Du 20 novembre au 10 décembre 1974
20.11 – Dans le détail, tout est parfait. Et pourtant, pendant 2 heures sur 3, ça ne fait pas un spectacle. C’est que le cabaret est un genre qui a ses règles : dans la mesure où l’intérêt du spectateur n’est pas soutenu par une anecdote continuellement développée, il faut que chaque numéro intervienne en rupture sur le précédent et qu’une série de coups de poing le secoue à un rythme vif.
D’autre part, il importe que chaque « sketch » ait le temps de faire son impression propre. En somme, chaque élément ne doit être ni trop court ni trop long et chacun doit trancher sur le précédent. C’est un genre au surplus où le rire s’impose. Entre des chansons signifiantes et des scènes à contenu, des gags, ou des facéties sont nécessaires.
Or, TU NE VOLERAS POINT, du Théâtre de l’Aquarium est mal bâti du point de vue de ces règles. On sait comment la soirée a été conçue : les membres de la troupe se sont groupés par affinités, ont monté eux-mêmes des mini-spectacles sur le thème choisi, qui chacun EN SOI constitue un tout. Nichet et ses camarades ont pris quelques choses de chaque réalisation, les ont coupées, collées bout à bout, mélangées.
Durant la dernière heure, avec le théâtre d’ombre, et Arlequin découvrant la plus-value notamment, le dosage est bon. Mais auparavant, il est à repenser d’autant plus que la diversité des inspirations quant aux moyens de transmettre le thème n’aide pas l’assistant à s’y retrouver.
J’ajoute que le cabaret suppose un rapport direct avec le public. Plus encore qu’au théâtre, on a besoin que ces artistes nous parlent. Or ceux de l’Aquarium se meuvent au milieu de nous comme si nous n’étions pas là. Je ne sais pas, moi, un meneur de jeu suffirait peut-être à faire monter la mayonnaise, mais telle quelle cette représentation éloignée donnée par des gens qui ne savent pas nous communiquer un contact direct est frustrante.
Le comique, d’autre part, existe à l’intérieur de plusieurs numéros et on rit beaucoup par moments et cependant on n’a pas l’impression d’une soirée drôle. Je sais bien que la principale motivation de la troupe n’est pas de divertir, mais de dénoncer. L’Aquarium est politique militant. Mais l’un n’empêche pas l’autre et des gags inventés entre les morceaux essentiels n’iraient pas forcément contre le propos. Cela dit, il y a trop de qualités individuelles évidentes dans chaque mini spectacle pour qu’avec du travail l’équilibre ne se trouve pas. Peut-être est-ce en pensant à la transposition pour la scène qu’il faudra faire, en prévision de la tournée, que l’équipe y parviendra. Elle n’est pas loin du but.
22.11 – Bruno Bayen ne cache pas que s’il crée son spectacle LA DANSE MACABRE, « un rêve de Franck Wedekind » au Théâtre de Gennevilliers, et non d’entrée de jeu au Cyrano dont il est co-directeur, c’est uniquement parce qu’il a trouvé sa production dans cette localité de banlieue. « Apparemment, il ne s’est pas trouvé obligé de faire du « populaire » du fait de cette invitation. Après tout, pourquoi le lui reprocher ? Ce n’est pas lui qui a été chargé de mission.
LA DANSE MACABRE est un beau spectacle élitaire qui fait référence à Bob Wilson, à Chéreau, à Vincent, à l’expressionnisme, et que Bayen place sous le double signe de Marx et de Freud. Si j’ai bien compris, le jeune Wedekind rêve qu’il assiste à une projection de son propre mariage (petit-bourgeois), qui débouche sur une transposition du marié en souteneur philosophe très savant et de la mariée en putain lubrique. Il n’y a pas au niveau anecdotique une continuité très évidente et d’ailleurs le découpage s’annonce en cinq rêves bien distincts. Tout au plus se retrouve-t-on à la fin de la noce du début. Entre la représentation des rêves et nous, il y a un espace de séparation peuplé d’un appareil de photos et d’un bidet, symboles l’un de l’éloignement voulu du propos par rapport à nous, à Wedekind lui-même et aux personnages lorsqu’ils se regardent rêver, l’autre de la contraception et de l’évacuation des excréments, puisqu’il sert également de « vomitorium ».
Je n’ai pas personnellement reçu la leçon de ce combat sensuel d’idées entre les 2 grands courants de pensée du début du siècle. La dernière réplique, dite avec humour, stigmatise l’intellectualisme du jeune théâtre. C‘est une pirouette qui ne masque pas le défaut fondamental qui fait qu’au théâtre, à trop penser on n’atteint pas son enseignement. Je me suis laissé pourtant porter par la beauté de l’ensemble et je ne me suis pas emmerdé tout le temps malgré des temps morts un peu provocateurs. Bob Wilson ne s’imite pas impunément. Dans le détail, il y a des réussites et d’abord le décor de Michel Milkau. À citer le spectaculaire final, qui réveille à point nommé pour nourrir les applaudissements.
Que dire de l’entreprise ? Il n’y a pas d’imposture. Bayen n’annonce pas la pièce de Wedekind. Il suppose s’adresser à des « enculturés » la connaissant. Comme ce n’est pas mon cas, j’ai mal discerné quoi était de qui, mais c’est de ma faute, n’est-ce pas ? Au Cyrano, ce sera à sa place dans une co-gestion avec Ronso. Bayen et Ronso, je crois qu’ils sont faits pour se comprendre ces deux-là. Ils seront peut-être les seuls à interpénétrer les méandres brumeux de leurs phantasmes, mais enfin c’est un mariage qui se tient
23.11 – En 1808, la résistance du peuple de Madrid à l’invasion napoléonienne a inspiré à Goya des œuvres célèbres exposées au musée du Prado. Presque 130 ans plus tard, Madrid est encerclée par les armées franquistes qui bombardent la ville et quelques miliciens sont chargés par le gouvernement républicain de descendre à la cave les toiles les plus illustres. Au cours d’une NUIT DE GUERRE AU MUSÉE DU PRADO, ces miliciens, pour tromper la peur engendrée par le danger des bombardements, pour lutter contre le froid, et pour entretenir mutuellement en eux l’exaltation révolutionnaire et la Foi en une victoire douteuse, jouent à animer les tableaux de Goya. Tel est le parti de la pièce de Rafael Alberti. Parti intellectuel évidemment. Parti d’« enculturé » s’adressant à un public de cultivés. Car pour goûter le suc du spectacle, il est clair qu’il faut avoir dans la tête les tableaux prétextes au divertissement. Il est au surplus improbable que la nuit en question se soit historiquement passée comme décrite et l’on sait combien m’a toujours gêné l’imaginaire plaqué sur fond de réalité. Surtout quand la plausibilité est bafouée : comment ces hommes et ces femmes, présentés comme incultes et issus de milieux très simples, auraient-ils pu concevoir ce psychodrrame identificateur de deux agressions armées contre Madrid ? Par parenthèse pas très aimable envers l’invasion française de 1808 qui, tout contestable qu’elle ait été, ne me semble pas pouvoir être très valablement comparée avec le soulèvement fasciste. Le mérite de Pierre Constant et de l’équipe du Centre Dramatique de La Courneuve (composé d’amateurs), est d’avoir su rendre acceptable une fable aussi gratuite, et d’en avoir fait un spectacle un peu cocardier certes, pavé de grands sentiments héroïques et de pureté révolutionnaire anachronique, mais qui convainc, suscite l’admiration et emporte l’adhésion par un rythme qui va en s’accélérant et qui semble avoir été inspiré par le vent de l’Histoire. Constant est en l’occurrence fort aidé par le fait que la troupe soit composée de non-professionnels. Ils dégagent un parfum d’authenticité que j’ai quant à moi trouvé inestimable. Ces comédiens occasionnels sont eux-mêmes des gens du peuple de la banlieue parisienne et Constant a su leur insuffler la signifiance de la pièce. Sans doute est-ce pour cela qu’il a alourdi par scrupule d’éclairage la première partie : un film et un commentairen, dit sur le ton des « Sons et Lumières », retrace les événements de la guerre civile, en même temps que les toiles de Goya sont montrées et expliquées. Ensuite, avant que le jeu d’Alberti ne s’installe, il laisse un long temps se passer durant lequel il cherche à nous faire pénétrer dans l’atmosphère de guerre qui régnait cette nuit-là. C’est un peu fastidieux mais indispensable PUISQU’IL ENTENDAIT RENDRE L’ŒUVRE ACCESSIBLE A UN PUBLIC POPULAIRE. Il a, je crois, réussi, et lorsqu’à la fin les œuvres de Goya se composent et se recomposent sous nos yeux, il peut sans dommage laisser de plus en plus l’esthétisme prendre le pas en une progression très remarquablement calculée. Il est aidé dans la tâche qu’il s’est fixée de nous faire croire que cette nuit a été vraie, par le fait que la Galerie de la Cité U ressemble beaucoup aux salles du Musée du Prado. Un environnement suggéré par des lanternes à ras du sol sans le secours d’aucun projecteur de « théâtre » achève de donner l’impression « qu’on y était ». À la vérité, si ma mémoire est bonne dans la pièce écrite d’Alberti, c’étaient les personnages des tableaux qui sortaient de leurs cadres et jouaient l’identification des situations DEVANT les miliciens. Constant a inversé la donnée. Il a sûrement eu raison.
A la suite de ce spectacle,les « amateurs » du CENTRE DRAMATIQUE de la COURNEUVE ont résolu de se consacrer au « théâtre ».Ils ne savaient pas que le vocable « centre dramatique » avait une connotation institutionnelle.Mais le « pouvoir » a fermé ls yeux et les a d’ailleurs, plus tard, acceptés à mi-temps dans la famille des labellisés. Ils sont donc devenus professionnels, et je dois dire que je les ai accompagnés longtemps dans leurs quêtes de contrats. Du moins tant que Pierre Constant a été leur professeur, metteur en scène et maître à penser.
29.11 – Je suis allé voir LES CAPRICES DE MARIANNE de Roger Mollien. Curieuse expérience après ceux de Bisson. Autant il y avait là de la classe, autant ici, les motivations volent bas.
L’idée de jouer la pièce de Musset en costumes modernes ne s’accommode à mon avis pas bien d’un texte très situé dans le temps, et s’il est vrai que, comme le dit Mollien, la façon dont les hommes considèrent la femme-objet n’a pas tellement bougé, ce qui s’est modifié par contre, c’est le comportement de la femme. Imaginerait-on aujourd’hui une fille de 19 ans mariée à un barbon, qui ne sortirait de chez elle que pour aller à l’église ? Dans DON JUAN, Mollien ne s’était intéressé qu’au personnage qu’il jouait. Cette fois-ci il n’a eu d’yeux que pour Octave et Cœlio. Il dit carrément en débat qu’il n’a pas traité de Marianne. Moi je veux bien, mais une pièce, c’est quand même un tout.
Étrange d’autre part est cette idée de jouer Octave comme s’il s’appelait Scapin et est-ce pour faire « populaire » qu’il l’a rendu vulgaire ? Cet Octave-là est un valet napolitain d’un âge certain et un brin bedonnant. On comprend mal que Marianne s’en éprenne.
Cela dit, le spectacle se laisse voir et la fille qui joue Marianne, Ghislaine Porret, a du talent.
30.11 – On avait connu une compagnie très militante qui s’appelait Théâtre des habitants et qui travaillait dans la région de Montbéliard en milieu populaire. Ayant eu des démêlées avec les notables locaux, la troupe a émigré à Choisy-le-Roi. On l’y avait vue l’an dernier avec un Georges Dandin qui n’était pas sans signifiance. La revoici avec L’HOMME AUX SABLES, élucubration sur un conte d’Hoffmann qui ne révèle plus aucune préoccupation politique. Je suppose que Jacques Roch vise à l’officialisation nationale, car son spectacle influencé par Vitez, et Bob Wilson, cherche comme ceux de Brigitte Jaque et de Bruno Bayen à faire « mode ». Montassier sera content. La ligne est la bonne. Le public de banlieue se fait chier mais c’est beau à voir. Ça a l’air « pensé », parce que, n’est-ce pas, quand on navigue aux frontières du rêve et de la réalité, aux confins de la folie, c’est facile d’avoir l’air profond. Reste que Roch garde des temps antérieurs un goût de tout préciser, de tout éclairer, de tout boucler interminablement qui le fait paraître moins mystérieux que ses modèles. Pas bon, ça, camarade. Faudra faire un effort d’ésotérisme la prochaine fois. La trahison payera mieux !
1.12 – Rigoureuses en soi, la « polyécriture » et l’image sonore nouvelle que propose Emilio Galli dans un court spectacle intitulé CALLIGRAPHIEN où aucune anecdote ne vient gâcher la pureté de la recherche, sont à introduire dans la catégorie de ceux qui cherchent à l’intérieur d’eux-mêmes le bonheur. Cette gestuelle liée à des sons que profèrent eux-mêmes les « danseurs », selon leurs propres respirations, va dans la ligne de l’hindouisme et du LSD. C’est sans doute un travail passionnant pour ceux qui s’y consacrent, en quête d’un épanouissement intime, mais ça m’a laissé de glace en tant que spectateur, et quand même quelque peu rêveur en lisant quez depuis 8 ans, le Groupe N se consacre à cette démarche. Il y en a des qui ont le temps, je vous le jure !
6.12 – L’Art pompidolien tel que Jack Lang en avait été nommé dispensateur en chef avant d’être renversé par une intrigue de la cour héritière, a encore une fois l’occasion de s’exprimer à Gémier avec l’ATLANTIDE, scénario et mise en scène de Petrika Ionesco, décor, collages et costumes de Radu et Mira Boruzescu. C’est un beau spectacle de 1h45, presque sans paroles, fondé sur l’expression corporelle et sur le baroque, soutenu par une très importante recherche technique, par l’utilisation entre la scène et la salle d’une glace sans tain qui permet d’étranges effets de lumière, et par la projection de films qui se confondent avec les jeux des artistes en des effets saisissants. Cela a sûrement coûté fort cher et n’a avec l’Atlantide qu’un rapport lointain, lisible seulement lorsqu’on voit s’effondrer une cité qui semble signifier (je dis bien : semble) la destruction d’une civilisation mécanisée qui pourrait être la nôtre (à moins que ce ne soit celle de l’Est). Au niveau de l’anecdote, on peut dire qu’on voit une petite fille qui lit un livre (sans doute sur l’Atlantide), et qui, directement ou par l’intermédiaire de son double, projette dans l’espace, ses phantasmes d’une part, ce qui lui inspire sa lecture d’autre part. On aimerait que les intentions fussent plus claires, car franchement on nage dans cette débauche de gestuelle, d’images, de musique, de sons, qui semble répondre à une structure élaborée, mais qui ne passe pas du tout intellectuellement. Reste que si l’on se laisse porter par ce rêve éveillé, et que si l’on appelle à la rescousse pour se rassurer la notion de surréalisme, on assiste à une représentation assez passionnante par sa richesse d’invention et ses innovations. Naturellement, il faut aussi prononcer le nom de Freud !
Il y a une parenté entre l’Art de Pintilié et celui de Petrika Ionesco. Tous deux sont roumains. Est-ce une constante de la ligne roumaine actuelle ? Il serait intéressant d’aller voir sur place si ce baroque assez lugubre est répandu du côté de Bucarest. On pourrait en tirer d’intéressantes réflexions sur les conséquences, dérivations et aliénations du réalisme historique. Mais en l’absence d’informations, contentons-nous de poser la question.
9.12 – J’aurais beaucoup aimer sans réserve LEGERE EN AOUT de Denise Bonal réalisé par Viviane Theophilidès avec les Athévains aux deux portes. Le sujet de la pièce prime ici la forme : 5 nanas enceintes vont vers le terme de leurs grossesses non-désirées à l’intérieur du cocon d’une clinique d’où elles ressortiront sans l’enfant après la délivrance. D’autres femmes achètent les bébés. Il paraît que ça existe, que c’est un commerce prospère où tout le monde s’y retrouve, la porteuse pauvre qui échappe à la honte et à la misère, l’acquéreuse riche, qui, incapable d’être fécondée, peut aller faire croire à son entourage, voire à son mari, qu’elle est grosse, la clinique enfin qui vend cher et paye bien mais se sucre au passage évidemment.
Bien sûr, pour que ça fonctionne, il faut que tout le monde joue le jeu. Denise Bonal nous montre une jeune Portugaise paumée qui en cours de route prend conscience de sa maternité et qui, coincée dans le système, se suicidera, tandis qu’une autre ricane sous cape parce qu’elle sait que pousse dans son ventre un enfant noir, qui a donc peu de chance de donner un satisfaction à la fausse maman qui attend. Il y a là aussi une comédienne, (ce qui permet à Denise Bonal de parler un peu de-ci de-là de son métier) et une femme d’ouvrier qui a acheté la maison avec le 1er bébé vendu, amélioré sa situation avec le 2e et le 3e et gardera le 4e, parce que grâce aux 3 autres, celui-là aura une existence décente !
Je crois que Denise Bonal n’a pas cherché à faire de l’Art. Elle a exprimé en forme quasi-boulevardière un contenu qu’elle avait éprouvé intimement, ayant cherché à adopter un enfant et ayant rencontré un tel établissement sur sa route. Son œuvre est une dénonciation en même temps qu’une critique de la société qui provoque de telles aliénations. L’atmosphère rappelle un peu celle du Huis Clos de Sartre, en moins intellectuel et en plus drôle, ce qui n’exclue pas l’étouffement. Malheureusement, Viviane Theophilidès, elle, a voulu faire de l’Art, et comme elle est une gouine au ventre stérile de par sa volonté, -je crois qu’elle n’a jamais connu « l’homme »-, elle a conçu la clinique comme froide, glacée, étouffante, inquiétante, et elle a parsemé le réalisme du texte de moments poétiques de son crû, les noirs de chansons, qui alourdissent une représentation dont la signifiance n’eût rien perdu, au contraire- à ce qu’elle soit gaie. Avec Theophilidès, tout est sec, sans chair, sans sang, et c’est bien dommage car on aboutit à une histoire de bonnes femmes qui se considère avec ennui. Seule Dido Likoudis tire son épingle du jeu. Elle joue en fleur fragile et tendre la petite Portugaise. Elle a du talent. Et a bien corrigé son défaut de prononciation.
10.12 – C’est Jean Saudray qui incarne le « Citoyen général », sorte de matamore allemand qui joue au colporteur des idées de la Révolution Française dans un pays où les Jacobins font figure de bandits et où l’ordre est sagement conquis jour après jour par des monarques éclairés. Autant la silhouette est saisissante à son apparition, autant on se lasse vite de la « truculence » de l’auteur.
C’est Alain Rais qui a monté la pièce de Goethe. Comme il le dit dans le programme, révélons tout : il n’a pas trouvé dans le répertoire contemporain d’œuvre qui dénonce plus fortement la réalité giscardienne ! Soit ! L’ennui, c’est que l’analogie des époques est douteuse. De toute manière, Goethe a écrit là une pièce réactionnaire et le pauvre Rais a beau prendre ses « distances » par rapport au texte, y faire des rajouts de son crû et multiplier les déclarations d’intention, il n’arrive pas, tel d’autres avec Shakespeare, à faire dire au Ministre de Weimar le contraire de ce qu’il a écrit ! On assiste donc à un tableau idyllique décrivant l’excellente gestion du bon Seigneur, le danger des gazettes subversives, la valeur des paysans travailleurs et la confiance qu’il convient d’accorder à leur attachement, vantant l’équilibre entre les classes qui se complètent les unes les autres, stigmatisant le vilain et excusant l’influencé ! Alain Rais lui-même joue le bon Seigneur. A part une ou deux pointes signifiantes, son interprétation est si convaincante qu’on aime bien son personnage, au demeurant vêtu très simplement au milieu de paysans vêtus pas très pauvrement.
Entreprise paradoxale donc, à part cela propre quoique sans génie et portant heureusement sur une pièce courte. La bonne surprise, c’est que j’étais à 22h20 sur le trottoir de la rue Georgette Aguitte !
D’autre part, il importe que chaque « sketch » ait le temps de faire son impression propre. En somme, chaque élément ne doit être ni trop court ni trop long et chacun doit trancher sur le précédent. C’est un genre au surplus où le rire s’impose. Entre des chansons signifiantes et des scènes à contenu, des gags, ou des facéties sont nécessaires.
Or, TU NE VOLERAS POINT, du Théâtre de l’Aquarium est mal bâti du point de vue de ces règles. On sait comment la soirée a été conçue : les membres de la troupe se sont groupés par affinités, ont monté eux-mêmes des mini-spectacles sur le thème choisi, qui chacun EN SOI constitue un tout. Nichet et ses camarades ont pris quelques choses de chaque réalisation, les ont coupées, collées bout à bout, mélangées.
Durant la dernière heure, avec le théâtre d’ombre, et Arlequin découvrant la plus-value notamment, le dosage est bon. Mais auparavant, il est à repenser d’autant plus que la diversité des inspirations quant aux moyens de transmettre le thème n’aide pas l’assistant à s’y retrouver.
J’ajoute que le cabaret suppose un rapport direct avec le public. Plus encore qu’au théâtre, on a besoin que ces artistes nous parlent. Or ceux de l’Aquarium se meuvent au milieu de nous comme si nous n’étions pas là. Je ne sais pas, moi, un meneur de jeu suffirait peut-être à faire monter la mayonnaise, mais telle quelle cette représentation éloignée donnée par des gens qui ne savent pas nous communiquer un contact direct est frustrante.
Le comique, d’autre part, existe à l’intérieur de plusieurs numéros et on rit beaucoup par moments et cependant on n’a pas l’impression d’une soirée drôle. Je sais bien que la principale motivation de la troupe n’est pas de divertir, mais de dénoncer. L’Aquarium est politique militant. Mais l’un n’empêche pas l’autre et des gags inventés entre les morceaux essentiels n’iraient pas forcément contre le propos. Cela dit, il y a trop de qualités individuelles évidentes dans chaque mini spectacle pour qu’avec du travail l’équilibre ne se trouve pas. Peut-être est-ce en pensant à la transposition pour la scène qu’il faudra faire, en prévision de la tournée, que l’équipe y parviendra. Elle n’est pas loin du but.
22.11 – Bruno Bayen ne cache pas que s’il crée son spectacle LA DANSE MACABRE, « un rêve de Franck Wedekind » au Théâtre de Gennevilliers, et non d’entrée de jeu au Cyrano dont il est co-directeur, c’est uniquement parce qu’il a trouvé sa production dans cette localité de banlieue. « Apparemment, il ne s’est pas trouvé obligé de faire du « populaire » du fait de cette invitation. Après tout, pourquoi le lui reprocher ? Ce n’est pas lui qui a été chargé de mission.
LA DANSE MACABRE est un beau spectacle élitaire qui fait référence à Bob Wilson, à Chéreau, à Vincent, à l’expressionnisme, et que Bayen place sous le double signe de Marx et de Freud. Si j’ai bien compris, le jeune Wedekind rêve qu’il assiste à une projection de son propre mariage (petit-bourgeois), qui débouche sur une transposition du marié en souteneur philosophe très savant et de la mariée en putain lubrique. Il n’y a pas au niveau anecdotique une continuité très évidente et d’ailleurs le découpage s’annonce en cinq rêves bien distincts. Tout au plus se retrouve-t-on à la fin de la noce du début. Entre la représentation des rêves et nous, il y a un espace de séparation peuplé d’un appareil de photos et d’un bidet, symboles l’un de l’éloignement voulu du propos par rapport à nous, à Wedekind lui-même et aux personnages lorsqu’ils se regardent rêver, l’autre de la contraception et de l’évacuation des excréments, puisqu’il sert également de « vomitorium ».
Je n’ai pas personnellement reçu la leçon de ce combat sensuel d’idées entre les 2 grands courants de pensée du début du siècle. La dernière réplique, dite avec humour, stigmatise l’intellectualisme du jeune théâtre. C‘est une pirouette qui ne masque pas le défaut fondamental qui fait qu’au théâtre, à trop penser on n’atteint pas son enseignement. Je me suis laissé pourtant porter par la beauté de l’ensemble et je ne me suis pas emmerdé tout le temps malgré des temps morts un peu provocateurs. Bob Wilson ne s’imite pas impunément. Dans le détail, il y a des réussites et d’abord le décor de Michel Milkau. À citer le spectaculaire final, qui réveille à point nommé pour nourrir les applaudissements.
Que dire de l’entreprise ? Il n’y a pas d’imposture. Bayen n’annonce pas la pièce de Wedekind. Il suppose s’adresser à des « enculturés » la connaissant. Comme ce n’est pas mon cas, j’ai mal discerné quoi était de qui, mais c’est de ma faute, n’est-ce pas ? Au Cyrano, ce sera à sa place dans une co-gestion avec Ronso. Bayen et Ronso, je crois qu’ils sont faits pour se comprendre ces deux-là. Ils seront peut-être les seuls à interpénétrer les méandres brumeux de leurs phantasmes, mais enfin c’est un mariage qui se tient
23.11 – En 1808, la résistance du peuple de Madrid à l’invasion napoléonienne a inspiré à Goya des œuvres célèbres exposées au musée du Prado. Presque 130 ans plus tard, Madrid est encerclée par les armées franquistes qui bombardent la ville et quelques miliciens sont chargés par le gouvernement républicain de descendre à la cave les toiles les plus illustres. Au cours d’une NUIT DE GUERRE AU MUSÉE DU PRADO, ces miliciens, pour tromper la peur engendrée par le danger des bombardements, pour lutter contre le froid, et pour entretenir mutuellement en eux l’exaltation révolutionnaire et la Foi en une victoire douteuse, jouent à animer les tableaux de Goya. Tel est le parti de la pièce de Rafael Alberti. Parti intellectuel évidemment. Parti d’« enculturé » s’adressant à un public de cultivés. Car pour goûter le suc du spectacle, il est clair qu’il faut avoir dans la tête les tableaux prétextes au divertissement. Il est au surplus improbable que la nuit en question se soit historiquement passée comme décrite et l’on sait combien m’a toujours gêné l’imaginaire plaqué sur fond de réalité. Surtout quand la plausibilité est bafouée : comment ces hommes et ces femmes, présentés comme incultes et issus de milieux très simples, auraient-ils pu concevoir ce psychodrrame identificateur de deux agressions armées contre Madrid ? Par parenthèse pas très aimable envers l’invasion française de 1808 qui, tout contestable qu’elle ait été, ne me semble pas pouvoir être très valablement comparée avec le soulèvement fasciste. Le mérite de Pierre Constant et de l’équipe du Centre Dramatique de La Courneuve (composé d’amateurs), est d’avoir su rendre acceptable une fable aussi gratuite, et d’en avoir fait un spectacle un peu cocardier certes, pavé de grands sentiments héroïques et de pureté révolutionnaire anachronique, mais qui convainc, suscite l’admiration et emporte l’adhésion par un rythme qui va en s’accélérant et qui semble avoir été inspiré par le vent de l’Histoire. Constant est en l’occurrence fort aidé par le fait que la troupe soit composée de non-professionnels. Ils dégagent un parfum d’authenticité que j’ai quant à moi trouvé inestimable. Ces comédiens occasionnels sont eux-mêmes des gens du peuple de la banlieue parisienne et Constant a su leur insuffler la signifiance de la pièce. Sans doute est-ce pour cela qu’il a alourdi par scrupule d’éclairage la première partie : un film et un commentairen, dit sur le ton des « Sons et Lumières », retrace les événements de la guerre civile, en même temps que les toiles de Goya sont montrées et expliquées. Ensuite, avant que le jeu d’Alberti ne s’installe, il laisse un long temps se passer durant lequel il cherche à nous faire pénétrer dans l’atmosphère de guerre qui régnait cette nuit-là. C’est un peu fastidieux mais indispensable PUISQU’IL ENTENDAIT RENDRE L’ŒUVRE ACCESSIBLE A UN PUBLIC POPULAIRE. Il a, je crois, réussi, et lorsqu’à la fin les œuvres de Goya se composent et se recomposent sous nos yeux, il peut sans dommage laisser de plus en plus l’esthétisme prendre le pas en une progression très remarquablement calculée. Il est aidé dans la tâche qu’il s’est fixée de nous faire croire que cette nuit a été vraie, par le fait que la Galerie de la Cité U ressemble beaucoup aux salles du Musée du Prado. Un environnement suggéré par des lanternes à ras du sol sans le secours d’aucun projecteur de « théâtre » achève de donner l’impression « qu’on y était ». À la vérité, si ma mémoire est bonne dans la pièce écrite d’Alberti, c’étaient les personnages des tableaux qui sortaient de leurs cadres et jouaient l’identification des situations DEVANT les miliciens. Constant a inversé la donnée. Il a sûrement eu raison.
A la suite de ce spectacle,les « amateurs » du CENTRE DRAMATIQUE de la COURNEUVE ont résolu de se consacrer au « théâtre ».Ils ne savaient pas que le vocable « centre dramatique » avait une connotation institutionnelle.Mais le « pouvoir » a fermé ls yeux et les a d’ailleurs, plus tard, acceptés à mi-temps dans la famille des labellisés. Ils sont donc devenus professionnels, et je dois dire que je les ai accompagnés longtemps dans leurs quêtes de contrats. Du moins tant que Pierre Constant a été leur professeur, metteur en scène et maître à penser.
29.11 – Je suis allé voir LES CAPRICES DE MARIANNE de Roger Mollien. Curieuse expérience après ceux de Bisson. Autant il y avait là de la classe, autant ici, les motivations volent bas.
L’idée de jouer la pièce de Musset en costumes modernes ne s’accommode à mon avis pas bien d’un texte très situé dans le temps, et s’il est vrai que, comme le dit Mollien, la façon dont les hommes considèrent la femme-objet n’a pas tellement bougé, ce qui s’est modifié par contre, c’est le comportement de la femme. Imaginerait-on aujourd’hui une fille de 19 ans mariée à un barbon, qui ne sortirait de chez elle que pour aller à l’église ? Dans DON JUAN, Mollien ne s’était intéressé qu’au personnage qu’il jouait. Cette fois-ci il n’a eu d’yeux que pour Octave et Cœlio. Il dit carrément en débat qu’il n’a pas traité de Marianne. Moi je veux bien, mais une pièce, c’est quand même un tout.
Étrange d’autre part est cette idée de jouer Octave comme s’il s’appelait Scapin et est-ce pour faire « populaire » qu’il l’a rendu vulgaire ? Cet Octave-là est un valet napolitain d’un âge certain et un brin bedonnant. On comprend mal que Marianne s’en éprenne.
Cela dit, le spectacle se laisse voir et la fille qui joue Marianne, Ghislaine Porret, a du talent.
30.11 – On avait connu une compagnie très militante qui s’appelait Théâtre des habitants et qui travaillait dans la région de Montbéliard en milieu populaire. Ayant eu des démêlées avec les notables locaux, la troupe a émigré à Choisy-le-Roi. On l’y avait vue l’an dernier avec un Georges Dandin qui n’était pas sans signifiance. La revoici avec L’HOMME AUX SABLES, élucubration sur un conte d’Hoffmann qui ne révèle plus aucune préoccupation politique. Je suppose que Jacques Roch vise à l’officialisation nationale, car son spectacle influencé par Vitez, et Bob Wilson, cherche comme ceux de Brigitte Jaque et de Bruno Bayen à faire « mode ». Montassier sera content. La ligne est la bonne. Le public de banlieue se fait chier mais c’est beau à voir. Ça a l’air « pensé », parce que, n’est-ce pas, quand on navigue aux frontières du rêve et de la réalité, aux confins de la folie, c’est facile d’avoir l’air profond. Reste que Roch garde des temps antérieurs un goût de tout préciser, de tout éclairer, de tout boucler interminablement qui le fait paraître moins mystérieux que ses modèles. Pas bon, ça, camarade. Faudra faire un effort d’ésotérisme la prochaine fois. La trahison payera mieux !
1.12 – Rigoureuses en soi, la « polyécriture » et l’image sonore nouvelle que propose Emilio Galli dans un court spectacle intitulé CALLIGRAPHIEN où aucune anecdote ne vient gâcher la pureté de la recherche, sont à introduire dans la catégorie de ceux qui cherchent à l’intérieur d’eux-mêmes le bonheur. Cette gestuelle liée à des sons que profèrent eux-mêmes les « danseurs », selon leurs propres respirations, va dans la ligne de l’hindouisme et du LSD. C’est sans doute un travail passionnant pour ceux qui s’y consacrent, en quête d’un épanouissement intime, mais ça m’a laissé de glace en tant que spectateur, et quand même quelque peu rêveur en lisant quez depuis 8 ans, le Groupe N se consacre à cette démarche. Il y en a des qui ont le temps, je vous le jure !
6.12 – L’Art pompidolien tel que Jack Lang en avait été nommé dispensateur en chef avant d’être renversé par une intrigue de la cour héritière, a encore une fois l’occasion de s’exprimer à Gémier avec l’ATLANTIDE, scénario et mise en scène de Petrika Ionesco, décor, collages et costumes de Radu et Mira Boruzescu. C’est un beau spectacle de 1h45, presque sans paroles, fondé sur l’expression corporelle et sur le baroque, soutenu par une très importante recherche technique, par l’utilisation entre la scène et la salle d’une glace sans tain qui permet d’étranges effets de lumière, et par la projection de films qui se confondent avec les jeux des artistes en des effets saisissants. Cela a sûrement coûté fort cher et n’a avec l’Atlantide qu’un rapport lointain, lisible seulement lorsqu’on voit s’effondrer une cité qui semble signifier (je dis bien : semble) la destruction d’une civilisation mécanisée qui pourrait être la nôtre (à moins que ce ne soit celle de l’Est). Au niveau de l’anecdote, on peut dire qu’on voit une petite fille qui lit un livre (sans doute sur l’Atlantide), et qui, directement ou par l’intermédiaire de son double, projette dans l’espace, ses phantasmes d’une part, ce qui lui inspire sa lecture d’autre part. On aimerait que les intentions fussent plus claires, car franchement on nage dans cette débauche de gestuelle, d’images, de musique, de sons, qui semble répondre à une structure élaborée, mais qui ne passe pas du tout intellectuellement. Reste que si l’on se laisse porter par ce rêve éveillé, et que si l’on appelle à la rescousse pour se rassurer la notion de surréalisme, on assiste à une représentation assez passionnante par sa richesse d’invention et ses innovations. Naturellement, il faut aussi prononcer le nom de Freud !
Il y a une parenté entre l’Art de Pintilié et celui de Petrika Ionesco. Tous deux sont roumains. Est-ce une constante de la ligne roumaine actuelle ? Il serait intéressant d’aller voir sur place si ce baroque assez lugubre est répandu du côté de Bucarest. On pourrait en tirer d’intéressantes réflexions sur les conséquences, dérivations et aliénations du réalisme historique. Mais en l’absence d’informations, contentons-nous de poser la question.
9.12 – J’aurais beaucoup aimer sans réserve LEGERE EN AOUT de Denise Bonal réalisé par Viviane Theophilidès avec les Athévains aux deux portes. Le sujet de la pièce prime ici la forme : 5 nanas enceintes vont vers le terme de leurs grossesses non-désirées à l’intérieur du cocon d’une clinique d’où elles ressortiront sans l’enfant après la délivrance. D’autres femmes achètent les bébés. Il paraît que ça existe, que c’est un commerce prospère où tout le monde s’y retrouve, la porteuse pauvre qui échappe à la honte et à la misère, l’acquéreuse riche, qui, incapable d’être fécondée, peut aller faire croire à son entourage, voire à son mari, qu’elle est grosse, la clinique enfin qui vend cher et paye bien mais se sucre au passage évidemment.
Bien sûr, pour que ça fonctionne, il faut que tout le monde joue le jeu. Denise Bonal nous montre une jeune Portugaise paumée qui en cours de route prend conscience de sa maternité et qui, coincée dans le système, se suicidera, tandis qu’une autre ricane sous cape parce qu’elle sait que pousse dans son ventre un enfant noir, qui a donc peu de chance de donner un satisfaction à la fausse maman qui attend. Il y a là aussi une comédienne, (ce qui permet à Denise Bonal de parler un peu de-ci de-là de son métier) et une femme d’ouvrier qui a acheté la maison avec le 1er bébé vendu, amélioré sa situation avec le 2e et le 3e et gardera le 4e, parce que grâce aux 3 autres, celui-là aura une existence décente !
Je crois que Denise Bonal n’a pas cherché à faire de l’Art. Elle a exprimé en forme quasi-boulevardière un contenu qu’elle avait éprouvé intimement, ayant cherché à adopter un enfant et ayant rencontré un tel établissement sur sa route. Son œuvre est une dénonciation en même temps qu’une critique de la société qui provoque de telles aliénations. L’atmosphère rappelle un peu celle du Huis Clos de Sartre, en moins intellectuel et en plus drôle, ce qui n’exclue pas l’étouffement. Malheureusement, Viviane Theophilidès, elle, a voulu faire de l’Art, et comme elle est une gouine au ventre stérile de par sa volonté, -je crois qu’elle n’a jamais connu « l’homme »-, elle a conçu la clinique comme froide, glacée, étouffante, inquiétante, et elle a parsemé le réalisme du texte de moments poétiques de son crû, les noirs de chansons, qui alourdissent une représentation dont la signifiance n’eût rien perdu, au contraire- à ce qu’elle soit gaie. Avec Theophilidès, tout est sec, sans chair, sans sang, et c’est bien dommage car on aboutit à une histoire de bonnes femmes qui se considère avec ennui. Seule Dido Likoudis tire son épingle du jeu. Elle joue en fleur fragile et tendre la petite Portugaise. Elle a du talent. Et a bien corrigé son défaut de prononciation.
10.12 – C’est Jean Saudray qui incarne le « Citoyen général », sorte de matamore allemand qui joue au colporteur des idées de la Révolution Française dans un pays où les Jacobins font figure de bandits et où l’ordre est sagement conquis jour après jour par des monarques éclairés. Autant la silhouette est saisissante à son apparition, autant on se lasse vite de la « truculence » de l’auteur.
C’est Alain Rais qui a monté la pièce de Goethe. Comme il le dit dans le programme, révélons tout : il n’a pas trouvé dans le répertoire contemporain d’œuvre qui dénonce plus fortement la réalité giscardienne ! Soit ! L’ennui, c’est que l’analogie des époques est douteuse. De toute manière, Goethe a écrit là une pièce réactionnaire et le pauvre Rais a beau prendre ses « distances » par rapport au texte, y faire des rajouts de son crû et multiplier les déclarations d’intention, il n’arrive pas, tel d’autres avec Shakespeare, à faire dire au Ministre de Weimar le contraire de ce qu’il a écrit ! On assiste donc à un tableau idyllique décrivant l’excellente gestion du bon Seigneur, le danger des gazettes subversives, la valeur des paysans travailleurs et la confiance qu’il convient d’accorder à leur attachement, vantant l’équilibre entre les classes qui se complètent les unes les autres, stigmatisant le vilain et excusant l’influencé ! Alain Rais lui-même joue le bon Seigneur. A part une ou deux pointes signifiantes, son interprétation est si convaincante qu’on aime bien son personnage, au demeurant vêtu très simplement au milieu de paysans vêtus pas très pauvrement.
Entreprise paradoxale donc, à part cela propre quoique sans génie et portant heureusement sur une pièce courte. La bonne surprise, c’est que j’étais à 22h20 sur le trottoir de la rue Georgette Aguitte !