Interlude
INTERLUDE
CARNETS OUBLIÉS EN VRAC
Premier carnet : du 10.01.66 au 09.03.66
25.01.66 - J’ai vu hier soir aux Mathurins l’ÉLECTRE (adaptation de Maurice Clavel, mise en scène de Sylvia Monfort qui joue le rôle d’Électre). C’est un honteux spectacle qui m’a plongé dans une vigoureuse fureur. Est-il possible de massacrer à ce point un chef-d’œuvre ? À peine en scène, Sylvia gémit, hurle, monocorde ; je passe sur le fait qu’elle porte bien ses quarante-trois ans ! Cela fausse tous les rapports, mais qu’importerait si elle était émouvante ! Mais tout est fabriqué, faux, conventionnel au pire ! Le public d’hier a certainement été renforcé dans la conviction que ces classiques antiques ne « passent plus ». J’ai sommé Attoun, à la fin, d’aller à Caen voir l’Électre de Vitez. Le chœur mené par la brave Andrée Tainsy dans le style « mélopée très humaine » a déclenché l’hilarité de la salle. Danet est ineffable en Égyste. Pauvre Sylvia, elle est vraiment devenue misérable. Je ne suis pas allé en coulisses. Je n’étais pas en état de faire un scandale et il était (sans doute) préférable que je m’abstienne. Aperçu Biasini qui m’a fort aimablement salué comme je m’engouffrais dans un taxi pour me rendre vers un autre lieu de travail. Je suis enchanté d’avoir pour l’Algérie l’Électre de Vitez et je déclare ici tout net qu’il est jusqu’à nouvel ordre exclu de traiter quelque affaire que ce soit avec Monfort.
Deuxième carnet : du 11.03.66 au 26.05.66
17.03.66 - J’ai vu « Épitaphe pour Georges Dillon » monté au 347 par Dougnac. Je ne trouve pas que la pièce soit très bien construite. La progression du personnage n’est pas harmonieuse et je ne vois pas pourquoi Osborne le fait devenir tuberculeux pendant le troisième acte, ce qui amène un élément sans rapport avec le reste. C’est par moments drôle. À d’autres un tantinet longuet. Pas mal joué. Les personnages épisodiques n’ont pas l’âge des rôles. Bonne mise en scène. La salle de première a fait un honnête succès.
19.03.66 - Boudia, Papillon et moi avons été à Reims voir HISTOIRE DE VASCO. Un autre Arabe Berbère était avec nous. Il a conduit un moment l’auto et c’est un vrai coup de pot que nous soyons tous sains et saufs. Mairal nous a annoncés que la Maison de la Culture de Reims était acquise depuis vingt-quatre heures et qu’il présidait aux destinées de l’Association Pour. À part ça il nous a dit ses difficultés dans une région de haute bourgeoisie et de manœuvres, mais quasiment sans classes moyennes.
La pièce de Schéhadé est sur deux registres : l’un poétique qui me rappelle POÉSIE 44. C’est assez dire que je le trouve démodé. Son aspect le plus jeune est un relent giralducien. Au surplus les rapports entre Vasco et Intermezzo sont évidents. L’autre registre, qui rappelle Sveik, est satyrique, antimilitariste et fort drôle. Celui-là n’a pas vieilli d’un pouce. Le spectacle ne vaut pas cher. C’est de l’amateurisme amélioré avec des décors pauvres (ce qui n’est pas un crime), mais laids (ce qui en est un) et mal fonctionnels (ce qui est con). C’est bien joué par Roger Montsorret et par deux ou trois des autres. Mais l’ensemble de la distribution est tout à fait médiocre et Mairal, notamment, est à chier, tant il en fait et le fait mal dans le rôle du savant. Bref, Boudia a fait un somme durant le III. Après la séance, nous avons bu du champagne rosé en compagnie de Lerminier en remarquant que c’était tout de même meilleur que le Postillon, Monopole. Moi, toutefois, j’ai trouvé ça dégueulasse ! Lerminier était venu voir le spectacle en tant qu’Inspecteur, mais comme il partageait notre avis partagé, il a fait causer Papillon sur « Chronique d’une guerre. Papillon l’a trouvé charmant !!! On a aussi un brin parlé de l’A.T.A.C. (le truc de Cartier), mais sous l’angle des passes d’armes. Je voulais jauger de quoi il retournait et ma religion est faite : la parade pour nous est d’avoir le maximum de contrats d’exclusivité du type Aubervilliers - Debauche. Boudia a conduit au retour. Partis à une heure quinze, nous étions à deux heure trente-cinq Porte de la Villette (cent cinquante-quatre kilomètres).
25.03.66 - Vu LE GRAND CÉRÉMONIAL aux Mathurins. Selon Papillon, je ne suis pas un juge impartial puisque j’avais envie de monter la pièce. Pourtant, je crois bien que j’ai raison lorsque je prétends que la timidité de Vitaly a abouti à trahir la pièce. En fait, dans une œuvre pareille, le metteur en scène n’a pas grand-chose à faire : il lui suffit d’être fidèle à la lettre du texte. Mais fidèle en saisissant chaque intention et, au maximum, en la poussant à son paroxysme. En fait Vitaly, comme naguère Thierrée, a eu visiblement peur de choquer. Or la pièce est soutenable par un public actuel. Seuls les rétrogrades invétérés peuvent la juger insupportable et, du reste, dans cette version à l’eau de rose, ils ne se font pas faute d’être horrifiés. Il y avait sur ce plan à côté de moi une petite vieille dont l’indignation contenue faisait plaisir à voir.
Le choix d’Yvette Etiévant en mère illustre ce propos. Elle n’est pas du tout monstrueuse, Yvette, alors que le personnage l’est et doit l’être au premier degré. Quant à Negroni, c’est une évidente erreur de distribution. On le voit bien trop visiblement jouer le contrefait. Il oublie périodiquement son pied bot et il joue à tenter d’être sympathique. Il eût vraiment fallu Emilfork ou Voillot, ou bien sûr Arrabal lui-même. Thierrée aurait pu le faire, dirigé par quelqu’un d’autre que lui-même. Quant aux filles, Françoise Godde (la deuxième) est très bien, mais la première est fort mauvaise et Françoise eût été infiniment mieux. C’était un rôle pour elle. Je ne m’étais pas trompé. Et que dire de l’amant, qui est inexistant au possible et fort mauvais acteur. Je n’ai guère décoléré de la soirée, car cela m’irrite d’être dans une salle et de mesurer séquence après séquence ce qu’il aurait fallu faire et jusqu’où l’on n’a pas été. Arrabal se rattache, que ce soit valable ou non, à ce style happening d’Alessandro qui vise à créer sur la scène et dans la salle un véritable mouvement « Panique ». C’est d’ailleurs le titre qu’Arrabal, qui s’en revendique un peu comme le chef, donne à son mouvement. C’est inexistant sur le plan du théâtre social et politique, mais cela vise à modifier le rapport scène / salle, en ce sens qu’il s’agit vraiment de terroriser, d’horrifier le spectateur, de le faire sortir de lui-même (peut-être pour mieux l’y faire rentrer). On est un domaine onirique. Tout doit être violent, brutal, affreux, horrible ! C’est pire que Frankenstein et au-delà de l’immoralité fondamentale, cela expose des comportements d’êtres dégagés de tout compromis social, mais enlisés dans l’effort pour vivre réellement les rêves troubles enfermés ordinairement dans l’inconscient. Vitaly, par sa présentation bien élevée, a ramené Arrabal au rang d’un auteur « original ». Il n’en a pas montré l’essentiel, c’est-à-dire l’énorme violence, la révolte puisée aux sources mêmes de la conscience, l’insatiable recherche de soi-même et (sans doute au-delà) de l’homme essentiel. C’est donc plus qu’une trahison banale. C’est un crime contre l’auteur dont, à ce rythme mondain (l’autre aspect, c’est Rothschild, la soirée à visons, et chez Arrabal, car rien n’est dû au hasard et notamment pas cette collusion avec Rothschild) on fera avant dix ans un nouvel Anouilh, auteur à succès qui s’autocensurera lui-même pour demeurer riche. Et comme pour Anouilh, certains évoqueront avec mélancolie les promesses du début, tandis qu’au Montparnasse, on jouera trois ans de suite des pièces où l’écrivain lui-même aura su jusqu’où il ne pouvait pas aller trop loin.
25.03.66 - Vu au Poche le dernier spectacle de Bourseiller. Trois pièces en un acte de l’auteur polonais Slavomir Mrozek : BERTRAND – STRIP-TEASE – EN PLEINE MER. Deux de ces pièces sont absolument excellentes, les deux dernières, et fort intéressantes du point de vue de la littérature comique de résistance par le rire d’au-delà du rideau de fer. En fait, en filigrane dans ces trois pièces, il y a l’Individu face au système policier, à la force d’État, l’écrasement de la liberté d’être soi-même au profit de l’ordre. C’est hurlant de clarté quoique ce soit masqué sous des anecdotes bénignes, vaguement surréalistes, kafkaïennes ou carrément ionesciennes. Il y a un merveilleux raisonnement syllogistique sur la distinction entre la liberté vraie (qui existe pour l’homme précisément quand il est enfermé, contraint et asservi) et la liberté ordinaire. Il y a une promotion d’homme en homme-homme qui est proprement géniale par la prise de conscience d’un naufragé qu’il doit se laisser manger par ses deux camarades. Cela se fait au terme d’une longue résistance à un authentique lavage de cerveau. Bref, c’est fort explosif du point de vue polonais, mais il importe de noter que les pièces sont jouées en Pologne d’où il ressort que la contradiction y est très largement autorisée, car qu’on ne me dise pas que quiconque soit dupe face à une transposition si transparente. Cela dit, en soi, c’est extrêmement drôle et demeure valable entièrement même si on ne sait pas que l’auteur est polonais. Il a donc une valeur universelle et, comme tel, il est très justifié qu’il soit « découvert » au public français qui s’y amuse lui-même franchement, transportant la donnée de base sur le plan de notre système gaulliste face aux individus. Et c’est admirablement joué par Yves Robert et Marco Perrin, les autres étant un peu au-dessous. Bonnes mises en scène. Il semblerait que depuis sa présence au Poche Bourseiller se soit mis à servir ses auteurs au lieu de les trahir. Cette maturité donne de très excellents résultats. Bref une très divertissante soirée.
26.03.66 - Vu au Lutèce le spectacle O’Baldia de Fornier et Lavelli. Cela ne vaut pas cher. C’est du boulevard et du poétique emmerdant. De plus, ce n’est pas bien joué.
31.03.66 - Vu hier à la Comédie de Paris le spectacle du Théâtre de la Chimère : compagnie Jérôme Savary, le nommé susdit étant à la fois auteur, metteur en scène, et j’en jurerais, producteur, et s’il vous plaît, pas si pauvre que ça ! Que dire de la deuxième pièce, LES BOITES, le gros morceau (cinquante minutes environ). Il y a quelques gags, mais surtout des cris inarticulés sur un texte inaudible qui ne cherche d’ailleurs pas à se faire entendre. Cela me semble vouloir être un happening écrit, organisé. Peut-être est-ce symbolique. En tout cas cela s’achève par deux couples montrant diverses positions en amour. On ne s’emmerde pas, mais il faudrait un mode d’emploi. La première pièce, « L’INVASION DU VERT OLIVE », vaguement de fiction, est très incompréhensible, par contre très drôle, jouée avec originalité (parti pris de moncordie s’accordant à la monochromie du monde). Ça m’a beaucoup plu en lever de rideau. Ça ne dure malheureusement qu’une vingtaine de minutes. De toute manière, tout ça qui se veut jeune est bougrement vieux : nous sommes exactement à l’ère de la réinvention du surréalisme. Tout y est exactement. L’ennui, c’est qu’un théâtre de ce genre, sado-masochiste, provocateur, théâtre de défoulement, devrait faire sortir le spectateur de ses gonds. Hélas, la sagesse du public était hier soir exemplaire. Joli gadget en lieu de programme.
16.11.68 - LA GRANDE ENQUETE DE FRANCOIS-FÉLIX CULPA, que répète Vitez pour Nanterre avec Savatier, Damien et Lise Martel dans les rôles principaux, s’annonce comme un grand, actuel et passionnant spectacle. Je crois qu’on peut dire que c’est à retenir pour nous car, vingt jours avant de passer, le filage auquel j’ai assisté permet de VOIR un vrai dessin et non une ébauche.
LA GRANDE ENQUETE DE FRANCOIS-FÉLIX CULPA a vu le jour à l’École Voltaire de Nanterre devant fort peu de spectateurs. Pierre Debauche lui-même recevait à l’entrée et a veillé personnellement à la fin à ce que la salle soit balayée. Entre la répétition que j’avais vue et cette première représentation, je n’ai pas décelé une grosse différence, encore que quelques coupures heureuses aient été pratiquées. Le roman-photo m’a déçu. Et d’abord parce que ce n’est pas un roman-photo : c’est une illustration épisodique de ce qui se passe sur scène (si j’ose dire puisqu’il n’y a pas de scène, mais vous voyez ce que je veux dire !), tantôt dans le sens de ce que disent les personnages, tantôt en contrepoint, alors que si je me réfère aux intentions de Vitez, il me semble que j’aurais dû éprouver le contraire, c’est-à-dire le sentiment de l’animation vivante des images par les acteurs. D’autre part, il n’y a pas assez d’images, les mêmes reviennent trop souvent, elles ne sont pas assez vulgaires, certaines sont belles, trop belles. Savatier à poil, dont Antoine m’avait beaucoup causé, permettez-moi de vous dire que quand on vient de voir HAIR, ça ne répond pas aux espérances. Tout au plus émerge-t-il du plumard une bricole d’épaule dénudée. C’est bref. En plus, il y a des périodes sans projections du tout. Cette partie du travail de Vitez ne me semble donc pas très aboutie, et sans doute même, pas assez pensée, élaborée, réfléchie. Cela dit, c’est un détail dans le spectacle que je continue à aimer beaucoup. Monsieur Grönwall en Inspecteur François-Félix Culpa est admirable et les ritournelles qu’il joue au violon sont un excellent appoint aux états d’âme et aux charnières des séquences.
17.01.69 - Revu François-Félix Culpa à la Cité Universitaire hier soir. Non seulement j’ai de nouveau été ravi, mais le spectacle ayant énormément progressé, j’ai été enchanté.
25.04.69 - J’ai vu hier soir à Sartrouville LA MOSCHETTA de Ruzzante montée par Maréchal. Disons tout de suite que c’est un beau spectacle de grande classe, digne d’être jugé au niveau le plus élevé. Spectacle baroque s’il en fût, dominé par la présence d’acteur de Maréchal qui est vraiment un des plus grands comédiens de ce siècle, mais qui (hier soir en tout cas) « n’en fait pas excessivement pas trop » et s’intègre à une distribution « homogène » de tenue (pour une fois).
On sait que Ruzzante avait écrit la pièce en dialecte padouan. Maréchal dans sa « version scénique » a cherché une équivalence dans le patois lyonnais. Il paraît qu’au Théâtre du Huitième ce parti est fort efficace. Dans la région parisienne, on entend un français un peu tarabiscoté et très grossier, mais ça ne fait sur le spectateur aucun effet particulier. Ça donne une coloration, sans plus, mais quoi qu’il en soit c’est supérieur à la langue publiée par Michel Arnaud, qui doit en faire une jaunisse de ne pas émarger aux droits d’auteurs.
Cela dit, la pièce reste une bonne grosse farce dont le contenu social ne me semble pas évident. Maréchal a voulu que son spectacle soit SIGNIFIANT, et c’est pourquoi entre les actes, il a inventé un texte où des sous-prolétaires s’expriment avec à l’appui des espèces de ballets très rapides où, tels des pantins désarticulés, les déshérités gesticulent l’agitation stérile et la misère de l’humanité indifférente au jeu des personnages de la comédie.
Moi je veux bien. En soi c’est beau, ça a un sens, ça rappelle des vérités utiles aux spectateurs bourgeois. Mais c’est gratuit, sans lien aucun avec l’œuvre. Du moins cela a-t-il le mérite d’être original en ce que ça ne cherche pas comme d’habitude à replacer l’action dans son contexte historique : cela le replace dans un contexte permanent où le sous-développement et son corollaire « bidonvillesque » sont montrés comme étant encore actuels tout en ayant existé à l’époque de Ruzzante. C’est une innovation intéressante.
Jacques Angeniol, qui joue l’unique personnage féminin de la pièce, la femme de Ruzzante, le paysan roublard mal intégré à la vie de la ville, le fait avec beaucoup d’ambiguïté, sans que rien d’équivoque ne puisse être attaché à ce mot. J’ai lu dans une critique qu’il apportait, de par son sexe, une dimension supplémentaire à la pièce. Je n’en suis pas tellement certain. Je crois que beaucoup de comédiennes auraient su comme lui contrer ce front serein abritant de probables tempêtes, cette indifférence apparente cachant de vraisemblables révoltes. Mais le parti pris est justifiable par le fait qu’à l’époque de Ruzzante, les rôles de femmes étaient joués par des travestis. Angeniol est en tout cas très valable et rien de pédérastique ne se dégage de son interprétation. On n’est jamais gêné et ce n’est pas une mince performance.
Le bouillonnant Maréchal, quand il oublie ses préoccupations sociales et sa mission civilisatrice des masses lyonnaises, a cela dit un sens rigoureux de la farce. Mais curieusement, on ne rit pas tellement et l’on ne songe pas à le lui reprocher. Car finalement, c’est une question de dimension : il va au-delà de la farce avec les moyens de la farce, et atteint ainsi à un pathétique certain et même à une épaisseur des personnages dont je me demande si l’auteur l’avait entrevue. Ainsi le compère et le soldat existent. Lagarde tient dans ce dernier personnage un de ses meilleurs rôles. Malheureusement, Ballet en compère n’est pas très bon. Il fait dans la truculence et m’a rappelé par instants Bouise quand il en fait autant. Mimétisme local déplorable. C’est Ballet qui ouvre le spectacle et j’avoue que j’ai eu très peur durant la première scène.
Cela dit, le spectacle était un peu étriqué sur la scène de Sartrouville et c’était un peu dommage pour le dispositif d’Angeniol, bric-à-brac fait de bric et de broc très savamment. J’imagine sans peine qu’il devait être assez extraordinaire sur la scène du Huitième. C’est en tout cas un des plus « chouettes » décors que j’ai vus ces temps-ci. On le voit, j’ai plutôt beaucoup aimé cette MOSCHETTA, encore que la verve de Maréchal (suivant d’ailleurs en cela, m’a-t-il semblé, celle de Ruzzante) s’épuise sur la fin. Pour moi, il était temps que ça finisse à vingt-deux heure quarante. Un quart d’heure de plus et je me serais peut-être renfrogné. Messieurs Sévenier et Leenhardt animant seuls le Théâtre de Sartrouville font un peu pâle figure. Ils ont entrepris dans leur « région » une « campagne d’explication », mais ils se heurtent de leur aveu à un mur qu’il leur sera difficile d’abattre, les gens étant convaincus, Chéreau parti, que leur théâtre est fermé ! Il y avait pourtant du monde à LA MOSCHETTA. Beaucoup de Parisiens, le gréviste jaune Lemarchand, Vauthier (qui tonitruait contre les aspects sociaux du spectacle et s’inquiétait d’entendre Maréchal causer du BOURGEOIS GENTILHOMME pour la saison prochaine au lieu de l’ouïr disserter sur le SANG. Mais je crois bien que Marcel Noël en rajoutait exprès), Kourilski et Dort, Garran et sa nouvelle amie (qui est charmante). Et aussi quand même quelques Sartrouvillois… qui avaient pris leur abonnement au temps de LA RÉVOLTE AU MARCHÉ NOIR.
A PARTIR DE CETTE PAGE, VOUS LIREZ SEULEMENT DES RELATIONS DE VOYAGES EN ACCOMPAGNEMENT OU EN PRÉPARATION DE CERTAINES TOURNÉES DESPECTACLES.QUE MON ENTREPRISE ORGANISAIT, PAS TOUJOURS MAIS SOUVENT AVEC LE SOUTIEN DE CE QUI S’APPELAIT ALORS L’AFAA.
CE SERA POUR VOUS UNE LECTURE, JE CROIS, TRÈS INSTRUCTIVE
Fragment dun carnet : Note sur la tournée en ALGÉRIE du NUAGE AMOUREUX
02.11 - Je suis avisé vers dix-sept heure d’avoir à trouver sur place, à Tunis, un autocar pour rejoindre par nos propres moyens Tabarka, le Théâtre National d’Alger ne pouvant finalement pas nous envoyer le car et le camion prévus à l’article quatre de notre contrat. Vu que nous sommes un Samedi en fin de journée, ce problème ne pourra être résolu vraiment que le lundi matin -le jour même du départ. Mais grâce à l’amabilité et à l’efficacité de Monsieur Battikh, administrateur du Théâtre de la Ville de Tunis, à qui je demande dès ce samedi assistance, ce sera fait en temps voulu.
04.11 - Selon les indications reçues par téléphone avant notre départ de Paris, j’accompagne Mehmet Ulusoy au Consulat d’Algérie à Tunis, où son visa doit l’attendre. La fermeture du bureau pendant les Fêtes du Vingtième Anniversaire et le week-end nous ont empêchés de nous assurer plus tôt que tout était en ordre. Or, RIEN ne nous attend. Je demande aussitôt l’aide de notre Attaché Culturel à Tunis, qui téléphone à l’Ambassade d’Algérie. Il est environ neuf heure trente. Il est aimablement accueilli par Monsieur Maïza, qui sollicite aussitôt auprès d’Alger des instructions par télex à l’intention du Consul. La matinée se passe à attendre la réponse, espérée ensuite pour quinze heure, à la réouverture des bureaux.
Nous prenons du retard : notre départ pour le poste-frontière tunisien de Babouch avait été fixé à treize heure. Nous ne quitterons finalement Tunis qu’à près de seize heure, SANS QUE MEHMET AIT SON VISA.
Notre chauffeur fait grise mine : il doit assurer le lendemain matin un service de sept heure trente à Tunis.
Nous avons dû abandonner cinq bidons, aménagés pour la représentation au Théâtre de la Ville après avoir été achetés : ils ne peuvent trouver place dans le car où sont entassés tant bien que mal tout le matériel possible et nos bagages personnels. Nous ne parviendrons pas à avertir le régisseur, parti le matin en avion pour Annaba, de cet abandon forcé.
Il est de plus en plus évident que nous ne pourrons atteindre Tabarka, où je devrais me présenter au bureau des douanes tunisiennes avant dix-huit heure pour apurer le document établi à notre arrivée, en temps voulu.
Mehmet, à qui la préposée au service des visas a déclaré que seul le consulat pouvait lui délivrer le sien, et qu’il était inutile de répercuter auprès du poste frontière l’El Aïoun des instructions parvenant après notre départ, est inquiet. Il tient à téléphoner de Medjez-el-Bab, au Consulat à Tunis, puis au Wali de Constantine avec qui il a noué d’excellentes relations lors du festival de Timgad l’été dernier.
C’est donc peu avant vingt-deux heure que nous arrivons au poste de Babouch, isolé en pleine nature. Formalités de police. Notre chauffeur, dépourvu de passeport, ne peut faire les sept kilomètres qui nous séparent d’El Aïoun. Sur ma demande, on appelle le poste algérien. La communication est mauvaise, mais on comprend qu’il y a bien un car venu nous attendre. On parlemente, avec la police des frontières, et aussi avec les douaniers, car j’essaie d’obtenir la faveur de faire mes formalités sur place. Les comédiens commencent à s’agiter : le sommeil n’est pas encore là, mais la faim se fait sentir. Pendant qu’un douanier cherche à joindre son Chef de Poste, je reçois un appel de Monsieur Battikh : on lui a téléphoné d’Annaba que le car venu à notre rencontre avait dû faire demi-tour, n’ayant pas reçu des douaniers algériens l’autorisation de monter jusqu’à Babouch ! Cette information, contredisant celle fournie par la P.A.F. d’El Aïoun, ma laisse perplexe.
Il doit être environ vingt-trois heure. Notre douanier complaisant, ému par la vue de ces dix-sept personnes fatiguées et affamées, nous propose de venir avec nous dans le car et d’aller réveiller son chef, à Aïn Draham -sept kilomètres. Nous y allons. Le chef est compréhensif. Mais si nous descendons maintenant à El Aïoun, y trouverons-nous, oui ou non, le car algérien ?
Le douanier nous accompagne à un hôtel voisin, où rien ne peut nous être servi pour nous restaurer, mais d’où il téléphone -d’abord à El Aïoun, d’où effectivement le car est reparti- puis à l’Hôtel des Chênes (encore sept kilomètres plus loin). Après avoir raccompagné notre cicérone à son poste de Babouch, nous trouvons vers minuit et demi tout le personnel de l’Hôtel des Chênes réveillé pour nous servir un repas chaud et nous installer dans des chambres confortables. Heureusement, un certain nombre d’entre nous avions sur nous des Francs français ! Sinon, la législation tunisienne étant en tous points semblable à l’algérienne, nous étions bons pour passer la nuit à la belle étoile et le ventre creux.
05.11 - Départ matinal pour Babouch. Dieu merci, la garde n’a pas été relevée, et nous retrouvons les mêmes policiers et douaniers, plus leurs chefs. Nous sommes en pays de connaissance ! Les papiers de douane sont obligeamment mis en règle. Et le chef du poste de police accepte de nous convoyer jusqu’à El Aïoun, où sa présence garantira le retour immédiat du chauffeur et du car après déchargement de notre matériel et de nos bagages.
Vers neuf heure trente, nous voilà à El Aïoun. Pas de car algérien en vue. J’obtiens l’autorisation de me rendre au poste de douane (où j’échange un billet de dix Francs précieusement conservé contre huit D.A.) et à la poste, sans attendre que nos formalités de police soient terminées. J’obtiens le Théâtre d’Annaba Là-bas, on est en train de faire des démarches pour que le car reparte jusqu’à Babouch muni d’une autorisation en bonne et due forme. Sans en attendre le résultat, on va donc nous renvoyer le car immédiatement.
Quand je regagne le poste de police, le car tunisien est reparti, le chauffeur muni d’un confortable pourboire, et d’une lettre d’excuses sur papier à en-tête du THÉATRE DE LIBERTÉ destinée à son patron qu’il a en vain essayé de joindre par téléphone.
Mais Mehmet Ulusoy est en train de parlementer avec le chef du poste de police, pointilleux et jaloux, de son autorité locale. Il va néanmoins consentir peu après à délivrer le visa.
Notre matériel et nos valises sont groupés au pied du mât où flotte le drapeau algérien. Il ne reste qu’à attendre le car, qui arrivera vers onze heure. Les nuages s’amoncellent, mais il ne pleut pas encore…
Je mets ce temps d’attente à profit pour rendre visite au chef du poste de douane, inventaire du matériel et contrat avec le T.N.A. en main. Je le persuade sans mal de laisser entrer notre matériel : dès que le car sera là et le chargement effectué, il visera l’inventaire, et le D 18 sera établi à Annaba dans l’après-midi.
Nous quittons El Aïoun à midi, juste comme la pluie commence à tomber. Arrivée à Annaba peu avant quatorze heure. Installation à l’hôtel d’Orient, où nous devrons payer les chambres réservées pour la veille, ce qui se comprend. Quelqu’un nous apporte mille D.A. et un restaurant accepte de nous recevoir.
Les cinq bidons abandonnés à Tunis vont faire défaut. Le responsable de la Sonatrach habilité à signer l’autorisation de sortie de ce que nous avions demandé étant en vacances, il a encore fallu faire des prouesses… Pendant toute la représentation, les comédiens vont se livrer à une course effrénée pour assurer toutes les « figures » prévues dans le jeu avec une insuffisance de vingt pour cent en matériel.
J’avais demandé par téléphone à recevoir au moins quatre mille cinq cent à cinq mille D.A. à Annaba, sur l’équivalent de dix mille sept cent Francs prévus à l’alinéa a) du paragraphe 7 de notre contrat, afin que la troupe soit à l’aise jusqu’à son arrivée à Alger. Mais Monsieur Agoumi ne peut porter qu’à deux mille cinq cents D.A. en tout l’acompte qu’il me remet. Il a bien reçu une provision de l’administration du T.N.A. d’Alger, mais il doit faire face avec la somme reçue à une quantité de frais divers -entre autres, il attend juste après nous une troupe de l’Amicale…
Mercredi 06.11 - À neuf heure, nos techniciens sont au théâtre pour le chargement de tout le matériel -bidon compris- dans le camion… mais pas de camion.
À dix heure, tout le monde est dans le hall de l’hôtel, valises bouclées et note payée… mais pas de car.
On appelle la direction à Alger. Le car et le camion sont partis hier ; ils devraient être là ; il faut les attendre d’un moment à l’autre. On attend… La troupe s’impatiente à juste titre. On attend jusqu’à ce que -vers quinze heure- Monsieur Agoumi ait en ligne en ma présence Monsieur Bestandji, qui refuse de m’avoir au bout du fil… Il est alors admis que nous n’aurons pas nos véhicules pour quitter Annaba le jour même, et que nous ne jouerons pas le jeudi 7 -ni à Alger où la représentation devait avoir lieu, ni à Tizi-Ouzou où j’apprends par hasard que nous devions finalement nous rendre. Nous jouerons à la salle El Mouggar les 8, 9 et 10, et à Tizi-Ouzou le 11, en remplacement d’Oran.
Monsieur Agoumi réserve des chambres pour une nouvelle nuit à l’Hôtel d’Orient, au compte du T.N.A. cette fois, et toute la troupe a quartier libre jusqu’au lendemain matin. L’information est donnée à quinze heure trente à une équipe sur pied depuis neuf heure. Je réussis à obtenir cinq cents D.A. de plus, afin que nous puissions nous offrir le restaurant sur la route le jeudi, entre Annaba et Alger.
Le camion arrive vers dix-neuf heure. Le car n’arrivera qu’au petit matin, car il doit déposer une autre troupe à Souk-Ahras, et une pluie torrentielle tombe sur l’Est depuis deux jours. Les deux véhicules n’ont quitté Alger que le matin même.
07.11 - Inquiet de notre manque de trésorerie, j’expédie à neuf heure de la poste d’Annaba un télégramme à Monsieur Abdallah Djebrouah, en prévision de notre arrivée tardive à Alger : « ARRIVERONS ALGER COMPLÈTEMENT DÉMUNIS ARGENT. INDISPENSABLE NOUS ATTENDRE HOTEL AVEC MINIMUM 3000 D.A. STOP POUVEZ REMETTRE À VALVERDE. ». En effet, le Directeur du T.G.P. de Saint-Denis, venu nous rejoindre à titre privé, nous a précédés à Alger et je sais qu’il doit se rendre dans la journée à la direction générale du T.G.A.
Notre autocar est là. Le chauffeur a roulé toute la nuit. Il se repose deux heures dans le car et nous partons vers dix heure trente. Entre Annaba et Constantine, la route est inondée par endroits. Déjeuner à Constantine. Pause-café à Sétif. Nous suivons le conseil de notre vaillant chauffeur et prenons à casse-croûte à Bouïma.
À notre arrivée à l’hôtel Oasis, où l’on nous a indiqué de nous rendre, nous retrouvons José Valverde, mais personne du T.N.A. ne nous attend, et l’on ne lui a pas remis d’argent pour nous, quoiqu’il soit au courant d’un télégramme envoyé par moi, mais dont il ignore le contenu.
Nous apercevons aussi Salah Teskouk : il occupe avec la troupe de l’Amicale les chambres réservées pour nous… car ils sont bloqués à Alger pour la nuit dans l’attente d’un autocar qui les emmène à Annaba ! Il nous dit qu’il faut continuer notre route jusqu’à l’Hôtel El Manar, à Sidi Ferruch.
Ces vingt-cinq kilomètres supplémentaires ne seraient rien, si nous n’étions fort mal accueillis dans cet établissement : on nous donne bien des chambres, mais il faut parlementer une heure pour obtenir des sandwichs et quelques bouteilles d’eau au lieu du dîner promis. Pourtant, le personnel est là, tant au restaurant qu’au bar, prêt à servir deux cents Coréens… mais il n’y a pas d’ordres en ce qui nous concerne, en dépit de la prise en charge du T.N.A. Pour le petit-déjeuner du lendemain, je devrai aller faire un scandale à la réception pour qu’on nous serve du café et du lait. Le pain, le beurre, le sucre et les petites cuillères seront grappillés parmi les restes des tables voisines.
08.11 - Les incidents relatifs au petit-déjeuner ne nous aident pas à quitter l’Hôtel El Manar de bonne heure. De plus, les stations-service de la banlieue ouest attendent toutes d’être ravitaillées en gasoil, et, pris de court par ce supplément de parcours de cinquante kilomètres imprévu, notre chauffeur s’arrête à chacune, craignant la panne sèche. Nous tirerons finalement avantage de ce cabotage, car il négocie pour nous en proche banlieue l’achat de cinq bidons vides d’occasion, qu’il reviendra chercher l’après-midi. Il est onze heure quarante-cinq quand nous arrivons au Palais, Bruce, Mehmet, Arlette Bonnard, Richard Soudée et moi.
Avec l’administrateur du THÉATRE DE LIBERTÉ, je me rends tout de suite dans le bureau de Monsieur Abdallah Djebrouah, qui nous remet les trois mille D.A. réclamés pour la veille au soir. Je m’inquiète aussi des réservations concernant nos billets d’avion pour le retour et le M.C.O. pour l’excédent de bagages. La précaution que j’avais prise de faire réserver par notre agence parisienne nos quinze places sur le vol Oran-Paris du 12 s’avère en effet totalement inefficace, puisque nous n’irons pas à Oran !
J’ai alors la désagréable surprise de découvrir que RIEN N’EST FAIT, en ces jours où les multiples délégations venues pour le Vingtième Anniversaire quittent la capitale algérienne. On révise la liste des passagers, qui comporte des erreurs car elle est établie à partir des réservations de chambres, où figurent des personnes nous accompagnant, mais dont les voyages ne sont pas à la charge du T.N.A. (malgré cette remise à jour, Luiz Kadun MENASE voyagera d’ailleurs avec un billet au nom de José Valverde).
Après m’avoir inquiété en me disant qu’il est inutile et impossible de faire une démarche auprès d’AIR ALGÉRIE tant que le contrat n’est pas visé par la Banque Centrale, Monsieur Abdallah Djebrouah cherche à me culpabiliser en pointant de deux croix rouges l’article 5 du contrat relatif à cette liste de passagers. Je proteste énergiquement… et l’on retrouve la liste, comportant les identités de chacun, qui avait été envoyée avec les documents publicitaires et la fiche technique dès le 27 septembre.
Je rejoins Mehmet Ulusoy et Arlette Bonnard dans l’antichambre du bureau de Monsieur Bestandji, qui nous reçoit avec affabilité dès qu’il en a fini avec une délégation de Chinois de l’Opéra de Pékin. Il est déjà au courant de nos mésaventures, nous exprime ses regrets : le T.N.A. s’est trouvé débordé avec ce Vingtième Anniversaire ; il était lui-même persuadé l’avant-veille de ce que nos car et camion étaient sur la route. En termes très mesurés, Mehmet et moi-même lui exprimons toutefois qu’en dépit de toute la joie qu’éprouve le THÉATRE DE LIBERTÉ à jouer pour le public algérien, les conditions de travail sont vraiment jusque-là à la limite du supportable, ainsi que nos préoccupations quant à l’organisation du voyage de retour vers la France, la troupe devant honorer un contrat à Grenoble dès le 13 novembre.
Nous nous installons à l’Hôtel Oasis. Je peux recevoir des communications téléphoniques dans ma chambre, mais les circuits sont détériorés dans l’autre sens. La cabine du rez-de-chaussée ayant de plus disparu, je ne pourrai téléphoner que du comptoir de la réception, au milieu des allées et venues bruyantes. Il n’y aura d’eau chaude que le premier et le dernier jour de mon séjour -le vendredi, est-ce une coïncidence ?-. Toujours est-il qu’au moment de payer les factures, la troupe renâclera à payer des douches et des salles de bains dans ces conditions d’utilisation, les fréquentes coupures d’eau ne pouvant toutefois pas être imputables à la direction de l’hôtel.
L’équipement du spectacle à El Mouggar est difficile. La fiche technique n’a pas été communiquée au régisseur du T.N.A. (je la retrouverai dans le dossier conservé à la direction générale, avec l’ensemble du pli envoyé le 27 septembre). Il nous fournit néanmoins en fin d’après-midi le magnétophone REVOX demandé, et l’on joue, une fois de plus, dans l’énervement et la fatigue, mais devant un excellent public.
On se demande comment ce public a été informé, puisque les spécimens d’affiches, les photos, les extraits de presse -enfin toute la documentation du spectacle- sont proprement enterrés dans un dossier rue Hadj Omar. Pour toute information : une pancarte à l’entrée du théâtre, réalisée à la diligence de Monsieur Baba Ali, et des pavés dans El Moudjahid, dont le texte est plus que succinct !
C’est dans l’après-midi de ce vendredi 8 que le contrat est communiqué à la Banque Centrale. J’en éprouve une sourde angoisse.
Le soir, le régisseur du T.R.A.C. m’apporte comme convenu le D 18 établi à Annaba, en bonne forme.
09.11 - Nouvelle visite à l’administration, en compagnie de Richard Soudée. Le solde de vingt-cinq pour cent du contrat devant être dépensé en Dinars, ainsi que le remboursement du coût de l’autocar tunisien et du billet d’avion Tunis – Annaba de notre régisseur, sont enfin réglés, mais rien en ce qui concerne le retour Alger – Paris.
Avec Mehmet et Arlette Bonnard, nous nous retrouvons dans le bureau de Monsieur Bestandji. Sur mon insistance, il demande devant nous à Monsieur Djebrouah de faire au moins nos réservations auprès d’AIR ALGÉRIE.
Nous lui faisons part également des conditions impératives pour que nous puissions assurer la représentation à Tizi-Ouzou le lundi : l’assistance d’un technicien du T.N.A., avec un jeu d’orgues, des projecteurs et un matériel de sonorisation complet sont indispensables, car nous avons appris qu’il s’agit d’un cinéma sans aucun équipement. Nous ne saurons que le soir, au hasard d’une conversation amicale, que le plateau ne doit pas excéder six mètres de profondeur… Rien n’est sûr, car les Coréens mobilisent au T.N.A. le jeu d’orgues de tournées, utilisé en appoint, et un nouveau jeu A.D.B. est toujours sous douane à Dar El Beida. Or nous sommes samedi. On espère tout de même.
10.11 - On ne peut rien faire, en dehors de la représentation elle-même, qui commence à dix-huit heure. Les informations ont été contradictoires sur cet horaire, tant auprès de la troupe que du public, si bien que certains spectateurs arriveront pour vingt heure trente, après la fin du spectacle.
En dépit des incertitudes quant à la possibilité de jouer à Tizi-Ouzou, rendez-vous est fixé à tous pour s’y rendre le lendemain.
11.11 - Ayant eu connaissance du numéro de téléphone du garage du T.N.A., j’appelle moi-même au petit matin pour que le camion vienne charger le matériel. Il ne pourra néanmoins pas venir de suite, car son autorisation de circuler en ville, périmée le 10, n’a pas été renouvelée à temps.
Monsieur Marouf, à qui j’ai remis samedi le D 18, vient lui-même préciser à Monsieur Djebrouah que pour obtenir la visite de notre matériel à l’aéroport en bagages accompagnés, il doit dans la journée rendre visite à l’Inspecteur des douanes et lui présenter, avec le D 18, le M.C.O. correspondant à l’excédent de bagages.
Je reviens de mon côté à la charge pour obtenir nos billets d’avion. Les renseignements obtenus directement auprès de la Banque Centrale sont formels : le prix des billets n’entrant pas en ligne de compte pour le transfert de devises, RIEN N’EMPECHE LE T.N.A. DE LES ACHETER TOUT DE SUITE. Ils sont d’ailleurs effectivement commandés, mais les réservations, faites trop tardivement, ne sont pas obtenues dans le vol souhaité : il faut avancer l’horaire du départ, l’avion décollant à douze heure.
Tout de même rassuré, je pars l’après-midi rejoindre la troupe à Tizi-Ouzou, car j’ai la chance de pouvoir rencontrer, en ce jour férié dans notre pays, Monsieur Girard, notre conseiller culturel, qui met à ma disposition sa voiture et son chauffeur.
Il est près de dix-huit heure quand j’arrive à Tizi-Ouzou. J’apprends que le camion ne m’a précédé que d’un quart d’heure, et qu’il est finalement arrivé sans jeu d’orgue. Juste avant ma venue, la direction générale algéroise vient d’être avisée de l’impossibilité où nous étions de jouer.
Il semble au surplus qu’on ait jamais trop cru dans cette ville à la réalité de notre prestation, sur laquelle aucun renseignement n’avait été transmis.
Nous reprenons la route d’Alger, et mettons au point les dispositions pratiques pour le départ avancé du lendemain matin. Dois-je ajouter que la troupe est déçue et frustrée par cette annulation de l’ultime représentation en Algérie ?
12.11 - Je suis à huit heure quinze rue Hadj Omar, pour repartir presque aussitôt en compagnie de Monsieur Abdallah Djebrouah à AIR ALGÉRIE. Les billets nous y attendent… mais pas le M.C.O., dont il apporte la commande seulement ce matin, devant moi. On lui refuse le paiement en espèces. Il n’a pas le chéquier sur lui, et j’attends son retour pendant une heure -car les allées et venues se font à pied. Enfin, quand les comédiens sont prêts à quitter l’hôtel et m’attendent avec impatience, je reviens avec les billets, et je remets le M.C.O. à Monsieur Marouf, qui va convoyer séparément le matériel.
Les comédiens partent, mais comme il fallait s’y attendre, l’expédition du matériel en bagages accompagnés est impossible, n’ayant pas été préparée. Il voyagera donc en fret, acheminé par un vol Air France du soir. Je devrai téléphoner trois fois à Paris, pour communiquer le numéro de la L.T.A., puis pour faire part des retards successifs. Et les régisseurs devront attendre jusqu’à minuit à Orly Fret, avec le camion qu’ils doivent acheminer à Grenoble pour le lendemain à midi.
13.11 - Le matin, Monsieur Abdallah Djebrouah établit le décompte au brouillon, et me fixe rendez-vous pour quatorze heure trente.
L’après-midi, enfin muni du contrat, de la procuration en bonne forme que m’a signée Mehmet, du décompte, de l’attestation de service fait, de l’attestation de paiement que je signe au T.N.A., et d’une lettre destinée à Monsieur le Directeur du Service des Transferts, ainsi que d’un chèque à mon ordre, je me rends une première fois à la Banque Centrale. Il est déjà assez tard quand j’y arrive, et je ne rencontre pas le Directeur du service, mais j’apprends tout de même -sans grande surprise- que je vais rencontrer des difficultés du fait que la Banque Centrale n’a été avertie de l’existence de notre contrat qu’alors que la tournée avait commencé trois jours plus tôt à Annaba.
14.11 - Je présente mon dossier le matin. La lettre d’introduction dont je suis porteur est déclarée inacceptable dans son contenu, et l’impossibilité d’exécuter les formalités dans ces conditions m’est notifiée officiellement.
Je reviens rue Hadj Omar, et j’informe Monsieur Bestandji de l’accueil que j’ai reçu. Il semble très surpris, convoque dans son bureau Monsieur Abdallah Djebrouah, qui affirme que tout va s’arranger, car nous allons nous retrouver ensemble à quatorze heure trente à la Banque Centrale pour refaire la démarche.
Il est finalement empêché de se rendre à ce rendez-vous par une inspection des Finances, et je vois arriver vers quinze heure trente Monsieur Kamel Ouada, grâce à qui effectivement tout finira par s’arranger. Nous sommes reçus par Monsieur Tatay, Directeur du Service des Transferts. Je lui dis que je comprends sa position, qui ne me surprend pas ; (n’avais-je pas écrit le 13 septembre, en envoyant le contrat à Monsieur Bestandji, que je le remerciais à l’avance de vouloir bien engager tout de suite les formalités, tant auprès du Ministère de l’Information que de la Banque Centrale ?). Je prends vis-à-vis de lui l’engagement de ne laisser repartir en Algérie aucune troupe dont nous assumons l’organisation, sans être assuré du feu vert préalable de son service.
Enfin, il accepte que, sous réserve qu’on lui apporte le lendemain à quinze heure une lettre moins désinvolte de la direction du T.N.A., les formalités soient faites.
15.11 - J’échange le matin mon chèque sur le Trésor Public contre un chèque payable à la Banque Centrale.
Dénouement l’après-midi, in extremis, satisfaction ayant été donnée à Monsieur Tatay. Je quitte la Banque Centrale à dix-sept heure quinze, avec mon argent français, mon attestation pour la douane et mon billet d’avion annoté.
16.11 - Mission remplie, je peux quitter Dar El Beida à dix heure vingt. La veille au soir, Monsieur Abdallah Djebrouah m’a alloué, après accord de son Directeur Général, cinq jours de défraiements complémentaires sur la base de soixante-cinq D.A. par jour.
CARNETS OUBLIÉS EN VRAC
Premier carnet : du 10.01.66 au 09.03.66
25.01.66 - J’ai vu hier soir aux Mathurins l’ÉLECTRE (adaptation de Maurice Clavel, mise en scène de Sylvia Monfort qui joue le rôle d’Électre). C’est un honteux spectacle qui m’a plongé dans une vigoureuse fureur. Est-il possible de massacrer à ce point un chef-d’œuvre ? À peine en scène, Sylvia gémit, hurle, monocorde ; je passe sur le fait qu’elle porte bien ses quarante-trois ans ! Cela fausse tous les rapports, mais qu’importerait si elle était émouvante ! Mais tout est fabriqué, faux, conventionnel au pire ! Le public d’hier a certainement été renforcé dans la conviction que ces classiques antiques ne « passent plus ». J’ai sommé Attoun, à la fin, d’aller à Caen voir l’Électre de Vitez. Le chœur mené par la brave Andrée Tainsy dans le style « mélopée très humaine » a déclenché l’hilarité de la salle. Danet est ineffable en Égyste. Pauvre Sylvia, elle est vraiment devenue misérable. Je ne suis pas allé en coulisses. Je n’étais pas en état de faire un scandale et il était (sans doute) préférable que je m’abstienne. Aperçu Biasini qui m’a fort aimablement salué comme je m’engouffrais dans un taxi pour me rendre vers un autre lieu de travail. Je suis enchanté d’avoir pour l’Algérie l’Électre de Vitez et je déclare ici tout net qu’il est jusqu’à nouvel ordre exclu de traiter quelque affaire que ce soit avec Monfort.
Deuxième carnet : du 11.03.66 au 26.05.66
17.03.66 - J’ai vu « Épitaphe pour Georges Dillon » monté au 347 par Dougnac. Je ne trouve pas que la pièce soit très bien construite. La progression du personnage n’est pas harmonieuse et je ne vois pas pourquoi Osborne le fait devenir tuberculeux pendant le troisième acte, ce qui amène un élément sans rapport avec le reste. C’est par moments drôle. À d’autres un tantinet longuet. Pas mal joué. Les personnages épisodiques n’ont pas l’âge des rôles. Bonne mise en scène. La salle de première a fait un honnête succès.
19.03.66 - Boudia, Papillon et moi avons été à Reims voir HISTOIRE DE VASCO. Un autre Arabe Berbère était avec nous. Il a conduit un moment l’auto et c’est un vrai coup de pot que nous soyons tous sains et saufs. Mairal nous a annoncés que la Maison de la Culture de Reims était acquise depuis vingt-quatre heures et qu’il présidait aux destinées de l’Association Pour. À part ça il nous a dit ses difficultés dans une région de haute bourgeoisie et de manœuvres, mais quasiment sans classes moyennes.
La pièce de Schéhadé est sur deux registres : l’un poétique qui me rappelle POÉSIE 44. C’est assez dire que je le trouve démodé. Son aspect le plus jeune est un relent giralducien. Au surplus les rapports entre Vasco et Intermezzo sont évidents. L’autre registre, qui rappelle Sveik, est satyrique, antimilitariste et fort drôle. Celui-là n’a pas vieilli d’un pouce. Le spectacle ne vaut pas cher. C’est de l’amateurisme amélioré avec des décors pauvres (ce qui n’est pas un crime), mais laids (ce qui en est un) et mal fonctionnels (ce qui est con). C’est bien joué par Roger Montsorret et par deux ou trois des autres. Mais l’ensemble de la distribution est tout à fait médiocre et Mairal, notamment, est à chier, tant il en fait et le fait mal dans le rôle du savant. Bref, Boudia a fait un somme durant le III. Après la séance, nous avons bu du champagne rosé en compagnie de Lerminier en remarquant que c’était tout de même meilleur que le Postillon, Monopole. Moi, toutefois, j’ai trouvé ça dégueulasse ! Lerminier était venu voir le spectacle en tant qu’Inspecteur, mais comme il partageait notre avis partagé, il a fait causer Papillon sur « Chronique d’une guerre. Papillon l’a trouvé charmant !!! On a aussi un brin parlé de l’A.T.A.C. (le truc de Cartier), mais sous l’angle des passes d’armes. Je voulais jauger de quoi il retournait et ma religion est faite : la parade pour nous est d’avoir le maximum de contrats d’exclusivité du type Aubervilliers - Debauche. Boudia a conduit au retour. Partis à une heure quinze, nous étions à deux heure trente-cinq Porte de la Villette (cent cinquante-quatre kilomètres).
25.03.66 - Vu LE GRAND CÉRÉMONIAL aux Mathurins. Selon Papillon, je ne suis pas un juge impartial puisque j’avais envie de monter la pièce. Pourtant, je crois bien que j’ai raison lorsque je prétends que la timidité de Vitaly a abouti à trahir la pièce. En fait, dans une œuvre pareille, le metteur en scène n’a pas grand-chose à faire : il lui suffit d’être fidèle à la lettre du texte. Mais fidèle en saisissant chaque intention et, au maximum, en la poussant à son paroxysme. En fait Vitaly, comme naguère Thierrée, a eu visiblement peur de choquer. Or la pièce est soutenable par un public actuel. Seuls les rétrogrades invétérés peuvent la juger insupportable et, du reste, dans cette version à l’eau de rose, ils ne se font pas faute d’être horrifiés. Il y avait sur ce plan à côté de moi une petite vieille dont l’indignation contenue faisait plaisir à voir.
Le choix d’Yvette Etiévant en mère illustre ce propos. Elle n’est pas du tout monstrueuse, Yvette, alors que le personnage l’est et doit l’être au premier degré. Quant à Negroni, c’est une évidente erreur de distribution. On le voit bien trop visiblement jouer le contrefait. Il oublie périodiquement son pied bot et il joue à tenter d’être sympathique. Il eût vraiment fallu Emilfork ou Voillot, ou bien sûr Arrabal lui-même. Thierrée aurait pu le faire, dirigé par quelqu’un d’autre que lui-même. Quant aux filles, Françoise Godde (la deuxième) est très bien, mais la première est fort mauvaise et Françoise eût été infiniment mieux. C’était un rôle pour elle. Je ne m’étais pas trompé. Et que dire de l’amant, qui est inexistant au possible et fort mauvais acteur. Je n’ai guère décoléré de la soirée, car cela m’irrite d’être dans une salle et de mesurer séquence après séquence ce qu’il aurait fallu faire et jusqu’où l’on n’a pas été. Arrabal se rattache, que ce soit valable ou non, à ce style happening d’Alessandro qui vise à créer sur la scène et dans la salle un véritable mouvement « Panique ». C’est d’ailleurs le titre qu’Arrabal, qui s’en revendique un peu comme le chef, donne à son mouvement. C’est inexistant sur le plan du théâtre social et politique, mais cela vise à modifier le rapport scène / salle, en ce sens qu’il s’agit vraiment de terroriser, d’horrifier le spectateur, de le faire sortir de lui-même (peut-être pour mieux l’y faire rentrer). On est un domaine onirique. Tout doit être violent, brutal, affreux, horrible ! C’est pire que Frankenstein et au-delà de l’immoralité fondamentale, cela expose des comportements d’êtres dégagés de tout compromis social, mais enlisés dans l’effort pour vivre réellement les rêves troubles enfermés ordinairement dans l’inconscient. Vitaly, par sa présentation bien élevée, a ramené Arrabal au rang d’un auteur « original ». Il n’en a pas montré l’essentiel, c’est-à-dire l’énorme violence, la révolte puisée aux sources mêmes de la conscience, l’insatiable recherche de soi-même et (sans doute au-delà) de l’homme essentiel. C’est donc plus qu’une trahison banale. C’est un crime contre l’auteur dont, à ce rythme mondain (l’autre aspect, c’est Rothschild, la soirée à visons, et chez Arrabal, car rien n’est dû au hasard et notamment pas cette collusion avec Rothschild) on fera avant dix ans un nouvel Anouilh, auteur à succès qui s’autocensurera lui-même pour demeurer riche. Et comme pour Anouilh, certains évoqueront avec mélancolie les promesses du début, tandis qu’au Montparnasse, on jouera trois ans de suite des pièces où l’écrivain lui-même aura su jusqu’où il ne pouvait pas aller trop loin.
25.03.66 - Vu au Poche le dernier spectacle de Bourseiller. Trois pièces en un acte de l’auteur polonais Slavomir Mrozek : BERTRAND – STRIP-TEASE – EN PLEINE MER. Deux de ces pièces sont absolument excellentes, les deux dernières, et fort intéressantes du point de vue de la littérature comique de résistance par le rire d’au-delà du rideau de fer. En fait, en filigrane dans ces trois pièces, il y a l’Individu face au système policier, à la force d’État, l’écrasement de la liberté d’être soi-même au profit de l’ordre. C’est hurlant de clarté quoique ce soit masqué sous des anecdotes bénignes, vaguement surréalistes, kafkaïennes ou carrément ionesciennes. Il y a un merveilleux raisonnement syllogistique sur la distinction entre la liberté vraie (qui existe pour l’homme précisément quand il est enfermé, contraint et asservi) et la liberté ordinaire. Il y a une promotion d’homme en homme-homme qui est proprement géniale par la prise de conscience d’un naufragé qu’il doit se laisser manger par ses deux camarades. Cela se fait au terme d’une longue résistance à un authentique lavage de cerveau. Bref, c’est fort explosif du point de vue polonais, mais il importe de noter que les pièces sont jouées en Pologne d’où il ressort que la contradiction y est très largement autorisée, car qu’on ne me dise pas que quiconque soit dupe face à une transposition si transparente. Cela dit, en soi, c’est extrêmement drôle et demeure valable entièrement même si on ne sait pas que l’auteur est polonais. Il a donc une valeur universelle et, comme tel, il est très justifié qu’il soit « découvert » au public français qui s’y amuse lui-même franchement, transportant la donnée de base sur le plan de notre système gaulliste face aux individus. Et c’est admirablement joué par Yves Robert et Marco Perrin, les autres étant un peu au-dessous. Bonnes mises en scène. Il semblerait que depuis sa présence au Poche Bourseiller se soit mis à servir ses auteurs au lieu de les trahir. Cette maturité donne de très excellents résultats. Bref une très divertissante soirée.
26.03.66 - Vu au Lutèce le spectacle O’Baldia de Fornier et Lavelli. Cela ne vaut pas cher. C’est du boulevard et du poétique emmerdant. De plus, ce n’est pas bien joué.
31.03.66 - Vu hier à la Comédie de Paris le spectacle du Théâtre de la Chimère : compagnie Jérôme Savary, le nommé susdit étant à la fois auteur, metteur en scène, et j’en jurerais, producteur, et s’il vous plaît, pas si pauvre que ça ! Que dire de la deuxième pièce, LES BOITES, le gros morceau (cinquante minutes environ). Il y a quelques gags, mais surtout des cris inarticulés sur un texte inaudible qui ne cherche d’ailleurs pas à se faire entendre. Cela me semble vouloir être un happening écrit, organisé. Peut-être est-ce symbolique. En tout cas cela s’achève par deux couples montrant diverses positions en amour. On ne s’emmerde pas, mais il faudrait un mode d’emploi. La première pièce, « L’INVASION DU VERT OLIVE », vaguement de fiction, est très incompréhensible, par contre très drôle, jouée avec originalité (parti pris de moncordie s’accordant à la monochromie du monde). Ça m’a beaucoup plu en lever de rideau. Ça ne dure malheureusement qu’une vingtaine de minutes. De toute manière, tout ça qui se veut jeune est bougrement vieux : nous sommes exactement à l’ère de la réinvention du surréalisme. Tout y est exactement. L’ennui, c’est qu’un théâtre de ce genre, sado-masochiste, provocateur, théâtre de défoulement, devrait faire sortir le spectateur de ses gonds. Hélas, la sagesse du public était hier soir exemplaire. Joli gadget en lieu de programme.
16.11.68 - LA GRANDE ENQUETE DE FRANCOIS-FÉLIX CULPA, que répète Vitez pour Nanterre avec Savatier, Damien et Lise Martel dans les rôles principaux, s’annonce comme un grand, actuel et passionnant spectacle. Je crois qu’on peut dire que c’est à retenir pour nous car, vingt jours avant de passer, le filage auquel j’ai assisté permet de VOIR un vrai dessin et non une ébauche.
LA GRANDE ENQUETE DE FRANCOIS-FÉLIX CULPA a vu le jour à l’École Voltaire de Nanterre devant fort peu de spectateurs. Pierre Debauche lui-même recevait à l’entrée et a veillé personnellement à la fin à ce que la salle soit balayée. Entre la répétition que j’avais vue et cette première représentation, je n’ai pas décelé une grosse différence, encore que quelques coupures heureuses aient été pratiquées. Le roman-photo m’a déçu. Et d’abord parce que ce n’est pas un roman-photo : c’est une illustration épisodique de ce qui se passe sur scène (si j’ose dire puisqu’il n’y a pas de scène, mais vous voyez ce que je veux dire !), tantôt dans le sens de ce que disent les personnages, tantôt en contrepoint, alors que si je me réfère aux intentions de Vitez, il me semble que j’aurais dû éprouver le contraire, c’est-à-dire le sentiment de l’animation vivante des images par les acteurs. D’autre part, il n’y a pas assez d’images, les mêmes reviennent trop souvent, elles ne sont pas assez vulgaires, certaines sont belles, trop belles. Savatier à poil, dont Antoine m’avait beaucoup causé, permettez-moi de vous dire que quand on vient de voir HAIR, ça ne répond pas aux espérances. Tout au plus émerge-t-il du plumard une bricole d’épaule dénudée. C’est bref. En plus, il y a des périodes sans projections du tout. Cette partie du travail de Vitez ne me semble donc pas très aboutie, et sans doute même, pas assez pensée, élaborée, réfléchie. Cela dit, c’est un détail dans le spectacle que je continue à aimer beaucoup. Monsieur Grönwall en Inspecteur François-Félix Culpa est admirable et les ritournelles qu’il joue au violon sont un excellent appoint aux états d’âme et aux charnières des séquences.
17.01.69 - Revu François-Félix Culpa à la Cité Universitaire hier soir. Non seulement j’ai de nouveau été ravi, mais le spectacle ayant énormément progressé, j’ai été enchanté.
25.04.69 - J’ai vu hier soir à Sartrouville LA MOSCHETTA de Ruzzante montée par Maréchal. Disons tout de suite que c’est un beau spectacle de grande classe, digne d’être jugé au niveau le plus élevé. Spectacle baroque s’il en fût, dominé par la présence d’acteur de Maréchal qui est vraiment un des plus grands comédiens de ce siècle, mais qui (hier soir en tout cas) « n’en fait pas excessivement pas trop » et s’intègre à une distribution « homogène » de tenue (pour une fois).
On sait que Ruzzante avait écrit la pièce en dialecte padouan. Maréchal dans sa « version scénique » a cherché une équivalence dans le patois lyonnais. Il paraît qu’au Théâtre du Huitième ce parti est fort efficace. Dans la région parisienne, on entend un français un peu tarabiscoté et très grossier, mais ça ne fait sur le spectateur aucun effet particulier. Ça donne une coloration, sans plus, mais quoi qu’il en soit c’est supérieur à la langue publiée par Michel Arnaud, qui doit en faire une jaunisse de ne pas émarger aux droits d’auteurs.
Cela dit, la pièce reste une bonne grosse farce dont le contenu social ne me semble pas évident. Maréchal a voulu que son spectacle soit SIGNIFIANT, et c’est pourquoi entre les actes, il a inventé un texte où des sous-prolétaires s’expriment avec à l’appui des espèces de ballets très rapides où, tels des pantins désarticulés, les déshérités gesticulent l’agitation stérile et la misère de l’humanité indifférente au jeu des personnages de la comédie.
Moi je veux bien. En soi c’est beau, ça a un sens, ça rappelle des vérités utiles aux spectateurs bourgeois. Mais c’est gratuit, sans lien aucun avec l’œuvre. Du moins cela a-t-il le mérite d’être original en ce que ça ne cherche pas comme d’habitude à replacer l’action dans son contexte historique : cela le replace dans un contexte permanent où le sous-développement et son corollaire « bidonvillesque » sont montrés comme étant encore actuels tout en ayant existé à l’époque de Ruzzante. C’est une innovation intéressante.
Jacques Angeniol, qui joue l’unique personnage féminin de la pièce, la femme de Ruzzante, le paysan roublard mal intégré à la vie de la ville, le fait avec beaucoup d’ambiguïté, sans que rien d’équivoque ne puisse être attaché à ce mot. J’ai lu dans une critique qu’il apportait, de par son sexe, une dimension supplémentaire à la pièce. Je n’en suis pas tellement certain. Je crois que beaucoup de comédiennes auraient su comme lui contrer ce front serein abritant de probables tempêtes, cette indifférence apparente cachant de vraisemblables révoltes. Mais le parti pris est justifiable par le fait qu’à l’époque de Ruzzante, les rôles de femmes étaient joués par des travestis. Angeniol est en tout cas très valable et rien de pédérastique ne se dégage de son interprétation. On n’est jamais gêné et ce n’est pas une mince performance.
Le bouillonnant Maréchal, quand il oublie ses préoccupations sociales et sa mission civilisatrice des masses lyonnaises, a cela dit un sens rigoureux de la farce. Mais curieusement, on ne rit pas tellement et l’on ne songe pas à le lui reprocher. Car finalement, c’est une question de dimension : il va au-delà de la farce avec les moyens de la farce, et atteint ainsi à un pathétique certain et même à une épaisseur des personnages dont je me demande si l’auteur l’avait entrevue. Ainsi le compère et le soldat existent. Lagarde tient dans ce dernier personnage un de ses meilleurs rôles. Malheureusement, Ballet en compère n’est pas très bon. Il fait dans la truculence et m’a rappelé par instants Bouise quand il en fait autant. Mimétisme local déplorable. C’est Ballet qui ouvre le spectacle et j’avoue que j’ai eu très peur durant la première scène.
Cela dit, le spectacle était un peu étriqué sur la scène de Sartrouville et c’était un peu dommage pour le dispositif d’Angeniol, bric-à-brac fait de bric et de broc très savamment. J’imagine sans peine qu’il devait être assez extraordinaire sur la scène du Huitième. C’est en tout cas un des plus « chouettes » décors que j’ai vus ces temps-ci. On le voit, j’ai plutôt beaucoup aimé cette MOSCHETTA, encore que la verve de Maréchal (suivant d’ailleurs en cela, m’a-t-il semblé, celle de Ruzzante) s’épuise sur la fin. Pour moi, il était temps que ça finisse à vingt-deux heure quarante. Un quart d’heure de plus et je me serais peut-être renfrogné. Messieurs Sévenier et Leenhardt animant seuls le Théâtre de Sartrouville font un peu pâle figure. Ils ont entrepris dans leur « région » une « campagne d’explication », mais ils se heurtent de leur aveu à un mur qu’il leur sera difficile d’abattre, les gens étant convaincus, Chéreau parti, que leur théâtre est fermé ! Il y avait pourtant du monde à LA MOSCHETTA. Beaucoup de Parisiens, le gréviste jaune Lemarchand, Vauthier (qui tonitruait contre les aspects sociaux du spectacle et s’inquiétait d’entendre Maréchal causer du BOURGEOIS GENTILHOMME pour la saison prochaine au lieu de l’ouïr disserter sur le SANG. Mais je crois bien que Marcel Noël en rajoutait exprès), Kourilski et Dort, Garran et sa nouvelle amie (qui est charmante). Et aussi quand même quelques Sartrouvillois… qui avaient pris leur abonnement au temps de LA RÉVOLTE AU MARCHÉ NOIR.
A PARTIR DE CETTE PAGE, VOUS LIREZ SEULEMENT DES RELATIONS DE VOYAGES EN ACCOMPAGNEMENT OU EN PRÉPARATION DE CERTAINES TOURNÉES DESPECTACLES.QUE MON ENTREPRISE ORGANISAIT, PAS TOUJOURS MAIS SOUVENT AVEC LE SOUTIEN DE CE QUI S’APPELAIT ALORS L’AFAA.
CE SERA POUR VOUS UNE LECTURE, JE CROIS, TRÈS INSTRUCTIVE
Fragment dun carnet : Note sur la tournée en ALGÉRIE du NUAGE AMOUREUX
02.11 - Je suis avisé vers dix-sept heure d’avoir à trouver sur place, à Tunis, un autocar pour rejoindre par nos propres moyens Tabarka, le Théâtre National d’Alger ne pouvant finalement pas nous envoyer le car et le camion prévus à l’article quatre de notre contrat. Vu que nous sommes un Samedi en fin de journée, ce problème ne pourra être résolu vraiment que le lundi matin -le jour même du départ. Mais grâce à l’amabilité et à l’efficacité de Monsieur Battikh, administrateur du Théâtre de la Ville de Tunis, à qui je demande dès ce samedi assistance, ce sera fait en temps voulu.
04.11 - Selon les indications reçues par téléphone avant notre départ de Paris, j’accompagne Mehmet Ulusoy au Consulat d’Algérie à Tunis, où son visa doit l’attendre. La fermeture du bureau pendant les Fêtes du Vingtième Anniversaire et le week-end nous ont empêchés de nous assurer plus tôt que tout était en ordre. Or, RIEN ne nous attend. Je demande aussitôt l’aide de notre Attaché Culturel à Tunis, qui téléphone à l’Ambassade d’Algérie. Il est environ neuf heure trente. Il est aimablement accueilli par Monsieur Maïza, qui sollicite aussitôt auprès d’Alger des instructions par télex à l’intention du Consul. La matinée se passe à attendre la réponse, espérée ensuite pour quinze heure, à la réouverture des bureaux.
Nous prenons du retard : notre départ pour le poste-frontière tunisien de Babouch avait été fixé à treize heure. Nous ne quitterons finalement Tunis qu’à près de seize heure, SANS QUE MEHMET AIT SON VISA.
Notre chauffeur fait grise mine : il doit assurer le lendemain matin un service de sept heure trente à Tunis.
Nous avons dû abandonner cinq bidons, aménagés pour la représentation au Théâtre de la Ville après avoir été achetés : ils ne peuvent trouver place dans le car où sont entassés tant bien que mal tout le matériel possible et nos bagages personnels. Nous ne parviendrons pas à avertir le régisseur, parti le matin en avion pour Annaba, de cet abandon forcé.
Il est de plus en plus évident que nous ne pourrons atteindre Tabarka, où je devrais me présenter au bureau des douanes tunisiennes avant dix-huit heure pour apurer le document établi à notre arrivée, en temps voulu.
Mehmet, à qui la préposée au service des visas a déclaré que seul le consulat pouvait lui délivrer le sien, et qu’il était inutile de répercuter auprès du poste frontière l’El Aïoun des instructions parvenant après notre départ, est inquiet. Il tient à téléphoner de Medjez-el-Bab, au Consulat à Tunis, puis au Wali de Constantine avec qui il a noué d’excellentes relations lors du festival de Timgad l’été dernier.
C’est donc peu avant vingt-deux heure que nous arrivons au poste de Babouch, isolé en pleine nature. Formalités de police. Notre chauffeur, dépourvu de passeport, ne peut faire les sept kilomètres qui nous séparent d’El Aïoun. Sur ma demande, on appelle le poste algérien. La communication est mauvaise, mais on comprend qu’il y a bien un car venu nous attendre. On parlemente, avec la police des frontières, et aussi avec les douaniers, car j’essaie d’obtenir la faveur de faire mes formalités sur place. Les comédiens commencent à s’agiter : le sommeil n’est pas encore là, mais la faim se fait sentir. Pendant qu’un douanier cherche à joindre son Chef de Poste, je reçois un appel de Monsieur Battikh : on lui a téléphoné d’Annaba que le car venu à notre rencontre avait dû faire demi-tour, n’ayant pas reçu des douaniers algériens l’autorisation de monter jusqu’à Babouch ! Cette information, contredisant celle fournie par la P.A.F. d’El Aïoun, ma laisse perplexe.
Il doit être environ vingt-trois heure. Notre douanier complaisant, ému par la vue de ces dix-sept personnes fatiguées et affamées, nous propose de venir avec nous dans le car et d’aller réveiller son chef, à Aïn Draham -sept kilomètres. Nous y allons. Le chef est compréhensif. Mais si nous descendons maintenant à El Aïoun, y trouverons-nous, oui ou non, le car algérien ?
Le douanier nous accompagne à un hôtel voisin, où rien ne peut nous être servi pour nous restaurer, mais d’où il téléphone -d’abord à El Aïoun, d’où effectivement le car est reparti- puis à l’Hôtel des Chênes (encore sept kilomètres plus loin). Après avoir raccompagné notre cicérone à son poste de Babouch, nous trouvons vers minuit et demi tout le personnel de l’Hôtel des Chênes réveillé pour nous servir un repas chaud et nous installer dans des chambres confortables. Heureusement, un certain nombre d’entre nous avions sur nous des Francs français ! Sinon, la législation tunisienne étant en tous points semblable à l’algérienne, nous étions bons pour passer la nuit à la belle étoile et le ventre creux.
05.11 - Départ matinal pour Babouch. Dieu merci, la garde n’a pas été relevée, et nous retrouvons les mêmes policiers et douaniers, plus leurs chefs. Nous sommes en pays de connaissance ! Les papiers de douane sont obligeamment mis en règle. Et le chef du poste de police accepte de nous convoyer jusqu’à El Aïoun, où sa présence garantira le retour immédiat du chauffeur et du car après déchargement de notre matériel et de nos bagages.
Vers neuf heure trente, nous voilà à El Aïoun. Pas de car algérien en vue. J’obtiens l’autorisation de me rendre au poste de douane (où j’échange un billet de dix Francs précieusement conservé contre huit D.A.) et à la poste, sans attendre que nos formalités de police soient terminées. J’obtiens le Théâtre d’Annaba Là-bas, on est en train de faire des démarches pour que le car reparte jusqu’à Babouch muni d’une autorisation en bonne et due forme. Sans en attendre le résultat, on va donc nous renvoyer le car immédiatement.
Quand je regagne le poste de police, le car tunisien est reparti, le chauffeur muni d’un confortable pourboire, et d’une lettre d’excuses sur papier à en-tête du THÉATRE DE LIBERTÉ destinée à son patron qu’il a en vain essayé de joindre par téléphone.
Mais Mehmet Ulusoy est en train de parlementer avec le chef du poste de police, pointilleux et jaloux, de son autorité locale. Il va néanmoins consentir peu après à délivrer le visa.
Notre matériel et nos valises sont groupés au pied du mât où flotte le drapeau algérien. Il ne reste qu’à attendre le car, qui arrivera vers onze heure. Les nuages s’amoncellent, mais il ne pleut pas encore…
Je mets ce temps d’attente à profit pour rendre visite au chef du poste de douane, inventaire du matériel et contrat avec le T.N.A. en main. Je le persuade sans mal de laisser entrer notre matériel : dès que le car sera là et le chargement effectué, il visera l’inventaire, et le D 18 sera établi à Annaba dans l’après-midi.
Nous quittons El Aïoun à midi, juste comme la pluie commence à tomber. Arrivée à Annaba peu avant quatorze heure. Installation à l’hôtel d’Orient, où nous devrons payer les chambres réservées pour la veille, ce qui se comprend. Quelqu’un nous apporte mille D.A. et un restaurant accepte de nous recevoir.
Les cinq bidons abandonnés à Tunis vont faire défaut. Le responsable de la Sonatrach habilité à signer l’autorisation de sortie de ce que nous avions demandé étant en vacances, il a encore fallu faire des prouesses… Pendant toute la représentation, les comédiens vont se livrer à une course effrénée pour assurer toutes les « figures » prévues dans le jeu avec une insuffisance de vingt pour cent en matériel.
J’avais demandé par téléphone à recevoir au moins quatre mille cinq cent à cinq mille D.A. à Annaba, sur l’équivalent de dix mille sept cent Francs prévus à l’alinéa a) du paragraphe 7 de notre contrat, afin que la troupe soit à l’aise jusqu’à son arrivée à Alger. Mais Monsieur Agoumi ne peut porter qu’à deux mille cinq cents D.A. en tout l’acompte qu’il me remet. Il a bien reçu une provision de l’administration du T.N.A. d’Alger, mais il doit faire face avec la somme reçue à une quantité de frais divers -entre autres, il attend juste après nous une troupe de l’Amicale…
Mercredi 06.11 - À neuf heure, nos techniciens sont au théâtre pour le chargement de tout le matériel -bidon compris- dans le camion… mais pas de camion.
À dix heure, tout le monde est dans le hall de l’hôtel, valises bouclées et note payée… mais pas de car.
On appelle la direction à Alger. Le car et le camion sont partis hier ; ils devraient être là ; il faut les attendre d’un moment à l’autre. On attend… La troupe s’impatiente à juste titre. On attend jusqu’à ce que -vers quinze heure- Monsieur Agoumi ait en ligne en ma présence Monsieur Bestandji, qui refuse de m’avoir au bout du fil… Il est alors admis que nous n’aurons pas nos véhicules pour quitter Annaba le jour même, et que nous ne jouerons pas le jeudi 7 -ni à Alger où la représentation devait avoir lieu, ni à Tizi-Ouzou où j’apprends par hasard que nous devions finalement nous rendre. Nous jouerons à la salle El Mouggar les 8, 9 et 10, et à Tizi-Ouzou le 11, en remplacement d’Oran.
Monsieur Agoumi réserve des chambres pour une nouvelle nuit à l’Hôtel d’Orient, au compte du T.N.A. cette fois, et toute la troupe a quartier libre jusqu’au lendemain matin. L’information est donnée à quinze heure trente à une équipe sur pied depuis neuf heure. Je réussis à obtenir cinq cents D.A. de plus, afin que nous puissions nous offrir le restaurant sur la route le jeudi, entre Annaba et Alger.
Le camion arrive vers dix-neuf heure. Le car n’arrivera qu’au petit matin, car il doit déposer une autre troupe à Souk-Ahras, et une pluie torrentielle tombe sur l’Est depuis deux jours. Les deux véhicules n’ont quitté Alger que le matin même.
07.11 - Inquiet de notre manque de trésorerie, j’expédie à neuf heure de la poste d’Annaba un télégramme à Monsieur Abdallah Djebrouah, en prévision de notre arrivée tardive à Alger : « ARRIVERONS ALGER COMPLÈTEMENT DÉMUNIS ARGENT. INDISPENSABLE NOUS ATTENDRE HOTEL AVEC MINIMUM 3000 D.A. STOP POUVEZ REMETTRE À VALVERDE. ». En effet, le Directeur du T.G.P. de Saint-Denis, venu nous rejoindre à titre privé, nous a précédés à Alger et je sais qu’il doit se rendre dans la journée à la direction générale du T.G.A.
Notre autocar est là. Le chauffeur a roulé toute la nuit. Il se repose deux heures dans le car et nous partons vers dix heure trente. Entre Annaba et Constantine, la route est inondée par endroits. Déjeuner à Constantine. Pause-café à Sétif. Nous suivons le conseil de notre vaillant chauffeur et prenons à casse-croûte à Bouïma.
À notre arrivée à l’hôtel Oasis, où l’on nous a indiqué de nous rendre, nous retrouvons José Valverde, mais personne du T.N.A. ne nous attend, et l’on ne lui a pas remis d’argent pour nous, quoiqu’il soit au courant d’un télégramme envoyé par moi, mais dont il ignore le contenu.
Nous apercevons aussi Salah Teskouk : il occupe avec la troupe de l’Amicale les chambres réservées pour nous… car ils sont bloqués à Alger pour la nuit dans l’attente d’un autocar qui les emmène à Annaba ! Il nous dit qu’il faut continuer notre route jusqu’à l’Hôtel El Manar, à Sidi Ferruch.
Ces vingt-cinq kilomètres supplémentaires ne seraient rien, si nous n’étions fort mal accueillis dans cet établissement : on nous donne bien des chambres, mais il faut parlementer une heure pour obtenir des sandwichs et quelques bouteilles d’eau au lieu du dîner promis. Pourtant, le personnel est là, tant au restaurant qu’au bar, prêt à servir deux cents Coréens… mais il n’y a pas d’ordres en ce qui nous concerne, en dépit de la prise en charge du T.N.A. Pour le petit-déjeuner du lendemain, je devrai aller faire un scandale à la réception pour qu’on nous serve du café et du lait. Le pain, le beurre, le sucre et les petites cuillères seront grappillés parmi les restes des tables voisines.
08.11 - Les incidents relatifs au petit-déjeuner ne nous aident pas à quitter l’Hôtel El Manar de bonne heure. De plus, les stations-service de la banlieue ouest attendent toutes d’être ravitaillées en gasoil, et, pris de court par ce supplément de parcours de cinquante kilomètres imprévu, notre chauffeur s’arrête à chacune, craignant la panne sèche. Nous tirerons finalement avantage de ce cabotage, car il négocie pour nous en proche banlieue l’achat de cinq bidons vides d’occasion, qu’il reviendra chercher l’après-midi. Il est onze heure quarante-cinq quand nous arrivons au Palais, Bruce, Mehmet, Arlette Bonnard, Richard Soudée et moi.
Avec l’administrateur du THÉATRE DE LIBERTÉ, je me rends tout de suite dans le bureau de Monsieur Abdallah Djebrouah, qui nous remet les trois mille D.A. réclamés pour la veille au soir. Je m’inquiète aussi des réservations concernant nos billets d’avion pour le retour et le M.C.O. pour l’excédent de bagages. La précaution que j’avais prise de faire réserver par notre agence parisienne nos quinze places sur le vol Oran-Paris du 12 s’avère en effet totalement inefficace, puisque nous n’irons pas à Oran !
J’ai alors la désagréable surprise de découvrir que RIEN N’EST FAIT, en ces jours où les multiples délégations venues pour le Vingtième Anniversaire quittent la capitale algérienne. On révise la liste des passagers, qui comporte des erreurs car elle est établie à partir des réservations de chambres, où figurent des personnes nous accompagnant, mais dont les voyages ne sont pas à la charge du T.N.A. (malgré cette remise à jour, Luiz Kadun MENASE voyagera d’ailleurs avec un billet au nom de José Valverde).
Après m’avoir inquiété en me disant qu’il est inutile et impossible de faire une démarche auprès d’AIR ALGÉRIE tant que le contrat n’est pas visé par la Banque Centrale, Monsieur Abdallah Djebrouah cherche à me culpabiliser en pointant de deux croix rouges l’article 5 du contrat relatif à cette liste de passagers. Je proteste énergiquement… et l’on retrouve la liste, comportant les identités de chacun, qui avait été envoyée avec les documents publicitaires et la fiche technique dès le 27 septembre.
Je rejoins Mehmet Ulusoy et Arlette Bonnard dans l’antichambre du bureau de Monsieur Bestandji, qui nous reçoit avec affabilité dès qu’il en a fini avec une délégation de Chinois de l’Opéra de Pékin. Il est déjà au courant de nos mésaventures, nous exprime ses regrets : le T.N.A. s’est trouvé débordé avec ce Vingtième Anniversaire ; il était lui-même persuadé l’avant-veille de ce que nos car et camion étaient sur la route. En termes très mesurés, Mehmet et moi-même lui exprimons toutefois qu’en dépit de toute la joie qu’éprouve le THÉATRE DE LIBERTÉ à jouer pour le public algérien, les conditions de travail sont vraiment jusque-là à la limite du supportable, ainsi que nos préoccupations quant à l’organisation du voyage de retour vers la France, la troupe devant honorer un contrat à Grenoble dès le 13 novembre.
Nous nous installons à l’Hôtel Oasis. Je peux recevoir des communications téléphoniques dans ma chambre, mais les circuits sont détériorés dans l’autre sens. La cabine du rez-de-chaussée ayant de plus disparu, je ne pourrai téléphoner que du comptoir de la réception, au milieu des allées et venues bruyantes. Il n’y aura d’eau chaude que le premier et le dernier jour de mon séjour -le vendredi, est-ce une coïncidence ?-. Toujours est-il qu’au moment de payer les factures, la troupe renâclera à payer des douches et des salles de bains dans ces conditions d’utilisation, les fréquentes coupures d’eau ne pouvant toutefois pas être imputables à la direction de l’hôtel.
L’équipement du spectacle à El Mouggar est difficile. La fiche technique n’a pas été communiquée au régisseur du T.N.A. (je la retrouverai dans le dossier conservé à la direction générale, avec l’ensemble du pli envoyé le 27 septembre). Il nous fournit néanmoins en fin d’après-midi le magnétophone REVOX demandé, et l’on joue, une fois de plus, dans l’énervement et la fatigue, mais devant un excellent public.
On se demande comment ce public a été informé, puisque les spécimens d’affiches, les photos, les extraits de presse -enfin toute la documentation du spectacle- sont proprement enterrés dans un dossier rue Hadj Omar. Pour toute information : une pancarte à l’entrée du théâtre, réalisée à la diligence de Monsieur Baba Ali, et des pavés dans El Moudjahid, dont le texte est plus que succinct !
C’est dans l’après-midi de ce vendredi 8 que le contrat est communiqué à la Banque Centrale. J’en éprouve une sourde angoisse.
Le soir, le régisseur du T.R.A.C. m’apporte comme convenu le D 18 établi à Annaba, en bonne forme.
09.11 - Nouvelle visite à l’administration, en compagnie de Richard Soudée. Le solde de vingt-cinq pour cent du contrat devant être dépensé en Dinars, ainsi que le remboursement du coût de l’autocar tunisien et du billet d’avion Tunis – Annaba de notre régisseur, sont enfin réglés, mais rien en ce qui concerne le retour Alger – Paris.
Avec Mehmet et Arlette Bonnard, nous nous retrouvons dans le bureau de Monsieur Bestandji. Sur mon insistance, il demande devant nous à Monsieur Djebrouah de faire au moins nos réservations auprès d’AIR ALGÉRIE.
Nous lui faisons part également des conditions impératives pour que nous puissions assurer la représentation à Tizi-Ouzou le lundi : l’assistance d’un technicien du T.N.A., avec un jeu d’orgues, des projecteurs et un matériel de sonorisation complet sont indispensables, car nous avons appris qu’il s’agit d’un cinéma sans aucun équipement. Nous ne saurons que le soir, au hasard d’une conversation amicale, que le plateau ne doit pas excéder six mètres de profondeur… Rien n’est sûr, car les Coréens mobilisent au T.N.A. le jeu d’orgues de tournées, utilisé en appoint, et un nouveau jeu A.D.B. est toujours sous douane à Dar El Beida. Or nous sommes samedi. On espère tout de même.
10.11 - On ne peut rien faire, en dehors de la représentation elle-même, qui commence à dix-huit heure. Les informations ont été contradictoires sur cet horaire, tant auprès de la troupe que du public, si bien que certains spectateurs arriveront pour vingt heure trente, après la fin du spectacle.
En dépit des incertitudes quant à la possibilité de jouer à Tizi-Ouzou, rendez-vous est fixé à tous pour s’y rendre le lendemain.
11.11 - Ayant eu connaissance du numéro de téléphone du garage du T.N.A., j’appelle moi-même au petit matin pour que le camion vienne charger le matériel. Il ne pourra néanmoins pas venir de suite, car son autorisation de circuler en ville, périmée le 10, n’a pas été renouvelée à temps.
Monsieur Marouf, à qui j’ai remis samedi le D 18, vient lui-même préciser à Monsieur Djebrouah que pour obtenir la visite de notre matériel à l’aéroport en bagages accompagnés, il doit dans la journée rendre visite à l’Inspecteur des douanes et lui présenter, avec le D 18, le M.C.O. correspondant à l’excédent de bagages.
Je reviens de mon côté à la charge pour obtenir nos billets d’avion. Les renseignements obtenus directement auprès de la Banque Centrale sont formels : le prix des billets n’entrant pas en ligne de compte pour le transfert de devises, RIEN N’EMPECHE LE T.N.A. DE LES ACHETER TOUT DE SUITE. Ils sont d’ailleurs effectivement commandés, mais les réservations, faites trop tardivement, ne sont pas obtenues dans le vol souhaité : il faut avancer l’horaire du départ, l’avion décollant à douze heure.
Tout de même rassuré, je pars l’après-midi rejoindre la troupe à Tizi-Ouzou, car j’ai la chance de pouvoir rencontrer, en ce jour férié dans notre pays, Monsieur Girard, notre conseiller culturel, qui met à ma disposition sa voiture et son chauffeur.
Il est près de dix-huit heure quand j’arrive à Tizi-Ouzou. J’apprends que le camion ne m’a précédé que d’un quart d’heure, et qu’il est finalement arrivé sans jeu d’orgue. Juste avant ma venue, la direction générale algéroise vient d’être avisée de l’impossibilité où nous étions de jouer.
Il semble au surplus qu’on ait jamais trop cru dans cette ville à la réalité de notre prestation, sur laquelle aucun renseignement n’avait été transmis.
Nous reprenons la route d’Alger, et mettons au point les dispositions pratiques pour le départ avancé du lendemain matin. Dois-je ajouter que la troupe est déçue et frustrée par cette annulation de l’ultime représentation en Algérie ?
12.11 - Je suis à huit heure quinze rue Hadj Omar, pour repartir presque aussitôt en compagnie de Monsieur Abdallah Djebrouah à AIR ALGÉRIE. Les billets nous y attendent… mais pas le M.C.O., dont il apporte la commande seulement ce matin, devant moi. On lui refuse le paiement en espèces. Il n’a pas le chéquier sur lui, et j’attends son retour pendant une heure -car les allées et venues se font à pied. Enfin, quand les comédiens sont prêts à quitter l’hôtel et m’attendent avec impatience, je reviens avec les billets, et je remets le M.C.O. à Monsieur Marouf, qui va convoyer séparément le matériel.
Les comédiens partent, mais comme il fallait s’y attendre, l’expédition du matériel en bagages accompagnés est impossible, n’ayant pas été préparée. Il voyagera donc en fret, acheminé par un vol Air France du soir. Je devrai téléphoner trois fois à Paris, pour communiquer le numéro de la L.T.A., puis pour faire part des retards successifs. Et les régisseurs devront attendre jusqu’à minuit à Orly Fret, avec le camion qu’ils doivent acheminer à Grenoble pour le lendemain à midi.
13.11 - Le matin, Monsieur Abdallah Djebrouah établit le décompte au brouillon, et me fixe rendez-vous pour quatorze heure trente.
L’après-midi, enfin muni du contrat, de la procuration en bonne forme que m’a signée Mehmet, du décompte, de l’attestation de service fait, de l’attestation de paiement que je signe au T.N.A., et d’une lettre destinée à Monsieur le Directeur du Service des Transferts, ainsi que d’un chèque à mon ordre, je me rends une première fois à la Banque Centrale. Il est déjà assez tard quand j’y arrive, et je ne rencontre pas le Directeur du service, mais j’apprends tout de même -sans grande surprise- que je vais rencontrer des difficultés du fait que la Banque Centrale n’a été avertie de l’existence de notre contrat qu’alors que la tournée avait commencé trois jours plus tôt à Annaba.
14.11 - Je présente mon dossier le matin. La lettre d’introduction dont je suis porteur est déclarée inacceptable dans son contenu, et l’impossibilité d’exécuter les formalités dans ces conditions m’est notifiée officiellement.
Je reviens rue Hadj Omar, et j’informe Monsieur Bestandji de l’accueil que j’ai reçu. Il semble très surpris, convoque dans son bureau Monsieur Abdallah Djebrouah, qui affirme que tout va s’arranger, car nous allons nous retrouver ensemble à quatorze heure trente à la Banque Centrale pour refaire la démarche.
Il est finalement empêché de se rendre à ce rendez-vous par une inspection des Finances, et je vois arriver vers quinze heure trente Monsieur Kamel Ouada, grâce à qui effectivement tout finira par s’arranger. Nous sommes reçus par Monsieur Tatay, Directeur du Service des Transferts. Je lui dis que je comprends sa position, qui ne me surprend pas ; (n’avais-je pas écrit le 13 septembre, en envoyant le contrat à Monsieur Bestandji, que je le remerciais à l’avance de vouloir bien engager tout de suite les formalités, tant auprès du Ministère de l’Information que de la Banque Centrale ?). Je prends vis-à-vis de lui l’engagement de ne laisser repartir en Algérie aucune troupe dont nous assumons l’organisation, sans être assuré du feu vert préalable de son service.
Enfin, il accepte que, sous réserve qu’on lui apporte le lendemain à quinze heure une lettre moins désinvolte de la direction du T.N.A., les formalités soient faites.
15.11 - J’échange le matin mon chèque sur le Trésor Public contre un chèque payable à la Banque Centrale.
Dénouement l’après-midi, in extremis, satisfaction ayant été donnée à Monsieur Tatay. Je quitte la Banque Centrale à dix-sept heure quinze, avec mon argent français, mon attestation pour la douane et mon billet d’avion annoté.
16.11 - Mission remplie, je peux quitter Dar El Beida à dix heure vingt. La veille au soir, Monsieur Abdallah Djebrouah m’a alloué, après accord de son Directeur Général, cinq jours de défraiements complémentaires sur la base de soixante-cinq D.A. par jour.