Du 11 décembre 1974 au 30 janvier 1975
11.12 – Je crois que le VICTOR OU LES ENFANTS AU POUVOIR de Régis Santon est plus proche de l’esprit de Vitrac que celui de Jean Anouilh que nous avions tourné il y a dix ans. Dans ce dernier, la subversion surgissait malgré la mise en scène. Dans celui-ci, elle est accentuée, recherchée, appuyée. Mais j’ai gardé un tel souvenir de Flotats que j’ai été gêné par Régis Santon dans le rôle. D’une manière générale, la distribution est d’ailleurs « jeune », à l’exception de Charby en Antoine. L’enthousiasme ne supplée pas complètement au métier. A noter toutefois une étonnamment fraîche Esther en la personne de Martine Deconinx, qui ira sûrement loin car son jeu est vif et sûr avec un physique fort étrange.
La vraie réussite de Santon, c’est la dernière heure où tout le monde est en scène entassé autour d’une « table lit praticable » sur lequel dorment Emilie et Charles, Victor étant à l’intérieur. Le rythme, ralenti dans le texte par les allées et venues des personnages d’un lieu à l’autre, y gagne une bénéfique accélération et c’est en véritable explosion surréelle que se termine le spectacle. Avant cette envolée, le spectacle est vigoureusement mené. Il faut dire que l’œuvre est étonnante et étonnamment peu vieillie ! Dommage que la petitesse du théâtre Essaïon l’étrique un peu. Que dire d’autre ? Comment aurais-je réagi à cette lecture si je n’avais eu le souvenir de l’autre ? Mieux sans doute. J’ai tout compte fait assez peu ri hier soir. Mais faut-il tellement rire au spectacle de cette critique sociale proférée par un enfant terriblement intelligent qui sait qu’il mourra exactement quand il aura 9 ans ? Santon a gommé les « effets » que l’équipe d’Anouilh avait recherchés. C’est une autre conception.
Santon a bien du courage à la tête de ses petits théâtres Essaïon. Et du talent. A-t-il du génie ? Voire.
13.12 – Il y a vraiment une solidarité des Argentins. Pressé de toutes parts d’aller voir « Le Grand Rêveur » à 23h à la Porte Saint-Martin, j’ai été décidé par un appel personnel de Jorge Lavelli en personne. Bon !
Ce n’est pas si mal ce qu’il fait ce petit couple qui imite Charlot et le Kid avec beaucoup d’exactitude. Tant d’exactitude même qu’on dirait un exercice de copie pure. La perfection de la reproduction porte en soi sa limite. L’imagination n’est pas venue au secours d’un dépassement du propos. Le « rêve » n’éclate donc pas.
Il y avait un monde fou pour voir ce numéro d’1 heure. Les spectateurs du Magic sont en effet conviés par Savary à recevoir ce mini spectacle gratuitement en prime. (une gratuité corrigée à la fin par la manche). Reste que c’est un faux succès puisqu’aucune renommée n’appuie cette promotion.
14.12 – Pour l’inauguration de sa gestion au Récamier, Bourseiller a invité une troupe napolitaine, le théâtre de Marigliano Napoli, qui joue une improvisation en 2 parties sur le thème des travailleurs émigrés intitulée SUDD, et qui dure 1h40 environ. Heureusement que Chantal Darget rencontrée à l’entrée m’avait confié que le sujet était la misère italienne à l’étranger. Car je ne m’en serais pas aperçu au vu de ce spectacle où l’on voit, sous des éclairages au néon, un mec qui se fait frire des saucisses (le régisseur doit faire des économies car à l’odeur, j’avais pensé qu’il s’agissait de poisson), une nana qui rentre dans une baignoire pleine de flotte, en sort et y re-rentre et ainsi de suite. Et puis d’autres qui font des choses comme de s’occuper de 2 magnétophones qui distillent des sons constants. Il y a un musicien batteur qui obtient de beaux effets avec la baignoire et aussi des bidons de fuel à la Memet. Tout cela est sûrement très signifiant dans l’esprit des exécutants, mais ça ne passe pas. Et RIEN n’est fait pour aider à ce que ça se transmette. Entre des noirs prolongés qui font partie intégrante du message (10 minutes notamment au début), le spectateur rêvasse que ça lui rappelle d’autres choses ennuyeuses et inutiles, mais il ne cerne pas bien quoi, car le travail est tout de même « personnel ». Et puis, à la fin, je m’indigne parce que, tous comptes faits, cette démarche est la pire de toutes puisqu’elle vise à se servir de la misère à des fins esthétisantes. NON ! Ce n’est pas admissible de faire du théâtre élitaire avec ce sujet-là !
18.12 – Moi, ce qui m’étonne, c’est qu’une jeune troupe intitulée THEATRE SUR LA PLACE, dont la profession de Foi écrite dans le programme annonce la vocation itinérante et rurale, ainsi que la volonté de définir une réalité sociale « par une approche directe des conditions et modes de vie des populations concernées » entendez celles des villages de l’Aude et de l’Hérault), aborde le répertoire contemporain après 5 ans de classique, avec une œuvre canadienne qui est certes signifiante, vigoureuse et militante, mais qui, de par le fait qu’elle est très fortement SITUEE, donne un parfum éloigné et quasi-exotique à la lutte des classes.
Une lutte des classes au surplus étrangement DEPOLITISEE. LE PROCES DE JEAN-BAPTISTE M. conte l’histoire d’un employé modèle, archi jusqu’à l’absurde, dévoué aux intérêts des firmes qui l’emploient et qui tuera ses trois chefs hiérarchiques parce qu’ils l’ont chassé. Robert Gurik a décrit un univers capitaliste à l’Américaine, où la solidarité syndicale, le syndicat lui-même n’existent pas.
Frappé par une mesure arbitraire et injuste, Jean-Baptiste est SEUL, absolument, face à ses patrons, et même, le personnel se détourne de lui. Certes, ce personnel lui reprochait bien d’être un peu trop zélé ! Mais enfin il est clair que chez nous une telle éviction ne se passerait pas sans bruit.
Gurik a accumulé le pathétique : son héros a fait de la prison pour un délit mineur, et c’est ce qui le rend si accroché à l’emploi qu’il a enfin trouvé après cent et quelques places épisodiques ou refusées. Il y a un côté « je veux me racheter » dans le personnage, qui aurait dû pourtant puiser réconfort dans le fait qu’une femme charmante et fidèle, respectueuse de sa condition, l’a épousé. Et puis, il est « bilingue » et à Montréal, c’est une garantie de promotion. En fait Gurik dans sa pièce fait plus que dénoncer le système. Il dénonce l’aliénation de l’homme par le système et ce serait bien s’il possédait une référence politique ou s’il avait quelque solution à proposer. MAIS NON ! L’issue est résolument pessimiste !
La jeune équipe que dirige (sauf erreur) Jean-Pierre Thiercelin, a monté l’œuvre avec soin, exactitude, rigueur et professionnalisme. Le style rappelle un peu L’ABOYEUSE ET L’AUTOMATE telle que je l’avais vue dans la mise en scène de Monod vers les années 60 (?), c’est dire qu’il ne fleure pas la « recherche ». Mais ce n’est pas un reproche. La pièce est honnêtement servie et son impact serait plus fort si le propos était plus directement concernant pour nous. J.B.M. est peut-être un type courant au Canada. Chez nous, il est un « phénomène ». Là est la faiblesse. La troupe n’est coupable que de son choix. J’aimerais la voir à l’œuvre dans une pièce sur le négoce du vin, ou sur la liquidation du littoral languedocien par les promoteurs, ou sur la vie d’un ouvrier du Foz…
21.12 – Paul Allio, fils de René, règle ses comptes avec sa famille par une « variation » sur MACBETH qui s’appelle LA HAUTE COLLINE DE DUNSINAME et qui se joue au théâtre Essaïon devant des chambrées de 4 à 12 spectateurs charmés par un certain humour qui fera peut-être merveille lorsque le jeune auteur écrira une œuvre moins intime, et surtout débouchant davantage sur l’universel.
22.12 -Lorsque Denis Llorca nous faisait publier à propos des MILLE ET UNE NUITS DE CYRANO DE BERGERAC qu’il s’agissait des aventures d’une petite troupe de comédiens ambulants conduite par le poète Cyrano de Bergerac et ayant à son répertoire la pièce d’Edmond Rostand, je craignais un peu que l’accumulation des degrés ne donne à l’aboutissement une représentation intellectuelle. Or, ce que j’ai vu dans la petite salle incommode où Gosselin et Mollien répètent d’habitude (oh ! condition du théâtre !) n’est pas intellectuel mais intelligent. Solidement référencé aux niveaux historiques et littéraires, le spectacle ne sort en rien didactique. L’anecdote apparaît limpide. Le rêve de l’artiste, qui, écœuré par les hommes, s’évade vers les états de la lune, coule de source tout naturellement, et d’autant plus stupide s’en éclaire le jugement d’un tribunal qui a condamné l’imaginant parce que ses membres étaient convaincus que le voyage avait réellement eu lieu. Llorca n’est pas « politisé », mais son personnage l’est, au même degré que Brecht avait jugé que l’était Galilée. Nous jetons sur cet homme, en avance sur son temps qui naviguait dans l’utopie et qui contestait l’ordre établi sur la terre, un regard qui n’est pas sans parenté avec celui que l’écrivain allemand nous avait invité à jeter sur le savant ayant découvert que notre globe n’était pas plat ! Mais Cyrano s’en est mal tiré et son œuvre presque entière a été brûlée. Le reste a été pillé, et fort savoureuse est la représentation du PÉDANT JOUÉ dont Llorca nous gratifie et qui nous permet de constater à quel point Molière avait copié mot pour mot la scène de la galère turque et celle de Zerbinette dans ses FOURBERIES DE SCAPIN. Je l’avais certes appris à l’école, mais à l’entendre, on est confondu d’UN tel plagiat.
A part cela, poésie, tendresse, et drôlerie sont les mots qui me paraissent caractériser ce montage où il transparaît que l’auteur metteur en scène a aimé son héros. Cela ne l’empêche pas de le décrire tel qu’il était et de le montrer querelleur, prompt à manier la dague, indifférent à tuer. Il est vrai que c’est l’occasion pour Llorca de satisfaire à sa passion des combats en scène. Je ne me souviens d’aucun spectacle de ce lascar qui n’ait été illustré par des échanges de passe. Pourquoi pas ? Il y excelle. Et puis ici, c’est entièrement justifié.
Ces compliments étonneront peut-être ceux qui me voient ne louer d’ordinaire que les spectacles signifiants. À dire le vrai, je suis un peu surpris moi-même de ma satisfaction et il n’est pas exclu que je révise mon point de vue lorsque je verrai le spectacle fini (car, dirons-le carrément, avant-hier, il n’était pas prêt). Le certain, c’est que j’aime chez Llorca l’intelligence et la santé. Et que je le crois peu rattachable aux voies de ses camarades de la même génération. Sa ligne est bien à lui, et ça compte. J’ai pourtant songé à MAITRE ET SERVITEUR. La présence de Prévand dans la distribution n’est peut-être pas un hasard. Après tout, il nous faut des « enculturés » dénicheurs. Et puis, Cyrano ne dit-il pas notre dégoût de la vie que nous font nos contemporains ? Et son appétit d’évasion, sa violence, sont-ils tellement éloignés de nous ?
18.1 – Deux soirées Labiche, l’une à Sorano, LA STATION CHAMBEAUDET, l’autre à Essaïon, VOYAGE AUTOUR DE MA MARMITE, viennent une nouvelle fois rappeler à quel point ce grand bourgeois du début du siècle était féroce envers sa classe sociale, qu’il ne visait, dans ses pièces, qu’à divertir. Les jeunes équipes en mal de contestation sans danger, y puisent une manne abondante, et peuvent y jeter leur gourmes sous l’œil bienveillant de la presse. Il y a quelques nuances de « parti » entre l’équipe de Caroline Huppert et celle des élèves de Benoin. Disons qu’elles ne font pas novation, mais que les deux démarches sont de qualité, donc que les deux soirées sont plaisantes.
19.1 – Est-ce que Michel Hermon prendrait goût à l’humour ? Pour la première fois, j’ai souri à un de ses spectacles. Et je ne m’y suis ennuyé que par moments. « Grimm Contes » est un montage autour de certains contes célèbres. Les uns sont dits, d’un ton qui distille leur cruauté, les autres sont « exprimés » en jeu, et il est dommage que ceux-ci soient moins visibles que les premiers. Il est vrai qu’il s’agit d’extrapolations, et que les phantasmes du réalisateur y transparaissent beaucoup…
20.1 - Les univers de l’enfance inspirent aussi le « mime » Lebreton dont l’art s’apparente d’ailleurs à celui du clown . HEIN est un travail remarquable d’exactitude, de drôlerie et de charme…
20.1 - Et charmant est l’ANIMALIA de Guy Gaillardo, bestiaire fin, cultivé, intelligent et amusant, qui s’apparente aux divertissements de salon de bon ton. Toute la « création » y défile à travers la poésie, le dictionnaire et la chanson, en 1h10 qu’on ne regrette pas.
21.1 – Voici une troupe selon mon cœur, parce qu’elle appelle un chat un chat, ne s’embarrasse pas de « degrés », mène son combat avec enthousiasme, foi visible, jeunesse et spontanéité : c’est le « Teatre de la Carriera », théâtre populaire occitan, qui présente pour 15 jours aux Deux Portes TABO. Ce mot signifie paraît-il : « Tiens bon ». TABO, c’est l’histoire de l’industrialisation des Cévennes racontée aux gens des Cévennes dans leur langue en des termes de lisibilité parfaite pour des gens éprouvant le fait politique de la lutte des classes mais ne connaissant pas le jargon philosophique des docteurs ès Marxisme. C’est donc un spectacle dangereux puisqu’il dit ce qu’il veut dire de façon à ce que tout le monde comprenne. Comme en plus il le dit avec talent, et même art, mais un art qui est toujours au service du contenu, et n’est jamais à aucun moment en soi pour soi ; comme il est émouvant au sens où il peut faire pleurer Margot, tout en sachant faire rire souvent, comme il est rythmé, vivant, jamais ennuyeux, comme il n’est inféodé à aucune « école », ne se réfère à aucun esthétisme à la mode, et revendique au surplus la prise en considération par le Pouvoir d’un particularisme régional qui rue dans les brancards pour conserver sa personnalité face à l’envahissement du capitalisme au visage « national », et traite donc d’un sujet bien de chez nous et non pas de Franco, de Pinochet, ou de l’expansionnisme américain en Turquie, on comprend que l’équipe nourrisse quelques inquiétudes sur le sort de ses demandes de subventions ! Cela dit, par le fait qu’elle joue bilingue, et apporte aux Parisiens la « découverte » d’un langage qui est suffisamment proche du français pour être à peu près compréhensible, procurant au spectateur attentif la joie de comparer les racines, il est probable qu’elle provoquera un certain engouement récupérateur. Il se pourrait bien que nos manœuvriers professionnels de la plume tirent une leçon inverse de celle que tire la troupe, à savoir que la richesse de notre patrimoine culturel est diverse et creuset d’unité hexagonale. Attendons de lire.
25.1.75 – Avec un COUPLE POUR L’HIVER, Jacques Lassalle a voulu réaliser une chronique de tranches de vie dans la banlieue et il y aurait sûrement mieux réussi si ses personnages avaient possédé plus de consistance. Tels que nous les voyons, ce sont en effet des stéréotypes de bande dessinée : il y a la prof au lycée qui cherche le contact avec la classe ouvrière et le trouve, à tous points de vue (au début du moins) avec le jeune paysan « monté » à la ville et confronté aux difficultés de l’embauche, il y a la « femme » de la petite frappe en taule, tête d’oiseau qui danse et baise et travaille au Prisu, il y a la petite frappe elle-même, jouant du couteau facile avec des attitudes issues des films de gangster, il y a l’Algérien réfléchi, courageux et résigné, il y a le comptable du PMU raciste et con, bref des entités signifiantes, MAIS PAS DES « CARACTÈRES ».
Et ce n’aurait pas d’importance si Lassalle avait choisi une forme propice pour son constat, mais comme il nous bâille du dialogue « quotidien » à travers des scènes « prises sur le vif » qui se veulent avoir l’accent du vrai, la pauvreté psychologique des personnages éclate, et l’on ne parvient pas à s’y intéresser réellement, sauf quand il y a de l’« action ». Mais alors, on nage dans le banal et l’impression générale recueillie est qu’on s’emmerde.
UN COUPLE POUR L’HIVER n’en est pas moins une entreprise estimable et, si j’écrivais dans un journal, je me ferais un devoir de la soutenir. Car il y a des moments où ça passe. Et puis l’idée d’utiliser en grand comme décor des cartons d’emballage vides, aisément déplaçables et mettant en gros plan des objets réalistes, est plausible. Mais, les acteurs sont-ils mauvais ? Où Lassalle n’a-t-il pas su les diriger ?
Reste de cette soirée à boire et à manger que j’irai voir le prochain spectacle du Studio Théâtre de Vitry. Il a le mérite de parler d’aujourd’hui en France, et ça compte à mes yeux suffisamment pour donner le coefficient 4 à l’ébauche vue.
26.1 – Jean Vauthier m’a lu une grande fresque de 4h30 intitulée ELISABETH et qui s’inspire de la même anecdote que le classique ARDEN DE FAVERSHAM. C’est une superproduction qui ne pourra que coûter extrêmement cher à monter, qui requerra une technicité exceptionnelle, qui ne traite d’aucun problème capable de m’intéresser, et que j’ai cependant écoutée sans défaillir et même avec plaisir, et même en me faisant réflexion qu’un grand théâtre d’évasion pourrait être « populaire ». Vauthier, cela dit, n’écrit pas directement pour le peuple. Il se soucie grandement de ne pas paraître simpliste aux yeux des docteurs et il complique à dessein son propos. Ainsi, au lieu de raconter dans l’ordre l’histoire du couple monstrueux qui perpétue 7 tentatives avant de parvenir à assassiner le mari de la femme adultère et nymphomane, héroïne de l’affaire, nous la montre-t-il en prison, torturée, revivant son drame en flash-back. Ce n’est qu’au bout de 3 heures environ, que nous avons droit à une scène « en direct », lorsque des hommes viennent lui signifier la sentence dans la cellule. Vauthier tient d’autre part à jeter sur le crime historique un œil contemporain. En fait, il fait de la distanciation sans le savoir et son procédé rejoint celui de Bayen avec son appareil photographique de « la danse macabre ». Seulement ici, c’est toute une équipe de la TV qui filme le procès d’Elisabeth et de ses complices, avec tout un matériel encombrant. Il attache de l’importance à ce que la technique soit toujours théâtralisée, et les changements sont minutieusement décrits. Peu de place est d’ailleurs laissée à l’initiative du futur éventuel metteur en scène. Tout est précisé, et même les éclairages. Il faudra beaucoup de génie au réalisateur pour tirer son épingle du jeu sans trahir. Peut-être un Bisson réussirait-il à recréer l’atmosphère de démesure qui baigne chaque instant du récit, en même temps que la dérision qui ressort de l’échec constant jusqu’à la dernière minute de tous les projets de complots minutieusement préparés et foirant à chaque fois. Il est presque dommage que le spectateur sache d’avance que la dernière tentative réussira, mais dans un tel bordel que les coupables seront immédiatement démasqués, ce qui est pathétique après tant de précautions prises. Pathétique et grotesque, immense et truculent. Intéressant est l’envahissement de la technique. Discrète au début, l’intervention de la TV devient omniprésente, et à la fin du spectacle, tout sera perçu en images, en son, et même en doublage, les personnages ne s’exprimant plus par leurs organes et les mouvements de leurs corps étant en décalage. Quoique que je ne perçoive pas très bien les motivations, tout cela peut être assez étonnant et pour le moins spectaculaire. Il y a peut-être un degré sous-jacent entendant obscurément contester une certaine déshumanisation. Les docteurs auront de quoi gloser. L’important est que l’anecdote soit en soi lisible telle quelle. Là gît le « populaire ». Reste que l’œuvre ne sent pas son extrême jeunesse, et que le spectacle sera inévitablement un grand machin très long et très lourd, extraordinaire dans tous les sens du mot, y compris que c’est sans référence autre qu’élisabéthaine. Un Elisabéthain qui se voudrait moderne. Mais les chagrins –et j’en serai peut-être, cela dépendra de la réalisation- ne manqueront pas de relever l’absence de contenu. J’ai éprouvé comme un manque de densité, d’épaisseur, et il est étrange que les scènes de torture ne m’aient rien évoqué d’actuel, et m’aient semblé surgir de la nuit des temps comme une chose désuètement anachronique. Les hurlements (trop) littéraires de la criminelle « questionnée » ne m’ont pas touché malgré le talent du lecteur. N’est-ce pas un défaut, d’ailleurs, que tout soit en majeur, dans l’excès ?, y compris les scènes d’amour où rien ne semble complètement sincère ? Là doit être une clef de l’univers d’un homme qui ne croit jamais que quoi que ce soit puisse être pur. Même Arden, la victime, n’est pas estimable dans la mesure où il est un horrible tyran domestique s’opposant aux amours de son personnel. « Rien n’est beau, rien n’est vrai, rien n’est juste », disait Montherlant. Vauthier n’est pas loin de cette analyse. Et c’est pourquoi les contrepoints tendres lui sont inconnus. Un souffle puissant balaye l’œuvre sans accalmies, et c’est le souffle d’un monde sans douceur, sans bonté, comique parfois mais sans gaieté. Mais ce n’est pas le nôtre. C’est un monde déraciné, abstrait. Là est la vérité : abstrait.
COMMENTAIRE
Au risque de me répéter, je rappelle que Jean Vauthier était l’ami intîme de ma collaboratrice Monique Bertin. C’est même lui qui, à l’époque où je dirigeais le THÉÂTRE d’AUJOURD’HUI et étais en quête d’auteurs vivants, me l’avait présentée parce que dans la conversation je lui avais dit que j’étais en recherche d’un ou d’une secrétaire. « Hum ! Hum ! » avait il proféré « écoutez c’est à vous de voir, Mais enfin … hum ! hum ! hum ! vous pourriez essayer … » C’est ce que j’ai fait et je ne me suis jamais repenti de cette collaboration. De salariée (mal et pas toujours payée en ces temps difficiles pour moi), elle est devenue en 1970 mon associée et ce fut jusqu’au moment où elle prit sa retraite, une merveilleuse accompagnatrice de mes travaux de bureau et aussi femme de terrain que les troupes adoraient parce qu’elle était toujours à leurs petits soins. Ceci explique que j’aie conservé avec Vauthier un peu comme « un ami de la famille » des relations particulières. Je n’étais en effet pas accoutumé à écouter des auteurs lisant leurs œuvres. Mais refuser d’entendre ELISABETH eût été perçu par lui comme une insulte. Au surplus il attachait (ce qui me flattait) de l’importance à mes avis. J’ajoute que c’était un étonnant personnage. Je l’ai pris comme modèle (en transposant pas mal quand même) quand j’ai écrit ma pièe « LE DÉSERT » qu’il a préfacée lors qu’elle fut éditée, avec un petit clin d’eoil : « il y a quelque chose de moi dans ce personnage ». Il était en effet démesuré en tout maus lucide.
30.1 – Mise en scène par Jean Gillibert avec Maria Casarès, LA CELESTINE n’apportait pas au public de 1972 un spectacle très populaire. Mais les motivations de la réalisation étaient nourries au suc des profondeurs de l’œuvre de Rojas. Et les contenus avaient un poids, une densité, une épaisseur, que je n’ai pas retrouvés dans la version de la Comédie Française 1975, signée Laville et Maréchal, avec Denise Gence.
Gillibert par exemple avait su faire de la Célestine une militante. Le sens de sa vie entière était la revendication de la Femme à la liberté, à toutes les libertés, sexuelle, économique, à l’avortement. Elle était animée par une foi invincible en la véracité de son combat, et son action avait quelque chose de noble, même si ses moyens étaient sordides. Denise Gence nous montre une mère maquerelle, et puis voilà c’est tout ! Rien qu’à ce niveau, je m’étais senti concerné là, et j’ai assisté à une représentation « classique » ici.
Les racines de la Célestine de Gillibert avaient été montrées comme surgissant des obscurités du Moyen Age espagnol, fait d’un Christianisme ardent, et de son antithèse, le sacrilège, inspiré par les relents d’un Paganisme vivace. Maréchal a cru bon de faire appel à une autre source, celle de l’Islam, dont je ne conteste pas le bien-fondé, mais dont j’ignore si elle a été, ou non, rajoutée au monument de Rojas, ou si elle y était indiquée. Ce que je puis dire, c’est qu’au niveau du spectacle, ce rajout m’a paru superficiel, et surtout, édulcorer le propos. Certes, même un Chrétien au 20ème siècle avait de la peine à avoir froid dans le dos en assistant à des pratiques condamnées, mais chez Gillibert, un souffle puissant passait, tout allait loin, le banquet était une dérision de cène, le retournement de Mélibée était un véritable exorcisme. Ici, on virevolte de thème en thème sans insister jamais. On a envie de dire que Laville n’a pas su être pour Maréchal le dramaturge qu’a été Gillibert pour lui-même.
Alors nous avons en face de nous un spectacle riche, joué par de bons acteurs à qui le réalisateur a su imprimer sa marque (et même presque trop, car on a un peu l’impression d’assister à l’exhibition d’un Maréchal, acteur, découpé en tranches ubiques !), mais où la mise en scène fonctionne au premier degré, une mise en scène qui puise son brillant dans les à-côtés et son « scandale » dans l’apport à la Comédie Française de procédés que nous retrouvons au fil des années dans tous les spectacles de Maréchal. Ce qui éclate, pour ceux qui l’ont suivi, c’est son non renouvellement. Cet homme est essoufflé. Il jette toujours de la poudre aux yeux, mais c’est toujours la même poudre, celle qui a fait de lui une vedette de la décentralisation. Mais justement ici il n’est pas sur son terrain, et son invention semble pauvre. Mettre un tango en sonorisation, faire danser les survivants sur les cadavres, ça épate et choque les bourgeois, mais ce n’est pas important. C’est une contestation de surface. Au fond, je me demande si Maréchal est très intelligent.
La vraie réussite de Santon, c’est la dernière heure où tout le monde est en scène entassé autour d’une « table lit praticable » sur lequel dorment Emilie et Charles, Victor étant à l’intérieur. Le rythme, ralenti dans le texte par les allées et venues des personnages d’un lieu à l’autre, y gagne une bénéfique accélération et c’est en véritable explosion surréelle que se termine le spectacle. Avant cette envolée, le spectacle est vigoureusement mené. Il faut dire que l’œuvre est étonnante et étonnamment peu vieillie ! Dommage que la petitesse du théâtre Essaïon l’étrique un peu. Que dire d’autre ? Comment aurais-je réagi à cette lecture si je n’avais eu le souvenir de l’autre ? Mieux sans doute. J’ai tout compte fait assez peu ri hier soir. Mais faut-il tellement rire au spectacle de cette critique sociale proférée par un enfant terriblement intelligent qui sait qu’il mourra exactement quand il aura 9 ans ? Santon a gommé les « effets » que l’équipe d’Anouilh avait recherchés. C’est une autre conception.
Santon a bien du courage à la tête de ses petits théâtres Essaïon. Et du talent. A-t-il du génie ? Voire.
13.12 – Il y a vraiment une solidarité des Argentins. Pressé de toutes parts d’aller voir « Le Grand Rêveur » à 23h à la Porte Saint-Martin, j’ai été décidé par un appel personnel de Jorge Lavelli en personne. Bon !
Ce n’est pas si mal ce qu’il fait ce petit couple qui imite Charlot et le Kid avec beaucoup d’exactitude. Tant d’exactitude même qu’on dirait un exercice de copie pure. La perfection de la reproduction porte en soi sa limite. L’imagination n’est pas venue au secours d’un dépassement du propos. Le « rêve » n’éclate donc pas.
Il y avait un monde fou pour voir ce numéro d’1 heure. Les spectateurs du Magic sont en effet conviés par Savary à recevoir ce mini spectacle gratuitement en prime. (une gratuité corrigée à la fin par la manche). Reste que c’est un faux succès puisqu’aucune renommée n’appuie cette promotion.
14.12 – Pour l’inauguration de sa gestion au Récamier, Bourseiller a invité une troupe napolitaine, le théâtre de Marigliano Napoli, qui joue une improvisation en 2 parties sur le thème des travailleurs émigrés intitulée SUDD, et qui dure 1h40 environ. Heureusement que Chantal Darget rencontrée à l’entrée m’avait confié que le sujet était la misère italienne à l’étranger. Car je ne m’en serais pas aperçu au vu de ce spectacle où l’on voit, sous des éclairages au néon, un mec qui se fait frire des saucisses (le régisseur doit faire des économies car à l’odeur, j’avais pensé qu’il s’agissait de poisson), une nana qui rentre dans une baignoire pleine de flotte, en sort et y re-rentre et ainsi de suite. Et puis d’autres qui font des choses comme de s’occuper de 2 magnétophones qui distillent des sons constants. Il y a un musicien batteur qui obtient de beaux effets avec la baignoire et aussi des bidons de fuel à la Memet. Tout cela est sûrement très signifiant dans l’esprit des exécutants, mais ça ne passe pas. Et RIEN n’est fait pour aider à ce que ça se transmette. Entre des noirs prolongés qui font partie intégrante du message (10 minutes notamment au début), le spectateur rêvasse que ça lui rappelle d’autres choses ennuyeuses et inutiles, mais il ne cerne pas bien quoi, car le travail est tout de même « personnel ». Et puis, à la fin, je m’indigne parce que, tous comptes faits, cette démarche est la pire de toutes puisqu’elle vise à se servir de la misère à des fins esthétisantes. NON ! Ce n’est pas admissible de faire du théâtre élitaire avec ce sujet-là !
18.12 – Moi, ce qui m’étonne, c’est qu’une jeune troupe intitulée THEATRE SUR LA PLACE, dont la profession de Foi écrite dans le programme annonce la vocation itinérante et rurale, ainsi que la volonté de définir une réalité sociale « par une approche directe des conditions et modes de vie des populations concernées » entendez celles des villages de l’Aude et de l’Hérault), aborde le répertoire contemporain après 5 ans de classique, avec une œuvre canadienne qui est certes signifiante, vigoureuse et militante, mais qui, de par le fait qu’elle est très fortement SITUEE, donne un parfum éloigné et quasi-exotique à la lutte des classes.
Une lutte des classes au surplus étrangement DEPOLITISEE. LE PROCES DE JEAN-BAPTISTE M. conte l’histoire d’un employé modèle, archi jusqu’à l’absurde, dévoué aux intérêts des firmes qui l’emploient et qui tuera ses trois chefs hiérarchiques parce qu’ils l’ont chassé. Robert Gurik a décrit un univers capitaliste à l’Américaine, où la solidarité syndicale, le syndicat lui-même n’existent pas.
Frappé par une mesure arbitraire et injuste, Jean-Baptiste est SEUL, absolument, face à ses patrons, et même, le personnel se détourne de lui. Certes, ce personnel lui reprochait bien d’être un peu trop zélé ! Mais enfin il est clair que chez nous une telle éviction ne se passerait pas sans bruit.
Gurik a accumulé le pathétique : son héros a fait de la prison pour un délit mineur, et c’est ce qui le rend si accroché à l’emploi qu’il a enfin trouvé après cent et quelques places épisodiques ou refusées. Il y a un côté « je veux me racheter » dans le personnage, qui aurait dû pourtant puiser réconfort dans le fait qu’une femme charmante et fidèle, respectueuse de sa condition, l’a épousé. Et puis, il est « bilingue » et à Montréal, c’est une garantie de promotion. En fait Gurik dans sa pièce fait plus que dénoncer le système. Il dénonce l’aliénation de l’homme par le système et ce serait bien s’il possédait une référence politique ou s’il avait quelque solution à proposer. MAIS NON ! L’issue est résolument pessimiste !
La jeune équipe que dirige (sauf erreur) Jean-Pierre Thiercelin, a monté l’œuvre avec soin, exactitude, rigueur et professionnalisme. Le style rappelle un peu L’ABOYEUSE ET L’AUTOMATE telle que je l’avais vue dans la mise en scène de Monod vers les années 60 (?), c’est dire qu’il ne fleure pas la « recherche ». Mais ce n’est pas un reproche. La pièce est honnêtement servie et son impact serait plus fort si le propos était plus directement concernant pour nous. J.B.M. est peut-être un type courant au Canada. Chez nous, il est un « phénomène ». Là est la faiblesse. La troupe n’est coupable que de son choix. J’aimerais la voir à l’œuvre dans une pièce sur le négoce du vin, ou sur la liquidation du littoral languedocien par les promoteurs, ou sur la vie d’un ouvrier du Foz…
21.12 – Paul Allio, fils de René, règle ses comptes avec sa famille par une « variation » sur MACBETH qui s’appelle LA HAUTE COLLINE DE DUNSINAME et qui se joue au théâtre Essaïon devant des chambrées de 4 à 12 spectateurs charmés par un certain humour qui fera peut-être merveille lorsque le jeune auteur écrira une œuvre moins intime, et surtout débouchant davantage sur l’universel.
22.12 -Lorsque Denis Llorca nous faisait publier à propos des MILLE ET UNE NUITS DE CYRANO DE BERGERAC qu’il s’agissait des aventures d’une petite troupe de comédiens ambulants conduite par le poète Cyrano de Bergerac et ayant à son répertoire la pièce d’Edmond Rostand, je craignais un peu que l’accumulation des degrés ne donne à l’aboutissement une représentation intellectuelle. Or, ce que j’ai vu dans la petite salle incommode où Gosselin et Mollien répètent d’habitude (oh ! condition du théâtre !) n’est pas intellectuel mais intelligent. Solidement référencé aux niveaux historiques et littéraires, le spectacle ne sort en rien didactique. L’anecdote apparaît limpide. Le rêve de l’artiste, qui, écœuré par les hommes, s’évade vers les états de la lune, coule de source tout naturellement, et d’autant plus stupide s’en éclaire le jugement d’un tribunal qui a condamné l’imaginant parce que ses membres étaient convaincus que le voyage avait réellement eu lieu. Llorca n’est pas « politisé », mais son personnage l’est, au même degré que Brecht avait jugé que l’était Galilée. Nous jetons sur cet homme, en avance sur son temps qui naviguait dans l’utopie et qui contestait l’ordre établi sur la terre, un regard qui n’est pas sans parenté avec celui que l’écrivain allemand nous avait invité à jeter sur le savant ayant découvert que notre globe n’était pas plat ! Mais Cyrano s’en est mal tiré et son œuvre presque entière a été brûlée. Le reste a été pillé, et fort savoureuse est la représentation du PÉDANT JOUÉ dont Llorca nous gratifie et qui nous permet de constater à quel point Molière avait copié mot pour mot la scène de la galère turque et celle de Zerbinette dans ses FOURBERIES DE SCAPIN. Je l’avais certes appris à l’école, mais à l’entendre, on est confondu d’UN tel plagiat.
A part cela, poésie, tendresse, et drôlerie sont les mots qui me paraissent caractériser ce montage où il transparaît que l’auteur metteur en scène a aimé son héros. Cela ne l’empêche pas de le décrire tel qu’il était et de le montrer querelleur, prompt à manier la dague, indifférent à tuer. Il est vrai que c’est l’occasion pour Llorca de satisfaire à sa passion des combats en scène. Je ne me souviens d’aucun spectacle de ce lascar qui n’ait été illustré par des échanges de passe. Pourquoi pas ? Il y excelle. Et puis ici, c’est entièrement justifié.
Ces compliments étonneront peut-être ceux qui me voient ne louer d’ordinaire que les spectacles signifiants. À dire le vrai, je suis un peu surpris moi-même de ma satisfaction et il n’est pas exclu que je révise mon point de vue lorsque je verrai le spectacle fini (car, dirons-le carrément, avant-hier, il n’était pas prêt). Le certain, c’est que j’aime chez Llorca l’intelligence et la santé. Et que je le crois peu rattachable aux voies de ses camarades de la même génération. Sa ligne est bien à lui, et ça compte. J’ai pourtant songé à MAITRE ET SERVITEUR. La présence de Prévand dans la distribution n’est peut-être pas un hasard. Après tout, il nous faut des « enculturés » dénicheurs. Et puis, Cyrano ne dit-il pas notre dégoût de la vie que nous font nos contemporains ? Et son appétit d’évasion, sa violence, sont-ils tellement éloignés de nous ?
18.1 – Deux soirées Labiche, l’une à Sorano, LA STATION CHAMBEAUDET, l’autre à Essaïon, VOYAGE AUTOUR DE MA MARMITE, viennent une nouvelle fois rappeler à quel point ce grand bourgeois du début du siècle était féroce envers sa classe sociale, qu’il ne visait, dans ses pièces, qu’à divertir. Les jeunes équipes en mal de contestation sans danger, y puisent une manne abondante, et peuvent y jeter leur gourmes sous l’œil bienveillant de la presse. Il y a quelques nuances de « parti » entre l’équipe de Caroline Huppert et celle des élèves de Benoin. Disons qu’elles ne font pas novation, mais que les deux démarches sont de qualité, donc que les deux soirées sont plaisantes.
19.1 – Est-ce que Michel Hermon prendrait goût à l’humour ? Pour la première fois, j’ai souri à un de ses spectacles. Et je ne m’y suis ennuyé que par moments. « Grimm Contes » est un montage autour de certains contes célèbres. Les uns sont dits, d’un ton qui distille leur cruauté, les autres sont « exprimés » en jeu, et il est dommage que ceux-ci soient moins visibles que les premiers. Il est vrai qu’il s’agit d’extrapolations, et que les phantasmes du réalisateur y transparaissent beaucoup…
20.1 - Les univers de l’enfance inspirent aussi le « mime » Lebreton dont l’art s’apparente d’ailleurs à celui du clown . HEIN est un travail remarquable d’exactitude, de drôlerie et de charme…
20.1 - Et charmant est l’ANIMALIA de Guy Gaillardo, bestiaire fin, cultivé, intelligent et amusant, qui s’apparente aux divertissements de salon de bon ton. Toute la « création » y défile à travers la poésie, le dictionnaire et la chanson, en 1h10 qu’on ne regrette pas.
21.1 – Voici une troupe selon mon cœur, parce qu’elle appelle un chat un chat, ne s’embarrasse pas de « degrés », mène son combat avec enthousiasme, foi visible, jeunesse et spontanéité : c’est le « Teatre de la Carriera », théâtre populaire occitan, qui présente pour 15 jours aux Deux Portes TABO. Ce mot signifie paraît-il : « Tiens bon ». TABO, c’est l’histoire de l’industrialisation des Cévennes racontée aux gens des Cévennes dans leur langue en des termes de lisibilité parfaite pour des gens éprouvant le fait politique de la lutte des classes mais ne connaissant pas le jargon philosophique des docteurs ès Marxisme. C’est donc un spectacle dangereux puisqu’il dit ce qu’il veut dire de façon à ce que tout le monde comprenne. Comme en plus il le dit avec talent, et même art, mais un art qui est toujours au service du contenu, et n’est jamais à aucun moment en soi pour soi ; comme il est émouvant au sens où il peut faire pleurer Margot, tout en sachant faire rire souvent, comme il est rythmé, vivant, jamais ennuyeux, comme il n’est inféodé à aucune « école », ne se réfère à aucun esthétisme à la mode, et revendique au surplus la prise en considération par le Pouvoir d’un particularisme régional qui rue dans les brancards pour conserver sa personnalité face à l’envahissement du capitalisme au visage « national », et traite donc d’un sujet bien de chez nous et non pas de Franco, de Pinochet, ou de l’expansionnisme américain en Turquie, on comprend que l’équipe nourrisse quelques inquiétudes sur le sort de ses demandes de subventions ! Cela dit, par le fait qu’elle joue bilingue, et apporte aux Parisiens la « découverte » d’un langage qui est suffisamment proche du français pour être à peu près compréhensible, procurant au spectateur attentif la joie de comparer les racines, il est probable qu’elle provoquera un certain engouement récupérateur. Il se pourrait bien que nos manœuvriers professionnels de la plume tirent une leçon inverse de celle que tire la troupe, à savoir que la richesse de notre patrimoine culturel est diverse et creuset d’unité hexagonale. Attendons de lire.
25.1.75 – Avec un COUPLE POUR L’HIVER, Jacques Lassalle a voulu réaliser une chronique de tranches de vie dans la banlieue et il y aurait sûrement mieux réussi si ses personnages avaient possédé plus de consistance. Tels que nous les voyons, ce sont en effet des stéréotypes de bande dessinée : il y a la prof au lycée qui cherche le contact avec la classe ouvrière et le trouve, à tous points de vue (au début du moins) avec le jeune paysan « monté » à la ville et confronté aux difficultés de l’embauche, il y a la « femme » de la petite frappe en taule, tête d’oiseau qui danse et baise et travaille au Prisu, il y a la petite frappe elle-même, jouant du couteau facile avec des attitudes issues des films de gangster, il y a l’Algérien réfléchi, courageux et résigné, il y a le comptable du PMU raciste et con, bref des entités signifiantes, MAIS PAS DES « CARACTÈRES ».
Et ce n’aurait pas d’importance si Lassalle avait choisi une forme propice pour son constat, mais comme il nous bâille du dialogue « quotidien » à travers des scènes « prises sur le vif » qui se veulent avoir l’accent du vrai, la pauvreté psychologique des personnages éclate, et l’on ne parvient pas à s’y intéresser réellement, sauf quand il y a de l’« action ». Mais alors, on nage dans le banal et l’impression générale recueillie est qu’on s’emmerde.
UN COUPLE POUR L’HIVER n’en est pas moins une entreprise estimable et, si j’écrivais dans un journal, je me ferais un devoir de la soutenir. Car il y a des moments où ça passe. Et puis l’idée d’utiliser en grand comme décor des cartons d’emballage vides, aisément déplaçables et mettant en gros plan des objets réalistes, est plausible. Mais, les acteurs sont-ils mauvais ? Où Lassalle n’a-t-il pas su les diriger ?
Reste de cette soirée à boire et à manger que j’irai voir le prochain spectacle du Studio Théâtre de Vitry. Il a le mérite de parler d’aujourd’hui en France, et ça compte à mes yeux suffisamment pour donner le coefficient 4 à l’ébauche vue.
26.1 – Jean Vauthier m’a lu une grande fresque de 4h30 intitulée ELISABETH et qui s’inspire de la même anecdote que le classique ARDEN DE FAVERSHAM. C’est une superproduction qui ne pourra que coûter extrêmement cher à monter, qui requerra une technicité exceptionnelle, qui ne traite d’aucun problème capable de m’intéresser, et que j’ai cependant écoutée sans défaillir et même avec plaisir, et même en me faisant réflexion qu’un grand théâtre d’évasion pourrait être « populaire ». Vauthier, cela dit, n’écrit pas directement pour le peuple. Il se soucie grandement de ne pas paraître simpliste aux yeux des docteurs et il complique à dessein son propos. Ainsi, au lieu de raconter dans l’ordre l’histoire du couple monstrueux qui perpétue 7 tentatives avant de parvenir à assassiner le mari de la femme adultère et nymphomane, héroïne de l’affaire, nous la montre-t-il en prison, torturée, revivant son drame en flash-back. Ce n’est qu’au bout de 3 heures environ, que nous avons droit à une scène « en direct », lorsque des hommes viennent lui signifier la sentence dans la cellule. Vauthier tient d’autre part à jeter sur le crime historique un œil contemporain. En fait, il fait de la distanciation sans le savoir et son procédé rejoint celui de Bayen avec son appareil photographique de « la danse macabre ». Seulement ici, c’est toute une équipe de la TV qui filme le procès d’Elisabeth et de ses complices, avec tout un matériel encombrant. Il attache de l’importance à ce que la technique soit toujours théâtralisée, et les changements sont minutieusement décrits. Peu de place est d’ailleurs laissée à l’initiative du futur éventuel metteur en scène. Tout est précisé, et même les éclairages. Il faudra beaucoup de génie au réalisateur pour tirer son épingle du jeu sans trahir. Peut-être un Bisson réussirait-il à recréer l’atmosphère de démesure qui baigne chaque instant du récit, en même temps que la dérision qui ressort de l’échec constant jusqu’à la dernière minute de tous les projets de complots minutieusement préparés et foirant à chaque fois. Il est presque dommage que le spectateur sache d’avance que la dernière tentative réussira, mais dans un tel bordel que les coupables seront immédiatement démasqués, ce qui est pathétique après tant de précautions prises. Pathétique et grotesque, immense et truculent. Intéressant est l’envahissement de la technique. Discrète au début, l’intervention de la TV devient omniprésente, et à la fin du spectacle, tout sera perçu en images, en son, et même en doublage, les personnages ne s’exprimant plus par leurs organes et les mouvements de leurs corps étant en décalage. Quoique que je ne perçoive pas très bien les motivations, tout cela peut être assez étonnant et pour le moins spectaculaire. Il y a peut-être un degré sous-jacent entendant obscurément contester une certaine déshumanisation. Les docteurs auront de quoi gloser. L’important est que l’anecdote soit en soi lisible telle quelle. Là gît le « populaire ». Reste que l’œuvre ne sent pas son extrême jeunesse, et que le spectacle sera inévitablement un grand machin très long et très lourd, extraordinaire dans tous les sens du mot, y compris que c’est sans référence autre qu’élisabéthaine. Un Elisabéthain qui se voudrait moderne. Mais les chagrins –et j’en serai peut-être, cela dépendra de la réalisation- ne manqueront pas de relever l’absence de contenu. J’ai éprouvé comme un manque de densité, d’épaisseur, et il est étrange que les scènes de torture ne m’aient rien évoqué d’actuel, et m’aient semblé surgir de la nuit des temps comme une chose désuètement anachronique. Les hurlements (trop) littéraires de la criminelle « questionnée » ne m’ont pas touché malgré le talent du lecteur. N’est-ce pas un défaut, d’ailleurs, que tout soit en majeur, dans l’excès ?, y compris les scènes d’amour où rien ne semble complètement sincère ? Là doit être une clef de l’univers d’un homme qui ne croit jamais que quoi que ce soit puisse être pur. Même Arden, la victime, n’est pas estimable dans la mesure où il est un horrible tyran domestique s’opposant aux amours de son personnel. « Rien n’est beau, rien n’est vrai, rien n’est juste », disait Montherlant. Vauthier n’est pas loin de cette analyse. Et c’est pourquoi les contrepoints tendres lui sont inconnus. Un souffle puissant balaye l’œuvre sans accalmies, et c’est le souffle d’un monde sans douceur, sans bonté, comique parfois mais sans gaieté. Mais ce n’est pas le nôtre. C’est un monde déraciné, abstrait. Là est la vérité : abstrait.
COMMENTAIRE
Au risque de me répéter, je rappelle que Jean Vauthier était l’ami intîme de ma collaboratrice Monique Bertin. C’est même lui qui, à l’époque où je dirigeais le THÉÂTRE d’AUJOURD’HUI et étais en quête d’auteurs vivants, me l’avait présentée parce que dans la conversation je lui avais dit que j’étais en recherche d’un ou d’une secrétaire. « Hum ! Hum ! » avait il proféré « écoutez c’est à vous de voir, Mais enfin … hum ! hum ! hum ! vous pourriez essayer … » C’est ce que j’ai fait et je ne me suis jamais repenti de cette collaboration. De salariée (mal et pas toujours payée en ces temps difficiles pour moi), elle est devenue en 1970 mon associée et ce fut jusqu’au moment où elle prit sa retraite, une merveilleuse accompagnatrice de mes travaux de bureau et aussi femme de terrain que les troupes adoraient parce qu’elle était toujours à leurs petits soins. Ceci explique que j’aie conservé avec Vauthier un peu comme « un ami de la famille » des relations particulières. Je n’étais en effet pas accoutumé à écouter des auteurs lisant leurs œuvres. Mais refuser d’entendre ELISABETH eût été perçu par lui comme une insulte. Au surplus il attachait (ce qui me flattait) de l’importance à mes avis. J’ajoute que c’était un étonnant personnage. Je l’ai pris comme modèle (en transposant pas mal quand même) quand j’ai écrit ma pièe « LE DÉSERT » qu’il a préfacée lors qu’elle fut éditée, avec un petit clin d’eoil : « il y a quelque chose de moi dans ce personnage ». Il était en effet démesuré en tout maus lucide.
30.1 – Mise en scène par Jean Gillibert avec Maria Casarès, LA CELESTINE n’apportait pas au public de 1972 un spectacle très populaire. Mais les motivations de la réalisation étaient nourries au suc des profondeurs de l’œuvre de Rojas. Et les contenus avaient un poids, une densité, une épaisseur, que je n’ai pas retrouvés dans la version de la Comédie Française 1975, signée Laville et Maréchal, avec Denise Gence.
Gillibert par exemple avait su faire de la Célestine une militante. Le sens de sa vie entière était la revendication de la Femme à la liberté, à toutes les libertés, sexuelle, économique, à l’avortement. Elle était animée par une foi invincible en la véracité de son combat, et son action avait quelque chose de noble, même si ses moyens étaient sordides. Denise Gence nous montre une mère maquerelle, et puis voilà c’est tout ! Rien qu’à ce niveau, je m’étais senti concerné là, et j’ai assisté à une représentation « classique » ici.
Les racines de la Célestine de Gillibert avaient été montrées comme surgissant des obscurités du Moyen Age espagnol, fait d’un Christianisme ardent, et de son antithèse, le sacrilège, inspiré par les relents d’un Paganisme vivace. Maréchal a cru bon de faire appel à une autre source, celle de l’Islam, dont je ne conteste pas le bien-fondé, mais dont j’ignore si elle a été, ou non, rajoutée au monument de Rojas, ou si elle y était indiquée. Ce que je puis dire, c’est qu’au niveau du spectacle, ce rajout m’a paru superficiel, et surtout, édulcorer le propos. Certes, même un Chrétien au 20ème siècle avait de la peine à avoir froid dans le dos en assistant à des pratiques condamnées, mais chez Gillibert, un souffle puissant passait, tout allait loin, le banquet était une dérision de cène, le retournement de Mélibée était un véritable exorcisme. Ici, on virevolte de thème en thème sans insister jamais. On a envie de dire que Laville n’a pas su être pour Maréchal le dramaturge qu’a été Gillibert pour lui-même.
Alors nous avons en face de nous un spectacle riche, joué par de bons acteurs à qui le réalisateur a su imprimer sa marque (et même presque trop, car on a un peu l’impression d’assister à l’exhibition d’un Maréchal, acteur, découpé en tranches ubiques !), mais où la mise en scène fonctionne au premier degré, une mise en scène qui puise son brillant dans les à-côtés et son « scandale » dans l’apport à la Comédie Française de procédés que nous retrouvons au fil des années dans tous les spectacles de Maréchal. Ce qui éclate, pour ceux qui l’ont suivi, c’est son non renouvellement. Cet homme est essoufflé. Il jette toujours de la poudre aux yeux, mais c’est toujours la même poudre, celle qui a fait de lui une vedette de la décentralisation. Mais justement ici il n’est pas sur son terrain, et son invention semble pauvre. Mettre un tango en sonorisation, faire danser les survivants sur les cadavres, ça épate et choque les bourgeois, mais ce n’est pas important. C’est une contestation de surface. Au fond, je me demande si Maréchal est très intelligent.