Du 6 juin au 29 juillet 1975
6.6 – LA MORT DE DANTON avait été montée par Vilar peu après son accession au TNP. DANTONS TOD figure d’autre part très souvent au programme des grands théâtres allemands. En français comme en allemand, cette fresque historique assez peu tendre pour nos grands hommes et assez ambiguë quant au contenu, a toujours été jouée réaliste, avec des acteurs rappelant les physiques des héros authentiques et dans des décors reconstituant le comité de salut public, l’Assemblée Nationale, le tribunal révolutionnaire, la guillotine (en Allemagne), ou faits de rideaux neutres (chez Vilar). Le jeune Bruno Bayen ne s’est pas contenté de ces 1ers degrés. Son spectacle ne nous montre pas un moment de la Révolution Française vue par Büchner, mais le rêve imaginaire de cet auteur faisant agir des personnages faussement historiques et réellement habités par le Romantisme germanique dans un décor transposé qui pourrait valablement servir à l’OR DU RHIN ou à l’ANNEAU DES NIBELUNGEN. C’est au milieu de cette nature chargée des mystères du Walhalla qu’évoluent des gens qui s’appellent Danton, Robespierre, Desmoulins etc… , qui physiquement ne leur ressemblent pas, qui disent les mots consignés par les archives, mais décalés, déphasés, dans une neutralité de ton qui doit vouloir signifier le parallélisme de l’univers montré. Dois-je dire que cette démarche m’a paru fort vaine et pour le moins gratuite. Mais enfin, si le metteur en scène voulait se singulariser, pourquoi pas ? Un parti est un parti et celui-ci est tenu. Malheureusement l’ensemble du spectacle manque horriblement de gros plans. Gérald Robard, qui joue Danton, donne trop souvent l’impression de « déblayer ». Je me suis effroyablement emmerdé. Ça, ce n’est pas acceptable.
7.6 – Il ne faut pas être de mauvaise foi : TIMON D’ATHÈNES monté par Peter Brook, que je n’avais pas encore vu parce que je faisais ma mauvaise tête, c’est très bien. Surtout la 1ère partie, qui est réellement spectaculaire, où on a le choc de ce lieu admirable qu’est le théâtre des Bouffes du Nord laissé intelligemment à l’état de carcasse (ô Mme Weber, cette vision ne vous a-t-elle inspiré aucune réflexion sur ce qu’aurait pu être le PALACE si vous n’aviez pas eu des réflexes de petite bourgeoise ?), et où on fait connaissance avec un François Marthouret merveilleux, évoluant dans un environnement « pauvre » mais de bon goût, THEATRAL sans nul doute, point encombré de machines et de stuc. On ne peut pas le nier, Brook connaît son métier. Dommage qu’il se soit exercé trop austèrement sur la 2e partie, où il y a des scènes à 2 et 3 personnages longues et ennuyeuses. Ce Timon, prodigue de ses deniers, abandonné par la cour de ses faux amis et allant dans le désert mourir à côté d’une mine d’or découverte par hasard qui aurait pu lui « rendre son rang » ! Mais enfin, l’ensemble est si satisfaisant que j’ai tendance à laisser de côté mes réserves. Il y en a pourtant, et d’abord ce salmigondis de nationalités qui s’affrontent sur l’aire de jeu en des baragouins teutons, négroïdes et anglo-saxons trop éprouvants pour l’oreille.
Et puis il y a la misogynie de Brook qui s’ajoute à celle de Shakespeare et fait que la condition féminine n’est vraiment pas à la fête dans cette soirée. Et il y a les thèmes shakespeariens eux-mêmes ! Des « phrases politiques » que je ne puis admettre, ce général Alcibiade, militaire juste, honnête, courageux… et victorieux opposé à la veulerie des civils « démocrates », (le mépris du peuple est pour une fois gommé : si la « populace » de « basse extraction » fait l’objet de quelques tirades, les esclaves du Maître déchu font montre de quelque grandeur d’âme, surtout l’intendant, qui se comporte vraiment très bien après la faillite du jeune homme à la mode, chacun à sa place sociale s’entend !), enfin, le comportement de Timon lui-même, dont le désespoir a quelque chose de Jules Dupont ! Mais dans le négatif total, aux confins de la folie.
Mais ne chipotons pas ! Un beau spectacle est un beau spectacle. Celui-ci en est un. Tant mieux !
8.6 – Je crois qu’on peut faire confiance au jeune Jivalik. Accrocheur comme il est, il ira sans doute loin, parce que le spectacle « MAÏAKOVSKI » qu’il propose est à la mesure de ses ambitions. Pourtant, cette réalisation musicale et hurlée, amplifiée à l’extrême et voulue à la limite du supportable pour les tympans, est tout à fait déracinée dans le petit café d’Edgar. On ne choisit pas facilement ses tribunes à 20 ans. À la limite, c’est un « poétique ». Jivalik dit des poèmes de l’auteur soviétique, -certains sont admirables, tous sont généreux et étonnamment humains- et de toute évidence, ces poèmes l’habitent, le dévorent. C’est avec passion qu’il les déclame, soucieux surtout –trop peut-être- de les exprimer avec puissance.
Le support musical est curieusement classique. Basse, violoncelle, violon, guitare, les 2 premiers branchés sur potentiomètre. La partition est ininterrompue, commentant, constamment les textes et les séparant de phrases à relents russes. Belle musique en vérité, et il n’y a pas à dire, ça aide, la musique à atteindre, toucher, émouvoir le spectateur.
Jivalik est à suivre. Pour un si jeune homme, la promesse est certaine. Il faut souhaiter qu’il ne vire pas sa cuti avec le temps, que sa foi politique ne se détournera pas, ou ne se gommera pas. Il est sur un fil, car si le contenu est irréprochable, la technique remarquable, il est néanmoins sûr que la forme a un petit côté blouson noir à chaîne de vélo que ne désavoueraient pas des « chanteurs d’Occident ». Efficace au service d’une bonne cause, cette forme deviendrait dangereuse dans une soi-disant dépolitisation. En tout cas, j’aimerais revoir « Maïakovski » mêlé à 1.000 personnes dans un grand lieu. La ligne est celle de la ROTE RÜBE.
Malheureusement cela n’a été qu’un feu de paille. Les bons sprits ont rejeté le propos sous différents prétextes « artistiques », notamment ce potentiomètre effectivement à la limite du supportable.Je gard en souvenir de ce qui n’a pas pu être une belle tournée quelques 78 tours que je n’écoute jamais car la technique de 1975 n’est pas compatible avec des oreilles du 21ème Siècle..
24.6 – JEUNES BARBARES D’AUJOURD’HUI d’Arrabal est sans doute capable d’épater des jeunes bourgeois d’aujourd’hui, mais pour ce qui est de moi, je trouve que vraiment cet auteur manque de « re-nourrissement » de soi-même. C’est TOUJOURS les mêmes thèmes inlassablement repris. Ici, c’est une réelle exposition, comme une revue, non pas de fin d’année, mais de fin de carrière. C’est marrant : il me semble que moi, je n’oserais pas écrire constamment la même chose, montrer la même scatologie, les mêmes phantasmes, le même érotisme, le même cordon ombilical honteux, la même « innocence perverse », la même violence douloureuse, les mêmes infirmités physiques, les mêmes sentiments d’impuissance, les mêmes symboles sacrilèges, les mêmes provocations (tel le fait de pisser en scène et que la pisse devienne le sang du Christ : on se demande pourquoi un auteur ne chie pas afin de signifier le corps dudit Christ. Et par quelle concession les artistes ne boivent pas réellement ? C’est pas bien ça ! C’est ne pas aller au bout de l’idée !)…
Mais Arrabal, ça ne le gêne apparemment pas. Tout au plus, ici, est-il revenu, en plus, à un propos un peu oublié de son univers, celui du mythe du coureur cycliste. L’anecdote conte l’histoire de 2 servants d’un champion et du masseur aveugle du champion et des servants. Tous détestent le champion et le masseur s’en vengera en l’affaiblissant à la veille d’une course par la ponction d’un litre de sang, tandis que les 2 toujours laissés pour compte se doperont à mort. On a ainsi un petit côté MARATHON, SKANDALON, qui fleure une des contestations de notre temps.
Cela dit, sauf que le style poétique bourré d’images confuses m’a fort agacé, il faut dire qu’il y a des beautés, et que le propos de l’équipe est intéressant. J.F. Delacour a réuni une troupe qu’il assume et qui veut monter DIRECTEMENT des textes d’auteur, AVEC l’auteur, en se passant de l’intermédiaire du metteur en scène. C’est un propos à suivre.
26.6 – ON LOGE LA NUIT, CAFÉ À L’EAU de Jean-Michel Ribes, est un beau et émouvant spectacle sur Gérard de Nerval, non pas sur l’œuvre du poète, mais sur l’homme et son « double », naviguant aux frontières de la folie dans la clinique du Docteur Blanche à Passy. Ribes, comme Arrabal, a ses phantasmes et il est étonnant de voir à quel point ce jeune homme entreprenant est hanté pas le thème du suicide. On est loin ici des gaudrioles farceuses quasi-estudiantines d’il y a quelques années. C’est une étrange mélancolie digne et réservée qui baigne ce spectacle arrosé de musique mahlérienne.
La seule note d’humour serait le personnage de Théophile Gautier, ici montré seulement comme Président de la Société des Gens de Lettres, incarnant la Raison et l’Ordre. On sort de l’hôtel Donon touché, ému, atteint, rêveur. C’est une soirée qui fonctionne.
Ribes ne s’est pas suicidé. Sa carrière l’a amené sur le tard à des destinées très parisienes. Comme quoi il faut se méfier des impressions momentanés.
ESCAPADE À LA MARTINIQUE
Mehmet Ulusoy avait monté LE CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN de Brecht au TGP de Saint Denis. Il rêvait que la musique accompagnant l’œuvre soit apportée par un barde Turc et je suis sûr que ç’aurait été un apport magnifique. Mais les dictateurs des éditions de l’Arche ne l’ont pas entendu ainsi et ils ont imposé que ce soit, comme d’habitude, la partition de Paul Dessau qui soit infligée aux spectateurs.
8.7 – Me voilà de nouveau dans un Boeïng 747. Cette fois, l’avion est comble et c’est une vraie pouponnière de mouflets qui voyagent seuls. Un très gentil petit négro de 6 ans passe la moitié du voyage « à m’embêter ». il veut savoir pourquoi je fume du gâteau (mon cigare !) et veut en manger. Ma pipe le fascine. Il demande pourquoi je lis, pourquoi je fais dodo, pourquoi je vais faire pipi ! Bref, un vrai Raphaël basané ! A part ça, vol sans problème si ce n’est que c’est long (8 heures !). À l’arrivée, Dany m’attend, une Dany ravie, enchantée. Pas de problèmes, dit-elle, et ce langage me fait bien plaisir compte tenu des emmerdements qu’il y avait côté Magic Circus, à mon départ. Paraît que Césaire a attendu la troupe à l’aéroport en personne et que les Turcs sont passés au contrôle de police avec les courbettes des flics. Le matériel (28000 F. de transport aller, autant retour) est là. Il y a des machinistes, un car à notre disposition. Césaire passe 4 fois par jour pour voir si tout va bien et les a emmenés faire une vaste excursion le 1er jour. Paraît que la Martinique est très belle. Moi, j’ai juste le temps de voir la nuit tomber très vite sur la baie de Fort de France tandis qu’un taxi m’emmène à la salle des sports où le Théâtre de Liberté prépare son CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN avec une distribution d’où ont disparu les éléments T.G.P.
L’équipe a l’air très contente de me voir. Bref, une bonne arrivée, au terme de laquelle on me montre mes « quartiers » : un lit à 2 étages au Foyer des Œuvres Laïques dans la chambre de Mehmet et Keriman. Tout le monde est logé par 3 à 6 personnes et le problème du « baisage » paraît être, pour certains et certaines, une ombre au tableau. Pour moi, je me déclare très honoré d’avoir été admis dans la chambre du chef, dont il faut bien dire qu’elle manque de confort. Ni table, ni chaise, ni verre, ni cendrier, ni serviette. Ça me coûtera 20 F. par nuit. C’est évidemment mieux que l’hôtel à 150 F. ! Une chose est sûre : je n’aurai pas froid. Non qu’il fasse sur cette île une chaleur à crever, mais enfin ça tourne autour des 33°C et c’est singulier de moiteur. Après ça, il est 20h (locale = 01h du matin). Ce n’est pas que je sois affamé, car en avion, bien sûr, je n’ai pas jeûné, mais comme le car conduit la troupe au « Quick Restaurant » où on mange antillais, je suis, histoire surtout de rester en compagnie. Je constate que Mehmet s’est mis au Punch. Je trempe mes lèvres dans celui d’Arlette Bonnard. C’est bon ! Mais je commande un whisky quand même. Et je mange un court-bouillon de poisson pas mauvais du tout en guignant vers un crabe farci que Richard mange à côté de moi. Ce « Quick Restaurant » nous retient 3 bonnes heures, sous la houlette d’une grosse servante autoritaire qu’on croirait sortie d’un film sudiste américain.
9.7 – Il est 6 heures du matin. Je me lève en catimini car je n’arrive plus à dormir. Un coq est responsable de mon réveil, un coq apparemment très orgueilleux de son rôle de coq ! Je me douche, à l’eau froide (il n’y a pas le choix mais il n’y a pas vraiment besoin d’eau chaude –encore que… enfin moi, plus l’air est chaud, plus j’aime les bains et douches très chaudes parce qu’après il fait frais ! Mais je ne dois pas être comme tout le monde), et je descends dans l’esprit d’aller faire un tour, car le jour est largement levé. Mais tout est bouclé, on est enfermés. Le patron de la baraque est un maniaque de la clef. Je me réfugie donc dans le réfectoire où il y a des tables et des chaises. C’est là que sont écrites ces lignes.
Ai-je déjà des impressions sur ce « département français » du bout du monde ? À dire le vrai, guère si ce n’est qu’à 1ère vue, ça a l’air joliment calme et les règles de la circulation en vigueur en France n’ont pas l’air d’être appliquées le moins du monde sur les routes. Tous les autochtones que j’ai vus sont très gentils. Mais, il faut bien le dire, notre contexte est très particulier dans ce festival « dédié à la victoire du peuple vietnamien ». Je « gratterai » davantage ces jours-ci. Maintenant j’arrête, car il est 7 h et la maison s’éveille. Il paraît qu’on travaille tôt, ici, à cause de la chaleur qui est très absorbante en milieu de journée.
FORT DE FRANCE est, physiquement, une assez jolie petite localité au bord d’une belle baie. La construction du 18ème siècle en bois peint de couleurs qui se sont délavées avec le temps, est la même que celle qu’on trouve encore au Québec, en Vermont, en Louisiane. Le style « colonial » français s’y affirme, fort distinct de son équivalent espagnol, dans ces maisons à 1 étage aux toits pentus rouge foncé, qui malheureusement voisinent avec des ensembles modernes dignes du new Lisieux ou de Choisy-le-Roi. À part quelques objets folkloriques, tout ce qu’on trouve dans les boutiques est français. À Uniprix, l’eau d’Evian côtoie la Kronenbourg et le sucre de canne traité en métropole montre bien alignés ses paquets Say made in Paris ! (alors qu’ici on boit dans les rues du jus de canne pressée !). La mentalité des gens est assez difficile à cerner. Les femmes, d’une façon générale semblent fort porter la culotte. Elles sont autoritaires, souvent revêches, et prennent soin, lorsqu’elles vous accordent quelque chose (un produit dans une boutique, le droit de manger dans un restaurant, n’est-ce pas, entendez-moi bien et ne me faites pas dire ce que je n’écris pas) d’avoir toujours l’air de vous l’octroyer. En termes simples, on peut dire qu’elles ne sont pas « aimables ». Mais il est clair que ce comportement n’est pas réservé aux blancs. J’en ai vu une à la banque qui rabrouait un de ses frères colonisés, mazette !
Je ne sais pas si c’est parce que nous sommes les invités de Césaire, mais c’est incroyable ce que les hommes qui ont à s’occuper de nous sont gentils. Dans ma carrière d’organisateur, je crois n’avoir jamais rencontré tant de coopération. Exemples : j’avais un billet d’avion pour lequel je risquais de devoir allonger 2000 F. pour pouvoir rentrer à la date prévue. « Qu’à cela ne tienne », M. Renaud de Grandmaison me remet un papier à donner à AIR FRANCE : la mairie paiera la différence. J’arrive à Air France. « Ils ne pensent quand même pas qu’on va leur faire payer le supplément ? » me dit le Directeur. Et il me rend le bon, établit mon billet comme je veux et me serre la main.
Dany, l’administratrice, soupire auprès de Monsieur Alphonse, un autre secrétaire de mairie, qu’elle se serait bien loué une voiture mais que c’est trop cher. Et la voilà une heure plus tard au volant d’une 4 L prise en compte par la municipalité. Tout ça a un petit côté que moi, si j’étais un O.S. de l’île, je trouverais provocateur. Car enfin ces manières de Grands Seigneurs sont le fait d’hommes de gauche défenseurs de populations qui n’ont rien de super payées (encore que peut-être mesurent-elles à quel point leur niveau de vie, même au plus bas échelon, est supérieur à celui de leurs voisins « indépendants »). Je pense qu’à Haïti, les compagnons du dictateur Duvalier doivent être tout aussi gentils avec leurs amis. Césaire est ici un vrai Roi. Mais tout le monde bée devant lui, et c’est vrai qu’il est d’un abord charmant.
Quoiqu’il en soit, pour moi, tout est merveilleusement facilité.
Reste à ce que le spectacle qui sera joué ce soir ne déçoive pas mes hôtes. En fait il y a risque, car c’est une nouvelle mouture du CERCLE DE CRAIE que prépare Mehmet : il a viré tous les comédiens du T.G.P. Ce soir, Collin Harris jouera le Gouverneur pour la 1ère fois et Mehmet lui-même le juge Asdak. En tout 6 remplacements, et de taille !
Arlette Bonnard, un peu pâle, surveille la consommation d’alcool de son metteur en scène désormais partenaire, et fait réduire –pour qu’on aille répéter », le temps de séjour à la plage, avec raison d’ailleurs, car le soleil à midi est à la verticale et singulièrement dangereux. De fait, la représentation est un peu hésitante, et dure une heure de plus qu’à Saint-Denis ! Mehmet patauge dans son texte mais se révèle un extraordinaire acteur. Quand il ne s’emmêlera plus dans le genre des mots français, il sera prodigieux. Grâce à lui, la 2e partie bascule, devient passionnante.
Et le public lui fait une ovation. Un public dont les facultés de réceptivité, d’attention et de patience me surprennent. Au demeurant, un public nombreux.
10.07 – Journée au cours de laquelle je m’informe. Je déjeune avec Renaud de Grandmaison. Il m’emmène au bord de la mer et nous mangeons d’excellentes choses et notamment une très bonne entrecôte qui vient de Colombie. C’est en 1635 que les Français ont colonisé la Martinique. Ils ont massacré les pacifiques indigènes qui peuplaient l’île et, comme on le sait, s’étant retrouvés sans main-d’œuvre, ont importé des esclaves nègres d’Afrique. Très joli ! Les Béquets d’aujourd’hui, ce sont les descendants des blancs. Ils ont des secrets de fabrication du rhum, mais la production de canne à sucre est tombée à presque zéro parce que les betteraviers ont racheté les raffineries pour écouler leur camelote. Ceux qui ont un prénom comme nom de famille, ce sont des anciens esclaves. Du blanc pur au noir pur, la gamme est très étalée. Césaire veut arriver à l’indépendance progressivement, sans heurt, si possible avec la France, « pays avec lequel nous voulons garder des relations privilégiées ». « Ne parlons-nous pas sa langue ? ».
De fait, habitué comme je suis aux Arabes, je suis toujours épaté que les manœuvres et ouvriers que nous côtoyons ne se mettent pas tout à coup à causer un idiome inconnu. En fait, le créole est savoureux, mais on le comprend fort bien.
Cette indépendance, en tout cas, les îles anglaises l’ont maintenant (Dominique, Ste Lucie etc). Et il paraît que ça se passe très bien. Faudrait aller y voir. Ce sont en effet des pays dont on ne parle jamais et qui font un effort vers le développement des cultures vivrières, « qui seront bientôt plus importantes que de posséder du pétrole ».
Je reviendrai sur tout ça. En quittant De GrandMaison vers 16 h, je vais voir Fanny Augiac au Centre Martiniquais d’Action Culturelle, émanation du Pouvoir de la Métropole doté de fonds pour diffuser la culture française. Entre le C.M.A.C. et la Mairie, ça ne baigne pas dans le beurre.
« Pour eux », dit Fanny Augiac, « Culture veut dire Politique. Pas pour nous, bien sûr. » Bref, on retrouve un schéma familier !
Le sûr, c’est que les deux antagonistes sont d’accord pour casser du sucre sur Gosselin.
J’avais connu Jean Gosselin au Centre dramatique de l’est. C’était un comédien moyen mais un homme très sympathique et qui avait cet art de séduire les femmes dont seuls certains mâles ont le secret. Je me rappelle l’avoir croisé dans un couloir de l’hôtel du Rhin à Strasbourg en un temps où il n’y avait pas un WC par chambre. Il était tout nu, et sans pudeur m’avait annoncé qu’il venait de dépuceler une de nos comédiennes, qui d’ailleurs en avait probablement besoin.
Quoiqu’il en soit je l’avais perdu de vue, mais il avait l’amitié fidèle et il était venu un jour me dire qu’il montait une entreprise de tournées dans les Antilles Françaises.Son « marché », c’était la grosse bourgeoisie Blanche, et qu’il avait besoin de temps en temps d’un spectacle « d’avant garde ».C’est ainsi que son entreprise a marché quelques années avec, je dois le confesser, parfois, entre deux pièces de boulevard, un des spectacles que je défendais.
Souvenez vous si vous me lisez complètement de ma narration du transfert de la compagnie Houdart de la Guyanne à Belem au Brésil. Et une tournée Denis Lhorca était en préparation.
De celui-là, plus personne ne veut entendre parler et à propos de mes projets à venir, Fanny Augiac me dit qu’elle veut bien de Llorca via Gosselin, A CONDITION que le nom du tourneur n’apparaisse pas dans la Pub. Selon elle, ce nom seul fait fuir les gens ! Or, il y a du public, dans ce petit pays, et nous nous en apercevons : le CERCLE fait ses 300 personnes tous les soirs (on le joue 6 fois !) et GOUVERNEUR DE LA ROSÉE bourre absolument le théâtre Municipal. J’ai assisté à une représentation assis par terre. Entre nous, c’est pas terrible, ce spectacle, et je comprends mal son succès parisien. Ici, oui, puisqu’il s’agit d’un Roméo et Juliette autour des problèmes du déboisement d’Haïti et de la recherche de l’eau. Mais en France ? Nos critiques sont décidément bizarres. Le théâtre, tout en bois, est lui, charmant, dans le style de nos vieilles salles municipales (Montbéliard, avant la rénovation, Gray, Dôle, vous voyez…).
Les soirées, après la chaleur assez éprouvante du jour, sont très agréables. Après le spectacle qui dure presque 4 heures, ouille, ouille, ouille, mais dont la 2e partie devient extraordinaire avec Mehmet dans le rôle du juge, le Théâtre de liberté va manger des brochettes sur une plage et certains prennent un bain de minuit. C’est le chauffeur du car qui nous oblige à rentrer parce qu’il veut aller se coucher. Mehmet me demande en arrivant d’aller faire un tour ! Je vais méditer au frais. Quand je reviens, au bout d’une demie heure, Kériman dort et lui ronfle.
Demain, c’est relâche.
11.07 – Il apparaît que la gentillesse de la population que j’ai évoquée n’est pas toujours évidente avec les manœuvres, chauffeurs et autres petits noirs. Je découvre que la bonne volonté ne se répercute qu’à moitié aux échelons sociaux inférieurs et par exemple,avant-hier nous n’avons pas eu de car pour nous promener parce que le chauffeur a refusé.
Cela dit, l’île est calme, propre, bien entretenue. Hier, nous sommes allés à Salin et Ste Anne dans le sud. La nature est belle, tropicale et drue, montagneuse, avec des fleurs et des arbres de toutes couleurs. On mange très bien, avec des fruits rares et exquis. Les plages sont toutes équipées de restaurants et de bars, mais la foule ne les encombre pas.
Le climat n’est pas éprouvant. Il fait dans les 28 à 30° le jour et les nuits sont d’une douceur très agréable, ce qui n’empêche pas la troupe d’avoir mal à la gorge (moi-même j’ai cru avoir une angine). Il pleut souvent, quelques grosses gouttes qui sèchent tout de suite sur le corps ou les vêtements.
14 juillet Encore une fois, c’est relâche. On entend à la radio des flonflons militaires. On va transborder ailleurs le CERCLE DE CRAIE. À la salle des sports, il ne déplace pas les foules. 200, 300 personnes, parce que, nous dit-on, seuls les gens qui ont des voitures peuvent y venir. Mais un concert portoricain a déplacé 4.000 personnes dans le même lieu, et c’est là que le P.C. tient ses meetings. Alors on va voir, les 16 et 17, ce que ça va donner sous chapiteau au Parc Floral, qui est en pleine ville.Je suis sceptique. Ce CERCLE est trop long pour les gens d’ici. En plus, avec les changements de rôle, il s’est rallongé : presque 4 heures ! Et puis, bains de mer et de soleil aidant, je le trouve mou. L’apport de Mehmet dans le juge est inestimable, mais j’ai bien peur que son baragouin ne « passe » pas aussi bien en Avignon qu’ici. C’est incroyable comme il malmène les genres masculins et féminins ! J’ai aussi un brin peur pour le spectacle de rues d’Avignon qui ne se prépare pas du tout. Mehmet ne se rend pas bien compte qu’il est attendu au tournant ! Il se laisse vivre dans cette île où il se sent bien, rêvant surtout de plongées et de « planteur » (c’est une délicieuse boisson au rhum et aux jus de fruits mêlés). Le réveil sera peut-être dur.
AVIGNON 1975
Retour de la Martinique, j’arrive le 25, en plein milieu du Festival, à 14h. Je pose mon cul à La Civette, et j’y tiens conférence successivement avec Debauche, Périnetti, Crombecque, Pommeret, Touchard, Deherpe, Laville, Maréchal, Belit, Autranel et quelques autres dont le nom m’échappe. On me parle d’un colloque sur l’enseignement. J’y vois un groupe anglais qui présente les fruits de son travail local (très curieux et qui m’a fait songer que décidément notre culture n’en finit pas de crever, -car il s’agit de variations du type borborygme autour de chœurs très classiques et de réflexions contestatrices sur l’individualité humaine-), et j’y rencontre Tiry, J.P. Vincent, A. Vitez (qui me dit qu’il faut qu’on se voie !), Lassalle, et beaucoup d’autres dont le nom m’échappe. Fidèle à la tradition, je dîne à l’Auberge de France avec Mme Baëlde. J’y rencontre Danet, Henriette Béna, Puaux, Mercure et quelques autres dont le nom m’échappe. Le soir, au Chêne Noir, bourré, je vois CHANTS POUR LE DELTA, LA LUNE ET LE SOLEIL. C’est un concert au cours duquel Nicole Aubiat dit de très beaux poèmes sur le Rhône, la Méditerranée, le Nil, la pollution, l’invasion des H.L.M. et autres thèmes contemporains d’une belle voix chaude, avec flamme et sobriété, soutenue par une musique vibrante très professionnalisée qui n’est pas sans rappeler celle sur laquelle s’appuie Jivalik pour Maïakovski. (Les deux démarches sont très sœurs).
À minuit, je me couche.
Le 26, je me lève assez tôt et je pars à la recherche d’un solex à louer. Avec l’étalement du festival dans l’espace, la possession d’un moyen de transport me paraît indispensable. J’en trouve un, mais ça me prend la matinée. J’ai juste le temps d’aller dire bonjour à Lecat, qui trône dans des nouveaux locaux au Petit lycée, je serre la pince à Sonia et de lui demander quelques places, d’échanger quelques mots avec Massadau et Patricia Blot, et me voici en train de déjeuner avec Crombecque qui me parle de l’entreprise de Frédéric Mignon.
C’était le fils de Paul Louis Mignon, un critique et chroniqueur important de notre radio nationale. Apparemment il avait ouvert une entreprise de tournées qui se voulait concurrente de la mienne. Ca n’a été pour moi ni grave ni durable. Le seul souvenir que je conserve est que nous avons un peu sympathisé et qu’il a un jour commandé à MON agence de voyages en se référant à MOI un billet aller pour HONG-KHONG qu’il n’a jamais payé. J’ai su que de là, il avait entrepris une traversée à la voile du Pacifique. Mais mes amis voulaient m’inquiéter :
« Paraît qu’il a déjà Barba, Pif Simmons, Japelle et…La Nueva Compagnia di Canto Populare ! »
Bon ! mea culpa ! Faudra voir l’année prochaine à ne pas se pointer aux spectacles à la 30ème !
Après ce repas, j’enfourche ma monture et je vais serrer des pinces à Villeneuve. Mais je ne vois pas Houdart. Par contre, je rencontre tout le Theatracide. Puis je rentre avec l’intention de voir FEMMES + FEMMES, mais je rencontre Cellier, Josiane Horville, Vielhescaze et Vautier. Nous prenons un verre tandis que les garçons de café manifestent pour leur 15% !
Puis je vais annoncer à Constant que Laville laisse tomber le PRADO. Il en est d’autant plus désolé qu’ici, l’accueil fait à son spectacle par des salles au demeurant bourrées, ne lui paraît pas chaleureux. Benoin est navré des résultats de la tournée SKANDALON. J’ai eu coup sur coup les 2 sur le dos (à quand Bayen ?).
J’échange après ça quelques mots avec Dekmine et je vais au Bazar d’Edgar voir Pif Simmons. J’y rencontre Matthieu Gally, Darcante, Irène Ajer et Rétoré. Alain Mallet aussi bien sûr et Maria Rankow.
Ce CHILDREN OF THE NIGHT que je n’avais pas vu à Nancy, dont il fut un des événements, m’a évidemment frappé par son extrême qualité d’exécution, et je ne puis qu’approuver une démarche qui va au bout d’elle-même. Reste que j’ai été très profondément répugné et que j’ai trouvé infiniment suspecte cette complaisance à la violence, à l’insolence et à la morgue GRATUITES, cette « fiction » d’une représentation donnée par des Juifs dans un camp de la mort, où le SS est signifié (sans doute) par l’un d’eux tandis que les autres accentuent la caricature de la race élue à telle enseigne qu’on croirait par moments assister à une projection du Juif Suss.
Belle est la scène finale où les protagonistes nus chantent tandis que les gaz mortels les enveloppent. Mais tout compte fait, assez facile
« Tu aimes ? », m’a demandé une nana du Festival d’Automne juste comme je sortais ! Je l’aurais giflée ! Après ça, j’ai soupé avec Rétoré qui a apparemment fait un sacré bide avec COQUIN DE COQ, avec les Darcante et avec Irène Ajer, dont le côté fasciste m’a de nouveau sauté aux yeux.
Tout ça m’a mené jusqu’à 2 heures du matin mais j’ai eu du mal à m’endormir, car la Place de l’Horloge regorgeait de monde et d’activité. Or, cette année, je suis au 1er étage ! Je passe une nuit très agitée mais je me réveille à 11 heures.
QUELQUES PAGES PRÉMONITOIRES D’AVIGNON, MARCHÉ DE LA CULTURE, LIEU PRIVILÉGIÉ DES TRANSACTIONS
Je vais maintenant à Villeneuve en solex (on est maintenant dimanche 27) et je déjeune avec Houdart. Barry (l’impresario Argentin) est venu en France mais il n’a pas fait son virement ! Il a dû se pointer chez nous vers les 14/15 juillet ! Il a paraît-il conseillé à De Rigault d’engager Houdart aux USA. Sinon, c’est lui qui montera la tournée avec son « bureau de New York ».Dont acte !
Kay de son côté aurait décrété qu’ARLEQUIN marcherait très bien au Japon. À part ça, Houdart n’a pas reçu l’argent de l’ONDA. Alors je pars sans pognon. Il sera à Paris vers le 11 août.
De retour Place de l’Horloge, je date Mehmet à Clermont pour 15.000 —dont 5.000 espérés de Tiry, et peut-être LE SOLEIL FOULÉ et SKANDALON. Je date aussi Mehmet à Aix ! J’ai des mots avec Hauser mais on se quitte bons amis quand même. Je rencontre Bisson et Farré flanqués de Zenaker et de Nicole Garcia. Tout ce monde-là va bien. Je jette un œil au colloque. Michel Guy s’est joint à l’aréopage. Des Anglais font un exercice qui me passionne si peu que je me tire au bout de 5 minutes. Il est vrai que j’ai promis d’aller écouter Moro qui lit LE CANCER, une pièce de lui, au Gueuloir. C’est en 3 actes et en vers très libres, l’histoire d’un couple de bouchers à la retraite. Le style de cette « tragédie écologique » est plaisant. Il y a de bons mots, de l’action. C’est du bon boulevard agréable, de forme et de contenu, gentiment contestataire et désabusé. Ça pourrait marcher dans un contexte rive gauche voulant faire semblant de penser. En sortant, je rencontre Delacour. L’Arrabal marche très bien ici. C’est Mignon qui va s’occuper de la tournée des JEUNES BARBARES. Actif, ce jeune homme qui brille par son absence. Ce sont ses sbires qui rabattent : Anne Chapeauteau et Maria Rankow. Il a évidemment un avantage psychologique sur nous en ce sens qu’il offre en prime son bureau d’attaché de presse. Dommage que je n’ai pas dans mes relations quelqu’un qui aime le dialogue avec les journalistes ! Retour Place de l’Horloge, je passe un moment avec Erdos, toujours charmant, triste d’avoir dû annuler le festival de Baalbek. Il y a eu par contre un festival d’Israël, mais « très prudent » et exclusivement musical. Puis je tombe sur Françoise Brès à une table où il y a Sonzini et Girard. Je fais ainsi la connaissance de notre correspondant d’Annecy, qui a l’air gentil. Girard me dit que Bourg tombe pour LA CUADRA comme pour le CERCLE DE CRAIE. Denise Leclerc passant par là, j’apprends que Sceaux tombé aussi pour la CUADRA pour des raisons techniques. Ces amateurs ! Décidément !... Et puis Girard se lance dans une improvisation brillante, qu’il a le LIVING en Mai pour un mois par des gars de l’Université de Vincennes qui font partie de la troupe de Beck… Je le mouche un peu, mais c’est sûr que ça n’a pas fini de grenouiller dans Landernau !
À part ça, il apparaît que les impressions de Constant se confirment. Le PRADO n’a pas fait tilt en Avignon et je doute que des affaires en découlent pour LA COURNEUVE. C’est dommage. Par contre LEGERE EN AOÛT a gagné beaucoup de points. Ça va être le moment de d’expérimenter la correction des Athévains !
À 21h, je suis aux Carmes où Gildas Bourdet présente L’OMBRE d’Eugène Schwartz, un fort spectacle qui ne me lâchera qu’à 0h45, mais que je vois sans m’ennuyer.
La Salamandre de Gildas Bourdet promue Centre Dramatique du Nord y joue le texte soviétique dans le style qui a fait son bonheur avec le Molière, ce qui fait dire à des hommes hautement politisés comme Garran que l’équipe n’a joué que l’anecdote, masquant la critique du Stalinisme voulue par l’auteur. C’est sûr, le régime anachronique décrit par Bourdet s’appuyant sur une œuvre qui dissimulait son agression derrière l’aimable fiction d’un pays de contes de fées vivants, n’évoque guère l’autocratie soviétique et sans doute fallait-il en URSS la complicité d’un public avide de lire entre les lignes pour qu’éclate la dénonciation. J’ai tendance à donner raison à Bourdet, car comme ici nous n’avons pas besoin d’aller au 4e degré pour stigmatiser ce qu’en termes clairs tout le monde peut dire, j’aime mieux qu’il ait joué l’ «innocence » de l’œuvre. Son spectacle n’est pas très « signifiant » mais il est plaisant, truffé de gags et de trouvailles, bien joué. Et puis ce thème de l’ombre détachée de son maître pour mieux circonvenir la princesse aimée et inaccessible, et qui le trahira, me rappelle une des fascinations de mon enfance. Bref, j’ai marché au charme. Ce n’est pas un spectacle politique dans la France de 1975 où les combats peuvent tout de même être menés de façon plus directe. Quoi qu’il en soit, avec plus de talent, beaucoup plus, Bourdet s’inscrit dans la ligne des grands amuseurs promue par le Pouvoir. Michel Guy ne s’est pas trompé !
À 1h du matin, je vais souper avec le banquier belge Presles qui achètera peut-être une série de 6 représentations à Savary et m’aidera à défricher le contexte SKANDALON sur la Belgique. Nous sommes souvent interrompus, car à la table d’à côté il y a Philippe Adrien, à celle d’en face Bisson et un peu plus loin Maria Rankow qui trône, très Colette Dorsay, au milieu d’un aréopage où figurent Binoche, Azerthiope, Delacourt, Garran. Je suis couché à 3h15. Je dors mal. Il y a des moustiques.
Je me réveille le lundi 28 à 10h15 prêt à attaquer une nouvelle journée de « vacances » !
Je commence par m’acheter des espadrilles, puis je fais un petit tour de place de l’Horloge. Presles a autour de lui Azerthiope, le Théatracide et quelques autres marginaux. Il veut organiser à Bruxelles un festival OFF pendant Europalia, mais naturellement, il ne veut pas payer autre chose que les défraiements et à la rigueur les transports. Je préfère ne pas m’en mêler ! J’ai rendez-vous avec Cellier. Comme on n’a pas de problème pendant, c’est très amical, mais le bon Tourangeau ne m’apprend pas grand-chose. Je suis fatigué. Je fais une grande sieste, puis je vais saluer l’équipe de Mehmet qui répète au Champ-Fleury. Je ne verrai pas le spectacle de rue car ils l’ont reporté au 2 août, les salauds ! Il fait une chaleur à crever mais l’orage menace. Tant mieux ! Je passe au bureau du Festival retenir des places pour Blaska à la Cour d’Honneur le 31, des fois que ça plairait plus à Thérèse que 14 juillet de Serge Ganzl, dont tout le monde confirme que c’est un four ! Pièce ni faite ni à faire et mise en scène de Llorca inexistante. « C’est forcé, explique Baëlde de sa grosse voix, « il a passé son temps à faire le va-et-vient entre Carcassone, où il montait et jouait Hamlet) et Avignon. Si bien que ni l’un ni l’autre spectacle n’est bon ! » Après, je passe à l’oratoire pour faire dire aux Athévains où ils peuvent me joindre.
C’est plus calme aujourd’hui. Beaucoup de gens sont partis. Le Syndeac tient ses assises annuelles dans un lieu secret. Vielhescaze sera-t-il réélu Président ? Agugui mène grand train sur la place.
Je vois la femme morcelée par le groupe Organon, « régie générale » de Patrick Morelli. C’est une co-production du TEC, ce qui annonce bien la couleur. IL s’agit d’un montage sur la condition de la femme des origines à nos jours, et sur la nécessité d’harmoniser les révolutions.
Avec moi, vous le savez, ça prêche un converti. C’est bien fait, clair, en 4 « volets », 1/ l’éternel féminin, 2/ exposé historique montrant comment la femme a peu à peu conquis une situation économique inférieure, 3/ situation de la femme travailleuse aujourd’hui, 4/ Buts à atteindre (cette dernière partie en forme d’oratorio posant des questions plutôt qu’offrant des perspectives. En contrepoint des sketchs riches en chansons et en gestuelle qui sont perpétrés par 4 artistes, 2 hommes et 2 femmes comme dans COUPLES, appuyés par un petit orchestre, des projections nous montrent des moments de la lutte féministe, et des citations de Marx, Engels, et quelques autres penseurs irréprochables. Tout ça est très orthodoxe. Morelli me téléphonera le 20 août, car il veut qu’on l’aide ! Pourquoi pas ?
Après ça, je rentre paisiblement Place de l’Horloge et qu’est-ce que je vois ? Elle est bouclée par les C.R.S. J’entre parce que j’habite à l’Auberge de France, mais autrement personne ne passe et chacun s’interroge sur les motivations de cette provocation que rien ne paraît justifier. On me dit qu’il y a eu des matraquages de jeunes. « Arrêtez-moi », gueule Puaux aux cent coups. Il insiste tellement que pour lui faire plaisir un chef l’embarque fort poliment. On voit réapparaître le Directeur 1/4 d’heure plus tard. Toujours est-il que ce soir-là il y a peu de monde et pas de spectacle au Palais. Alors l’opération fait long feu et à 1 heure du matin, les vaillants défenseurs de l’ordre se dispersent, me permettent d’aller boire un verre avec Debauche, Garran et Autrand qui prenaient le frais à la Cité des Papes de l’autre côté du barrage ! On parle de l’ONDA qui agite beaucoup le SYNDEAC. Je me couche à 2h et une fois encore j’ai du mal à trouver le sommeil.
Je me réveille à 10h le mardi 29. J’écris ces lignes puis je vais acheter le journal. Thorent me saute dessus. Il a « pensé à moi » pour que j’organise la tournée d’une pièce d’Haïm qu’il joue à Vaison avec François Maistre. Je prends le texte en disant que je vais le lire ! Puis Valverde m’invite à déjeuner à la Magnaneraie où il a ses quartiers. Micheline Uzan est de la fête. Elle veut tourner sa Religieuse Portugaise. Je lui dis que 1500 F. est le prix le plus élevé qu’elle puisse demander, tout en dégustant un brochet, je ne vous dis que ça, à l’ombre des Platanes. Il n’y a que les Communistes bon teint pour savoir bien vivre. Valverde me dit aussi qu’il va m’acheter des spectacles, car il ne monte rien lui-même cette année. Il poursuit son projet de Centre Lyrique National avec Luccioni dont il espère qu’il verra le jour en octobre 1976. Puis je tiens avec Binoche un meeting de 2 heures sur le Théatracide au terme duquel je rentre à l’hôtel car un coup de fil à Monique me paraît s’imposer. Je rencontre Dido, qui joue LÉGÈRE EN AOUT, et Jacqueline Kaps, qui joue l’APOLOGUE. Un gros orage éclate sur le coup de 18h30. Je parle une demie heure avec Jacques Echantillon qui voudrait absolument que je vienne à Sète voir l’Hamlet de Llorca vers le 25 août et le Rosenkranz de Prévaud à la même époque. Puis je casse une graine au snack du Palais des Papes avec J.J Fouché qui a beaucoup grossi depuis qu’il est Directeur de Maison de la Culture. On fixe la date de Mehmet et on cause de sa politique d’accueil qui ne me satisfait pas pleinement. En sortant, je vois Noëlle Roche qui est inquiète parce que Tiry ne lui a pas écrit qu’il subventionnerait Mehmet ! Je la rassure comme je peux
et je vais voir LA BEFANA au Chêne Noir. Beau spectacle que Périnetti a engagé pour un mois à Paris en février. Si j’étais méchant, je dirais que le contenu est le même que ce que gueule Mouna sur la Place de l’Horloge, mais que l’esthétique est beaucoup plus belle ! Il y a en fait des moments magnifiques tout baignés d’un Christianisme d’imagerie populaire qui n’engage pas au fond, mais qui prouve l’imprégnation de Gélas à cette religion que porte en soi le Peuple du Sud, même quand il devient Marxiste, et des instants de contestation de la Société de consommation qui ne sont pas très originaux et même ne volent pas très haut. Le rythme, avec importance de la musique, est lent et majestueux, cosmique et sensible au rond.
En sortant, je rencontre Chantal, Christophe et Bourseiller. J’apprends ainsi que mon fils est bachelier !
Scoff va monter « Pour l’honneur et pour des Prunes », texte liant les événements « Pour l’exemple » de 1917 et ceux du camp de Draguignan en 1974. Tournée après Pâques 76, 15 personnes + 2 ou 3 techniciens. Calculer sur 20 personnes à 200 F. ce qui fait 4000 F. et avec les charges 5600 F. Le matériel nécessitera un camion d’une importance certaine (sacs de sable, praticables, tables, chaises, matériel de musiciens, projecteurs, 2 poursuites, sono, jeu d’orgues etc…).
Un mini spectacle sur le Procès de Draguignan sera donné en « animation ». La Cie doit gagner 2000 F., ce qui nous met à 7600 F. + avec nous 8400 F. Ce sera le prix plancher. Demander 10.000 F. + transports et défraiements. Scoff se joint maintenant 26 rue Poliveau, 75005. Pas de téléphone. Messages au TEP. (ou à titre absolument exceptionnel au 3364205).
Ce matin 30 juillet, je rencontre Delacour avec qui je parle longuement. Puis je vais à un RV avec Gélas, mais comme au bout d’1/2 heure il n’est pas là, je conviens que j’ai assez pris le frais dans sa chapelle et je décide que je reviendrai demain. J’ai un meeting avec Mounier, qui est définitivement à la Rochelle, et avec un barbu roux qui est directeur provisoire au Havre. J’assiste ensuite, par une chaleur accablante et une pluie intermittente, à la répétition du spectacle de rue de Mehmet. Une jolie histoire qui raconte avec l’aide d’un bulldozer très spectaculaire ce qui arriverait aux petits poissons si les requins étaient des hommes. Puis je vois Chantal de Villepin qui prépare devant moi un chèque de 5.700 F. qu’elle m’enverra quand il y aura de l’argent au compte de Vielhescaze. Je rencontre aussi Armand, le barbu des Athévins.
Si je comprends bien, LÉGÈRE EN AOUT qui se vend est son affaire et LES MAUVAIS BERGERS que personne ne demande est la mienne ! Pourquoi pas ? C’est une façon de voir les choses ! Je vois Dany pour les photos de Mehmet et la fiche technique, et aussi Richard pour le pognon ! (Mais il n’a pas son chéquier
COMMENTAIRE a-POSTERIORI
Il est frappant de remarquer que dans ce survol de ces journées, je parle peu de spectacles vus. En vérité, le Gintzburger qui navigait dans cet Avignon 75 y était pour des raisons de business. J’achète ci, je vends ça. C’était mon métieret déjà cela commençait à devenir un marché. Non que le off y soit déjà devenu omniprésent. Mais c’était le rendez-vous incontournable des professionnels. Il fallait y aller. Il fallait y être vu. On y traitait des affaires. Il importait de se méfier des concurrents. L’A.F.A.A. y tenait ses assises. L’O.N.D.A. également.et la S.A.C.D. Bref en quelques jours on croisait des gens qui étaient disponibles pour parler alors qu’à Paris certains n’accordaient leurs rendez-vous qu’au compte-goutte.Apparemment je connaissais beaucoup de beau monde et j’étais estimé.
7.6 – Il ne faut pas être de mauvaise foi : TIMON D’ATHÈNES monté par Peter Brook, que je n’avais pas encore vu parce que je faisais ma mauvaise tête, c’est très bien. Surtout la 1ère partie, qui est réellement spectaculaire, où on a le choc de ce lieu admirable qu’est le théâtre des Bouffes du Nord laissé intelligemment à l’état de carcasse (ô Mme Weber, cette vision ne vous a-t-elle inspiré aucune réflexion sur ce qu’aurait pu être le PALACE si vous n’aviez pas eu des réflexes de petite bourgeoise ?), et où on fait connaissance avec un François Marthouret merveilleux, évoluant dans un environnement « pauvre » mais de bon goût, THEATRAL sans nul doute, point encombré de machines et de stuc. On ne peut pas le nier, Brook connaît son métier. Dommage qu’il se soit exercé trop austèrement sur la 2e partie, où il y a des scènes à 2 et 3 personnages longues et ennuyeuses. Ce Timon, prodigue de ses deniers, abandonné par la cour de ses faux amis et allant dans le désert mourir à côté d’une mine d’or découverte par hasard qui aurait pu lui « rendre son rang » ! Mais enfin, l’ensemble est si satisfaisant que j’ai tendance à laisser de côté mes réserves. Il y en a pourtant, et d’abord ce salmigondis de nationalités qui s’affrontent sur l’aire de jeu en des baragouins teutons, négroïdes et anglo-saxons trop éprouvants pour l’oreille.
Et puis il y a la misogynie de Brook qui s’ajoute à celle de Shakespeare et fait que la condition féminine n’est vraiment pas à la fête dans cette soirée. Et il y a les thèmes shakespeariens eux-mêmes ! Des « phrases politiques » que je ne puis admettre, ce général Alcibiade, militaire juste, honnête, courageux… et victorieux opposé à la veulerie des civils « démocrates », (le mépris du peuple est pour une fois gommé : si la « populace » de « basse extraction » fait l’objet de quelques tirades, les esclaves du Maître déchu font montre de quelque grandeur d’âme, surtout l’intendant, qui se comporte vraiment très bien après la faillite du jeune homme à la mode, chacun à sa place sociale s’entend !), enfin, le comportement de Timon lui-même, dont le désespoir a quelque chose de Jules Dupont ! Mais dans le négatif total, aux confins de la folie.
Mais ne chipotons pas ! Un beau spectacle est un beau spectacle. Celui-ci en est un. Tant mieux !
8.6 – Je crois qu’on peut faire confiance au jeune Jivalik. Accrocheur comme il est, il ira sans doute loin, parce que le spectacle « MAÏAKOVSKI » qu’il propose est à la mesure de ses ambitions. Pourtant, cette réalisation musicale et hurlée, amplifiée à l’extrême et voulue à la limite du supportable pour les tympans, est tout à fait déracinée dans le petit café d’Edgar. On ne choisit pas facilement ses tribunes à 20 ans. À la limite, c’est un « poétique ». Jivalik dit des poèmes de l’auteur soviétique, -certains sont admirables, tous sont généreux et étonnamment humains- et de toute évidence, ces poèmes l’habitent, le dévorent. C’est avec passion qu’il les déclame, soucieux surtout –trop peut-être- de les exprimer avec puissance.
Le support musical est curieusement classique. Basse, violoncelle, violon, guitare, les 2 premiers branchés sur potentiomètre. La partition est ininterrompue, commentant, constamment les textes et les séparant de phrases à relents russes. Belle musique en vérité, et il n’y a pas à dire, ça aide, la musique à atteindre, toucher, émouvoir le spectateur.
Jivalik est à suivre. Pour un si jeune homme, la promesse est certaine. Il faut souhaiter qu’il ne vire pas sa cuti avec le temps, que sa foi politique ne se détournera pas, ou ne se gommera pas. Il est sur un fil, car si le contenu est irréprochable, la technique remarquable, il est néanmoins sûr que la forme a un petit côté blouson noir à chaîne de vélo que ne désavoueraient pas des « chanteurs d’Occident ». Efficace au service d’une bonne cause, cette forme deviendrait dangereuse dans une soi-disant dépolitisation. En tout cas, j’aimerais revoir « Maïakovski » mêlé à 1.000 personnes dans un grand lieu. La ligne est celle de la ROTE RÜBE.
Malheureusement cela n’a été qu’un feu de paille. Les bons sprits ont rejeté le propos sous différents prétextes « artistiques », notamment ce potentiomètre effectivement à la limite du supportable.Je gard en souvenir de ce qui n’a pas pu être une belle tournée quelques 78 tours que je n’écoute jamais car la technique de 1975 n’est pas compatible avec des oreilles du 21ème Siècle..
24.6 – JEUNES BARBARES D’AUJOURD’HUI d’Arrabal est sans doute capable d’épater des jeunes bourgeois d’aujourd’hui, mais pour ce qui est de moi, je trouve que vraiment cet auteur manque de « re-nourrissement » de soi-même. C’est TOUJOURS les mêmes thèmes inlassablement repris. Ici, c’est une réelle exposition, comme une revue, non pas de fin d’année, mais de fin de carrière. C’est marrant : il me semble que moi, je n’oserais pas écrire constamment la même chose, montrer la même scatologie, les mêmes phantasmes, le même érotisme, le même cordon ombilical honteux, la même « innocence perverse », la même violence douloureuse, les mêmes infirmités physiques, les mêmes sentiments d’impuissance, les mêmes symboles sacrilèges, les mêmes provocations (tel le fait de pisser en scène et que la pisse devienne le sang du Christ : on se demande pourquoi un auteur ne chie pas afin de signifier le corps dudit Christ. Et par quelle concession les artistes ne boivent pas réellement ? C’est pas bien ça ! C’est ne pas aller au bout de l’idée !)…
Mais Arrabal, ça ne le gêne apparemment pas. Tout au plus, ici, est-il revenu, en plus, à un propos un peu oublié de son univers, celui du mythe du coureur cycliste. L’anecdote conte l’histoire de 2 servants d’un champion et du masseur aveugle du champion et des servants. Tous détestent le champion et le masseur s’en vengera en l’affaiblissant à la veille d’une course par la ponction d’un litre de sang, tandis que les 2 toujours laissés pour compte se doperont à mort. On a ainsi un petit côté MARATHON, SKANDALON, qui fleure une des contestations de notre temps.
Cela dit, sauf que le style poétique bourré d’images confuses m’a fort agacé, il faut dire qu’il y a des beautés, et que le propos de l’équipe est intéressant. J.F. Delacour a réuni une troupe qu’il assume et qui veut monter DIRECTEMENT des textes d’auteur, AVEC l’auteur, en se passant de l’intermédiaire du metteur en scène. C’est un propos à suivre.
26.6 – ON LOGE LA NUIT, CAFÉ À L’EAU de Jean-Michel Ribes, est un beau et émouvant spectacle sur Gérard de Nerval, non pas sur l’œuvre du poète, mais sur l’homme et son « double », naviguant aux frontières de la folie dans la clinique du Docteur Blanche à Passy. Ribes, comme Arrabal, a ses phantasmes et il est étonnant de voir à quel point ce jeune homme entreprenant est hanté pas le thème du suicide. On est loin ici des gaudrioles farceuses quasi-estudiantines d’il y a quelques années. C’est une étrange mélancolie digne et réservée qui baigne ce spectacle arrosé de musique mahlérienne.
La seule note d’humour serait le personnage de Théophile Gautier, ici montré seulement comme Président de la Société des Gens de Lettres, incarnant la Raison et l’Ordre. On sort de l’hôtel Donon touché, ému, atteint, rêveur. C’est une soirée qui fonctionne.
Ribes ne s’est pas suicidé. Sa carrière l’a amené sur le tard à des destinées très parisienes. Comme quoi il faut se méfier des impressions momentanés.
ESCAPADE À LA MARTINIQUE
Mehmet Ulusoy avait monté LE CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN de Brecht au TGP de Saint Denis. Il rêvait que la musique accompagnant l’œuvre soit apportée par un barde Turc et je suis sûr que ç’aurait été un apport magnifique. Mais les dictateurs des éditions de l’Arche ne l’ont pas entendu ainsi et ils ont imposé que ce soit, comme d’habitude, la partition de Paul Dessau qui soit infligée aux spectateurs.
8.7 – Me voilà de nouveau dans un Boeïng 747. Cette fois, l’avion est comble et c’est une vraie pouponnière de mouflets qui voyagent seuls. Un très gentil petit négro de 6 ans passe la moitié du voyage « à m’embêter ». il veut savoir pourquoi je fume du gâteau (mon cigare !) et veut en manger. Ma pipe le fascine. Il demande pourquoi je lis, pourquoi je fais dodo, pourquoi je vais faire pipi ! Bref, un vrai Raphaël basané ! A part ça, vol sans problème si ce n’est que c’est long (8 heures !). À l’arrivée, Dany m’attend, une Dany ravie, enchantée. Pas de problèmes, dit-elle, et ce langage me fait bien plaisir compte tenu des emmerdements qu’il y avait côté Magic Circus, à mon départ. Paraît que Césaire a attendu la troupe à l’aéroport en personne et que les Turcs sont passés au contrôle de police avec les courbettes des flics. Le matériel (28000 F. de transport aller, autant retour) est là. Il y a des machinistes, un car à notre disposition. Césaire passe 4 fois par jour pour voir si tout va bien et les a emmenés faire une vaste excursion le 1er jour. Paraît que la Martinique est très belle. Moi, j’ai juste le temps de voir la nuit tomber très vite sur la baie de Fort de France tandis qu’un taxi m’emmène à la salle des sports où le Théâtre de Liberté prépare son CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN avec une distribution d’où ont disparu les éléments T.G.P.
L’équipe a l’air très contente de me voir. Bref, une bonne arrivée, au terme de laquelle on me montre mes « quartiers » : un lit à 2 étages au Foyer des Œuvres Laïques dans la chambre de Mehmet et Keriman. Tout le monde est logé par 3 à 6 personnes et le problème du « baisage » paraît être, pour certains et certaines, une ombre au tableau. Pour moi, je me déclare très honoré d’avoir été admis dans la chambre du chef, dont il faut bien dire qu’elle manque de confort. Ni table, ni chaise, ni verre, ni cendrier, ni serviette. Ça me coûtera 20 F. par nuit. C’est évidemment mieux que l’hôtel à 150 F. ! Une chose est sûre : je n’aurai pas froid. Non qu’il fasse sur cette île une chaleur à crever, mais enfin ça tourne autour des 33°C et c’est singulier de moiteur. Après ça, il est 20h (locale = 01h du matin). Ce n’est pas que je sois affamé, car en avion, bien sûr, je n’ai pas jeûné, mais comme le car conduit la troupe au « Quick Restaurant » où on mange antillais, je suis, histoire surtout de rester en compagnie. Je constate que Mehmet s’est mis au Punch. Je trempe mes lèvres dans celui d’Arlette Bonnard. C’est bon ! Mais je commande un whisky quand même. Et je mange un court-bouillon de poisson pas mauvais du tout en guignant vers un crabe farci que Richard mange à côté de moi. Ce « Quick Restaurant » nous retient 3 bonnes heures, sous la houlette d’une grosse servante autoritaire qu’on croirait sortie d’un film sudiste américain.
9.7 – Il est 6 heures du matin. Je me lève en catimini car je n’arrive plus à dormir. Un coq est responsable de mon réveil, un coq apparemment très orgueilleux de son rôle de coq ! Je me douche, à l’eau froide (il n’y a pas le choix mais il n’y a pas vraiment besoin d’eau chaude –encore que… enfin moi, plus l’air est chaud, plus j’aime les bains et douches très chaudes parce qu’après il fait frais ! Mais je ne dois pas être comme tout le monde), et je descends dans l’esprit d’aller faire un tour, car le jour est largement levé. Mais tout est bouclé, on est enfermés. Le patron de la baraque est un maniaque de la clef. Je me réfugie donc dans le réfectoire où il y a des tables et des chaises. C’est là que sont écrites ces lignes.
Ai-je déjà des impressions sur ce « département français » du bout du monde ? À dire le vrai, guère si ce n’est qu’à 1ère vue, ça a l’air joliment calme et les règles de la circulation en vigueur en France n’ont pas l’air d’être appliquées le moins du monde sur les routes. Tous les autochtones que j’ai vus sont très gentils. Mais, il faut bien le dire, notre contexte est très particulier dans ce festival « dédié à la victoire du peuple vietnamien ». Je « gratterai » davantage ces jours-ci. Maintenant j’arrête, car il est 7 h et la maison s’éveille. Il paraît qu’on travaille tôt, ici, à cause de la chaleur qui est très absorbante en milieu de journée.
FORT DE FRANCE est, physiquement, une assez jolie petite localité au bord d’une belle baie. La construction du 18ème siècle en bois peint de couleurs qui se sont délavées avec le temps, est la même que celle qu’on trouve encore au Québec, en Vermont, en Louisiane. Le style « colonial » français s’y affirme, fort distinct de son équivalent espagnol, dans ces maisons à 1 étage aux toits pentus rouge foncé, qui malheureusement voisinent avec des ensembles modernes dignes du new Lisieux ou de Choisy-le-Roi. À part quelques objets folkloriques, tout ce qu’on trouve dans les boutiques est français. À Uniprix, l’eau d’Evian côtoie la Kronenbourg et le sucre de canne traité en métropole montre bien alignés ses paquets Say made in Paris ! (alors qu’ici on boit dans les rues du jus de canne pressée !). La mentalité des gens est assez difficile à cerner. Les femmes, d’une façon générale semblent fort porter la culotte. Elles sont autoritaires, souvent revêches, et prennent soin, lorsqu’elles vous accordent quelque chose (un produit dans une boutique, le droit de manger dans un restaurant, n’est-ce pas, entendez-moi bien et ne me faites pas dire ce que je n’écris pas) d’avoir toujours l’air de vous l’octroyer. En termes simples, on peut dire qu’elles ne sont pas « aimables ». Mais il est clair que ce comportement n’est pas réservé aux blancs. J’en ai vu une à la banque qui rabrouait un de ses frères colonisés, mazette !
Je ne sais pas si c’est parce que nous sommes les invités de Césaire, mais c’est incroyable ce que les hommes qui ont à s’occuper de nous sont gentils. Dans ma carrière d’organisateur, je crois n’avoir jamais rencontré tant de coopération. Exemples : j’avais un billet d’avion pour lequel je risquais de devoir allonger 2000 F. pour pouvoir rentrer à la date prévue. « Qu’à cela ne tienne », M. Renaud de Grandmaison me remet un papier à donner à AIR FRANCE : la mairie paiera la différence. J’arrive à Air France. « Ils ne pensent quand même pas qu’on va leur faire payer le supplément ? » me dit le Directeur. Et il me rend le bon, établit mon billet comme je veux et me serre la main.
Dany, l’administratrice, soupire auprès de Monsieur Alphonse, un autre secrétaire de mairie, qu’elle se serait bien loué une voiture mais que c’est trop cher. Et la voilà une heure plus tard au volant d’une 4 L prise en compte par la municipalité. Tout ça a un petit côté que moi, si j’étais un O.S. de l’île, je trouverais provocateur. Car enfin ces manières de Grands Seigneurs sont le fait d’hommes de gauche défenseurs de populations qui n’ont rien de super payées (encore que peut-être mesurent-elles à quel point leur niveau de vie, même au plus bas échelon, est supérieur à celui de leurs voisins « indépendants »). Je pense qu’à Haïti, les compagnons du dictateur Duvalier doivent être tout aussi gentils avec leurs amis. Césaire est ici un vrai Roi. Mais tout le monde bée devant lui, et c’est vrai qu’il est d’un abord charmant.
Quoiqu’il en soit, pour moi, tout est merveilleusement facilité.
Reste à ce que le spectacle qui sera joué ce soir ne déçoive pas mes hôtes. En fait il y a risque, car c’est une nouvelle mouture du CERCLE DE CRAIE que prépare Mehmet : il a viré tous les comédiens du T.G.P. Ce soir, Collin Harris jouera le Gouverneur pour la 1ère fois et Mehmet lui-même le juge Asdak. En tout 6 remplacements, et de taille !
Arlette Bonnard, un peu pâle, surveille la consommation d’alcool de son metteur en scène désormais partenaire, et fait réduire –pour qu’on aille répéter », le temps de séjour à la plage, avec raison d’ailleurs, car le soleil à midi est à la verticale et singulièrement dangereux. De fait, la représentation est un peu hésitante, et dure une heure de plus qu’à Saint-Denis ! Mehmet patauge dans son texte mais se révèle un extraordinaire acteur. Quand il ne s’emmêlera plus dans le genre des mots français, il sera prodigieux. Grâce à lui, la 2e partie bascule, devient passionnante.
Et le public lui fait une ovation. Un public dont les facultés de réceptivité, d’attention et de patience me surprennent. Au demeurant, un public nombreux.
10.07 – Journée au cours de laquelle je m’informe. Je déjeune avec Renaud de Grandmaison. Il m’emmène au bord de la mer et nous mangeons d’excellentes choses et notamment une très bonne entrecôte qui vient de Colombie. C’est en 1635 que les Français ont colonisé la Martinique. Ils ont massacré les pacifiques indigènes qui peuplaient l’île et, comme on le sait, s’étant retrouvés sans main-d’œuvre, ont importé des esclaves nègres d’Afrique. Très joli ! Les Béquets d’aujourd’hui, ce sont les descendants des blancs. Ils ont des secrets de fabrication du rhum, mais la production de canne à sucre est tombée à presque zéro parce que les betteraviers ont racheté les raffineries pour écouler leur camelote. Ceux qui ont un prénom comme nom de famille, ce sont des anciens esclaves. Du blanc pur au noir pur, la gamme est très étalée. Césaire veut arriver à l’indépendance progressivement, sans heurt, si possible avec la France, « pays avec lequel nous voulons garder des relations privilégiées ». « Ne parlons-nous pas sa langue ? ».
De fait, habitué comme je suis aux Arabes, je suis toujours épaté que les manœuvres et ouvriers que nous côtoyons ne se mettent pas tout à coup à causer un idiome inconnu. En fait, le créole est savoureux, mais on le comprend fort bien.
Cette indépendance, en tout cas, les îles anglaises l’ont maintenant (Dominique, Ste Lucie etc). Et il paraît que ça se passe très bien. Faudrait aller y voir. Ce sont en effet des pays dont on ne parle jamais et qui font un effort vers le développement des cultures vivrières, « qui seront bientôt plus importantes que de posséder du pétrole ».
Je reviendrai sur tout ça. En quittant De GrandMaison vers 16 h, je vais voir Fanny Augiac au Centre Martiniquais d’Action Culturelle, émanation du Pouvoir de la Métropole doté de fonds pour diffuser la culture française. Entre le C.M.A.C. et la Mairie, ça ne baigne pas dans le beurre.
« Pour eux », dit Fanny Augiac, « Culture veut dire Politique. Pas pour nous, bien sûr. » Bref, on retrouve un schéma familier !
Le sûr, c’est que les deux antagonistes sont d’accord pour casser du sucre sur Gosselin.
J’avais connu Jean Gosselin au Centre dramatique de l’est. C’était un comédien moyen mais un homme très sympathique et qui avait cet art de séduire les femmes dont seuls certains mâles ont le secret. Je me rappelle l’avoir croisé dans un couloir de l’hôtel du Rhin à Strasbourg en un temps où il n’y avait pas un WC par chambre. Il était tout nu, et sans pudeur m’avait annoncé qu’il venait de dépuceler une de nos comédiennes, qui d’ailleurs en avait probablement besoin.
Quoiqu’il en soit je l’avais perdu de vue, mais il avait l’amitié fidèle et il était venu un jour me dire qu’il montait une entreprise de tournées dans les Antilles Françaises.Son « marché », c’était la grosse bourgeoisie Blanche, et qu’il avait besoin de temps en temps d’un spectacle « d’avant garde ».C’est ainsi que son entreprise a marché quelques années avec, je dois le confesser, parfois, entre deux pièces de boulevard, un des spectacles que je défendais.
Souvenez vous si vous me lisez complètement de ma narration du transfert de la compagnie Houdart de la Guyanne à Belem au Brésil. Et une tournée Denis Lhorca était en préparation.
De celui-là, plus personne ne veut entendre parler et à propos de mes projets à venir, Fanny Augiac me dit qu’elle veut bien de Llorca via Gosselin, A CONDITION que le nom du tourneur n’apparaisse pas dans la Pub. Selon elle, ce nom seul fait fuir les gens ! Or, il y a du public, dans ce petit pays, et nous nous en apercevons : le CERCLE fait ses 300 personnes tous les soirs (on le joue 6 fois !) et GOUVERNEUR DE LA ROSÉE bourre absolument le théâtre Municipal. J’ai assisté à une représentation assis par terre. Entre nous, c’est pas terrible, ce spectacle, et je comprends mal son succès parisien. Ici, oui, puisqu’il s’agit d’un Roméo et Juliette autour des problèmes du déboisement d’Haïti et de la recherche de l’eau. Mais en France ? Nos critiques sont décidément bizarres. Le théâtre, tout en bois, est lui, charmant, dans le style de nos vieilles salles municipales (Montbéliard, avant la rénovation, Gray, Dôle, vous voyez…).
Les soirées, après la chaleur assez éprouvante du jour, sont très agréables. Après le spectacle qui dure presque 4 heures, ouille, ouille, ouille, mais dont la 2e partie devient extraordinaire avec Mehmet dans le rôle du juge, le Théâtre de liberté va manger des brochettes sur une plage et certains prennent un bain de minuit. C’est le chauffeur du car qui nous oblige à rentrer parce qu’il veut aller se coucher. Mehmet me demande en arrivant d’aller faire un tour ! Je vais méditer au frais. Quand je reviens, au bout d’une demie heure, Kériman dort et lui ronfle.
Demain, c’est relâche.
11.07 – Il apparaît que la gentillesse de la population que j’ai évoquée n’est pas toujours évidente avec les manœuvres, chauffeurs et autres petits noirs. Je découvre que la bonne volonté ne se répercute qu’à moitié aux échelons sociaux inférieurs et par exemple,avant-hier nous n’avons pas eu de car pour nous promener parce que le chauffeur a refusé.
Cela dit, l’île est calme, propre, bien entretenue. Hier, nous sommes allés à Salin et Ste Anne dans le sud. La nature est belle, tropicale et drue, montagneuse, avec des fleurs et des arbres de toutes couleurs. On mange très bien, avec des fruits rares et exquis. Les plages sont toutes équipées de restaurants et de bars, mais la foule ne les encombre pas.
Le climat n’est pas éprouvant. Il fait dans les 28 à 30° le jour et les nuits sont d’une douceur très agréable, ce qui n’empêche pas la troupe d’avoir mal à la gorge (moi-même j’ai cru avoir une angine). Il pleut souvent, quelques grosses gouttes qui sèchent tout de suite sur le corps ou les vêtements.
14 juillet Encore une fois, c’est relâche. On entend à la radio des flonflons militaires. On va transborder ailleurs le CERCLE DE CRAIE. À la salle des sports, il ne déplace pas les foules. 200, 300 personnes, parce que, nous dit-on, seuls les gens qui ont des voitures peuvent y venir. Mais un concert portoricain a déplacé 4.000 personnes dans le même lieu, et c’est là que le P.C. tient ses meetings. Alors on va voir, les 16 et 17, ce que ça va donner sous chapiteau au Parc Floral, qui est en pleine ville.Je suis sceptique. Ce CERCLE est trop long pour les gens d’ici. En plus, avec les changements de rôle, il s’est rallongé : presque 4 heures ! Et puis, bains de mer et de soleil aidant, je le trouve mou. L’apport de Mehmet dans le juge est inestimable, mais j’ai bien peur que son baragouin ne « passe » pas aussi bien en Avignon qu’ici. C’est incroyable comme il malmène les genres masculins et féminins ! J’ai aussi un brin peur pour le spectacle de rues d’Avignon qui ne se prépare pas du tout. Mehmet ne se rend pas bien compte qu’il est attendu au tournant ! Il se laisse vivre dans cette île où il se sent bien, rêvant surtout de plongées et de « planteur » (c’est une délicieuse boisson au rhum et aux jus de fruits mêlés). Le réveil sera peut-être dur.
AVIGNON 1975
Retour de la Martinique, j’arrive le 25, en plein milieu du Festival, à 14h. Je pose mon cul à La Civette, et j’y tiens conférence successivement avec Debauche, Périnetti, Crombecque, Pommeret, Touchard, Deherpe, Laville, Maréchal, Belit, Autranel et quelques autres dont le nom m’échappe. On me parle d’un colloque sur l’enseignement. J’y vois un groupe anglais qui présente les fruits de son travail local (très curieux et qui m’a fait songer que décidément notre culture n’en finit pas de crever, -car il s’agit de variations du type borborygme autour de chœurs très classiques et de réflexions contestatrices sur l’individualité humaine-), et j’y rencontre Tiry, J.P. Vincent, A. Vitez (qui me dit qu’il faut qu’on se voie !), Lassalle, et beaucoup d’autres dont le nom m’échappe. Fidèle à la tradition, je dîne à l’Auberge de France avec Mme Baëlde. J’y rencontre Danet, Henriette Béna, Puaux, Mercure et quelques autres dont le nom m’échappe. Le soir, au Chêne Noir, bourré, je vois CHANTS POUR LE DELTA, LA LUNE ET LE SOLEIL. C’est un concert au cours duquel Nicole Aubiat dit de très beaux poèmes sur le Rhône, la Méditerranée, le Nil, la pollution, l’invasion des H.L.M. et autres thèmes contemporains d’une belle voix chaude, avec flamme et sobriété, soutenue par une musique vibrante très professionnalisée qui n’est pas sans rappeler celle sur laquelle s’appuie Jivalik pour Maïakovski. (Les deux démarches sont très sœurs).
À minuit, je me couche.
Le 26, je me lève assez tôt et je pars à la recherche d’un solex à louer. Avec l’étalement du festival dans l’espace, la possession d’un moyen de transport me paraît indispensable. J’en trouve un, mais ça me prend la matinée. J’ai juste le temps d’aller dire bonjour à Lecat, qui trône dans des nouveaux locaux au Petit lycée, je serre la pince à Sonia et de lui demander quelques places, d’échanger quelques mots avec Massadau et Patricia Blot, et me voici en train de déjeuner avec Crombecque qui me parle de l’entreprise de Frédéric Mignon.
C’était le fils de Paul Louis Mignon, un critique et chroniqueur important de notre radio nationale. Apparemment il avait ouvert une entreprise de tournées qui se voulait concurrente de la mienne. Ca n’a été pour moi ni grave ni durable. Le seul souvenir que je conserve est que nous avons un peu sympathisé et qu’il a un jour commandé à MON agence de voyages en se référant à MOI un billet aller pour HONG-KHONG qu’il n’a jamais payé. J’ai su que de là, il avait entrepris une traversée à la voile du Pacifique. Mais mes amis voulaient m’inquiéter :
« Paraît qu’il a déjà Barba, Pif Simmons, Japelle et…La Nueva Compagnia di Canto Populare ! »
Bon ! mea culpa ! Faudra voir l’année prochaine à ne pas se pointer aux spectacles à la 30ème !
Après ce repas, j’enfourche ma monture et je vais serrer des pinces à Villeneuve. Mais je ne vois pas Houdart. Par contre, je rencontre tout le Theatracide. Puis je rentre avec l’intention de voir FEMMES + FEMMES, mais je rencontre Cellier, Josiane Horville, Vielhescaze et Vautier. Nous prenons un verre tandis que les garçons de café manifestent pour leur 15% !
Puis je vais annoncer à Constant que Laville laisse tomber le PRADO. Il en est d’autant plus désolé qu’ici, l’accueil fait à son spectacle par des salles au demeurant bourrées, ne lui paraît pas chaleureux. Benoin est navré des résultats de la tournée SKANDALON. J’ai eu coup sur coup les 2 sur le dos (à quand Bayen ?).
J’échange après ça quelques mots avec Dekmine et je vais au Bazar d’Edgar voir Pif Simmons. J’y rencontre Matthieu Gally, Darcante, Irène Ajer et Rétoré. Alain Mallet aussi bien sûr et Maria Rankow.
Ce CHILDREN OF THE NIGHT que je n’avais pas vu à Nancy, dont il fut un des événements, m’a évidemment frappé par son extrême qualité d’exécution, et je ne puis qu’approuver une démarche qui va au bout d’elle-même. Reste que j’ai été très profondément répugné et que j’ai trouvé infiniment suspecte cette complaisance à la violence, à l’insolence et à la morgue GRATUITES, cette « fiction » d’une représentation donnée par des Juifs dans un camp de la mort, où le SS est signifié (sans doute) par l’un d’eux tandis que les autres accentuent la caricature de la race élue à telle enseigne qu’on croirait par moments assister à une projection du Juif Suss.
Belle est la scène finale où les protagonistes nus chantent tandis que les gaz mortels les enveloppent. Mais tout compte fait, assez facile
« Tu aimes ? », m’a demandé une nana du Festival d’Automne juste comme je sortais ! Je l’aurais giflée ! Après ça, j’ai soupé avec Rétoré qui a apparemment fait un sacré bide avec COQUIN DE COQ, avec les Darcante et avec Irène Ajer, dont le côté fasciste m’a de nouveau sauté aux yeux.
Tout ça m’a mené jusqu’à 2 heures du matin mais j’ai eu du mal à m’endormir, car la Place de l’Horloge regorgeait de monde et d’activité. Or, cette année, je suis au 1er étage ! Je passe une nuit très agitée mais je me réveille à 11 heures.
QUELQUES PAGES PRÉMONITOIRES D’AVIGNON, MARCHÉ DE LA CULTURE, LIEU PRIVILÉGIÉ DES TRANSACTIONS
Je vais maintenant à Villeneuve en solex (on est maintenant dimanche 27) et je déjeune avec Houdart. Barry (l’impresario Argentin) est venu en France mais il n’a pas fait son virement ! Il a dû se pointer chez nous vers les 14/15 juillet ! Il a paraît-il conseillé à De Rigault d’engager Houdart aux USA. Sinon, c’est lui qui montera la tournée avec son « bureau de New York ».Dont acte !
Kay de son côté aurait décrété qu’ARLEQUIN marcherait très bien au Japon. À part ça, Houdart n’a pas reçu l’argent de l’ONDA. Alors je pars sans pognon. Il sera à Paris vers le 11 août.
De retour Place de l’Horloge, je date Mehmet à Clermont pour 15.000 —dont 5.000 espérés de Tiry, et peut-être LE SOLEIL FOULÉ et SKANDALON. Je date aussi Mehmet à Aix ! J’ai des mots avec Hauser mais on se quitte bons amis quand même. Je rencontre Bisson et Farré flanqués de Zenaker et de Nicole Garcia. Tout ce monde-là va bien. Je jette un œil au colloque. Michel Guy s’est joint à l’aréopage. Des Anglais font un exercice qui me passionne si peu que je me tire au bout de 5 minutes. Il est vrai que j’ai promis d’aller écouter Moro qui lit LE CANCER, une pièce de lui, au Gueuloir. C’est en 3 actes et en vers très libres, l’histoire d’un couple de bouchers à la retraite. Le style de cette « tragédie écologique » est plaisant. Il y a de bons mots, de l’action. C’est du bon boulevard agréable, de forme et de contenu, gentiment contestataire et désabusé. Ça pourrait marcher dans un contexte rive gauche voulant faire semblant de penser. En sortant, je rencontre Delacour. L’Arrabal marche très bien ici. C’est Mignon qui va s’occuper de la tournée des JEUNES BARBARES. Actif, ce jeune homme qui brille par son absence. Ce sont ses sbires qui rabattent : Anne Chapeauteau et Maria Rankow. Il a évidemment un avantage psychologique sur nous en ce sens qu’il offre en prime son bureau d’attaché de presse. Dommage que je n’ai pas dans mes relations quelqu’un qui aime le dialogue avec les journalistes ! Retour Place de l’Horloge, je passe un moment avec Erdos, toujours charmant, triste d’avoir dû annuler le festival de Baalbek. Il y a eu par contre un festival d’Israël, mais « très prudent » et exclusivement musical. Puis je tombe sur Françoise Brès à une table où il y a Sonzini et Girard. Je fais ainsi la connaissance de notre correspondant d’Annecy, qui a l’air gentil. Girard me dit que Bourg tombe pour LA CUADRA comme pour le CERCLE DE CRAIE. Denise Leclerc passant par là, j’apprends que Sceaux tombé aussi pour la CUADRA pour des raisons techniques. Ces amateurs ! Décidément !... Et puis Girard se lance dans une improvisation brillante, qu’il a le LIVING en Mai pour un mois par des gars de l’Université de Vincennes qui font partie de la troupe de Beck… Je le mouche un peu, mais c’est sûr que ça n’a pas fini de grenouiller dans Landernau !
À part ça, il apparaît que les impressions de Constant se confirment. Le PRADO n’a pas fait tilt en Avignon et je doute que des affaires en découlent pour LA COURNEUVE. C’est dommage. Par contre LEGERE EN AOÛT a gagné beaucoup de points. Ça va être le moment de d’expérimenter la correction des Athévains !
À 21h, je suis aux Carmes où Gildas Bourdet présente L’OMBRE d’Eugène Schwartz, un fort spectacle qui ne me lâchera qu’à 0h45, mais que je vois sans m’ennuyer.
La Salamandre de Gildas Bourdet promue Centre Dramatique du Nord y joue le texte soviétique dans le style qui a fait son bonheur avec le Molière, ce qui fait dire à des hommes hautement politisés comme Garran que l’équipe n’a joué que l’anecdote, masquant la critique du Stalinisme voulue par l’auteur. C’est sûr, le régime anachronique décrit par Bourdet s’appuyant sur une œuvre qui dissimulait son agression derrière l’aimable fiction d’un pays de contes de fées vivants, n’évoque guère l’autocratie soviétique et sans doute fallait-il en URSS la complicité d’un public avide de lire entre les lignes pour qu’éclate la dénonciation. J’ai tendance à donner raison à Bourdet, car comme ici nous n’avons pas besoin d’aller au 4e degré pour stigmatiser ce qu’en termes clairs tout le monde peut dire, j’aime mieux qu’il ait joué l’ «innocence » de l’œuvre. Son spectacle n’est pas très « signifiant » mais il est plaisant, truffé de gags et de trouvailles, bien joué. Et puis ce thème de l’ombre détachée de son maître pour mieux circonvenir la princesse aimée et inaccessible, et qui le trahira, me rappelle une des fascinations de mon enfance. Bref, j’ai marché au charme. Ce n’est pas un spectacle politique dans la France de 1975 où les combats peuvent tout de même être menés de façon plus directe. Quoi qu’il en soit, avec plus de talent, beaucoup plus, Bourdet s’inscrit dans la ligne des grands amuseurs promue par le Pouvoir. Michel Guy ne s’est pas trompé !
À 1h du matin, je vais souper avec le banquier belge Presles qui achètera peut-être une série de 6 représentations à Savary et m’aidera à défricher le contexte SKANDALON sur la Belgique. Nous sommes souvent interrompus, car à la table d’à côté il y a Philippe Adrien, à celle d’en face Bisson et un peu plus loin Maria Rankow qui trône, très Colette Dorsay, au milieu d’un aréopage où figurent Binoche, Azerthiope, Delacourt, Garran. Je suis couché à 3h15. Je dors mal. Il y a des moustiques.
Je me réveille le lundi 28 à 10h15 prêt à attaquer une nouvelle journée de « vacances » !
Je commence par m’acheter des espadrilles, puis je fais un petit tour de place de l’Horloge. Presles a autour de lui Azerthiope, le Théatracide et quelques autres marginaux. Il veut organiser à Bruxelles un festival OFF pendant Europalia, mais naturellement, il ne veut pas payer autre chose que les défraiements et à la rigueur les transports. Je préfère ne pas m’en mêler ! J’ai rendez-vous avec Cellier. Comme on n’a pas de problème pendant, c’est très amical, mais le bon Tourangeau ne m’apprend pas grand-chose. Je suis fatigué. Je fais une grande sieste, puis je vais saluer l’équipe de Mehmet qui répète au Champ-Fleury. Je ne verrai pas le spectacle de rue car ils l’ont reporté au 2 août, les salauds ! Il fait une chaleur à crever mais l’orage menace. Tant mieux ! Je passe au bureau du Festival retenir des places pour Blaska à la Cour d’Honneur le 31, des fois que ça plairait plus à Thérèse que 14 juillet de Serge Ganzl, dont tout le monde confirme que c’est un four ! Pièce ni faite ni à faire et mise en scène de Llorca inexistante. « C’est forcé, explique Baëlde de sa grosse voix, « il a passé son temps à faire le va-et-vient entre Carcassone, où il montait et jouait Hamlet) et Avignon. Si bien que ni l’un ni l’autre spectacle n’est bon ! » Après, je passe à l’oratoire pour faire dire aux Athévains où ils peuvent me joindre.
C’est plus calme aujourd’hui. Beaucoup de gens sont partis. Le Syndeac tient ses assises annuelles dans un lieu secret. Vielhescaze sera-t-il réélu Président ? Agugui mène grand train sur la place.
Je vois la femme morcelée par le groupe Organon, « régie générale » de Patrick Morelli. C’est une co-production du TEC, ce qui annonce bien la couleur. IL s’agit d’un montage sur la condition de la femme des origines à nos jours, et sur la nécessité d’harmoniser les révolutions.
Avec moi, vous le savez, ça prêche un converti. C’est bien fait, clair, en 4 « volets », 1/ l’éternel féminin, 2/ exposé historique montrant comment la femme a peu à peu conquis une situation économique inférieure, 3/ situation de la femme travailleuse aujourd’hui, 4/ Buts à atteindre (cette dernière partie en forme d’oratorio posant des questions plutôt qu’offrant des perspectives. En contrepoint des sketchs riches en chansons et en gestuelle qui sont perpétrés par 4 artistes, 2 hommes et 2 femmes comme dans COUPLES, appuyés par un petit orchestre, des projections nous montrent des moments de la lutte féministe, et des citations de Marx, Engels, et quelques autres penseurs irréprochables. Tout ça est très orthodoxe. Morelli me téléphonera le 20 août, car il veut qu’on l’aide ! Pourquoi pas ?
Après ça, je rentre paisiblement Place de l’Horloge et qu’est-ce que je vois ? Elle est bouclée par les C.R.S. J’entre parce que j’habite à l’Auberge de France, mais autrement personne ne passe et chacun s’interroge sur les motivations de cette provocation que rien ne paraît justifier. On me dit qu’il y a eu des matraquages de jeunes. « Arrêtez-moi », gueule Puaux aux cent coups. Il insiste tellement que pour lui faire plaisir un chef l’embarque fort poliment. On voit réapparaître le Directeur 1/4 d’heure plus tard. Toujours est-il que ce soir-là il y a peu de monde et pas de spectacle au Palais. Alors l’opération fait long feu et à 1 heure du matin, les vaillants défenseurs de l’ordre se dispersent, me permettent d’aller boire un verre avec Debauche, Garran et Autrand qui prenaient le frais à la Cité des Papes de l’autre côté du barrage ! On parle de l’ONDA qui agite beaucoup le SYNDEAC. Je me couche à 2h et une fois encore j’ai du mal à trouver le sommeil.
Je me réveille à 10h le mardi 29. J’écris ces lignes puis je vais acheter le journal. Thorent me saute dessus. Il a « pensé à moi » pour que j’organise la tournée d’une pièce d’Haïm qu’il joue à Vaison avec François Maistre. Je prends le texte en disant que je vais le lire ! Puis Valverde m’invite à déjeuner à la Magnaneraie où il a ses quartiers. Micheline Uzan est de la fête. Elle veut tourner sa Religieuse Portugaise. Je lui dis que 1500 F. est le prix le plus élevé qu’elle puisse demander, tout en dégustant un brochet, je ne vous dis que ça, à l’ombre des Platanes. Il n’y a que les Communistes bon teint pour savoir bien vivre. Valverde me dit aussi qu’il va m’acheter des spectacles, car il ne monte rien lui-même cette année. Il poursuit son projet de Centre Lyrique National avec Luccioni dont il espère qu’il verra le jour en octobre 1976. Puis je tiens avec Binoche un meeting de 2 heures sur le Théatracide au terme duquel je rentre à l’hôtel car un coup de fil à Monique me paraît s’imposer. Je rencontre Dido, qui joue LÉGÈRE EN AOUT, et Jacqueline Kaps, qui joue l’APOLOGUE. Un gros orage éclate sur le coup de 18h30. Je parle une demie heure avec Jacques Echantillon qui voudrait absolument que je vienne à Sète voir l’Hamlet de Llorca vers le 25 août et le Rosenkranz de Prévaud à la même époque. Puis je casse une graine au snack du Palais des Papes avec J.J Fouché qui a beaucoup grossi depuis qu’il est Directeur de Maison de la Culture. On fixe la date de Mehmet et on cause de sa politique d’accueil qui ne me satisfait pas pleinement. En sortant, je vois Noëlle Roche qui est inquiète parce que Tiry ne lui a pas écrit qu’il subventionnerait Mehmet ! Je la rassure comme je peux
et je vais voir LA BEFANA au Chêne Noir. Beau spectacle que Périnetti a engagé pour un mois à Paris en février. Si j’étais méchant, je dirais que le contenu est le même que ce que gueule Mouna sur la Place de l’Horloge, mais que l’esthétique est beaucoup plus belle ! Il y a en fait des moments magnifiques tout baignés d’un Christianisme d’imagerie populaire qui n’engage pas au fond, mais qui prouve l’imprégnation de Gélas à cette religion que porte en soi le Peuple du Sud, même quand il devient Marxiste, et des instants de contestation de la Société de consommation qui ne sont pas très originaux et même ne volent pas très haut. Le rythme, avec importance de la musique, est lent et majestueux, cosmique et sensible au rond.
En sortant, je rencontre Chantal, Christophe et Bourseiller. J’apprends ainsi que mon fils est bachelier !
Scoff va monter « Pour l’honneur et pour des Prunes », texte liant les événements « Pour l’exemple » de 1917 et ceux du camp de Draguignan en 1974. Tournée après Pâques 76, 15 personnes + 2 ou 3 techniciens. Calculer sur 20 personnes à 200 F. ce qui fait 4000 F. et avec les charges 5600 F. Le matériel nécessitera un camion d’une importance certaine (sacs de sable, praticables, tables, chaises, matériel de musiciens, projecteurs, 2 poursuites, sono, jeu d’orgues etc…).
Un mini spectacle sur le Procès de Draguignan sera donné en « animation ». La Cie doit gagner 2000 F., ce qui nous met à 7600 F. + avec nous 8400 F. Ce sera le prix plancher. Demander 10.000 F. + transports et défraiements. Scoff se joint maintenant 26 rue Poliveau, 75005. Pas de téléphone. Messages au TEP. (ou à titre absolument exceptionnel au 3364205).
Ce matin 30 juillet, je rencontre Delacour avec qui je parle longuement. Puis je vais à un RV avec Gélas, mais comme au bout d’1/2 heure il n’est pas là, je conviens que j’ai assez pris le frais dans sa chapelle et je décide que je reviendrai demain. J’ai un meeting avec Mounier, qui est définitivement à la Rochelle, et avec un barbu roux qui est directeur provisoire au Havre. J’assiste ensuite, par une chaleur accablante et une pluie intermittente, à la répétition du spectacle de rue de Mehmet. Une jolie histoire qui raconte avec l’aide d’un bulldozer très spectaculaire ce qui arriverait aux petits poissons si les requins étaient des hommes. Puis je vois Chantal de Villepin qui prépare devant moi un chèque de 5.700 F. qu’elle m’enverra quand il y aura de l’argent au compte de Vielhescaze. Je rencontre aussi Armand, le barbu des Athévins.
Si je comprends bien, LÉGÈRE EN AOUT qui se vend est son affaire et LES MAUVAIS BERGERS que personne ne demande est la mienne ! Pourquoi pas ? C’est une façon de voir les choses ! Je vois Dany pour les photos de Mehmet et la fiche technique, et aussi Richard pour le pognon ! (Mais il n’a pas son chéquier
COMMENTAIRE a-POSTERIORI
Il est frappant de remarquer que dans ce survol de ces journées, je parle peu de spectacles vus. En vérité, le Gintzburger qui navigait dans cet Avignon 75 y était pour des raisons de business. J’achète ci, je vends ça. C’était mon métieret déjà cela commençait à devenir un marché. Non que le off y soit déjà devenu omniprésent. Mais c’était le rendez-vous incontournable des professionnels. Il fallait y aller. Il fallait y être vu. On y traitait des affaires. Il importait de se méfier des concurrents. L’A.F.A.A. y tenait ses assises. L’O.N.D.A. également.et la S.A.C.D. Bref en quelques jours on croisait des gens qui étaient disponibles pour parler alors qu’à Paris certains n’accordaient leurs rendez-vous qu’au compte-goutte.Apparemment je connaissais beaucoup de beau monde et j’étais estimé.