Du 5 février au 9 mars 1975

Publié le par André Gintzburger

5.2 – Voici le T.P.R. aux Deux Portes avec une pièce de Peter Terson intitulée MOONEY ET SES CARAVANES QUI narre la saison d’un couple de jeunes mariés de l’hiver à l’été, dans un camp de camping proche d’un théâtre en plein air où a lieu annuellement un festival Shakespeare. La mentalité de ces deux jeunes complètement « dépolités » est d’arriver : il est ouvrier, fayot et veule. Il vise à une élévation dans la hiérarchie interne de l’usine et se fait mettre en quarantaine par ses camarades. Dans le camp même, il se fait exploiter avec mépris, mais refuse de s’en rendre compte. La fille en a conscience, mais elle est vaniteuse et refuse des places « indignes d’elle ». On a envie de conseiller à ces deux cons de lire le manifeste communiste, mais ils n’y comprendraient sans doute rien car ils sont chroniquement petits-bourgeois. Leur conception de la vie est minable.
Joris a fait une mise en scène stylisée, avec gestuelle appuyée, qui accentue les « caractères » des 2 personnages mais manque de réalisme. L’absence des sons auxquels le texte se réfère constamment m’a notamment gêné.

6.2 – Le THEATRON, c’est l’ex-théâtre en rond, fermé depuis des lustres. Dominique Bordes le rouvre avec 3 salles. C’est Monique Hermant qui a été chargée de la direction artistique. Tu parles d’un choix jeune ! Quoiqu’il en soit, la 1ère de la pièce brésilienne de Leilah Assunçao : PARLE BAS SINON JE CRIE, mise en scène par Albert Delpy, a essuyé les plâtres, et ce n’était pas une image.
Un cambrioleur, ou en tout cas, un mauvais garçon  s’introduit une nuit dans la chambre d’une jeune fille très conventionnellement catholique, située dans une pension pour vierges seules. Elle n’appellera « au secours » qu’après qu’il soit parti. Elle vit entre-temps avec son impulsion le rêve éveillé d’un univers vivant qui ne sera jamais le SIEN.
Roland Husson, qui joue le marlou, est vulgaire, et c’est dommage. Mais la Marie Pillet donne une fois de plus la mesure de sa généreuse nature. Sans doute ira-t-elle encore plus loin dans quelques jours.
Reste que la pièce ne m’a guère atteint. Cette fille m’a fait songer à une nana que j’ai connue (mais jamais « bibliquement » !) en 1941 ! Eh oui !
Le Brésil en est là pour ses mœurs.

11.2 – Revu le MARATHON de Claude Confortès au Palace. Un MARATHON appauvri. L’orphéon du début vient de l’école des Beaux-Arts ou de quelque chose comme ça. Il n’a pas le clinquant de la fanfare d’Aubervilliers, ni la santé, ni la gaieté. Ses accents sont mélancoliques et son habillement très G.M.C. pauvret. En dehors des 3 héros, les coureurs ne sont que 3, et ça ne fait vraiment pas beaucoup. Cela dit, la salle se prête bien au spectacle et curieusement, c’est la 2e partie, celle qui naguère me semblait « causer » d’une façon un brin confuse et longuette, qui m’a paru le mieux passer. Elle est même prenante et pathétique. Le petit Cancelier a repris un rôle aux côtés de Confortès (qui m’a paru un peu fatigué de courir). Il y est, il faut bien le dire, assez impayable sans faire oublier Maurin.

13.2 – Je crois qu’on a le droit de tout faire au théâtre sauf de faire chier le monde. Que dire de l’entreprise de Philippe Adrien avec la pièce de Peter Handke : LA PUPILLE VEUT ETRE TUTEUR (Essaïon) ? L’œuvre est muette. Pas un mot n’y est prononcé. C’est l’histoire d’un homme qui a adopté un enfant. Un tel rapport s’est établi qu’ils n’échangent aucune parole. À la fin, la pupille tue le tuteur et c’est, paraît-il, un fait divers authentique. Soit, mais il me semble que cette anecdote devrait requérir un certain réalisme. Il me semble que le rapport entre ces deux êtres dont l’un est l’esclave de l’autre, devrait faire éclater la haine de la victime pour son bourreau. Or, Daisy Amias joue surtout la soumission et Lucien Rosengart (remarquablement absent, vide de contenu à communiquer) semble en permanence compter les minutes qui le séparent de la fin de la représentation. D’ailleurs, tout le parti du spectacle semble être de vouloir faire mesurer aux spectateurs que le temps passe. Chaque scène ressemble à un tableau de Bob Wilson étiré.  Certains affirment que c’est du théâtre réduit à l’essentiel. Bon ! Soit ! En tout cas, ça n’est pas populaire, monté comme ça. C’est interminable. C’est ennuyeux. Et ça ne « communique » pas. Mais paraît que Cournot a adoré ! Alors n’est-ce pas, nous nous trompons…

17.2 – Une nana toute seule. Elle se fait appeler Garance. Elle « joue » « Mody Bloom » de Joyce. Quand je dis qu’elle joue, c’est une façon de parler : elle est dans un grand lit. Femme mariée à un fêtard, elle attend, consumée de désir, le retour du volage. Ni éveillée, ni ensommeillée, elle débite un chapelet d’obscénités nourri des souvenirs de ses aventures sexuelles. La crudité des détails est sans bavures. Le texte est extraordinaire de précision et de violence. C’est un étonnant réquisitoire sur la condition de la femme, d’une indéniable modernité. Le parti de Garance est de signifier le rêve qui se déroule les yeux ouverts, un peu « somnambuliquement ». Elle débite donc ce qu’elle dit très vite, d’une voix faible, sans rechercher le moindre effet. Le spectateur est ainsi contraint à l’attention active. Je ne suis pas contre, et je dois constater que le procédé fonctionne. Je n’ai quand même pu m’empêcher de trouver la jeune actrice un brin désinvolte et de regretter qu’elle soit si monocorde. À mon avis, des ruptures n’eurent pas nui au propos, non plus qu’une certaine théâtralisation. Je crois que Garance, qui a été nourrie au suc du théâtre U.S., aurait eu intérêt à se faire mettre en scène. Reste que le texte passe. Et que c’est un étonnant coup de poing.

20.2 – Vu à l’Odéon le 1er acte de UNE LUNE POUR LES DÉSHÉRITÉS d’O’Neill (dans une traduction qui rappelle le « style » des westerns mal doublés), mise en scène de Jacques Rosner avec les artistes de la Comédie Française. Je crois avoir rarement vu aussi mal jouer un texte aussi vieilli de forme.

22.2 – Le gentil Philippe Dauchez montre au petit TEP « Parallèles et bipèdes », sa dernière production. Il s’agit de l’histoire d’un couple qui se comprend mal et divorcera après 16 ans de vie commune, présentée en forme assez moderne, un peu comme Scoff avait traité l’affaire Thévenin.
L’agression de la société répressive et aliénante dans laquelle nous vivons est tenue pour largement responsable de cet échec. Un groupe Pop et de jolies nanas aident à ce que le message passe dans la joie : on rit beaucoup, surtout dans la 1e partie, la seconde (« la solitude ») étant plus pâle et plus banale. D’une façon générale, le spectacle ne vole pas très haut et il est vraiment encombré de clichés dont on ne détecte pas bien s’ils marquent les limites de l’imagination du réalisateur ou s’ils sont voulus à des fins de contestation. Ça manque de second degré gravement. Mais ça se laisse voir. On ne s’emmerde pas. Et Myrtille Dauchez est assez sublime en mégère au grand cœur !

23.2 – Vu DÉLIRE LUCIDE par Alfred Panou et le « théâtre témoin » en présentation privée au Récamier.
Pourquoi Panou laisse-t-il ses spectateurs 10 minutes au début dans le noir absolu ? Je laisserai la question sans réponse. Ce moment passé, on voit ce beau Noir dans une cage ornée de branchages. Autour de la cage, des instruments de musique. Bientôt des musiciens viendront pour s’en servir. Tous des Noirs aussi. À raison d’une phrase toutes les 20 secondes, Panou dit des poèmes de Césaire, René Deprestre, Frantz Fanon et lui-même.
Ces poèmes sont sûrement très beaux, mais le traitement qu’ils subissent n’est pas propice à la transmission de leurs messages. Leur contenu est de haine (on en prend plein la gueule, nous autres blancs) ou de crainte (la bombe H va sûrement nous tomber dessus). La religion chrétienne en prend un bon coup. Les Dieux ancestraux sont par contre glorifiés : Panou s’y raccroche comme à sa culture, sans se rendre compte qu’il s’aliène du même coup.
Les musiciens (et c’est ce qu’il y a de mieux) ne tardent pas à intervenir dans le jeu, en contrepoint discret d’abord, puis omniprésents, passant progressivement (et ça c’est remarquable) des instruments traditionnels à ceux du jazz moderne. La continuité de la ligne musicale noire est ainsi illustrée.
Grâce à la musique, le spectacle est prenant. À la fin,  Panou sort de sa cage.

24.2 - DOMMAGE QU‘ ELLE SOIT UNE PUTAIN de John Ford, a été monté au Studio d’Ivry dans une adaptation de Stuart Seide (qui est aussi le metteur en scène) , qui a le mérite de la clarté, et qui ne ressemble pas, dans sa simplicité, à une traduction. L’invité de Vitez a pourtant cru bon d’ajouter des textes de quelques autres auteurs, dont Shakespeare. Ces « poèmes » sont dits par tous les acteurs à la fois en décalage d’un ou deux vers les uns par rapport aux autres, si bien qu’on n’en ressent plus la beauté. J’ai eu très peur au début, car le spectacle commence par une telle mélopée à échos. Mais quand la pièce est jouée, alors là, chapeau, c’est une performance et l’art du réalisateur, la maîtrise des artistes et l’intelligence du traitement, tout en ruptures, éclate. On passe du drame à la comédie, de l’aliénation à la distance, de l’humour à l’horreur, sans souffler ni s’ennuyer. L’admirable est que les artistes jouent toujours les vraies motivations des personnages et que cette quête des degrés ne soit jamais gratuite. L’étonnant est que –chose insolite en ce lieu- la pièce soit touchante grâce à la manipulation dont elle est l’objet. Si touchante qu’à mes yeux, elle sort (presque) comme un plaidoyer en faveur de l’inceste, tant sont ignobles, bornés, brutaux, pervers et perfides ceux qui entourent les jeunes héros, pourtant peints eux-mêmes sans complaisance. Le dispositif, sans doute commandé par le lieu, -une longue table de 7 mètres x 2 à peu près, avec à chaque bout des petits plateaux privilégiant des moments de l’action- semble lui-même justifié. Bref, c’est un excellent spectacle fort et je me réjouis d’avoir eu le courage d’y aller

Beaucoup d’années plus tard, jérôme Savary, devenu directeur du Théâtre National de Chaillot a monté cette pièce, en revendiquant beaucoup plus que dans la version ci-dessus, la légitimité de l’inceste.Effectivemnt, qu’est  ce qui justifie ce tabou, tellement ancré dans les cervelles humaines, qu’il reste criminel aux yeux de beaucoup de gens et de la Loi ? Si un frère et une sœur s’aiment au point d’avoir envie de s’accoupler, où est le crime ? Je suis apparammnt tombé dans cette convention en 1975. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui j’aurais le même commentaire.  De même, le rapport sexuel d’un père avec sa fille ou d’un garçon avec sa mère sont encore aujourd’hui considérés comme criminels. J’en suis d’accord s’il s’agit de pédophilie mais si la fille a 20 ans et le père 40 et qu’une affinité les rapproche, pourquoi s’insurger ? Bien sûr la réponse c’est la bible et ses interdits … et puis c’est la thèse selon laquelle les enfants nés d’un tel type d’union sont de constitution affaiblie. Mais au temps de la contraception omniprésente, cela se justifie t’il encore ? On ne s’embarrassait pas de tels préjugés dans l’Egypte ancienne et le ROYAL DE LUXE a réalisé sur ce thème un spectacle éminement populaire qui n’a choqué personne.


25.2 – Après Santon et PHEDRE, voici Mesguisch et BRITANNICUS, c’est-à-dire, vous l’avez deviné, Racine accommodé à la sauce comique. Ici, le traitement est beaucoup plus radical qu’à Essaïon. Britannicus est une femme ( !), Néron un pédéraste, Agrippine une nymphomane hystérique. Le lieu de l’action est une baraque en brique à moitié démolie avec un lavabo crasseux, les acteurs sont vêtus comme des détenus de camps de concentration. Les acteurs, très bien dirigés au demeurant, jouent constamment le paroxysme. La démarche est très intéressante car la drôlerie ne vient pas d’une imagination carnavalesque. Elle semble ressortir d’une étude, poussée au bout, des « caractères » des personnages. C’est assez dire que la réalisation est intelligente. Reste que 5 actes en vers, même fortement survolés par moments, c’est beaucoup.

Bizarre que j’aie eu, à l’époque,  un regard aussi compréhensif sur l’assassinat d’une œuvre  au profit  perpétré par un jeune « créateur, version Villeurbanne 68 » dont le seul souci avait été  de ramener à soi-même le profit de l’entreprise.

26.2 -La personne que j’avais eue au téléphone m’avait conseillé d’arriver à 20h45 si je ne voulais pas avoir de problème pour être placé ! En vérité, nous n’étions pas nombreux à nous écraser hier soir au Théâtre de la Plaine pour voir LA SAVANE de Ray Bradbury mise en scène par Jean-François Dupeyron. À mon avis, c’était dommage pour les absents car ce théâtre de l’étrange et de l’atmosphère a au moins un mérite : il est captivant, et à aucun moment je n’ai songé à faire un somme. On sait le sujet : dans un monde futur où tout est automatisé et où les adultes s’enferment dans des stéréotypes de comportements qui vont jusqu’à affecter leurs aspects physiques, deux enfants reçoivent en jouet une salle de jeu électronique dont les murs s’illuminent à volonté pour créer des environnements visuels, sonores et perceptibles par tous les sens (sauf en principe le toucher), au gré de l’imagination de chacun. Vous avez deviné : l’inconscient de ces enfants gâtés mais inhumainement élevés, projettera sur les murs en question un univers peuplé à la fois de rêves juvéniles (l’Afrique, la Savane, la chaleur) et de phantasmes psychanalytiques (des vautours charognards, des lions féroces). Ces phantasmes se concrétiseront comme dans le monstre de la fameuse PLANÈTE INTERDITE et les lions, projections des enfants, dévoreront les parents détestés. Voilà. Raconté comme ça, ça ne traduit pas que c’est bien foutu, qu’on y croit, que la mise en scène, quoique pas géniale, est plausible, le jeu des acteurs crédible (étonnant comme Valia Boulay fait songer à une caricature de Silvia Monfort), la bande sonore très bien faite. Alors que demande le peuple ? Pourquoi est-il si rare en ce lieu qui n’est pas éloigné pour tout le monde ?

27.2 – Au cycle des Athévains, les spectacles se suivent et ne se ressemblent pas, à telle enseigne que j’ai quelque peine à trouver une ligne à cette programmation.

TENTATIVE D’EVASION HORS DE LA SPHÈRE PATERNELLE D’Éric Cyrille est certes intelligemment composé avec un puzzle de textes de Kafka, et la mise en scène est d’une rigueur intelligente. Intelligent est le dispositif qui force constamment les 3 personnages (le père, le fils et son double) à s’engager sur un chemin sans issue. (Je relis le programme et je vois que j’aurais dû écrire : le père, Kafka, et son double). La virtuosité des acteurs, dont l’un (le père)  sait vraiment faire beaucoup de choses avec son corps, le soutien musical « improvisé » sont tout à fait remarquables. Le contenu du spectacle où Kafka (le fils) mène un combat sans cesse contrarié et sans espoir contre le père symbole de toutes les oppressions, de la sociale à la freudienne, est éclatant. Ça « fonctionne », mais pour moi, ça fonctionne à vide. L’univers kafkaïen ainsi découpé en tranches me semble manquer singulièrement de densité, et pour ainsi dire, de politisation. Il m’apparaît que voir un type se taper la tête contre les murs ne me suffit pas. Je veux qu’il me montre qu’il comprend ce qui ne va pas dans le monde. Je ne suis pas satisfait d’un environnement inexplicablement angoissant. Kafka ne percevait pas de solutions. Il a, en son temps, exprimé un état d’âme. Je ne m’en contente plus, surtout quand il est ainsi ramené à une ossature théâtralisée où le clownesque s’oppose, à mon avis gratuitement, au dramatique.
Alors je ne le cache pas, je me suis carrément fait chier une heure et demi durant et j’ai été surpris de découvrir qu’il était si tôt quand le spectacle s’est achevé. Et dans ce théâtre des 2 Portes, autant j’avais adhéré à des démarches comme celles de Viviane Théophilidès, de la Carriera, voire du T.P.R., autant je n’ai pas trouvé à sa place ce montage.

7.3 – ENLUMINURES AUTOUR DU PROCES DE GILLES DE RAIS, voilà bien un titre de pédé ! Francis Sourbié en est un en effet, grand ami de Geneviève Baïlac. Gilles de Rais est un personnage tentant pour les créateurs en nécessité de modèle anecdotique. On nous en annonce de prestigieux. Sourbié a surtout été intéressé par le fait qu’il sodomisait les jeunes gens. À part ça, tout dans son spectacle est vu par le petit bout de la lorgnette. C’est un son et lumière dans une cave de Sarlat auquel il nous convie au théâtre Essaïon. Musique brillante, « magnifiques » costumes, évolutions d’acteurs à peine sortis de l’école d’art drama et hurlant des faits « historiques » comme nous le faisions, il y a 30 ans, aux Théophiliens, avec un grand souci de respecter la version officielle, celle de l’ordre. On y cause de Jeanne d’Arc et du Duc de Bretagne avec la dévotion due à la salvatrice de la France et au « bon » Suzerain ». Bref, c’est une démarche de droite. Je ne sais pas très bien ce qui a poussé Santon à accueillir cela. Le fait que le Globe, théâtre de Sourbié, ait été remplacé par un lieu porno nommé « Les deux boules » ne me paraît pas suffisant. On peut s’interroger sur une ligne qui va d’une Phèdre comique à Handke en passant par Labiche et Vitrac et le fils Allio pour arriver à DIS BALTHAZAR ! Tout ça, c’est bien éclectique ! Fera-t-il une clientèle ainsi ?

Pour l’anecdote, « DIS BALTHAZAR » était une piecette de moi que j’avais primitivement intitulée « L’IMPROMPTU d’ESSAÏON ». Une fille et un garçon se rencontraient par hasard sur une scène de théâtre et se demandaient comment faire pour changer le monde.Claude Sandra et Jeau Luc Moreau, magnifiques tous les deux, ont posé la question pendant un mois à une moyenne de 3 à 22 spectateurs.

9.3 – Durant la première demie heure du CERCLE DE CRAIE CAUCASIEN, version Mehmet Ulusoy, j’ai été un peu inquiet car la scène pourtant vaste du T.G.P. était encombrée d’un matériel pléthorique qui me semblait manié avec gêne par les acteurs. Ensuite, j’ai apprécié l’utilisation habile de ces pneus, détritus métalliques, deux charrettes, et surtout de ce magnifique rideau à tout faire qui, notamment lorsqu’il devient rivière, est extraordinaire. J’ai admiré les masques, les accessoires, les costumes. Reste qu’il serait navrant que Mehmet tombât dans le piège où se sont enlisés les décentralisés et j’aimerais qu’il s’impose de monter son prochain spectacle avec peu de choses. Sa règle du jeu devrait être de faire un chef-d’œuvre rien qu’avec de la direction d’acteurs.
Durant cette première 1/2  heure, j’ai aussi soupiré en entendant une nouvelle fois la musique et les chansons de Paul Dessau, médiocres, inharmonieuses, incroyablement « dérythmées ». À cause de cette musique, tout le spectacle date. Puisque j’en suis au négatif, surprenante est la « leçon » de Brecht. Si je la comprends bien, Israël a raison de s’accrocher à la Palestine puisque les Juifs ont su irriguer la terre pour lui faire produire davantage de choses que les Arabes ! Ouais… Bien sûr l’auteur du petit Organon a imaginé son histoire dans un monde où les 2 parties sont communistes. Reste qu’il y a à dire, comme il y a à dire sur la façon pour le moins arbitraire dont le juge choisi par le peuple rend la justice. N’aurait-on pas un peu légèrement encensé une pensée « exemplaire »  qui n’eût pas perdu à être lucidement critiquée ?
Bon. Cela dit, le spectacle de Mehmet Ulsoy est admirable, et les objections sont de peu de poids face au fait que ses 3 heures coulent comme un flot passionnant sans qu’on s’ennuie une seconde (sauf peut-être un moment au début de la 2e partie quand Brecht entreprend de nous conter intégralement l’histoire du juge dont on se fout un peu. Mehmet a coupé dans cette partie, mais je la trouve encore trop longue), et face au fait complètement novateur qu’on assiste à cette représentation en spectateur « aliéné », si bien qu’on y rit sans distance, tremble de bonne foi aux périls que surmonte Groucha, frémit à ses malheurs, et pleure au dénouement heureux. S’il fallait démontrer que c’est comme ça qu’il faut jouer Brecht, et que les Marxistes secs et les Docteurs ès mode nous ont fait perdre 20 ans, eh bien c’est fait. Mehmet a du cœur, de la chaleur, cela a trop manqué à Brecht. Comme on l’a vu, ses « leçons » ne sont pas toujours à prendre comme argent comptant. Alors, qu’on le joue naturel, Bon Dieu !
La presse a distingué l’interprétation d’Arlette Bonnard et elle a eu raison. Les progrès qu’a faits cette actrice depuis qu’elle travaille avec Mehmet et non plus avec Vitez sont stupéfiants. La presse a eu tort de traîner dans la boue le reste de la distribution. Les acteurs sont solides. Qu’on ne comprenne pas ce que dit Loulou n’a aucune importance. Les seules faiblesses sont Kiriman et Luc Simonet mais ils ne jouent pas des grands rôles. Je n’aurais, moi, pas fait jouer à Vilhon, dont la présence est très personnelle, 2 rôles complémentaires. Pendant un moment, j’ai cru que le Prince lui-même s’était lancé à la poursuite de Groucha, alors que c’était un sous-officier ! Cela dit, encore une fois, c’est un grand spectacle où chaque minute grouille d’invention. Je crois que Mehmet, nonobstant ce qu’auraient souhaité certains grincheux, a dépassé le stade où on lui tolérait seulement des turqueries.

Publié dans histoire-du-theatre

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