas. Au fait, toujours se rappeler que le critique dramatique est à l’intérieur de son journal la dernière roue du carrosse, alors que pour les artistes il est un personnage important.

Et puisque j’en suis à évoquer MES « mots », certains me reprochent de trop dire souvent : « un tel est pédéraste ». Je tiens à mettre les pendules à l’heure : ce que chacun fait avec sa bite et son cul m’indiffère totalement. Personnellement j’ai toujours préféré me trouver dans les bras d’une personne du sexe opposé, mais si des hommes ou des femmes préfèrent vivre l’amour d’une autre manière, c’est leur problème et je respecte ce choix de vie. Ce que je veux dire dans ces textes c’est que la pédérastie se VOIT et même fréquemment s’éclate sur la scène et cela me gêne car cela revient à transposer sur une scène, c’est à dire à l’usage d’un public, une certaine conception des mœurs. L’homosexualité devient alors une lecture de l’œuvre jouée qui se superpose à l’autre lecture, la vraie. C’est un détournement et j’ose même ajouter : même quand l’auteur et le réalisateur sont de la même mouvance sexuelle. Ce commentaire concerne surtout la gent masculine car les femmes savent bien mieux masquer leurs préférences lorsqu’elles sont sur une scène. 

18.10.90 - On ne peut pas dire que le dernier spectacle de la CUADRA de SÉVILLE soit dépaysant pour ceux qui, comme moi, suivent depuis toujours le travail de Salvador Tavora. Tout au plus peut-on noter que, dans cette « lecture » dansée, gestuelle, musicale, folklorique (diront certains) de la « CHRONIQUE POUR UNE MORT ANNONCÉE » de Garcia Valdès, le rituel est plus dépouillé qu’il ne l’était dans LES BACCHANTES, ANDALOUSIE AMÈRE ou PIEL DE TORO. Ici, point de machine extraordinaire, moins de vacarme du son, il y a une tournette qui permet de voir les quatre facettes d’une maison blanche très sobre, avec des marches que gravissent à pas comptés les personnages, symboles d’un monde que le Catholicisme a irrémédiablement marqués de son machisme fondamental et de son impitoyable philosophie du péché. Pour la première fois, une musique non espagnole vient ponctuer la marche vers la mort, c’est le Requiem de Mozart.
Peut-être faut-il se référer à l’œuvre qui a inspiré Tavora pour expliquer cette pureté de la démarche, plus sobre que de coutume. On verra plus tard si c’est une évolution ou un moment.
Le certain, c’est que la nouvelle se situe en Colombie et que c’est l’Andalousie que j’ai vue par les yeux de Tavora. Il y a toujours son merveilleux danseur de flamenco. Il a aussi un braillard de chanteur qui s’arrache les tripes à l’octave des ténors. Lui-même, à la toute fin, vient pousser ses raclements de gorge, mais, comme dit Lilyane Drillon, c’est pour se faire plaisir, son intervention n’est pas indispensable au spectacle.
Gros succès au Festival de Bayonne.

09.11.90 - J’ai vu entre-temps quelques bricoles. Mais ce soir, il s’agit de LA MAMAN ET LA PUTAIN de Jean Eustache, mis en scène par Jean-Louis Martinelli (Théâtre de Lyon : c’est un « implanté ») à Bobigny (Petite Salle).
Je n’ai malheureusement pas vu le film qui avait été célèbre vers les années soixante-quinze, mais au bout de cinq minutes de spectacle, j’ai pensé que Charles Berling qui incarnait le rôle d’Alexandre s’exprimait vraiment avec le phrasé de Jean-Pierre Léaud. Or justement, c’est lui qui était le personnage au cinéma. Singulière entreprise donc, qui a consisté, à l’inverse de ce qui se fait si souvent, à porter à la scène une œuvre qui avait marqué à l’écran, sans qu’apparemment un discours nouveau lui ait été insufflé. Car ce combat amoureux sur fond de liberté sexuelle, qui a paru novateur, voire audacieux en son temps, sonne aujourd’hui étrangement daté, sinon désuet.
Je ne voudrais pas, à mon âge, faire de la psychologie au petit pied sur le thème de la motivation des jeunes en amour, mais il me semble, en qualité d’observateur, que la notion de baise distincte de celle d’amour ait quelque part fait long feu. La peur du Sida est sans doute dans quelque chose dans l’ancrage des couples à la fidélité, mais cette explication est insuffisante pour expliquer la « réimportance » attachée derechef au lien entre les deux choses. Tout ça pour dire que l’opposition entre la jalousie de la « maman », entendez la maîtresse installée, un brin bourgeoise, du héros, et la permissivité, toutefois pas si claire que ça, de la jeune « putain », infirmière de son état, rompue aux sales besognes de ce métier, et prompte à se faire « prendre » en corps (pardon « salle ») de garde par n’importe qui, ne rend pas un son qui semble d’aujourd’hui.
En tous cas, et c’est peut-être la leçon qu’a voulu inculquer Martinelli, cette société-là n’était pas heureuse. Si ce n’est pas cela, sa démarche paraît bien inutile, encore que son spectacle, qui dure plus de trois heures, se laisse voir sans ennui (ce qui n’est pas un mince compliment dans mon langage). Les va-et-vient sentimentaux émaillés de « mots d’auteurs » souvent drôles, parfois un peu faciles, boulevardiers, sont menés avec vivacité par une troupe talentueuse qui joue « en éprouvant ses sentiments », ce qui est bien réjouissant. L’heure des traitements mesguichiens semble passée. Ouf !...
Et puis, j’écris cet article avec un peu de retard et j’éprouve que ce spectacle est de ceux qui laissent des traces, qu’on n’oublie pas tout de suite. Bornons-nous pour l’instant à le constater. Il faudra voir, dans un an, si le souvenir reste vivace.

13.11.90 - Jean-Claude Penchenat adore, paraît-il, Goldoni. Il a donc été dénicher une pièce pas très connue de l’auteur vénitien, UNE DES DERNIÈRES SOIRÉES DE CARNAVAL, qui n’est pas très bien fagotée, mais qui par moments est drôle à travers la populaire traduction qu’il en a faite avec l’aide de Myriam Tanant.
L’intérêt principal de l’œuvre, c’est qu’elle nous fait pénétrer avec précision dans l’univers des tisserands du dix-huitième siècle. L’accent y est mis fortement sur l’aspect artisanal de cette profession, sous le prétexte d’une fête, à l’occasion du Carnaval, que donne pour ses compagnons, fournisseurs et concurrents, un maître en la matière. Tous ces gens s’entendent et se comprennent professionnellement. Mais leurs rapports sociaux sont très hiérarchisés et très coincés.
Penchenat présente cela dans sa piscine en version bifrontale. Une grande table et quelques sièges suffisent à créer l’espace où l’on mangera, dansera et causera. Il n’y a donc guère de « décor », quoiqu’un certain Roberto Moscoso les signe. Et les costumes de Françoise Tournafond sont fidèles à l’époque. Si j’ajoute que les artistes éprouvent sincèrement leurs rôles, s’identifiant à leurs personnages sans chercher à inculquer une distance, on verra à quel point il s’agit d’une présentation classique, où le metteur en scène ne s’est pas attaché à autre chose qu’à servir honnêtement un texte. Les temps changent, décidément. C’est Guillem Pellegrin qui incarne Zamaria, l’invitant. À lui seul, il vaut le détour. C’est un grand acteur. Toute la distribution est de qualité. J’y ai retrouvé avec plaisir Louis Samie, heureux d’être sorti de son aventure « Abou Salemique », et Frédérique Ruchaud, qui s’en donne à cœur joie dans le rôle d’une vieille brodeuse française en quête d’un quatrième mari. Mais ils sont quatorze en scène. Tous sont bien. Et ce spectacle est du THÉATRE.

14.11.90 - Bordeaux. SIGMA. Voici donc le fameux cabaret DROMESKO du deuxième transfuge de Zingaro, Igor. À la différence de Branlotin, Igor a eu de l’argent pour monter sa structure et son spectacle. Le chapiteau, en forme de gigantesque volière arrondie très haut au-dessus de nos têtes, est magnifique.
Mais je m’attendais, selon la propagande, à ce qu’il soit peuplé de milliers d’oiseaux ; or, à part quelques corbeaux qui roupillent sur les hauteurs, il n’y a, en fait de volatiles, que quelques dizaines de perruches dans une cage et une flopée d’oiseaux des îles dans une autre, et à un moment, dans une jupe truquée que porte Lili. D’oiseaux travaillant, en fait, il n’y en a que deux, un corbeau qui tourne les pages d’une partition, et surtout un marabout, vedette du dernier tableau, très putain et très spectaculaire. C’est un très grand charognard sur longues pattes fines, avec un bec immense et des ailes qui font beaucoup d’effet quand il les déploie et vole sur la piste presque au-dessus des spectateurs.
Mais en tout, ces prestations animales occupent à tout casser dix minutes d’un spectacle qui dure près de deux heures, et qui est fondé sur la musique tsigane, bien exécutée par Igor, bon accordéoniste, et une équipe de qualité dans laquelle il y a un Hongrois, ensuite sur quelques numéros de funambules dont l’un, assez extraordinaire, exécuté par un type extrêmement maigre et remarquablement contorsionniste, et aussi, malheureusement sur un grand clown (il vient de Zingaro où il ne parlait pas), qui a inventé une série de sketches qu’il profère avec l’accent anglais, dont le thème est la quête de l’homme pour voler. Ce qu’il raconte est longuet et peu intéressant, mais il y a quelques machines fort belles, une surtout, et puis à la fin, il vole vraiment selon le même principe que le LICEDEI, au-dessus des spectateurs, non sans en heurter un de temps en temps. Lili quant à elle s’en donne à cœur joie pour chanter, dans le registre Europe Centrale, cela va sans dire, et pour exhiber à chacune de ses apparitions une nouvelles tenue. Bref le mannequin réapparaît, ne le fut-elle pas jadis ?
Un très bel arbre, faux bien sûr, mais bien imité, constitue l’essentiel du décor, avec de-ci de-là des espaces cossus dans le style présumé tsigane, tapis, coussins, fauteuils profonds etc….
Voilà : Igor a eu tous les moyens de son ambition à la différence de Branlotin, qui a dû travailler dans la pauvreté. Il nous offre une production riche, il a pu engager de bons numéros (mais qu’on verrait, qu’on a d’ailleurs vus ailleurs, l’un à ARCHAOS, l’autre au THÉATRE DE L’UNITÉ dans l’HISTOIRE DU SOLDAT), l’ensemble est à mon avis trop lent, avec trop de remplissage musical,et puis, franchement, il n’y a pas assez d’oiseaux, du moins en rapport à la pub faite autour du projet quand il s’agissait, pour Emmanuel de Véricourt, de le vendre. Et quant au clown bavard, Igor devrait le censurer. Mais bon, le succès auprès du public est très grand, que demande le peuple ?

16.11.90 - SIGMA. Création de TOUS UNIS DANS NOS WAX par l’Ensemble KOTEBA de Souleymane Koly. Souleymane est un malin. Il sait bien qu’avec les musiciens et les danseuses chanteuses qui font partie de sa troupe, il est sûr de gagner le round final du spectacle auprès du public. Et en effet, cette équipe-là est si admirable que c’est dans l’enthousiasme que les spectateurs quittent la salle. Heureusement qu’il y a cet aspect, car le côté théâtre de l’entreprise est carrément faible, trop long, et ennuyeux. Non pas parce que le parler français des Africains n’est pas toujours complètement compréhensible, mais parce que le jeu de ces gens si dynamiques, si vigoureux quand ils chantent ou dansent, devient étrangement mou quand ils s’expriment avec des mots. Mou, languissant, sans rythme. On a hâte qu’ils aient fini.
Pourtant le thème du spectacle est tout à fait intéressant. Des ouvriers d’une usine de fabrication de pagnes en difficulté font l’objet d’un « dégraissage ». Leurs femmes, plus qu’eux, se rebellent, et nous nous retrouvons plongés dans un schéma lutte sociale, lutte des classes, qui donne aux vieux spectateurs comme moi un coup de jeunesse sur fond de souvenirs. En avons-nous eu, de ces spectacles « signifiants » dont notre presse bourgeoise a fini par avoir la peau, avec scènes de manifs, violences policières, patrons pleins de morgue etc… Souleymane s’est même amusé à nous bâiller un ballet « réaliste historique » à la Chinoise, qui est tout à fait revigorant. Et puis, le plus étonnant, c’est la conclusion, car le patron cèdera finalement, mais pas parce que les travailleurs auront imposé leur LOI politiquement. NON. Ce sera parce qu’ils auront fait appel à une vieille sorcière, dont les manœuvres terrorisent ceux qui en font l’objet. Et il est tout de même très étonnant de voir comment des flics, des soldats et le patron lui-même se couchent, dès qu’elle les menace de quelques objets rituels pour nous peu significatifs. Dommage que cette conclusion arrive après des scènes trop longues, où il est question de politique pour de bon, avec trop d’atermoiements. Notons que les costumes sont très beaux.

22.11.90 - Au risque de passer pour un emmerdeur bougon, j’oserai dire que je n’ai pas partagé l’enthousiasme de mes contemporains branchés pour ce LÉON LA FRANCE qu’ « on » m’avait reproché de n’avoir point été voir à Paris, dans la cave enfumée de l’Atalante. « On » m’expliquera sûrement que dans le petit théâtre d’Évry, où Philippe Mercier jouait pour la première fois sur une scène face au public, au lieu d’être enfermé sur un tout petit espace avec les spectateurs tassés à ses pieds, je me suis retrouvé coincé par une non magie due à l’éloignement de mon fauteuil et à la vastitude du plateau. Mais il faut savoir si l’équipe veut faire des tournées ou pas, et si oui, si elle compte partout recréer les conditions d’étroitesse qui ont fait son succès à Paris.
Certes, le projet était intéressant. Le comédien Philippe Mercier a retrouvé une correspondance d’un certain Léon Mercier, son grand-père, baroudeur militaire de l’ère coloniale, et il a eu envie de l’incarner. À travers les récits du soldat, le spectateur peut lire sa lecture d’une critique de ce qui fut conté en son temps comme une épopée. Du moins le tente-t-il, car Philippe Mercier s’est infligé de livrer son texte et sa personne d’acteur à un metteur en scène, qui a accepté l’entreprise parce que, lui a-t-il dit, « il aimait bien les commandes » (sic !), Christian Schiaretti, et, malheureusement, il en est sorti un spectacle « mode », avec notamment à la fin un interminable monologue que le comédien est obligé de débiter d’une voix monocorde et précipitée, aux trois quarts de dos et à volume faible, de telle sorte qu’une grande partie de ce qu’il dit est inaudible, en tous cas pour un sourdingue comme moi.
Il y a aussi à un autre moment deux bonnes minutes où il ne se passe rien : Philippe Mercier et ses trois faire-valoir noirs, qui figurent une sorte de chœur contrepoint, voix des autochtones face à l’homme blanc, maître et chef, sont supposés attendre les résultats d’une bataille qui, bien entendu, se passe en coulisses. Alors ils arrêtent de jouer, la scène se couvre de pénombre et les spectateurs attendent, comme eux, qu’il se re-passe quelque chose.
Heureusement, au milieu du spectacle il y a une vraie scène de théâtre où Léon, au terme d’une longue marche, arrivé je crois, au Tchad, veut sabrer le champagne que ses porteurs noirs ont trimballé sur leurs têtes, précisément avec ceux-ci, l’un d’entre eux, Musulman, se refusant à boire.
Il y a aussi pendant un quart d’heure une aliénation très bienvenue du spectateur. Il est vrai qu’à ce moment-là, ce sont des vrais dialogues qui s’instaurent, un vrai jeu avec des vrais chocs.
Cela dit, on voit bien que Philippe Mercier a du talent et de la présence. Sa performance reste estimable à travers la course d’obstacles qu’il s’est infligée, en se livrant pieds et mains à un réalisateur dont j’attendrai de revoir quelque chose pour le juger : il a bonne réputation. L’État vient de lui confier la Maison de la Culture de Reims. Et puis ce spectacle-là date de l’année dernière. Avec un peu de chance, il aurait assimilé en 1990 que la mode bougeait !

23.11.90 - Honnête présentation au Lucernaire du HUIS CLOS de Jean-Paul Sartre. Ce n’est pas une affaire de jeunes.
Daniel Colas a fait la mise en scène. Les interprètes sont Malka Ribovska, Claudine Coster et André Oumansky. Ils incarnent leurs personnages au premier degré avec professionnalisme. Oumansky m’a semblé un peu absent quand ce n’est pas à lui de parler.
L’œuvre garde après quarante-cinq ans une certaine efficacité. Elle m’a peut-être semblé un peu vieillotte par le choix des crimes que doivent expier les condamnés à vivre l’enfer par les autres. Et je crois bien qu’à la création en mai quarante-quatre, j’avais mieux ressenti le harcèlement de l’insupportable bavardage que s’infligent malgré eux les protagonistes, avec une sensation de tourner en rond que j’ai moins perçu cette fois-ci. Mais j’enjolive peut-être mes souvenirs.
Quand même, au Lucernaire, ça se laissait voir et entendre, mais avec un léger goût de poussière.

24.11.90 - Je n’ai jamais été un grand fanatique de Françoise Chatôt et ce n’est pas la façon dont elle joue AH LES BEAUX JOURS, de Samuel Beckett, qui va me faire changer d’avis. Certes, le texte ne lui permet pas, ici, de clamer l’horreur de ses entrailles, mais la lecture qu’en a fait Vouyoucas l’amène à le minauder de telle manière qu’il semble débile.
En vérité, d’ailleurs, il l’est. Beckett suppose une certaine dimension dans la façon de dire les platitudes. Or Françoise Chatôt les joue presque boulevard, très extérieure en tout cas. Et ce qu’elle fait ressentir, au moins dans le premier acte, ce n’est pas l’horreur de la situation de cette femme enlisée jusqu’à mi-corps, peut-être seule survivante de son compagnon dont parfois émerge le crâne, et qui se bat pour sa survie en babillant n’importe quoi et s’imposant des gestes dérisoires pour occuper le temps de ce qu’elle veut être encore des « beaux jours » (« un de plus », dit-elle, au début de chaque séquence), mais uniquement la futilité de ses discours. La dialectique entre la situation et ce qu’elle dit n’éclate pas. Du coup, ce qui devrait, par moments, provoquer le rire chez le spectateur ne fonctionne pas et tout le spectacle se passe, au Théâtre du Gyptis de Marseille, devant un public glacé,  muet, qui sans doute s’ennuie un peu mais qui est nombreux.
Au deuxième acte, quand il n’y a plus que la tête qui émerge, elle réussit à faire passer une certaine émotion. Mais on reste quand même au ras des pâquerettes. La « dimension » beckettienne n’apparaît que dans la toute dernière scène, quand on voit émerger le possesseur du crâne et qu’il cherche, en vain, à ramper sur la dune, au sommet de laquelle s’enfonce l’héroïne, pour atteindre le browning qu’elle a posé à côté d’elle quand elle jouissait encore du pouvoir de ses bras et mains. C’est paradoxalement à ce moment-là qu’on mesure à quel point tout ce qu’on vient d’entendre pendant une heure trois quarts aurait dû éclater comme un hymne à la vie.

28.11.90 - Je me suis un peu ennuyé au Théâtre des Amandiers à la représentation de FEN, pièce anglaise de Caryl Churchill adaptée par Claude Duneton et mise en scène par Paul Golub pour le Théâtre du Volcan Bleu. J’étais venu parce que Bruno Léonelli (Melpomène) s’y est investi comme comédien (il est d’ailleurs plus à son aise, apparemment, là, où il a du texte à dire, que dans son HOM où il a fait le clown). J’ai été étonné de me retrouver, vu le contexte, devant une pièce carrément de théâtre, faite de tableaux juxtaposés dont la continuité n’est pas toujours évidente et le message un brin confus.
Nous sommes en Angleterre. Il s’agit de travailleurs agricoles qui bossent pour un propriétaire japonais et qui sont très surexploités. Certains ne songent qu’à se tirer de ce qui est un réel esclavage, d’autres pensent sérieusement au suicide. Ces vies sans espoir sont désespérantes à l’intérieur de ce spectacle mal fagoté et souvent joué avec les excès des amateurs.
Et pourtant on sent qu’il s’agit d’une équipe qui a quelque chose à dire, qu’il faudrait aider à se réaliser, qu’il y aurait justice à promouvoir. Car sa préoccupation n’est pas nulle. On sent qu’il y a des talents. En plus, sur six acteurs, il y a cinq femmes, ce qui est assez rare pour être noté. La British Council a aidé à cette réalisation, l’œuvre étant anglaise. La France devrait investir dans ce « Théâtre du Volcan Bleu ».

27.11.90 - Plus cabotin que Michel Courtemanche, tu ne trouveras pas. C’est un vrai professionnel du faire-valoir de soi-même. Mais il est vrai qu’outre son abattage il a du talent, une souplesse du corps et notamment des jambes tout à fait remarquable, un sens de la complicité avec le public évident. Ce qu’il fait est drôle et jamais vulgaire. Un public en or se bat pour venir le voir dans le joli théâtre du Musée Grévin. Cet amuseur est canadien. Ca s’entend un peu, par moments.

03.12.90 - Les Maclôma ont retravaillé depuis Avignon et leur TRIO est devenu un très remarquable exercice de style. Ils ont renoncé, à la fin du spectacle, aux crottes répandues sur la scène, mais ils n’ont pas pour autant gommé leur goût de la scatologie, au contraire : on ne voit plus le contenu du seau dans lequel Philippe Azoulay, revêtu de sa robe de bonne sœur, s’est répandu, mais le jeu de Guy qui suit avec ledit seau n’en est que plus évocateur.
À mon avis, le grand vainqueur de cette nouvelle mouture présentée au Ranelagh est Alain. Sa prestation finale, en Grocq, est tout à fait étonnante et poétique.

Publié dans histoire-du-theatre

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