25 avril au 11 mai 1974

Publié le par André Gintzburger

25.04    Encore un délicieux petit déjeuner brésilien. Je fais mes comptes en constatant que l’argent me file entre les doigts dans ce Pays alors que je n’ai mangé que deux fois à mes frais et que je n’ai rien acheté encore. L’inflation est incroyablement galopante.A dix heures, un “chauffeur” vient me chercher, mais il n’a pas de voiture! Alors nous allons à pîed, au pas de course car il est jeune et sans pitié, jusqu’à l’Alliance Française, très bien située dans le quartier des putains et des boites de nuit chaudes. Comme à Rio la salle est louée à une troupe brésilienne qui joue en régulier et devra décaniller à l’arrivée de notre équipe. Thiériot très content, me dit que son théâtre est une bonne source de revenu, mais il ne sait pas répondre quand je lui demande si c’est aussi rentable pour la compagnie louante.
Mon impression  d’hier se confirme : j’ai affaire ici à des gens de métier et s’il y a un pépin à Sao Paulo, je serais épaté car tout est organisé impeccablement.. Seule difficulté : trouver un hôtel raisonnable. Thiériot me conduit dans 13 établissements. Aucun ne veut loger nos artistes en chambres individuelles, et d’abord parce qu’elles n’existent pas. De fait, j’ai moi, une chambre à deux lits. Finalement j’en ai marre de cette quête et puisque le Sao Raphael veut bien condescendre (c’est le mot qui convient) à réserver 10 chambres pour 28 US$ l’une, je dis “oui”. Après tout ils ne logeront que deux nuits ici, et l’hôtel, à son prix près, est parfait quoique bruyant de la rumeur de la ville, mais je crois que le calme est inconnu ici!

“On” m’avait dit que notre Consul Général, Ministre Plénipotentiaire, était un personnage. Mais il a dépassé toutes mes espérances. Après m’avoir fait savoir qu’il ne pouvait me consacrer que 2 minutes, ce Monsieur De Camaret flanqué de son adjoint (qui avait été pendant 10 ans Consul à Tirana: on a eu de quoi causer lui et moi, mais il avait moins aimé que moi!) m’a gardé une heure auprès de lui, mais c’est LUI qui a causé:

D’abord, il s’est livré à un violent exposé sur le fascisme brésilien.
Bon! voilà un diplomate de gauche, me suis je dit, demeurant cependant en expectative.
Puis il s’est déchaîné sur l’insurrection de l’armée portugaise contre Caetano: “c’est terrible, c’est la guerre civile là bas. Les communistes font feu de tout bois”
Là dessus il m’a demandé pour qui j’allais voter en France. Heureusement la réponse ne l’intéressait pas: il voulait que je sache que, si Poher s’était présenté, il aurait voté pour lui.
Re-attaque sur le Brésil : on arrête des étudiants tous les jours, c’est un régime brutal qui ne tient compte de rien. Lui-même s’occupe du sort d’un curé qui a été condamné à dix ans de prison sans avoir été entendu. C’est selon lui un Saint Homme. Jobert et Schumann lui ont enjoint d’obtenir sa libération. Je le félicite. Abrupt il éructe : J’ai été le voir Dimanche dernier et “MOI, Ministre Plénipotentiaire, on m’a retiré mon passeport et gardé à vue 20 minutes!”.
Il enchaîne sur le fait que la valise diplomatique a été retenue il y a un mois 5 jours à l’aéroport de Sao Paulo.
Je me demande sur quel pied danser. Soudain il se met presque à pleurer en me narrant l’émotion qui s’est emparée du peuple brésilien (comprenez les journalistes et les membres du gouvernement) à la nouvelle de la mort de Georges Pompidou. “Mon Dieu” (je cite encore) “pourvu que Mitterand ne passe pas aux élections. Les Brésiliens ne nous le pardonneraient pas et il faudrait s’attendre au pire”. Je bredouille quelque chose en songeant mélancoliquement qu’on va arriver à Rio avec notre BAJAZET le jour du second tour!
Et il me fait une description terrifiante des douaniers de Sao Paulo. En somme, si on veut sortir tranquille d’ici, il faudra que la gauche soit battue.
Bon, ce ne sont pas ces tracasseries promises qui me feront changer d’opinion, mais je prends note des menaces qui planent sur notre sérénité ... et je profite de la valise diplomatique pour écrire à ma fidèle Monique Bertin restée au bureau à Paris de veiller à ce que tout soit fait pour que la troupe soit en règle ABSOLUMENT.
Retour pour déjeuner chez Thiériot. Ses deux enfants sont là, une gamine de 8 ans odieuse, et un garçon de 4 ans prénommé Guillaume qui ne parle que le Portugais. Le repas préparé par la servante brésilienne est délicieux, mais la belle Theresa est pressée de retourner à son université où l’attendent ses répétitions et ses problèmes. En fait, elle a décidément bien des ennuis. Quand je la retrouve, le soir après avoir fait une sieste salutaire, j’apprends qu’elle ne montrera même pas son spectacle aux 21 professeurs. Le Directeur a décidé de lui octroyer son diplôme sans examen. Elle a 10 partout. Elle peut arborer le titre de “docteur ès sciences de la communication” Quant au message qu’elle voulait communiquer par son montage de fin d’études, elle le gardera rentré
On va quand même dîner dans un restaurant Chinois  où mes hôtes retrouvent une artiste brésilienne dont toute la pilosité visible a été épilée. Je n’irai pas vérifier si elle l’est de partout car ma nuit prochaine sera courte: je dois être à 06h45 au départ des bus pour l’aéroport international qui est à 90 kilomètres de la ville.

26.04    C’est dans un de ces bus intrépidement conduits que je franchis le tropique du Capricorne à 140 à l’heure par un temps qui me fait penser à celui des Ardennes en Février!  Le DC 10 d’IBERIA a deux heures de retard. Je glande , je suis fatigué. J’attends qu’on me rende mon passeport car ici on ne vous délivre la carte d’embarquement que quand la police a donné son accord pour votre sortie. Charmantes moeurs qui n’empêchent pas les journaux de titrer à la UNE sur les événements du Portugal. Marrants, ces journaux: deci delà on y lit des poêmes, ou des versets de la Bible, en remplacement des articles censurés. La liberté des autres ne parait pas déranger les militaires d’ici : on lit qu’il va y avoir au Portugal des élections libres, comme si c’était une chose toute naturelle sous cette latitude. Beaucoup d’articles sur la France, qui semblent objectifs. Cela dit, heureusement que j’ai des Dollars, car notre Franc est ici totalement inconnu et même pas coté.

Pour aller à Montevideo il faut faire un stop à Buenos Aires. Je n’entrerai pas en Argentine car Maria Casares a refusé de venir y jouer mais si j’avais eu le temps rien ne m’aurait empêché d’aller faire un tour en ville sans montrer le moindre papier, car la salle de transit était ouverte à tous les vents de l’extérieur de l’aéroport.

Bref me voici à Montevideo à 16h30 (au lieu de 13h10) et j’ai un choc, non pas parce que le schéma de Rio recommence,c’est à dire que l’attaché Culturel, Monsieur Martial (c’est son nom) ne me conduira à mon hôtel que beaucoup plus tard, après que nous ayions visité le Théâtre Verdi, discuté avec le directeur des théâtres nationaux, règlé tant bien que mal les problèmes techniques avec un certain Mr Verdier (qui est, lui, de l’Alliance Française), rédigé le programme, préparé une note diplomatique pour que Maria Casares entre dans le Pays, mais parce que j’ai l’impression d’entrer dans une ville vide. Il n’y a pas de voitures. Personne dans les rues. Après la démence de Sao Paulo, on se retrouve au milieu d’édifices en rococo espagnol. Peu de buildings. L’avenue principale m’a fait penser à Ajaccio et si le boulebard du bord de mer a un côté Copacabana par son modernisme, c’est un Copacabana totalement désert. La nuit tombe et aucun réverbère ne s’allume. Quant à mon hôtel, pas chauffé, il ressemble à un établissement de démocratie populaire Tout y est, y compris la boutique folklorique et les gens qui vous  proposent des Pesos à un meilleur taux que la banque. Je n’ai toutefois pas repéré de pute de service.

Me voici encore une fois dans un Pays au régime dur, où la torture existe, où on arrête les gens arbitrairement, où on me déconseille de circuler sans mon passeport en poche .. . et même tout seul. Mais les flics sont cradingues et vous pourriez les prendre pour des cireurs de chaussures. A l’aéroport j’avais d’ailleurs confondu un douanier avec un porteur.Parait-il que les lois sociales sont très avancées: on peut prendre sa retraite à 40 ans pour peu qu’on ait travaillé 20 ans. La femme est très protégée et peut obtenir le divorce par simple demande, tandis que le mari doit justifier des mobiles de sa décision. La fille non mariée à la mort de son père retraité continue à toucher la pension intégralement!
L’Uruguay a été parait-il, le pays le plus riche d’Amérique du Sud après la guerre, mais toute l’économie était fondée sur la vente de la viande et de la laine. Cela ne s’ exporte plus, parait-il, et la paupérisation a été galopante, avec des produits triplant de prix d’un mois sur l’autre tandis que les salaires étaient bloqués. Pratiquement c’est un Pays en faillite qui ne peut presque plus rien acheter à l’étranger. Les lampes (pour s’éclairer, ne parlons pas encore des projecteurs) font défaut. On a manqué de sucre pendant 3 mois, de papier toilette pendant 6!!!
Tout ça, c’est Pradier que me le raconte. Mr Martial m’a remis entre ses mains. Tout en parlant il me ballade avec sa jeune femme qu’il a “ramassée” (je cite) dans une “maison” en Afrique Centrale. je la trouve charmante. Elle a l’air de s’emmerder comme une rate-morte dans ce climat où nous circulons à travers des rues noires où se profilent des ombres inquiétantes.  

La tragédie, c’est que les hommes vont chercher fortune ailleurs. A l’aéroport un graffiti dit : “ que le dernier quin s’en ira n’oublie pas de fermer la porte derrière lui”. Conséquence, à Montevideo, il y a 7 femmes pour un homme, elles sont (je cite) “hystérique mais nouées à cause de leur éducation et ça influe sur leur caractère”.

Ce soir, une affaire trouble la petite colonie française : un Français a été arrêté pour complicité avec ce qui reste de Tupaleros. L’Ambassadeur ne veut pas intervenir ... et même il a bloqué le telex de l’agence France-Presse annonçant la nouvelle à Paris. C’est le troisième Français en taule dans ce Pays où le principal camp de concentration s’appelle “LIBERTAD”

Pradier nous emmène bouffer dans un bistrot du port qui a dû être animé avant que le dit port soit ensablé!. Quelques personnages peu bavards y mangent d’énormes pavés de boeuf qui sortent des entrepôts frigorifiques (car on n’abat plus de bêtes. On liquide à l’usage interne les stocks destinés naguère à l’exportation.) Puis il a le souci de me distraire et on va dans une boite à l’en,seigne de “Vino y Tango”. Il y a, nous trois compris, 9 clients, et l’animateur qui essaye d’égayer son programme remarquablement médiocre, est pathétique à voir. Quand nous sortons, avant la fin, la rue est vide.

27.04    Je dors bien dans ma chambre froide parce que c’est - et pour cause- très calme dehors. Au réveil, je contemple le grand boulevard qui longe la mer. Pas une voiture, pas un piéton. Il est 9h30. Bien entendu le petit déjeuner est médiocre.
Ce matin, c’est l’attaché culturel qui s’occupe de moi. Martial, marié à une Colombienne fort charmante est gentil mais moins “gauchiste” que Pradier. Il a la prudence des diplomates de carrière et s’attache à me faire ressortir les côtés agréables de la vie dans ce Pays.Il me fait faire, de jour, le tour de ville que j’ai fait hier à la nuit noire.et il me dit que c’est bien dommage que je n’aie pas le temps d’aller à Punta del Este qu’il me décrit comme étant une station  balnéaire encore en vogue.
Il s’ inquiète beaucoup de savoir si la troupe viendra à la réception de l’Ambassadeur. Il prévoie pour la veille de la représentation une conférence de presse et un cocktail. IL ESPÈRE QUE LA TROUPE NE FERA PAS DE DÉCLARATIONS POLITIQUES. Il me raconte que Planchon (qui nous a précédé, vous l’avez compris), a refusé de jouer en UIruguay parce que c’était au moment du coup d’état et que l’Ambassadeur voulait faire jouer sa troupe SOUS LA PROTECTION DE L’ARMÉE.
Ca m’a l’air d’être quelqu’un cet Ambassadeur. Il s’appelle Français. A l’attention des Français qui s’intéressent aux éléctions en France, il a fait diffuser une circulaire : “ne pas exprimer ses opinions politiques personnelles dans le Pays ... et de préférence, n’en pas avoir” (sic!)
Je ne me montre pas très bavard et je regarde la ville.Il y a plus de Buildings que je ne l’avais remarqué d’abord, mais tout s’écroule ou est sur le point de le faire. Très nombreux sont les chantiers interrompus depuis 5 ou 6 ans. Les ordures s’étalent à même les trottoirs et, deci delà on les fait brûler aux carrefours. Les rues sont éventrées et la voiture louvoie entre des cratères. Martial est honnête et me montre les quartiers pauvres: Là il y a des inscriptions telles que “NO A LA DICTATURA”, “LIBERTAD”, “LIBERATION de .(suivent des noms).
  Il parait que naguère les syndicats étaient très puissants. A la” prise du pouvoir par les militaires, il y a eu un mois de grève générale. Il n’y avait même pas d’essence”, pleurniche Martial. On croise des vieilles Ford, des tractions avant, et même des trèfles Citroën. Tout ça est rafistolé, bricolé et marche car ici les réparateurs ne poussent pasà la consommation des pièces de rechange, puisqu’ils n’en n’ont pas! Alors ils deviennent des génies.
Un qui va devoir en avoir, du génie, c’est Molliens, le régisseur de BAJAZET. Je lui ai grâce à Schnerb évité le pire à Brasilia, mais le jeu d’orgue de la salle Verdi demandera à être considéré par lui avec humour.
A 13h, Martial m’emmène déjeuner dans son club. Là, on joue au tennis, on fait du cheval. Il y a une piscine d’eau claire et propre. Les eucalyptus prodiguent sur les vertes pelouses à l’ranglaise une ombre salutaire. La société diplomatique se réunit là et y oublie le contexte qui l’environne en dégustant des entrecôtes qui, elles, ne semblent pas sortir d’un frigorifique.
Je fais la connaissance de la correspondante de l’Agence France-Presse qui me donne les dernières nouvelles de notre campagne électorale. Il parait que Royer, le maire de Tours, préconise la chasteté pour les hommes jusqu’à 30 ans et la virginité pour les femmes célibataires. Conséquence selon elle: ses meetings tournent au strip-tease!

En fin d’après midi,après un saut de puce d’une demie heure, je me retrouve à l’aéroport de Buenos Aires attendant le départ de mon avion pour Mexico. Là, il y a un monde fou, ça boit, ça crie, ça cause. C’est la vie. Je me demande pourquoi Maria Casares accepte de jouer en Uruguay et refuse de le faire en Argentine.
En fait de vol direct, j’apprends qu’on se posera à Santiago, Lima et Acapulco. Charmante nuit en perspective. Je la résume : A Santiago du Chili, on reste parqués dans l’avion et des soldats casqués et armés entourent l’appareil qui ne s’attarde que le temps nécessaire à débarquer deux passagers à qui on remet leurs bagages sur place.
Par contre à Lima, c’est le luxe, la salle de transit est superbe. C’est un vrai  de souk. Il y a des objets tellement magnifiques qu’on voudrait les acheter tous.
Je me fends d’un poncho pour Raphaël: son papa lui aura rapporté quelque chose du Pérou.
Je somnole un peu entre Lima et Acapulco, et puis voici la Ciutad de Mexico où m’attend un Coneiller Culturel du nom de Jean Claude Corbel (qui n’est en poste que depuis 5 mois, ce qu’on semble ignorer à l’AFAA.). Ensemble, nous attendons l’arrivée des émissaires mexicains, qui sont en retard. Ils arrivent encatastrophe, un garçon, une fille. “IL ne retrouvait pas les clefs de la voilure et en route, il a été sifflé pour excès de vitesse”. Me voyant en main, le conseiller s’éclipse.
Marguerite, (c’est le nom de la fille) nous accompagnera tout au long de la tournée et nous aurons aussi, dit-elle, un régisseur américain très compétent.
Je visite le théâtre où ils joueront à Mexico-city, juste un peu trop grand pour faire bisquer les artistes, mais pas assez pour qu’ils refusent d’y jouer. En plus il est fort bien équipé.
Quant à l’hotel “El Prado”, c’est le genre Hilton, odieux, mais qui peut râler d’être au Hilton? Je me sens claqué après le voyage. je parlerai du Mexique demain.

28.04         L’influence du grand voisin nord-américain est très sensible à Mexico. Politiquement, c’est le régime du “parti unique” depuis 40 ans et le principal syndicat est pourri au vu et au su de tout le monde. Les salaires les plusbas sont ede 300 Frs par moi. Il y a beaucoup de mendiants dans les rues. Mais enfin, pour quelqu’un qui arrive de Montevidéo, ça ressemble à une démocratie. En ce Dimanche assez frais, il y a foule devant les cinémas, beaucoup de couples enlacés, des gens qui rient en public (je me rends compte que je n’en n’avais pas vu la semaine dernière), et beaucoup d’animation dans les cafés et restaurants.
Je retrouve à l’hotel El Prado Paul Puaux, qui est l’invité de Mr Macotela, directeur du festival de Guanajuato. Il est accompagné de son assistante, Melly. Tous les deux font plaisir à voir. ils sont ravis. Tout leur plaît.
Le Conseiller culturel nous invite à dîner dans une hacienda chic. Le climat de Mexico, très pollué à 2.000 mètres d’altitude et qui charrie des poussières de soufre m’éprouve assez. Pour s’amuser, sans doute, Mr Corbel nous raconte que les tremblements de terre sont fréquents et que les maisons sont en principe à l’épreuve des ondes horizontales, mais qu’il n’y a guère de parade aux ondes verticales. On verra.

29.04    A 9h du matin, notre guide, Marguerite, est là, fidèle aux consignes qu’elle a reçues: “être levée la première et couchée la dernière”. Elle va nous emmener, Puaux et moi, à Guanajuato où sont réunis tous les organisateurs du festival et aussi de la tournée. Incidemment j’apprends que Puaux avait conseillé à l’AFAA d’emmener au festival Cervantino le QUICHOTTE de Gabriel Garran. Il n’approuve donc pas tellement le choix de BAJAZET. Moi non plus ... mais QUICHOTTE ... ouais! Bref on fait tout à fait amitié tout en roulant à 160 à l’heure à travers un plateau assez maghrébin parsemé de quelques montagnes.
Guanajuato, anciennen cité de chercheurs d’or, est une charmante localité pour touristes tout à fait jolie dans le style colonial espagnol des XVIIIème et XIXème Siècle, avec une animation forklorique permanente de musiciens et de danseurs, beaucoup de belles boutiques, et un marché qui fera le bonheur  de nos troupes avec des fruits au rez-de-chaussée et des produits artisanaux au premier.
Cela dit, c’est le bordel au point de vue organisation et je perds un moment ma belle humeur à chercher, attendre, chercher encore, et attendre encore les responsables dont j’ai besoin. Finalement, je pique une colère calculée et je déclare que puisque c’est comme ça, je rentre à mon hôtel (un superbe parador) et que je téléphone à Paris que la troupe ne prenne pas l’avion. Ca fait merveille et à 19h30 j’ai droit à un meeting avec tous ces messieurs  dont le chef de la technique qui est un pédéraste évident d’une soixantaine d’années, boiteux et trop soigné de mise, barbichu et sans doute ancien Nazi.
La réunion n’est pas entièrement satisfaisante mais dans l’ensemble je crois que j’aurai ce que je demande. L’ennui, c’est que le théâtre Juarez n’a pas 700 places comme annoncé, mais 1.200 avec des sièges très écartés les uns des autres, si bien qu’il est trop grand. Je fais stopper la location.
Après ça je vais voir une CELESTINE qu’une troupe espagnole de New-York joue sur une place publique. Ca ne dure qu’une heure trois quart et je crois pouvoir résumer le propos du metteur en scène en disant qu’il a l’art d’édulcorer les choses. J’assiste en effet à une farce truculente qui ne dérange visiblement personne et fait beaucoup rire le public. La Célestine elle-même et jouée par une vieille peau vulgaire et conventionnelle.

30.04    Je reste tard dans mon parador et j’ai pendant le breack-fast avec Paul Puaux une longue conversation ... le genre d’entretien qu’on n’a qu’à l’autre bout du monde. Il s’inquiète de l’afflux de beaucoup de jeunes troupes en marge de son festival d’Avignon. et il aimerait que quelqu’un coordonne ce mouvement qui lui semble anarchique. Il me demande si ça ne m’intéresserait pas. Je lui dis qu’on en reparlera. Bien sûr, on n’en n’a jamais reparlé.
Ensuite, finission de l’organisation, j’ai avec le directeur Macotela une réunion utile, et je me retape les 4 heures de route vers Mexico. Voyage difficile avec orages violents et vents de sable.

1er Mai    Il est 9 heures du matin. Les Bajazets sont dans l’avion depuis 6 heures déjà. Ici, une gigantesque manif est en train de se mettre en place, apparamment organisée par le syndicat officiel car les slogans revendicatifs sont très respectueux et plusieurs décernent des satisfecit au Seior President. C’est un mélange de carnaval et de défilé populaire. Pas de drapeaux rouges, mais beaucoup de drapeaux mexicains. Pas de flics apparents mais l’armée se montre casquée (sans armes) sous forme de musiques militaires qui jouent du tambour d’une façon qui se voudrait excitante. Je lis pourtant : “finie l’exploitation de l’homme par l’homme” et puis tous comptes faits le défilé est très bordélique. Les filles, v^êtues en genre de majorettes, n’ont aucun sens de la discipline. Et puis il y a comme partout ceux qui ne perdent pas leur temps, et qui vendent des glaces, des ombrelles, des chapeaux et des petits hélicoptères qui volent très haut pour la plus grande joie des badeaux. Le temps est beau, presque frais, idéal pour la circonstance. En plus aujourd’hui on respire un peu moins mal car il n ‘y a pas de bagnoles et les usines sont fermées. Alors le brouillard permanent est moins dense. On arrive à apercevoir les montagnes au loin. Vers 11h30 j’estime que j’ai vu défiler un million de personnes. Tout ce monde va vers la place du palais présidentiel à 3 kilomètres de là. Ah! (pardonnez le décousu, j’écris au fil de ce que je vois) une pancarte réclamant la semaine de 40 heures. Et quelques jeunes inquiétants, qui passent avec des bouteilles vides à la main et regardent d’un oeil torve les touristes américains (dont j’ai l’air d’être) qui contemplent le spectacle depuis les marches de l’hôtel vêtus de pantalons à fleurs et de chemisettes pour stations balnéaires.
Beaucoup défilent dans leur tenue de travail, très silencieusement. Il ya des pancartes, mais pas de cris scandés comme chez nous.
Au bout d’un moment, au vu d’une de ces pancartes disant textuellement “muchas gracias, senior Président” pour avoir résolu nos problèmes, j’en ai marre et je trouve glissé sous la porte de ma chambre un message de notre ambassadeur qui me convie à déjeuner à 13h30. Je me sape.
Déjeuner très mondain. D’entrée de jeu il me dit :”Monsieur, il n’entre dans cette ambassade ni un fruit, ni un légume, ni une goutte d’eau de ce Pays”. Selon lui, manger une feuille de salade ou une fraise est dangereux. Je lui confesse que j’ai déjà mangé des produits défendus. Il me plaint. Là dessus il se livre à unn vibrant éloge de Giscard et à de nompbreux commentaires sur le prix de l’essence avec le directeur d’AIR FRANCE à New-York, qui est  son invité en même temps que moi. Je lui demande d’intervenir auprès de son confrère au Brésil pour que Maria Casares ait son visa (j’ai appris qu’elle arrive mais qu’elle ne l’a pas obtenue à Paris). Il me promet de le faire, mais il ajoute que ce collègue  là est un con! Bon, on verra.

Quoi qu’il en soit, la troupe arrive à l’heure pile annoncée à 17h05. La douane, la police, le transbordement à l’hôtel, tout se passe bien avec l’aide de Marguerite. Je tiens avec toutes et tous un petit meeting dans machambre
Je remets les défraiements et je leur raconte un peu ce qui les attend. Mais ils sont de bonne humeur et increvables. et Maria entraîne tout le monde sauf  Tonia, Molliens et moi, vers un restaurant typique qu’elle connait. On avait prévu le départ demain à 10h00, Ils demandent que ce soit à 11h00. S’il n’y a que ça pour leur faire plaisir, ça ne signifiera guère qu’un chauffeur qui glandera une heure en les attendant.

02.05    Jusque là, tout va bien. Maria casarès est heureuse d’être au Maxique et la troupe dans son ensemble découvre le Pays avec ravissement.
Il faut dire que sous langle accueil, Macotela a bien fait les choses à Guanajiuato: outre Marguerite, npous avons 4 hotesses à notre disposition, un bus spécial et les taxis de la ville gratis. Le Castillo de Santa Cecilia, notre hotel, est un chateau construit à flanc de montagne tout à fait luxueux. On y jouit du confort calme des grands privilégiés.Pas de bruit à part celui des cigales. Nul n’a à se plaindre et d’ailleurs nul ne le fait.

Au cours d’un meeting, je mets un certain nombre de choses au point car il semblerait que l’information de sa troupe n’ait pas été le principal souci de Jean Gillibert. Et puis ils me racontent u’au cours de la tournée en France, il ne semble pas que BAJAZET ait été porté sur les ailes du triomphe.
A Perpignan le rideau tendu en tgravers de la salle pour diminuer la taille du Palais des congrès, aurait incité certains jeunes couples à assister au spectacle derrière et non pas devant cette barrière. Selon Maria, on entendait depuis la scène les râles amoureuxde leurs ébats!
A Valence, le directeur ne voulait pas payer parce que le public s’était plaint de n’avoir rien entendu.
A Alès, les lycéens disaient les répliques avant les acteurs!
D’après Maria le spectacle est très décalé par rapport à ce qu’il était au petit Odéon, mais Bruno Sermone prétend qu’il a gagné. On verra demain.

En tout cas ce soir l’ambiance dans la ville est à la joie : un orchestre joue devant le théâtre une musique de kiosque d’où il ressort que l’influence de Maximilien d’Autriche n’a pas été oubliée. Les boutiques offrent de plus en plus de jolies choses. Je vais devoir commencer mes achats par une valise!

La troupe trouve le théâtre Juarez trop grand. Comment la contredire puisque c’est aussi mon avis. D’ailleurs le fait que j’ai fait arrêter la vente des billets provoque un afflux de demandes. On s’achemine vers un triomphe (peut-être). Mais le lieu leur plaît. Il faut dire que cette salle coloniale toute en céramiques et en bois est assez étonnante. Quant à l’équipe technique, elle est surabondante et très dévouée. ON m’assure qu’en tournée, outre le régisseur américain Billy Barclay, nous aurons avec nous deux machinistes et un électricien. Molliens n’en n’espérait pas tant. Moi non plus. En fait tout se règle à l’américaine avec un déploiement le moment venu de forces agissantes. C’est efficace et ça doit couter cher. Cest un peu scandaleux dans un pays où la mendicité étalée prouve que la pauvreté est grande, un pays où on fait des mêmes à couilles rabattues. La moitié de la populoation a moins de 15 ans et c’estv à 18 ans qu’on a le droit de vote. On m’explique que cet abaissement de l’âge où on devient majeur a été en réalité conçu pour pouvoir lutter plus efficacement contre la considérable délinquance adolescente. Le voleur de 18 ans est regardé comme un homme à part entière puisqu’il est citoyen. Il encourt donc les mêmes peines que les adultes.

Je me couche tôt parce que j’ai mal dormi la nuit dernière à Mexico au milieu d’unbruit infernal, mais à minuit je suis réveillé par l’adjoint de Macotela qui veut discuter de quelques détails avec moi. Je le reçois dans mon lit tel Madame Récamier, ce qui ne manque pas de sel car lui est tiré à quatre épingles.

03.05    On monte le dispositif. Grand déploiement de forces comme prévu. Les projecteurs apportés de France ne vont pas servir au Mexique car Billy est arrivé avec un camion surchargé de matériel et qui va nous suivre (ou plutôt précéder) pendant toute la tournée. On va avoir un car pour les artistes, un camion pour le décor, une voiture pour les techniciens. C’est du super-luxe.
Malheureusement l’après midi va être gâchée par un cinéaste qui s’entête à vouloir que Maria Casares lui consacre une heure en costume et maquillée. Elle est excédée car son habitude (qui est tout à son honneur d’artiste) est de s’isoler dans sa loge pendant au moins trois heures avant de jouer. Mais le bougre est archi-collant. Je suis obligé de me fâcher et de lui rappeler qu’on n’est pas là pour tourner un film mais pour préparer une représentation théâtrale. En plus, les éclairages ne sont pas encore terminés. Sur ce plan là on a pris du retard.

Qu’est ce que ça bouffe, les gens de théâtre. Ils ont déjeuné comme moi à 15h00 au restaurant du festival, et les voilà (tous sauf Maria) qui à 18h30 se retapent dans un troquet un repas copieux. Moi, j’ attendrai une heure du matin car je serais incapable d’avaler une bouchée.Je bois une bière en leur compagnie. (bonne, la bière mexicaine, ce sont des allemands qui la fabriquent).
La séance commence de façon épique à 21h15 car les contrôleurs font fermer le théâtre alors qu’il y a dehors au moins 100 retardataires munis de billets qui piétinent, gueulent, frappent sur les portes. Evidemment ça s’entend à l’intérieur. Je fais faire une petite pause entyre le UN et le DEUX pour que ces importuns puissent entrer, mais du coup, il y a des spectateurs qui croient que c’est un entr’acte. De  toute manière, on n’obtiendra jamais le silence car le perron du théâtre Juarèz est le lieu de rendez-vous d’une jeunesse exceptionnellement joyeuse. Or la salle, comme tous les théâtres espagnols est mal close et les ouvreuses qui ont chaud ouvrent les fenêtres qui donnent sur la rue. Quant au hall, qui comporte un bar, il semble que ce soit une coutume que d’aller en cours de représentation y bavarder un brin en buvent un coup. Bref à l’entr’acte (le vrai) je dis aux artistes que ça marche très bien mais ils ont des doutes! Histoire d’ être plus convaincant à la fin, je me dis que le mieux est que je n’assiste pas à la deuxième partie et je vais observer les allées et venues autour du théâtre depuis le bistrot d’en face.
Cela dit, le peu que j’ai vu m’a paru avoir de la tenue. C’était aussi bien qu’au petit Odéon et même plutot plus soutenu. L’aberrant est que la France soit représentée dans cette ville en fête par une oeuvre aussi absconde, réalisée de façon aussi élitaire, et jouée d’une manière aussi sinistre.
Car la ville est vraîment en fête et elle veille très tard par un temps absolument superbe. Visiblement le festival n’est qu’un prétexte à défoulement collectifet dans un pays où ils n’en n’ont peut être pas l’occasion tous les jours les gens se fouttent de son contenu.
Il est 23h30 à présent et je me sens très bien au milieu de toute cette spontanéité.
Bon! je vais quand même rentrer dans le théâtre pour voir où ils en sont et comment ça se passe. Eh bien ça s’est fortement vidé. On en est au V et il ne reste qu’un quarteron de fidèles. Mais alors, quel quarteron. Ils applaudissent à tout rompre, crient bravo et j’entends éloge sur éloge. Sont ils sincères? Maria en doute et moi aussi. L’intéressant ça aurait été d’interroger un des quelque 300 qui se sont tirés après s’être tellement battus pour entrer.
Mais baste, qu’ils soient contents ou qu’ils feignent de l’être, c’est au niveau immédiat du pareil au même ... et demain on se tapera un déjeuner officiel avec six mecs de l’ambassade et un couper avec le gouverneur de l’Etat de Guanajuato.
Jusqu’au dernier moment, le cinéaste aura fait chier: avant de se déshabiller, les artistes doivent encore lui rejouer quelques scènes. A cette minute là, je les trouve drôlement complaisants.

04.05    Journée paisible. Déjeuner comme prévu avec des gens de l’Ambassade. Encore un petit meeting avec les organisateurs J’apprends qu’une voiture  dela police nous accompagnera partout pour veiller àce qu’il ne nous arrive rien.
A l’heure du spectacle il y a encore plus de monde qu’hier à l’entrée.Il faut croire que le bouche à oreille a fonctionné dans le bon sens. Maria a été plusieurs fois félicitée dans la rue dont une fois par une dame qui s’est mise à genoux devant elle, lui a baisé les mains et lui a dit : “je suis restée une demie heure à votre spectacle hier. C’était merveilleux!”
En fait je crois que ce public ne supporte pas les 5 actes de BAJAZET, mais qu’ils sont contents d’en prendre des petites doses On vient là comme au musée. On n’éprouve pas la nécessité de s’attarder. Il arrivera peut-être qu’un soir la représentation s’arrêtera en cours de route parce qu’il n’y aura plus aucun spectateur. Et ça n’empêchera pas qu’on nous dira : “quel triomphe! comme c’est admirable!” Peut-être devrait on annoncer “DEUX actes de BAJAZET” et résumer les trois derniers pour ceux qui tiendraient vraîment à comprendre la sombre anecdote de ce chef-d’oeuvre du patrimoine littéraire français.
Dehors, c’est toujours la fiesta. On chante, on danse, on bouffe. Il fait chaud. Les hotesses du festival, tout de rose vêtues, papillonnent d’un air affairé. De mon observatoire, sur la place, je ne quitte pas de l’oeil les portes du théâtre: un petit flot régulier de gens s’en échappe.
A minuit enfin la séance s’achève. Le quarteron final est encore plus mince qu’hierMacotela décerne deux diplômes au moment des saluts, l’un à la troupe dans son ensemble et l’autre à Maria Casarès qu’un article de journal qualifiait ce matin “d’énorme artiste”. Vrais ou faux les loges pleuvent de nouveau. Mac otela apparamment ravi ( mais allez donc savoir avec sa tête de maquereau corse gominé) déclare que BAJAZET aura été “la justification intellectuelle du festival”.
Le souper du Gouverneur est en réalité un raout monstre dans une superbe hacienda où il y a un monde fou pour fêter la troupe un petit Odéon ... et aussi par la même occasion un ballet mexicain. Il n’y manque qu’une personne : le Gouverneur! mais sa femme est là et Maria a encore droit à un diplôme. Curieuse intendance : on vous sert du whisky et de la vodka en apéritif, mais il n’y a RIEN à boire pendant le repas. Alorsj’aime autant vous dire que les légères très épicées nourritures mexicaines (crêpes, haricots rouges, veau au chocolat) ont tendance à se coincer dans le gosier.
Soutenant Maria de ma présence, je m’assieds auprès d’elle, ce qui me permet d’avoir sous la mais Corbel et Macotela. J’essaye d’avancer des pions pour l’année prochaine. Le MARATHON de Confortes ou le CYRANO de Denis Lhorca seraient mieux à leur place dans ce festival que BAJAZET. Macotela m’écoute avec attention mais il est quand même fuyant. Corbel, notre Conseiller Culturel, me parait par contre très sympathique. C’est un scientifique. Il vient de Madagascar. Il me fait pitié avec sa cravatte, son gilet et sa veste. Qu’est ce qu’il doit avoir chaud. Je lui explique la géographie (et le mode d’emploi) de l’AFAA. Il ne sait pas qui est Burgaud, encoe moins Brigitte Perrault
 
05.05    Dimanche. Chez nous on vote aujourd’hui. Je saurai ce soir par l’Ambassade que Mitterand fait 43%, Giscard 33%, Chaban Delmas 14%, Royer 3% et la petite Laguillier presqu’autant. Le total des cons peut faire 50%. Y a t’il une vraie MAJORITÉ en France? Attendons le second tour. Tout n’est pas perdu : il suffit de quelques cons égarés. Je me demande ce que penseraient tous ces notables avec lesquels je mène grand train, s’ils savaient que je n’ai pas le droit de vote parce que 30 années ne se sont pas encore écoulées depuis ma faillite.
Ce soir,on joue à AGUACALIENTES  C’est une petite ville de seulement 220.000 habitants. Le camion est parti de nuit. Les techniciens ont décarré à 7 heures du matin. Nous partons à midi dans un car somptueux précédé comme prévu par une voiture de police. Cette voiture agace notre  chauffeur car elle l’empêche de rouloer à la vitesse qu’il aimerait.    Je dois dire qu’elle me gache aussi un peu le paysage. C’est vrai, ça, avoir pendant trois heures devant soi une bagnole de flics, vous aimeriez?
On traverse un très beau pays, assez marocain d’aspect (pourquoi ai-je toujours ce besoin de comparer le nouveau avec quelque chose que je connais?) avec des villages dont toutes les maisons ont des toits plats. Sur le bord du chemin, paissent des ânes et des chèvres.
A l’arrivée à destination j’ai mon premier problème avec Anne Marie Lhomme qui refuse sa chambre à deux, déclare qu’elle n’a pas signé de contrat (Ah bon!), qu’elle veut vivre sa vie (je soupçonne qu’elle veut se faire un Maxicain chaleureux)  et qu’elle exige une chambre seule. Elle la trouve. Je lui dis que je la paierai mais que je la facturerai à Gillibert et qu’elle aura à s’arranger avec lui. Ca lui parait très bien. Elle est évidemment certaine que la vache à lait se laissera traire.
Le théâtre est difficile à équiper, mais il est bpetit, joli, et 200 personnes s’y pointent pour s’immerger dans l’esthétisme français.
Eh bien je vais vous étonner, mais à l’heure où j’écris on en est au IV et elles sont presqueencore toutes là, apparemment contentes.
Moi, j’ai vu le premier acte, et puis j’ai fait un tour en ville. Ce n’est pas la fiesta comme à Guanajuato, mais il y a du monde dehors et c’est gai. Décidément ce peuple adore chanter en groupe, jouer de la guitare ou de la trompette. Est il épris de plus de liberté qu’il n’en a? Revendique t’il un sort meilleur. Pour le savoir il faudrait le pénétrer mieux, mais comment faire? Marguerite, qui se dit de gauche,et l’est sans doute,agit comme un filtre. La barrière du langage empêche les vrais contacts. On n’a accès qu’à la surface.
Le sûr, c’est que la hiérarchie sociale joue à plein. Notre ort est TRÈS priviligié par rapport à celui des machinistes et chauffeurs qui sont avec nous. Pour eux, pas d’hôtel, pas de restaurant. Et ils sourient tout le temps. Et ils ne rechignent jamais à bosser. Et “ON” nous a dit que “ce n’était pas la peine” de leur donner des pourboires. Bill, notre stage manager les traite en aristocrate. Il donne des ordres, ne touche à rien. Bref on est AVANT le Front Populaire de 1936. Et j’ai comme l’impression qu’on en est à la même date question de l’émancipation de la femme. Toutes les filles qu’on croise entrent dans la catégorie des “allumeuses”. Mais je ne crois pas qu’elles consomment. C’est comme en Espagne. D’ailleurs elles se signent en passant devant les églises.
Quoi qu’il en soit, BAJAZET fait à AGUASCALIENTES un franc succès et j’en profite pour insuffler à la troupe un regain de confiance en soi. J’aimerais qu’ils se persuadent qu’ils sont dans un bon spectacle. Ca vaudrait mieux car les réflexions comme “pourvu qu’ils s’en aillent tous à l’entr’acte, comme ça on ne serait pas obligés de jouer la deuxième partie” ou encore “il faut leur dire qu’après l’entr’acte, c’est pareil, il ne se passe rien”, moi, ça m’agace.
BAJAZT, bon, vous savez ce que j’en pense, mais c’est LEUR spectacle, merde, qu’ils l’assument, bon Dieu! Les fou-rires en scènes, j’ai horreur de ça. C’est mépriser le public. Je l’ai dit tout de go et j’ai récolté l’approbation de Maria.
Après le spectacle, on nous a emmenés manger dans un bistrot près d’un parc. Il y avait des musiciens partout, des danseurs, un monde fou et populaire, beaucoup de moufflets qui jouaient. Encore une fois, c’était la fiesta.

06.05    On se croirait dans un pays de l’est. Avant de partir, il nous faut visiter la CASA DE CULTURA de la ville et un parc pour enfants.
5heures de route vers GUEDALAJARA, toujours sous la protection de la police. Paysages de montagnes sublimes avec de vastes espaces pour l’oeil contrastant avec des gorges étroites. Peu de villages, tous archaïques, faits de masures de la grandeur d’une pièce sans étage avec un petit toit de chaume.Des vaches, un bison, des ânes et des chevaux. Ceux ci semblent constituer encore un moyen de transport usuel dans un pays où il y a bien 100 kilomètres vides entre deux routes. Cela dit ces routes copiées sur le modèle US sont excellentes.
A Guadalajata, c’est Gisèle Sallin qui fait sa crise de mauvaise humeur. Une discussion politique éclate entre Claude Aufaure (qui est de gauche) et Bruno Sermone (qui est pour Giscard) Moi je la boucle. J’attends les gens de droite au tournant de Montevideo.
Cela dit, on n’est pas encore au Brésil. Le Consulat fait des difficultés pour Maria exigeant notamment qu’elle ait un “certificat de solvabilité” (sic)
Je laisse notre Consul général s’occuper de l’affaire. Ca l’emmerde, mais il agit. Il faut dire que ce n’est pas marrant. Le Consulat du Brésil brille par ses longues heures de fermetures compte tenu du fait qu’il n’y a personne aux heures d’ouverture. Qu’ils se démerdent. C’est une tournée “officielle”, n’est ce pas ? C’est la France qui a tenu à ce que le Brésil en soit. Comment est il possible qu’un problème aussi important que ce visa n’ait pas été résolu à Paris? Je ne m’inquiète pas trop. Nos dernières au Mexique seront à Mexico. C’est là que ça s’arrangera.

07.05    C’est l’heure de ma tranquilité : ils jouent. GUADALAJARA est une curieuse ville de 2.000.000 d’habitants jetée sur un plateau à 1.500 mètres d’altitude. A part quelques monuments de style colonial, c’est une cité moderne mais presque sans gratte-ciel, comme si personne n’avait voulu y bâtir du solide. Les maisons ont deux ou trois étages. Une terrasse les coiffe. Beaucoup de boutiques et le marché passe pour être le plus grand d’Amérique. C’est un lieu de commerce. Il parait que c’est aussi un lieu de contestation et que le kidnapping politique y est monnaie courante ainsi que les bombes jetées par des maquisards.
Le teatro experimental est tout neuf et orné de quelques fresques je ne vous dis que ça! Il, n’est séparé de la rue que par une porte qu’on ne ferme pas et par un simple rideau. C’est dire la qualité de silence qu’on y obtient. Mais quand je suis parti bouffer, la salle était attentive et j’ai dénombré à l’entrée plus de francophones que les jours précédents. Je reviens à minuit. La salle est encore presque pleine et le succès ne semble pas être seulement poli. Des acteurs mexicains entraînent la troupe vers un restaurant Suisse où on sert des fondues.

08.05    Long voyage de 415 kilomètres d’autant plus éprouvant que notre car nous offre le plaisir d’une panne en pleine montagne. Les flics servent enfin à quelque chose. Ils vont avec leur voiture et en actionnant la sirène chercher un bidon d’eau  au village voisin (60 kms aller et retour). Ces flics, ils ont des gueules de cogneurs. Ils semblent sortis tout droit d’un roman de Peter Chenay.
En fin de soirée nous arrivons quand même à St Miguel de Allende, jolie petite cité pour touristes américains qui est un peu au Mexique ce que Sidi Bou Said est à la Tunisie. Une dame en robe à pois nous loge dans une ravissante maison hôtel où je partage avec Molliens une suite avec loggia et, ô bonheur, une salle de bain avec une baignoire. On va visiter le théâtre qui est dans un amusant style colonial et on nous emmène souper dans un endroit hupé où des musiciens jouent des tarentelles Italiennes!
Je n’ai pas faim et c’est de la chance car Tonia s’intoxique avec des crevettes à l’ananas flambé, et il faut faire appel à un toubib le lendemain matin. Mais pour l’instant l’humeur est bonne. Claude Aufaure a une touche avec un peintre local. J’aime beaucoup Claude Aufaure.C’est un des rares pédés dont j’aprécie la qualité. Dans la profession, on l’appelle “petit Claude”, ce qui est une marque d’affection. J’espère qu’il profitera du silence qui règne dans le quartier où nous sommes logés pour vivre ses ébats discrétement. De fait, je dors comme un enfant et je me réveille à 09h30. Ca commençait à devenir nécessaire.

09.05    Je fais un tour au théâtre. Ca se monte. Je fais un tour en ville. C’est très joli et très propre. Il y a des belles boutiques et, comme de juste, plein d’églises. Toutes les écoles sont entre les mains des bonne-soeurs. La prise en main des enfants commence au berceau et c’est ici sans appel. On montre du doigt les “athés”. Quant aux magasins de religiosités ils sont aussi prospères (et de “bon” goût qu’à Lourdes). L’intex de la croix vigilante est à tous les croins de rue et les objets de superstition, souvent d’origine Aztèque, sont légion. Cette main basse mise sur l’âme populaire permet à la classe possédante de règner sur la plus nombreuse selojn un rapport de force qui,me pèse d’autant plus que dans cette troupe, seule Maria Casarès semble (un peu) éprouver un malaise semblable aun mien. Il y a bien Molliens, notre régisseur, je suppose qu’il, n’est pas vraiment d’accord, mais il la boucle et il regarde Billy et Marguerite mener à la baguette ceux qui nous servent à titre d’ouvriers. On essaye bien, lui et moi, de leur donner du sourire et de la poignée de main avec des “que tal?” et des “come esta usted?” mais sans pouvoir causer davantage, on se rend bien compte que c’est démagogique et dérisoire. A Guadalajara, l’un deux avait une minute de retard à 11h30, heure prévue pour le départ de la caravane. Et Billy l’a engueulé, la bave aux lèvres. Il n’a pas répliqué se sentant coupable. En vérité, il était dans le car à cette heure là, mais nil en était redescendu 25 minutes plus tard pour aller acheter quelque chose, ayant appris que les comédiens avaient été avisés confidentiellement qu’on ne partirait qu’à 12h00!
Vous voyez! bien sûir on vous expliquera qu’ils sont privilégiés. L’un d’eux a eu la permission d’emmener sa femme et sa petite fille. Ils sont payés. Ils ont du travail. La misère éclatante en province montre que ce n’est pas le cas de tous. Les hommes oisifs, les enfants et les femmes mendiant, la prolifération des petits métiers, l’exploitation du gringo à laquelle nous n’échappons pas, sont autant de signes clairs.
Pendant que j’écris ça, je suis dans mon patio à 300 Pesos par jour. Le ciel est bleu. Les arbres donnent une ombre fraîche. Macotela n’a pas menti en nous disant que nous aurions partout ce qu’il y a de mieux. Et plus personne ne parle de défraiement ni de petit bistrot sympa qu’on trouve tout seul. Une ou deux expériences de brûlure du palais, de l’oesophage, de l’estomac, assorties de chiasses ont suffi pour que nos amis préfèrent se laisser guider.
Effectivement aujourd’hui Tonia est vraîment malade. Elle vomit et chie tout le temps. Le toubib frêté d’urgence l’a fouttue aux antibiotiques, au sérum et au B2. La troupe suit l’évolution du mal avec l’espoir inexprimé qu’on ne pourra pas jouer ce soir. Mais la gaillarde est courageuse et on lève le rideau à l’heure prévue devant une floppée d’Américains pour qui BAJAZET sera bien vite un second ALAMO. Cela dit elle ne tiendra que 4 actes. On fait une annonce à la place du V et je crois que le public n’est pas trop fâché de cet arrêt à 23h40 au lieu de 0h15. Il ne reste d’ailleurs plus grand monde. Les américains ont déserté depuis longtemps.
Après un interminable souper je dors assez mal en essayant de digérer une soupe à l’ail et un poulet à l’américaine. C’est fou ce que la nourriture est lourde et épaisse. Je me demande comment il se fait que dans les magasins je n’arrive pas à trouver un pantalon à ma taille. Pourtant c’est un peuple de petits gros. On voit dans les vitrines des trucs à faire pâlir d’envie le Grand Magic Circus. Pancho Villa n’aurait pas pu se les ajuster.
Ce qui me turlupine c’est ce visa de Maria pour le Brésil qui n’est toujours pas accordé. Notre Ambassadeur est aux cent coups. Il multiplie les télégrammes, ce qui ne l’empêche pas de me dire à moi que cette affaire est à son avis “bien légère”. J’en conviens. En mon for intérieur je suis convaincu  que l’issue sera positive, mais quelque part j’aurais une secrète jouissance à ce que les généraux brésiliens refusent finalement de laisser l’apatride Maria Casares entrer dans leur Pays. Ca apprendrait à l’AFAA et plus particulièrement à Brigitte Perrault qu’on ne décide pas souverainement d’une affaire internationale et qu’entre” fascistes on n’est pas toujours d’accord. Le plus marrant, c’est qu’après avoir fait tant de manières, la troupe serait maintenant nâvrée de n’aller point au Brésil. Un vent d’inquiétude souffle que je laisse s’amplifier. De toute manière c’est à Paris avant le départ que ce problème aurait dû être règlé en s’y prenant 3 mois à l’avance.Je veille au grain pour que la responsabilité ne nous retombe pas sur le nez.
Et dire que la même comédie va se reproduire pour Montevideo. Merde. Elle pourrait se faire naturaliser, Maria. C’est beau les principes mais c’est maso.
Quoi qu’il en soit je ne peux rien faire. J’avais signalé le problème à Schnerb et à Demarigny dès mon arrivée, mais tout était verbal. Ca m’embête. Les brésiliens, on le sait, sont coutûmier d’une méthode qui consiste non pas à refuser mais à autoriser trop tard. Ils pourraient très bien si cette tournée ne leur plait pas, ou simplement pour faire chier la France entre les deux tours des élections, faire en sorte que leur telex au Consulat de France à Mexico arrive trop tard.
Et alors, qu’est ce qu’on fera? Est ce que j’ oserai essayer de forcer la porte en débarquant au Brésil quand même? Et si Maria est refoulée? Puis je engager des frais avec une telle hypothèque. Et Maria, qui est au courant car l’Ambassadeur lui a parlé personnellement, voudrait elle s’exposer à une telle aventure?

10.05    On quitte ce charmant St Miguel de Allende pour se rendre à St Luis Potosi. Route assez courte et sans histoire par une chaleur de plus en plus accablante et à travers un paysage dont la végétation vire au semi-désertique avec cactus, fifuiers de barbarie et palmiers rabougris.
St Luis Potosi est une ville champignon industtrielle jetée au milieu du plateau. Tout est laid, mais l’animation est grande et la jeunesse pullule.
Le théâtre est une aberration pour un spectacle créé au petit Odéon. Il a 1.500 places et ressemble au Paramount avant qu’on l’ait coupé en tranches.
Mais la troupe a dépassé le stade de la contestation des salles et Maria se contente de quelques soupirs. Tonia est guérie mais ce sont maintenant les autres et même moi qui éprouvent des troubles intestinaux et digestifs.
Je regarde entrer le public. Près de 400 personnes, ce qui n’est pas mal pour une localité comme celle là où la francophonie ne parait pas développée.Il y a des étudiants et surtout des gens de la haute. Ca doit être chic d’aller entendre du théâtre en Français. Effectivement c’est un des soirs où on perd le moins de public. A la fin du V ils sont tous là, applaudissant, et une jeune fille apporte à Maria sur la scène une couronne de chrysanthèmes. Je vous laisse à deviner les plaisanteries qui s’en sont suivies.

Publié dans histoire-du-theatre

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