25 janvier au 20 avril 1973

Publié le par André Gintzburger

Eh bien nous ouvrirons ce nouveau carnet sous la rubrique :

ROUTINE SUITE

25-01-1973
    À mon avis, c’est la médiocrité de l’oeuvre qui commande à la médiocrité du spectacle. Confuse et obscure quant aux motivations sous des apparences de faux dialogue limpide, la pièce d’Abichard “TU CONNAIS LA MUSIQUE” souffre d’abstraction et d’édulcoloration de la pensée “contestatrice”. Avron et Evrard tirent leur propre épingle d’un jeu perdu d’avance. Jouant “concret” et quotidien, ils sont en total décalage et je n’admire en rien la trop facile “performance d’acteur” D’Avron. Je serais plutôt tenté de féliciter Evrard pour la constance et l’amitié avec laquelle il joue le faire-valoir de son partenaire toute la soirée. Face à ce texte impalpable et à ces acteurs boulevardiers égoïstes, Dominique Houdart a visiblement manqué d’imagination ici et d’autorité là. Il a laissé s’installer un récital à deux en porte à faux et s’est borné à l’environnement dans un style intemporel.
    Mais aurait-il plus pu? Certes, il aurait pu plaquer une mise en scène personnelle et esthétiquement gratuite sur le texte. Tel qu’est le spectacle, il apparaît qu’Houdart a sans doute été trop honnête! La plus grosse critique que je lui ferai, c’est qu’à l’Odéon hier soir; il m’apparaissait que cette production provinciale était parfaitement à sa place.

Je n’avais gardé aucun souvenir de cette prestation de Dominique Houdart. Dans mon esprit, il était associé depuis très tôt à l’univers de la marionnette, et son commentaire, trois ans plus tôt sur le BREAD AND PUPPETT m’avait conforté dans l’idée qu’il s’en était fait un définitif, et d’ailleurs original artisan. C’est curieux car je  pensais avoir suivi son parcours presque dès ses débuts, alors que, jeune homme, il jetait sa gourme à travers des spectacles quasi amateurs mais hautement politisés. Au surplus je crois que déjà je travaillais pour sa compagnie. Comme quoi la mémoire !!! ...

27-01 -    Vu au Récamier mêlé à une salle clairsemée L’AMI DES NÈGRES de Tabori, c’est un spectacle de Bourseiller. Si je croise Chantal Darget dans la rue, je pourrais lui dire en toute sincérité mondaine : “Tu était admirable, ma chérie”. C’est Staquet qui est son partenaire et je suis stupéfié qu’Attoun m’ait cité ce gars-là comme un Jules Dupont idéal. Bourseiller s’est donc fait une spécialité de la dénonciation de la violence nègre contre les blancs aux U.S.A.. En fait, à écouter ce texte, on voit que ça ne doit pas être drôle tous les jours, qu’être de peau claire dans ce putain de pays! Surtout quand on n’a pas les moyens de s’offrir une résidence dans un beau quartier! On comprend que cette pauvre petite femme en ait raz le bol des lâchetés de son con de mari impuissant, composant et temporisant. La scène de ménage de trois quarts d’heure qui constitue l’ouvrage est donc justifiée. Dommage que le langage “poëtisé” en soit parfois inaudible. Et dommage que ce soit si “psychologique”. Mais on ne fait pas du neuf avec des vieux!, n’est-ce pas?

30-01 -Et voilà comme surgit l’impossible. La réputée inmontable ÉGLISE de Céline qui date de 1926 est montée, et superbement par le CHANTIER THÉÂTRE de François Joxe. Et elle “sort” comme une admirable pièce d’un Tchekhov français. Dieu sait pourtant si en débarquant à la Maison des Jeunes et de la Culture de Paris XV Brançion (qui dispose, soit dit en passant, d’un théâtre conventionnel très satisfaisant, confortable, propre et assez bien équipé), j’étais dans l’état d’esprit du Gintzburger faisant son devoir, décidé d’ailleurs à ne rester le cas échéant que dix minutes. Eh bien, je suis resté 3h15 sans entr’acte et  je n’ai pas éprouvé la plus petite sensation de lassitude. D’accord, la forme n’est pas neuve. Et d’accord, c’est d’abord une pièce d’acteurs. J’ai cité Tchekhov. C’est qu’en vérité le fonctionnement est le même, sauf que là, c’est  pour un contenu évidemment plus pessimiste. Car pour Céline, il n’y a pas de Moscou un jour et l’évasion dans la danse au 5ème acte est un refuge, non une évasion dans l’espérance. Bardamu, qui n’est autre évidemment que Destouches / Céline, trimballe à travers sa vie l’oeil désabusé de celui qui fait son devoir d’homme, mais ne nourrit ni illusions, ni rêves. L’humanité de ce médecin pauvre qui soigne les misères des pauvres dans la mesure où l’argent dont ils disposent le leur permet, est vraiment bouleversante, comme est absurde son mariage aberrant qui débouche sur un amour déçu lorsque son épouse américaine divorce pour chercher de nouvelles excitations (mot qui ramène à ses justes proportions la valse des couples à laquelle nos générations se sont habituées), comme est poignante son amitié pour le vie face à un alcoolique qui meurt de sa cirrhose sous ses yeux impuissants. Tous les personnages EXISTENT profondément : la petite boiteuse qui pourrait devenir normale si elle était riche, les deux flics qui promènent mélancoliquement l’oeil de la police sur les activités de ce toubib qui prescrit un peu trop de morphine aux moribonds inguérissables. Indifférent il renoncera à ces ordonnances pour n’avoir pas d’histoire et ses mourants mourront donc désormais en souffrant!
    Comme chez Tchekhov, tout est dit par touches impressionnistes et malheureusement le monde montré n’a pas vieilli. C’est le nôtre. Comment ne pas en lire la dénonciation dans ce texte qui se borne à constater, qui ne revendique pas? Avec une distribution de près de trente personnes, François Joxe a su trouver le ton de l’oeuvre. Mais il a fait plus : son spectacle est d’une haute tenue professionnelle. Il n’y a pas un rôle inférieurement tenu. En fait de jeune compagnie, c’est du premier coup au niveau de la grande compétitivité qu’il se hisse, à l’échelle d’un Vincent. Et son dernier acte, presque muet, soutenu par une musique extraordinaire qui m’a bien semblé être des Pink-Floyds (mais je ne la connaissais pas), avec des personnages presque immobiles, emplis de leurs contenus suffisamment pour se taire sans que la salle frémisse, est de toute beauté. On reparlera du CHANTIER THÉÂTRE et de François Joxe.

Céline, on le sait, est un auteur décrié du fait de son antisémitisme viscéral qui l’a d’ailleurs conduit à fuir la France à la libération. Il l’était déjà quand il écrivait cette oeuvre qui allait annoncer le fameux VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT. Etrange est en effet cette confusion dans son esprit entre les oppresseurs des pauvres et les Juifs considérés racialement  comme une entité nuisible en soi!
Mais j’ai presque envie de dire (pour une fois comme Le Pen) que c’est un point de détail dans une oeuvre globalement d’une aussi intense humanité.

02-02 -    Vu SANTÉ PUBLIQUE au Théâtre de la ville avec beaucoup de retard. Salle archi bourrée. On annonce une reprise l’année prochaine. Je présume que la pièce de Peter Nichols est, à la manière de LA CUISINE de Wesker, une oeuvre beaucoup plus vigoureuse que ce que j’ai vu. Mercure, le metteur en scène, a infléchi au boulevard et recherche le comique. C’est ce qui explique le succès. Une pléiade d’acteurs fait des numéros “éblouissants” (Mercure lui-même, Hussenot, Michel de Ré, Weber, Chevit, Jandeline, etc.). Dans le rôle d’un infirmier, on a engagé Roger Pierre qui s’en donne à coeur joie dans les effets appuyés pour le bonheur de la salle qu’une certaine vulgarité ne gêne pas. L’adaptateur, Claude Roy, a participé à cette opération en re-situant l’oeuvre dans un contexte très parisien. C’est un peu le même genre de traitement que celui qu’avait subi HAIR à Paris en son temps. Peut-être ces concessions étaient-elles nécessaires pour faire avaler le contenu au public. Malgré tout, il est là, ce contenu, palpable et abominable, ne donnant vraiment pas envie d’être malade, démonstration évidente d’un micro monde de la médecine au milieu du monde, dénonciation de ses moeurs, déprimant et (hélas oh combien!) trop vrai. SANTÉ PUBLIQUE reste un spectacle utile.

16-02 -    Je suis presque certain que le WOYZECK (le combienième est-ce que je vois depuis mes origines?) de Jean-Pierre Vincent (PALACE) jouira d’une excellente presse. Il y a un dispositif assez beau et relativement astucieux qui permet au “ménage” entre les scène de se faire assez rapidement. Très “transposé”, ce dispositif dû à Lucio Fanti et Patrice Cauchetier suppose des spectateurs très avertis des lieux réels où Büchner a situé son action. Le jeu des acteurs est volontairement “éloigné” de toute passion, de tout réalisme. Woyzeck (Olivier Perrier), trimballe sa revendication au troisième degré d’un rêve à demi éveillé, sans éclat et presque sans indications. Tout cet étalage d’”intelligence” et d’”originalité” ne manquera pas de plaire en ces temps préélectoraux. Mais moi, je me suis fait chier!

16-02 -    Le JACK JACKSON du Pip Simmons (Théâtre Mécanique) est un excellent spectacle qui a une parfaite originalité tout en se situant dans un univers assez proche de celui du Magic Circus (cracheurs de feu, pétards etc.). Les spectateurs sont supposés être dans un marché d’esclaves des acheteurs potentiels de chair humaine vivante. Les esclaves eux-même font leur propre article et viennent montrer leurs avantages de très près. Puis, ils s’enchaînent par des menottes à ceux qui veulent d’eux. La deuxième partie figure une sorte de libération. C’est musclé, rythmé, vivant, mais aussi très fort, très “culpabilisant”. Le “jeu” cache un contenu évident. Le Pip Simmons, (dont on annonce l’éclatement prochain), fait politiquement du théâtre politique.

17-02 -    Il faut reconnaître que Francis Perrin a réussi une performance : bourrer, à minuit, trois fois par semaine, le théâtre Firmin Gémier d’Antony, chapeau, ce n’est pas à la portée de tout le monde. La façon dont il a “tourné” les règlements de la Comédie Française qui interdisent qu’un pensionnaire joue à Paris en dehors de l’Illustre Maison, milite aussi en faveur de son astuce : naturellement, Antony n’est pas à Paris, il suffisait d’y penser!
    Mais l’appui excessif de nos presses et Radio TV, et la complaisance paternelle de Pierre Dux s’expliquent quant on voit le spectacle intitulé : CITRON AUTOMATIQUE.
    Enfin! Voici, qu’en ces temps préélectoraux, nous surgit un bon jeune, qui a du talent, qui jette sa gourme dans l’esprit sain d’un canular bien français, qui ne se pose et ne soulève aucune question dérangeante : il vise à divertir d’un rire tonique et point caustique. Porté sur les ailes d’un système qui a choisi de LE privilégier, il se montre honnête vis-à-vis de ses bienfaiteurs :  juste ce qu’il faut de petites ruades bon enfant pour que les vieillards en place sentent leurs yeux se mouiller à l’évocation de ce qu’ils se rappellent de leurs frasques d’antan! Une série de sketches vivants et bien enlevés, beaucoup de facilités, une “modernité” bien enveloppée, 75 minutes de show, pas plus, on n’a pas le temps de s’ennuyer, rien ne frappe non plus, rien ne marque, c’est de la bulle de savon, c’est ce qu’on demande de nos jours aux talents ascendants. Allons! Ne soyons pas inquiets. La carrière de ce jeune homme exemplaire est assurée.

 06-03 -Il est bien possible qu’il existe SEPT MANIÈRES DE TRAVERSER LA RIVIÈRE, mais dussé-je passer pour une andouille, je n’en ai perçu aucune et je ne me suis même pas rendu compte de l’existence d’une rivière dans la pièce de Lodewijk de Boër, montrée par Albert-André  Lheureux au Théâtre Mécanique. L’auteur s’expliquant dans le programme ne cache d’ailleurs pas qu’il s’agit d’un “casse-tête (puzzle) où quelques morceaux manquent”, un rêve tel qu’il a été rêvé”, “un peu du subconscient sombre et archaïque”.
À partir de l’instant où l’on accepte d’entrer dans l’irrationnel, le spectacle est fort beau esthétiquement, avec une très belle structure mobile dûe à Jean-Marie Fievez, un environnement sonore des plus envoûtants et de fort belles académies féminines superbes dans leurs nudités. Chère Flandre, elle transpire sa personnalité par toutes les pores de ce spectacle secret, ésotérique en diable, racé,aristocratique, élitaire, réfugié dans la dépolitisation. Je pourrais dire que c’est U.D.R., mais on est au delà vers la droite : entre initiés, on “goûte” un divertissement goûtu! C’est la fête des gens très intelligents! Naturellement, le programme cite Artaud.

08-03 -    “Les ancêtres redoublent de médiocrité”, disais-je méchamment hier soir à des proches au sortir de la représentation du JEUNE HOMME de Jean Audureau, mis en scène par Pierre Debauche, au Théâtre des Amandiers de Nanterre devant une chambrée d’amis unanimement consternés.
    Le moins qu’on puisse dire est que la “lecture” de Debauche a été superficielle : là où l’on nous parle de jeunes filles à demi nues, suintant la sueur de la nuit trouble, et le vice un peu sale mais excitant, il nous montre des jeunes Amazones bottées, sanglées, casquées, (sans aucune motivation). Là où l’auteur décrit un espace où se confondent la ville de Koenigsberg et l’appartement de Kant en lignes venant évidemment de la plus grande profondeur possible, il nous sépare les lieux par une passerelle nippone horizontale qui est un contre sens patent. Là où il s’agit d’une pièce d’acteurs exigeant des monstres, il nous baille une distribution faiblarde de décentralisation, avec des insuffisances absolument éclatantes (ne nommons personne). Bref, arrêtons ce navrant débondage, il a traité l’oeuvre avec désinvolture probablement, manque de lucidité certainement, inintelligence bien sûr. Il a complètement DÉ-SERVI Audureau, dont on se demandait avec angoisse hier soir s’il pourrait jamais se relever de cette seconde débâcle.
Reste que je me suis posé quelques questions sur l’oeuvre. Qu’elle ait un beau “langage” et qu’elle reflète un univers intime des plus fascinants, oui. Qu’elle soit un matériau dont un grand metteur en scène aurait su tirer un bel envoûtement, oui. Qu’elle soit prétexte à “climat”, à “mots”, à “puzzle”, sorte de jeu magique où la question posée au spectateur est : “Quel est le sens de ce qu’on vous montre? Allez, cherchez, devinez, rêvez, supputez, extrapolez... L’auteur a tout enfoui, tout dissimulé sous l’accumulation des degrés, allez, montrez-vous intelligents, aucune clef ne vous sera dévoilée”, oui encore, je veux bien, MAIS AUDUREAU a-t-il VRAIMENT quelque chose à nous communiquer. Tout cela n’est-il pas une mystification? Je laisserai cette question en suspens...

Un petit commentaire : toute la carrière de Jean Audureau a été une série d’échecs. Et pourtant, il a fini par être joué à la COMÉDIE FRANçAISE! Le personnage était étrange. Il s’entourait de mystère. Petit, trapus, il tenait à ce qu’on sache qu’il vivait pauvrement dans un petit appartement de Saint Ouen. Je ne lui ai jamais connu de compagne, ni d’ailleurs de compagnon. A l’entendre, il écrivait, toute la journée, toute la nuit ... et il ne connaissait personne. Mais il était édité. Et ON le connaissait dans la profession : la preuve : je le connaissais!

09-03 -    Pierre Vielhescaze a été obligé d’aller monter LE GOÛTER DES GÉNÉRAUX à Toulouse pour pouvoir présenter un spectacle dont il soit le metteur en scène dans son T.O.P. Ainsi a-t-il “rusé” avec la municipalité sourcilleuse et avare dont il dépend à Boulogne. J’ai été un peu agacé au début par le parti pris de transposition de la pièce de Vian au cirque. Plantin, président du conseil = Monsieur Loyal. Wilson Audubon de la Pétardière = clown triste, et ainsi de suite, moi je veux bien, mais cela ne me paraît pas avoir bien servi l’esprit de Vian, qui trouve dans cette émigration plus une édulcoloration qu’un renforcement. La causticité du texte perd et pour rendre sa virulence à l’oeuvre, Vielhescaze est obligé de l’habiller avec des projections brechtiennes signifiantes qui l’allourdissent. On rit du reste assez peu à son spectacle dont les motivations sont finalement simplistes. Ca ne vole pas très haut.
    Reste que c’est tout de même fort honorable et pas mal joué du tout, qu’on ne s’ennuie pas.




UNE TOURNÉE A.F.A.A.

Ence temps là, l’Association Française d’Action Artistique croyait encore à sa mission première : défendre la langue Française à travers le monde.Ce combat, mené conjointement avec les ALLIANCES FRANçAISES, allait au fil des années se révéler une défaîte. A telle enseigne qu’aujourd’hui, ce sont les danseurs, les mimes, les circassiens, les musiciens qui sont, à quelques exceptions près,  envoyés promouvoir hors de nos frontières notre idiome, dont le déclin est partout éclatant. Pour exercer mon métier, j’ai dû apprendre l’Anglais, à 50 ans. J’ai ingurgité les 100 premières leçons de la méthode Assimil et quelques termes administratifs et techniques. Il n’en faut pas plus pour se faire entendre avec cette langue pauvre à peu près partout. C’est justement sa pauvreté qui fait son succès

16-03 -    Le DOM JUAN de Roger Mollien tourne en Allemagne sous le patronage de nos instituts français dans des conditions techniques et dimensionnelles qui varient sensiblement d’une ville à l’autre, avec une fréquentation qui permet de jauger du sérieux avec lequel les Directeurs font leur travail chacun dans sa ville (ici salles bourrées comme à Hambourg ou Stuttgart, là vides  comme à Fancfort!). On peut se demander si le jeu vaut la chandelle dépensée en pognon par l’Action Artistique. Car cette tournée n’a pas grand chose d’”International”. Autour des Instituts bien dirigés, gravite un petit monde bien élevé de francophones et de francophiles, vieillards et adolescents (surtout adolescentes d’ailleurs). C’est ce public de classe à l’intérieur de la classe bourgeoise qui est touché, dans la plus grande confidence au niveau de la ville visitée. Le groupuscule des amis de la langue et de la culture françaises s’offre une soirée ente soi. On est dans l’univers de la mondanité, qu’on renforce, pour faire le nombre, avec les “élèves” à qui l’on fait des prix, et qui parfois (comme à Bremerhaven) sont majoritaires tant sont peu nombreux les élitaires ci-dessus décrit, ce qui crée un climat de “scolaires” dans la meilleure tradition des tournées Borelly! Dans ce contexte, le Dom Juan en question va jouir certainement de bons rapports au Quai d’Orsay : “Vous nous avez apporté un grand texte”, a dit notre consul général à Brême. “Excellent spectacle”, a décidé le Directeur de l’Institut de Hambourg. “Extraordinaire, remarquable, nous avons eu raison d’en profiter car ce type-là -(entendez Roger Mollien)- ne fera pas longtemps des tournées, avec le talent qu’il a, a décrété notre consul à Stuttgart, “qui pourtant est d’ordinaire avare de compliments”, nous confiait  ultérieurement le Directeur de l’Institut, lui-même “emballé” par “le jeu des acteurs” et “l’invention de la mise en scène”. Je ne pense pas que ce climat soit très épanouissant pour le spectacle.
    Mon associée Monique Bertin qui l’avait vu avant moi m’avait dit que sa virulence    ne serait pas du goût de tout le monde.
    Or, tel que je vois ce Dom Juan aujourd’hui, il “plaît” dans l’ensemble, c’est certain et de toute manière, IL EST BON, il importe de le souligner, Il est de qualité. Et les motivations de Mollien sont estimables : il dépoussière le texte, le re-nourrit de la lettre, l’infléchit en lui faisant clamer ce que prêchait vraiment Molière, selon lui. Dans son jeu d’acteur, il rejette tout “effet” facile, il ne cherche pas le rire pour le rire, il fait surgir l’aspect homosexuel intime (ou en tout cas “à problèmes”) du personnage. Prenant chaque phrase dite, chaque mot prononcé, au PREMIER DEGRÉ, il illustre le comportement de cet homme (qui ne trouvait la jouissance que dans la conquête et qui a bâti toute une philosophie personnelle anti Ciel et anti conventions sociales uniquement à cause de cette tare personnelle secrète... Tare? Voire!) tel que sans doute Molière l’a imaginé (sexe d’abord, métaphysique ensuite et non l’inverse comme d’autres l’ont montré). -Encore qu’on pourrait gloser longtemps sur l’impulsion première du personnage : Sexe ---> Athéisme ou Athéisme ---> libération sexuelle ou Contestation poussée parallèlement dans tous les domaines contre un certain “système”
, mais supposons ici admise le thèse de Mollien - ... Elle est VALABLE, elle est SERVIE. Pourtant,
    ce DOM JUAN n’est PAS un grand DOM JUAN.
    D’abord, parce que si Mollien acteur a su admirablement exprimer SON point de vue sur l’oeuvre par une interprétation très nuancée et fort intelligente, il apparaît qu’hors son personnage ainsi exprimé dans une facette, il n’ait guère été intéressé par les interférences des autres personnages. Face à son Dom Juan après tout simpliste, il y a un Sganarelle qui joue son propre jeu, très bien, mais très conventionnellement et qui entretient avec son maître un rapport des plus classiques. Il ne semble pas que les autres personnages aient intéressé Mollien. Il les a distribué au rabais. Son Elvire est un mélange d’élève du Conservatoire et de Carmen Pitoëff! La famille d’Elvire manque gravement de poids. Le père de Dom Juan est du niveau d’un mauvais amateur. Seuls les paysans sont bien parce qu’ils chargent à qui mieux mieux dans la plus parfaite tradition! Non seulement autour de deux meneurs de jeu, la distribution est faible, mais elle paraît n’avoir guère été dirigée! En tout cas, je ne pense pas que Mollien se soit préoccupé de “penser” les “autres” rôles. Ils sont dits comme le peuvent les acteurs mal formés qui essaient de les promouvoir; la conception est d’UN personnage et non d’un ENSEMBLE. Ces insuffisances, cette non homogénéité, cette superficialité de conception, suffiraient à ce que ce spectacle ne soit pas un événement.
     Et puis, le dispositif “abstrait” suinte la pauvreté. Les costumes, et plus spécialement celui de Mollien, sont laids et conventionnels. Bref, il y a un saut qui ne se fait pas.
    Est-ce insuffisance ou paresse?
    Mollien serait-il SEULEMENT un acteur? En tout cas, il n’est pas ici chef d’orchestre. Il fait un duo de premier violon avec un trombone à coulisse. Derrière, il y a des deuxième rôles.
    Reste que ce DOM JUAN peut se voir pour sa thèse -encore que même en tant qu’acteur Mollien ne semble pas aller au bout de lui-même!-, et puis tout de même, soyons juste, je parle ici à un certain niveau, avec une certaine encre. Ce n’est pas de la merde.
    N’empêche que je ne donne pas cher, si le travail n’est pas repris et la distribution renouvelée, de l’accueil de la presse parisienne, au Théâtre 13, en Mai prochain. En fait, j’aimais mieux le Ruzzante..



UN GRAND SOUVENIR

24-03 -    Il y a des spectacles qui ont bonne  réputation Hier soir, à la Maison des Jeunes, Daniel Fery de Nanterre, alors qu’il ne s’agissait nullement d’une générale, on croisait Billetdoux, Caroline Alexander, Sandier, bien d’autres encore, mêlés au public authentiquement populaire et quelque peu nord-africain habitués aux lieux .Cette juxtaposition, jointe à la nature du spectacle, était extrêmement intéressante car, comme le disait Caroline scrutant un groupe de jeunes gens assez “inquiétants”, venus visiblement  pour chahuter et récupérés en trois minutes : “Sur la scène et dans la salle, ce sont les mêmes!”. SARCELLES SUR MER s’est pourtant, selon la petite histoire, accouché dans la douleur : Brouille entre Prévand et Bisson (ils se sont réconciliés après le Première!). Coupure de toute la première partie du spectacle. Oeil noir trimbalé par Debauche (éprouvé par l’échec du JEUNE HOMME) sur le succès de l’entreprise annexe soutenue par LA VILLE. Bruits de discorde entre les deux directeurs des Amandiers. Bisson, auteur, metteur en scène et principal acteur de SARCELLES SUR MER, réussit à allier une théâtralité constante, un contenu accessible au “non public”, et un style de qualité littéraire certaine. Son humour, sa drôlerie pointe comme autant de traits au détour des situations tragiques. “La passion est impossible entre quatre H.L.M.”. C’est le sous-titre de la pièce et c’est évidemment un sujet concernant joué au coeur de cet univers de béton qui environne la Préfecture de Nanterre. J’ai vu de mes yeux, ces jeunes gens décrits plus haut, se vivre eus-même transposés, dans le groupes de blousons noirs montré par Bisson. Que dire de mieux? Si je n’avais pas vu cela, j’aurai écrit que le texte me paraissait un peu trop poëtisé et j’aurai pu prétendre qu’il n’était pas “populaire”. J’aurai eu tort et il est certain que cette entreprise-là se justifie pleinement. Nous sommes loin des Faust de Monsieur Vitez ou des Antigone de Monsieur Kayat!
    Bref, on atteint à un spectacle exigeant qui s’adresse réellement à ceux qu’ils veulent mobiliser autour d’une prise de conscience. C’est une démarche politiquement parfaite. Une démarche d’un Bisson qui a mûri. SARCELLES SUR MER est son premier spectacle adulte.

Quelque 40 ans plus tard,quelqu’un a remonté ce SARCELLES SUR MER.Cela n’a plus fonctionné du tout.

5 Avril 1973    Pierre Messmer est premier ministre. Il nomme Maurice Druon, ministre des affaires culturelles, et de l’environnement

Ce Ministre là allait rester célèbre du fait de sa fameuse phrase sur la sébille et le cocktail Molotov

”EH BIEN, CONTINUONS” (J.P.Sartre - HUIS CLOS)

05-04 -    Il y a beaucoup d’éloges à formuler au sujet  du spectacle présenté par Jean-Pierre Dougnac au Théâtre 347 : LA DEMANDE D’EMPLOI de Michel Vinaver.
    D’abord au niveau du contenu de l’oeuvre qui est original en ce qu’il traite du chômage des cadres, mettant l’accent sur un aspect mal connu des crises frappant nos sociétés occidentales, et montrant que la classe ouvrière n’est pas seule à avoir maille à partir avec la cruauté implacable du “système”... Quoi de plus dur, -quand on a 40 ou 50 ans et qu’on a été habitué à une vie aisée, qu’on est flanqué d’une femme “douce et bourgeoise”, et d’une fille unique et contestatrice au point de se faire faire un enfant par un nègre, que de se retrouver quémandant un emploi face à un technocrate qui vous teste impitoyablement? Ensuite, au niveau de la forme, car la pièce est écrite en “dialogues” qui ne se répondent pas immédiatement les uns aux autres. Je pense que Vinaver a dû écrire une première version où les personnages échangeaient leurs propos directement, puis qu’il a décalé les répliques de quelques points pour créer ce qu’il définit comme “durée et espace éclatés”. L’effet recherché est de “démonter le mécanisme de la société d’aujourd’hui”. Cela sent vite le procédé, mais la recherche est intéressante.
    Enfin, il faut dire que la mise en scène est rigoureuse, sans concession aucune, un peu dans l’esprit où Planchon l’avait entendu naguère pour Paolo Paoli. C’est un beau travail exact, probe et “serviteur”, auquel on peut seulement reprocher de mal éclairer ce que l’auteur pourtant décrit en toutes lettres dans le programme : “De variation en variation, , dans un mouvement en spirale dont les cercles vont en s’amplifiant, mais FILENT de plus en plus vite, l’action progresse, se condense”. Je n’ai pas senti cette accélération et il m’a au contraire semblé que Dougnac s’attachait à gommer autant que possible ce qui apparemment devait lui apparaître comme un danger d’aliénation du spectateur qu’il réclame évidemment LUCIDE et ÉLOIGNÉ. L’ennui est que cette austérité n’aide pas le public à se tenir tout le temps aussi éveillé qu’il le faudrait. Ce “tourbillon” figé à vitesse fixe tourne un peu au ronronnement et le ressassement engendre la lassitude. C’est dommage car c’est par ailleurs fort bien joué.

11-04 -    Je n’avais pas pu voir TÊTES RONDES ET POINTUES de l’Ensemble Théâtral de Gennevilliers à sa création, et j’y suis donc allé à la reprise au Théâtre mécanique. Le spectacle y est certainement étriqué au niveau des dimensions par rapport à la salle des grésillons et la régie souffrait visiblement de manque d’espace. Par contre, il gagnait probablement en rapprochement ce qui permettait à l’oeil de l’expert de disséquer le jeu des acteurs et le travail du réalisateur. Quel réconfort n’est-ce pas que de savoir qu’il y a sur notre marché pourri un HONNÊTE HOMME! Sobel est un serviteur d’une fidélité absolument touchante! À l’heure où Beno Besson clame tous azimuts que “chaque progrès doit être tué par un autre progrès” et qu' “on n’a jamais aidé le théâtre en ne faisant que se répéter ou répéter les anciens”, (propos recueillis par J.P. Liégeois dans ATAC INFORMATION n°49), Sobel applique à la lettre les préceptes du maître défunt à telle enseigne qu’on se croirait revenu 15 années (au moins) en arrière.
    Il faut dire qu’il a mis le paquet. Sa distribution est très valable, avec Debarry, Kerboul, Raphaël Rodriguez (assez marrant en vice Roi) et  aussi une certaine Agathe Alexis qui trouve le moyen d’être drôle par l’affirmation d’une personnalité qui aurait échappé au metteur en scène que ça ne m’étonnerait pas!
    La fable inventée par Brecht (assez proche de l’ANDORRA de Max Frisch) est simple et didactique. Elle démonte le mécanisme de l’installation du nazisme en une caricature grossière qui n’est pas sans quelque vérité. Elle montre que les riches se tiendront toujours les coudes.et que hors la vraie Révolution, les pauvres seront toujours vaincus. Elle prouve que le pauvre qui veut tirer son épingle individuelle du jeu sera toujours cocu. Replacée dans son contexte historique, elle est subversive au niveau des moeurs, montrant que la prostituée n’a pas à avoir honte de son métier quand les raisons économiques dictent sa conduite. Peut-être mieux construite que d’autres oeuvres de Brecht, la pièce s’organise à mi-chemin du vaudeville et du mélo. Elle est une remarquable dénonciation de toutes les impostures et se laisse voir sans ennui malgré sa durée.
    Une fois de plus j’ai pesté contre la musique. Cette fois, c’est Hans Eisler qui en est responsable. Complètement, inadaptés aux glottes françaises, ces songs datent terriblement. Triturage des mots et sonorités désuètes, comment ne jette-t-on pas ces oeuvrettes de tâcheron indignes de l’oeuvre écrite, aux orties! Heureux Shakespeare à qui un éditeur n’a pas attaché de compositeur par contrat!

13-04 -     J’ai fait mon devoir. Je suis allé au “Théâtre Censier” (sis dans une Maison des Jeunes Catholique, simple salle polyvalente rudimentaire), voir le spectacle composé par Jaromir Knittel avec d’une part une étude dramatique de Tchekhov intitulée “Sur la grande route” et d’autre part une adaptation de “La Sonate à Kreutzer”, faite par Knittell lui-même “selon une idée de L.M. Tolstoï”!
    Le premier ouvrage rappelle beaucoup “Asile de nuit” de Gorki. Un cabaret sur le bord d’une route sert d’abri, par une mauvaise nuit, à une série d’épaves humaines bouleversantes de misère et de détresse. Tchekhov y a montré que l’homme est un loup pour l’homme et croyez-moi, quand on voit ce ramassis de déchets, on comprend que l’URSS en soit là où elle est car si ce sont ces ivrognes, ces tarés, ces mendiants et ces veules qui ont fait la Révolution, la poigne d’un Staline ne devait pas être inutile. Bref, la comparaison avec Gorki (qui n’est pas gratuite, elle s’impose!) fait éclater la moindre politisation de Tchekhov. Le second est un digest qui se passe dans le beau monde de la Russie d’hier. Ce monde ne vaut pas plus cher que l’autre. Le thème : l’égoïsme de Vassilii Vasilievitch Pozdnytchev, qui ne rend pas sa femme Lizzia heureuse, et devient jaloux au point de la tuer à cause de ses relations artistiques avec un virtuose du violon nommé Troukhatchevski! Knitetl a-t-il voulu faire du signifiant en juxtaposant les deux oeuvrettes? Ce n’est pas évident.
    En fait, je crois qu’on a tort de regarder Knitetl comme un jeune. Il est complètement tourné vers la dévotion à sa culture slave dont il s’est arrogé la “mission” de la promouvoir en occident. Il n’innove dans les formes qu’en apparance et là où il serait le plus à l’aise ce serait sûrement dans un beau théâtre à l’italienne, où il pourrait jouer complètement naturaliste, avec du vrai vent, de la vraie neige et des vrais acteurs professionnels conventionnels.
    Malgré le talent de Michèle Laurence et le métier de Robert Darmel, la troupe est insuffisante. Les “oeuvres d’atmosphère” sont impitoyables.

14-04 -    J’ai vu l’ÎLE POURPRE de Boulgakhov, adaptation de Soria, mise en scène de Lavelli, à son avant dernière représentation au Théâtre de la Ville. Entreprise spectaculaire et évidemment coûteuse, ne serait-ce que par l’importance en nombre et en noms de la distribution.

    L’ÎLE POURPRE, c’est le titre d’une pièce que répètent, dans “l’improvisation”, les artistes d’un théâtre moscovite en présence d’un représentant tout puissant de la censure. Si les protagonistes de l’affaire ont voulu dénoncer la Censure dans son ensemble, ils ont échoué car l’oeuvre est si bien située que la satire vise en toute évidence la seule U.R.S.S.. On y charie en style gentillet les petits travers d’une politique culturelle connue et ce serait résolument sympathique si cela n’avait un brin de relent réactionnaire. Olivier Hussenot est parfait en censeur. Il est plaisant de voir Terzieff dans un mauvais rôle : il incarne l’auteur, si bien que chaque fois qu’un spectateur s’ennuie, ou n’est pas d’accord, il le fixe avec réprobation! Lavelli a monté la chose en grand avec de sublimes décors en toiles peintes et un bateau porteur de la civilisation occidentale qui n’est pas sans rappeler celui du Magic Circus dans Robinson. (Mais il paraît que ce bateau était minutieusement décrit dans le texte qui date des années 25). La pièce n’aurait été jouée que quatre fois à sa création, ce qui montre que le régime ne tolérait pas la critique.
    Chevit est extraordinaire dans le rôle d’un régisseur à tout faire, pétri d’invention et de bonne volonté, supportant à bout de bras toute l’improvisation. Le rôle de soubrette qu’incarne Laurence Bourdil est tenu par elle avec netteté, vigueur et talent, mais n’apporte rien à sa gloire.
    J’ai passé une agréable soirée. J’ai ri beaucoup, du rire qu’on vous arrache au boulevard intelligent.

ESCAPADE À LA ROCHELLE

Sous l’impulsion dynamique de Dominique Bruschi, (qui quelques années plus tard allait être une des premières victimes visibles par moi du Sida, qui était peut-être déjà Sero-positif, mais il ne le savait  pas et pétait de santé), un mini festival surtout musical mais avec des exceptions avait vu le jour. La Maison e la Culture n’existait pas encore et l’essentiel se passait dans le vieux théâtre Municipal où les organisateurs s’étaient installés dans les combles.C’était une véritable ascension que d’aller les y rencontrer.

19-04 -Vu à La Rochelle MADAME HARDIE de Bruno Bayen, mise en scène de l’auteur. Une pénible et longue soirée face à un spectacle pas prêt, aux changements interminables, lourd, traînant, ennuyeux, complètement sans rythme et souffrant de non nourrissement imaginatif. Je veux dire par là qu’une idée par scène d’un quart d’heure, ce n’est pas suffisant pour qu’on ait l’impression d’une mise en scène riche. La pièce, issue d’un fait divers paraît-il authentique (une femme se fait passe pour son mari, mort fortuitement, pour ne pas perdre la place de veilleur de nuit que lui avait été offerte et vit en concubinage avec une autre femme. Une nuit, elle met K.O. un voleur et est congratulée par le patron. Mais découverte, elle est mise en prison et finira ses jours en allant sur les foires raconter son histoire. La pièce est mal bâtie avec des longueurs et un style plat. Brecht a visiblement influencé l’écrivain. Aussi son texte a un relent vieillot très surprenant pour un jeune homme. La mise en scène est clairement inspirée par Vitez, mais maladroitement. Elle s’encombre d’un fatras d’objets et de décors qui obligent à un très fréquent ménage, lequel ici se fait de surcroît dans la confusion. Deux ou trois réussites, comme le strip tease de Madame Hardie au prologue, la caravane en ombres chinoises et ...??, je me creuse la cervelle, je ne trouve rien!, ne suffisent pas à effacer l’impression que le spectacle de Bayen ne souffrait pas seulement d’un manque évident de répétitions, mais d’un bâclage au niveau de l’oeuvre écrite et d’une insuffisance à celui de la conception de réalisation. Tout ça n’est ni fait ni à faire. Bayen s’est moqué de Laville et du Festival de La Rochelle.

Mais il y a eu un grand événement dans ce festival et cela s’est passé dans un lieu informel qui, justement allait (j’ai trouvé cela presque dommage) être détruit puisque c’est là, justement qu’on allait édifier  le lieu culturel officiel :détruit

20-04 -    Cette fois-ci, le Grand Magic Circus crée un oratorio : CENDRILLON Ou LA LUTTE DES CLASSES. Une fois encore, Savary joue et gagne un pari difficile. La dernière fois, on s’en souvient, c’était à Munich où le Magic avait su en peu de mots et une parade contester en profondeur les jeux que d’autres stigmatisaient moins efficacement dans des torrents verbaux aussitôt récupérés par l’organisation “libérale”. Cette fois-ci, la question était : comment tourner en dérision sans lui porter préjudice un très sérieux festival de musique contemporaine et comment intégrer dans cette compétition la population de LA ROCHELLE, généralement assez indifférente aux exploits des virtuoses?

    Savary, chef d’orchestre vêtu de noir la baguette à la main a donc ouvert des ateliers au cours desquels il a recruté des “choristes” au nombre de 70. Il a engagé un célèbre orchestre de jazz, quatre violonistes classiques, la fanfare municipale et en la personne de Guy Gallardo un “récitant” qui lisait dans le style “parlé” des lyriques le conte de Perrault : Cendrillon. La troupe elle-même se partagea la “direction” de ces comparses locaux et obtint un spectacle VIVANT, UN JEU COLLECTIF suffisamment réglé pour être lisible, dans une étonnante spontanéité avec une réelle efficacité. En fait, il s’agissait de paraphraser le texte tout en l’infléchissant vers l’illustration de ce qu’il comporte de “contestable” et de le ponctuer par des chansons. Ces dernières étaient naturellement l’essentiel de l’apport du Magic. Les partenaires étaient invités à jouer de la musique “improvisée” en se référant les uns aux autres. On peut dire que tout a été monté en deux jours. Mais tout avait été préparé dans la tête de Savary.
    Certains ont parlé de “manipulation” des populations. C’est vrai. Mais aussi, quel résultat! 1.500 Spectateurs ravis, 1.000 retenus dehors, la ville demandant une séance supplémentaire. Ce type-là de spectacle est vraiment un jeu collectif. Là ou d’autres balbutient, Savary réussit. Cela vient de ce que lui et sa troupe ne font pas du théâtre figé. Leur habitude du “contact” porte ici ses fruits. C’est une nouvelle forme de divertissement qui s’indique. Périlleuse car le talent de la troupe ne suffit pas. Il faut en plus celui des participants. Les “animations” de l’été dernier ont sûrement aidé à ce que le “dialogue” soit constructif. En tout cas, bravo. La soirée du 19 avril 1973 à La Rochelle est de celles où on doit se réjouir d’avoir été là.

et je n’ai jamais oublié ce CENDRILLON ou LA LUTTE DES CLASSES, qui pour moi marque le sommet de la carrière de Savary. Il n’a jamais été repris. Nous ne l’avons pas “tourné”.

FESTIVALDE NANCY 1973

Le Teatro TABANO de Madrid a le courage de travailler dans cette ville et d’y porter un certain message anti franquiste. Je dis bien un “certain” message car les possibilités de s’exprimer dans la péninsule sont limitées, et d’ailleurs l’historique de la troupe depuis 1968 est un incessant exposé d’interdictions et de démêlés avec la Censure. Est-ce parce que les deux spectacles qu’elle montre en une seule (trop) longue soirée, sont autorisés en Espagne qu’on a l’impression que pourtant ces gens-là ne contestent pas grand chose? C’est possible, mais c’est quand même embêtant d’être obligé de se contenter des certificats de combat qu’ils se décernent dans le programme.
    Cela dit, si le deuxième spectacle, consacré à des sketches stigmatisant “la propriété, la publicité, la télévision, l’impérialisme, la bourgeoisie, la famille, le sexe”, sous le titre CASTANUELA 70, m’a paru de la veine d’un JE SUIS UN STEAK trop bavard, en tout cas d’un niveau ne dépassant pas celui du cabaret, déplacé dans le cadre grandiose du Théâtre de Nancy, je dois dire que j’ai bien aimé l’attaque presque GRAND MAGIC CIRCUS du premier spectacle, et l’ingéniosité de la transposition pour marionnettes humaines du RETABLE DE DON CRISTOBAL (de Lorca). Il faut d’autre part rendre hommage à la grande rigueur professionnelle de cette troupe qui joue avec une étonnante aisance de la Pantomime, et qui a d’incontestables idées amusantes dans le détail, un foisonnement de petites trouvailles réjouissantes. J’ai regretté de mal comprendre la langue espagnole. Certains, dans la salle, riaient beaucoup.

    - C’est une véritable pièce que nous montre le THÉÂTRE LIMITED de Kampala (Ouganda). Je veux dire que ces beaux nègres et ces belles négresses ne se contentent pas de taper sur leurs instruments et de chanter. Ils jouent, avec du texte, une histoire de leur pays, sans que j’ aie pu détecter s’ils exaltaient ou contestaient ces rites cruels issus de leur civilisation. Le spectacle est fort beau et la partie musicale est très agréable à entendre. Mais j’ai éprouvé que cette réalisation était très organisée, trop occidentale, pas spontanée. Robert Serumaga a fait ses études à Trinity College à Dublin et cela se sent : la mise en scène vient d’un bon faiseur de Royal Shakespeare Company! Et je doute que les harmonies musicales soient totalement ougandaises tant je leur ai, par instants, trouvé un petit air britannique! Bref, ces gens-là feront sûrement le tour du monde blanc sous des égides très commerciales.

- Des Togolais font sous chapiteau du “théâtre de rue” sans doute intéressant, mais inaudible dans le brouhaha d’une salle inattentive.

- Les Ensembles populaires de Haute Silésie (attention! Ne vous y trompez pas : c’est en Pologne!) montrent un espèce de carnaval de tradition populaire riche en couleurs, avec des beaux costumes et des beaux masques. Ca a un certain entrain encore que ça manque de rythme dans les enchaînements. Il aurait fallu lâcher ces Polonais dans la Fête foraine de la Place Carnot, aux heures d’affluence.

- Encore une victime de Grotowski : Joseph Szajna, qui avec la troupe du TEATR STUDIO de Varsovie, nous montre sous le titre “Répliques”, un spectacle esthétiquement assez beau mais pas marrant inspiré par ses souvenirs d’Auschwitz. Sol fait de terre rougeâtre. Tas d’immondices et de membres épars en celluloïd d’où émergent les protagonistes, véritables épaves humaines vêtues de toiles de sacs, ne s’exprimant que par des sons angoissés et se traînant au rythme de tremblements intérieurs très vécus! 50 minutes de cauchemar.

- Languissant spectacle de Tayeb Saddiki intitulé MAQAMAT BADDI AZ ZAMAN AL HAMADANI. C’est très causant en arabe et le programme ne m’a guère donné d’éclaircissements sur le propos si ce n’est qu’il ne traite pas du tout des problèmes contemporains du Maroc. Réfugié dans l’évocation du philosophe syrien El Hamadini dont le spectacle montre des “discussions” persanes vieilles de mille ans, (quoique ses héros “soient toujours vivants parmi nous”), Saddiki se fait contester dans son rôle d’homme de théâtre “officiel” par un tract de l’Union des Étudiants Marocains de Nancy. Visuellement, la représentation m’a paru manquer singulièrement d’entrain.

- Le Duro Lapido  National Theatre du Nigeria m’a semblé à la fois beaucoup plus authentique et singulièrement plus sympathique que le Theatre Limited de Kampala avec qui la comparaison s’impose évidemment puisqu’il s’agit dans deux jeunes nations africaines de deux recherches “théâtrales”. Ici d’abord, tout est chanté, et l’oreille ne décèle pas l’influence occidentale. Ensuite, il y a bonhomie : ces noirs “jouent à jouer”. Ils n’ont pas l’air de se prendre très au sérieux et il semble qu’ils se moquent gentiment de leurs coutumes. Le Roi qui mesure deux mètres de haut crache le feu à chacune de ses entrées. C’est un Roi sage. Il veut le bien de son peuple et la paix. Mais ce n’est pas facile avec des généraux ingouvernables qui ne rêvent que de batailles!
Il y a dans cet opéra intitulé OBA KORO une apparente grande liberté d’expression. Mais chaque personnage a son registre et celui-ci est très précis : dans les pas de danses exprimés, dans les modulations (très riches) de voix, dans les gestes et les manières de se tenir ou d’utiliser les costumes. Ces gens ont une visible joie à jouer et nous la communiquent dans un rythme endiablé qui ne retombe jamais. Mais ce qu’ils montrent est le fruit d’un travail rigoureux de coordination à l’intérieur d’un contexte qui se réfère, il est vrai, à des traditions populaires. Car quel chorégraphe moderne aurait su inventer les figures de danses très compliquées que signifient certains protagonistes? Quel musicien actuel aurait su tirer de ces instruments “rudimentaires” apparentés aux tam-tams, des sons aussi divers, aussi perfectionnés et souvent aussi extraordinaires. Il y a là une riche culture ancestrale que Duro Lapido a su utiliser. Il faut noter que lui n’a pas fait d’études à Dublin. “Après avoir fait ses études primaires (dit le programme), il devint aussitôt instituteur”. Je crois que sa voie est réellement populaire.

Et heureusement enfin, un événement :

- La troupe brésilienne PAO  E CIRCO de Sao Paulo montre LA NOCE CHEZ LES PETITS BOURGEOIS de Brecht.
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“La fidélité à ce jeune homme merveilleux, anarchique, inexpérimenté, désarticulé, ce serait (dit le programme) de retrouver un type de création à l’état sauvage, par la direction des acteurs, par la musique, les accessoires, le maquillage. Le texte de notre spectacle n’est pas seulement celui des NOCES de Brecht, C’EST UN SPECTACLE SUR LE JEUNE BRECHT”.
Ailleurs, je lis : “Un montage fidèle de l’auteur (sous entendez aujourd’hui dans notre contexte brésilien), serait un contre sens. Ce serait une absurdité d’autant plus triste que le pauvre B.B. est de plus en plus momifié...” De tels propos ont naturellement fait courir à la salle Foucotte toute l’intelligentia présente à Nancy. Le spectacle vu dépassait toutes les espérances, car ce qu’on voyait, c’était effectivement Brecht ressuscité, décoconisé, et SURTOUT rendu à son âge de 1918 / 1919. L’absurdité du propos des Docteurs ès Brecht éclate car en effet, c’est évident, il faudrait être complètement con pour monter aujourd’hui ces oeuvres de jeunesse (il n’y a pas que LA NOCE) selon les règles d’un petit organon inventées TRENTE ANNÉES PLUS TARD par un  homme mûr AYANT FAIT SON CHOIX POLITIQUE et son entrée dans un système organisé, par un théoricien honoré et installé qui ne se souvenait peut-être plus de l’époque où il se cherchait en territoire hostile, par UN HOMME D’UN CERTAIN POUVOIR et non plus par un opposant impuissant se cassant la tête contre les murs. (BALL, LA JUNGLE DES VILLES, etc...).
Oui, c’est clair, les Docteurs nous ont aveuglés car ils ont oublié que l’histoire s’écrit minute après minute et qu’en 1919, on ne pouvait prévoir ni Hitler, ni la D.D.R., ni même encore Staline. Nous a-t-on pourtant assez rabattu les oreilles à propos de Molière et autres classiques sur le fait qu’il importait de “replacer les oeuvres dans leurs contextes”? Il a fallu que ces Brésiliens vivent dans leur pays un contexte qui leur semble apparenté à celui de l’Allemagne pré nazie pour qu’ils TROUVENT, et APPORTENT MAGISTRALEMENT sur notre vieux monde le clef perdue d’une serrure rouillée!
Et quelle joie que de DÉCOUVRIR un Brecht vivant, MATÉRIAU pour la création et non plus pièce de musée. La folie balaye cette représentation qui sait passer de la clownerie la plus tarte à la crème au frisson wagnérien de la mort triomphante, qui sait utiliser les songs au rythme du carnaval de Rio, la hideur humaine côtoyant la tendresse. Tout va jusqu’au bout dans ce spectacle où la destruction symbolique du mobilier n’est pas propre comme chez Jean-Pierre Vincent, mais immonde physiquement, SOUILLANTE et où la découverte mutuelle du couple à la fin se fait dans une étonnante pureté sur un tas d’immondices. On regrette que ces jeunes gens ne fassent pas vraiment cet Amour sauvage et désespéré qu’ils esquissent. Là seulement, on sent une autocensure, un tabou.
Mais à part ce détail, quelle élaboration dans cette proposition subversive en profondeur, dans cette contestation réelle de la culture bourgeoise. C’est une tempête protestatrice, un cri, mais ce n’est pas improvisé: c’est tout à fait au point et admirablement joué par une équipe sans faible, où chacun sait être grotesque ou terrible. Spectacle novateur, fera-t-il école?
Si Savary montait LA NOCE, voyez-vous, je crois que ce serait un peu comme ça!
Serait-ce mal? Dites? Serait-ce mal?

en tout cas, je me suis engoufré au service de cette extraordinaire réussite. Nous l’avons tournée avec succès.

- Le THÉÂTRE MOBILE de Genève nous apporte sous le titre WESTERN un spectacle gentiment contestataire, parfaitement bon enfant et tout à fait divertissant quoique pas d’un niveau à mettre le feu au lac.
Nous, spectateurs, sommes censés être les clients d’un saloon où s’affrontent tous les archétypes du genre depuis le pasteur, l’instituteur, le sheriff et le riche propriétaire de la ligne de chemin de fer, jusqu’au justicier et à l’Indien. L’hypocrisie de ceux qui détiennent le pouvoir capitaliste est stigmatisée et à la fin fin un duel oppose le défenseur de l’ordre à celle de la vraie justice. On fait voter les spectateurs pour savoir s’ils veulent une fin optimiste ou une fin pessimiste. Moi, j’ai vu la fin optimiste, où le peuple triomphe et où la Révolution s’installe au milieu des réjouissances.
Je me demande s’il y a vraiment en réserve une fin pessimiste! En vérité, je pense qu’à Genève, le spectacle doit être plus subversif qu’ici, car l’oeuvre (collective) est conçue en référence à des événements locaux.

Publié dans histoire-du-theatre

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