Du 26 au 30 avril 1975
26.4 – Belém ne ressemble en rien au reste du Brésil. Située à l’embouchure de l’Amazone, cette ville de 900.000 habitants complètement isolée n’a pas été atteinte par l’expansion brésilienne, et ça lui donne un côté provincial, désuet et colonial des plus charmants. Pour vous donner un exemple, c’est un coq qui m’a gêné pour m’endormir à 3h du matin. Sur le bord de la rivière, se tient un marché très pauvre et très coloré. Les bateaux des pêcheurs ressemblent à ceux que l’on voit dans les vieux films sur le Mississipi, en plus baroques. Beaucoup de maisons sont en bois. Personne ne porte de veste. En rentrant à l’hôtel hier soir nous avons croisé des garçons et des filles qui chantaient et dansaient dans la rue. Il y a même, chose inconnue ailleurs, un folklore artisanal, pas très beau, fait de matériaux pauvres, mais persistant. Le théâtre, dans le plus pur style espagnol, est grand et beau. Houdart était ravi, car d’après ce qu’il m’a dit, aux Antilles, il n’a pas été gâté en salles. Il semblerait que Gosselin ne trouve plus d’endroits convenables pour présenter ses tournées. Les directeurs des cinémas qui l’accueillaient naguère lui demandent maintenant des 3 et 5.000 F. de location. Il ne peut pas suivre et se réfugie dans les salles de patronage où il avait fait ses débuts il y a 25 ans. D’un autre côté, Houdart me confirme qu’aux yeux des locaux, il signifie la métropole dans ce qu’elle a de pire. Il est allé voir la nouvelle directrice de la Maison de la Culture. Elle ne lui a pas caché qu’il était boycotté, et que ce serait aussi le cas du Marathon. « Nous n’avons pas besoin de Marathon », lui a-t-elle dit, « mais d’argent pour faire vivre les troupes locales ». Houdart, en tout cas, a joué devant un maximum de 200 spectateurs. Le contexte (on ne le découvre pas, mais Houdart vient de le vivre concrètement) est anachronique. Et LA TOUR DE NESLES aurait été un désastre. Cela dit, Gosselin, qui est venu jusqu’à Belém avec le groupe, dit que la femme de Paquet va venir diriger un stage d’un mois à la Martinique. Houdart lui donne 2ans, mais lui fait des projets, et va venir en octobre avec une troupe antillaise de Paris. C’est une riposte comme une autre ! Il s’accroche. Houdart a affirmé qu’il avait conseillé aux interlocuteurs locaux de s’adresser à nous. On verra. En attendant, ce matin, il est collant le Gosselin. Je n’ai qu’une matinée à passer dans cette ville. Je n’ai dormi que 4 heures parce que je devais aller voir à quoi ressemblait l’Amazone. Après quoi, je souhaitais causer sérieusement avec Houdart d’une part, Houdart et Schnerb ensuite, Schnerb tout seul enfin. Et ce grand escogriffe est toujours là, écoutant tout et mettant son grain de sel, comme s’il s’agissait de futilités. Enfin, j’en prends mon parti, mais Merde, je n’agirais pas comme ça, moi ! Gosselin sait donc que Schnerb fera la trésorerie de la tournée en Cruzeiros à 1 Dollar = 8 Cruzeiros, et que s’il apparaît qu’on ne dépensera pas tout au Brésil, c’est Sao Paulo qui transfèrera par le canal de l’Alliance Française, le reliquat éventuel. Il sait que Schnerb vivra pendant cette tournée avec mes 40 Dollars de défraiement. Il sait que le matériel fera certaines étapes par la route. Il sait que Schnerb ira jusqu’à Buenos Aires le 26 mai pour me rendre les comptes. Il sait que je propose pour l’année prochaine Llorca et Bisson. (Pour Llorca, ça ne me gêne pas, mais Bisson, ça ne le regarde pas, et voilà qu’il se met à s’y intéresser pour ses Antilles ! Comme si c’était concrétisable !). Il sait que Barry s’intéresse au Grand Magic Circus et que Schnerb ne trouve pas la chose impensable, « si Savary veut bien sucrer la nudité ». Il sait l’opinion de Greffet sur Brigitte Perrault et mon opinion sur Greffet. J’en passe ! La seule chose qu’il importe qu’il sache, à savoir que le MARATHON doit se jouer à Haïti le 20 et le 21, et non pas les 21 et 22, lui entre très nettement par une oreille pour en sortir par l’autre ! Quant à la batterie de Confortès, si Dieu l’Aide, il la trouvera ! Peut-être la trouvera-t-il, d’ailleurs puisque, -et ça agace horriblement Houdart- il ne « travaille » que par « copains » qui le dépannent dans ses improvisations.
Vous allez dire que c’est sa fête, au Gosselin, mais écoutez : on rentre à l’hôtel parce que je dois boucler ma valise à 13h. Je convie Schnerb à monter dans ma chambre. Eh bien, Gosselin s’engouffre avec nous dans l’ascenseur, descend au 5e, comme nous, et entre avec nous au 505 !!! Quant à Schnerb, toujours la barbe rousse au vent, je crois qu’il sera efficace. Un peu fantaisiste, mais il connaît si bien ce pays, ET SA LANGUE—, que je peux partir tranquille. Houdart d’ailleurs est très décontracté. Il lui confie tous les billets d’avion, une fois pour toutes, et annonce qu’il se contentera de toucher son défraiement, en guise de comptes, pendant tout le Brésil.
J’aurais voulu parler à Houdart des combines de Barry. Mais là, la présence de l’indiscret m’a trop gêné, et je me suis tu. Le sûr est que l’équipe a été très contente de me voir fidèle à ce rendez-vous de Belém. Je pense qu’il était en effet fort nécessaire. Moi, en tout cas, je pars rassuré. Tout est en ordre
…
et je fais vers Brasilia un voyage admirable. D’abord, nous remontons l’Amazone et croyez-moi, pour un fleuve, c’est un fleuve, avec des eaux rougeâtres qui tranchent sur le vert de la forêt qui s’étend de chaque côté à perte de vue, sans une maison, sans une route. Vous pouvez rassurer les écologistes de Charlie Hebdo. Les Généraux brésiliens n’ont pas réussi dans leur tentative d’asphyxier la terre ! Sur 4 heures de vol, pendant 3 heures, je ne vois que des arbres, que des arbres avec de temps en temps –très rarement- une agglomération surgie on ne sait pourquoi, d’où partent des routes sans issue (ça se voit très bien d‘avion). Ces points de civilisation datent sûrement d’avant l’Aéronavale ! Comment ont-ils surgi ? Comment communiquaient-ils ? Étrange ! Car ils ne sont pas au bord de l’eau. L’appareil de la VASP est un caboteur. Il s’arrête dans deux de ces localités. J’en suis surpris mais il monte et descend des gens. En tout cas, par là, pas de building. Des maisons blanches avec toits de briques rouges. Posés sur un de ces mini aérodromes, nous essuyons un orage redoutable. Il fait si chaud dehors que de la buée blanche sort des bouches de climatisation.
Et puis, il y a des nuages extraordinaires, des nuages comme je n’en ai jamais vus, décrivant des villes, des forteresses, des vallées de fiction à arêtes vives (ça, bien sûr, quand on est en vol). Un coucher de soleil sans pâleur précède l’arrivée à Brasilia. Cela dit, en lisant le journal en portugais qu’on m’a donné, je vois que le Père Duclos est mort. Je crois que c’était un bon Communiste. Il est surprenant que DIARIO DE BRASILIA lui consacre 2 colonnes.
J’ai un peu mal au crâne en arrivant à l’hôtel Nacional. Néanmoins, je passe un coup de fil à Demarigny, qui me dit qu’il va venir me voir à 21h. Il arrive en effet, col ouvert et sportif. Il a dîné, moi pas. Alors nous allons à la Pizzeria voisine dont je suis un habitué, et je me tape une saucisse choucroute. Il est charmant, Demarigny, et pas tellement con. Je lui parle, comme à Schnerb, de Llorca et Bisson. Mais, ce qu’il repère dans ma liste, tenez-vous bien, c’est SKANDALON, parce que, je cite, « le Brésil étant une entité disparate unie autour de 3 idées, la langue portugaise commune, la capitale Brasilia arbitraire, et le football, ferment de l’unité nationale cocardière », une démystification du sportif à travers une discipline qui n’attirerait pas trop l’oeil des censeurs, lui paraîtrait des mieux venues. Je dois dire que l’idée m’amuse, mais une fois encore la question se pose à moi de QUI ATTEINDRAIT- ON ? Le passage un jour ou deux de Benoin déclencherait-il un rudiment de mouvement ? Je lui dis que Houdart fera peut-être novation ici. Il n’en disconvient pas, mais le problème est d’informer. « Peut-être, soupire-t-il, mais ils s’en apercevront après le départ de la troupe. » Eh oui ! On va jouer en circuit presque clos, entre diplomates, mondains, et membres d’une alliance française qui groupe 1.000 adhérents. Il y a vraiment quelque chose de disproportionné entre les moyens mis en œuvre (25 briques tout de même), et l’infinie petitesse de la goutte d’eau frappant la surface de l’océan. À part ça, Demarigny connaît bien LE SOLEIL FOULÉ PAR LES CHEVAUX. Il n’aime pas, mais je crois que c’est parce qu’il a, lui, écrit une pièce sur le même sujet. Voilà donc ! Par contre, il estime Pacciani, dont il m’affirme qu’il n’est pas plus italien que moi, mais argentin ! Tiens !
Enfin, on cause pendant 3 heures. Il me quitte à minuit et je dois dire que je n’ai pas de peine à trouver le sommeil, d’autant que Brasilia est calme. C’est la seule ville de ces pays où les bruits soient feutrés. Cela tient aux espaces. C’est bien reposant.
27.4 – Et me voilà reparti. Vers Lima. Avec 1h30 de retard. Comme d’habitude dans ce pays, mon passeport a disparu pendant une heure. J’ai vraiment horreur de ces méthodes qui démunissent l’étranger de la seule preuve qu’il ait qu’il le soit vraiment. Dans l’avion, je feuillette distraitement un journal qu’on m’a mis dans la main. Et c’est par hasard que j’apprends ainsi que LE PAO E CIRCO va présenter dans 8 jours à Sao Paulo « La lamentable histoire de Titus Andronicus » de Shakespeare. À la page suivante, je tombe sur une photo de Gilda Grillo. Apparemment mes amis ont repris du service dans leur patrie. Voilà. Je vous raconterai la suite dans un prochain envoi. Je vais tâcher de poster ces lignes à l’aéroport de Lima en débarquant. De là il y a des lignes directes avec la France.
27.4 (suite) - Je trouve que M. Boeglin est moins attentif que ses confrères. Je lui avais certes écrit qu’il n’était pas obligé d’aller me chercher à l’aéroport, mais il aurait pu quand même le faire, ou tout au moins me laisser un message à l’hôtel, en tout cas prendre de mes nouvelles et s’informer de ma bonne arrivée. Enfin bref, pour l’équivalent de 15 F., je suis allé tout seul comme un grand à l’hôtel Alcazar –qui n’est pas un palace !- et j’ai commencé mon séjour au Pérou en lavant mes petites chemises dans le lavabo. Après quoi, je suis parti à pied et j’ai marché 2 bonnes heures dans la ville. Vous me direz que c’est faire une astuce bien bon marché que d’écrire que Lima, ça n’est pas le Pérou, mais le fait est que physiquement, c’est une ville minable et qui sent avec évidence la pauvreté. Certes, il y a une belle place d’arme qui n’est pas sans rappeler la Place Stanislas. Il y a aussi quelques maisons en bois « très vieilles » comme dirait la maman Ulusoy. Mais dans l’ensemble les rues sont lépreuses avec des édifices qu’on n’a sans doute jamais ravalés. Les seuls buildings rutilants neuf sont l’hôtel Sheraton, Olivetti et la Banque Minière du Pérou. Cela dit, des banques, il y en a des masses. Je ne crois pas en avoir jamais vu tant ! C’est curieux. Il faudra que je me fasse expliquer le phénomène. Je n’ai pas vu grand-chose de ce qu’il y a dans les boutiques, parce que c’est dimanche et que les rideaux de fer sont baissés. À en juger par les rares vitrines éclairées, les produits semblent avoir la qualité de ceux qu’on trouve à Wroclaw, folklore y compris. L’année dernière, j’avais été fasciné par la beauté de ce qu’on voyait dans les boutiques de l’aéroport : tout doit être à l’aéroport.
Ceci est un préambule. En réalité, cette ville a une âme et elle m’a été sympathique. C’est intervenu sur une place, où mille marchands ambulants vendaient à la criée des nourritures étranges et des herbes vertueuses, tandis que le peuple entourait des joueurs d’instruments étonnants. Ça s’est continué dans un parc à l’herbe rase sur laquelle étaient allongés très tendrement quoique sans aucune équivoque, des couples d’amoureux. Certains devaient être des couples concrets, puisque des marmots jouaient autour d’eux. Très peu de voitures particulières, mais une multitude de bus, de minibus et de taxis collectifs, tous aux couleurs ayant un jour été vives, bondés, et certains datant des premiers temps de l’automobile. Ici, la CUBANA DE AVIACION a un bureau et les posters de Castro sont en vente à côté de ceux de Staline. La Prensa titre : « Le Portugal a voté contre la droite », ce que j’avais compris en lisant les journaux brésiliens, mais ce n’était pas dit de la même façon. Sommes-nous dans un Pays Socialiste ? Il y a eu des signes, des slogans politiques exaltant à la « victoire », (mais ils sont défraîchis), une exceptionnelle quantité de bibliothèques, écoles, officines médicales, caisses de Sécurité Sociale. Mais il y a des mendiants pathétiques et des maigres anormalement apathiques. Le luxe semble être absent, mais dans l’ensemble, la population est honnêtement sapée. Le sûr est que le petit commerce privé à l’Arabe est florissant. Mais digne. Nul n’agresse l’étranger au gros ventre. On ne semble même pas le regarder. Monique aurait été heureuse. À l’heure des Vêpres, je suis entré dans une église. C’était bourré, et qu’est-ce que ça priait ! À genoux sur le sol, bras en croix ou mains jointes. Et ça regardait le ciel avec tout son cœur ! J’ai jeté un œil sur la TV tout en dînant. La « PANAMERICAN television » diffuse autant de pub que ses consoeurs, mais elle est annoncée comme « nécessité commerciale », et le programme que j’ai vu était une retransmission depuis le théâtre municipal d’un festival de Folklore. La D.D.R. y participe. J’ai vu une troupe d’Okinawa (Japon), présentée de façon très culturelle par une commentatrice.
Voilà : le « touriste » abandonné a « éprouvé » une « humanité » misérable mais « vivante ». C’est bien isolé un touriste, c’est bien subjectif. Demain nous nous informerons. À noter tout de même que les flics sont loin d’être absents des rues, et qu’ils vont 2 par 2, colt à portée de la main et matraque à la ceinture. Cette police n’a pas l’air d’être la police du peuple. Il aurait fallu que je ressorte le soir pour voir si elle a à intervenir parfois. Mais il faisait très froid (Eh oui ! On se fait des idées sur l’équateur !), j’étais fatigué. Et puis je m’étais encore éloigné de vous de 2 heures. À 9 h locale (p.m.) j’étais au lit.
28.4 - Eh bien ! C’est plus « Socialiste » que je ne l’aurais cru. Mais ce l’est un peu, comme l’Algérie, par une voie « séparée ». « On » a nationalisé les ressources minières et le pétrole. Seulement pour ce pétrole, il y a un problème : il est dans les Andes, et la seule route qui permette de l’écouler va… au Brésil, si bien que les Péruviens vendent leur or noir aux Généraux fascistes d’à côté et achètent le leur aux U.S.A. ! Mais, pour que le prix de l’essence ne fasse pas monter celui des aliments dans le Pays, le gouvernement subventioanne les pompistes et l’on fait ici le plein d’une DS avec 20F.
On a aussi fait la réforme agraire, en apparence très correctement, puisqu’on a indemnisé les propriétaires terriens. Cette indemnisation vaut d’être narrée : on s’est basé sur les déclarations d’impôts des latifondiaires et comme ils déclaraient à peu près 1/10e de leurs revenus, ils ont été baisés. En plus, ce 1/10e, on leur a donné en bons qu’ils étaient obligés d’investir dans l’industrie du Pays en y ajoutant de leur poche une somme égale, ce qui les contraignait à rapatrier les fonds qu’ils avaient garés à l’étranger ! Comme, après tout ça, ils devenaient Propriétaires de Parts dans des usines gérées par des « Conseils ouvriers », vous voyez d’ici leurs gueules.
C’est M. René Gavédic, un Breton qui dirige l’Alliance Française, qui me raconte ça, d’ailleurs en se lamentant, car il est présentement saisi d’un cahier de revendications émanant de son personnel péruvien qui me paraît relever du même esprit que celles des machinistes de notre Opéra.
Comme l’Alliance fonctionne comme une entreprise privée, tirant ses fonds des riches étudiants en langue française, vous voyez là encore l’esprit de la chose ! Au fond, c’est monstrueusement une affaire de classe, cette Alliance Française, car, à voir les bâtiments de l’entreprise à Lima, à penser qu’ils s’enorgueillissent de 100 adhérents, ça veut dire quoi ? Expliquez-moi ce « quoi » ? J’ai été présenté à la Présidente, une vieille peau décrépite qui portait, il faut bien le dire, encore de belles frusques ! (Je fais une parenthèse pour dire que j’écris ça dans un restaurant de haut Luxe où pour l’équivalent du 1/20e du salaire mensuel d’un professeur, je viens de manger un délicieux spaghetti, et un jambon au melon arrosé d’une bière et d’un alcool réputé Incas, tandis qu’on passe à mon intention un disque de Brigitte… Fontaine !).
Monsieur Boëglin n’a rien à voir avec ses homonymes. Tout au plus a-t-il entendu parler de « celui qui était au F.L.N. », car, la Police Française, les ayant un moment confondus, avait tendu une souricière autour de son domicile. Comme à l’époque il était professeur à Sofia, ville que fréquentaient beaucoup les Algériens, il avait eu quelques peines à faire admettre que ce n’était pas lui. Ce Boeglin-là a fait toute sa carrière dans l’Est. 8 ans à Belgrade, 4 à Sofia, 1 à Cuba. Encore un qui parle de La Havane en termes lyriques. Décidément il faudra que je finisse par aller y voir. Il était professeur à l’Université, et ses horaires de cours étaient 20h-3h du matin, parce que dans la journée, ses étudiants participaient à des tâches manuelles. Il raconte suavement que les manifs pour le Vietnam étaient préparées ici avec le même sérieux que par ses étudiants bulgares. Seulement, à l’arrivée, après 15 jours d’ « éducation politique », dans le pays Balkan, le meeting était désespérant de sérieux, tandis qu’à Cuba, il commençait en rodomontades où il était question d’envahir la Floride, pour s’achever, au rythme d’une transformation progressive, en fête dansée et chantée où le Vietnam n’avait plus grand-chose à voir.
Toujours curieux, j’ai demandé, (parlant du Pérou), « et quelle est la condition de la Femme ? » - « Juste au-dessus de celle de l’âne », m’a-t-il répondu, « parce qu’elle marche sur ses deux pieds quoique ployée sous le harnais ». Cela dit, le divorce, la contraception, l’avortement sont libres, MAIS PERSONNE N’EN SAIT RIEN parce que le gouvernement poursuit une Politique Nataliste et stigmatise le Malthusianisme occidental. « Ça n’empêche pas », dit-il, « les plages des environs d’être d’authentiques baisodromes »…
Comme vous le voyez, le Pérou n’a pas grand-chose à voir avec ses voisins, et je vous dirai franchement que je m’y sens mieux. Ici, on exile les opposants, on ne les torture pas. On parle pourtant d’un camp qui serait dans la forêt vierge mais existe-t-il ? Sans doute. Que s’y passe-t-il ? Mystère. Il n’y a pas de « censure », mais il faut pour jouer une autorisation. Comme dit notre impresario, M. Vargas, un vieillard utilisé pour les tâches que ne saurait faire un diplomate français, la loi dit que cette autorisation n’est nécessaire que pour les spectacles étrangers, « mais elle le devient de plus en plus pour les réalisations nationales. » Voir. Il l’affirme. Je n’en sais rien et c’est un nostalgique évident du temps où le Pérou était le Pérou pour tout le monde sauf pour les Péruviens. Notre consulat, une fois de plus, choisit bien ses satellites. À propos, saviez-vous que si nous n’avons pas d’Ambassade dans ce pays, c’est parce qu’il a rompu avec nous à propos des expériences nucléaires dans le Pacifique… « À 13.000 Kms de ses côtes », dit Boëglin, narquois. Ça n’empêche pas le drapeau bleu blanc rouge de flotter sur l’édifice de la Plaza Francia (qu’on n’a pas débaptisé), la Maison de France d’être très présente en plein centre de la ville, et l’Alliance d’avoir deux sièges très somptueux (théâtre excepté). Anecdote amusante, les Péruviens attendent pour renouer les relations, que la prochaine expérience ait lieu, puisque Giscard a annoncé qu’elle serait souterraine. À telle enseigne que si pour une raison ou une autre elle n’avait pas lieu, ces retrouvailles risqueraient d’être différées. On se marre, mais la conséquence de cette rupture est que la France a rayé la ligne culturelle sur le budget du poste de Lima, qui se démerde dans la « pauvreté ». Voilà qui me paraît logique. L’argent va donc là où c’est facile et est retiré là où il serait utile ! Cela dit, on m’a présenté au détour d’un couloir un Monsieur dont le titre était « Conseiller Nucléaire ». J’aurais bien aimé saisir ce qu’il foutait là.
Comme vous le savez, tous nos postes ont leur « gauchiste » relatif. Ici, c’est Melle Carmen Compte, encore un Professeur. Elle est chargée de la diffusion Culturelle. Elle aime bien le Pérou, mais précise que Lima n’est pas le Pérou. De fait, je crois que ce pays, et pour son Physique, et pour sa Ligne, mériterait qu’on s’y arrête intelligemment. On y respire l’air d’un monde en transformation, avec des absurdités, et, comme disent les sceptiques, une bureaucratie déjà en place. (En effet, m’étant mis en mal d’achats et n’ayant changé qu’un minimum à l’aéroport, j’ai voulu donner des travellers à mon hôtel où l’on m’a dit qu’on n’avait le droit de me donner en Sols que l’équivalent de 20 Dollars. Je suis sorti désespéré… Pour découvrir que toutes les boutiques étaient autorisées à recevoir des paiements en dollars le plus légalement du monde !).
Je ne sais pas si Houdart triomphera dans ce pays. À la différence du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay, les Marionnettes y sont un art national, et en ce moment même, Meschke joue au Théâtre Municipal. Le sûr est que son stage est attendu de pied ferme, quoique avec amitié, par l’école de formes animées que dirige Mme Aramayo. Il se passera dans son théâtre et le tout Pérou du guignol sera là. Il durera de 9h à 12h et de 15h à 18h. Notre ami n’aura qu’à bien se tenir. Ses interlocuteurs savent tout de son art dans notre pays, et s’étonnent seulement que son nom ne soit pas venu jusqu’à eux. J’ai eu un peu l’impression que la Weigel attendait Bruno Bayen « avec beaucoup d’intérêt » ! (Oui ! Ça vient vraiment l’esprit « Socialiste », ici). Enfin, on a réglé les problèmes. La troupe jouera dans le théâtre de 250 places de l’Alliance de Lima parce que celui de 400 places de Miraflorès est moins qu’une salle de patronage, avec une scène impraticable et AUCUN équipement. La salle de Lima n’est pas brillante, mais elle a un jeu d’orgue, 20 projecteurs, un UHER et une sono. Nos invitants ne comptent d’ailleurs pas sur les foules. Chiffres en main, j’ai l’espoir qu’Houdart ne devra rien en partant. Peut-être même acquerra-t-il quelques Sols… qu’il vaudra mieux dépenser sur place.
On sera sans doute exemptés d’impôts, et M. Boeglin, qui est très content de cette visite, se fait fort d’obtenir du directeur d’Air France que le matériel reparte en bagages accompagnés au tarif du fret. Ça obligera toutefois à attendre l’avion du jeudi. La tournée s’achèvera donc, après un Godot le 30 mai, le stage le 31, une relâche le dimanche 1er juin, un Arlequin le 2, et un Ionesco le 3, par une journée de campo, à moins que le triomphe ne justifie une séance supplémentaire qu’il faudra négocier avec la troupe, car jamais elle n’atteindra 3.500 F. . On a fixé les places à 10 F., et 6 F pour les étudiants, ce qui est cher, paraît-il. Il y a beaucoup de bonne volonté autour de cette affaire, beaucoup d’amateurisme aussi, et un certain scepticisme. On verra bien. Le risque est circonscrit. Je ne pouvais pas faire mieux.
À part ça, il paraît que beaucoup de gens possèdent des voitures, mais qu’elles n’ont pas le droit de rouler tous les jours pour économiser le carburant. Les particuliers ont le choix entre samedi et dimanche, lundi et mercredi, ou mardi et jeudi. On n’a pas voulu imposer le week-end, parce que les travailleurs ont le droit d’aller à la campagne. Si vous remarquez bien, le vendredi, tout le monde a le droit de rouler. Il paraît que ça fait un fabuleux défoulement. J’ai dit que je dînais pour 1/20e du salaire d’un professeur. Celui-ci est de 700 F. par mois. Mais il faut dire que j’avais choisi mon établissement avec un grand souci de confort. J’étais fatigué après une journée très active et je ne désirais pas prendre de risque culinaire (j’ai échappé jusqu’ici à la « turista », pourvu que ça dure). En vérité, dans les petits bistrots, qui affichent les menus à l’ardoise, on trouve des plats à 1,50 F., 2 F et hier soir, mon poulet au riz, très bon, m’a coûté 7 F. . 1 kg de pommes au marché vaut 0,50 F. (contre 3F. au Brésil). Et les plus hostiles au régime reconnaissent que le taux d’inflation du Sol est très faible. Ce peuple est d’autre part digne, et j’ai été frappé par le fait que les petits mendiants éprouvaient tous le besoin de donner quelque chose en échange de l’argent sollicité. Oh rien ! une ébauche de coup de chiffon sur un pare-brise par exemple. Mais enfin ce n’est pas la main tendue. Et le porteur n’a pas maugréé à l’aéroport quand je lui ai donné, sans me rendre compte du taux de cette monnaie que je venais de changer, 2 pièces qui représentaient l’équivalent de 5 de nos centimes !
Je me couche vers 22 h, bien content de n’avoir pas eu à faire d’avion aujourd’hui. Demain, je m’en tape 8h en direction de Mexico. Adieu Houdart et bonjour Confortès.
PROSPECTION, ACCUEIL et TOURNÉE AU MAXIQUE AVEC « LE MARATHON » DE Clude CONFORTÈS
29.4 - Un taxi anglais datant de 1920 et conduit par un vieillard, me conduit tout brinqueballant à l’aéroport. Ca a dû être une voiture de Maître, mais le moteur était si faible que j’ai cru que je n’arriverais jamais.
Me voici quand même dans un avion des Aerolinas Argentinas qu’il m’a fallu attendre 1 h. Ici, ils sont marrants. Quand l’avion est en retard, on ne vous dit rien. On se contente de changer l’horaire sur le tableau au-dessus des employés. Ça m’a permis de parfaire mes achats. Je les ai complétés à Bogota à l’escale. Ces aéroports souks sont décidément très alléchants, mais rien n’y est donné. À part le Whisky qui coule 5 Dollars le quarter, c’est même vraiment cher. Je ne suis pas mécontent de penser que c’est mon dernier voyage en avion avant lundi soir prochain. J’en ai carrément marre de ce moyen de transport qui fatigue beaucoup et d’où l’on ne voit strictement rien. De 11.000 mètres, avec une espèce de brume, les Andes, ou pas les Andes, c’est du pareil au même. Il paraît qu’on est passé au-dessus du Canal de Panama, mais j’ai eu beau m’écarquiller les yeux, je n’ai rien vu. J’ai cherché des livres ou des journaux français. Tout ce que j’ai trouvé, c’est un bouquin de Georghiu, « Les mendiants de miracles » (ce sont les Nègres) qui ne m’a pas exalté, et… LUI, qui m’a coûté 2 Dollars!
Avec cette étape je m’éloigne encore de vous d’1 heure et l’appareil poursuit un crépuscule qui n’en finit pas.
L’accueil de Mexico ne change pas. Je suis « reçu » dès le « contrôle des bagages » par Manfredi (que j’ai connu l’année dernière) et par une nommée Teresa qui sera l’hôtesse de la tournée et qui est absolument charmante. L’Ambassade m’invite à déjeuner demain. Teresa a visiblement le trac de la troupe française. Mon sourire « ouvert » l’aura rassuré, je l’espère, comme le « congé » que je lui ai donné jusqu’à l’arrivée du MARATHON demain à 17h09. C’est qu’on n’est pas des emmerdeurs, nous autres. Il paraît qu’à Guanajuato, j’aurai le plaisir de rencontrer Mira Traïlovic ! Tiens donc !
30.4 – En Amérique du Sud, les hôtels avaient parfois des taches sur les murs, mais tout y marchait. De plus, il y avait de la gentillesse dans le service. À Mexico, à l’hôtel del Prado, j’ai dans ma chambre un téléphone qui déconne et tout le monde a l’air de s’en foutre quand je demande qu’on me le répare. Je m’étais mis dans la tête d’appeler Paris, mais à quoi bon si c’est pour ne rien entendre ? L’employé de la réception, narquois, m’a tendu l’appareil qui était devant lui, devant tout le monde, dans un hall incroyablement sonore, en me disant : « Vous n’avez qu’à appeler d’ici ! ».
J’ai donné mon complet à nettoyer. Je paierai 50% de plus que le prix pour l’avoir en 4 heures. Je l’ai donné à 8h. Il est 13h, et je vais aller déjeuner en cradingue chez le nouvel attaché culturel parce que le costume ne remonte pas. Vous me connaissez, ces petits ennuis me démoralisent. Et puis, le téléphone, ça me fout vraiment en rogne car j’avais envie de vous entendre. Je l’avais calculé depuis plusieurs jours. Je suis déçu, contrarié et triste. Cela dit, c’est bien le Mexique, juste au moment où je pars pour ce déjeuner à 13h = 20h, un réparateur arrive. Il soupèse le combiné et déclare : « Je vais le changer », alors qu’il s’agit en toute clarté d’un fil mal connecté !
Est-ce lié à ces petits tracas ? Je n’aime décidément pas Mexico et je trouve qu’il faut être singulièrement snob pour se trouver bien dans cette ville au climat intenable, et dont la pollution, croyez-moi, ne s’est pas arrangée depuis l’année dernière. Sous 28°C à l’ombre, on vogue dans un brouillard que perce mal le soleil, au milieu d’un bruit incroyable. Je respire mal. Monter un étage m’essouffle. Aucune beauté. Les palmiers des avenues sont minables. C’est pourtant un arbre résistant. Il n’a pas besoin d’eau. Mais il lui faut de l’air, et l’air ici, est une denrée rare et chère.
J’ai vu 1/2 heure ce matin le nouvel attaché. Quoiqu’il ait une épouse, c’est un Pédé, j’en suis sûr, comme est Pédé son proche « collaborateur » (dont le nom m’échappe mais c’est quelque chose comme Zob ou Job !). Il s’appelle, lui, Alain Caron et objectivement, il n’a pas l’air de trop mal penser culturellement. Son rêve est d’amener Chéreau, mais faute de cette grive, Bisson lui paraîtrait un merle comestible. Il vient du Chili. On n’a pas encore parlé politique. Il paraît que M. Béliard, notre Ambassadeur, désapprouve le choix du MARATHON. Il a lu le texte et ne trouve pas qu’il donne une bonne image de la France !
Ce qu’ils peuvent être chiants, ces vieux messieurs en place. L’« image de la France » telle que la conçoivent ces « conservateurs », c’est celle d’un musée figé dans un passé qui n’intéresse plus personne dans le monde. Là est le problème : démasquer et réduire à l’impuissance ces conspirateurs qui, au nom de leur connerie, perpétuent l’idée d’un pays sans mouvement. « Il ne faut pas montrer nos H.L.M., nos émigrés, nos chômeurs, notre pollution, nos alcooliques, nos drogués », a dit Béliard à Caron qui
est chargé du choix des films à importer au Mexique et est tout fier d’avoir fait passer LES VALSEUSES en séance privée ! Pauvre jeunesse de France, comme on te manie à l’intérieur, et comme on cache à l’extérieur tes éléments vivants ! C’est dégueulasse. Mais que faire ?
Je déjeune chez Caron. Il a invité plusieurs amis. Je ne les connais pas, mais tous me demandent des nouvelles de Claude Aufaure. Ils sont très impressionnés par le fait qu’il n’y ait que des hommes dans le MARATHON. (Ça aussi, il paraît que ça ne plait pas à Béliard). Je parle beaucoup de mes poulains, Bisson, Llorca, et, depuis Brasilia, Benoin. Mais j’apprends par une indiscrétion que Brook est candidat à Guanajuato pour l’an prochain. Alors, n’est-ce pas, je me demande si je ne perds pas ma salive.
À 17h, je saute dans un taxi et je vais accueillir Confortès à l’aéroport. Je suis le seul Français. Les deux autres accueillants sont mexicains. La troupe arrive de bonne humeur. L’organisation « macotélienne » est parfaite. Car pour la troupe, camion pour le matériel qui est dédouané avant même d’être arrivé. L’hôtel del Prado ne suscite pas de critiques de la part des prolétaires d’Aubervilliers. Confortès, increvable, veut aller entendre les Guaranis. Teresa l’emmène. Les autres vont se coucher vers 22h. Moi aussi, après avoir bouffé un cheeseburger qu’on n’aurait pas désavoué à Manhattan. La bonne cuisine sud-américaine, c’est fini.
Vous allez dire que c’est sa fête, au Gosselin, mais écoutez : on rentre à l’hôtel parce que je dois boucler ma valise à 13h. Je convie Schnerb à monter dans ma chambre. Eh bien, Gosselin s’engouffre avec nous dans l’ascenseur, descend au 5e, comme nous, et entre avec nous au 505 !!! Quant à Schnerb, toujours la barbe rousse au vent, je crois qu’il sera efficace. Un peu fantaisiste, mais il connaît si bien ce pays, ET SA LANGUE—, que je peux partir tranquille. Houdart d’ailleurs est très décontracté. Il lui confie tous les billets d’avion, une fois pour toutes, et annonce qu’il se contentera de toucher son défraiement, en guise de comptes, pendant tout le Brésil.
J’aurais voulu parler à Houdart des combines de Barry. Mais là, la présence de l’indiscret m’a trop gêné, et je me suis tu. Le sûr est que l’équipe a été très contente de me voir fidèle à ce rendez-vous de Belém. Je pense qu’il était en effet fort nécessaire. Moi, en tout cas, je pars rassuré. Tout est en ordre
…
et je fais vers Brasilia un voyage admirable. D’abord, nous remontons l’Amazone et croyez-moi, pour un fleuve, c’est un fleuve, avec des eaux rougeâtres qui tranchent sur le vert de la forêt qui s’étend de chaque côté à perte de vue, sans une maison, sans une route. Vous pouvez rassurer les écologistes de Charlie Hebdo. Les Généraux brésiliens n’ont pas réussi dans leur tentative d’asphyxier la terre ! Sur 4 heures de vol, pendant 3 heures, je ne vois que des arbres, que des arbres avec de temps en temps –très rarement- une agglomération surgie on ne sait pourquoi, d’où partent des routes sans issue (ça se voit très bien d‘avion). Ces points de civilisation datent sûrement d’avant l’Aéronavale ! Comment ont-ils surgi ? Comment communiquaient-ils ? Étrange ! Car ils ne sont pas au bord de l’eau. L’appareil de la VASP est un caboteur. Il s’arrête dans deux de ces localités. J’en suis surpris mais il monte et descend des gens. En tout cas, par là, pas de building. Des maisons blanches avec toits de briques rouges. Posés sur un de ces mini aérodromes, nous essuyons un orage redoutable. Il fait si chaud dehors que de la buée blanche sort des bouches de climatisation.
Et puis, il y a des nuages extraordinaires, des nuages comme je n’en ai jamais vus, décrivant des villes, des forteresses, des vallées de fiction à arêtes vives (ça, bien sûr, quand on est en vol). Un coucher de soleil sans pâleur précède l’arrivée à Brasilia. Cela dit, en lisant le journal en portugais qu’on m’a donné, je vois que le Père Duclos est mort. Je crois que c’était un bon Communiste. Il est surprenant que DIARIO DE BRASILIA lui consacre 2 colonnes.
J’ai un peu mal au crâne en arrivant à l’hôtel Nacional. Néanmoins, je passe un coup de fil à Demarigny, qui me dit qu’il va venir me voir à 21h. Il arrive en effet, col ouvert et sportif. Il a dîné, moi pas. Alors nous allons à la Pizzeria voisine dont je suis un habitué, et je me tape une saucisse choucroute. Il est charmant, Demarigny, et pas tellement con. Je lui parle, comme à Schnerb, de Llorca et Bisson. Mais, ce qu’il repère dans ma liste, tenez-vous bien, c’est SKANDALON, parce que, je cite, « le Brésil étant une entité disparate unie autour de 3 idées, la langue portugaise commune, la capitale Brasilia arbitraire, et le football, ferment de l’unité nationale cocardière », une démystification du sportif à travers une discipline qui n’attirerait pas trop l’oeil des censeurs, lui paraîtrait des mieux venues. Je dois dire que l’idée m’amuse, mais une fois encore la question se pose à moi de QUI ATTEINDRAIT- ON ? Le passage un jour ou deux de Benoin déclencherait-il un rudiment de mouvement ? Je lui dis que Houdart fera peut-être novation ici. Il n’en disconvient pas, mais le problème est d’informer. « Peut-être, soupire-t-il, mais ils s’en apercevront après le départ de la troupe. » Eh oui ! On va jouer en circuit presque clos, entre diplomates, mondains, et membres d’une alliance française qui groupe 1.000 adhérents. Il y a vraiment quelque chose de disproportionné entre les moyens mis en œuvre (25 briques tout de même), et l’infinie petitesse de la goutte d’eau frappant la surface de l’océan. À part ça, Demarigny connaît bien LE SOLEIL FOULÉ PAR LES CHEVAUX. Il n’aime pas, mais je crois que c’est parce qu’il a, lui, écrit une pièce sur le même sujet. Voilà donc ! Par contre, il estime Pacciani, dont il m’affirme qu’il n’est pas plus italien que moi, mais argentin ! Tiens !
Enfin, on cause pendant 3 heures. Il me quitte à minuit et je dois dire que je n’ai pas de peine à trouver le sommeil, d’autant que Brasilia est calme. C’est la seule ville de ces pays où les bruits soient feutrés. Cela tient aux espaces. C’est bien reposant.
27.4 – Et me voilà reparti. Vers Lima. Avec 1h30 de retard. Comme d’habitude dans ce pays, mon passeport a disparu pendant une heure. J’ai vraiment horreur de ces méthodes qui démunissent l’étranger de la seule preuve qu’il ait qu’il le soit vraiment. Dans l’avion, je feuillette distraitement un journal qu’on m’a mis dans la main. Et c’est par hasard que j’apprends ainsi que LE PAO E CIRCO va présenter dans 8 jours à Sao Paulo « La lamentable histoire de Titus Andronicus » de Shakespeare. À la page suivante, je tombe sur une photo de Gilda Grillo. Apparemment mes amis ont repris du service dans leur patrie. Voilà. Je vous raconterai la suite dans un prochain envoi. Je vais tâcher de poster ces lignes à l’aéroport de Lima en débarquant. De là il y a des lignes directes avec la France.
27.4 (suite) - Je trouve que M. Boeglin est moins attentif que ses confrères. Je lui avais certes écrit qu’il n’était pas obligé d’aller me chercher à l’aéroport, mais il aurait pu quand même le faire, ou tout au moins me laisser un message à l’hôtel, en tout cas prendre de mes nouvelles et s’informer de ma bonne arrivée. Enfin bref, pour l’équivalent de 15 F., je suis allé tout seul comme un grand à l’hôtel Alcazar –qui n’est pas un palace !- et j’ai commencé mon séjour au Pérou en lavant mes petites chemises dans le lavabo. Après quoi, je suis parti à pied et j’ai marché 2 bonnes heures dans la ville. Vous me direz que c’est faire une astuce bien bon marché que d’écrire que Lima, ça n’est pas le Pérou, mais le fait est que physiquement, c’est une ville minable et qui sent avec évidence la pauvreté. Certes, il y a une belle place d’arme qui n’est pas sans rappeler la Place Stanislas. Il y a aussi quelques maisons en bois « très vieilles » comme dirait la maman Ulusoy. Mais dans l’ensemble les rues sont lépreuses avec des édifices qu’on n’a sans doute jamais ravalés. Les seuls buildings rutilants neuf sont l’hôtel Sheraton, Olivetti et la Banque Minière du Pérou. Cela dit, des banques, il y en a des masses. Je ne crois pas en avoir jamais vu tant ! C’est curieux. Il faudra que je me fasse expliquer le phénomène. Je n’ai pas vu grand-chose de ce qu’il y a dans les boutiques, parce que c’est dimanche et que les rideaux de fer sont baissés. À en juger par les rares vitrines éclairées, les produits semblent avoir la qualité de ceux qu’on trouve à Wroclaw, folklore y compris. L’année dernière, j’avais été fasciné par la beauté de ce qu’on voyait dans les boutiques de l’aéroport : tout doit être à l’aéroport.
Ceci est un préambule. En réalité, cette ville a une âme et elle m’a été sympathique. C’est intervenu sur une place, où mille marchands ambulants vendaient à la criée des nourritures étranges et des herbes vertueuses, tandis que le peuple entourait des joueurs d’instruments étonnants. Ça s’est continué dans un parc à l’herbe rase sur laquelle étaient allongés très tendrement quoique sans aucune équivoque, des couples d’amoureux. Certains devaient être des couples concrets, puisque des marmots jouaient autour d’eux. Très peu de voitures particulières, mais une multitude de bus, de minibus et de taxis collectifs, tous aux couleurs ayant un jour été vives, bondés, et certains datant des premiers temps de l’automobile. Ici, la CUBANA DE AVIACION a un bureau et les posters de Castro sont en vente à côté de ceux de Staline. La Prensa titre : « Le Portugal a voté contre la droite », ce que j’avais compris en lisant les journaux brésiliens, mais ce n’était pas dit de la même façon. Sommes-nous dans un Pays Socialiste ? Il y a eu des signes, des slogans politiques exaltant à la « victoire », (mais ils sont défraîchis), une exceptionnelle quantité de bibliothèques, écoles, officines médicales, caisses de Sécurité Sociale. Mais il y a des mendiants pathétiques et des maigres anormalement apathiques. Le luxe semble être absent, mais dans l’ensemble, la population est honnêtement sapée. Le sûr est que le petit commerce privé à l’Arabe est florissant. Mais digne. Nul n’agresse l’étranger au gros ventre. On ne semble même pas le regarder. Monique aurait été heureuse. À l’heure des Vêpres, je suis entré dans une église. C’était bourré, et qu’est-ce que ça priait ! À genoux sur le sol, bras en croix ou mains jointes. Et ça regardait le ciel avec tout son cœur ! J’ai jeté un œil sur la TV tout en dînant. La « PANAMERICAN television » diffuse autant de pub que ses consoeurs, mais elle est annoncée comme « nécessité commerciale », et le programme que j’ai vu était une retransmission depuis le théâtre municipal d’un festival de Folklore. La D.D.R. y participe. J’ai vu une troupe d’Okinawa (Japon), présentée de façon très culturelle par une commentatrice.
Voilà : le « touriste » abandonné a « éprouvé » une « humanité » misérable mais « vivante ». C’est bien isolé un touriste, c’est bien subjectif. Demain nous nous informerons. À noter tout de même que les flics sont loin d’être absents des rues, et qu’ils vont 2 par 2, colt à portée de la main et matraque à la ceinture. Cette police n’a pas l’air d’être la police du peuple. Il aurait fallu que je ressorte le soir pour voir si elle a à intervenir parfois. Mais il faisait très froid (Eh oui ! On se fait des idées sur l’équateur !), j’étais fatigué. Et puis je m’étais encore éloigné de vous de 2 heures. À 9 h locale (p.m.) j’étais au lit.
28.4 - Eh bien ! C’est plus « Socialiste » que je ne l’aurais cru. Mais ce l’est un peu, comme l’Algérie, par une voie « séparée ». « On » a nationalisé les ressources minières et le pétrole. Seulement pour ce pétrole, il y a un problème : il est dans les Andes, et la seule route qui permette de l’écouler va… au Brésil, si bien que les Péruviens vendent leur or noir aux Généraux fascistes d’à côté et achètent le leur aux U.S.A. ! Mais, pour que le prix de l’essence ne fasse pas monter celui des aliments dans le Pays, le gouvernement subventioanne les pompistes et l’on fait ici le plein d’une DS avec 20F.
On a aussi fait la réforme agraire, en apparence très correctement, puisqu’on a indemnisé les propriétaires terriens. Cette indemnisation vaut d’être narrée : on s’est basé sur les déclarations d’impôts des latifondiaires et comme ils déclaraient à peu près 1/10e de leurs revenus, ils ont été baisés. En plus, ce 1/10e, on leur a donné en bons qu’ils étaient obligés d’investir dans l’industrie du Pays en y ajoutant de leur poche une somme égale, ce qui les contraignait à rapatrier les fonds qu’ils avaient garés à l’étranger ! Comme, après tout ça, ils devenaient Propriétaires de Parts dans des usines gérées par des « Conseils ouvriers », vous voyez d’ici leurs gueules.
C’est M. René Gavédic, un Breton qui dirige l’Alliance Française, qui me raconte ça, d’ailleurs en se lamentant, car il est présentement saisi d’un cahier de revendications émanant de son personnel péruvien qui me paraît relever du même esprit que celles des machinistes de notre Opéra.
Comme l’Alliance fonctionne comme une entreprise privée, tirant ses fonds des riches étudiants en langue française, vous voyez là encore l’esprit de la chose ! Au fond, c’est monstrueusement une affaire de classe, cette Alliance Française, car, à voir les bâtiments de l’entreprise à Lima, à penser qu’ils s’enorgueillissent de 100 adhérents, ça veut dire quoi ? Expliquez-moi ce « quoi » ? J’ai été présenté à la Présidente, une vieille peau décrépite qui portait, il faut bien le dire, encore de belles frusques ! (Je fais une parenthèse pour dire que j’écris ça dans un restaurant de haut Luxe où pour l’équivalent du 1/20e du salaire mensuel d’un professeur, je viens de manger un délicieux spaghetti, et un jambon au melon arrosé d’une bière et d’un alcool réputé Incas, tandis qu’on passe à mon intention un disque de Brigitte… Fontaine !).
Monsieur Boëglin n’a rien à voir avec ses homonymes. Tout au plus a-t-il entendu parler de « celui qui était au F.L.N. », car, la Police Française, les ayant un moment confondus, avait tendu une souricière autour de son domicile. Comme à l’époque il était professeur à Sofia, ville que fréquentaient beaucoup les Algériens, il avait eu quelques peines à faire admettre que ce n’était pas lui. Ce Boeglin-là a fait toute sa carrière dans l’Est. 8 ans à Belgrade, 4 à Sofia, 1 à Cuba. Encore un qui parle de La Havane en termes lyriques. Décidément il faudra que je finisse par aller y voir. Il était professeur à l’Université, et ses horaires de cours étaient 20h-3h du matin, parce que dans la journée, ses étudiants participaient à des tâches manuelles. Il raconte suavement que les manifs pour le Vietnam étaient préparées ici avec le même sérieux que par ses étudiants bulgares. Seulement, à l’arrivée, après 15 jours d’ « éducation politique », dans le pays Balkan, le meeting était désespérant de sérieux, tandis qu’à Cuba, il commençait en rodomontades où il était question d’envahir la Floride, pour s’achever, au rythme d’une transformation progressive, en fête dansée et chantée où le Vietnam n’avait plus grand-chose à voir.
Toujours curieux, j’ai demandé, (parlant du Pérou), « et quelle est la condition de la Femme ? » - « Juste au-dessus de celle de l’âne », m’a-t-il répondu, « parce qu’elle marche sur ses deux pieds quoique ployée sous le harnais ». Cela dit, le divorce, la contraception, l’avortement sont libres, MAIS PERSONNE N’EN SAIT RIEN parce que le gouvernement poursuit une Politique Nataliste et stigmatise le Malthusianisme occidental. « Ça n’empêche pas », dit-il, « les plages des environs d’être d’authentiques baisodromes »…
Comme vous le voyez, le Pérou n’a pas grand-chose à voir avec ses voisins, et je vous dirai franchement que je m’y sens mieux. Ici, on exile les opposants, on ne les torture pas. On parle pourtant d’un camp qui serait dans la forêt vierge mais existe-t-il ? Sans doute. Que s’y passe-t-il ? Mystère. Il n’y a pas de « censure », mais il faut pour jouer une autorisation. Comme dit notre impresario, M. Vargas, un vieillard utilisé pour les tâches que ne saurait faire un diplomate français, la loi dit que cette autorisation n’est nécessaire que pour les spectacles étrangers, « mais elle le devient de plus en plus pour les réalisations nationales. » Voir. Il l’affirme. Je n’en sais rien et c’est un nostalgique évident du temps où le Pérou était le Pérou pour tout le monde sauf pour les Péruviens. Notre consulat, une fois de plus, choisit bien ses satellites. À propos, saviez-vous que si nous n’avons pas d’Ambassade dans ce pays, c’est parce qu’il a rompu avec nous à propos des expériences nucléaires dans le Pacifique… « À 13.000 Kms de ses côtes », dit Boëglin, narquois. Ça n’empêche pas le drapeau bleu blanc rouge de flotter sur l’édifice de la Plaza Francia (qu’on n’a pas débaptisé), la Maison de France d’être très présente en plein centre de la ville, et l’Alliance d’avoir deux sièges très somptueux (théâtre excepté). Anecdote amusante, les Péruviens attendent pour renouer les relations, que la prochaine expérience ait lieu, puisque Giscard a annoncé qu’elle serait souterraine. À telle enseigne que si pour une raison ou une autre elle n’avait pas lieu, ces retrouvailles risqueraient d’être différées. On se marre, mais la conséquence de cette rupture est que la France a rayé la ligne culturelle sur le budget du poste de Lima, qui se démerde dans la « pauvreté ». Voilà qui me paraît logique. L’argent va donc là où c’est facile et est retiré là où il serait utile ! Cela dit, on m’a présenté au détour d’un couloir un Monsieur dont le titre était « Conseiller Nucléaire ». J’aurais bien aimé saisir ce qu’il foutait là.
Comme vous le savez, tous nos postes ont leur « gauchiste » relatif. Ici, c’est Melle Carmen Compte, encore un Professeur. Elle est chargée de la diffusion Culturelle. Elle aime bien le Pérou, mais précise que Lima n’est pas le Pérou. De fait, je crois que ce pays, et pour son Physique, et pour sa Ligne, mériterait qu’on s’y arrête intelligemment. On y respire l’air d’un monde en transformation, avec des absurdités, et, comme disent les sceptiques, une bureaucratie déjà en place. (En effet, m’étant mis en mal d’achats et n’ayant changé qu’un minimum à l’aéroport, j’ai voulu donner des travellers à mon hôtel où l’on m’a dit qu’on n’avait le droit de me donner en Sols que l’équivalent de 20 Dollars. Je suis sorti désespéré… Pour découvrir que toutes les boutiques étaient autorisées à recevoir des paiements en dollars le plus légalement du monde !).
Je ne sais pas si Houdart triomphera dans ce pays. À la différence du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay, les Marionnettes y sont un art national, et en ce moment même, Meschke joue au Théâtre Municipal. Le sûr est que son stage est attendu de pied ferme, quoique avec amitié, par l’école de formes animées que dirige Mme Aramayo. Il se passera dans son théâtre et le tout Pérou du guignol sera là. Il durera de 9h à 12h et de 15h à 18h. Notre ami n’aura qu’à bien se tenir. Ses interlocuteurs savent tout de son art dans notre pays, et s’étonnent seulement que son nom ne soit pas venu jusqu’à eux. J’ai eu un peu l’impression que la Weigel attendait Bruno Bayen « avec beaucoup d’intérêt » ! (Oui ! Ça vient vraiment l’esprit « Socialiste », ici). Enfin, on a réglé les problèmes. La troupe jouera dans le théâtre de 250 places de l’Alliance de Lima parce que celui de 400 places de Miraflorès est moins qu’une salle de patronage, avec une scène impraticable et AUCUN équipement. La salle de Lima n’est pas brillante, mais elle a un jeu d’orgue, 20 projecteurs, un UHER et une sono. Nos invitants ne comptent d’ailleurs pas sur les foules. Chiffres en main, j’ai l’espoir qu’Houdart ne devra rien en partant. Peut-être même acquerra-t-il quelques Sols… qu’il vaudra mieux dépenser sur place.
On sera sans doute exemptés d’impôts, et M. Boeglin, qui est très content de cette visite, se fait fort d’obtenir du directeur d’Air France que le matériel reparte en bagages accompagnés au tarif du fret. Ça obligera toutefois à attendre l’avion du jeudi. La tournée s’achèvera donc, après un Godot le 30 mai, le stage le 31, une relâche le dimanche 1er juin, un Arlequin le 2, et un Ionesco le 3, par une journée de campo, à moins que le triomphe ne justifie une séance supplémentaire qu’il faudra négocier avec la troupe, car jamais elle n’atteindra 3.500 F. . On a fixé les places à 10 F., et 6 F pour les étudiants, ce qui est cher, paraît-il. Il y a beaucoup de bonne volonté autour de cette affaire, beaucoup d’amateurisme aussi, et un certain scepticisme. On verra bien. Le risque est circonscrit. Je ne pouvais pas faire mieux.
À part ça, il paraît que beaucoup de gens possèdent des voitures, mais qu’elles n’ont pas le droit de rouler tous les jours pour économiser le carburant. Les particuliers ont le choix entre samedi et dimanche, lundi et mercredi, ou mardi et jeudi. On n’a pas voulu imposer le week-end, parce que les travailleurs ont le droit d’aller à la campagne. Si vous remarquez bien, le vendredi, tout le monde a le droit de rouler. Il paraît que ça fait un fabuleux défoulement. J’ai dit que je dînais pour 1/20e du salaire d’un professeur. Celui-ci est de 700 F. par mois. Mais il faut dire que j’avais choisi mon établissement avec un grand souci de confort. J’étais fatigué après une journée très active et je ne désirais pas prendre de risque culinaire (j’ai échappé jusqu’ici à la « turista », pourvu que ça dure). En vérité, dans les petits bistrots, qui affichent les menus à l’ardoise, on trouve des plats à 1,50 F., 2 F et hier soir, mon poulet au riz, très bon, m’a coûté 7 F. . 1 kg de pommes au marché vaut 0,50 F. (contre 3F. au Brésil). Et les plus hostiles au régime reconnaissent que le taux d’inflation du Sol est très faible. Ce peuple est d’autre part digne, et j’ai été frappé par le fait que les petits mendiants éprouvaient tous le besoin de donner quelque chose en échange de l’argent sollicité. Oh rien ! une ébauche de coup de chiffon sur un pare-brise par exemple. Mais enfin ce n’est pas la main tendue. Et le porteur n’a pas maugréé à l’aéroport quand je lui ai donné, sans me rendre compte du taux de cette monnaie que je venais de changer, 2 pièces qui représentaient l’équivalent de 5 de nos centimes !
Je me couche vers 22 h, bien content de n’avoir pas eu à faire d’avion aujourd’hui. Demain, je m’en tape 8h en direction de Mexico. Adieu Houdart et bonjour Confortès.
PROSPECTION, ACCUEIL et TOURNÉE AU MAXIQUE AVEC « LE MARATHON » DE Clude CONFORTÈS
29.4 - Un taxi anglais datant de 1920 et conduit par un vieillard, me conduit tout brinqueballant à l’aéroport. Ca a dû être une voiture de Maître, mais le moteur était si faible que j’ai cru que je n’arriverais jamais.
Me voici quand même dans un avion des Aerolinas Argentinas qu’il m’a fallu attendre 1 h. Ici, ils sont marrants. Quand l’avion est en retard, on ne vous dit rien. On se contente de changer l’horaire sur le tableau au-dessus des employés. Ça m’a permis de parfaire mes achats. Je les ai complétés à Bogota à l’escale. Ces aéroports souks sont décidément très alléchants, mais rien n’y est donné. À part le Whisky qui coule 5 Dollars le quarter, c’est même vraiment cher. Je ne suis pas mécontent de penser que c’est mon dernier voyage en avion avant lundi soir prochain. J’en ai carrément marre de ce moyen de transport qui fatigue beaucoup et d’où l’on ne voit strictement rien. De 11.000 mètres, avec une espèce de brume, les Andes, ou pas les Andes, c’est du pareil au même. Il paraît qu’on est passé au-dessus du Canal de Panama, mais j’ai eu beau m’écarquiller les yeux, je n’ai rien vu. J’ai cherché des livres ou des journaux français. Tout ce que j’ai trouvé, c’est un bouquin de Georghiu, « Les mendiants de miracles » (ce sont les Nègres) qui ne m’a pas exalté, et… LUI, qui m’a coûté 2 Dollars!
Avec cette étape je m’éloigne encore de vous d’1 heure et l’appareil poursuit un crépuscule qui n’en finit pas.
L’accueil de Mexico ne change pas. Je suis « reçu » dès le « contrôle des bagages » par Manfredi (que j’ai connu l’année dernière) et par une nommée Teresa qui sera l’hôtesse de la tournée et qui est absolument charmante. L’Ambassade m’invite à déjeuner demain. Teresa a visiblement le trac de la troupe française. Mon sourire « ouvert » l’aura rassuré, je l’espère, comme le « congé » que je lui ai donné jusqu’à l’arrivée du MARATHON demain à 17h09. C’est qu’on n’est pas des emmerdeurs, nous autres. Il paraît qu’à Guanajuato, j’aurai le plaisir de rencontrer Mira Traïlovic ! Tiens donc !
30.4 – En Amérique du Sud, les hôtels avaient parfois des taches sur les murs, mais tout y marchait. De plus, il y avait de la gentillesse dans le service. À Mexico, à l’hôtel del Prado, j’ai dans ma chambre un téléphone qui déconne et tout le monde a l’air de s’en foutre quand je demande qu’on me le répare. Je m’étais mis dans la tête d’appeler Paris, mais à quoi bon si c’est pour ne rien entendre ? L’employé de la réception, narquois, m’a tendu l’appareil qui était devant lui, devant tout le monde, dans un hall incroyablement sonore, en me disant : « Vous n’avez qu’à appeler d’ici ! ».
J’ai donné mon complet à nettoyer. Je paierai 50% de plus que le prix pour l’avoir en 4 heures. Je l’ai donné à 8h. Il est 13h, et je vais aller déjeuner en cradingue chez le nouvel attaché culturel parce que le costume ne remonte pas. Vous me connaissez, ces petits ennuis me démoralisent. Et puis, le téléphone, ça me fout vraiment en rogne car j’avais envie de vous entendre. Je l’avais calculé depuis plusieurs jours. Je suis déçu, contrarié et triste. Cela dit, c’est bien le Mexique, juste au moment où je pars pour ce déjeuner à 13h = 20h, un réparateur arrive. Il soupèse le combiné et déclare : « Je vais le changer », alors qu’il s’agit en toute clarté d’un fil mal connecté !
Est-ce lié à ces petits tracas ? Je n’aime décidément pas Mexico et je trouve qu’il faut être singulièrement snob pour se trouver bien dans cette ville au climat intenable, et dont la pollution, croyez-moi, ne s’est pas arrangée depuis l’année dernière. Sous 28°C à l’ombre, on vogue dans un brouillard que perce mal le soleil, au milieu d’un bruit incroyable. Je respire mal. Monter un étage m’essouffle. Aucune beauté. Les palmiers des avenues sont minables. C’est pourtant un arbre résistant. Il n’a pas besoin d’eau. Mais il lui faut de l’air, et l’air ici, est une denrée rare et chère.
J’ai vu 1/2 heure ce matin le nouvel attaché. Quoiqu’il ait une épouse, c’est un Pédé, j’en suis sûr, comme est Pédé son proche « collaborateur » (dont le nom m’échappe mais c’est quelque chose comme Zob ou Job !). Il s’appelle, lui, Alain Caron et objectivement, il n’a pas l’air de trop mal penser culturellement. Son rêve est d’amener Chéreau, mais faute de cette grive, Bisson lui paraîtrait un merle comestible. Il vient du Chili. On n’a pas encore parlé politique. Il paraît que M. Béliard, notre Ambassadeur, désapprouve le choix du MARATHON. Il a lu le texte et ne trouve pas qu’il donne une bonne image de la France !
Ce qu’ils peuvent être chiants, ces vieux messieurs en place. L’« image de la France » telle que la conçoivent ces « conservateurs », c’est celle d’un musée figé dans un passé qui n’intéresse plus personne dans le monde. Là est le problème : démasquer et réduire à l’impuissance ces conspirateurs qui, au nom de leur connerie, perpétuent l’idée d’un pays sans mouvement. « Il ne faut pas montrer nos H.L.M., nos émigrés, nos chômeurs, notre pollution, nos alcooliques, nos drogués », a dit Béliard à Caron qui
est chargé du choix des films à importer au Mexique et est tout fier d’avoir fait passer LES VALSEUSES en séance privée ! Pauvre jeunesse de France, comme on te manie à l’intérieur, et comme on cache à l’extérieur tes éléments vivants ! C’est dégueulasse. Mais que faire ?
Je déjeune chez Caron. Il a invité plusieurs amis. Je ne les connais pas, mais tous me demandent des nouvelles de Claude Aufaure. Ils sont très impressionnés par le fait qu’il n’y ait que des hommes dans le MARATHON. (Ça aussi, il paraît que ça ne plait pas à Béliard). Je parle beaucoup de mes poulains, Bisson, Llorca, et, depuis Brasilia, Benoin. Mais j’apprends par une indiscrétion que Brook est candidat à Guanajuato pour l’an prochain. Alors, n’est-ce pas, je me demande si je ne perds pas ma salive.
À 17h, je saute dans un taxi et je vais accueillir Confortès à l’aéroport. Je suis le seul Français. Les deux autres accueillants sont mexicains. La troupe arrive de bonne humeur. L’organisation « macotélienne » est parfaite. Car pour la troupe, camion pour le matériel qui est dédouané avant même d’être arrivé. L’hôtel del Prado ne suscite pas de critiques de la part des prolétaires d’Aubervilliers. Confortès, increvable, veut aller entendre les Guaranis. Teresa l’emmène. Les autres vont se coucher vers 22h. Moi aussi, après avoir bouffé un cheeseburger qu’on n’aurait pas désavoué à Manhattan. La bonne cuisine sud-américaine, c’est fini.