3 mai au 18 juin 1972
DES EFFETS DU MATRAQUAGE PUBLICITAIRE
3-05 - La chose qui surprend le plus quand on voit JÉSUS CHRIST SUPER STAR, c’est l’aigüe conscience que, n’était le battage publicitaire, cette superproduction serait regardée comme pauvrette. En fait, ce n’est pas autre chose qu’un oratorio : l’orchestre est sur la scène et occupe l’essentiel de l’espace : c’est un grand orchestre. On l’a coupé en deux pour ménager un passage central permettant les entrées par le fond. Sur un itinéraire un peu en croix, les chanteurs évoluent. Ils tiennent tous leur micro et ils indiquent un brin de “Jeu”. Peu de décors. Des éclairages bateaux. Somme toute, un spectacle austère et rigoureux, dont on serait tenté de louer la tenue, n’était la sueur du commerce pur qui suinte sous cette apparence, et la sensation que tout a été pesé par les producteurs comme du sucre chez l’épicier. Reste que ce tintamarre ultra sonorisé et pieux m’a fait prendre conscience de ce que la grande salle de Chaillot ne paraissait plus si immense quand elle était emplie par le bruit. J’ai eu brusquement l’impression que toutes ces année, le théâtre y avait souffert de silence.
À part ça, vingt minutes de cette vie du Christ en rock m’aurait suffi pour prendre une fois de plus conscience de la mise en scène du Christianisme sur l’humanité et de la putasserie de ses promoteurs qui ne reculent devant aucune bassesse pour attirer à eux les “petits enfants”. Je suppose que cet opéra a la bénédiction de l’Opus Deï. Comme il n’y a pas d’entr’acte et que je suis timide, j’ai tout vu. Ca dure 1h50.
“LE THÉÂTRE ÉLITAIRE POUR TOUS”
5-05 - FAUST et son double, MÉPHISTO et ses multiples sortis tout droit d’une parodie d’Arturo Ui, MARGUERITE point de repère ténu, je n’ai pas d’autre mot pour qualifier le FAUST de Vitez que celui d’IMPOSTURE. En faut-il, de l’impudence, de l’inconscience, du mépris, pour oser ouvrir un “THÉÂTRE DES QUARTIERS D’IVRY” avec un spectacle qui est du ressort d’un laboratoire expérimental pour Germanistes avertis, pour détecteurs d’intentions aussi profondément cachées que possible par accumulation des degrés ésotériques, pour amis intimes du metteur en scène à qui sont décochés des “signes de repérage” notamment par imitations diverses, jeu où il excelle, nous le savons, nous qui sommes au parfum? Car il ne s’agit plus, vous l’avez deviné, d’une représentation de FAUST comme annoncé, mais d’une “réflexion” à propos de FAUST dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle exigerait qu’on vende l’ouvre-boîte avec le produit. Cela dure quasi 3 heures d’horloge sans entr’acte. On n’a pas le droit de fumer. On est assis sur des bancs rigoureux. Bref, toutes les conditions sont réunies pour que les égarés des quartiers d’Ivry qui viendraient un soir voir le FAUST préparé pour eux par leur animateur local, prennent définitivement les jambes à leurs cous quand quelqu’un leur parlera de théâtre désormais.
Personnellement, je me suis emmerdé comme un rat mort à cette élucubration qui m’a semblé de surcroît CONFUSE, dont je n’ai pas pénétré l’INTENTION, qui m’a paru vide de contenu, éloignée de mes préoccupations, spéculation pure, ART POUR L’ART, exercice de virtuosité gratuit!
Je suis POUR l’exigence et je suis de l’avis que le peuple doit être mis en contact avec des oeuvres sans facilités, ni concessions, d’un niveau élevé, que l’artiste ne doit pas se rabaisser mais élever. MAIS ce travail est DIALECTIQUE et c’est faire un faux pas que d’asséner un tel coup sur des cervelles incultivées! Quel but veut atteindre l’aristocrate Vitez, le mandarin Vitez, en enfermant son message dans une tour d’ivoire triplement cadenassée?
Heureusement, le Doktor Dort était là. En lisant, son papier, peut-être comprendrai-je quelque chose à ce FAUST. Pour l’instant, je ne suis que furieux et triste.
Vous remarquerez sans doute que mes compte-rendus concernant les spectacles d’Antoine Vitez ne sont pas exempts d’une certaine mauvaise humeur. Cela vient de ce que j’ ai eu à partir d’un certain moment à travers l’évolution toujours médiatiquement ascendante de sa carrière, le sentiment d’avoir été quelque part trahi par cet homme suprêmement intellgent (plus que moi sûrement) mais dont les motivations n’étaient pas pures. Dois je rappeler qu’il avait été dans sa jeunesse secétaire d’Aragon et qu’il avait à ce titre passé 4 ans à Moscou comme « nègre » pour aider le Maître à écrire son HISTOIRE DE L’URSS. Pragmatique, il s’était peu à peu éloigné du Parti Communiste mais cela ne l’avait pas empêché pendant un temps de monter des spectacles très directement politiques. Je reviendrai sur la carrière de cet homme honoré de son vivant qui a eu sur l’évolution du théâtre dans le dernier tiers du XXème Siècle une influence suicidaire, surtout après qu’il soit entré au Conservatoire comme professeur.
6-05 - Nos professionnels de la plume acérée se sont peut-être un peu trop hâté de ricaner à propos du LIQUID THÉÂTRE. Il faut dire que les publicistes de Cardin avaient tout fait pour rendre l’entreprise suspecte et que je n’aurais peut-être pas été aussi ravi de ma soirée si j’avais dû allonger 60 Frs à l’entrée, prix unique réclamé pour cette expérience. Car ici, c’est le cochon de payant qui “travaille”, tout juste guidé par les “artistes”. On lui fait ôter les pièces de vêtements qui pourraient l’entraver, puis une monitrice s’empare d’un petit groupe, l’invite à se décontracter et à prendre part à des petits jeux puérils. Puis après avoir bu ensemble le thé de l’Amitié (qui est malheureusement tiède et infect), chacun passe par un labyrinthe. Il doit fermer les yeux. On le tripote gentiment par devant et par derrière avec des caresses désexuées puis le groupe se reforme et on fait des improvisations du niveau de la première année du centre de la rue Blanche.
L’espace Cardin vidé de ses fauteuils est compartimenté, scène et salle mêlées, par des pans de rideau qui isolent les groupes et en font perdre la géographie. C’est un XX bon enfant. Puis tout éclate, les rideaux tombent. Pendant un quart d’heure on a droit à un spectacle et c’est un mimodrame sur Adam et Ève (chère Amérique!). Et on recommence à jouer, groupes rompus et reconstitués différemment. On fait le con en commun et au passage, on découvre parmi les meneurs du jeu des gens connus tels Véronique Alain, Emmanuelle Sauret, Robert Fortune. La soirée s’achève par des rondes tous ensemble et par de la danse style Magic Circus.
Cette description un peu condescendante marque les limites de l’entreprise : puérile mais sérieuse, très et trop ordonnée, voire policée. Les perturbateurs sont parqués à l’écart, priés fermement de ne pas déranger les autres. La liquidité est froide et il manque à la communication recherchée qu’elle dépasse le niveau de la bonne société très convenable. Vue la clientèle recherchée, on n’a pas le choix : bienséance est de règle et tout se passe entre des gens bien élevés. Aucun souffle révolutionnaire ne se glisse sous les moquettes bien propres de Cardin et personne n’allume la plus petite cigarette.
Pourtant il y a l’indication de ce que pourrait être un tel divertissement moins “retenu”, moins prudent, plus libre et dé - moralisé. Car les gens font ce qu’on leur demande. Ce sont de vrais moutons, et lorsque les rideaux tombent et avec eux les groupuscules, que toute l’assistance se retrouve ensemble faisant des gestes collectifs, l’idée du fascisme m’a traversé la moëlle épinière. De ces jeux bénins au happening cassant tout, il pourrait bien n’y avoir qu’une mince cloison à abattre. Car il s’agit, tout bonnement, d’une mise en condition et la preuve est faite qu’elle est facile à obtenir. Il est donc trop facile de minimiser l’entreprise, de n’y voir qu’affaire de commerce. Le LIQUID THÉÂTRE est peut-être un précurseur. Il avance un pion nouveau dans la recherche de rapports différents acteurs / spectateurs. Sans doute, ce premier pas ne pouvait-il pas être obtenu avec un contenu plus fort. Tâtonnement exigeait circonspection. En tout cas ce serait rigolo de voir ce que ça donnerait dans les quartiers d’Ivry! Et Vitez serait tellement plus à sa place chez Cardin!
7-05 - Dans la première demi-heure, j’ai été tenté de me lever, de tirer mon carnet de chèque, et de rendre dans un geste plein de noblesse et de morgue ses 300 Frs au Théâtre de l’Unité. Tant son AVARE AND CO m’irritait : on a le droit de tout faire avec Molière, me ressassais-je, sauf de le MAL jouer. De toute évidence, la troupe était insuffisante. Certes, j’avais lu dans le programme que le Parti de Livchine était de rejeter le jeu psychologique dans sa complexité et de n’impartir à chaque personnage qu’une facette accentuée à gros traits. Et j’avais bien compris qu’il voulait montrer que tous les personnages de la pièce étaient motivés par l’argent et qu’Harpagon était dans ce monde le seul COHÉRENT. Pour se voir, ça se voyait. Mais les interprètes agrémentaient leur jeu de gags et d’attitudes mal contrôlés. Une désinvolture planait sur la représentation. L’érotisme d’Élise écartant les cuisses pour bien montrer que Livchine la voyait ayant couché avec Valère ainsi qu’une certaine atmosphère de sensualité équivoque planant sur la famille, me paraissaient plaqués sur le propos, en plus et gratuitement. Le mot “amateur” me trottait dans la tête.
Et puis je me suis habitué, et j’ai dépassé cette première impression. J’ai vu alors que le décor était fort beau et les costumes aussi, que le Parti était tenu et que tous les actes des protagonistes étaient effectivement référenciés au seul Argent. J’ai trouvé qu’il y avait une incontestable richesse d’invention au niveau du détail, une cassure du ronronnement classique tout de même fort intéressante, un irrespect du texte assez marrant et un plaisant refus de son morceau de bravoure (les Au voleur! sont coupés et le reste du fameux monologue est dit par une voix off, tandis qu’autour d’Harpagon muet, la maison tourne comme un manège).
Alors, j’ai marché un peu comme si j’étais de la famille de ces garçons et filles qui ont évidemment beaucoup travaillé et fait montre d’invention, à qui il ne manque, en somme, que d’avoir appris leur métier. Et j’ai reconnu que l’un dans l’autre, cet AVARE était, bien sûr, au niveau de la recherche, un des plus aboutis que j’aie vu et que sur le plan de la mise à portée contemporaine d’un texte classique, il était valablement signifiant, en tout cas original et concernant, dépoussiéré. Livchine est ambitieux. Sans doute, veut-il trop montrer, trop faire avec des acteurs trop inexpérimentés. Mais sa démarche est estimable et à suivre.
Effectivement je l’ai suivie et j’ai vécu un long parcours avec le THÉÂTRE de l’UNITÉ dont l’âme aux côtés de Jacques Livchine fut bientôt l’incroyable Hervée de Laffond, qui ne reculait jamais devant quoi que ce soit.
9-05 -Du théâtre et qui se voit tel un décor de tournée mal ajusté, peint laidement et détâché sur les rideaux en gouttes d’huile, c’est le PAUVRE RUZANTE de Roger Mollien. Un atout dans ce spectacle qui se laisse voir avec plaisir, mais n’est pas marqué au coin du génie : Jean Saudray, qui joue le personnage de Ruzante, et qui est admirable. Le texte de Michel Arnaud est un trucage au départ de divers scènes de Ruzante, qui aboutit à une comédie en trois actes assez bien fagotée, montrant les déboires conjugaux du héros et certaines facettes de son caractères : rusé, âpre au gain, fort en gueule et poltron. Martine Noiret qui joue Bétia (femme volage de Ruzante) est une fort appétissante personne. C’est une farce classique, tirée au boulevard, montée sans invention avec une mise en scène hâtive, mais ça ne manque pas de contenu. “La faim, l’Amour et la guerre” en prennent pour leur compte avec une certaine modernité.
10-05 - J’avais vu LA MÈRE montée par Claude Régy. Je n’avais pas vu LA POULE D’EAU montée par Tadeusz Kantor.
LES CORDONNIERS est donc mon deuxième contact avec Witkiewicz et mon premier avec Kantor.
Deuxième contact avec l’auteur : je ne trouve pas beaucoup de points commun entre LA MÈRE et LES CORDONNIERS au niveau de la construction dramatique. Là était une pièce traditionnelle de forme et quasi de langage. Ici est un délire verbal, un torrent de mots, un souffle lyrique à relents de “vent de l’histoire”, point d’intrigues psychologiques, une vision prophétiquement gauchiste de la Révolution avec une flopée de symboles mal lisibles en détail, un génie du mot et de la phrase à l’état pur et brut encore qu’il vaudrait mieux entendre le Polonais pour en être sûr, quelque chose comme un flot submergeant sur contenu d’angoisse enthousiaste. Premier contact avec Kantor, il paraît que LA POULE D’EAU, c’était fantastique, incroyable, prodigieux et que LES CORDONNIERS c’est moins bien, disent les professionnels de la moue! Mais il était peut-être plus facile à des oreilles françaises d’accepter un langage polonais inaudible que français.
Car c’est la chose qui frappe essentiellement : le mépris de Kantor pour l’intelligibilité du texte. Les phrases fusent de partout, sonorisées ou en direct, se mélangeant, se bousculant avec juste ce qu’il faut de gros plans pour qu’on ne nage pas trop. C’est un bourdonnement qui vous investit, tempête entrecoupée de calmes, l’oeuvre procédant par vagues de grande marée signifiées par cette fille sur charrette tirée par deux hommes (Paule Annen), Passionaria de la Révolution et qui lui redonne permanentement le coup d’impulsion en haranguant les acteurs et le public en une ronde sans cesse recommencée.
Kantor a-t-il voulu qu’on lise mal les mots et son dessein était-il que le public soit impressionné musicalement au delà du langage? Ou n’étant pas français, s’est-il laissé dépassé par la volonté de souffle au point de ne s’être pas rendu compte que les oreilles percevaient une bouillie? Mystère!
Mystère aussi pour moi qui ne suis pas un spécialiste de Witkiewicz, le sens de chaque personnage. Il m’apparaît qu’ils sont tous dépositaires de symboles mais une notice explicative serait nécessaire. Pourquoi Michèle Oppenot dort-elle sur la scène toute la soirée, ne s’éveillant que pour s’enduire le corps d’argile, puis pour s’en nettoyer, puis pour recommencer au seul niveau des pieds? J’imagine que pour lui faire jouer ce rôle de figuration, Kantor a dû l’abreuver de puissantes motivations! Mais lesquelles? Il me laisse, moi public non averti, avec un cheveu de professeur Nimbus, c’est-à-dire en point d’interrogation sur le crâne. Heureusement, Dort était là. Je le lirai. Lui aura sûrement tout compris.
Reste qu’avec des plages d’humour (cf.. la très amusante scène des coupures du metteur en scène), c’est un spectacle des plus attachants. On sent qu’on est face d’un important travail, d’une puissante imagination, d’une invention féconde et - sans doute - d’une contestation qui doit être fort percutante en Pologne. C’est un coup de poing vigoureux qui force à une certaine admiration, une folie furieuse et envoûtante, une célébration gigantesque et bruyante. Tout de même un grand spectacle à l’actif du Théâtre 71, quoi qu’à vrai dire Kayat n’y soit que comme puissance accueillante. Encore a-t-il eu le mérite de jouer cette carte.
11-05 - Gérard Gélas s’achemine de plus en plus vers les spectacles “CÉRÉMONIES” sur des thèmes très simples traités en quelques phrases et beaucoup de gestuelle symbolique. On pense à Bob Wilson pour une certaine lenteur, à Ghelderode pour un type d’univers, aux gitans d’Avignon et à l’Espagne toute proche pour l’importance conférée au “magique”. La pop musique des premiers spectacles a été transformée et on songerait plutôt à LA STRADA pour le solo de violoncelle et son contrepoint à la trompette. Mais le son joue un rôle capital dans la représentation. Le jeu des acteurs n’est en rien réaliste. Il est signifiant du monde décrit, excessif, désarticulé, volontairement maladroit. Finalement, il apparaît que les “références” sont profondément digérées et régurgitées. Sont-elles même références? et le CHÊNE NOIR, qui vit très intimement en vase clos, invente bien plutôt, je crois son propre chemin, rencontrant ici ou là des courants frères, mais au fond profondément UNIQUE. Peut-être tout au plus, l’équipe a-t-elle eu quelque part dans la tête des souvenirs de cirque en créant L’ÉCLIPSE DE L’INDIEN. Ou bien est-ce encore là simple rencontre dans la mesure où l’univers de l’enfance joue un grand rôle dans le spectacle? La cérémonie ici montée est un éloge funèbre. Le mort, l’Indien, entend prononcer son panégyrique par un personnage issu directement de l’Inquisition et qui le décrit enfant heureux de naître, puis écolier modèle, mari exemplaire et fonctionnaire consciencieux, tandis qu’au contraire nous le voyons constamment paumé, agressé dans une société de pantins et de fantoches. Bien sûr, c’est le CRI de ces jeunes gens révoltés contre le monde qu’on voudrait leur faire. C’est une protestation plus qu’une contestation. Le virage d’AURORA s’accentue : Gelas ne porte plus au théâtre le combat quotidien. Il le réserve pour l’action effective et sur la scène, il indique seulement que “ça ne va pas”. Il le fait en artiste, avec un esthétisme fort beau.
Élément nouveau, il cherche les gags et il en trouve parfois de drôles. Mais l’important, c’est le charme, au sens fort du mot, l’envoûtement dans lequel une nouvelle fois il plonge ses spectateurs.
Attoun disait hier soir à la Cartoucherie que les critiques seraient réservés. Je me demande quelle mouche les pique! Ah qu’elles sont loin les autocritiques de Mai 68, et qu’il est revenu au galop, le naturel! Bougre de cons!
16-05 - J’ai dû changer depuis 68. Autant, en ce temps-là, je m’étais senti concerné par QUE FEREZ-VOUS EN NOVEMBRE?, autant l’équivalent brésilien de la pièce d’Ehni, au demeurant adapté par lui, LES CONVALESCENTS, de Vicente, m’a paru éloigné de mes préoccupations. Les personnages décrits ne me ressemblent plus. Ils ne m’intéressent guère. C’est pourtant en gros le même thème : un professeur “de gauche” (mais Jean-Pierre Bernard n’a pas le poids de Cellier) se contente de l’action “en paroles”. Un jeune bourgeois s’envoie en paradis artificiel entre deux “actions”. La femme du professeur protège une fugitive par romantisme pur. La révolutionnaire elle-même a un côté XVIème arrondissement : je crois que le choix d’Anne Bellec y contribue mais ce qu’elle a à dire ne l’aide pas. À dire vrai, j’aurais été prêt à passer sur un côté mélodramatisé dont l’appartenance sud-américaine est claire. Mais ce que je ne puis supporter, c’est la confusion par mélange des problèmes. Il se peut que l’impuissance révolutionnaire ait des résonances sexuelles. Mais en fait, je m’en fous. Ces considérations complaisamment étalées par les personnages sur leurs dramuscules personnels, me paraissent ressortir du noyage de poissons. Qu’ils couchent tous ensemble ou pas, que les bonnes femmes soient ou non mûres pour pondre des mouflets, qu’une atmosphère partouzarde baigne ces gens “fin de race”, tout cela est hors du sujet qui est celui de l’oppression des militaires au Brésil. Or celle-ci est certes suggérée violemment, mais elle n’est ni éclairée, ni expliquée. Des impuissants conscients que ça ne va pas, traînent leur ennui dans un univers fasciste qui semble gratuit, isolés par l’indifférence du peuple, que l’oeuvre stigmatise mais n’explicite pas à telle enseigne qu’on en vient à se demander pourquoi ce drogué, cette insatisfaite, ce mou et cette déracinée, ne sont pas contents. Et on est tenté de conclure que c’est parce qu’ils n’ont pas de RACINES, parce qu’ils sont inauthentiques, ce qui évidemment ne peut que servir la position du POUVOIR. D’ailleurs, bon an mal an, la pièce a été jouée au Brésil. Gilda Grillo présente ces huit mois d’exploitation comme un combat permanent qu’elle a mené. Et sans doute y a-t-il un monde vrai... et beaucoup de lucidité de la part des COLONELS!
Je ne crois pas que Gilda Grillo soit un grand metteur en scène, mais elle jette de la poudre aux yeux et ne manque pas de rigueur. Au RANELAGH de toute manière, un tel spectacle, au surplus joué à 22 h n’a aucun sens.
17-05 - Je relisais la présentation de SI L'ÉTÉ REVENAIT par René Gaudy, que Michel Berto nous a remise à des fins prospectives avant d’entreprendre son travail sur l’oeuvre d’Adamov et je dois dire que je n’ai RIEN retrouvé à la représentation des motivations exprimées. L’oeuvre, il faut bien le dire, est étonnamment secrète. Mais je crois que Berto s’est attaché à la rendre plus impénétrable encore. J’ai attendu pour écrire ces lignes, de lire Poirot Delpesch, mais il n’a pas éclairé ma lanterne.
On sait qu’il s’agit de quatre rêves, c’est-à-dire de quatre manière d’appréhender des événements semblables, chacun des personnages en gros plan les projetant selon leur propre vision. Sans doute est-ce pour cela que les acteurs jouent dans un style lent - à une exception près, celle de Denise Bonnal (la mère) qui joue boulevard -. L’eau est très importante. Berto a transplanté la pièce sur un toit d’immeuble où il y a une piscine très propre, des arbres en pots, et - ceci est d’Adamov - une balançoire. Au deuxième rêve, il fait tomber de la vraie pluie. L’effet est spectaculaire mais peut-être pas de très bon goût. Les personnages paraissent et disparaissent gratuitement. Il y a deux interventions drôles de Berto lui-même. On a l’impression d’un exercice de style - au demeurant impeccable - dans une cartoucherie dont on ne voit plus les murs lépreux. Exercice “éloigné” des spectateurs qui sont disposés de chaque côté d’un vaste espace séparé d’eux par des barbelés. Tout est fait pour masquer la pièce. Lars est un homme de 45 ans. Ici, un jeune homme l’incarne, au nom de la projection probablement des souvenirs d’enfance et d’adolescence d’Adamov. Un certain charme se dégage, cela dit, de cette soirée difficile à suivre et à pénétrer, ne serait-ce que parce que Corinne Gossot en bikini est fort belle à considérer. Mais je ne sais dans quelle voie s’engage ici notre Berto, voie de garage, voie de refuge? Je suis inquiet. Sombrerait-il dans l’esthétisme?
LE T.N.P. DÉCENTRALISÉ
19-05 - C’est la semaine aquatique. Après la piscine bien propre de Berto, voici la Seine boueuse et noirâtre du MASSACRE À PARIS de Chéreau, spectacle d’ouverture du T.N.P. Villeurbanne qui a déplacé à Lyon le ban et l’arrière ban du Paris des arts et des lettres. C’est Jean Vauthier qui a adapté la pièce de Marlowe qui retrace les luttes entre catholiques et protestants en France, conclues par l’assassinat du Duc de Guise et la prise en main du POUVOIR par les Bourbons. Je présume que Vauthier a fait un travail consciencieux. Il a d’ailleurs pris soin de le publier. Mais Chéreau a fait du Chéreau. On n’est pas un génie pour rien, nicht wahr!
Chéreau, c’est d’abord une matière. On se souvient du sable de Richard II. Ici, c’est de l’eau qu’il y a sur le sol. Une eau fangeuse où nage les cadavres, où pataugent les personnages historiques. L’eau ne vaut pas le sable. Elle permet, bien sûr, certains effets. Mais pour moi, elle est surtout un truc pour épater la galerie.
Chéreau, c’est ensuite des machineries compliquées sur fonds pastels et éclairages chiches qui refusent la lumière aux visages (sauf celui de Madame Alida Valli qui avait sans doute exigé par contrat qu’on la voie, si bien que systématiquement, Catherine de Médicis jouissait à chacune de ses apparitions d’une poursuite dont la brillance tranchait sur la pénombre d’à l’entour). Le dispositif de Richard Peduzzi, pour admirable qu’il soit, est dans la ligne habituelle, avec un défaut qui est que baignant dans l’eau il ferait plutôt songer à Venise qu’à Paris. Somme toute, cette eau - j’y reviens - est sûrement “symbolique”, mais je la trouve gratuite. Je n’ai pas le souvenir que les guerres de religions se soient assorties d’une inondation permanente! Chéreau, c’est encore des tableaux de groupes humains se formant et se reformant en “attitudes”. J’ai sur ce plan été déçu par MASSACRE À PARIS :l’eau ne permet pas la vivacité des déplacements et j’ai noté moins d’harmonie et plus de confusion que de coutume. De temps en temps, des espèces de plate-formes s’avancent pour permettre à certaines scènes de se faire pied sec mais la conséquence est que comme dans l’OTHELLO de Valverde, les possibilités d’évolution se trouvent limitées. Chéreau, c’est aussi la transposition et j’avoue que je reste circonspect devant le mélange des époques en matière vestimentaire. Pourquoi avoir transporté ce conflit lointain et peu concernant dans un univers évoquant le temps des gangsters de Chicago? Pourquoi avoir remplacé la dague par le revolver, alors que le gant empoisonné demeure emprunté à l’âge du texte? Heureusement, les deux tueurs professionnels directement sortis en conception du monde de James Hadley Chase sont ADMIRABLEMENT silhouettés par Roland Bertin et Graziano Giusti. Ils en font les triomphateurs de la soirée. Mais c’est à leurs seuls génies qu’ils le doivent, car en vérité, ce type d’individus était très étranger à Marlowe. Et la gratuité du rapprochement est flagrante.
Richesse oblige, il y a un orchestre dans la fosse d’orchestre et la musiquette de Fiorenzo Carpi est charmante. Mais les musiciens sont médiocres. Ils ne sont pas assez nombreux et il aurait bien mieux valu une bande bien enregistrée avec un potentiomètre permettant d’emplir l’espace en son. La qualité d’audition du texte laissait aussi à désirer, et le clapotis de l’eau aidant, il y a des moments où l’on a beaucoup de mal à suivre. Comme ça dure quatre heures d’horloge, il y a des moments rudes.
Ces réserves faites, ce MASSACRE À PARIS est un grand, beau et original spectacle qui se laisse voir sans ennui, et parfois avec admiration. J’ai beaucoup admiré le plongeon du cadavre de Jean Debarry. La pauvre Lolah Bellon joue une série d’assassinées et à la fin de chacune de ses apparitions, on la voit tomber dans l’eau et flotter mollement vers la coulisse. Planchon joue le Duc de Guise et c’est à lui qu’échoit d’être le premier à patauger dans l’eau et en smoking jusqu’au cou. Ca lui donne la possibilité de faire un effet. Alida Valli fait très vedette, et un des aspects du texte est qu’il semble avoir été dosé pour lui apporter et apporter aux “Acteurs” des plages de “numéros”. Cela dit, je n’ai pas trouvé son apport très convainquant, sauf à la fin quand la Médicis redevient une poissarde italienne pour exprimer sa fureur dans sa langue natale. Elle y est drôle.
Ce MASSACRE À PARIS est le type même du “grand” spectacle au goût du pouvoir pompidolien. Il ne remue aucun problème dérangeant et il est de classe esthétique internationale. Allons! Tout va bien : ils apparaissent enfin, les jeunes de talent qui ne font pas de politique au théâtre! (ou qui le cachent si bien que ça ne se voit pas!). Certes, ils coûtent cher mais la manne est prête à récompenser leur sagesse. Paris valait bien une mess.e Un MASSACRE À PARIS valait bien UN PRIX DE LA RÉVOLTE AU MARCHÉ NOIR! Il faut bien que jeunesse jette sa gourme. Devenu pédéraste notoire, vedette européenne de la mise en scène et, selon les bruits, “grosse tête”, Chéreau est récupéré. Je ne sais pas où en sont ses dettes, mais on ne semble plus guère “inquiet” à ce sujet dans les milieux bien informés
PARIS DE NOUVEAU
1-06 - Dans la mesure où je fais figure d’enfoiré quand je déclare que Shakespeare, - peut être grand poète dans le détail de certaines tirades célèbres -, n’est pas un bon auteur DRAMATIQUE en ce sens que ces textes sont indéterminablement étirés et méandreux, confus dans leurs continuités et mal équilibrés; dans celle où l’on se fout unanimement de ma gueule quand je répète que cet écrivain “populaire” est réactionnaire, misogyne, incroyablement calotin et méprisant du peuple, porte parole de l’obscurantisme et valet d’une classe dirigeante abjecte, que PAR CONSÉQUENT il faudrait l’enterrer dans les brumes de l’oubli ou au minimum laisser à ceux qui montent Anouilh et Montherlant le soin de le mettre en scène; je n’ai pas envie de parler du RICHARD III de Périnetti. De toute manière, André Louis n’est pas un génie, sa troupe est insuffisante, sa “lecture” de l’oeuvre imperceptible et de toute manière excessivement extérieure. Le mérite de cette production aura surtout été de détruire l’ancienne salle de la Cité Universitaire reconvertie grâce à elle en lieu polyvalent passable. Voilà au moins qui est positif et destructeur d’une certaine “culture”. Dommage qu’il ait fallu que le prétexte à cette bénéfique transformation ait été une ode à la gloire du super défendeur de la culture occidentale.
3-06 - J’aurai certainement assisté à la deuxième partie de PEER GYNT à la Cartoucherie si je n’avais tant souffert durant la première de l’inconfort imposée par le Théâtre de la Tempête à ses visiteurs. Et d’abord, parce que la pièce d’Ibsen est belle, se laisse écouter, nous entraîne dans un étrange folklore nordique aux franges du réel et de l’imaginaire, du Diable et de Dieu, de la Justice et de l’arbitraire, avec un aspect western, fleur bleue de bande dessinée.
Aussi parce que pour la première fois il me semblait voir Michel Hermon SERVIR une pièce. Point ici, d’extrapolation, d’introversion, de psychanalyse : c’est du premier degré bien torché, bien fait. J’avoue que je n’en revenais pas de voir ainsi les acteurs faire ce qu’ils avaient à faire et rien d’autre, sans sembler être porteur d’arrière pensées lourdes de signification.
D’un autre côté, il était assez réjouissant de voir pour une fois une réalisation sans clinquant, avec juste un espace scénique, un praticable vaste et incliné de-ci delà, quelques éléments d’indication. Ce parti “pauvre” était malheureusement accentué dans le mauvais sens par quelques faiblesses de distribution. Mais Delpy, Marie Pillet, Jeanne David et surtout Pierre Maxence sont très bien.
13-06 - Il faut beaucoup louer Kraemer pour la continuité de la ligne avec laquelle il accomplit son travail en Lorraine. Au Théâtre des Deux Portes, il montre son dernier spectacle : LES IMMIGRÉS et il prouve que son action politique est étayée par un professionnalisme désormais incontestable. Construites, structurées, ces 17 “saynètes” rigoureuses qui montrent en forme de fable le processus de l’immigration à travers la fiction d’une race nommée “les morphes” et qui dénoncent l’exploitation dont ils sont l’objet au travers des contradictions du système, ont été évidemment au niveau de la dramaturgie inspirée par Brecht via Adamov et Steiger! L’intéressant est que LES IMMIGRÉS ne sont pas montrés, mais contés à la lumière du prisme déformant qu’imaginent les phantasmes bourgeois. Ainsi, ne voit-on jamais un seul morphe et la critique ressort-elle du comportement même de ceux qui les ont découvert, “civilisés”, importés. Le grotesque est donc à la base de la représentation. Les noms que j’ai cités en référence indiquent qu’il y a malheureusement dans la réalisation de Kraemer une certaine lourdeur, une relative pesanteur : c’est un spectacle qui souffle de l’Est... Mais il est très bien joué, par trois excellents acteurs, surtout la fille, Chantal Mutel, qui est excellente.
Il est évident que Kraemer mérite tous les soutiens.
16-06 - ... Je n’en dirai pas autant de Gaudy qui m’a arraché une (demie) soirée à Villejuif où son THÉÂTRE DES HABITANTS présentait une chose qui se passait sur une plage (sans sable) et s’appelait (sauf erreur) TROUBLES. Cinq acteurs moyens signifiaient par des moyens périmés l’aspect figé, mortellement atteint par les classes montantes, de la bourgeoisie. Ca se laissait regarder comme une gentille bluette d’amateurs sympathiques. Mais on sait que le THÉÂTRE DES HABITANTS revendique l’animation permanente des théâtre de Sochaux et de Montbéliard et j’estime que c’est une vraie chance qu’il y ait là-bas un Deschamps qui ne tombe pas dans le piège de la propriété absolue à la troupe permanente, car il ne suffit évidemment pas d’être habitant d’une ville pour avoir le droit d’y requérir le monopole du théâtre. En fait, je crois que cette troupe a eu un vrai coup de chance le jour où la famille Peugeot lui a déclaré la guerre. Sans cet événement qui contraint les politiques de la profession à la solidarité, je présume que le THÉÂTRE DES HABITANTS serait tout à fait inconnu. Un problème en perspective pour nous, car Gaudy est peut-être un médiocre metteur en scène mais c’est un agitateur et je suis sûr que son arrivisme ne faiblira pas!
Très intéressante, cette petite chronique, relue à l’époque de la déconcentration toute puissante. Qui aurait en ce temps là pensé que le médiocre THÉÂTRE DES HABITANTS serait, 40 ans plus tard, multiplié par mille, et devenu prioritaire dans les programmations des “maisons” de l’institution culturelle?
Et qui aurait pu croire qu’une personne comme Deschamps, récupérée par les dites institutions deviendrait un jour l’”inspecteur” qui aura la peau de Roger Lafosse et du SIGMA de Bordeaux?
18-06 - Soirée de dames hier soir à Montparnasse avec d’abord dans le cadre du “Festival de Montparnasse”, BRAS DE FER CONTRE L’ANGE NOIR, texte et mise en scène de Corinne Gosset. Cela se passe à l’école d’architecture dans une salle lépreuse à l’acoustique épouvantable. Nous devions être à peu près quinze spectateurs. Chère Corinne qui poursuit inlassablement son combat pour dénoncer la condition de la femme, aidée dans cette aventure-ci par son amie Sheherazade qui est une Iranienne d’Im. 90, une négresse bon teint qui danse mais ne parle guère, et deux traîtres du genre masculin qui incarnent les oppresseurs mâles. À dire le vrai, le spectacle n’est guère militant, car Corine a transposé son cri en forme de conte pseudo oriental, et il a beau retracer le processus d’aliénation de la femme depuis Adam et Ève jusqu’à la prise de conscience MLF, - ce qui représente une tranche d’histoire un peu trop vaste pour être approfondie -, l’anecdotique, le dépaysement, l’exotique et l’insolite faussent le contenu de l’entreprise qui ne montrent que très timidement le bout de l’oreille. Cet étrange détour, (signifiant de quoi? : de l’incertitude de Corinne en la valeur de son combat? De sa pudeur à appeler un chat un chat? De son désir de faire oeuvre d’artiste là où un meeting serait officiant?) aboutit à une complète édulcoration du propos et je confesse que le racisme des protagonistes ne m’a pas soulevé d’indignation. Je suis resté sur ma chaise fort résigné, un brin somnolent et pas du tout décidé à considérer désormais les dames comme des nègres. Il faut dire que la mise en scène est au surplus beaucoup trop molle. Il y a quelques belles trouvailles au niveau des costumes, mais il n’y a pas dans le jeu une seule intention, un seul geste, qui aillent au bout d’eux même. Nulle violence ne s’exhale de ce gentil petit pet bien élevé.
Corine Gosset à 21h, Catherine Monnot à 23h à l’ARLEQUIN PARNASSE (rue Daguerre). Faut-il que je sois un bon zigue! Surtout qu’au café-théâtre, j’ai été piégé d’un baby whisky pour le prix des trois quarts d’une bouteille. UN, DEUX, TROIS... SOLEIL, de Catherine Monnot, mise en scène de Catherine Monnot, avec Catherine Monnot et Françoise Decaux, devrait plutôt à mon avis s’appeler UNE, DEUX, TROIS TARTINES. Il s’agit en effet du goûter de petites filles : l’une rend visite à l’autre, si j’ai bien compris en cachette. Leur dialogue est prétexte à retours en arrière, à phantasmes et à rêves de jeunes filles un brin troubles mais fort purs, l’action étant centrée sur deux énormes tartines de confiture, tantôt réelles, tantôt évoquées, toujours receleuses d’intentions à des degrés ésotériques qui après, comme avant le spectacle, laissent le public tout à fait ignorant des secrets du bouillonnement intime de Catherine, qu’elle a certainement pourtant voulu exorciser par ce déballage freudien.
Ce qui est certain, c’est que les deux filles jouent très bien. Elles sont par moments, très drôles. Mais les ruptures de ton ne sont pas assez sensibles. Il est exigé du spectateur un effort injustifié pour savoir où il en est. Les robes des deux gamines sont fort érotiques.
Un aspect du texte - au demeurant bien écrit - est social jusqu’à un certain point à travers la notion de vente des tartines remplacée par celle d’échange, à travers aussi le recherche de la fuite du milieu familial, l’école buissonnière, la volonté d’indépendance. C’est évidemment à ces instants où le particulier rejoint les préoccupations générales, que la pièce accroche le mieux.
L’atmosphère Comtesse de Ségur dans laquelle elle baigne fait en outre qu’il s’agit d’une intention de qualité, encore insuffisamment libérée. Mais c’est le tout début des représentations. Reste à savoir si elles dureront. Nous étions une dizaine à assister à ce balbutiement déraciné du point de vue de l’horaire. À suivre par amitié.
3-05 - La chose qui surprend le plus quand on voit JÉSUS CHRIST SUPER STAR, c’est l’aigüe conscience que, n’était le battage publicitaire, cette superproduction serait regardée comme pauvrette. En fait, ce n’est pas autre chose qu’un oratorio : l’orchestre est sur la scène et occupe l’essentiel de l’espace : c’est un grand orchestre. On l’a coupé en deux pour ménager un passage central permettant les entrées par le fond. Sur un itinéraire un peu en croix, les chanteurs évoluent. Ils tiennent tous leur micro et ils indiquent un brin de “Jeu”. Peu de décors. Des éclairages bateaux. Somme toute, un spectacle austère et rigoureux, dont on serait tenté de louer la tenue, n’était la sueur du commerce pur qui suinte sous cette apparence, et la sensation que tout a été pesé par les producteurs comme du sucre chez l’épicier. Reste que ce tintamarre ultra sonorisé et pieux m’a fait prendre conscience de ce que la grande salle de Chaillot ne paraissait plus si immense quand elle était emplie par le bruit. J’ai eu brusquement l’impression que toutes ces année, le théâtre y avait souffert de silence.
À part ça, vingt minutes de cette vie du Christ en rock m’aurait suffi pour prendre une fois de plus conscience de la mise en scène du Christianisme sur l’humanité et de la putasserie de ses promoteurs qui ne reculent devant aucune bassesse pour attirer à eux les “petits enfants”. Je suppose que cet opéra a la bénédiction de l’Opus Deï. Comme il n’y a pas d’entr’acte et que je suis timide, j’ai tout vu. Ca dure 1h50.
“LE THÉÂTRE ÉLITAIRE POUR TOUS”
5-05 - FAUST et son double, MÉPHISTO et ses multiples sortis tout droit d’une parodie d’Arturo Ui, MARGUERITE point de repère ténu, je n’ai pas d’autre mot pour qualifier le FAUST de Vitez que celui d’IMPOSTURE. En faut-il, de l’impudence, de l’inconscience, du mépris, pour oser ouvrir un “THÉÂTRE DES QUARTIERS D’IVRY” avec un spectacle qui est du ressort d’un laboratoire expérimental pour Germanistes avertis, pour détecteurs d’intentions aussi profondément cachées que possible par accumulation des degrés ésotériques, pour amis intimes du metteur en scène à qui sont décochés des “signes de repérage” notamment par imitations diverses, jeu où il excelle, nous le savons, nous qui sommes au parfum? Car il ne s’agit plus, vous l’avez deviné, d’une représentation de FAUST comme annoncé, mais d’une “réflexion” à propos de FAUST dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle exigerait qu’on vende l’ouvre-boîte avec le produit. Cela dure quasi 3 heures d’horloge sans entr’acte. On n’a pas le droit de fumer. On est assis sur des bancs rigoureux. Bref, toutes les conditions sont réunies pour que les égarés des quartiers d’Ivry qui viendraient un soir voir le FAUST préparé pour eux par leur animateur local, prennent définitivement les jambes à leurs cous quand quelqu’un leur parlera de théâtre désormais.
Personnellement, je me suis emmerdé comme un rat mort à cette élucubration qui m’a semblé de surcroît CONFUSE, dont je n’ai pas pénétré l’INTENTION, qui m’a paru vide de contenu, éloignée de mes préoccupations, spéculation pure, ART POUR L’ART, exercice de virtuosité gratuit!
Je suis POUR l’exigence et je suis de l’avis que le peuple doit être mis en contact avec des oeuvres sans facilités, ni concessions, d’un niveau élevé, que l’artiste ne doit pas se rabaisser mais élever. MAIS ce travail est DIALECTIQUE et c’est faire un faux pas que d’asséner un tel coup sur des cervelles incultivées! Quel but veut atteindre l’aristocrate Vitez, le mandarin Vitez, en enfermant son message dans une tour d’ivoire triplement cadenassée?
Heureusement, le Doktor Dort était là. En lisant, son papier, peut-être comprendrai-je quelque chose à ce FAUST. Pour l’instant, je ne suis que furieux et triste.
Vous remarquerez sans doute que mes compte-rendus concernant les spectacles d’Antoine Vitez ne sont pas exempts d’une certaine mauvaise humeur. Cela vient de ce que j’ ai eu à partir d’un certain moment à travers l’évolution toujours médiatiquement ascendante de sa carrière, le sentiment d’avoir été quelque part trahi par cet homme suprêmement intellgent (plus que moi sûrement) mais dont les motivations n’étaient pas pures. Dois je rappeler qu’il avait été dans sa jeunesse secétaire d’Aragon et qu’il avait à ce titre passé 4 ans à Moscou comme « nègre » pour aider le Maître à écrire son HISTOIRE DE L’URSS. Pragmatique, il s’était peu à peu éloigné du Parti Communiste mais cela ne l’avait pas empêché pendant un temps de monter des spectacles très directement politiques. Je reviendrai sur la carrière de cet homme honoré de son vivant qui a eu sur l’évolution du théâtre dans le dernier tiers du XXème Siècle une influence suicidaire, surtout après qu’il soit entré au Conservatoire comme professeur.
6-05 - Nos professionnels de la plume acérée se sont peut-être un peu trop hâté de ricaner à propos du LIQUID THÉÂTRE. Il faut dire que les publicistes de Cardin avaient tout fait pour rendre l’entreprise suspecte et que je n’aurais peut-être pas été aussi ravi de ma soirée si j’avais dû allonger 60 Frs à l’entrée, prix unique réclamé pour cette expérience. Car ici, c’est le cochon de payant qui “travaille”, tout juste guidé par les “artistes”. On lui fait ôter les pièces de vêtements qui pourraient l’entraver, puis une monitrice s’empare d’un petit groupe, l’invite à se décontracter et à prendre part à des petits jeux puérils. Puis après avoir bu ensemble le thé de l’Amitié (qui est malheureusement tiède et infect), chacun passe par un labyrinthe. Il doit fermer les yeux. On le tripote gentiment par devant et par derrière avec des caresses désexuées puis le groupe se reforme et on fait des improvisations du niveau de la première année du centre de la rue Blanche.
L’espace Cardin vidé de ses fauteuils est compartimenté, scène et salle mêlées, par des pans de rideau qui isolent les groupes et en font perdre la géographie. C’est un XX bon enfant. Puis tout éclate, les rideaux tombent. Pendant un quart d’heure on a droit à un spectacle et c’est un mimodrame sur Adam et Ève (chère Amérique!). Et on recommence à jouer, groupes rompus et reconstitués différemment. On fait le con en commun et au passage, on découvre parmi les meneurs du jeu des gens connus tels Véronique Alain, Emmanuelle Sauret, Robert Fortune. La soirée s’achève par des rondes tous ensemble et par de la danse style Magic Circus.
Cette description un peu condescendante marque les limites de l’entreprise : puérile mais sérieuse, très et trop ordonnée, voire policée. Les perturbateurs sont parqués à l’écart, priés fermement de ne pas déranger les autres. La liquidité est froide et il manque à la communication recherchée qu’elle dépasse le niveau de la bonne société très convenable. Vue la clientèle recherchée, on n’a pas le choix : bienséance est de règle et tout se passe entre des gens bien élevés. Aucun souffle révolutionnaire ne se glisse sous les moquettes bien propres de Cardin et personne n’allume la plus petite cigarette.
Pourtant il y a l’indication de ce que pourrait être un tel divertissement moins “retenu”, moins prudent, plus libre et dé - moralisé. Car les gens font ce qu’on leur demande. Ce sont de vrais moutons, et lorsque les rideaux tombent et avec eux les groupuscules, que toute l’assistance se retrouve ensemble faisant des gestes collectifs, l’idée du fascisme m’a traversé la moëlle épinière. De ces jeux bénins au happening cassant tout, il pourrait bien n’y avoir qu’une mince cloison à abattre. Car il s’agit, tout bonnement, d’une mise en condition et la preuve est faite qu’elle est facile à obtenir. Il est donc trop facile de minimiser l’entreprise, de n’y voir qu’affaire de commerce. Le LIQUID THÉÂTRE est peut-être un précurseur. Il avance un pion nouveau dans la recherche de rapports différents acteurs / spectateurs. Sans doute, ce premier pas ne pouvait-il pas être obtenu avec un contenu plus fort. Tâtonnement exigeait circonspection. En tout cas ce serait rigolo de voir ce que ça donnerait dans les quartiers d’Ivry! Et Vitez serait tellement plus à sa place chez Cardin!
7-05 - Dans la première demi-heure, j’ai été tenté de me lever, de tirer mon carnet de chèque, et de rendre dans un geste plein de noblesse et de morgue ses 300 Frs au Théâtre de l’Unité. Tant son AVARE AND CO m’irritait : on a le droit de tout faire avec Molière, me ressassais-je, sauf de le MAL jouer. De toute évidence, la troupe était insuffisante. Certes, j’avais lu dans le programme que le Parti de Livchine était de rejeter le jeu psychologique dans sa complexité et de n’impartir à chaque personnage qu’une facette accentuée à gros traits. Et j’avais bien compris qu’il voulait montrer que tous les personnages de la pièce étaient motivés par l’argent et qu’Harpagon était dans ce monde le seul COHÉRENT. Pour se voir, ça se voyait. Mais les interprètes agrémentaient leur jeu de gags et d’attitudes mal contrôlés. Une désinvolture planait sur la représentation. L’érotisme d’Élise écartant les cuisses pour bien montrer que Livchine la voyait ayant couché avec Valère ainsi qu’une certaine atmosphère de sensualité équivoque planant sur la famille, me paraissaient plaqués sur le propos, en plus et gratuitement. Le mot “amateur” me trottait dans la tête.
Et puis je me suis habitué, et j’ai dépassé cette première impression. J’ai vu alors que le décor était fort beau et les costumes aussi, que le Parti était tenu et que tous les actes des protagonistes étaient effectivement référenciés au seul Argent. J’ai trouvé qu’il y avait une incontestable richesse d’invention au niveau du détail, une cassure du ronronnement classique tout de même fort intéressante, un irrespect du texte assez marrant et un plaisant refus de son morceau de bravoure (les Au voleur! sont coupés et le reste du fameux monologue est dit par une voix off, tandis qu’autour d’Harpagon muet, la maison tourne comme un manège).
Alors, j’ai marché un peu comme si j’étais de la famille de ces garçons et filles qui ont évidemment beaucoup travaillé et fait montre d’invention, à qui il ne manque, en somme, que d’avoir appris leur métier. Et j’ai reconnu que l’un dans l’autre, cet AVARE était, bien sûr, au niveau de la recherche, un des plus aboutis que j’aie vu et que sur le plan de la mise à portée contemporaine d’un texte classique, il était valablement signifiant, en tout cas original et concernant, dépoussiéré. Livchine est ambitieux. Sans doute, veut-il trop montrer, trop faire avec des acteurs trop inexpérimentés. Mais sa démarche est estimable et à suivre.
Effectivement je l’ai suivie et j’ai vécu un long parcours avec le THÉÂTRE de l’UNITÉ dont l’âme aux côtés de Jacques Livchine fut bientôt l’incroyable Hervée de Laffond, qui ne reculait jamais devant quoi que ce soit.
9-05 -Du théâtre et qui se voit tel un décor de tournée mal ajusté, peint laidement et détâché sur les rideaux en gouttes d’huile, c’est le PAUVRE RUZANTE de Roger Mollien. Un atout dans ce spectacle qui se laisse voir avec plaisir, mais n’est pas marqué au coin du génie : Jean Saudray, qui joue le personnage de Ruzante, et qui est admirable. Le texte de Michel Arnaud est un trucage au départ de divers scènes de Ruzante, qui aboutit à une comédie en trois actes assez bien fagotée, montrant les déboires conjugaux du héros et certaines facettes de son caractères : rusé, âpre au gain, fort en gueule et poltron. Martine Noiret qui joue Bétia (femme volage de Ruzante) est une fort appétissante personne. C’est une farce classique, tirée au boulevard, montée sans invention avec une mise en scène hâtive, mais ça ne manque pas de contenu. “La faim, l’Amour et la guerre” en prennent pour leur compte avec une certaine modernité.
10-05 - J’avais vu LA MÈRE montée par Claude Régy. Je n’avais pas vu LA POULE D’EAU montée par Tadeusz Kantor.
LES CORDONNIERS est donc mon deuxième contact avec Witkiewicz et mon premier avec Kantor.
Deuxième contact avec l’auteur : je ne trouve pas beaucoup de points commun entre LA MÈRE et LES CORDONNIERS au niveau de la construction dramatique. Là était une pièce traditionnelle de forme et quasi de langage. Ici est un délire verbal, un torrent de mots, un souffle lyrique à relents de “vent de l’histoire”, point d’intrigues psychologiques, une vision prophétiquement gauchiste de la Révolution avec une flopée de symboles mal lisibles en détail, un génie du mot et de la phrase à l’état pur et brut encore qu’il vaudrait mieux entendre le Polonais pour en être sûr, quelque chose comme un flot submergeant sur contenu d’angoisse enthousiaste. Premier contact avec Kantor, il paraît que LA POULE D’EAU, c’était fantastique, incroyable, prodigieux et que LES CORDONNIERS c’est moins bien, disent les professionnels de la moue! Mais il était peut-être plus facile à des oreilles françaises d’accepter un langage polonais inaudible que français.
Car c’est la chose qui frappe essentiellement : le mépris de Kantor pour l’intelligibilité du texte. Les phrases fusent de partout, sonorisées ou en direct, se mélangeant, se bousculant avec juste ce qu’il faut de gros plans pour qu’on ne nage pas trop. C’est un bourdonnement qui vous investit, tempête entrecoupée de calmes, l’oeuvre procédant par vagues de grande marée signifiées par cette fille sur charrette tirée par deux hommes (Paule Annen), Passionaria de la Révolution et qui lui redonne permanentement le coup d’impulsion en haranguant les acteurs et le public en une ronde sans cesse recommencée.
Kantor a-t-il voulu qu’on lise mal les mots et son dessein était-il que le public soit impressionné musicalement au delà du langage? Ou n’étant pas français, s’est-il laissé dépassé par la volonté de souffle au point de ne s’être pas rendu compte que les oreilles percevaient une bouillie? Mystère!
Mystère aussi pour moi qui ne suis pas un spécialiste de Witkiewicz, le sens de chaque personnage. Il m’apparaît qu’ils sont tous dépositaires de symboles mais une notice explicative serait nécessaire. Pourquoi Michèle Oppenot dort-elle sur la scène toute la soirée, ne s’éveillant que pour s’enduire le corps d’argile, puis pour s’en nettoyer, puis pour recommencer au seul niveau des pieds? J’imagine que pour lui faire jouer ce rôle de figuration, Kantor a dû l’abreuver de puissantes motivations! Mais lesquelles? Il me laisse, moi public non averti, avec un cheveu de professeur Nimbus, c’est-à-dire en point d’interrogation sur le crâne. Heureusement, Dort était là. Je le lirai. Lui aura sûrement tout compris.
Reste qu’avec des plages d’humour (cf.. la très amusante scène des coupures du metteur en scène), c’est un spectacle des plus attachants. On sent qu’on est face d’un important travail, d’une puissante imagination, d’une invention féconde et - sans doute - d’une contestation qui doit être fort percutante en Pologne. C’est un coup de poing vigoureux qui force à une certaine admiration, une folie furieuse et envoûtante, une célébration gigantesque et bruyante. Tout de même un grand spectacle à l’actif du Théâtre 71, quoi qu’à vrai dire Kayat n’y soit que comme puissance accueillante. Encore a-t-il eu le mérite de jouer cette carte.
11-05 - Gérard Gélas s’achemine de plus en plus vers les spectacles “CÉRÉMONIES” sur des thèmes très simples traités en quelques phrases et beaucoup de gestuelle symbolique. On pense à Bob Wilson pour une certaine lenteur, à Ghelderode pour un type d’univers, aux gitans d’Avignon et à l’Espagne toute proche pour l’importance conférée au “magique”. La pop musique des premiers spectacles a été transformée et on songerait plutôt à LA STRADA pour le solo de violoncelle et son contrepoint à la trompette. Mais le son joue un rôle capital dans la représentation. Le jeu des acteurs n’est en rien réaliste. Il est signifiant du monde décrit, excessif, désarticulé, volontairement maladroit. Finalement, il apparaît que les “références” sont profondément digérées et régurgitées. Sont-elles même références? et le CHÊNE NOIR, qui vit très intimement en vase clos, invente bien plutôt, je crois son propre chemin, rencontrant ici ou là des courants frères, mais au fond profondément UNIQUE. Peut-être tout au plus, l’équipe a-t-elle eu quelque part dans la tête des souvenirs de cirque en créant L’ÉCLIPSE DE L’INDIEN. Ou bien est-ce encore là simple rencontre dans la mesure où l’univers de l’enfance joue un grand rôle dans le spectacle? La cérémonie ici montée est un éloge funèbre. Le mort, l’Indien, entend prononcer son panégyrique par un personnage issu directement de l’Inquisition et qui le décrit enfant heureux de naître, puis écolier modèle, mari exemplaire et fonctionnaire consciencieux, tandis qu’au contraire nous le voyons constamment paumé, agressé dans une société de pantins et de fantoches. Bien sûr, c’est le CRI de ces jeunes gens révoltés contre le monde qu’on voudrait leur faire. C’est une protestation plus qu’une contestation. Le virage d’AURORA s’accentue : Gelas ne porte plus au théâtre le combat quotidien. Il le réserve pour l’action effective et sur la scène, il indique seulement que “ça ne va pas”. Il le fait en artiste, avec un esthétisme fort beau.
Élément nouveau, il cherche les gags et il en trouve parfois de drôles. Mais l’important, c’est le charme, au sens fort du mot, l’envoûtement dans lequel une nouvelle fois il plonge ses spectateurs.
Attoun disait hier soir à la Cartoucherie que les critiques seraient réservés. Je me demande quelle mouche les pique! Ah qu’elles sont loin les autocritiques de Mai 68, et qu’il est revenu au galop, le naturel! Bougre de cons!
16-05 - J’ai dû changer depuis 68. Autant, en ce temps-là, je m’étais senti concerné par QUE FEREZ-VOUS EN NOVEMBRE?, autant l’équivalent brésilien de la pièce d’Ehni, au demeurant adapté par lui, LES CONVALESCENTS, de Vicente, m’a paru éloigné de mes préoccupations. Les personnages décrits ne me ressemblent plus. Ils ne m’intéressent guère. C’est pourtant en gros le même thème : un professeur “de gauche” (mais Jean-Pierre Bernard n’a pas le poids de Cellier) se contente de l’action “en paroles”. Un jeune bourgeois s’envoie en paradis artificiel entre deux “actions”. La femme du professeur protège une fugitive par romantisme pur. La révolutionnaire elle-même a un côté XVIème arrondissement : je crois que le choix d’Anne Bellec y contribue mais ce qu’elle a à dire ne l’aide pas. À dire vrai, j’aurais été prêt à passer sur un côté mélodramatisé dont l’appartenance sud-américaine est claire. Mais ce que je ne puis supporter, c’est la confusion par mélange des problèmes. Il se peut que l’impuissance révolutionnaire ait des résonances sexuelles. Mais en fait, je m’en fous. Ces considérations complaisamment étalées par les personnages sur leurs dramuscules personnels, me paraissent ressortir du noyage de poissons. Qu’ils couchent tous ensemble ou pas, que les bonnes femmes soient ou non mûres pour pondre des mouflets, qu’une atmosphère partouzarde baigne ces gens “fin de race”, tout cela est hors du sujet qui est celui de l’oppression des militaires au Brésil. Or celle-ci est certes suggérée violemment, mais elle n’est ni éclairée, ni expliquée. Des impuissants conscients que ça ne va pas, traînent leur ennui dans un univers fasciste qui semble gratuit, isolés par l’indifférence du peuple, que l’oeuvre stigmatise mais n’explicite pas à telle enseigne qu’on en vient à se demander pourquoi ce drogué, cette insatisfaite, ce mou et cette déracinée, ne sont pas contents. Et on est tenté de conclure que c’est parce qu’ils n’ont pas de RACINES, parce qu’ils sont inauthentiques, ce qui évidemment ne peut que servir la position du POUVOIR. D’ailleurs, bon an mal an, la pièce a été jouée au Brésil. Gilda Grillo présente ces huit mois d’exploitation comme un combat permanent qu’elle a mené. Et sans doute y a-t-il un monde vrai... et beaucoup de lucidité de la part des COLONELS!
Je ne crois pas que Gilda Grillo soit un grand metteur en scène, mais elle jette de la poudre aux yeux et ne manque pas de rigueur. Au RANELAGH de toute manière, un tel spectacle, au surplus joué à 22 h n’a aucun sens.
17-05 - Je relisais la présentation de SI L'ÉTÉ REVENAIT par René Gaudy, que Michel Berto nous a remise à des fins prospectives avant d’entreprendre son travail sur l’oeuvre d’Adamov et je dois dire que je n’ai RIEN retrouvé à la représentation des motivations exprimées. L’oeuvre, il faut bien le dire, est étonnamment secrète. Mais je crois que Berto s’est attaché à la rendre plus impénétrable encore. J’ai attendu pour écrire ces lignes, de lire Poirot Delpesch, mais il n’a pas éclairé ma lanterne.
On sait qu’il s’agit de quatre rêves, c’est-à-dire de quatre manière d’appréhender des événements semblables, chacun des personnages en gros plan les projetant selon leur propre vision. Sans doute est-ce pour cela que les acteurs jouent dans un style lent - à une exception près, celle de Denise Bonnal (la mère) qui joue boulevard -. L’eau est très importante. Berto a transplanté la pièce sur un toit d’immeuble où il y a une piscine très propre, des arbres en pots, et - ceci est d’Adamov - une balançoire. Au deuxième rêve, il fait tomber de la vraie pluie. L’effet est spectaculaire mais peut-être pas de très bon goût. Les personnages paraissent et disparaissent gratuitement. Il y a deux interventions drôles de Berto lui-même. On a l’impression d’un exercice de style - au demeurant impeccable - dans une cartoucherie dont on ne voit plus les murs lépreux. Exercice “éloigné” des spectateurs qui sont disposés de chaque côté d’un vaste espace séparé d’eux par des barbelés. Tout est fait pour masquer la pièce. Lars est un homme de 45 ans. Ici, un jeune homme l’incarne, au nom de la projection probablement des souvenirs d’enfance et d’adolescence d’Adamov. Un certain charme se dégage, cela dit, de cette soirée difficile à suivre et à pénétrer, ne serait-ce que parce que Corinne Gossot en bikini est fort belle à considérer. Mais je ne sais dans quelle voie s’engage ici notre Berto, voie de garage, voie de refuge? Je suis inquiet. Sombrerait-il dans l’esthétisme?
LE T.N.P. DÉCENTRALISÉ
19-05 - C’est la semaine aquatique. Après la piscine bien propre de Berto, voici la Seine boueuse et noirâtre du MASSACRE À PARIS de Chéreau, spectacle d’ouverture du T.N.P. Villeurbanne qui a déplacé à Lyon le ban et l’arrière ban du Paris des arts et des lettres. C’est Jean Vauthier qui a adapté la pièce de Marlowe qui retrace les luttes entre catholiques et protestants en France, conclues par l’assassinat du Duc de Guise et la prise en main du POUVOIR par les Bourbons. Je présume que Vauthier a fait un travail consciencieux. Il a d’ailleurs pris soin de le publier. Mais Chéreau a fait du Chéreau. On n’est pas un génie pour rien, nicht wahr!
Chéreau, c’est d’abord une matière. On se souvient du sable de Richard II. Ici, c’est de l’eau qu’il y a sur le sol. Une eau fangeuse où nage les cadavres, où pataugent les personnages historiques. L’eau ne vaut pas le sable. Elle permet, bien sûr, certains effets. Mais pour moi, elle est surtout un truc pour épater la galerie.
Chéreau, c’est ensuite des machineries compliquées sur fonds pastels et éclairages chiches qui refusent la lumière aux visages (sauf celui de Madame Alida Valli qui avait sans doute exigé par contrat qu’on la voie, si bien que systématiquement, Catherine de Médicis jouissait à chacune de ses apparitions d’une poursuite dont la brillance tranchait sur la pénombre d’à l’entour). Le dispositif de Richard Peduzzi, pour admirable qu’il soit, est dans la ligne habituelle, avec un défaut qui est que baignant dans l’eau il ferait plutôt songer à Venise qu’à Paris. Somme toute, cette eau - j’y reviens - est sûrement “symbolique”, mais je la trouve gratuite. Je n’ai pas le souvenir que les guerres de religions se soient assorties d’une inondation permanente! Chéreau, c’est encore des tableaux de groupes humains se formant et se reformant en “attitudes”. J’ai sur ce plan été déçu par MASSACRE À PARIS :l’eau ne permet pas la vivacité des déplacements et j’ai noté moins d’harmonie et plus de confusion que de coutume. De temps en temps, des espèces de plate-formes s’avancent pour permettre à certaines scènes de se faire pied sec mais la conséquence est que comme dans l’OTHELLO de Valverde, les possibilités d’évolution se trouvent limitées. Chéreau, c’est aussi la transposition et j’avoue que je reste circonspect devant le mélange des époques en matière vestimentaire. Pourquoi avoir transporté ce conflit lointain et peu concernant dans un univers évoquant le temps des gangsters de Chicago? Pourquoi avoir remplacé la dague par le revolver, alors que le gant empoisonné demeure emprunté à l’âge du texte? Heureusement, les deux tueurs professionnels directement sortis en conception du monde de James Hadley Chase sont ADMIRABLEMENT silhouettés par Roland Bertin et Graziano Giusti. Ils en font les triomphateurs de la soirée. Mais c’est à leurs seuls génies qu’ils le doivent, car en vérité, ce type d’individus était très étranger à Marlowe. Et la gratuité du rapprochement est flagrante.
Richesse oblige, il y a un orchestre dans la fosse d’orchestre et la musiquette de Fiorenzo Carpi est charmante. Mais les musiciens sont médiocres. Ils ne sont pas assez nombreux et il aurait bien mieux valu une bande bien enregistrée avec un potentiomètre permettant d’emplir l’espace en son. La qualité d’audition du texte laissait aussi à désirer, et le clapotis de l’eau aidant, il y a des moments où l’on a beaucoup de mal à suivre. Comme ça dure quatre heures d’horloge, il y a des moments rudes.
Ces réserves faites, ce MASSACRE À PARIS est un grand, beau et original spectacle qui se laisse voir sans ennui, et parfois avec admiration. J’ai beaucoup admiré le plongeon du cadavre de Jean Debarry. La pauvre Lolah Bellon joue une série d’assassinées et à la fin de chacune de ses apparitions, on la voit tomber dans l’eau et flotter mollement vers la coulisse. Planchon joue le Duc de Guise et c’est à lui qu’échoit d’être le premier à patauger dans l’eau et en smoking jusqu’au cou. Ca lui donne la possibilité de faire un effet. Alida Valli fait très vedette, et un des aspects du texte est qu’il semble avoir été dosé pour lui apporter et apporter aux “Acteurs” des plages de “numéros”. Cela dit, je n’ai pas trouvé son apport très convainquant, sauf à la fin quand la Médicis redevient une poissarde italienne pour exprimer sa fureur dans sa langue natale. Elle y est drôle.
Ce MASSACRE À PARIS est le type même du “grand” spectacle au goût du pouvoir pompidolien. Il ne remue aucun problème dérangeant et il est de classe esthétique internationale. Allons! Tout va bien : ils apparaissent enfin, les jeunes de talent qui ne font pas de politique au théâtre! (ou qui le cachent si bien que ça ne se voit pas!). Certes, ils coûtent cher mais la manne est prête à récompenser leur sagesse. Paris valait bien une mess.e Un MASSACRE À PARIS valait bien UN PRIX DE LA RÉVOLTE AU MARCHÉ NOIR! Il faut bien que jeunesse jette sa gourme. Devenu pédéraste notoire, vedette européenne de la mise en scène et, selon les bruits, “grosse tête”, Chéreau est récupéré. Je ne sais pas où en sont ses dettes, mais on ne semble plus guère “inquiet” à ce sujet dans les milieux bien informés
PARIS DE NOUVEAU
1-06 - Dans la mesure où je fais figure d’enfoiré quand je déclare que Shakespeare, - peut être grand poète dans le détail de certaines tirades célèbres -, n’est pas un bon auteur DRAMATIQUE en ce sens que ces textes sont indéterminablement étirés et méandreux, confus dans leurs continuités et mal équilibrés; dans celle où l’on se fout unanimement de ma gueule quand je répète que cet écrivain “populaire” est réactionnaire, misogyne, incroyablement calotin et méprisant du peuple, porte parole de l’obscurantisme et valet d’une classe dirigeante abjecte, que PAR CONSÉQUENT il faudrait l’enterrer dans les brumes de l’oubli ou au minimum laisser à ceux qui montent Anouilh et Montherlant le soin de le mettre en scène; je n’ai pas envie de parler du RICHARD III de Périnetti. De toute manière, André Louis n’est pas un génie, sa troupe est insuffisante, sa “lecture” de l’oeuvre imperceptible et de toute manière excessivement extérieure. Le mérite de cette production aura surtout été de détruire l’ancienne salle de la Cité Universitaire reconvertie grâce à elle en lieu polyvalent passable. Voilà au moins qui est positif et destructeur d’une certaine “culture”. Dommage qu’il ait fallu que le prétexte à cette bénéfique transformation ait été une ode à la gloire du super défendeur de la culture occidentale.
3-06 - J’aurai certainement assisté à la deuxième partie de PEER GYNT à la Cartoucherie si je n’avais tant souffert durant la première de l’inconfort imposée par le Théâtre de la Tempête à ses visiteurs. Et d’abord, parce que la pièce d’Ibsen est belle, se laisse écouter, nous entraîne dans un étrange folklore nordique aux franges du réel et de l’imaginaire, du Diable et de Dieu, de la Justice et de l’arbitraire, avec un aspect western, fleur bleue de bande dessinée.
Aussi parce que pour la première fois il me semblait voir Michel Hermon SERVIR une pièce. Point ici, d’extrapolation, d’introversion, de psychanalyse : c’est du premier degré bien torché, bien fait. J’avoue que je n’en revenais pas de voir ainsi les acteurs faire ce qu’ils avaient à faire et rien d’autre, sans sembler être porteur d’arrière pensées lourdes de signification.
D’un autre côté, il était assez réjouissant de voir pour une fois une réalisation sans clinquant, avec juste un espace scénique, un praticable vaste et incliné de-ci delà, quelques éléments d’indication. Ce parti “pauvre” était malheureusement accentué dans le mauvais sens par quelques faiblesses de distribution. Mais Delpy, Marie Pillet, Jeanne David et surtout Pierre Maxence sont très bien.
13-06 - Il faut beaucoup louer Kraemer pour la continuité de la ligne avec laquelle il accomplit son travail en Lorraine. Au Théâtre des Deux Portes, il montre son dernier spectacle : LES IMMIGRÉS et il prouve que son action politique est étayée par un professionnalisme désormais incontestable. Construites, structurées, ces 17 “saynètes” rigoureuses qui montrent en forme de fable le processus de l’immigration à travers la fiction d’une race nommée “les morphes” et qui dénoncent l’exploitation dont ils sont l’objet au travers des contradictions du système, ont été évidemment au niveau de la dramaturgie inspirée par Brecht via Adamov et Steiger! L’intéressant est que LES IMMIGRÉS ne sont pas montrés, mais contés à la lumière du prisme déformant qu’imaginent les phantasmes bourgeois. Ainsi, ne voit-on jamais un seul morphe et la critique ressort-elle du comportement même de ceux qui les ont découvert, “civilisés”, importés. Le grotesque est donc à la base de la représentation. Les noms que j’ai cités en référence indiquent qu’il y a malheureusement dans la réalisation de Kraemer une certaine lourdeur, une relative pesanteur : c’est un spectacle qui souffle de l’Est... Mais il est très bien joué, par trois excellents acteurs, surtout la fille, Chantal Mutel, qui est excellente.
Il est évident que Kraemer mérite tous les soutiens.
16-06 - ... Je n’en dirai pas autant de Gaudy qui m’a arraché une (demie) soirée à Villejuif où son THÉÂTRE DES HABITANTS présentait une chose qui se passait sur une plage (sans sable) et s’appelait (sauf erreur) TROUBLES. Cinq acteurs moyens signifiaient par des moyens périmés l’aspect figé, mortellement atteint par les classes montantes, de la bourgeoisie. Ca se laissait regarder comme une gentille bluette d’amateurs sympathiques. Mais on sait que le THÉÂTRE DES HABITANTS revendique l’animation permanente des théâtre de Sochaux et de Montbéliard et j’estime que c’est une vraie chance qu’il y ait là-bas un Deschamps qui ne tombe pas dans le piège de la propriété absolue à la troupe permanente, car il ne suffit évidemment pas d’être habitant d’une ville pour avoir le droit d’y requérir le monopole du théâtre. En fait, je crois que cette troupe a eu un vrai coup de chance le jour où la famille Peugeot lui a déclaré la guerre. Sans cet événement qui contraint les politiques de la profession à la solidarité, je présume que le THÉÂTRE DES HABITANTS serait tout à fait inconnu. Un problème en perspective pour nous, car Gaudy est peut-être un médiocre metteur en scène mais c’est un agitateur et je suis sûr que son arrivisme ne faiblira pas!
Très intéressante, cette petite chronique, relue à l’époque de la déconcentration toute puissante. Qui aurait en ce temps là pensé que le médiocre THÉÂTRE DES HABITANTS serait, 40 ans plus tard, multiplié par mille, et devenu prioritaire dans les programmations des “maisons” de l’institution culturelle?
Et qui aurait pu croire qu’une personne comme Deschamps, récupérée par les dites institutions deviendrait un jour l’”inspecteur” qui aura la peau de Roger Lafosse et du SIGMA de Bordeaux?
18-06 - Soirée de dames hier soir à Montparnasse avec d’abord dans le cadre du “Festival de Montparnasse”, BRAS DE FER CONTRE L’ANGE NOIR, texte et mise en scène de Corinne Gosset. Cela se passe à l’école d’architecture dans une salle lépreuse à l’acoustique épouvantable. Nous devions être à peu près quinze spectateurs. Chère Corinne qui poursuit inlassablement son combat pour dénoncer la condition de la femme, aidée dans cette aventure-ci par son amie Sheherazade qui est une Iranienne d’Im. 90, une négresse bon teint qui danse mais ne parle guère, et deux traîtres du genre masculin qui incarnent les oppresseurs mâles. À dire le vrai, le spectacle n’est guère militant, car Corine a transposé son cri en forme de conte pseudo oriental, et il a beau retracer le processus d’aliénation de la femme depuis Adam et Ève jusqu’à la prise de conscience MLF, - ce qui représente une tranche d’histoire un peu trop vaste pour être approfondie -, l’anecdotique, le dépaysement, l’exotique et l’insolite faussent le contenu de l’entreprise qui ne montrent que très timidement le bout de l’oreille. Cet étrange détour, (signifiant de quoi? : de l’incertitude de Corinne en la valeur de son combat? De sa pudeur à appeler un chat un chat? De son désir de faire oeuvre d’artiste là où un meeting serait officiant?) aboutit à une complète édulcoration du propos et je confesse que le racisme des protagonistes ne m’a pas soulevé d’indignation. Je suis resté sur ma chaise fort résigné, un brin somnolent et pas du tout décidé à considérer désormais les dames comme des nègres. Il faut dire que la mise en scène est au surplus beaucoup trop molle. Il y a quelques belles trouvailles au niveau des costumes, mais il n’y a pas dans le jeu une seule intention, un seul geste, qui aillent au bout d’eux même. Nulle violence ne s’exhale de ce gentil petit pet bien élevé.
Corine Gosset à 21h, Catherine Monnot à 23h à l’ARLEQUIN PARNASSE (rue Daguerre). Faut-il que je sois un bon zigue! Surtout qu’au café-théâtre, j’ai été piégé d’un baby whisky pour le prix des trois quarts d’une bouteille. UN, DEUX, TROIS... SOLEIL, de Catherine Monnot, mise en scène de Catherine Monnot, avec Catherine Monnot et Françoise Decaux, devrait plutôt à mon avis s’appeler UNE, DEUX, TROIS TARTINES. Il s’agit en effet du goûter de petites filles : l’une rend visite à l’autre, si j’ai bien compris en cachette. Leur dialogue est prétexte à retours en arrière, à phantasmes et à rêves de jeunes filles un brin troubles mais fort purs, l’action étant centrée sur deux énormes tartines de confiture, tantôt réelles, tantôt évoquées, toujours receleuses d’intentions à des degrés ésotériques qui après, comme avant le spectacle, laissent le public tout à fait ignorant des secrets du bouillonnement intime de Catherine, qu’elle a certainement pourtant voulu exorciser par ce déballage freudien.
Ce qui est certain, c’est que les deux filles jouent très bien. Elles sont par moments, très drôles. Mais les ruptures de ton ne sont pas assez sensibles. Il est exigé du spectateur un effort injustifié pour savoir où il en est. Les robes des deux gamines sont fort érotiques.
Un aspect du texte - au demeurant bien écrit - est social jusqu’à un certain point à travers la notion de vente des tartines remplacée par celle d’échange, à travers aussi le recherche de la fuite du milieu familial, l’école buissonnière, la volonté d’indépendance. C’est évidemment à ces instants où le particulier rejoint les préoccupations générales, que la pièce accroche le mieux.
L’atmosphère Comtesse de Ségur dans laquelle elle baigne fait en outre qu’il s’agit d’une intention de qualité, encore insuffisamment libérée. Mais c’est le tout début des représentations. Reste à savoir si elles dureront. Nous étions une dizaine à assister à ce balbutiement déraciné du point de vue de l’horaire. À suivre par amitié.