Du 3 au 28 avril 1978
03.04.78 -TRIPOLI par grand vent est entièrement assombri par un brouillard de grains de sable qui vous rentrent partout. Ce climat « de saison » rend la ville sinistre. Les grands H.L.M. neufs jetés à même sur le sol du désert ont l’air déjà déglingués quand ils sont achevés, de ne devoir jamais être finis quand ils sont en construction.
Le « Théâtre Populaire des Cévennes », auquel je me suis agglutiné pour cette incursion, a été accueilli à l’aéroport (toujours les vieilles baraques. Le neuf est presque fini, mais il n’est pas encore ouvert. A voir les trois avions qu’il y avait sur le terrain, on peut se demander à quoi son gigantisme va servir !) de façon charmante (petite fille portant un bouquet de fleurs), et efficace (nous avons été très vite dédouanés par un jeune Libyen qui nous cornaquera.)
À l’hôtel, gros problème : Vassal a dans sa troupe un couple non marié ! Impossible de l’accueillir. Finalement, les concubins seront logés (comme les Vassal) à la Résidence personnelle de l’ambassadeur. Pourtant, l’hôtel ne voulait pas donner de chambres individuelles. J’ai failli me retrouver avec Alric, quoiqu’il ait fait, judicieusement, observer au portier que nous n’étions pas mariés. Finalement, au bout de deux heures, tout s’est arrangé et j’écris ces lignes dans une piaule tout ce qu’il y a d’individuelle, avec un seul petit lit ! N’était qu’il n’y fait pas chaud et que le vent fait trembler fenêtres et stores, j’y suis très bien.
Autre problème : il paraît que dans ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU (que je n’ai pas encore vu), on recouvre à un moment une table avec une nappe verte et un comédien crache dessus en disant que cette couleur porte malheur. Or, il y a un mois, le Colonel Kadhafi a changé le drapeau de la Libye (qui, il faut bien le dire, se distinguait mal de celui de l’Egypte) ; il est devenu maintenant un fanion tout vert ! Cracher sur la nappe reviendrait donc à cracher sur le drapeau. Le Conseiller Culturel, Monsieur Guérault, qui a été chargé de négocier cette délicate affaire, craint que Vassal ne soit intransigeant. Mais point : ce Monsieur cravaté n’est pas de ceux qui tiennent tête aux Pouvoirs. On ira donc aux souks acheter une autre nappe. MAIS DE QUELLE COULEUR ? Je vous le dirai demain. Pour l’heure, du rouge au noir en passant par l’Union Jack (qui séduit assez, mais trouvera-t-on en ville l’emblème britannique, et d’ailleurs, comme il s’agit d’une tournée officielle française, est-ce que ce ne serait pas « interprété » ?), on spécule, on cause. Ça alimente les conversations.
En tout cas, la première journée fait très « démocratie populaire ». Quand ils ne sont pas sombres et « ailleurs », les serveurs sont très familiers. Le portier de l’hôtel à qui je demandais où était le bureau de la compagnie UTA m’aurait, après m’avoir laissé lanterner un quart d’heure, envoyé à l’autre bout de la ville si je n’avais pas eu la sagesse de vérifier son information. Mais un des comédiens ayant trouvé au premier dîner sa ration de spaghettis un peu mince, reçoit maintenant tous ses plats en double ! Il n’en peut plus, surtout que pour faire passer les mets, qui ne sont pas exquis, il n’y a que de l’eau, du coca-cola ou du fanta orange !
Un petit car est à notre disposition. C’est-à-dire qu’il nous mène là où le « programme » le prévoit.
Vassal a dû faire changer le « programme »parce que l’équipement du décor n’était pas prévu ! Il y a eu des mains serrées avec les acteurs du Théâtre National qui répétaient au Théâtre des Scouts et qu’il a fallu déloger. « On » nous présente constamment des gens avec qui l’on échange trois mots. (J’ai quand même pu passer une demi-heure dans un théâtre de marionnettes que dirige une dame bulgare. Thé, gâteaux, démonstration. Houdart devrait inviter le groupe. Ça n’a l’air pas mal et ça lui donnerait une monnaie d’échange. J’ai vu ça tout seul avec notre cornac qui a compris, car il n’est pas con, de loin pas, que je ne suis pas en Libye pour les mêmes raisons que les autres.)
Il y a eu un accrochage : des Libyens voulaient assister à la répétition prévue ce soir à 19 h pour incorporer un diseur arabe. « Est-ce que ce sont des flics, des censeurs, ou quoi ? », a-t-il été demandé… Quoi qu’il en soit, la répétition sera à huis clos. Même moi, je n’y suis pas. On dirait vraiment que les acteurs, quelquefois, tombent de la dernière pluie ! Alors qu’ils n’ont pas pipé quand, à l’aéroport, on a confisqué l’EXPRESS à l’un d’eux, alors qu’on leur a pris leurs passeports et qu’ils savent qu’on ne leur rendra qu’à leur départ, ils s’étonnent, s’indignent, que leur spectacle puisse faire l’objet d’un contrôle. Vassal était plutôt emmerdé, mais les mouvements de sa troupe ne semblent pas être toujours maîtrisés par lui, et il semble gêné aux entournures par sa femme qu’il a emmenée en touriste, et qui ne manque aucune occasion de lui faire la gueule ou de lui lancer des piques en public.
Pourtant, ici, elle ferait bien de fermer sa gueule : c’est le pays le plus phallocratique du Monde Arabe. Pratiquement, il n’y a aucune femme dans les lieux publics. L’entrée du territoire est interdite (sauf exception : B. Brionne a dû expliquer à Paris au Consul quelle était la nature des filles importées) aux femmes de moins de trente-cinq ans ! Il n’y a même pas de femmes de ménage à l’hôtel. J’attends avec intérêt de voir si demain ils vont jouer rien que devant des mecs ? Inutile de dire que les deux jeunes gens du groupe ont été priés de ne pas draguer (on se demande quoi et où) car ça pourrait les conduire en taule pour cinq ou dix ans !... Pas de pinard ! Pas de nanas ! Ils ne se plaisent pas tellement…
Mescaoui (c’est le nom de notre accompagnateur) ne veut pas avoir l’air et se coupe : il ne dîne pas avec nous parce que sa femme l’attend à la maison. Mais quand on lui demande si elle vient demain au spectacle, il répond que « NON » parce qu’elle est en voyage !...
L’ambassadeur s’appelle Pierre Cabouat. Il est de Nîmes, ce qui explique qu’il soit allé l’été dernier au festival d’Aigues-Mortes. C’est un Monsieur très accueillant, et fort aimable. Le déjeuner qu’il offre à la troupe avec whisky, vin et cognac, est sans empesage. La conversation est aisée et, Gard pour Gard, je n’ai pas de peine à le convaincre d’aller voir à Villeneuve-lès-Avignon le spectacle d’Houdart. Vassal me soutient très vigoureusement quand je fais l’éloge de Dominique. J’accepte l’auxiliaire sans sourciller !
À part ça, il devait y avoir des Libyens à ce déjeuner, mais (Hum ! Hum !), ils se sont tous fait excuser.
ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU de Guy Pascal par le THÉATRE POPULAIRE DE CÉVENNES est sûrement un spectacle opportun en Languedoc. Les opérations du type Grande-Motte peuvent en effet y provoquer la destruction de sites urbains antérieurs sous le prétexte qu’ils sont vétustes et mal famés, voire de théâtres désaffectés. L’anecdote imaginée ici est que le Ministère de la Culture a dépêché un expert pour décider si le théâtre fermé depuis des lustres d’une petite localité vénitienne peut, ou doit être, « classé », ce qui interdirait la construction, souhaitée par le Conseil Municipal, d’une station balnéaire moderne. Par mégarde, le technocrate se laisse enfermer dans l’édifice et les fantômes d’Arlequin, de Pantalon, de Colombine et de Brighella viennent revivre avec lui un épisode de leur dure lutte pour que survive leur Art, au cours duquel il sera appelé à jouer son rôle de brillant énarque auprès des puissants du temps.
L’équipe, fervente, témoigne d’un grand amour du théâtre. C’est, exprimée en termes clairs et simples, la lutte que connaissent bien tant de troupes de province qui ont affaire chaque jour à des édiles de Cloche merles.
Ce n’est pas à chaque fois de la démolition d’un lieu de spectacle qu’il s’agit. Tout bonnement, il s’agit pour les artistes de se faire reconnaître comme utiles dans une Société où l’enrichissement est la preuve de la réussite (alors que le théâtre est déficitaire par essence), et où, de surcroît, ils signifient souvent une contestation des « Pouvoirs » en place. La survivance des gens de théâtre, pot de terre contre pot de fer, tient dès lors du miracle. Et pourtant elle est réelle. Le mérite du spectacle de Vassal est qu’il dépasse son anecdote et sa localisation. Et qu’il porte aimablement sur la place publique l’éternel conflit. ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU est un plaidoyer PRO DOMO.
Qu’est-ce qu’un tel spectacle a à foutre à TRIPOLI (où je le vois), c’est une autre question. Ici, le « spectaculaire » gagne la partie, ainsi que le presque pédagogique. Car, quand les personnages de la Commedia dell’Arte rencontrent l’envoyé du ministre déraciné, Arlequin le prend pour son frère et veut l’intégrer dans sa troupe (LES DEUX JUMEAUX VÉNITIENS)… Il lui apprend donc le métier, ce qui permet aux spectateurs de s’initier.
Évidemment, ces gags démontrés sont moins vifs que s’ils étaient purement exécutés. Le spectacle souffre ainsi d’une certaine lourdeur. Cependant, il ne suscite à aucun moment l’ennui, et les « débats » font ressortir que sa simplicité n’est pas si grande qu’il y paraît d’abord. Mohammed Allaghi raconte qu’à TRIPOLI, un combat âpre oppose actuellement ceux qui veulent édifier un échangeur routier sur l’emplacement de la vieille ville, et ceux qui s’y opposent. Vassal affirme que chacun peut puiser dans son œuvre matière à réflexion par rapport à ses propres préoccupations.
Soit. Reste que la critique n’est pas très virulente. Le souffle n’atteint jamais au tragique. On reste dans le sentimental un peu à l’eau de rose. Le spectacle est joli, « petit », à la française. Son pavé est gentil, lancé dans une mare modeste. C’est ce manque de grandeur qui fait que cette juste et honnête dénonciation bien troussée ne dépasse pas le niveau mineur.
C’est André Gilles, le vieux compagnon de Fabbri, qui a fait la mise en scène en se souvenant de « la Famille Arlequin ». Son regard est résolument tourné vers le passé et les bulldozers qui s’attaqueront, à la fin, au vieux théâtre seront symboles d’une Société qui rejette ses valeurs au profit d’une illusoire évolution du Progrès. Cette position passéiste ne peut être généralisée sans danger.
05.04.78 – Hier, on a visité le musée archéologique. Aujourd’hui, c’est le musée islamique. Le chauffeur de notre car s’est mis en confiance avec nous et sa conduite est devenue acrobatique. Il veut briller dans sa spécialité. Ça ne me rend pas joyeux.
La représentation que j’ai décrite s’est déroulée devant environ deux cent cinquante personnes (mais un véritable parterre d’ambassadeurs). Le premier attaché de l’ambassade soviétique a beaucoup aimé. Les félicitations ont fusé de partout. Vassal est très content, mais il feint de s’étonner qu’il n’y ait pas eu davantage de Libyens. L’argument selon lequel ils ne comprennent dans l’ensemble pas une broque de français ne lui suffit pas. (Est-ce que, lui, ne va pas entendre Tchékhov en russe ?)
Il accuse « la publicité » et, sur ce plan, Français et Libyens se renvoient la balle. (Allez donc vérifier s’il y a des pavés et des articles dans un pays où le caractère latin est proscrit des imprimeries.). Guérault (c’est le nouveau Conseiller Culturel. Il a remplacé Bergère et ne le vaut pas) semble être assez coupable en fait car, non arabisant, il a carrément écarté Piéri de l’affaire sans pour autant la bien dominer. En vérité, il apparaît que les Libyens ont accepté cet ARLEQUIN parce que le festival de GANNAT (vous connaissez ?) accueillera en France l’été prochain la troupe folklorique de TRIPOLI.
Bon ! C’est clair ! Mais nos partenaires auraient préféré une autre époque, parce que nous tombons en pleine préparation des fêtes du départ des Anglais du Pays.
Nous apprenons ces détails au cours d’une réception avec discours, genre « démocraties populaires », que nous offre (au Pepsi-Cola) le sous-directeur de la Culture. (Le gros El Mighrab continuant à être malade –c’est peut-être vrai).
On est tous assis autour d’une table, sérieux comme des Papes, et les mots de Pierre Dac me revenaient irrésistiblement en mémoire : « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes fondamentaux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir »… C’était cocasse, car il y avait là le vieux Alric qui, avec les tournées de Planchon et Barrault, dans les Pays de l’Est, a déjà vécu ça cent fois, et Vassal, l’arriviste pour qui tout est bon pour faire du feu, qui biche, parce qu’il est en vedette. Cela dit, « on » nous fait des gentils cadeaux à la fin.
Piéri, pour en revenir à lui, et le nouveau conseiller culturel, ne semblent guère accrocher.
Il déjeune avec nous, le petit Piéri. Nous lui offrons le riz de l’hôtel Méditerranée. Mais je ne veux guère parler avec lui parce que Vassal est là, qui fait rouler la conversation sur ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU. (Faute de pouvoir voir autre chose, je reverrai ce soir la représentation. À la deuxième vision, l’aspect MINEUR du spectacle me paraîtra plus éclatant encore. C’est gentil, mais ça ne vole pas haut, ça ne casse pas les briques et c’est plein d’une bonne volonté touchante, qui est rassurante puisqu’elle vise à créer un théâtre de divertissement avec des problèmes politiques. Et puis, à part Alric, qui est un grand acteur, et Sachet, qui ne manque pas de spontanéité, les autres ne sont pas extraordinaires. Notamment Vassal, qui fait avec une chaise un numéro qui se voudrait de haute voltige, et qui est vérité singulièrement laborieux. Au fond, je crois qu’Alric aime bien cette équipe parce qu’il y fait ce qui l’amuse et y brille facilement).
Il n’est pas très intelligent, Vassal. Accrocheur, très jeune cadre V ème République (il travaille beaucoup pour la T.V.), il ne sait pas élever les débats, et surtout que tout l’art serait de les faire glisser sur son propre terrain. Dans la soirée, j’en ai deux preuves : d’abord après la séance, il a voulu répondre aux questions des spectateurs et s’est vite fait mettre en difficulté par des étudiants libyens que la représentation n’avait apparemment pas convaincus. Ensuite, l’Ambassadeur ayant convié la troupe à souper, (ce qui a fait dire à Sachet : « Dommage que l’Occitanie ne soit pas indépendante. Il y aurait un ambassadeur de France à Alès et l’on pourrait y bouffer après le spectacle ») voilà-t-il pas que Vassal, très reporter d’ANTENNE 2, s’est mis à l’interviewer sur son métier d’Ambassadeur avec la même légèreté que Michel Droit quand il posait des « colles » à De Gaulle ! Son « agression » était petite, son « insolence » était modeste. Bref, c’est un petit « chef » sans importance. Il lui manque la dimension.
Dans la journée, on a eu aussi le « cocktail » chez le Conseiller Culturel. Je dois dire qu’il avait réussi à déplacer beaucoup de monde libyen. J’ai pu converser un moment avec Monsieur Allaghi. Il est bien dommage que ce type ne soit plus directeur de Théâtre des Scouts, car il a passé cinq ans en France, il connaît le théâtre, avec lui on sait qu’il sait de quoi on parle, et il est intelligent. Je n’en dirais pas autant du nouveau (qui par contre semble savoir se procurer de l’herbe dans ce pays).
Quelles sont les perspectives d’avenir ? Bofff !... Les Libyens pensent comme les Démocrates populaires leur ont inculqué de penser : la personne étrangère avec qui ils dialoguent n’existe qu’en tant qu’elle signifie un POUVOIR OFFICIEL dans son Pays. Alors je suis forcément pour eux un personnage difficile à cerner. L’Ambassade est ma seule caution. Bien sûr, je pourrais influencer sur cet état d’esprit si je séjournais longtemps ici et si je parlais l’arabe ! Mais, n’est-ce pas, il n’est pas question de s’installer à Tripoli et j’apprendrais l’espagnol si je devais me remettre à l’étude ! Alors… Qui vivra verra… Deux fois que je mets les pieds ici. Il y aura peut-être une troisième…
06. et 07.04.78 – La partie officielle du séjour est terminée. « On » nous emmène visiter ce que j’ai déjà vu (mais ça peut se revoir).
Sabrata, le 6, fait partie du programme libyen. Leptis Magna le 7 est un pique-nique organisé par l’Ambassadeur (Je ne sais pas ce qu’il est politiquement, celui-là, car il n’étale pas son FIGARO à tous les vents, mais le sûr, c’est qu’il est très gentil avec nous. Il en faudrait des comme ça partout !).
Malheureusement, Sabrata se passe mal. D’abord, pour de mystérieuses raisons, on glande deux heures avant de partir. Puis, pendant qu’on roule, le vent, qui s’était un peu apaisé, se remet à souffler violemment, soulevant des nuages de sable, si bien que nous visitons les ruines avec une certaine difficulté à tenir les yeux ouverts. Dommage, car, outre les vestiges du passé, nous avons vu à Sabrata plus d’adolescentes libyennes que pendant notre séjour à Tripoli. Déversées par cars scolaires, ces jeunes filles, aux larges bassins serrés dans des jeans, se montraient fort provocantes et même un brin collantes. Cette jeune génération « Socialiste » viendra-t-elle à bout de l’« ordre des mâles » défendu par l’Islam ? Nous laisserons le débat ouvert…
Je me relis :
-J’ai oublié de dire que le problème de la nappe verte a été résolu : on a mis une nappe « Bordeaux », ce qui a permis quelques fines astuces du genre : « le Bordeaux, ça saoûle, ça fait se péter la gueule » etc…
-J’ai oublié de préciser qu’il y avait des femmes aux deux représentations qui ont été données. Les Européennes, bien sûr, mais aussi quelques Lybiennes. Cela dit, deux cent cinquante spectateurs à la Première, trois cents à peu près à la deuxième dont un tiers d’autochtones, et un dixième de femmes, calculez vous-mêmes…
RETOUR EN France
Voici qu’on a changé de gouvernement. Non pas de premier ministre, c’est toujours Raymond Barre, mais de Ministre de la Culture et de la communication : Ce sera jusqu’au 4 Mars 1981 Jean Philippe Lecat
11.04.78 – Qu’ai-je vu ? Le programme annonçait HISTOIRES, spectacle inspiré de l’œuvre de Samuel Beckett par LE THÉATRE DU LABYRINTHE (35’), puis, après un entracte conséquent, PAS MOI de Samuel Beckett avec Madeleine Renaud, puis PAS avec la même et Delphine Seyrig. Dans HISTOIRES, on assiste à une pantomime indéchiffrable. Dans PAS MOI, l’actrice et les spectateurs sont plongés dans le noir total et seul un projecteur éclaire les lèvres de la diseuse solitaire.
Dans PAS, Delphine, transformée en FOLLE DE CHAILLOT, fait les cent PAS en : premier acte : dialoguant avec sa mère qu’on ne voit pas.
Deuxième acte : écoutant sa mère.
Troisième acte : parlant, toute seule, un long « poème » qui se laisse écouter musicalement car il est joliment écrit.
On sort du théâtre avec le sentiment d’avoir perdu deux heures, et que Madeleine Renaud a voulu nous prouver son extrême modestie.
12.04.78 – Beckett tournant en rond dans un univers qui n’a plus rien à dire, Ionesco devenu complètement réac, Dubillard se situant « à droite ». Cette génération accouche d’un traître de plus en la personne d’Arrabal. Décidément, celui-ci a tout perdu avec la mort de Franco et le masque qu’il jette découvre une hideur assez mal acceptable.
Quel autre mot employer que « dégueulasse », pour définir PUNK PUNK ET COLEGRAM (je donne le titre de souvenir) que Georges Vitaly a monté au Lucernaire ? Dans un hôtel international, l’émissaire soviétique et l’envoyé chilien chargés de négocier un échange des prisonniers, sympathisent, se découvrent des affinités, et que les méthodes de leurs régimes sont les mêmes. De joyeux anarchistes les noyautent et semblent en rapport étroit avec leurs chefs respectifs. Il y a aussi une nazie folle de son corps qui se fait baiser dans la valise diplomatique. Vous me direz que cette narration, qui est incapable de faire paraître logique ce qui ne l’est pas, relate des événements qui ne semblent pas sérieux. Voire. Outre que l’identification des « systèmes » ne va pas sans quelque abus, chaque détail recèle son petit fiel. Et tous ces détails vont dans le sens de la « contestation » d’un canard comme MINUTE. Y compris la vulgarité. (Cela dit, il arrive qu’on se marre avec mauvaise conscience.) C’est triste, c’est grave, et plus encore : on a envie de crier : « Arrabal au goulag »… Mais non ! Ça lui rendrait service.
13.04.78 – Il est très étonnant d’observer la démarche de Jérôme Savary, qui finalement s’inscrit dans cette ligne : gommer progressivement de ses spectacles la dérision qui a fait le MAGIC CIRCUS, au profit de la structuration de Shows élaborés d’où la contestation superficielle ne sera pas absente, mais qui plairont par leur « somptuosité » (le mot étant désormais à prendre au sérieux), leur rythme, leur charme, leur joliesse musicale, en somme par des recettes professionnelles éprouvées. Les animaux vivants ont disparu, les confettis aussi. Pendant les représentations, les pompiers ne sont plus en alerte. Si on s’assoit au premier rang, il n’y a plus aucun risque de recevoir un nuage de poudre et de farine, ou une volée d’hémoglobine. L’anti-théâtre, culturellement révolutionnaire, est devenu ouvrage bien fait et bien léché, conçu pour le plaisir des yeux et des oreilles, et pour le ravissement des grands et des petits. Crainte, peut-être, que les censures encore en alerte n’interviennent pour interdire l’entrée à ces derniers, la nudité elle-même a disparu. Comme jadis dans les revues, on reluque encore quelques fesses féminines, mais pas un poil de pubis ne dépasse des slips et pas une verge ne s’égare à la vue des voyeurs frustrés.
Hélas, il n’y a pas non plus dans LES MILLE ET UNE NUITS de grands moments poétiques. Où est-elle, la poule de Zartan sur la tête de la paysanne indienne ? Où est-il, le lapin solitaire de Robinson ? Où sont-ils, même, ces spectateurs « qui vont mourir statistiquement avant la fin du mois », repris dans LES GRANDS SENTIMENTS ? Et peut-on comparer, au point de vue force, le passage à tabac du bougnoule avec la Reine Victoria suçant le sang des chômeurs ? Et puis où est-elle la fête ? Terminé, l’accueil des spectateurs. Les gens entrent bien sagement dans la salle où un petit orchestre joue gentiment dans sa fosse des musiquettes d’opérette.
Terminés, à la fin, les rythmes afro-cubains et l’invitation faite au public d’envahir la scène et de danser. Quand c’est fini, les artistes saluent et chacun s’en va de son côté. Finie la drague, finie la participation.
« Nous nous dégageons de tout ça, dit Savary, parce que tout le monde nous a copiés. Alors nous, on ne le fait plus ».
Alors, me direz-vous, assez égrené vos souvenirs. Ces MILLE ET UNE NUITS valent-elles tripette ? Oui, bien sûr. J’y ai pris grand plaisir et, parfois, j’ai franchement ri (sans honte). La philosophie des adultes qui ont oublié de regarder le monde avec des yeux d’enfants, parce qu’ils sont « logiques », y est aimablement stipendiée et, de fait, au bout de 2 h 30, nous sommes conditionnés pour accepter qu’Aladin vienne acheter la Tour Eiffel à la belle Princesse. Le « merveilleux » est clinquant, joyeux, d’un délicieux mauvais goût. On se croirait au Châtelet de mon enfance et je crois que c’est bien là que va Savary.
Il faut dire qu’il y a des longueurs. La fête du banquier Simbad est un peu interminable, et si les quarante voleurs sont formidables, leur quête de vengeance après qu’ils ont été dépouillés, est un brin ennuyeuse. Et puis, si Carlos et Guy Gallardo font des prestations excellentes, si Dussarat est toujours inégalable –et parfois méconnaissable- si François Orenne, chef pianiste, se révèle parfait et efficace, si on est content de revoir Valérie, Lucas, Jacqueline (bien vieillie), la grosse Gaël, et si on découvre sans déplaisir un sosie (en moins bien) de Mona et une plantureuse Allemande « erotik », il n’en reste pas moins qu’il manque Savary en personne. Sans lui, c’est comme si l’« âme » du Magic Circus, déjà bien éloignée de cette « opérette », achevait de s’envoler. Les décors de Michel Lebois sont ceux de Fribourg. Ils font leur effet.
Entendez bien : LES MILLE ET UNE NUITS est un spectacle divertissant qui est fait pour plaire et qui plaira. Avec, toutefois, une certaine nostalgie pour certains de ce qui fut une certaine façon d’être jeune… et qui a grandi »…
25.04.78 – Le 17 mai 1972, dans cette même Cartoucherie de Vincennes (Théâtre de la Tempête), transformée en piscine, j’assistais à la représentation de SI L’ETE REVENAIT « lue » par Michel Berto, et je confessais que je ne comprenais pas grand-chose au discours singulièrement intime qu’avait voulu nous tenir Adamov. Le secret reste bien gardé avec la représentation proposée aujourd’hui par Gilles Chevassieux. L’eau est devenue sable, encore que la pluie demeure. La balançoire reste aussi « importante » et le jeu de l’inceste, de l’impuissance, et de la mort, demeure au fond d’un impressionnisme mélancolique. Curieusement, les acteurs semblent comprendre ce qu’ils disent et font. Le metteur en scène leur a pourtant inculqué de n’en être pas « dupes ». Ainsi, ce voyage, à travers les fantasmes d’un homme vieilli, prend-il un aspect froid. On sort de la Cartoucherie en se demandant POURQUOI un réalisateur, somme toute visiblement talentueux, a eu envie de monter ça. Remarqué Marianne Epin. Belle, émouvante. Que fout-elle là ?...
28.04.78 – Gaston Couté est un poète beauceron de la fin du XIX ème siècle. En des poèmes patoisants, il nous conte la vie du petit peuple paysan du temps. Le langage est dru, vert, imagé, les anecdotes sont joyeuses et, tout compte fait, bien signifiantes. Ce sont deux Suissesses, Jane Friedrich et Michèle Gleizer, qui ont déniché ces petits trésors mineurs. Avec l’aide d’un violoneux et d’un guitariste qui coupent la soirée d’intermèdes agréables dus à Christian Oestreicher, elles nous les livrent simplement, sur la scène du théâtre Marie Stuart, sous le titre accrocheur : LES FEMMES À POIL. C’est gentil. (19 h)
28.04.78 – Ewa Lewinson nous propose, à la Cité Universitaire, L’INTERVENTION de Victor Hugo (qui avait déjà inspiré Bayen dans LE PIED il y a quelques années et, m’a-t-on rappelé, Chéreau à ses balbutiements).
En vérité, la ronéo distribuée à l’entrée nous apprend que le choix de l’œuvre ne lui est pas dû : ce sont quatre élèves de l’Atelier théâtral d’Ivry, qui ont eu envie de jouer ces rôles et qui ont demandé à leur « professeur » de les mettre en scène. Soit. Cet arrangement explique sans doute que nous nous trouverons en face de comédiens (comédiennes) qui ont voulu montrer jusqu’où ils (elles) pouvaient s’exprimer. Appliquant la méthode vitézienne, la réalisatrice les a aidé en leur inspirant les gestes pléonasmes grâce auxquels ils ont pu prolonger les indications du jeu réaliste par un jeu supplémentaire, lui aussi réaliste, mais expriment les intentions et pensers secrets. Le phrasé vitézien ayant été évité, cela donne une soirée plaisante et au contenu aisément décryptable.
Bayen avait voulu que la cantatrice issue d’un milieu pauvre et qui est devenue riche grâce à sa voix et à son cul, et son amant, le baron futile, soient projection des rêves du couple pauvre à l’horizon bouché, qui s’entredéchire quoique s’adorant.
Ewa Lewinson n’a pas cherché un tel midi à quatorze heure et ses personnages sont tels que les a écrits Hugo, bien réels. Ce petit couple, elle dentellière, lui peintre sur éventails se revendiquant OUVRIER, est bel et bien troublé par l’irruption dans son milieu de celle qui s’en est sortie et de celui qui n’en a jamais été. Et il est vrai que ce trouble naît de la vision à portée de main pendant quelques heures de ce qui ne sera jamais atteint, vision familière le temps de la « visite ». Mais c’est bien d’une visite qu’il s’agit. Et non comme l’esprit tortueux de Bayen l’avait voulu, de la projection de fantasmes. Bayen avait aussi caricaturé le monde des riches. Point tellement Ewa Lewinson : les riches chez elle « jouent » bien avec les pauvres, mais ce jeu un peu pervers n’est pas rendu odieux et il est même remarquable de voir sur une scène des représentants de cette classe généralement montrés figés, en veine de « rigoler ». Rigolade en fin de compte bénéfique puisque les amants pauvres se retrouveront unis… provisoirement, après avoir fait le pathétique partage de « biens » misérables. Ewa Lewinson n’a pas « utilisé » Hugo pour transmettre « son » message. Son mérite… ô paradoxe pour l’assistante de Vitez… est de l’avoir SERVI tellement bien que son mélo semble réactualisé. C’est un vrai compliment que je lui fais là.
Le « Théâtre Populaire des Cévennes », auquel je me suis agglutiné pour cette incursion, a été accueilli à l’aéroport (toujours les vieilles baraques. Le neuf est presque fini, mais il n’est pas encore ouvert. A voir les trois avions qu’il y avait sur le terrain, on peut se demander à quoi son gigantisme va servir !) de façon charmante (petite fille portant un bouquet de fleurs), et efficace (nous avons été très vite dédouanés par un jeune Libyen qui nous cornaquera.)
À l’hôtel, gros problème : Vassal a dans sa troupe un couple non marié ! Impossible de l’accueillir. Finalement, les concubins seront logés (comme les Vassal) à la Résidence personnelle de l’ambassadeur. Pourtant, l’hôtel ne voulait pas donner de chambres individuelles. J’ai failli me retrouver avec Alric, quoiqu’il ait fait, judicieusement, observer au portier que nous n’étions pas mariés. Finalement, au bout de deux heures, tout s’est arrangé et j’écris ces lignes dans une piaule tout ce qu’il y a d’individuelle, avec un seul petit lit ! N’était qu’il n’y fait pas chaud et que le vent fait trembler fenêtres et stores, j’y suis très bien.
Autre problème : il paraît que dans ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU (que je n’ai pas encore vu), on recouvre à un moment une table avec une nappe verte et un comédien crache dessus en disant que cette couleur porte malheur. Or, il y a un mois, le Colonel Kadhafi a changé le drapeau de la Libye (qui, il faut bien le dire, se distinguait mal de celui de l’Egypte) ; il est devenu maintenant un fanion tout vert ! Cracher sur la nappe reviendrait donc à cracher sur le drapeau. Le Conseiller Culturel, Monsieur Guérault, qui a été chargé de négocier cette délicate affaire, craint que Vassal ne soit intransigeant. Mais point : ce Monsieur cravaté n’est pas de ceux qui tiennent tête aux Pouvoirs. On ira donc aux souks acheter une autre nappe. MAIS DE QUELLE COULEUR ? Je vous le dirai demain. Pour l’heure, du rouge au noir en passant par l’Union Jack (qui séduit assez, mais trouvera-t-on en ville l’emblème britannique, et d’ailleurs, comme il s’agit d’une tournée officielle française, est-ce que ce ne serait pas « interprété » ?), on spécule, on cause. Ça alimente les conversations.
En tout cas, la première journée fait très « démocratie populaire ». Quand ils ne sont pas sombres et « ailleurs », les serveurs sont très familiers. Le portier de l’hôtel à qui je demandais où était le bureau de la compagnie UTA m’aurait, après m’avoir laissé lanterner un quart d’heure, envoyé à l’autre bout de la ville si je n’avais pas eu la sagesse de vérifier son information. Mais un des comédiens ayant trouvé au premier dîner sa ration de spaghettis un peu mince, reçoit maintenant tous ses plats en double ! Il n’en peut plus, surtout que pour faire passer les mets, qui ne sont pas exquis, il n’y a que de l’eau, du coca-cola ou du fanta orange !
Un petit car est à notre disposition. C’est-à-dire qu’il nous mène là où le « programme » le prévoit.
Vassal a dû faire changer le « programme »parce que l’équipement du décor n’était pas prévu ! Il y a eu des mains serrées avec les acteurs du Théâtre National qui répétaient au Théâtre des Scouts et qu’il a fallu déloger. « On » nous présente constamment des gens avec qui l’on échange trois mots. (J’ai quand même pu passer une demi-heure dans un théâtre de marionnettes que dirige une dame bulgare. Thé, gâteaux, démonstration. Houdart devrait inviter le groupe. Ça n’a l’air pas mal et ça lui donnerait une monnaie d’échange. J’ai vu ça tout seul avec notre cornac qui a compris, car il n’est pas con, de loin pas, que je ne suis pas en Libye pour les mêmes raisons que les autres.)
Il y a eu un accrochage : des Libyens voulaient assister à la répétition prévue ce soir à 19 h pour incorporer un diseur arabe. « Est-ce que ce sont des flics, des censeurs, ou quoi ? », a-t-il été demandé… Quoi qu’il en soit, la répétition sera à huis clos. Même moi, je n’y suis pas. On dirait vraiment que les acteurs, quelquefois, tombent de la dernière pluie ! Alors qu’ils n’ont pas pipé quand, à l’aéroport, on a confisqué l’EXPRESS à l’un d’eux, alors qu’on leur a pris leurs passeports et qu’ils savent qu’on ne leur rendra qu’à leur départ, ils s’étonnent, s’indignent, que leur spectacle puisse faire l’objet d’un contrôle. Vassal était plutôt emmerdé, mais les mouvements de sa troupe ne semblent pas être toujours maîtrisés par lui, et il semble gêné aux entournures par sa femme qu’il a emmenée en touriste, et qui ne manque aucune occasion de lui faire la gueule ou de lui lancer des piques en public.
Pourtant, ici, elle ferait bien de fermer sa gueule : c’est le pays le plus phallocratique du Monde Arabe. Pratiquement, il n’y a aucune femme dans les lieux publics. L’entrée du territoire est interdite (sauf exception : B. Brionne a dû expliquer à Paris au Consul quelle était la nature des filles importées) aux femmes de moins de trente-cinq ans ! Il n’y a même pas de femmes de ménage à l’hôtel. J’attends avec intérêt de voir si demain ils vont jouer rien que devant des mecs ? Inutile de dire que les deux jeunes gens du groupe ont été priés de ne pas draguer (on se demande quoi et où) car ça pourrait les conduire en taule pour cinq ou dix ans !... Pas de pinard ! Pas de nanas ! Ils ne se plaisent pas tellement…
Mescaoui (c’est le nom de notre accompagnateur) ne veut pas avoir l’air et se coupe : il ne dîne pas avec nous parce que sa femme l’attend à la maison. Mais quand on lui demande si elle vient demain au spectacle, il répond que « NON » parce qu’elle est en voyage !...
L’ambassadeur s’appelle Pierre Cabouat. Il est de Nîmes, ce qui explique qu’il soit allé l’été dernier au festival d’Aigues-Mortes. C’est un Monsieur très accueillant, et fort aimable. Le déjeuner qu’il offre à la troupe avec whisky, vin et cognac, est sans empesage. La conversation est aisée et, Gard pour Gard, je n’ai pas de peine à le convaincre d’aller voir à Villeneuve-lès-Avignon le spectacle d’Houdart. Vassal me soutient très vigoureusement quand je fais l’éloge de Dominique. J’accepte l’auxiliaire sans sourciller !
À part ça, il devait y avoir des Libyens à ce déjeuner, mais (Hum ! Hum !), ils se sont tous fait excuser.
ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU de Guy Pascal par le THÉATRE POPULAIRE DE CÉVENNES est sûrement un spectacle opportun en Languedoc. Les opérations du type Grande-Motte peuvent en effet y provoquer la destruction de sites urbains antérieurs sous le prétexte qu’ils sont vétustes et mal famés, voire de théâtres désaffectés. L’anecdote imaginée ici est que le Ministère de la Culture a dépêché un expert pour décider si le théâtre fermé depuis des lustres d’une petite localité vénitienne peut, ou doit être, « classé », ce qui interdirait la construction, souhaitée par le Conseil Municipal, d’une station balnéaire moderne. Par mégarde, le technocrate se laisse enfermer dans l’édifice et les fantômes d’Arlequin, de Pantalon, de Colombine et de Brighella viennent revivre avec lui un épisode de leur dure lutte pour que survive leur Art, au cours duquel il sera appelé à jouer son rôle de brillant énarque auprès des puissants du temps.
L’équipe, fervente, témoigne d’un grand amour du théâtre. C’est, exprimée en termes clairs et simples, la lutte que connaissent bien tant de troupes de province qui ont affaire chaque jour à des édiles de Cloche merles.
Ce n’est pas à chaque fois de la démolition d’un lieu de spectacle qu’il s’agit. Tout bonnement, il s’agit pour les artistes de se faire reconnaître comme utiles dans une Société où l’enrichissement est la preuve de la réussite (alors que le théâtre est déficitaire par essence), et où, de surcroît, ils signifient souvent une contestation des « Pouvoirs » en place. La survivance des gens de théâtre, pot de terre contre pot de fer, tient dès lors du miracle. Et pourtant elle est réelle. Le mérite du spectacle de Vassal est qu’il dépasse son anecdote et sa localisation. Et qu’il porte aimablement sur la place publique l’éternel conflit. ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU est un plaidoyer PRO DOMO.
Qu’est-ce qu’un tel spectacle a à foutre à TRIPOLI (où je le vois), c’est une autre question. Ici, le « spectaculaire » gagne la partie, ainsi que le presque pédagogique. Car, quand les personnages de la Commedia dell’Arte rencontrent l’envoyé du ministre déraciné, Arlequin le prend pour son frère et veut l’intégrer dans sa troupe (LES DEUX JUMEAUX VÉNITIENS)… Il lui apprend donc le métier, ce qui permet aux spectateurs de s’initier.
Évidemment, ces gags démontrés sont moins vifs que s’ils étaient purement exécutés. Le spectacle souffre ainsi d’une certaine lourdeur. Cependant, il ne suscite à aucun moment l’ennui, et les « débats » font ressortir que sa simplicité n’est pas si grande qu’il y paraît d’abord. Mohammed Allaghi raconte qu’à TRIPOLI, un combat âpre oppose actuellement ceux qui veulent édifier un échangeur routier sur l’emplacement de la vieille ville, et ceux qui s’y opposent. Vassal affirme que chacun peut puiser dans son œuvre matière à réflexion par rapport à ses propres préoccupations.
Soit. Reste que la critique n’est pas très virulente. Le souffle n’atteint jamais au tragique. On reste dans le sentimental un peu à l’eau de rose. Le spectacle est joli, « petit », à la française. Son pavé est gentil, lancé dans une mare modeste. C’est ce manque de grandeur qui fait que cette juste et honnête dénonciation bien troussée ne dépasse pas le niveau mineur.
C’est André Gilles, le vieux compagnon de Fabbri, qui a fait la mise en scène en se souvenant de « la Famille Arlequin ». Son regard est résolument tourné vers le passé et les bulldozers qui s’attaqueront, à la fin, au vieux théâtre seront symboles d’une Société qui rejette ses valeurs au profit d’une illusoire évolution du Progrès. Cette position passéiste ne peut être généralisée sans danger.
05.04.78 – Hier, on a visité le musée archéologique. Aujourd’hui, c’est le musée islamique. Le chauffeur de notre car s’est mis en confiance avec nous et sa conduite est devenue acrobatique. Il veut briller dans sa spécialité. Ça ne me rend pas joyeux.
La représentation que j’ai décrite s’est déroulée devant environ deux cent cinquante personnes (mais un véritable parterre d’ambassadeurs). Le premier attaché de l’ambassade soviétique a beaucoup aimé. Les félicitations ont fusé de partout. Vassal est très content, mais il feint de s’étonner qu’il n’y ait pas eu davantage de Libyens. L’argument selon lequel ils ne comprennent dans l’ensemble pas une broque de français ne lui suffit pas. (Est-ce que, lui, ne va pas entendre Tchékhov en russe ?)
Il accuse « la publicité » et, sur ce plan, Français et Libyens se renvoient la balle. (Allez donc vérifier s’il y a des pavés et des articles dans un pays où le caractère latin est proscrit des imprimeries.). Guérault (c’est le nouveau Conseiller Culturel. Il a remplacé Bergère et ne le vaut pas) semble être assez coupable en fait car, non arabisant, il a carrément écarté Piéri de l’affaire sans pour autant la bien dominer. En vérité, il apparaît que les Libyens ont accepté cet ARLEQUIN parce que le festival de GANNAT (vous connaissez ?) accueillera en France l’été prochain la troupe folklorique de TRIPOLI.
Bon ! C’est clair ! Mais nos partenaires auraient préféré une autre époque, parce que nous tombons en pleine préparation des fêtes du départ des Anglais du Pays.
Nous apprenons ces détails au cours d’une réception avec discours, genre « démocraties populaires », que nous offre (au Pepsi-Cola) le sous-directeur de la Culture. (Le gros El Mighrab continuant à être malade –c’est peut-être vrai).
On est tous assis autour d’une table, sérieux comme des Papes, et les mots de Pierre Dac me revenaient irrésistiblement en mémoire : « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes fondamentaux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir »… C’était cocasse, car il y avait là le vieux Alric qui, avec les tournées de Planchon et Barrault, dans les Pays de l’Est, a déjà vécu ça cent fois, et Vassal, l’arriviste pour qui tout est bon pour faire du feu, qui biche, parce qu’il est en vedette. Cela dit, « on » nous fait des gentils cadeaux à la fin.
Piéri, pour en revenir à lui, et le nouveau conseiller culturel, ne semblent guère accrocher.
Il déjeune avec nous, le petit Piéri. Nous lui offrons le riz de l’hôtel Méditerranée. Mais je ne veux guère parler avec lui parce que Vassal est là, qui fait rouler la conversation sur ARLEQUIN PIEDS DANS L’EAU. (Faute de pouvoir voir autre chose, je reverrai ce soir la représentation. À la deuxième vision, l’aspect MINEUR du spectacle me paraîtra plus éclatant encore. C’est gentil, mais ça ne vole pas haut, ça ne casse pas les briques et c’est plein d’une bonne volonté touchante, qui est rassurante puisqu’elle vise à créer un théâtre de divertissement avec des problèmes politiques. Et puis, à part Alric, qui est un grand acteur, et Sachet, qui ne manque pas de spontanéité, les autres ne sont pas extraordinaires. Notamment Vassal, qui fait avec une chaise un numéro qui se voudrait de haute voltige, et qui est vérité singulièrement laborieux. Au fond, je crois qu’Alric aime bien cette équipe parce qu’il y fait ce qui l’amuse et y brille facilement).
Il n’est pas très intelligent, Vassal. Accrocheur, très jeune cadre V ème République (il travaille beaucoup pour la T.V.), il ne sait pas élever les débats, et surtout que tout l’art serait de les faire glisser sur son propre terrain. Dans la soirée, j’en ai deux preuves : d’abord après la séance, il a voulu répondre aux questions des spectateurs et s’est vite fait mettre en difficulté par des étudiants libyens que la représentation n’avait apparemment pas convaincus. Ensuite, l’Ambassadeur ayant convié la troupe à souper, (ce qui a fait dire à Sachet : « Dommage que l’Occitanie ne soit pas indépendante. Il y aurait un ambassadeur de France à Alès et l’on pourrait y bouffer après le spectacle ») voilà-t-il pas que Vassal, très reporter d’ANTENNE 2, s’est mis à l’interviewer sur son métier d’Ambassadeur avec la même légèreté que Michel Droit quand il posait des « colles » à De Gaulle ! Son « agression » était petite, son « insolence » était modeste. Bref, c’est un petit « chef » sans importance. Il lui manque la dimension.
Dans la journée, on a eu aussi le « cocktail » chez le Conseiller Culturel. Je dois dire qu’il avait réussi à déplacer beaucoup de monde libyen. J’ai pu converser un moment avec Monsieur Allaghi. Il est bien dommage que ce type ne soit plus directeur de Théâtre des Scouts, car il a passé cinq ans en France, il connaît le théâtre, avec lui on sait qu’il sait de quoi on parle, et il est intelligent. Je n’en dirais pas autant du nouveau (qui par contre semble savoir se procurer de l’herbe dans ce pays).
Quelles sont les perspectives d’avenir ? Bofff !... Les Libyens pensent comme les Démocrates populaires leur ont inculqué de penser : la personne étrangère avec qui ils dialoguent n’existe qu’en tant qu’elle signifie un POUVOIR OFFICIEL dans son Pays. Alors je suis forcément pour eux un personnage difficile à cerner. L’Ambassade est ma seule caution. Bien sûr, je pourrais influencer sur cet état d’esprit si je séjournais longtemps ici et si je parlais l’arabe ! Mais, n’est-ce pas, il n’est pas question de s’installer à Tripoli et j’apprendrais l’espagnol si je devais me remettre à l’étude ! Alors… Qui vivra verra… Deux fois que je mets les pieds ici. Il y aura peut-être une troisième…
06. et 07.04.78 – La partie officielle du séjour est terminée. « On » nous emmène visiter ce que j’ai déjà vu (mais ça peut se revoir).
Sabrata, le 6, fait partie du programme libyen. Leptis Magna le 7 est un pique-nique organisé par l’Ambassadeur (Je ne sais pas ce qu’il est politiquement, celui-là, car il n’étale pas son FIGARO à tous les vents, mais le sûr, c’est qu’il est très gentil avec nous. Il en faudrait des comme ça partout !).
Malheureusement, Sabrata se passe mal. D’abord, pour de mystérieuses raisons, on glande deux heures avant de partir. Puis, pendant qu’on roule, le vent, qui s’était un peu apaisé, se remet à souffler violemment, soulevant des nuages de sable, si bien que nous visitons les ruines avec une certaine difficulté à tenir les yeux ouverts. Dommage, car, outre les vestiges du passé, nous avons vu à Sabrata plus d’adolescentes libyennes que pendant notre séjour à Tripoli. Déversées par cars scolaires, ces jeunes filles, aux larges bassins serrés dans des jeans, se montraient fort provocantes et même un brin collantes. Cette jeune génération « Socialiste » viendra-t-elle à bout de l’« ordre des mâles » défendu par l’Islam ? Nous laisserons le débat ouvert…
Je me relis :
-J’ai oublié de dire que le problème de la nappe verte a été résolu : on a mis une nappe « Bordeaux », ce qui a permis quelques fines astuces du genre : « le Bordeaux, ça saoûle, ça fait se péter la gueule » etc…
-J’ai oublié de préciser qu’il y avait des femmes aux deux représentations qui ont été données. Les Européennes, bien sûr, mais aussi quelques Lybiennes. Cela dit, deux cent cinquante spectateurs à la Première, trois cents à peu près à la deuxième dont un tiers d’autochtones, et un dixième de femmes, calculez vous-mêmes…
RETOUR EN France
Voici qu’on a changé de gouvernement. Non pas de premier ministre, c’est toujours Raymond Barre, mais de Ministre de la Culture et de la communication : Ce sera jusqu’au 4 Mars 1981 Jean Philippe Lecat
11.04.78 – Qu’ai-je vu ? Le programme annonçait HISTOIRES, spectacle inspiré de l’œuvre de Samuel Beckett par LE THÉATRE DU LABYRINTHE (35’), puis, après un entracte conséquent, PAS MOI de Samuel Beckett avec Madeleine Renaud, puis PAS avec la même et Delphine Seyrig. Dans HISTOIRES, on assiste à une pantomime indéchiffrable. Dans PAS MOI, l’actrice et les spectateurs sont plongés dans le noir total et seul un projecteur éclaire les lèvres de la diseuse solitaire.
Dans PAS, Delphine, transformée en FOLLE DE CHAILLOT, fait les cent PAS en : premier acte : dialoguant avec sa mère qu’on ne voit pas.
Deuxième acte : écoutant sa mère.
Troisième acte : parlant, toute seule, un long « poème » qui se laisse écouter musicalement car il est joliment écrit.
On sort du théâtre avec le sentiment d’avoir perdu deux heures, et que Madeleine Renaud a voulu nous prouver son extrême modestie.
12.04.78 – Beckett tournant en rond dans un univers qui n’a plus rien à dire, Ionesco devenu complètement réac, Dubillard se situant « à droite ». Cette génération accouche d’un traître de plus en la personne d’Arrabal. Décidément, celui-ci a tout perdu avec la mort de Franco et le masque qu’il jette découvre une hideur assez mal acceptable.
Quel autre mot employer que « dégueulasse », pour définir PUNK PUNK ET COLEGRAM (je donne le titre de souvenir) que Georges Vitaly a monté au Lucernaire ? Dans un hôtel international, l’émissaire soviétique et l’envoyé chilien chargés de négocier un échange des prisonniers, sympathisent, se découvrent des affinités, et que les méthodes de leurs régimes sont les mêmes. De joyeux anarchistes les noyautent et semblent en rapport étroit avec leurs chefs respectifs. Il y a aussi une nazie folle de son corps qui se fait baiser dans la valise diplomatique. Vous me direz que cette narration, qui est incapable de faire paraître logique ce qui ne l’est pas, relate des événements qui ne semblent pas sérieux. Voire. Outre que l’identification des « systèmes » ne va pas sans quelque abus, chaque détail recèle son petit fiel. Et tous ces détails vont dans le sens de la « contestation » d’un canard comme MINUTE. Y compris la vulgarité. (Cela dit, il arrive qu’on se marre avec mauvaise conscience.) C’est triste, c’est grave, et plus encore : on a envie de crier : « Arrabal au goulag »… Mais non ! Ça lui rendrait service.
13.04.78 – Il est très étonnant d’observer la démarche de Jérôme Savary, qui finalement s’inscrit dans cette ligne : gommer progressivement de ses spectacles la dérision qui a fait le MAGIC CIRCUS, au profit de la structuration de Shows élaborés d’où la contestation superficielle ne sera pas absente, mais qui plairont par leur « somptuosité » (le mot étant désormais à prendre au sérieux), leur rythme, leur charme, leur joliesse musicale, en somme par des recettes professionnelles éprouvées. Les animaux vivants ont disparu, les confettis aussi. Pendant les représentations, les pompiers ne sont plus en alerte. Si on s’assoit au premier rang, il n’y a plus aucun risque de recevoir un nuage de poudre et de farine, ou une volée d’hémoglobine. L’anti-théâtre, culturellement révolutionnaire, est devenu ouvrage bien fait et bien léché, conçu pour le plaisir des yeux et des oreilles, et pour le ravissement des grands et des petits. Crainte, peut-être, que les censures encore en alerte n’interviennent pour interdire l’entrée à ces derniers, la nudité elle-même a disparu. Comme jadis dans les revues, on reluque encore quelques fesses féminines, mais pas un poil de pubis ne dépasse des slips et pas une verge ne s’égare à la vue des voyeurs frustrés.
Hélas, il n’y a pas non plus dans LES MILLE ET UNE NUITS de grands moments poétiques. Où est-elle, la poule de Zartan sur la tête de la paysanne indienne ? Où est-il, le lapin solitaire de Robinson ? Où sont-ils, même, ces spectateurs « qui vont mourir statistiquement avant la fin du mois », repris dans LES GRANDS SENTIMENTS ? Et peut-on comparer, au point de vue force, le passage à tabac du bougnoule avec la Reine Victoria suçant le sang des chômeurs ? Et puis où est-elle la fête ? Terminé, l’accueil des spectateurs. Les gens entrent bien sagement dans la salle où un petit orchestre joue gentiment dans sa fosse des musiquettes d’opérette.
Terminés, à la fin, les rythmes afro-cubains et l’invitation faite au public d’envahir la scène et de danser. Quand c’est fini, les artistes saluent et chacun s’en va de son côté. Finie la drague, finie la participation.
« Nous nous dégageons de tout ça, dit Savary, parce que tout le monde nous a copiés. Alors nous, on ne le fait plus ».
Alors, me direz-vous, assez égrené vos souvenirs. Ces MILLE ET UNE NUITS valent-elles tripette ? Oui, bien sûr. J’y ai pris grand plaisir et, parfois, j’ai franchement ri (sans honte). La philosophie des adultes qui ont oublié de regarder le monde avec des yeux d’enfants, parce qu’ils sont « logiques », y est aimablement stipendiée et, de fait, au bout de 2 h 30, nous sommes conditionnés pour accepter qu’Aladin vienne acheter la Tour Eiffel à la belle Princesse. Le « merveilleux » est clinquant, joyeux, d’un délicieux mauvais goût. On se croirait au Châtelet de mon enfance et je crois que c’est bien là que va Savary.
Il faut dire qu’il y a des longueurs. La fête du banquier Simbad est un peu interminable, et si les quarante voleurs sont formidables, leur quête de vengeance après qu’ils ont été dépouillés, est un brin ennuyeuse. Et puis, si Carlos et Guy Gallardo font des prestations excellentes, si Dussarat est toujours inégalable –et parfois méconnaissable- si François Orenne, chef pianiste, se révèle parfait et efficace, si on est content de revoir Valérie, Lucas, Jacqueline (bien vieillie), la grosse Gaël, et si on découvre sans déplaisir un sosie (en moins bien) de Mona et une plantureuse Allemande « erotik », il n’en reste pas moins qu’il manque Savary en personne. Sans lui, c’est comme si l’« âme » du Magic Circus, déjà bien éloignée de cette « opérette », achevait de s’envoler. Les décors de Michel Lebois sont ceux de Fribourg. Ils font leur effet.
Entendez bien : LES MILLE ET UNE NUITS est un spectacle divertissant qui est fait pour plaire et qui plaira. Avec, toutefois, une certaine nostalgie pour certains de ce qui fut une certaine façon d’être jeune… et qui a grandi »…
25.04.78 – Le 17 mai 1972, dans cette même Cartoucherie de Vincennes (Théâtre de la Tempête), transformée en piscine, j’assistais à la représentation de SI L’ETE REVENAIT « lue » par Michel Berto, et je confessais que je ne comprenais pas grand-chose au discours singulièrement intime qu’avait voulu nous tenir Adamov. Le secret reste bien gardé avec la représentation proposée aujourd’hui par Gilles Chevassieux. L’eau est devenue sable, encore que la pluie demeure. La balançoire reste aussi « importante » et le jeu de l’inceste, de l’impuissance, et de la mort, demeure au fond d’un impressionnisme mélancolique. Curieusement, les acteurs semblent comprendre ce qu’ils disent et font. Le metteur en scène leur a pourtant inculqué de n’en être pas « dupes ». Ainsi, ce voyage, à travers les fantasmes d’un homme vieilli, prend-il un aspect froid. On sort de la Cartoucherie en se demandant POURQUOI un réalisateur, somme toute visiblement talentueux, a eu envie de monter ça. Remarqué Marianne Epin. Belle, émouvante. Que fout-elle là ?...
28.04.78 – Gaston Couté est un poète beauceron de la fin du XIX ème siècle. En des poèmes patoisants, il nous conte la vie du petit peuple paysan du temps. Le langage est dru, vert, imagé, les anecdotes sont joyeuses et, tout compte fait, bien signifiantes. Ce sont deux Suissesses, Jane Friedrich et Michèle Gleizer, qui ont déniché ces petits trésors mineurs. Avec l’aide d’un violoneux et d’un guitariste qui coupent la soirée d’intermèdes agréables dus à Christian Oestreicher, elles nous les livrent simplement, sur la scène du théâtre Marie Stuart, sous le titre accrocheur : LES FEMMES À POIL. C’est gentil. (19 h)
28.04.78 – Ewa Lewinson nous propose, à la Cité Universitaire, L’INTERVENTION de Victor Hugo (qui avait déjà inspiré Bayen dans LE PIED il y a quelques années et, m’a-t-on rappelé, Chéreau à ses balbutiements).
En vérité, la ronéo distribuée à l’entrée nous apprend que le choix de l’œuvre ne lui est pas dû : ce sont quatre élèves de l’Atelier théâtral d’Ivry, qui ont eu envie de jouer ces rôles et qui ont demandé à leur « professeur » de les mettre en scène. Soit. Cet arrangement explique sans doute que nous nous trouverons en face de comédiens (comédiennes) qui ont voulu montrer jusqu’où ils (elles) pouvaient s’exprimer. Appliquant la méthode vitézienne, la réalisatrice les a aidé en leur inspirant les gestes pléonasmes grâce auxquels ils ont pu prolonger les indications du jeu réaliste par un jeu supplémentaire, lui aussi réaliste, mais expriment les intentions et pensers secrets. Le phrasé vitézien ayant été évité, cela donne une soirée plaisante et au contenu aisément décryptable.
Bayen avait voulu que la cantatrice issue d’un milieu pauvre et qui est devenue riche grâce à sa voix et à son cul, et son amant, le baron futile, soient projection des rêves du couple pauvre à l’horizon bouché, qui s’entredéchire quoique s’adorant.
Ewa Lewinson n’a pas cherché un tel midi à quatorze heure et ses personnages sont tels que les a écrits Hugo, bien réels. Ce petit couple, elle dentellière, lui peintre sur éventails se revendiquant OUVRIER, est bel et bien troublé par l’irruption dans son milieu de celle qui s’en est sortie et de celui qui n’en a jamais été. Et il est vrai que ce trouble naît de la vision à portée de main pendant quelques heures de ce qui ne sera jamais atteint, vision familière le temps de la « visite ». Mais c’est bien d’une visite qu’il s’agit. Et non comme l’esprit tortueux de Bayen l’avait voulu, de la projection de fantasmes. Bayen avait aussi caricaturé le monde des riches. Point tellement Ewa Lewinson : les riches chez elle « jouent » bien avec les pauvres, mais ce jeu un peu pervers n’est pas rendu odieux et il est même remarquable de voir sur une scène des représentants de cette classe généralement montrés figés, en veine de « rigoler ». Rigolade en fin de compte bénéfique puisque les amants pauvres se retrouveront unis… provisoirement, après avoir fait le pathétique partage de « biens » misérables. Ewa Lewinson n’a pas « utilisé » Hugo pour transmettre « son » message. Son mérite… ô paradoxe pour l’assistante de Vitez… est de l’avoir SERVI tellement bien que son mélo semble réactualisé. C’est un vrai compliment que je lui fais là.