27 août au 19 octobre 1971

Publié le par André Gintzburger

27-VIII -    Il aura fallu que je vienne à Shiraz (IRAN), pour voir ALICE IN THE WONDERLAND, le spectacle de Grégory, qui fait le tour du monde sous la bannière de Ninon Karlweiss et qui fut, dit-on, le triomphe de New-York l’an dernier.
    Politiquement, ce succès me paraît sortir de la même démarche que celle qui assure en France les carrières d’Hermon et de Llorca, animateurs de droite new look. Sauf qu’ici les choses jouent à l’échelle mondiale. Rien est en effet plus en dehors de nos préoccupations que cette ALICE mais son esthétique l’apparente à la lignée des chercheurs contestataires comme Chaikin, Schumann, voire O’Horgan. C’est-à-dire que le spectacle n’a pas de contenu, mais qu’il est très intéressant. Au niveau du divertissement pur, il est même EXCELLENT et les spectateurs en sortent ravis. Cela tient au rythme de l’ensemble, à l’imagination dont Grégory a fait preuve, à l’utilisation de la technique Freehold Vitez: TOUT fait par les acteurs sans (presque) aucun secours de décors (un velum sur des caisses et du papier journal) - le vrai “théâtre pauvre” rendu RICHE par l’invention proprement “théâtrale” -, avec des costumes misérables mais hauts en couleurs permettant aux comédiens de passer d’un personnage à l’autre par une simple “indication”, tout au plus quelques meubles, une table, une pile de chaises. L’important est qu’ici, les acteurs sont PRODIGIEUX et surtout la fille qui joue Alice, acrobate autant qu’actrice, sachant évidemment TOUT faire de son corps. Au niveau d’un exercice d’école, j’enverrai aussitôt tous nos camarades à l’école de Grégory. Au niveau d’un spectacle, j’admire la virtuosité, le sens plastique de la composition des tableaux qui m’a fait songer à un Chéreau avec pourtant moins de continuité, le goût sans vulgarité du comique (j’aime moins la scène sentimentale de la fin, mais cela vient peut-être de l’approximation de mon anglais), et d’une façon générale, la performance. Mais je ne situe pas cela au sommet des sommets et je ne puis que voir dans la promotion de cette troupe (légère à trimballer) une opération de Mme Karlweiss, intervenue opportunément pour détacher l’Europe de son goût pour le BREAD et l’OPEN. Belle affaire commerciale qui a un sens politique. SOYONS VIGILANTS! Je n’ai pas perçu de différence entre le public de ce spectacle et celui qui aurait vu le même à Nancy ou à Avignon! Mais combien y avait-il de non public iranien? Les flics et les contrôleurs, c’est tout. Ils regardaient ça avec les yeux étonnés de l’incompréhension la plus totale! Quel sens peut avoir une telle représentation ici?

deux réflexions en relisant ce commentaire.

La première m’est inspirée par les mots “non public” que j’ai employés.
En effet, j’avais oublié de le dire lorsque j’avais évoqué les “assises de Villeurbanne”: quand les futurs barons de la décentralisation subventionnée française s’étaient réunis pour décréter LE POUVOIR AUX CRÉATEURS ils avaient défini leur mission : aller à la rencontre du “non public”, c’est à dire de cette immense majorité de gens qui ne vont pas au théâtre OU QUI N’OSENT PAS Y ENTRER

L’autre réflexion est un hommage à Ninon Talon Karlweiss. C’était une agente. A l’ américaine, ce qui veut dire qu’elle pompait beaucoup d’argent aux artistes qui jouissaient de ses faveurs. Mais d’abord, elle ne s’occupait pas de n’importe qui, ensuite elle savait investir sur des inconnus et même en  acceptant le risque de se tromper, et enfin, elle avait acquis dans le marché une telle réputation d’exigence qu’ “on” prenait immédiatement en compte, moi le premier, ses découvertes. C’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai pu m’engouffrer dans l’autocar des privilégiés qui, à 60 kilomètres de Shiraz, allaient être admis à assister à l’événement que je relate ci-dessous:

29-VIII -    Persepolis était ce soir, avant de devenir dans quelques semaines la Capitale du Camp du Drap d’Or, le rendez-vous du TOUT PARIS et du TOUT LONDRES. Devant le majestueux tombeau d’Artaxerxès, Peter Brook présentait un fruit du travail du Centre International pour la Recherche Théâtrale, en l’occurence ORGHAST, conçu et répété en 2 mois sur place en Iran par une équipe de 30 personnes. ORGHAST est une tentative pour trouver le langage théâtral qui ne soit point inféodé à un idiome national. Aussi n’y parle-t-on ni anglais, ni français, ni persan, mais un mélange de bruits, d’onomathopées, de grec, de latin, de sanscrit et de mots forgés imaginaires. Entendez bien que c’est un spectacle PARLÉ, mais dans un dialecte inconnu de tous, faisant succéder le heurté au doux, le hurlé au murmuré, l’inharmonie à la grâce, au gré des sentiments qu’expriment les personnages, et des scènes qu’ils interprètent: rite du feu, Prométhée enchaîné, Massacre des Innocents, Emprisonnement d’un fils par son père etc... Les “tableaux” issu de ces mythes fondamentaux s’enchaînent les uns les autres par des liaisons mais restent distincts.
    Disons tout de suite que, le cadre sublime aidant, c’est un spectacle extrêmement beau à voir, et musicalement intéressant si l’on prend le langage parlé pour une partition. Il sera difficile que j’oublie jamais la boule de feu descendant le long de la paroi à pic.
    Chaque moment est conçu par un artiste, un esthète. En cela, ORGHAST est une une grande réalisation. C’est également sur le plan des sons que peut promouvoir la voix humaine, une recherche fascinante. Certains cris, borgonysmes, certaines phrases en langage inventé sont d’une très grande beauté.
    Reste que le pari annoncé de Brook me paraît intenable: il espère, dit-il, que dans quelques temps son nouveau  langage sera perceptible à tous mieux qu’une langue nationale. Cet idiome né de son imagination ouvrirait les portes de la communicabilité entre les hommes. Malheureusement, il sort des propos que j’ai entendu tenir par des membres de son équipe, Jean Monod et Claude Confortès, qu’il croirait vraiment à cette gageure: Brook consacrerait désormais 5 ans à cette recherche- là!  A mon avis,’il est clair que cette démarche d’aristocrate n’aboutit qu’à créer un langage pour initiés. Au stade présent, ORGHAST, malgré ses beautés, est un spectacle mortellement ennuyeux parce qu’en dehors des scènes où le sens ressort de la gestuelle (où donc on se passerait de mots), personne ne comprend se que disent les protagonistes.
    Je préférerais quant à moi croire en une thèse probablement fausse et définir ORGHAST comme une suprême manifestation d’humour anglais: il faudrait alors non pas juger le spectacle qu’on voit, mais si j’ose dire: le non spectacle, c’est-à-dire celui que dans la société actuelle personne ne peut plus faire parce que c’est défendu, ou parce qu’il faut trop d’argent, ou parce que le contenu rencontrerait trop d’hostilité etc...
    Alors tout s’éclairerait: invité par le gouvernement iranien, Brook lance carrément le monde sur une fausse piste et il convie  200 spécialistes ou esthètes triés sur le volet à venir au fond du désert assister à une splendide MYSTIFICATION dont ils n’auront jamais conscience et sur laquelle ils gloseront dans les salons interminablement. Car ORGHAST est EXEMPLAIRE dans ce festival complètement coupé du peuple. Pour voir ORGHAST, il faut prendre un autocar à Shiraz. Les voitures ne sont pas admises au parking à l’arrivée.Le tri du public se fait à 60 kms du lieu de la représentation. Donc point de resquilleurs, point d’invités-surprise. Divertissement d’un goût admirable, il invente un nouveau langage pour les 200 quidams  décrits plus haut et qui en plus ne comprennent rien!
    Aurait-il voulu illustrer que pour le peuple iranien des représentation en anglais ou en français n’ont aucun sens, et s’adressant uniquement aux occidentaux, les mettre une fois dans la peau des naturels des grands festivals internationaux, dénoncer leur caractère antipopulaire?
    Hélas, ce rêve n’est que le mien. Plus probablement, n’existe plus le Brook de “Vietnam”. Mais un mondain de génie, serviteur des grands de ce monde, et spécialement doué pour les séduire: Cardin venu entre deux avions s’est déclaré ravi. Le combat de Brook est devenu abstrait, illusoire.
    Dois-je dire “dépolitisé? Je crois être plutôt être en face d’une attitude droitière. Un de plus que la bonne presse va devoir prendre en charge. Ninon Karlweiss ne s’y trompait pas, qui négociait déjà la commercialisation de l’affaire.

remarque personnelle : AURORA serait sublime chez Artaxerxès!

RETOUR À PARIS

Beaucoup de grisaille, hélas

16-IX -      Le premier spectacle que je vois est: JE... FRANCOIS VILLON,pour la réouverture du Vieux Colombier. Marthe Mercadier a eu des avatars. Maintenant, elle est associée avec Canetti. JE... FRANCOIS VILLON s’annonce comme une production de la MAMA française. Ellen Stewart couvre en effet cette opération et elle fera le voyage de New York pour assister à la générale. Pendant 10 mois, une vingtaine de jeunes garçons et filles plus quelques ringards, se sont amusés à faire de l’expression corporelle, sous le prétexte de dire, chanter, crier des poëmes de François Villon. Ils ont malheureusement oublié d’apprendre à articuler? si bien qu’on ne comprend pas un mot à ce qu’ils racontent. D’autre part, il n’y a pas une attitude, pas un geste, pas un son, qui ne rappelle quelque chose de vu d’entendu déjà au fil de la mode! Un ennui mortel est distillé par la prétention de l’entreprise qui malgré les haillons et la beauté des oeuvres proférées (mais qu’en reste-t-il?), fait terriblement seizième! (arrondissement!). Rien n’est poussé au bout, et même la nudité semble n’avoir été montrée à un moment QUE parce que ça se fait! Dans le théâtre de recherche, une nana doit se montrer à poil, sinon elle n’est pas dans le vent! Assez. Je ne crois pas que cette création collective fera de vieux os. Pour moi, triste reprise de contact avec le théâtre parisien. Pauvre Marthe! Responsable: Frédéric Lambre.

22-IX -    LIBÉREZ ANGELA DAVIES TOUT DE SUITE, spectacle témoignage par la Cie José Valverde n’est volontairement pas présenté à St Denis sous le label du TGP. Ainsi les protagonistes veulent-ils indiquer que le combat qu’ils engagent pour la libération de l’héroïne noire américaine est le LEUR. Si des séquelles répressives surviennent, elles ne devront pas atteindre l’entreprise municipale subventionnée. Attitude justifiée par le fait qu’il s’agit d’un authentique spectacle politique, au terme duquel les spectateurs sont conviés à signer des pétitions. Valverde et sa troupe ont été reçus par un haut fonctionnaire de l’Ambassade  américaine, qui dans le courant de la soirée est théâtralement mis en accusation, non en tant que lui-même mais parce qu’il SIGNIFIE la politique de Nixon. Au niveau du texte de Valverde, on sent la hâte, les répliques écrites sur un coin de la table au gré des modifications de l’actualité (car le spectacle bouge : celui qui est montré maintenant n’est plus celui que j’aurais pu voir au Printemps dernier).
        Mais la DÉMARCHE est intéressante et réussie: il FAUT passer sur la maladresse de style et de rythme de certaines séquences. Il faut passer sur une relative puérilité. Il faut passer sur une complaisance des étirements: l’improvisation en est la cause.
    EFFICACE est le propos et POLITIQUE à tous les degrés. Cela m’a fait sourire: à l’heure où toute la presse pousse en avant les animateurs esthétiques purs, Valverde une nouvelle fois rame à contre courant à la mode. IL A TOTALEMENT, COMPLÈTEMENT, FONDAMENTALEMENT raison. Le TGP, sous son impulsion, est EXEMPLAIRE d’un refus de ressac mondain : communiste, il fait un spectacle communiste; et seul lui importe l’impact de ce spectacle sur son public, qui est son COMPLICE. Cela n’empêche pas que le spectacle m’ait fait songer, par le conditionnement qu’il inflige aux spectateurs, à Ronconi et au Magic Circus! Ronconi, parce que l’on fait entrer les gens dans des cages qui sont des vraies prisons. Ils n’y sont pas maltraités, mais ils pourraient l’être. Le Magic Circus, parce qu’on les fait JOUER, se mouvoir avec des caisses de coca cola en guise de sièges, danser. MAIS ICI, tout est justifié, va dans le sens de la démonstration à faire, est UTILE!!! D’ailleurs, les gens se laissent faire et c’est bien parce qu’ils sentent que la participation qu’on leur propose n’est pas seulement un jeu, mais EN PLUS, en engagement: OUI, et ce n'est que du théâtre. Mais c’est du théâtre engagé VRAI, comme je ne sache pas qu’on en fasse ailleurs qu’à St Denis ces temps-ci.
    Mon seul regret: que ce courage soit mis en service d’évènements qui se passent aux Etats-Unis.
    OUI, il faut les dénoncer, mais ICI, mais ici c’est relativement platonique. Je voudrais que Valverde, dans son prochain montage sauvage, stigmatise quelque chose qui nous touche NOUS, Français et Dyonisiens! O P.C., es-tu donc si content de ce qui se passe chez nous que tes indignations ne puissent s’exprimer qu’envers ces salopards de racistes U.S.? Ils le sont salopards, mais NOUS?

30-IX -    Répété au et pour le THÉÂTRE  de PLAISANCE, le DON JUAN de Max Frisch monté par Catherine Monnot et son théâtre POLYGÉNÉTIQUE est déraciné à la Biennale de Paris dans un lieu trop grand et froid. La représentation donne ainsi l’impression d’un brouillon. Il n’est pas aisé d’y voir clair dans les intentions de la réalisatrice et sur la fin on trouve ça longuet. Reste que ce spectacle incomplètement accouché et flou grouille de trouvailles intéressantes et personnelles et qu’il s’en faut de peu que ce soit un grand spectacle. Et d’abord, parce que la pièce de Frisch, pourtant “traitée” par Catherine Monnot au point de devenir surtout un prétexte, impose l’originalité de sa vision du “mythe” Don Juan, amoureux de la géométrie plutôt que des femmes et surtout indifférent à la personnalité de LA partenaire. Les couples, pour Frisch, sont des compléments sexuels qui s’échangent hors de la sentimentalité comme si toute femme était bonne pour tout homme et inversement, et ce à tout moment. Démystifiante de l’AMOUR, l’oeuvre l’est aussi du théâtre, remis en question comme propagateur de mythes. Point sérieux n’est l’homme de pierre, mais Don Juan couvert de dettes et acculé finira manipulé par une ancienne maîtresse qui le réduira à une vie sans aventure, l’attachera en se faisant attendre, et ira jusqu’à le rendre père. Là est l’enfer. On sait que je ne suis pas très friand des jeux auxquels se livrent parfois les auteurs modernes autours des grands thèmes, des Antigones à la Anouilh et des Électres à la Giraudoux.  Mais je dois dire que la vision de Frisch sur Don Juan m’a paru piquante, drôle, et - quoique rabaissante - vraiment originale. Catherine Monot a utilisé la pièce pour projeter - en somme - sa propre confusion face au monde. Je crois bien que c’est ça. Mon envie est de qualifier son spectacle de M.L.F. misogyne! Ne me demandez pas pourquoi? C’est une boutade que je ressens l’envie de lancer. Ce ne doit pas être pas hasard. Ce n’est en tout cas sûrement pas par hasard que toutes les filles semblent revendiquer et qu’elles soient toutes laides. Que leur jeu soit poussé à la caricature jusqu’à la grimace. Qu’elles soient affublées d’oripeaux sublimement grotesques. L’érotisme est absent mais il en flotte comme un parfum. L’impression première est que c’est mal joué, mais ce n’est pas vrai: c’est un style. Dérision du thème, dérision du jeu, il ressort du montage que RIEN n’est important. C’est un parti, mais en même temps, donne au spectacle un tour sans relief. J’ai parlé de flou, de confusion, d’indifférence. Ces mots vont dans le sens de ce qu’a fait Catherine Monnot, comme si les INTENTIONS avaient passé dans la façon même dont l’oeuvre est montée au lieu d’être téléguidée au spectateurs. Subtilité?
    Indifférence de Catherine Monnot elle-même, c’est-à-dire RENCONTRE avec Frisch au niveau le plus intime? Impuissance à montrer des gros plans?
    De toute manière, un travail curieux et sérieux que j’irai revoir au Plaisance. Peut-être aurais-je alors quelque chose à dire de plus clair. Ces lignes-ci sont comme le spectacle!

1-X -    Vu un quart d’heure d’un spectacle de l’ACTE à la Cartoucherie. S’agissait-il d’ODYSSÉE ou TOUT HOMME? Mystère! Dans une atmosphère sombre, les spectateurs debout vont  de lieu en lien. Des jeunes gens s’y trémoussent en disant des choses tandis qu’un zigomar inspiré leur balance de l’encens. A un moment, on fout une nana carrément à poil mais très provisoirement.
    L’air est recueilli, suspendu,, religieux. De quoi s’agit-il? Quel est le sens de cette démarche? Un programme aurait bien aidé!

Vu, à part ce quart d’heure, toujours à la Cartoucherie, au Théâtre de la Tempête, l’HISTOIRE DU SOLDAT de Stravinsky et Ramuz. En ai-je vu des HISTOIRES DU SOLDAT! Celle-ci a le mérite de servir l’anecdote CLAIREMENT. Je présume qu’on doit cette netteté au metteur en scène Jean-Marie Simon.Elle a aussi pour elle l’excellente direction d’orchestre de Diego Masson, et les apports de Jean Babylée, Jean-Marc Bory et Alain Roland. Ce dernier est remarquable en soldat. Un beau spectacle hors des nécessités.

2-X -    Claudine Vattier ayant téléphoné 12 fois pour que je revoie OVE qu’elle avait naguère présenté en audition à Marthe Mercadier, je me suis rendu ce samedi à 22 h au Lucernaire. C’est incontestablement un lieu qui marche. A la porte des boîtes, à celle du Café de la gare, devant le théâtre, il y avait queue. toute une jeunesse cosmopolite cherche et trouve là une certaine forme de dérision de l’art qui répond à sa sensibilité. Le guillocher est en plus un véritable combinard, un matraqueur publiciste, un actif. Son contexte n’est pas très sympa au niveau des conditions financières qu’il impose aux troupes (50x50 avec les premiers 150 Frs de la recette pour lui). Mais son dynamisme emporte l’adhésion. Margoulin pour margoulin, LUI s’occupe de son théâtre. Il conquiert, de ce fait, l’adhésion des troupes.
    En gros malin qu’il est, il s’est fait un spécialiste de la nudité. Chez lui, presque tous les spectacles débouchent sur des gens à poil. Ca confère une unité à sa disparité. Je demandais à Claudine Vattier par quel processus elle en était venue à introduire du nu dans OVE qui il y a 10 mois n’en comportait pas. Très franchement, elle m’a répondu que cela lui avait été “suggéré” par Le Guillocher et quelle avait accepté cette commercialisation parce que ça “ne la dérangeait pas”!
    Cette issue, pourtant importante, ne correspond donc pas pour elle à une nécessité. Disons qu’elle va dans le sens d’un spectacle qui est une protestation chantée et gesticulée contre les entraves à la liberté qu’impose le “système”. Démarche banale, mais qu’après tout on ne remâchera jamais trop. Avec entrain et gaîté, au gré de rythmes forts et très pop, Mitzi et les autres nous balancent des chansons de Mirouze d’où il ressort que la vie n’est pas ce qu’elle devrait être et tous ensemble, nous sommes contents de constater que nous en sommes persuadés. Un parfum vague de science fiction, d’hommes galactiques et supermen flotte sur la production, lui apportant son arôme personnel. Malgré ses efforts, Claudine Vattier ne parvient guère à être érotique. Le moins qu’on puisse dire est que son corps manque de féminité. Quant à Mitzi, on ne la voit pas: elle se cache derrière les autres. Les trois garçons exhibent des attributs décevants. Qu’importe tout ça est assez sain. Mais ça n’apporte pas grand chose. C’est une soirée dont je me souviendrait mal!

DE QUELQUES VIEILLERIES

5-X -    Décidément, tout ce que trimballe la compagnie Barrault a un côté poussiéreux. Repris au RECAMIER dans un décor de Félix Labisse et une mise en scène non signée de Roger Blin LE PERSONNAGE COMBATTANT de Jean Vauthier, va permettre à Michel Robin, qui joue le garçon d’hôtel, de se faire un triomphe. Il faut dire qu’il est admirable: attitudes, mimiques, il est habité par son rôle à un point exceptionnel. Servant la soupe à Barrault, avec fidélité, il se sert lui-même avec ART.
    J’aimerais en dire autant de Barrault, mais ce n’est pas possible. Non qu’il ne soit exact, fidèle aux intentions de l’auteur, au point par instants de lui ressembler. Mais IL N’EST PAS PRÉSENT. Physiquement il est là, son verbe est juste et sobre. L'atmosphère n’est pas dense. Et c’est dommage car par sa faute, l’oeuvre sort monologue. Le délire verbal de Vauthier, le torrent de mots écrits apparaît LITTÉRAIRE. Comme si le vieux Barrault  n’arrivait plus à s’identifier au personnage. Comme s’il courait après le Barrault de jadis, impuissant à le rattraper. Cette performance a un côté fatigué. C’est bien triste.
    D’autant plus que la pièce en prend un coup de vieillissement. Barrault dans sa quête entraîne Vauthier et donne l’impression - que je crois fausse - que la pièce date. Certes, cela tient à sa forme qui correspond à une époque où personne ne se posait la question des rapports scène / salle. Mais c’est surtout le jeu anachronique qui donne le sentiment éprouvé. Comme si Barrault n’acceptait plus la réplique finale et ne pensait plus que la vie vaille d’être vécue.
    J’ai ressenti un goût de mort. C’est dommage, car le sujet, le style, la construction de l’oeuvre portent déjà la marque du grand Vauthier. Fallait-il faire cette exhumation avec Barrault?

13-X -    Tennesse Williams, Françoise Sagan, Edwige Feuillère, Bernard Fresson, voilà une belle affiche: Barsacq n’a fait d’économie que pour le décor et le mobilier. Jacques Dupont a peint “pauvrement” l’environnement du DOUX OISEAU DE MA JEUNESSE (Atelier). Ca détonne dans cette opération commerciale.
    Que dirai-je de ce théâtre? Il fait songer au boulevard, de par sa forme et de par ses préoccupations. Mais il n’est pas drôle. A peine si en 2h30 on se laisse arracher un sourire. Est-ce parce qu’il semble SÉRIEUX que la presse a glosé si élogieusement à propos du spectacle? O poussière, que de crimes l’on commet en ton nom!
    VIEUX, VIEUX, VIEUX, tout est VIEUX dans cette déprimante exhumation d’une oeuvre médiocre qui date d’ailleurs, de 1959. Que de temps passé depuis lors: je ne PEUX plus désormais accepter physiquement mon rôle de spectateur face à ces personnages éloignés qui parlent entre eux de choses qui pourraient me toucher: la drogue, le racisme, la politiquaillerie malhonnête américaine, les amours adolescentes, la syphilis, l’intolérance, le conformisme bourgeois, la brutalité etc...; MAIS qui en parlent d’une manière qui m’est complètement ÉTRANGÈRE. Tous ces thèmes qui se croisent et s’entrechoquent restent actuels. Mais alors que dans un autre contexte, je pourrais écrire ici même qu’on n’en débattera jamais assez, LA, ils me semblent dater du Saint Empire Romain Germanique. La forme DÉSAMORCE le combat, et c’est tout de même une curieuse constatation à faire. Cela dit, ma réaction est-elle unique, c’est-à-dire partageable uniquement par ceux qui comme moi, sont aliénés par la trop grande fréquentation des défendeurs de l’Avant-garde? C’est possible mais pas sûr. Je crois ne pas me tromper en pensant que les épidermes de 1971 ne réagissent pas aux mêmes chatouillements que ceux de 1959. Ce n’est pas par hasard qu’autour de moi le public était vieux (ce mot ne signifie pas exclusivement que les gens étaient “âgés”). Il faut ajouter que l’inexistence de la mise en scène ( ne suffirait-il pas d’écrire “mise en place”? et encore!) de Barsacq, sa NULLITÉ, n’aident pas à ma compréhension. Peut-être si le climat avait été créé, si on m’avait fait éprouver l’atmosphère de cette ville du Sud ÉCRASÉE DE CHALEUR, certainement menée à la fasciste par une MAFIA (décrite par T. Williams mais ça passe et repasse sur la tête des gens sans se fixer) impitoyable, cruelle, protestante, si on m’avait JOUÉ la DÉCHÉANCE HUMAINE dans ce qu’elle a d’universel AUSSI DANS CE TEXTE, peut-être me serais-je laissé investir. Après tout, je ne demande pas à Molière ou à Tchekhov d’écrire comme Bénédetto.
    Mais RIEN n’est dirigé. Aucun PARTI ne se dégage. Les acteurs tirent leur épingle du jeu comme ils peuvent, madame Feuillère pas mal parce que c’est un vieux cheval de retour, mais Fresson très médiocrement, Monod très conventionnellement, tous faillotement. Je décernerai pourtant une mention à Paul Savatier qui m’a fait rigoler dans un rôle épisodique de journaliste à la voix cassée. Bref, une ennuyeuse soirée qui aurait pu, peut-être, l’être moins. C’est un succès parisien.

14-X -    Voir LA CERISERAIE de Tchekhov le lendemain est exemplaire tant à aucun moment, on n’y éprouve un sentiment de vieux ou de démodé. LA CERISERAIE est située dans le temps, mais c’est une oeuvre jeune, tant les motivations des femmes et des hommes qui l’habitent sont encore actuelles, tant la forme échappe à la notion d’ancien ou de nouveau. Le génie se passe de ces considérations. Personnellement, je suis d’accord avec la lecture de l’oeuvre que nous communique Pierre Debauche. Je la crois infiniment intelligente, juste, exacte, maintenue avec art sur un fil tenu flottant entre la farce caricaturale et le drame, théâtralisée sans naturalisme mais avec plausibilité, humoristique quoique bouleversante, critique et pourtant non distanciée J’ai ri, souri, pleuré. Je n’ai  pas éprouvé une seconde d’ennui. Le temps de Tchekhov, avec ses silences lourds, est fidèlement rendu, et la densité de l’atmosphère n’est jamais détendue. A l’exception - peut-être - de Catherine Sellers à qui il manque - sans doute - le côté évaporé qu’on prête d’ordinaire à Lioubov Andreevna Ranevskaïa, la distribution est simplement à mes yeux excellente. Je détacherai Lalande, admirable en vieux valet de la famille, Tabard, Françoise Danell, Dalia et naturellement L’inévitable et ineffable Lucien Raimbourg. La “scénographie” de Yannis Kokkos est belle (avec peut-être une légère réserve en ce qui concerne l’irréalisme un peu infidèle de la toile du 4 ème acte) et surtout astucieuse en ce qu’elle recrée la notion de théâtre à l’italienne dans le local des Amandiers, tout en la rompant par une pointe vers le public et en la détruisant au niveau de la symétrie.
    Complètement conquis et atteint par le spectacle, touché par l’humanité des thèmes entrecroisées, l’arrachement, le déracinement, bouleversé par l’éternel ratages des êtres même forts (c’est-à-dire une pièce sur la “conduite d’échec” pourrait-on dire et il se peut que cela me morde un brin intimement), je dois dire que cet enthousiasme rarement retrouvé par moi au théâtre, n’était pas entièrement partagé par mes co-spectateurs. “En quoi est ce concernant pour les gens de Nanterre?”, maugréaient deux jeunes gens. “C’est froid médical”, disait quelqu’un d’autre. Les objections fusaient de droite et de gauche.
    Chacun s’accordait à dire pourtant que LA CERISAIE était certainement LA MEILLEURE MISE EN SCÈNE de Debauche, fruit d’un travail approfondi et d’une recherche vers la réalité de Tchekhov, immense. Nul ne décelait l’ombre d’une gratuité. Bref, cette “lecture” ressortait personnelle mais fondamentalement étayée.
    On pouvait refuser le PARTI mais on devait reconnaître qu’il était magistralement proposé, avec un professionnalisme total, sans une bavure, sans une fausse note. “PRESQUE TROP PARFAIT” reprochait quelqu’un. Voire: ce n’est pas en tout cas une critique fréquemment prononcée.
    J’ai dit à Debauche ma joie. Je lui ai aussi dit mon désaccord avec les tableaux dûs à Jean Pierre Vincent par lesquels il fait saluer ses acteurs à la fin, pirouette complaisante qui détruit l’émotion provoquée par la mort de FIRS, oublié dans la maison abandonnée et qui se couche là où où il a toujours été esclave, fin d’un monde et d’une race. “Sans ça, on n’a plus qu'à aller se flinguer”, réplique notre metteur en scène. Et bien... peut-être. Mais qu’il laisse le choix.

LA REPRISE DE L’ODÉON

 Mi Octobre  :    C’est une initiative de Jacques Duhamel: Voici   le THÉÂTRE DE FRANCE rebaptisé ODÉON, THÉÂTRE NATIONAL. Des acrobates ont changé les lettres d’or au fronton de l’édifice. La signalisation dans le quartier a été rectifiée: FINI Mai 68, exorcisé.

 La COMÉDIE FRANCAISE récupère sa 2ème salle.

Ca n’est pas tout à fait exact. L’administrateur général Pierre Dux et la plupart des acteurs sont de la maison de Molière mais les gestions sont distinctes et surtout l’esprit annoncé: ici, les sociétaires vont faire du jeune théâtre.

Jean Pierre Miquel, jeune PDG Vème République est l’âme de cette opération. “Bonnet blanc, blanc bonnet”. Ce n’est d’ailleurs pour lui qu’un premier échelon. Quarante ans plus tard il dirigera la maison mère elle-même.

Quand même, le J.T.N. aura ses assises là: Loïc Volard, au talent bien connu dirige cette troupe constituée des non lauréats du conservatoire. JEUNE THÉÂTRE NATIONAL, la concurrence en perspective contre les jeunes non nationaux pointe son nez. Le regroupement s’achève, le système s’applique, les structurent se concrétisent, la grande famille des subventionnés s’élargit et commence à s’enfermersur elle-même.

“Gare! Soyons vigilants”, écrivé-je alors. Je ne peux pas m’empêcher de commenter : ma lucidité prémonitoire n’était, hélas, que trop affûtée. Vigilants, certains l’ont été, mais impuissants face au rouleau compresseur qui allait faire surgir un monde du spectacle à deux, puis bientôt à trois et quatre vitesses
   
15.X    C’est AMORPHE D’OTTENBURG de Jean-Claude Grumberg qui sert de spectacle d’inauguration. Pièce attachante, qui montre les dangers du pouvoir absolu, l’injustice sociale, la trahison des révolutions venue de la tête, l’aveuglément des hommes, leur veulerie, leur cruauté, leur sottise  La fresque se voudrait sheakspearienne. Elle n’y atteint pas mais serait-ce possible? La fin est singulièrement belle et désespérée, symbolique en diable, quoiqu’humoristique! C’est monté avec soin par Jean-Paul Roussillon dans un dispositif de Nicolas Politis très remarquable. Roussillon et lui se sont attachés à donner au spectacle une dimension verticale qui est très intéressante
    Les rôles sont bien tenus. C’est donc un beau et grand spectacle
    Mon envie en sortant a pourtant été de dire que c’était l’art de faire du vieux avec du neuf.
    D’abord parce que l’oeuvre est historicisé. Bien sûr, l’histoire de ce jeune prince prince assassin parce que fou, prétexte pour un bossu jésuitique à installer la terreur dans un royaume de fantaisie, est purement imaginaire. Et vous me direz que la transposition est un art qui n’a pas été inventé pour les imbéciles. Reste que ce parti accentué par la “fidélité” de la mise en scène qui a réussi à recréer le climat d’une aberration médiévale - m’ÉLOIGNE du contenu. “Diantre”, maugréai-je en moi-même, “n’y a-t-il donc plus de nos jours de fous sanguinaires qu’il faille aller les situer dans un conte de fées étranger et qui plus est, dans un pays qui n’est pas le mien, dans une Europe Centrale de convention? Ensuite, parce que quoique signifiante, la beauté de l’environnement qui m’est montré, ces grilles toiles d’araignées indicatrices d’un univers concentrationnaire qui rappelle plus les salles de torture du château de Chenonceaux que les chambres à gaz de Dachau, me donne un sentiment de “pesance” de lourdeur un brin prétentieuse, d’originalité, déjà vue. C’est l’univers de Dracula, c’est-à-dire un monde ANECDOTIQUE et qui ne m’atteint PAS. Personnellement, l’homme-oiseau qui passe toute la soirée à 8 mètres de haut, magnifiquement paré, figure “terrifiante” du DESTIN ou de la FATALITÉ, de la PERMANENCE de l’oppression, cet homme-oiseau m’agace en ce qu’il introduit la notion “d’autre monde”.
    Et puis c’est bien joué, ai-je dit, TRÈS BIEN par moments. MAIS CE N’EST PAS SOUTENU. Les comédiens français jouent Grumberg comme Racine, c’est-à-dire par à coups de morceaux de bravoure.
LE RESTE DU TEMPS, ILS SONT TERNES. ILS S’EN FOUTENT et cela sent un relent de “ménage”. Enfin, de toute manière, c’est une pièce classique avec des allusions modernes, jouée d’une manière classique par des comédiens de pas très bonne volonté moderne, dans une mise en scène classique qui ne cherche pas par prudence à dégager trop le moderne. D’entrée de jeu, le “nouvel” ODÉON se situe donc à mon avis EN DEÇÀ de ce qu’un René Rocher avait voulu en faire sous l’Occupation. La Vème République RÉCUPÈRE sa place forte du Quartier Latin au profit de son hypocrite libéralisme. MAIS QUI TROMPE-T-ELLE? Poirot Delpesch? Attoun? Gautier? Hum!

UN FESTIVAL EN POLOGNE

19-X-71 - 17h
    Le festival de Wroclaw n’est pas sans rappeler celui de Nancy par l’agitation de son organisation, l’affluence de jeunes qu’il déchaîne. J’écris ces lignes après m’être battu, trois quarts d’heure à  carte de presse brandie, dans le local éloigné où va jouer le PERFORMANCE GROUP.
    Maintenant, je fais la queue à l’intérieur entouré de mini-jupes. Les cheveux mâles par contre sont dans l’ensemble coupé serrés. La resquille se pratique de  ce côté ci du rideau de fer avec beaucoup de modération. On a acquis ici le sens de la discipline.
    J’avais pourtant lu à l’entrée des spectateurs, que Richard Schechner les faisait déchausser. Il ne l’a pas exigé à Wroclaw. Peut-être craignait-il la fauche! Cela dit, une fois dans le cénacle, je découvre à la lecture d’un papier qu’on me donne à lire, que ce n’est pas COMMUNE, comme annoncé, que je vais voir, mais CONCERT FOR TPG.
C’est le fruit d’un travail en commun entre le groupe et le Dr. Paul Epstein. Les spectateurs étant disposés en rond, il y a cinq pupitres disposés à hauteur normale et dans une circonférence plus petite 5 à ras de terre. Des partitions ouvertes montrent des lignes, des signes, des couleurs pâles. 5 acteurs, 3 hommes et 2 femmes vont d’un pupitre à l’autre et “chantent”, avec des mots d’abord, puis des sons qui dégénèrent en onomatopées et borgorysmes, une parodie de concert “moderne”. Leur sérieux est celui d’authentiques musiciens classiques. Leur sobriété est totale mais ce qu’ils font avec leurs glottes est cacophoniquement admirable et d’une étonnante variété, compte tenu du fait que l’exercice dure une heure.
    Le spectateur reste assez ébahi, ne sachant s’il doit rire ou rester sérieux. Les Polonais ont choisi de se comporter comme s’ils avaient été au concert, avec respect. Mais moi et quelques occidentaux, sentions poindre l’humour sous les raclements  de glottes , et  aussi au détour de certaines mimiques. Le texte dit est exactement celui de la déclaration à la TV d’Arthur Krause après le meurtre de sa fille en mai 1970. J’espère voir COMMUNE demain soir. Le PERFORMANCE GROUP se signale en tout cas par une excellente tenue dès ce premier spectacle.

Publié dans histoire-du-theatre

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