Du 7 novembre au 30 décembre 1975
7.11 – L’AQUARIUM est une troupe TRÈS SÉRIEUSE : quand Nichet et ses camarades (qui dans la vie ont tous l’air d’employés très modestes) s’attaquent à un sujet, c’est en le creusant jusqu’au bout, en le traitant totalement, avec une rigueur intraitable, sans souci de l’éventuelle fatigue du spectateur, qui n’a qu’à suivre, avec ART et DISTANCE. La démarche est brechtienne de façon EXEMPLAIRE et cependant un peu trop impitoyable : la « véritable histoire de AHQ » est une satire écrite en 1921 par un écrivain chinois nommé LOU SIN, que Jean Jourdheuil et Bernard Chartreux ont adaptée pour la scène et ont confiée à l’AQUARIUM. Notons que pour la 1ère fois depuis qu’elle est professionnelle, cette troupe s’attaque ici à une œuvre écrite. Œuvre au CONTENU irréprochable, puisqu’il en ressort qu’une Révolution ne peut aboutir que si elle est faite par des hommes ayant une éducation politique.
AHQ, l’éternel bafoué du système féodal, croit toucher à sa promotion quand les émeutes de Tchang Kaï Chek secouent l’Empire du Milieu d’un tremblement apparemment révolutionnaire. Mais tout n’était que faux-semblant et les oppresseurs d’hier ne font que changer de vêtements. AHQ sera victime de sa naïveté –sous-entendez l’Histoire maintenant connue de la Chine postérieure et vous voyez comment de cette œuvre de prescience (car Lou Sin n’avait jamais lu Marx), les adaptateurs et les réalisateurs ont fait un pamphlet chargé d’enseignement. Enseignement que je ne puis qu’approuver, comme je ne puis qu’admirer la réelle beauté, la grande intelligence de la mise en scène, la perfection de l’exécution par les artistes. Simplement je regretterai que tout baigne dans une froideur d’ensemble, qui, en fait de distanciation, m’a tenu éloigné du Propos. Bon Dieu, cela devrait me toucher, m’émouvoir, m’atteindre, de voir ce pauvre type FIER parce que le riche l’a distingué, LUI, en lui donnant une gifle ! Cela, devrait m’indigner, me faire râler, que de voir comment les fils du RICHE CONFISQUENT la pseudo révolution en sacrifiant sur l’autel de leurs intérêts un allié objectif soudain devenu victime : les nonnes du temple Bouddhiste. Et le retournement de la situation, quand AHQ le cocu permanent le devient à mort, devrait me soulever de mon siège, m’amener à vociférer, à prendre PARTI et quasi les armes !
Hélas tout est DÉSENTIMENTALISÉ. Et je pense qu’il y a là, magnifié par la perfection même de ce que j’ai vu, un problème qui devrait susciter des remises en question de principes TROP arrêtés depuis Brecht.
Eh quoi, Messieurs, en montant ce genre d’œuvres, vous voulez convaincre, entraîner, dénoncer, réveiller la vigilance. C’est une pierre que vous posez sur l’édifice qui s’écroulera un jour sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Alors cette pierre, faites-la POPULAIRE, polissez-la pour qu’elle frappe. Ce n’est pas CONCÉDER, ce n’est pas être PUTAIN que d’employer les moyens qui toucheront les âmes et les cœurs. OUI, j’ai écrit « les âmes et les cœurs » car vous ne vous adressez qu’aux cerveaux, ET CE N’EST PAS SUFFISANT. Aux cerveaux, vous devez d’ailleurs surtout vous y adresser HORS du théâtre. ON N’APPREND PAS au théâtre, MAIS ON peut y être galvanisé, enthousiasmé, horrifié. Ô Brecht, que de mal tu as fait quand tu as dit qu’il fallait que le public réfléchisse PENDANT la représentation, qu’il la regarde en CRITIQUE. Mais NON ! Il s’emmerde le public quand tu ne l’aliènes pas. Et MOI, c’est APRÈS que j’ai envie de réfléchir. De toute façon, PENDANT le spectacle, je n’ai pas le temps. Et puis, dites, vous me le téléguidez ce que je dois penser : si je ne pense pas comme vous, je serai un réactionnaire. C’est un péché qu’on ne décide pas d’assumer comme ça parce que vous m’aurez laissé 5 secondes pour y songer, savez-vous ?
Bon ! Voilà donc un grand et beau spectacle réalisé par une équipe qui est maintenant hautement professionnelle mais qui est enfermée dans une école. Je souhaite qu’elle en sorte. Une révolution est un jour sortie d’un opéra de Verdi. Croyez-moi, le texte ne parlait pas au cerveau. Un texte qui aurait parlé au cerveau eût fait l’affaire du Pouvoir en place. Car qui pense n’agit point. Il faut PENSER AVANT. On puisera alors peut-être au théâtre l’étincelle qui déclenchera un processus. En pensant sur la scène et en obligeant les spectateurs à SEULEMENT penser, vous vous faites, Messieurs de l’Aquarium, les alliés de ceux qui vous ont donné la liberté de Parler, POURVU qu’elle ne débouche pas sur la véritable LIBERTÉ, celle qui fleurira au bout de la longue marche qu’annonçait LOU SIN le dépolitisé si lucide des années 20, qui vivait dans une Chine qui déjà n’existe plus et que personne au monde n’ose plus regretter.
20.11 – « Je ne sais pas d’où je viens.
Je ne sais pas pour combien
De temps je suis ici :
La Mort me saisit
A l’improviste.
Après, je ne sais pas où je Vais.
D’où vient que je sois si gai ? »
Ce poème mélancolique clôt LA FOI, L’ESPÉRANCE ET LE CHARITÉ de ÖDON VON HORVARTH, œuvre naturaliste écrite en 1932 narrant le fait divers pathétique d’une pauvre fille démunie dans un univers hiérarchisé à l’extrême, où la place de chacun est définie si gravement qu’il y devient crime de se feindre appartenir à une classe légèrement supérieure. Prise dans un engrenage, la malheureuse fera 14 jours de prison pour escroquerie parce qu’elle aura voulu trouver le moyen de payer une amende de 150 Marks infligée dans une Allemagne peuplée de chômeurs et d’affamés ; aimée par un agent de police, elle sera chassée par son amant lorsque celui-ci sera avisé de la turpitude passée de sa maîtresse par un supérieur. Elle se jettera alors à l’eau. Et ses sauveurs ne parviendront à la ranimer que le temps de la scène finale.
De cette oeuvrette populiste destinée à émouvoir par des moyens de mélodrame et à susciter l’indignation d’un peuple qui allait encore largement au théâtre, Yvon Davis, collaborateur de Sobel, a fait un spectacle « exemplaire », glacial, un froid constat des dangers qui nous guettent lorsque la classe moyenne est au Pouvoir. L’anecdote est éloignée, transposée dans un univers où chaque geste réaliste, chaque parole naturelle sont « prolongés », procédé de ralentissement qui crée, on le sait, facilement la « distance ».
D’un texte qui ballade son héroïne à travers plusieurs lieux, Max Denès, le décorateur, a choisi la visite à la morgue comme toile de fond de tout l’environnement. Une morgue allemande, propre, blanche, immense et sinistre. Cette toile servira même pour la chambre où les amants s’étreindront.
Entre chaque scène, la Marche funèbre de Chopin et quelques rythmes bien teutons viennent nous rappeler où se situe ce qu’on voit, et ce qui en a découlé.
Faut-il pavoiser parce que des communistes bon teint ont ainsi vidé de son impact émotionnel une pièce écrite pour faire pleurer Margot, et en ont fait un constat aussi net, clair, précis qu’un acte d’huissier ? La presse réunie hier soir semblait enchantée un célèbre critique de droite applaudissait à tout rompre ? N’était-ce pas parce que sans pleurs, il n’est point de sentiments soulevants, et par conséquent de danger pour ceux qui ont le Pouvoir : ils s’en moquent qu’on les dissèque d’un œil clinique. Le scalpel manié par un homme ému serait autrement dangereux. Si la pièce avait été montée avec sa substance émotionnelle, je suis sûr qu’elle n’aurait pas tant plu.
21.11 – Spectacle de Marc’o complètement débile au Petit Orsay à 22h15 : L’OMBRE DE VERDI SOUS LES ORMES DE MA MÈRE où l’on voit sous le nom d’Unisex la fille supposée (ou spirituelle) de Verdi suivre au gré des notes du compositeur (heureusement généreusement distillées) un itinéraire tortueux sur la scène d’un théâtre en tant que cantatrice nourrie au culte de son « autopersonnalité », avec à son service un partenaire un peu régisseur qui figure aussi son minable (vrai) père. Michèle Moretti serait une bonne actrice si elle ne faisait pas un geste par mot. Quant à Baillot, je pense que c’est par sadisme que Marc’o a mis dans sa bouche une (courte) leçon de diction ! Le grave, c’est que Marc’o vole toujours à l’heure bien vieillie des BARGASSES et en tout cas pas bien haut. Un des ses « bons » mots n’est-il pas : « Ne monte pas sur ta quatre chevaux » ?...
21.11 – Jean-Louis Martin Barbaz (provisoirement ENSEMBLE THEATRE DE LYON) a monté LES DEUX ORPHELINES avec un œil critique sur la société montrée, mais en réussissant à tenir l’équilibre entre le ridicule et le sensible à tel point que, souriant souvent, restant lucide et pas dupe, le spectateur est pourtant ému par l’anecdote, s’y intéresse et ne s’ennuie pas quoique la soirée dure plus de 3 heures.
C’est que Martin Barbaz est parti du 1er degré, de la lettre du texte, utilisant des vieilles toiles peintes pour l’environnement, laissant couler l’aventure des 2 jeunes filles perdues dans un Paris hostile au milieu d’une société impitoyable ou hypocrite (les « bons » l’étant par grâce divine et non pas par appartenance à telle ou telle classe sociale), -nous sommes un an après la Commune-, et se bornant à « signaler » les instants qu’il conteste ou à « grossir » ceux qui lui semblent grotesques. Pour l’ensemble de la réalisation, on peut presque parler de « pudeur », et le certain est que le document ainsi exhumé prend une valeur informative sur une époque où la Bourgeoisie, à travers ses œuvres, s’adressait au peuple sans détours, presque didactiquement mais « démagogiquement » sans vergogne.
Le coup de pouce de Martin Barbaz vient de ce qu’il égratigne (Post) « Brechtiennement » cette Bourgeoisie supposée exemplaire. Intéressante tentative donc, qui s’inscrit dans une recherche de ré-aliénation du spectateur, ligne de force actuelle sur laquelle je reviendrai.
22.11 – Des MADEMOISELLE JULIE, j’en ai connu pas mal au cours de ma carrière. Aussi, en allant voir celle de François Dupeyron à la Cité U, pensais-je être mis en présence d’une mise en scène qui justifiât cette énième reprise. Or, non seulement je n’ai pas décelé d’originalité spéciale dans ce montage, mais je l’ai trouvé singulièrement mou dans l’acte final, celui qui débouche sur le drame. Valia Boulay joue cependant Melle Julie avec exactitude et Josée Yanne donne quelque véracité, voire juvénilité, au personnage laissé pour compte de Christine, mais François Perrot semble jouer une pièce de Dostoïevski mise en scène par Hossein. Il prend des temps interminables et ce qui ressort, c’est le côté paumé du personnage, ce qui est juste, certes, mais à facette unique. J’ai souri en me ressouvenant de l’aspect MLF contesté par l’auteur d’une héroïne absente : la mère de Julie, militante du féminisme !
Comme quoi tout ça ne date pas d’hier. Je crois que Dupeyron a fait œuvre honnête de serviteur du texte. Mais s’il y a eu de sa part une « lecture », il ne me l’a pas transmise. La critique sociale et morale écrite par Strindberg montrant une société hiérarchisée donnée à une époque donnée n’a pas été dépassée.
28.11 – Je n’ai rien à dire sur LE PARTAGE DE MIDI monté à la Comédie Française par Antoine Vitez. Je suis décidément allergique à cette sorte de littérature culturelle. Vitez m’a semblé être curieusement « serviteur » respectueux. (Mais je n’ai vu que le 1er acte. Il paraîtrait qu’il aurait un peu trahi sur la fin, m’a dit Monique Bertin qui est restée jusqu’au bout.
1.12 – VINGT-QUATRE HEURES par le GRUPO TSE avait de toute éternité été conçu par Facundo et Marucha Bô. Le remplacement de cette dernière par Marilu Marini fait sûrement perdre beaucoup au spectacle. Il y a visiblement des scènes où la doublure, au demeurant callipyge à l’excès, ce qui est gênant quand elle se fout à poil, n’arrive pas à accrocher un public déjà désarçonné par l’absence complète de liens entre les diverses scènes, une par heure, dont l’ensemble donne 24 moments isolés, séparés, d’une journée. Absence de liens ? Pas tout à fait : il s’agit du « théâtre », celui où « l’acteur » se transforme en « personnage ». Transformation à vue, disséquée, analysée, explicitée avec insistance. Transformation de virtuoses physiquement montrée mais aussi transposée sur le plan du personnage et « son » ou ses « doubles ».
Alfredo Rodriguez Arias affectionne les miroirs imaginaires qui sont aussi ceux de l’imaginaire. Comme le texte écrit par lui est reflet de ses propres phantasmes (le crime, l’homme-femme, l’univers sophistiqué d’une certaine bourgeoisie de pointe). Pour lui, la comédie policière et Shakespeare, c’est pareil, ce qui est une manière de contester la « Culture ».
Contestation toute au 4e degré. Au 1er, le spectacle semble hors de notre temps, et l’affection des acteurs d’Alfredo pour les costumes rétro ou historiques ne fait qu’accentuer cette impression d’un monde ne me concernant en rien. À telle enseigne que, frappé d’admiration devant la minutie d’un travail infiniment fini, je demeure froid devant le résultat. Même il m’arriva d’être frappé par l’ennui. Parfait, trop parfait, désincarné, sec, tels sont les qualificatifs qui conviennent à cet édifice qui ne cherche jamais à faciliter l’approche du spectateur. Mais qui navigue dans des sphères exigeantes. Facundo Bo et Zobeïda sont remarquables.
COMMENTAIRE
Il est dommage que ce compte rendu n'explique pas que le remplacement de Marucha Bo par Marilu Marini a été effectué en catastrophe parce que Marucha avait été frappée par un mal impitoyable et qu'elle était devenue paralysée.
2.12 – « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler, sont les deux principes fondamentaux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir ».
Tout l’esprit de Pierre Dac est dans cette phrase, un esprit judéo-caustique qui fut très en avance sur son époque puisque dès 1938 il s’étayait sur l’absurde, le mauvais calembour, le jeu de mots poussé au bout de lui-même comme un précurseur des destructeurs de langage qui, déjà nés, ne savaient pas encore qu’ils le deviendraient.
À la Pizza du Marais, Alain Scoff et 2 de ses copains rendent hommage à cet apôtre de la connerie militant pour dénoncer la connerie. Ils modernisent à peine et font mouche après presque chaque mot de leurs HISTOIRES D’OS (A MOËLLE). Une heure franchement marrante au cours de laquelle on n’éprouve aucun « vieillissement ».
3.12 – ALEXANDRA K., texte et mise en scène d’André Bénedetto aurait dû me combler. Par le thème, d’abord, puisqu’il s’agit de « scènes et images tirées de la vie et des écrits d’Alexandra Kollontaï », révolutionnaire russe dont l’existence fut un combat permanent pour la défense des minorités opprimées, puis pour la promotion d’une nouvelle morale sexuelle et pour l’émancipation de la femme. Combat mené en exil jusqu’en 1917, année où la Kollontaï entre en qualité de Commissaire du Peuple à l’assistance publique comme membre du 1er gouvernement constitué par Lénine. Staline, sur la fin de sa vie, l’enverra dans différents pays comme ambassadrice de l’Union Soviétique.
Carrière passionnante, et d’autant plus que la Kollontaï était d’origine bourgeoise et que ses 1ères révoltes l’avaient entraînée vers un gauchisme paré de de toutes ses déviations.
Bénedetto traite son sujet avec distance, mais avec une distance n’excluant pas l’humour, ni même des calembours, et dans une forme libre et décontractée où les acteurs (2 hommes, son frère et lui, et 3 femmes) se repassent à vue les rôles. La Kollontaï est évidemment prétexte à survoler l’histoire, celle d’avant, de pendant et d’après la Révolution d’Octobre. Survol « critique », irrespectueux envers les « grands » Lénine, puis Staline (« comment le représenter », se demande le sculpteur qui fait le lien des scènes entre elles, « immense ou minuscule » ?). Survol contestataire, mais contestataire de l’intérieur. On sent bien que Bénedetto ne cite pas les erreurs en réactionnaire, mais en homme lucide qui n’a en rien perdu sa Foi en le Communisme. En mettant sur la scène cette grande Précurseur, il fait œuvre utile et je n’ai point senti son spectacle tourné vers le Passé.
Alors, me direz-vous, vous êtes enchanté ?
Eh bien NON, car Bénedetto a engagé 2 nanas visiblement étrangères, Marta Alexandrova et Mares Gonzales, dont les accents sont prononcés, et dont les bredouillis rendent inaudibles moult parties du texte. C’est un vrai sabotage interne. La presse bourgeoise aura beau jeu de faire la grande généreuse envers le contenu. Bénedetto lui sert sur un plateau des verges irréfutables pour se faire battre. Il faut tout de même être ravagé, non ? Je ne comprends pas.
3.12 – Copi me désarçonne, et ceux qui lui donnent des moyens me surprennent. Quand il était tout nu peint en vert dans son dernier spectacle, on pouvait voir dans sa démarche une volonté d’affirmer la NON CULTURE, mais ici, dans LA PYRAMIDE, qu’il joue avec Myriam Mézières, Hilcya Daubeterre (une revenante), Andrew More et Pablo Amaro, je ne vois pas ce qu’il veut signifier à travers l’indigente anecdote d’une Reine Inca anthropophage qui veut manger un rat voyageur de commerce venu de Buenos Aires en touriste. À part un certain racisme, je n’ai détecté aucune ligne d’orientation, à moins que la présence d’un Jésuite crasseux et combinard n’en soit une (antichrétienne ?), et le fait que tous les personnages crèvent de faim au milieu d’un joli parterre de fleurs n’en soit une autre. L’univers décrit est complètement imaginaire, trop complètement pour me concerner.
Reste qu’on suit ça comme des aventures à la Tintin, en s’ennuyant quand même un peu, que Myriam à poil reste belle à considérer et que décidément Copi a un physique hautement comique. L’éclat de rire qu’il m’a arraché n’a toutefois duré que le temps de son entrée.
UNE ESCAPADE À NICE
4.12 - Dure soirée hier, au THÉATRE DE NICE. L’auteur n’avait pas grand succès. Ce n’était que Bisson. Et ce grand escogriffe qui fit un jour Sarcelles se raccrochait à la planche de salut qui consistait à se convaincre soi-même qu’il donnait du lard à des cochons dans cette région sous-développée, mais sa sincérité n’était pas évidente, car BARBE BLEUE ET SON FILS IMBERBE, échec à Nice, eût été débâcle à Paris, et Bisson est trop fin et pas encore assez sclérosé pour ne pas en avoir la lucidité.
À dire le vrai, je suis embarrassé pour rendre compte de ce BARBE BLEUE qui contient quelques perles de grande beauté, mais qui n’a ni queue ni tête, est privé de tout contenu apparent, et n’est qu’une ennuyeuse machine à reproduire les tics de l’artiste auteur metteur en scène Bisson.
Il paraît qu’à Châteauvallon, l’été dernier, le spectacle, avec le rôle joué par Farré, était brillant, drôle et sensible. Il paraît qu’une dimension y apparaissait constamment, contestant le fait que dans un monde où certains crèvent de faim, d’autres puissent ne songer qu’à faire l’amour. Il paraît surtout que cela, de l’avis général, fonctionnait magiquement. Eh bien, est-ce le passage du plein air à la salle fermée ? Est-ce le travail d’approfondissement auquel s’est consacré Bisson pour la reprise ? Sont-ce les changements de distribution ? (Farré remplacé par Bisson –qui semble ailleurs- et Lalande par Paul Chevalier –qui est au demeurant fort bien). Toujours est-il que tel que c’est, c’est à enterrer dans les brumes de l’oubli. À signaler comme particulièrement exécrables et chiantes les interventions chantées de Monique Morelli.
COMMENTAIRE a-posteriori
Jean Pierre Bisson était un personnage souvent insupportable, mais il avait du talent et surtout il était suivi par toute une équipe de comédiennes et de comédiens qui savaient comprendre son univers. Naturellement l'état financier de sa compagnie était désastreux. C'est pourquoi il avait accueilli comme une bénédiction la proposition qui lui avait été faite par le Pouvoir d'aller au Centre Dramatique National de Nice remplacer Gabriel Monnet, lequel irait lui-même prendre la direction de la toute récente Maison de la Culture de Grenoble. Il en avait parlé à tous ses complices et la plupart d'entre elles et eux s'apprétaient à aller le rejoindre sur les bords de la Méditerranée.
SAUF QUE : il était tombé dans un piège, car Gabriel Monnet en partant avait laissé derrière lui toute une équipe d'artistes et techniciens qu'il avait pris soin de protéger contre d'éventuels licenciements, par des contrats en béton leur garantissant l'emploi.
Ainsi d'une part Bisson se retouvait dans l'impossibilité économique d'entretenir à la fois ces gens là et son équipe, et d'autre part il était clair qu'il ne pouvait pas s'entendre avec des artistes devenus fonctionnaires et peu enclins à accepter les humeurs variables de leur nouveau patron.
Très vite, Bisson prit en grippe la ville de Nice. Il continuait à vivre à Paris et de temps en temps il se disait qu'il fallait quand même qu'il aille y mettre les pieds. Alors il réservait un lit de première classe dans le train bleu qui partait tous les soirs de la gare de Lyon … Il allait au restaurant de cette gare (qui s'appelle toujours LE TRAIN BLEU), y consommait un copieux repas et pas mal de verres d'alcool … et il ratait le train!
Quant à Gabriel Monnet qui avait été le premier directeur de la Maison de la Culture de Bourges au temps où la municipalité était "communiste" avant d'entamer le parcours des serviteurs de la culture officielle qui l'avait un moment amené à Nice, Il était arrivé à Grenoble dans une maison toute neuve que briguait un jeune de la région nommé Georges Lavaudant dont le "THÉÂTRE PARTISAN" commençait à faire quelque bruit. Il l'a invité et lui a dit : "le théâtre de cette Maison est à vous. Engagez moi quelquefois comme comédien". Joli ? Non ?
RETOUR à PARIS
5.12 – Le festival d’Automne finance et patronne des « ateliers ». Cela signifie qu’autour d’une idée, une équipe se réunit, et bâtit un spectacle en partant absolument de zéro. Philippe Adrien s’étant vu confier la direction d’un tel atelier a choisi pour thème : « Sade dans le XVIIIe Siècle » et est arrivé à ce qu’on a vu hier soir au Récamier : L’ŒIL DE LA TETE (EFFET SADE). Ce titre indique bien que le groupe n’a pas échappé à l’écueil de vouloir être dans le vent. On a en effet l’impression d’assister à quelque chose qui soit à la mode : dispositif non conventionnel avec spectateurs de chaque côté d’une aire de jeu à plusieurs étages dont un, l’inférieur, d’où on ne perçoit que des sons ; dédoublement du personnage Sade qui, mûr, se regarde agir jeune et se commente ; mise en scène qui ne met souvent le spectateur en face que d’une fraction d’action ; déplacements d’une lenteur extrême et notamment 1/4 d’heure d’installation au début. Bref mode non pas inventée, mais résumé d’un certain nombre de lignes de force de la mode actuelle. Comme si Cardin faisait une collection en groupant toutes les « inventions » récentes de ses confrères. Je pense qu’il faut y voir le résultat d’un travail collectif où chacun a apporté SON idée et, bien sûr, SES réminiscences. Le thème au surplus est exactement ce qui pourrait plaire au Festival d’Automne : audacieux, et en effet Adrien a eu des problèmes de censure, non avec l’Etat, mais avec des curés, mais d’une audace « raisonnable ». Nous sommes en 1979 et je doute que Sade choque encore un public d’élite. Car la mode joue là encore : nombre limité de spectateurs. Le risque du « populaire » est écarté.
Reste que le travail fait est intelligent, documenté, efficace, professionnel, instructif. Ce Sade, quand même, il faut bien avouer qu’il avait inventé HISTOIRE D’O bien avant Christine de Réage, et qu’il était allé beaucoup plus loin dans la subversion. Mais –et c’est là qu’Adrien a bien su dégager l’imposture du maître du vice et montrer les limites d’une contestation ramenée à celle de la seule morale chrétienne– le phénomène « noble en rupture de classe » du personnage a été très bien dégagé, et notamment, l’indifférence du Peuple soulevé en 1789 envers ce trublion élitaire. Oui, le vrai mérite du spectacle est qu’il permet de tirer une leçon politique et qui est que les complots marginaux ne sont qu’opium pour masquer les vrais. Tout est dit quand Sade, de son cachot hurle au peuple soulevé qui ne s’en occupe pas : « Je suis le Marquis de Sade ». Entendez que le mot important est « marquis ». Sade a été le précurseur de ceux qui luttent aujourd’hui pour les homosexuels, les prostituées, la pilule et l’avortement HORS d’une lutte d’ensemble. Il se battait pour le maintien de SES privilèges, dont il avait simplement une conception personnelle. Il ne fut, en son temps, qu’un original et le spectacle est valable en ce qu’il le « dérécupère ». Adrien a su faire un spectacle pudique avec des textes « énormes ». On ne voit pas un sein, pas une branlette et l’atmosphère érotique qui plane n’est pas troublante. C’est qu’il a pris une distance avec son personnage qu’il a environné d’êtres tels que la lettre les a transmis : tellement amoraux qu’invraisemblables, même si leur amoralité n’est que l’ultime recours d’une classe sociale vouée à l’ennui, un ennui fin de race : 1789 a détruit cette classe, mais elle était engagée elle-même dans la voie de l’autodestruction. Filles hystériques, maquerelle (Denise Perron, étonnante dans l’excitation) et gandins pervers sont fort bien joués. Coralie Seyrig est-elle la fille de Delphine ? Elle en a des accents. Raymond Jourdan est un Sade vieux très plausible. Musique fort convenable de Lucien Rosengart. Bref, une bonne réussite à l’intérieur d’une ligne d’orientation déviationniste patronnée par L’Etat.
6.12 – Lorsque Brigitte Jaques m’avait annoncé son propos de monter LE BALLADIN DU MONDE OCCIDENTAL, je l’avais un peu fâchée en lui disant ma surprise qu’une aussi intelligente jeune fille de notre temps soit ainsi tournée vers des valeurs devenues à mes yeux inintéressantes. J’espérais sincèrement en venant à Ivry que j’aurais une bonne surprise. Mais non seulement je n’ai effectivement détecté dans cette œuvre RIEN au niveau du contenu qui me concernât (il me semblait m’en souvenir mais je pouvais avoir oublié), MAIS en plus, le montage de Brigitte Jaques m’a paru gommer ce qui faisait le charme des représentations précédentes : la truculence, la bonne santé campagnarde de cette comédie « draminet » enracinée dans l’exotisme irlandais. Ce qu’on voit est laborieux, appliqué, sans arrières, en un mot, chiant, en un autre mot, médiocre.
30.12 – Si vous me demandez : « Est-ce que tu t’es marré au ROIS DES CONS de Wolinski, réalisation de Claude Confortès ? », ma réponse évidemment sera OUI. Mais si vous me demandez : « Est-ce que tu y a pris ton pied ? » , je grommellerai que pas tellement, mais ça sera parce que je prétends ne pas appartenir à la classe moyenne décrite par l’humoriste.
En effet, -alors que cela ne me sautait pas aux yeux avec les petits dessins de CHARLIE HEBDO –et naguère de L’ENRAGÉ —, il apparaissait clairement à la Gaîté Montparnasse qu’« on » était entre SOI ! Public et acteurs, les seconds apportant aux premiers un divertissement de bonne compagnie. Il n’y avait dans la salle que des bourgeois et des fils de bourgeois, et encore pas tellement de ces derniers.
Et il flottait un vent de complicité qui était accentué par le fait que les acteurs poussaient aux effets, bref tiraient au BOULEVARD. C’est qu’elle aime bien qu’on la charrie, la bourgeoisie. Il n’y a qu’à lire la liste des auteurs dont elle s’est délectée depuis un siècle, les Labiche, les Augier, les Feydeau, les Bernstein, j’en passe et des meilleurs. Entendez bien qu’elle aime qu’on la charrie, mais pas qu’on démonte ses mécanismes économiques. Wolinski n’en fait rien. Il plaît donc. Et Confortès ne cherche pas à replacer les sketchs joués dans le contexte qui leur eût conféré leur impact destructeur : car les tics de la classe en question ne sont qu’une annexe de l’essentiel. Rien de cet essentiel n’est présent dans ce spectacle facile et sans danger, et qui marche commercialement très bien. On a d’ailleurs l’impression que le metteur en scène n’a pas jugé utile de se casser la tête. Müller et Guiomar sont parfaits de mimétisme dans leur imitation des célèbres personnages dessinés.
AHQ, l’éternel bafoué du système féodal, croit toucher à sa promotion quand les émeutes de Tchang Kaï Chek secouent l’Empire du Milieu d’un tremblement apparemment révolutionnaire. Mais tout n’était que faux-semblant et les oppresseurs d’hier ne font que changer de vêtements. AHQ sera victime de sa naïveté –sous-entendez l’Histoire maintenant connue de la Chine postérieure et vous voyez comment de cette œuvre de prescience (car Lou Sin n’avait jamais lu Marx), les adaptateurs et les réalisateurs ont fait un pamphlet chargé d’enseignement. Enseignement que je ne puis qu’approuver, comme je ne puis qu’admirer la réelle beauté, la grande intelligence de la mise en scène, la perfection de l’exécution par les artistes. Simplement je regretterai que tout baigne dans une froideur d’ensemble, qui, en fait de distanciation, m’a tenu éloigné du Propos. Bon Dieu, cela devrait me toucher, m’émouvoir, m’atteindre, de voir ce pauvre type FIER parce que le riche l’a distingué, LUI, en lui donnant une gifle ! Cela, devrait m’indigner, me faire râler, que de voir comment les fils du RICHE CONFISQUENT la pseudo révolution en sacrifiant sur l’autel de leurs intérêts un allié objectif soudain devenu victime : les nonnes du temple Bouddhiste. Et le retournement de la situation, quand AHQ le cocu permanent le devient à mort, devrait me soulever de mon siège, m’amener à vociférer, à prendre PARTI et quasi les armes !
Hélas tout est DÉSENTIMENTALISÉ. Et je pense qu’il y a là, magnifié par la perfection même de ce que j’ai vu, un problème qui devrait susciter des remises en question de principes TROP arrêtés depuis Brecht.
Eh quoi, Messieurs, en montant ce genre d’œuvres, vous voulez convaincre, entraîner, dénoncer, réveiller la vigilance. C’est une pierre que vous posez sur l’édifice qui s’écroulera un jour sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Alors cette pierre, faites-la POPULAIRE, polissez-la pour qu’elle frappe. Ce n’est pas CONCÉDER, ce n’est pas être PUTAIN que d’employer les moyens qui toucheront les âmes et les cœurs. OUI, j’ai écrit « les âmes et les cœurs » car vous ne vous adressez qu’aux cerveaux, ET CE N’EST PAS SUFFISANT. Aux cerveaux, vous devez d’ailleurs surtout vous y adresser HORS du théâtre. ON N’APPREND PAS au théâtre, MAIS ON peut y être galvanisé, enthousiasmé, horrifié. Ô Brecht, que de mal tu as fait quand tu as dit qu’il fallait que le public réfléchisse PENDANT la représentation, qu’il la regarde en CRITIQUE. Mais NON ! Il s’emmerde le public quand tu ne l’aliènes pas. Et MOI, c’est APRÈS que j’ai envie de réfléchir. De toute façon, PENDANT le spectacle, je n’ai pas le temps. Et puis, dites, vous me le téléguidez ce que je dois penser : si je ne pense pas comme vous, je serai un réactionnaire. C’est un péché qu’on ne décide pas d’assumer comme ça parce que vous m’aurez laissé 5 secondes pour y songer, savez-vous ?
Bon ! Voilà donc un grand et beau spectacle réalisé par une équipe qui est maintenant hautement professionnelle mais qui est enfermée dans une école. Je souhaite qu’elle en sorte. Une révolution est un jour sortie d’un opéra de Verdi. Croyez-moi, le texte ne parlait pas au cerveau. Un texte qui aurait parlé au cerveau eût fait l’affaire du Pouvoir en place. Car qui pense n’agit point. Il faut PENSER AVANT. On puisera alors peut-être au théâtre l’étincelle qui déclenchera un processus. En pensant sur la scène et en obligeant les spectateurs à SEULEMENT penser, vous vous faites, Messieurs de l’Aquarium, les alliés de ceux qui vous ont donné la liberté de Parler, POURVU qu’elle ne débouche pas sur la véritable LIBERTÉ, celle qui fleurira au bout de la longue marche qu’annonçait LOU SIN le dépolitisé si lucide des années 20, qui vivait dans une Chine qui déjà n’existe plus et que personne au monde n’ose plus regretter.
20.11 – « Je ne sais pas d’où je viens.
Je ne sais pas pour combien
De temps je suis ici :
La Mort me saisit
A l’improviste.
Après, je ne sais pas où je Vais.
D’où vient que je sois si gai ? »
Ce poème mélancolique clôt LA FOI, L’ESPÉRANCE ET LE CHARITÉ de ÖDON VON HORVARTH, œuvre naturaliste écrite en 1932 narrant le fait divers pathétique d’une pauvre fille démunie dans un univers hiérarchisé à l’extrême, où la place de chacun est définie si gravement qu’il y devient crime de se feindre appartenir à une classe légèrement supérieure. Prise dans un engrenage, la malheureuse fera 14 jours de prison pour escroquerie parce qu’elle aura voulu trouver le moyen de payer une amende de 150 Marks infligée dans une Allemagne peuplée de chômeurs et d’affamés ; aimée par un agent de police, elle sera chassée par son amant lorsque celui-ci sera avisé de la turpitude passée de sa maîtresse par un supérieur. Elle se jettera alors à l’eau. Et ses sauveurs ne parviendront à la ranimer que le temps de la scène finale.
De cette oeuvrette populiste destinée à émouvoir par des moyens de mélodrame et à susciter l’indignation d’un peuple qui allait encore largement au théâtre, Yvon Davis, collaborateur de Sobel, a fait un spectacle « exemplaire », glacial, un froid constat des dangers qui nous guettent lorsque la classe moyenne est au Pouvoir. L’anecdote est éloignée, transposée dans un univers où chaque geste réaliste, chaque parole naturelle sont « prolongés », procédé de ralentissement qui crée, on le sait, facilement la « distance ».
D’un texte qui ballade son héroïne à travers plusieurs lieux, Max Denès, le décorateur, a choisi la visite à la morgue comme toile de fond de tout l’environnement. Une morgue allemande, propre, blanche, immense et sinistre. Cette toile servira même pour la chambre où les amants s’étreindront.
Entre chaque scène, la Marche funèbre de Chopin et quelques rythmes bien teutons viennent nous rappeler où se situe ce qu’on voit, et ce qui en a découlé.
Faut-il pavoiser parce que des communistes bon teint ont ainsi vidé de son impact émotionnel une pièce écrite pour faire pleurer Margot, et en ont fait un constat aussi net, clair, précis qu’un acte d’huissier ? La presse réunie hier soir semblait enchantée un célèbre critique de droite applaudissait à tout rompre ? N’était-ce pas parce que sans pleurs, il n’est point de sentiments soulevants, et par conséquent de danger pour ceux qui ont le Pouvoir : ils s’en moquent qu’on les dissèque d’un œil clinique. Le scalpel manié par un homme ému serait autrement dangereux. Si la pièce avait été montée avec sa substance émotionnelle, je suis sûr qu’elle n’aurait pas tant plu.
21.11 – Spectacle de Marc’o complètement débile au Petit Orsay à 22h15 : L’OMBRE DE VERDI SOUS LES ORMES DE MA MÈRE où l’on voit sous le nom d’Unisex la fille supposée (ou spirituelle) de Verdi suivre au gré des notes du compositeur (heureusement généreusement distillées) un itinéraire tortueux sur la scène d’un théâtre en tant que cantatrice nourrie au culte de son « autopersonnalité », avec à son service un partenaire un peu régisseur qui figure aussi son minable (vrai) père. Michèle Moretti serait une bonne actrice si elle ne faisait pas un geste par mot. Quant à Baillot, je pense que c’est par sadisme que Marc’o a mis dans sa bouche une (courte) leçon de diction ! Le grave, c’est que Marc’o vole toujours à l’heure bien vieillie des BARGASSES et en tout cas pas bien haut. Un des ses « bons » mots n’est-il pas : « Ne monte pas sur ta quatre chevaux » ?...
21.11 – Jean-Louis Martin Barbaz (provisoirement ENSEMBLE THEATRE DE LYON) a monté LES DEUX ORPHELINES avec un œil critique sur la société montrée, mais en réussissant à tenir l’équilibre entre le ridicule et le sensible à tel point que, souriant souvent, restant lucide et pas dupe, le spectateur est pourtant ému par l’anecdote, s’y intéresse et ne s’ennuie pas quoique la soirée dure plus de 3 heures.
C’est que Martin Barbaz est parti du 1er degré, de la lettre du texte, utilisant des vieilles toiles peintes pour l’environnement, laissant couler l’aventure des 2 jeunes filles perdues dans un Paris hostile au milieu d’une société impitoyable ou hypocrite (les « bons » l’étant par grâce divine et non pas par appartenance à telle ou telle classe sociale), -nous sommes un an après la Commune-, et se bornant à « signaler » les instants qu’il conteste ou à « grossir » ceux qui lui semblent grotesques. Pour l’ensemble de la réalisation, on peut presque parler de « pudeur », et le certain est que le document ainsi exhumé prend une valeur informative sur une époque où la Bourgeoisie, à travers ses œuvres, s’adressait au peuple sans détours, presque didactiquement mais « démagogiquement » sans vergogne.
Le coup de pouce de Martin Barbaz vient de ce qu’il égratigne (Post) « Brechtiennement » cette Bourgeoisie supposée exemplaire. Intéressante tentative donc, qui s’inscrit dans une recherche de ré-aliénation du spectateur, ligne de force actuelle sur laquelle je reviendrai.
22.11 – Des MADEMOISELLE JULIE, j’en ai connu pas mal au cours de ma carrière. Aussi, en allant voir celle de François Dupeyron à la Cité U, pensais-je être mis en présence d’une mise en scène qui justifiât cette énième reprise. Or, non seulement je n’ai pas décelé d’originalité spéciale dans ce montage, mais je l’ai trouvé singulièrement mou dans l’acte final, celui qui débouche sur le drame. Valia Boulay joue cependant Melle Julie avec exactitude et Josée Yanne donne quelque véracité, voire juvénilité, au personnage laissé pour compte de Christine, mais François Perrot semble jouer une pièce de Dostoïevski mise en scène par Hossein. Il prend des temps interminables et ce qui ressort, c’est le côté paumé du personnage, ce qui est juste, certes, mais à facette unique. J’ai souri en me ressouvenant de l’aspect MLF contesté par l’auteur d’une héroïne absente : la mère de Julie, militante du féminisme !
Comme quoi tout ça ne date pas d’hier. Je crois que Dupeyron a fait œuvre honnête de serviteur du texte. Mais s’il y a eu de sa part une « lecture », il ne me l’a pas transmise. La critique sociale et morale écrite par Strindberg montrant une société hiérarchisée donnée à une époque donnée n’a pas été dépassée.
28.11 – Je n’ai rien à dire sur LE PARTAGE DE MIDI monté à la Comédie Française par Antoine Vitez. Je suis décidément allergique à cette sorte de littérature culturelle. Vitez m’a semblé être curieusement « serviteur » respectueux. (Mais je n’ai vu que le 1er acte. Il paraîtrait qu’il aurait un peu trahi sur la fin, m’a dit Monique Bertin qui est restée jusqu’au bout.
1.12 – VINGT-QUATRE HEURES par le GRUPO TSE avait de toute éternité été conçu par Facundo et Marucha Bô. Le remplacement de cette dernière par Marilu Marini fait sûrement perdre beaucoup au spectacle. Il y a visiblement des scènes où la doublure, au demeurant callipyge à l’excès, ce qui est gênant quand elle se fout à poil, n’arrive pas à accrocher un public déjà désarçonné par l’absence complète de liens entre les diverses scènes, une par heure, dont l’ensemble donne 24 moments isolés, séparés, d’une journée. Absence de liens ? Pas tout à fait : il s’agit du « théâtre », celui où « l’acteur » se transforme en « personnage ». Transformation à vue, disséquée, analysée, explicitée avec insistance. Transformation de virtuoses physiquement montrée mais aussi transposée sur le plan du personnage et « son » ou ses « doubles ».
Alfredo Rodriguez Arias affectionne les miroirs imaginaires qui sont aussi ceux de l’imaginaire. Comme le texte écrit par lui est reflet de ses propres phantasmes (le crime, l’homme-femme, l’univers sophistiqué d’une certaine bourgeoisie de pointe). Pour lui, la comédie policière et Shakespeare, c’est pareil, ce qui est une manière de contester la « Culture ».
Contestation toute au 4e degré. Au 1er, le spectacle semble hors de notre temps, et l’affection des acteurs d’Alfredo pour les costumes rétro ou historiques ne fait qu’accentuer cette impression d’un monde ne me concernant en rien. À telle enseigne que, frappé d’admiration devant la minutie d’un travail infiniment fini, je demeure froid devant le résultat. Même il m’arriva d’être frappé par l’ennui. Parfait, trop parfait, désincarné, sec, tels sont les qualificatifs qui conviennent à cet édifice qui ne cherche jamais à faciliter l’approche du spectateur. Mais qui navigue dans des sphères exigeantes. Facundo Bo et Zobeïda sont remarquables.
COMMENTAIRE
Il est dommage que ce compte rendu n'explique pas que le remplacement de Marucha Bo par Marilu Marini a été effectué en catastrophe parce que Marucha avait été frappée par un mal impitoyable et qu'elle était devenue paralysée.
2.12 – « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler, sont les deux principes fondamentaux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir ».
Tout l’esprit de Pierre Dac est dans cette phrase, un esprit judéo-caustique qui fut très en avance sur son époque puisque dès 1938 il s’étayait sur l’absurde, le mauvais calembour, le jeu de mots poussé au bout de lui-même comme un précurseur des destructeurs de langage qui, déjà nés, ne savaient pas encore qu’ils le deviendraient.
À la Pizza du Marais, Alain Scoff et 2 de ses copains rendent hommage à cet apôtre de la connerie militant pour dénoncer la connerie. Ils modernisent à peine et font mouche après presque chaque mot de leurs HISTOIRES D’OS (A MOËLLE). Une heure franchement marrante au cours de laquelle on n’éprouve aucun « vieillissement ».
3.12 – ALEXANDRA K., texte et mise en scène d’André Bénedetto aurait dû me combler. Par le thème, d’abord, puisqu’il s’agit de « scènes et images tirées de la vie et des écrits d’Alexandra Kollontaï », révolutionnaire russe dont l’existence fut un combat permanent pour la défense des minorités opprimées, puis pour la promotion d’une nouvelle morale sexuelle et pour l’émancipation de la femme. Combat mené en exil jusqu’en 1917, année où la Kollontaï entre en qualité de Commissaire du Peuple à l’assistance publique comme membre du 1er gouvernement constitué par Lénine. Staline, sur la fin de sa vie, l’enverra dans différents pays comme ambassadrice de l’Union Soviétique.
Carrière passionnante, et d’autant plus que la Kollontaï était d’origine bourgeoise et que ses 1ères révoltes l’avaient entraînée vers un gauchisme paré de de toutes ses déviations.
Bénedetto traite son sujet avec distance, mais avec une distance n’excluant pas l’humour, ni même des calembours, et dans une forme libre et décontractée où les acteurs (2 hommes, son frère et lui, et 3 femmes) se repassent à vue les rôles. La Kollontaï est évidemment prétexte à survoler l’histoire, celle d’avant, de pendant et d’après la Révolution d’Octobre. Survol « critique », irrespectueux envers les « grands » Lénine, puis Staline (« comment le représenter », se demande le sculpteur qui fait le lien des scènes entre elles, « immense ou minuscule » ?). Survol contestataire, mais contestataire de l’intérieur. On sent bien que Bénedetto ne cite pas les erreurs en réactionnaire, mais en homme lucide qui n’a en rien perdu sa Foi en le Communisme. En mettant sur la scène cette grande Précurseur, il fait œuvre utile et je n’ai point senti son spectacle tourné vers le Passé.
Alors, me direz-vous, vous êtes enchanté ?
Eh bien NON, car Bénedetto a engagé 2 nanas visiblement étrangères, Marta Alexandrova et Mares Gonzales, dont les accents sont prononcés, et dont les bredouillis rendent inaudibles moult parties du texte. C’est un vrai sabotage interne. La presse bourgeoise aura beau jeu de faire la grande généreuse envers le contenu. Bénedetto lui sert sur un plateau des verges irréfutables pour se faire battre. Il faut tout de même être ravagé, non ? Je ne comprends pas.
3.12 – Copi me désarçonne, et ceux qui lui donnent des moyens me surprennent. Quand il était tout nu peint en vert dans son dernier spectacle, on pouvait voir dans sa démarche une volonté d’affirmer la NON CULTURE, mais ici, dans LA PYRAMIDE, qu’il joue avec Myriam Mézières, Hilcya Daubeterre (une revenante), Andrew More et Pablo Amaro, je ne vois pas ce qu’il veut signifier à travers l’indigente anecdote d’une Reine Inca anthropophage qui veut manger un rat voyageur de commerce venu de Buenos Aires en touriste. À part un certain racisme, je n’ai détecté aucune ligne d’orientation, à moins que la présence d’un Jésuite crasseux et combinard n’en soit une (antichrétienne ?), et le fait que tous les personnages crèvent de faim au milieu d’un joli parterre de fleurs n’en soit une autre. L’univers décrit est complètement imaginaire, trop complètement pour me concerner.
Reste qu’on suit ça comme des aventures à la Tintin, en s’ennuyant quand même un peu, que Myriam à poil reste belle à considérer et que décidément Copi a un physique hautement comique. L’éclat de rire qu’il m’a arraché n’a toutefois duré que le temps de son entrée.
UNE ESCAPADE À NICE
4.12 - Dure soirée hier, au THÉATRE DE NICE. L’auteur n’avait pas grand succès. Ce n’était que Bisson. Et ce grand escogriffe qui fit un jour Sarcelles se raccrochait à la planche de salut qui consistait à se convaincre soi-même qu’il donnait du lard à des cochons dans cette région sous-développée, mais sa sincérité n’était pas évidente, car BARBE BLEUE ET SON FILS IMBERBE, échec à Nice, eût été débâcle à Paris, et Bisson est trop fin et pas encore assez sclérosé pour ne pas en avoir la lucidité.
À dire le vrai, je suis embarrassé pour rendre compte de ce BARBE BLEUE qui contient quelques perles de grande beauté, mais qui n’a ni queue ni tête, est privé de tout contenu apparent, et n’est qu’une ennuyeuse machine à reproduire les tics de l’artiste auteur metteur en scène Bisson.
Il paraît qu’à Châteauvallon, l’été dernier, le spectacle, avec le rôle joué par Farré, était brillant, drôle et sensible. Il paraît qu’une dimension y apparaissait constamment, contestant le fait que dans un monde où certains crèvent de faim, d’autres puissent ne songer qu’à faire l’amour. Il paraît surtout que cela, de l’avis général, fonctionnait magiquement. Eh bien, est-ce le passage du plein air à la salle fermée ? Est-ce le travail d’approfondissement auquel s’est consacré Bisson pour la reprise ? Sont-ce les changements de distribution ? (Farré remplacé par Bisson –qui semble ailleurs- et Lalande par Paul Chevalier –qui est au demeurant fort bien). Toujours est-il que tel que c’est, c’est à enterrer dans les brumes de l’oubli. À signaler comme particulièrement exécrables et chiantes les interventions chantées de Monique Morelli.
COMMENTAIRE a-posteriori
Jean Pierre Bisson était un personnage souvent insupportable, mais il avait du talent et surtout il était suivi par toute une équipe de comédiennes et de comédiens qui savaient comprendre son univers. Naturellement l'état financier de sa compagnie était désastreux. C'est pourquoi il avait accueilli comme une bénédiction la proposition qui lui avait été faite par le Pouvoir d'aller au Centre Dramatique National de Nice remplacer Gabriel Monnet, lequel irait lui-même prendre la direction de la toute récente Maison de la Culture de Grenoble. Il en avait parlé à tous ses complices et la plupart d'entre elles et eux s'apprétaient à aller le rejoindre sur les bords de la Méditerranée.
SAUF QUE : il était tombé dans un piège, car Gabriel Monnet en partant avait laissé derrière lui toute une équipe d'artistes et techniciens qu'il avait pris soin de protéger contre d'éventuels licenciements, par des contrats en béton leur garantissant l'emploi.
Ainsi d'une part Bisson se retouvait dans l'impossibilité économique d'entretenir à la fois ces gens là et son équipe, et d'autre part il était clair qu'il ne pouvait pas s'entendre avec des artistes devenus fonctionnaires et peu enclins à accepter les humeurs variables de leur nouveau patron.
Très vite, Bisson prit en grippe la ville de Nice. Il continuait à vivre à Paris et de temps en temps il se disait qu'il fallait quand même qu'il aille y mettre les pieds. Alors il réservait un lit de première classe dans le train bleu qui partait tous les soirs de la gare de Lyon … Il allait au restaurant de cette gare (qui s'appelle toujours LE TRAIN BLEU), y consommait un copieux repas et pas mal de verres d'alcool … et il ratait le train!
Quant à Gabriel Monnet qui avait été le premier directeur de la Maison de la Culture de Bourges au temps où la municipalité était "communiste" avant d'entamer le parcours des serviteurs de la culture officielle qui l'avait un moment amené à Nice, Il était arrivé à Grenoble dans une maison toute neuve que briguait un jeune de la région nommé Georges Lavaudant dont le "THÉÂTRE PARTISAN" commençait à faire quelque bruit. Il l'a invité et lui a dit : "le théâtre de cette Maison est à vous. Engagez moi quelquefois comme comédien". Joli ? Non ?
RETOUR à PARIS
5.12 – Le festival d’Automne finance et patronne des « ateliers ». Cela signifie qu’autour d’une idée, une équipe se réunit, et bâtit un spectacle en partant absolument de zéro. Philippe Adrien s’étant vu confier la direction d’un tel atelier a choisi pour thème : « Sade dans le XVIIIe Siècle » et est arrivé à ce qu’on a vu hier soir au Récamier : L’ŒIL DE LA TETE (EFFET SADE). Ce titre indique bien que le groupe n’a pas échappé à l’écueil de vouloir être dans le vent. On a en effet l’impression d’assister à quelque chose qui soit à la mode : dispositif non conventionnel avec spectateurs de chaque côté d’une aire de jeu à plusieurs étages dont un, l’inférieur, d’où on ne perçoit que des sons ; dédoublement du personnage Sade qui, mûr, se regarde agir jeune et se commente ; mise en scène qui ne met souvent le spectateur en face que d’une fraction d’action ; déplacements d’une lenteur extrême et notamment 1/4 d’heure d’installation au début. Bref mode non pas inventée, mais résumé d’un certain nombre de lignes de force de la mode actuelle. Comme si Cardin faisait une collection en groupant toutes les « inventions » récentes de ses confrères. Je pense qu’il faut y voir le résultat d’un travail collectif où chacun a apporté SON idée et, bien sûr, SES réminiscences. Le thème au surplus est exactement ce qui pourrait plaire au Festival d’Automne : audacieux, et en effet Adrien a eu des problèmes de censure, non avec l’Etat, mais avec des curés, mais d’une audace « raisonnable ». Nous sommes en 1979 et je doute que Sade choque encore un public d’élite. Car la mode joue là encore : nombre limité de spectateurs. Le risque du « populaire » est écarté.
Reste que le travail fait est intelligent, documenté, efficace, professionnel, instructif. Ce Sade, quand même, il faut bien avouer qu’il avait inventé HISTOIRE D’O bien avant Christine de Réage, et qu’il était allé beaucoup plus loin dans la subversion. Mais –et c’est là qu’Adrien a bien su dégager l’imposture du maître du vice et montrer les limites d’une contestation ramenée à celle de la seule morale chrétienne– le phénomène « noble en rupture de classe » du personnage a été très bien dégagé, et notamment, l’indifférence du Peuple soulevé en 1789 envers ce trublion élitaire. Oui, le vrai mérite du spectacle est qu’il permet de tirer une leçon politique et qui est que les complots marginaux ne sont qu’opium pour masquer les vrais. Tout est dit quand Sade, de son cachot hurle au peuple soulevé qui ne s’en occupe pas : « Je suis le Marquis de Sade ». Entendez que le mot important est « marquis ». Sade a été le précurseur de ceux qui luttent aujourd’hui pour les homosexuels, les prostituées, la pilule et l’avortement HORS d’une lutte d’ensemble. Il se battait pour le maintien de SES privilèges, dont il avait simplement une conception personnelle. Il ne fut, en son temps, qu’un original et le spectacle est valable en ce qu’il le « dérécupère ». Adrien a su faire un spectacle pudique avec des textes « énormes ». On ne voit pas un sein, pas une branlette et l’atmosphère érotique qui plane n’est pas troublante. C’est qu’il a pris une distance avec son personnage qu’il a environné d’êtres tels que la lettre les a transmis : tellement amoraux qu’invraisemblables, même si leur amoralité n’est que l’ultime recours d’une classe sociale vouée à l’ennui, un ennui fin de race : 1789 a détruit cette classe, mais elle était engagée elle-même dans la voie de l’autodestruction. Filles hystériques, maquerelle (Denise Perron, étonnante dans l’excitation) et gandins pervers sont fort bien joués. Coralie Seyrig est-elle la fille de Delphine ? Elle en a des accents. Raymond Jourdan est un Sade vieux très plausible. Musique fort convenable de Lucien Rosengart. Bref, une bonne réussite à l’intérieur d’une ligne d’orientation déviationniste patronnée par L’Etat.
6.12 – Lorsque Brigitte Jaques m’avait annoncé son propos de monter LE BALLADIN DU MONDE OCCIDENTAL, je l’avais un peu fâchée en lui disant ma surprise qu’une aussi intelligente jeune fille de notre temps soit ainsi tournée vers des valeurs devenues à mes yeux inintéressantes. J’espérais sincèrement en venant à Ivry que j’aurais une bonne surprise. Mais non seulement je n’ai effectivement détecté dans cette œuvre RIEN au niveau du contenu qui me concernât (il me semblait m’en souvenir mais je pouvais avoir oublié), MAIS en plus, le montage de Brigitte Jaques m’a paru gommer ce qui faisait le charme des représentations précédentes : la truculence, la bonne santé campagnarde de cette comédie « draminet » enracinée dans l’exotisme irlandais. Ce qu’on voit est laborieux, appliqué, sans arrières, en un mot, chiant, en un autre mot, médiocre.
30.12 – Si vous me demandez : « Est-ce que tu t’es marré au ROIS DES CONS de Wolinski, réalisation de Claude Confortès ? », ma réponse évidemment sera OUI. Mais si vous me demandez : « Est-ce que tu y a pris ton pied ? » , je grommellerai que pas tellement, mais ça sera parce que je prétends ne pas appartenir à la classe moyenne décrite par l’humoriste.
En effet, -alors que cela ne me sautait pas aux yeux avec les petits dessins de CHARLIE HEBDO –et naguère de L’ENRAGÉ —, il apparaissait clairement à la Gaîté Montparnasse qu’« on » était entre SOI ! Public et acteurs, les seconds apportant aux premiers un divertissement de bonne compagnie. Il n’y avait dans la salle que des bourgeois et des fils de bourgeois, et encore pas tellement de ces derniers.
Et il flottait un vent de complicité qui était accentué par le fait que les acteurs poussaient aux effets, bref tiraient au BOULEVARD. C’est qu’elle aime bien qu’on la charrie, la bourgeoisie. Il n’y a qu’à lire la liste des auteurs dont elle s’est délectée depuis un siècle, les Labiche, les Augier, les Feydeau, les Bernstein, j’en passe et des meilleurs. Entendez bien qu’elle aime qu’on la charrie, mais pas qu’on démonte ses mécanismes économiques. Wolinski n’en fait rien. Il plaît donc. Et Confortès ne cherche pas à replacer les sketchs joués dans le contexte qui leur eût conféré leur impact destructeur : car les tics de la classe en question ne sont qu’une annexe de l’essentiel. Rien de cet essentiel n’est présent dans ce spectacle facile et sans danger, et qui marche commercialement très bien. On a d’ailleurs l’impression que le metteur en scène n’a pas jugé utile de se casser la tête. Müller et Guiomar sont parfaits de mimétisme dans leur imitation des célèbres personnages dessinés.