Du 2 mai 1991 au 29 janvier 1992
02.05.91 - Je n’ai pas parlé de L’ÉTRANGER de Camus à Fort-de-France parce qu’il n’y avait pas grand-chose à en dire.
Fanny Auguiac est une bonne organisatrice. Les quatre représentations qu’elle a achetées pour sa salle du CMAC, dont l’épitaphe « foyer » dit bien l’origine, étaient pleines à craquer, deux d’entre elles, il faut le préciser, de scolaires peu enclins à respecter l’univers de Camus. Elles furent galères pour les comédiens. Fanny Auguiac a fait du chemin depuis le temps où la mairie de Fort-de-France stigmatisait en elle les « spectacles de la Préfecture ». Il est vrai qu’entre-temps, elle s’est mise à représenter un pouvoir de gauche, et non plus de droite comme lors de son arrivée.
Quoi qu’il en soit, elle a pu cette année organiser avec le Centre Dramatique Régional d’Elie Pennont une table ronde, prélude à des « états généraux » sur le théâtre dans les Caraïbes. J’ai été chargé de besogne, à savoir, expliquer à ces messieurs et dames que le marché français était super encombré ; je leur ai suggéré d’ouvrir en Avignon pendant le festival un espace « Caraïbes », où on mangerait du boudin créole en buvant du Planteur, où on écouterait de la musique créole (dans ce domaine ils font le poids), et où on donnerait des spectacles. Bien sûr, ai-je ajouté, ils faudrait qu’ils soient extraordinaires au sens littéral… Mais ça n’inquiète pas Elie Pennont, qui va monter prochainement LA TEMPETE, version Aimé Césaire. Il est sûr de son génie. En tous cas, maintenant, ils brodent tous dans leurs têtes. Moi, j’ai fait un tabac très personnel.
Et, je dois l’avouer, mon séjour en Martinique a été reposant en ce sens que le pays est magnifique. On y trouve toutes les commodités occidentales. Il y a des pauvres, certes, mais pas des miséreux et, je ne sais pas si on apprend aux enfants que leurs ancêtres les Gaulois avaient les cheveux blonds (je ne le crois pas), en tout cas ils sont tous scolarisés et on n’en voit aucun mendiant ou exerçant des petits métiers dans la rue. Et puis, ce colloque a été fructueux en liens établis, par exemple Syto Cavé, que je ne connaissais pas… ou rétablis, comme Marie-Hélène Falcon, directrice canadienne du Festival des Amériques qui a convenu qu’il faudrait bien que nous fassions quelque chose ensemble.
L’arrivée en Haïti m’a remis les pieds sur terre : nous étions là depuis une demi-heure dans la salle de livraison des bagages de l’aéroport de Port aux Princes quand, enfin, Monsieur Minetti, sous-directeur de l’Institut Français, s’est pointé. Entre-temps, j’avais essayé de téléphoner, mais le téléphone ne marchait pas. J’avais arpenté le trottoir, par trente-trois degrés à l’ombre, demandant à tous les véhicules qui paraissaient avoir été envoyés par lui si c’était le cas. J’avais eu largement le temps de m’énerver et je le lui ai fait sentir, ce qui ne lui a pas plu. Là dessus, il nous a emmenés à son institut et Jacky a été obligé de poireauter deux heures en attendant que le comptable veuille bien se pointer pour payer les défraiements. Quand il lui a été demandé s’il rembourserait les visas, il a eu l’audace de répondre que ce n’était pas dans le contrat. « Et pourquoi pas le test sur le sida ? ». Vous voyez la classe. Pendant qu’on glandait, le Directeur, Vandercruisse (ou quelque chose comme ça), est venu voir, en ayant bien l’intention qu’on lui réponde que « oui », si tout allait bien. C’est le sosie de Robert Georgin avec constamment à la bouche une pipe. Sa femme fait fonction de relations publiques. Elle a arrangé pour demain trois interviews radio et deux TV, dont une en scène jouée. Je dois dire que les gens du THÉATRE EN PIÈCES sont vraiment en or, car ils s’exécuteront sans rechigner, et même avec une bonne humeur, tandis que Jacky et Béatrice Rousseau s’échineront à un montage difficile avec l’aide d’un personnel disparaissant sans cesse et se demandant visiblement pourquoi il fallait se donner tant de mal. Le soir, cent cinquante spectateurs environ, bien sapés, à dix-huit heure trente, assisteront avec recueillement au spectacle, et lui feront, à la fin, un accueil très chaleureux.
J’ai pris quelques photos de l’Hôtel Olaffson, parce que c’est une assez extraordinaire bâtisse en style colonial, dont les chambres ont été, au fil des ans, occupées par des hôtes illustres. Graham Green y a écrit, paraît-il, quelques œuvres en contemplant de sa terrasse une végétation luxuriante, écran bien utile pour séparer les hôtes privilégiés de ce palais (au demeurant assez inconfortable si on s’en tient aux étoiles NN de notre temps, mais le cadre vaut qu’on passe sur des robinets fantaisistes et des ampoules vacillantes, voire fréquemment en panne), d’une réalité haïtienne vraiment monstrueuse. La misère de ce peuple vous saute à la gorge dès la route entre l’aéroport et la ville, avec au bord des bidonvilles d’immenses tas d’ordures accumulées, brûlant vaguement en lâchant une fumée grisâtre. Juste à côté, des femmes vendent des nourritures en chassant vaguement des essaims de mouches. Ca vous atteint d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un quartier isolé, mais de l’ensemble de la ville basse, celle qui, quand il pleut, reçoit en prime les déjections de la ville haute qui dévalent comme elles peuvent en l’absence de tout-à-l’égout. C’est dans cette ville basse, sorte d’énorme marché aux puces (sans folklore), qu’est situé l’Institut Français, « mal placé » par rapport à sa clientèle qui habite plutôt, tiens donc, sur les hauteurs (qui sont réellement hautes). L’hôtel Olaffsonn est à mi-pente. La seule note un peu gaie, ce sont des petits autobus très brillamment coloriés, et qui, tous, sont « baptisés » du genre de « Dieu t’aime », « Souviens-toi que tu es poussière », « Dans la main du Seigneur », « Dieu est ton maître », j’en passe et des meilleurs, l’obscurantisme chrétien est ici à la fête permanente.
Après la soirée du vendredi 3, Monsieur Vandermachin s’est fendu d’une invitation à dîner pour la troupe, et pour une bande de cinéastes africains qui participent, dans son Institut, à une « semaine du Cinéma Africain », dont le programme m’a paru intéressant. Cela m’a valu de faire la connaissance d’un gros Monsieur très sympathique, qui est l’auteur du film « De Hollywood à Tamanrasset ». Je lui ai dit tout le bien que je pensais de son film. Il était très content.
Samedi matin, la troupe se met en veine de faire ses achats pour les cadeaux. Nous marchons dans un soleil qui devient au fil des heures de plus en plus redoutable.
La première halte est pour un musée de l’art haïtien qui est surtout une boutique de vente, tenue, étonnez-vous, par une dame toute blanche au verbe haut. Nos amis auraient pu y trouver tout ce dont ils avaient besoin, mais nous fûmes rejoints par Patrick Potot et sa nouvelle conquête, un beau Noir nommé Frédéric, qui affirme posséder un château dans le Poitou-charentes et vouloir y monter un festival avec au programme LA TRAGÉDIE DU ROI CHRISTOPHE. Et ce mentor nous entraîna au Musée de l’Histoire d’Haïti, très bel endroit qui jouxte le Palais Présidentiel, très instructif bien sûr, et de là au marché des artisans, où nous nous trouvâmes plongés dans une ambiance de type souk arabe à la puissance dix tant il y avait de gens serrés les uns contre les autres, qui tous avaient quelques chose à vendre. Des choses curieuses d’ailleurs, allant de la peinture naïve à des objets grossiers peinturlurés sur métal ou sur papier mâché. Haïti aurait été le paradis pour le Douanier Rousseau. Malheureusement, on ne pouvait rien contempler. L’agression finissait par devenir obsédante. Nous avons fui, nous frayant un passage dans des allées super étroites, jusqu’à ce qu’un taxi brinquebalant veuille bien nous charger tous les cinq et nous ramener dans le havre de l’hôtel Olaffson. Certains avaient les bras très chargés d’objets, dont je me demande ce qu’ils en feront une fois rendus à Paris. Il faut dire que dans ce marché les touristes n’étaient pas légions. C’est la raison pour laquelle nos cinq gueules blanchâtres ont déchaîné tant d’empressements.
Je suis resté à l’hôtel, cette soirée du samedi, pendant que la troupe jouait cet ÉTRANGER que je vais finir par savoir par cœur. Ils sont remontés vers vingt-et-une heure trente, contents d’avoir eu, cette fois-ci, une salle pleine (le bouche-à-oreille a donc bien fonctionné) et chaleureuse.
Les Directeurs de l’Institut se sont excusés : il y avait à l’Ambassade une réception en l’honneur de Monsieur Péteuil, du Ministère de la Coopération, en tournée d’inspection.
RETOUR EN FRANCE
Vers le 15 mai, j’ai fait un saut à La Villette pour voir RADIX, cette coproduction franco-soviétique qui avait déplacé tant de structures au niveau du soutien. Bizarre comme les gens se laissent doper par les discours d’un type, plus entreprenant pour faire mousser son projet qu’habile à le réaliser. La liste des partenaires financeurs est impressionnante. Résultat : ce que les Allemands appellent une « bunte Abend », soirée colorée, avec un petit peu de tout, sauf qu’ici, il est clair qu’ON a eu les moyens. Une seule chose intéressante : un coureur qui, pendant toute la soirée, court un marathon devant un travelling sans césures de la ville de Leningrad. On finit pas ne plus regarder que ça.
29.05.91 - Les Piétons présentent à IVRY une réflexion en images et en son de ce qu’est la ville. Un peu du projet sur LA FOULE dont avait rêvé Michèle Guigon, peut-être. On pense aussi à Star – Job, à un certain automatisme gestuel par moments. Vingt personnes, garçons et filles, vont et viennent devant une palissade et font et refont des gestes et des choses comme dans HELTER SKELTER qu’on évoque aussi. Beaucoup de réminiscences, donc, quand on voit ce spectacle trop long mais beau, qui fait souvent rire, mais qui comporte des banalités, comme cette scène sur la plage qui est hors du sujet, où l’on voit un avion mitrailler les baigneurs de soleil.
Ca s’appelle ESCALE À BABYLONE, une « pièce » de Jean-Marie Maddeddu, qui s’est attribué un rôle de flic au sifflet impératif. Une ambitieuse tentative qui laisse le spectateur un peu sur sa faim. C’est dommage, on n’est pas loin d’une grande chose.
05.06.91 - Lille - Enfin j’assiste à une représentation du Théâtre de Prato. Ca s’appelle VARIETA. L’origine de l’appellation est la même que celle qui avait inspiré les MACLOMA il y a quelques années.
Le jour où Gilles Defacque apprendra à moins éclater ses improvisations, qui rendent son spectacle pesant et interminable, au moins pour un non Lillois comme moi car le public du crû paraît prendre son pied à ses méandres pleins d’expressions locales, il aura, je crois, en main, quelque chose de très bien, et surtout, ce qui m’a surpris, au niveau des textes qui sont d’une très jolie plume, fins en diable, drôles à souhait et cependant tendres. Je n’ai pas regretté le voyage à cause de ces perles, malgré, par moments, une forte irritation.
08.10.91 - Je n’ai pas été convaincu par la lecture du MISANTHROPE de Christian Rist à l’Athénée. D’abord, parce que rien ne me paraît justifier qu’on joue la pièce en costumes d’aujourd’hui. L’alexandrin, le discours, les caractères, le procès qui est fait à Alceste et même le comportement de l’allumeuse Célimène, veuve à vingt ans, tout situe la pièce dans son époque et le déracinement temporel est gratuit. Et puis le décor de Rudy Sabounghi fait de cadres dans lequel on n’a pas accroché les portraits, m’a paru, quoiqu’il ne soit pas laid, trimballer une symbolique simpliste. Ajoutez à cela que le générique prend soin de préciser qu’Irène Jacob a été prix d’interprétation à Cannes 91. Je me demande bien avec quoi car je l’ai trouvée nulle en Célimène, inexistante, fade, sans aucun brillant. Sans doute, en la choisissant, Christian Rist a-t-il songé à ces petites nanas du show-biz qui trimballent une idiotie visible et qui couchent à droite et à gauche pour passer le temps. Mais Célimène, c’est bien autre chose. Sans l’éclat, on la trahit et c’est le cas ici. Seuls à tirer leur épingle de cette ennuyeuse soirée, Christian Rist lui-même, qui est un honnête Philinte, et Serge Lelay qui incarne un Oronte très classique avec un bon brio. Philippe Müller en Alceste n’existe guère.
09.10.91 - Patricia Niedzwiecki est, comme son nom ne l’indique pas, un auteur belge. Elle a écrit un texte qui se veut une réhabilitation de Marie-Antoinette, Reine de France. Bernard Debroux, Directeur de la Maison de la Culture de Namur, a voulu infléchir le propos. Il s’agit, selon lui, d’un spectacle sur la femme, les femmes. Nicole Colchat, qui incarne MADAME ANTOINE avec talent, essaye de l’aider à porter sur l’héroïne un regard « critique et actuel ». J’ai appris quelques détails historiques sur le couple que formait l’Autrichienne et Louis XVI. Je ne me suis pas trop ennuyé. Je n’ai pas perçu de discours général sur la femme. (Centre Wallonie-Bruxelles)
10.10.91 - Le titre « LE TEMPS ET LA CHAMBRE » indique exactement la propos de Botho Strauss. Les gens qui vont et viennent dans cet espace conçu par Richard Peduzzi n’existent que pour ce qu’ils font dans ce lieu, le temps de leur séjour. D’où surgissent-ils quand ils y entrent, où vont-ils quand ils en sortent, et d’ailleurs sont-ils toujours les mêmes ? Oui, sans doute, pour ceux qui ont un nom, Julius et Olaf, Franck Arnold, et surtout Maria Steuber, dont on découvrira à la fin que cette maison était probablement la sienne… au moment où elle la quitte. Mais Julius et Olaf y paraissaient pourtant bien installés. Parbleu : Julius et Marie ont sans doute été ensemble jadis, mais elle est partie et Julius s’est mis avec Olaf. Homosexuellement ? Rien ne l’indique mais c’est probable. « Peut-être, sans doute, probable ».
Le spectateur est entraîné dans une série de scènes, dont certaines sont des joyaux en soi, dont le thème est la fragilité, l’incertitude, l’incommunication. Anouk Grinberg est superbement Marie Steuber. Elle est le pilier du va-et-vient, présente pratiquement dans toutes les scènes, drôle, vibrante, présente. Je raconte son arrivée. Julius (Bernard Verley) et Olaf (Pascal Gréggory) sont enfouis dans des fauteuils. Julius commente ce qui se passe dans la rue et c’est le premier morceau de bravoure d’un texte qui en comportera bien d’autres. Il décrit entre autres une fille dont la tenue lui paraît indécente. Et voici que la fille surgit. Elle a tout entendu du trottoir. Elle est furieuse. Elle devait être attendue à l’aéroport. Mais elle était impatiente. Alors au lieu d’attendre sa valise, elle a pris n’importe laquelle, et au lieu d’attendre l’homme qui devait venir la chercher, elle est partie avec n’importe lequel. Le ton est donné. Arrivent alors « l’homme sans montre » (Marc Betton), « l’impatiente » (Bulle Ogier), « l’homme au manteau d’hiver » (Jean-Pierre Moulin, qui aura plus tard avec Marie une scène grandiose, quand elle se jette à son cou et qu’il ne comprend pas que ce puisse être pour lui-même, tant il se sent laid. Ce ne peut donc être que pour son « petit » pouvoir de donner un « job »), « la femme sommeil », et le « parfait inconnu ». Un vrai capharnaüm autour d’une colonne qui, elle-même, cause à l’occasion. La scène se répètera une deuxième fois. Marie Steuber aura trouvé à l’aéroport l’homme qui l’attendait. C’est Franck Arnold (Roland Blanche) qui l’amène timidement dans cette chambre. Et elle est prête à dormir dans le même lit que lui, mais il n’ose pas. Sa timidité est touchante.
Y a-t-il une Marie Steuber dans la vie de Botho Strauss ? Difficile de ne pas le penser : on n’invente pas ce modèle de femme. Et pourtant, que je la sens évidente. Elle a recoupé ma sensibilité.
Autre question, est-ce Patrice Chéreau qui a voulu que tous les hommes de sa distribution soient mûrs ou âgés en face de Marie, jeune et vivante, mais aussi de « l’impatiente » épanouie et de la « femme sommeil » très désirable ? Patrice Chéreau signe là une très belle mise en scène. Son art de la mise en place des acteurs ne s’est pas amoindri et aucun ne paraît jamais en rade, en dépit de longs silences lorsqu’ils ne sont, très fréquemment, que témoins d’actes des autres. Lorsqu’ils forment des groupes, c’est toujours un tableau.
Bref, une grande soirée qui rend rêveur.
14.10.91 - Après avoir pendant cinq minutes sacrifié à ce qui commence, me semble-t-il, à ne plus être à la mode, à savoir qu’il y a sur la vaste scène du Théâtre des Amandiers de Nanterre quatre messieurs vêtus de noir et se ressemblant comme des frères, qui murmurent le poème de façon aussi inaudible que possible, Jean-Pierre Vincent nous offre avec son FANTASIO un spectacle plein de santé. Certes, le dispositif, un gigantesque piano à queue, sous lequel évoluent les personnages, qui a été conçu par Jean-Pierre Chambas, m’a personnellement semblé gratuit. Peut-être voulait-il symboliser quelque part le Romantisme. En tous cas il n’est pas gênant. La distribution est excellente. N’est-ce pas l’essentiel ?
Et nous avons droit à des acteurs qui jouent leurs rôles sincèrement. Remarqué surtout Claude Bouchery, merveilleux roi de Bavière, Madeleine Marion, excellente gouvernante, et François Clavier, ambigu Duc de Mantoue. Sans doute les ai-je distingués parce qu’ils m’ont fait rire. Il faut pourtant rendre hommage à Philippe Uchan (Fantasio) et Etienne Lefeulou (Spark), qui ont su nous livrer la fameuse scène de toutes les auditions avec une fraîcheur savoureuse.
Mais la mélancolie du propos n’a pas débouché sur l’émotion. Le spectacle « passe » facilement, mais sa dimension essentielle, celle d’une jeunesse qui se perd dans l’inaction, sans rêves concrets, sans illusions, révoltée mais sans projet, est édulcorée. Même quand Fantasio, grimé en bouffon, lâche quelques piques qui dénoncent l’ordre social, c’est traité avec légèreté, l’effet étant recherché pour l’effet en soi. Mais bon, on est sortis contents. Savary aurait-il pu monter FANTASIO autrement ? Je me le demande.
15.10.91 - Plus misogyne que ça, tu meurs. Dans DES BABOUINS ET DES HOMMES, mis en scène par Jean-Louis Hourdin d’après Albert Cohen, la femme n’est pas désignée autrement que comme l’idiote. L’idiote parce que, selon ce schéma, elle est crédule, et fantasme ses rapports amoureux. Elle préfère l’amant au mari parce qu’elle ne vit pas avec le premier au quotidien. Elle imagine des différences là où il n’y en a pas. En somme, elle est victime permanente par sottise. Bien sûr, on peut retourner le discours. Le cynisme de l’homme est certes exposé avec complaisance, mais il recèle sa propre critique. L’homme est un salaud, en somme. La femme aime, mais LUI ?... À la fin, l’ensemble m’a semblé refléter un certain mépris pour ces babouins que sont les hommes. Ici, j’englobe les deux sexes et je crois qu’il faut toujours réfléchir sur la très grande jeunesse de l’aventure humaine sur cette terre. Quelque part, ce discours à deux, quête mutuelle de quelque harmonie toujours introuvable, m’a fait repenser à ces quatre à six mille ans qui sont si peu de chose par rapport à l’ancienneté de ce monde. Et c’est une source d’optimisme, car que serons-nous devenus dans quatre ou six mille autres années ? Dommage que nous soyions si éphémères.
François Chattot est engoncé dans un ample manteau qui cache une échelle sur laquelle, à divers niveaux, se perche Clotilde Mollet. Il dissèque le texte, l’articule, l’assène. Elle est plus fine, plus délicate, liane tendre et même un peu acrobatique. Difficile de la trouver idiote. Au niveau de l’interprétation, c’est un spectacle parfait, d’une grande économie de décor de surcroît. Un environnement noir nu suffit. Je crois qu’il me faut pénétrer dans « le monde d’Albert Cohen ».
20.10.91 - Hélas ! Hélas ! Hélas !... Qu’est devenu le Savary d’antan ? MARILYN MONTREUIL, dont je n’ai vu que la première partie, est un spectacle débile au niveau du texte et du contenu, médiocre au niveau de la musique, pauvre au niveau de l’environnement… Curieusement, on sent un produit fait à l’économie. Bref, assez de discours, c’est nul. D’ailleurs la salle n’était pas pleine, c’est un signe, camarade, reprends-toi.
22.10.91 - Revu LE BOUFFON ET LA REINE au Ranelagh. Bolek est toujours magnifique. J’espère, vraiment, qu’il va trouver à Paris le succès qu’il mérite. Les méthodes de Madona Bouglione sont, au niveau de la promotion, inquiétantes. Elle n’a pas d’argent. Si j’étais croyant, je ferais des prières…
23.10.91 - Les MACLOMA sont au TRISTAN BERNARD. Joli théâtre, vétuste avec charme.
Ils ont retravaillé leur « TRIO » et il y a plein de nouveautés dans leur spectacle. Que dire ? Globalement, c’est bien… Ou plutôt, ce n’est pas mal. Il y a des numéros séduisants… Et puis, Guy est quand même un grand acteur. Mais des scories restent : Philippe est faible en cantatrice. Le numéro de la prise de courant est repris de DARLING DARLING, mais il est moins signifiant. Son passage en avion pendant le numéro du piano défiant les lois de l’apesanteur est médiocre et surtout cousu de corde à puits : il s’agit de bloquer Guy au moment où il va, croit-on, commencer à nous livrer quelques notes sur son violon délabré… Je maintiens que la séquence de la bonne sœur qui chie et du seau qui inonde d’immondices la tête de Guy n’est pas intéressante. Bon Dieu, pourquoi tiennent-ils tous tellement à ce pipi caca sans envergure ? La fin, avec la destruction du dispositif, est intéressante au niveau de la conception mais laborieuse à celui de l’exécution. Alain, comme d’habitude, est modeste par rapport aux autres. N’empêche que son apparition en Grock est riche de poésie. Bon, cela dit, ce n’est quand même pas mal. Je n’ai pas honte de ma collaboration avec ces têtus pleins de talents et de blocages. Il leur faudrait un metteur en scène.
25.10.91 - J’avais différé de parler du spectacle d’Ewa Lewinson, L’AMOUR… suivi de NUIT DE NOCE, parce que je ne voulais pas écrire n’importe quoi sur ce discours « soviétique » en deux périodes, et voici que le hasard m’a apporté une justification à ce délai.
Je suis allé à Liège assister à une représentation de LA PUNAISE de Maïakovski, transformée en « opéra populaire » par O. Koudriachov sur une musique de V. Dachkevitch. Disons-le très vite, c’est un magnifique spectacle, un de ceux qui te font deux heures et demi durant nager dans le bonheur, avec des trouvailles permanentes, une troupe qui sait tout faire et tout faire bien, chanter, danser, jouer, sous une mise en scène vigoureuse, rigoureuse, mouvementée, rythmée, sachant isoler l’individu au milieu d’un ensemble…
Mais là n’est pas la question : ce que Maïakovski dénonçait… en 1922, 1923, pendant la période de la NEP, l’impossibilité pour un couple de vivre SA vie de couple dans un contexte où le POUVOIR s’arrogeait tous les pouvoirs, mais où les démerdards trouvaient toujours à se démerder, c’est exactement ce que cinquante ans plus tard, à peine autrement, raconte Ludmilla Petrouchevskaia.
Et dans le spectacle modeste (car l’autre a l’air richissime à la soviétique, ils sont vingt sur la scène) d’Ewa, il est étonnant de voir qu’après la Perestroïka qui a permis à l’auteur d’écrire son deuxième volet, rien, ou pas grand-chose n’a bougé dans ce pays qui est étouffé par la bureaucratie, dont il est erroné de croire qu’elle soit le fruit du communisme : relisez Gogol, LE RÉVIZOR… L’URSS a hérité des structures tsaristes… et c’est contre ces structures que se bat aujourd’hui (je crois) un Gorbatchev. Bon vent camarade ! La lutte sera chaude.
Revenons au spectacle d’Ewa Lewinson. Elle écrit : « L’avenir radieux s’annonce sombre, mais la comédie garde sa force. Et à la fin de cette nuit qui dure deux heures et demi et treize ans résonne timidement la déclaration d’amour ». Dans LA PUNAISE, celle d’Yvan pour Zoé passe par la lâcheté de l’homme qui choisit, mais s’en repent, la facilité du confort et par le suicide de la fiancée trahie. Si Ludmilla Petrouchevskaia écrit un troisième volet, aura-t-elle un autre choix que de laisser son héros, ou son héroïne succomber à une tentation… et si nous la qualifiions d’occidentale ?
27.10.91 - Geneviève de Kermabon avait avec Freaks réuni une bande assez étonnante de ratés de la nature, qui tous s’étaient fait un trou dans la vie grâce à une volonté quelque part admirable. L’exhibition qui tenait lieu de spectacle était assez dérangeante, voire insupportable, mais il y avait des performances qui frappaient l’imagination, et on pouvait se dire que le fait de montrer ce qu’ils savaient faire était bénéfique pour ces déshérités. La démarche de cette jeune femme ne m’avait pourtant pas semblé très saine ; et c’est cette impression que je retrouve accrue avec son nouveau produit qu’elle présente à Gémier : MORITURI, ou « Mes Marins dans l’arène ». Disons tout de suite que rien ne justifie ce titre, si ce n’est que les cadavres de jeunes femmes s’accumulent, un étrangleur, au demeurant charmant d’apparence, fréquentant le bistrot… (c’est le programme qui dit que c’est un bistrot) où les disgraciés sont, cette fois-ci, en minorité. Il n’y a que le petit homme tronc très poétique dont FREAKS avait fait une vedette, et qui se livre, ici, à une stance sur sa malformation d’un racoleur qui m’a gêné. À part lui, et, si on veut, une grosse dame (mais enfin est à deux jambes, deux bras, une poitrine et tout ce qu’il faut), ce sont des êtres normaux qui s’agitent en paroxysme près de deux heures durant pour ne me tenir aucun discours cohérent. Ca n’a ni queue ni tête. C’est chiant à la longue. Bref, c’est très mauvais.
28.10.91 - Le Théâtre des Déchargeurs est un lieu convivial. La hall a de l’atmosphère. Il faut le dire, ce n’est pas si courant.
Vicky Messica incarne, seul, dans un environnement d’écrivain sans surprise, BLAISE COMME CENDRARS, ce qui signifie qu’il dit des textes de cet auteur, des poèmes, et aussi de la prose, celle qui raconte la vie et surtout les tentations de mort du personnage. Dirigé par Philippe Azema, je l’ai trouvé trop confidentiel dans la première partie, mais convaincant dans la seconde. Il est vrai que la MORT est un thème qui ne laisse pas indifférent, même quand il baigne dans l’aliénation de l’enculturation judéo-chrétienne, ce qui, hélas, est le cas.
31.10.91 - Revu « Le Bouffon et la Reine ». Je fais toujours des prières pour que ça décolle. La presse vient et paraît. Il y a du public… enfin, ce n’est pas bourré, « ça monte », comme on dit.
Mais j’ai peur que Bolek n’ait pas compris le rythme parisien. À côté de moments très forts, il y a des scories, où ça traîne. Et surtout, pourquoi s’étale-t-il au point de le répéter dix fois, sur le fait que la Reine « ne maîtrise pas la langue française » ? D’une façon générale, je n’aime pas trop quand il fait des astuces parlées. Pour un Tchèque, ça doit être exaltant de connaître une langue au point de savoir le sens de « être à côté de ses pompes », mais franchement, ça ne vole pas trop haut quand il le fait. Je crois que ce BOUFFON ET LA REINE est tellement ancré dans son habitude qu’il y navigue à vue sans assez de rigueur, et c’est dommage car on passe à côté du très grand spectacle, du fait de complaisances et de facilités. Que ne se jugule-t-il ? Chantal Poullain par contre, figée dans quatre ou cinq attitudes dont elle ne peut se départir sous peine de perdre son personnage, tient la route avec fermeté. N’empêche que, même elle, vit le spectacle en routine, comme si, quelque part, tout y était gommé, estompé ! Ramolli ! Il n’y a plus de surprises.
06.11.91 - Le SIROCCO THÉATRE est invité par le Campagnol et présente LE BOUC de Fassbinder, dans une mise en scène d’Anita Picchiarini. Au début, j’ai craint que la réalisation ne soit très sophistiquée, car la mise en place des personnages devant une sorte de rideau d’avant-scène palissade était extrêmement lente. Cette lenteur se retrouvera tout au long du spectacle, au demeurant court, mais elle finira par me sembler nécessaire à l’installation de la violence.
On connaît le sujet. Le « bouc » est un immigré turc, un des premiers sans doute car l’immigration telle que l’éprouvent les loubards de Fassbinder ne semble pas encore être banalisée : les bougres découvriront que cet étranger est à la fois un (trop) bon ouvrier et un (trop) gaillard baiseur. Le racisme passe par les machos cocufiés et les nanas éconduites par le « bouc ». On va donc lui couper les couilles.
L’œuvre comme la mise en scène laissent planer un doute sur la concrétisation de la chose. Mais l’atmosphère lourde des prémisses de la violence est bien montrée. Anita a réalisé là un spectacle utile qui pose opportunément une grande question contemporaine, et elle l’a fait avec une grande maîtrise.
09.11.91 - Dominique Pitoiset est quelqu’un qu’on aime bien en haut lieu culturel. Je n’avais jamais vu son travail. J’ai donc jugulé ma crainte d’une longue soirée shakespearienne et je suis allé, en voisin, à l’Athénée, où il présentait Timon d’Athènes.
L’œuvre est singulièrement simpliste : le brave bourgeois Timon tient table ouverte. Sa générosité est sans borne, ses amis sont innombrables. Et puis, la fortune l’abandonne et il ne rencontre plus qu’ingratitude auprès de ceux qu’il a comblés de bienfaits, tandis que les huissiers le traquent en un temps où le crime de dette entraînait la peine de mort ! Le voilà donc en fuite dans un désert, le cœur gonflé de rancœur et d’esprit de vengeance. L’or, qu’il trouve dans le sol qu’il racle pour chercher des racines, l’aidera à assouvir ces desseins, mais sans esprit de retour.
Pitoiset a choisi Hervé Pierre pour incarner Timon. C’est un acteur replet, pour ne pas dire un petit gros. Il fait très « bourgeois ». Je pense que c’est un parti. À part Nadia Fabrizio qui joue son intendant (sans doute le choix d’une femme a-t-il été dicté par la tendresse que voue cet esclave à son maître), la distribution est exclusivement masculine.
Le décor d’Alain Chambon fait très « décentralisation ». C’est une boîte cyclo rigide qu’on peut poser telle quelle sur un praticable, à l’intérieur duquel il y a la terre que grattera le devenu misanthrope. À l’entracte, on enlève les plaques de bois qui forment le sol de la maison de Timon du temps de sa richesse, et voilà l’astuce bonne pour les tournées. Le même Alain Chambon, aidé d’Évelyne Poisot, a inventé des costumes sobres et austères qui ne sont d’aucune époque, sauf justement celui de Timon.
L’entreprise se laisse voir et entendre, mais il n’y a pas de quoi se battre les flancs. Elle s’intègre dans le cycle que Josyane Horville consacre à la misanthropie. Ce choix aurait-il à voir avec les états d’âme de la directrice ?
14.11.91 - À la Rotonde de Melun-Sénart, Jean-Luc Paliès propose le DON JUAN D’ORIGINE de Louise Doutreligne, d’après Tirso de Molina en deux versions : une française avec un peu d’espagnol, une espagnole avec un peu de français. Il y a donc deux Don Juan, ou plutôt deux Don « Juanes », car la distribution est intégralement féminine, la représentation étant supposée être donnée par les Demoiselles de Saint-Cyr en l’honneur de Madame de Maintenon, patronne du lieu, dont il s’agit d’égayer les vieux jours.
Je n’ai vu, bien sûr, que la version française et je confesse y avoir pris quelque plaisir. Ces jeunes filles sont charmantes, fraîches, joyeuses. Leur entrée en jeu sont fort bien orchestrées par deux gamines extrêmement sérieuses qui mettent en place sur l’escalier en spirale, qui sert d’aire de jeu, les quelques objets nécessaires. Jean-Luc Paliès a mené rondement, vivement son affaire, au moins dans la première partie. La deuxième, avec l’apparition du commandeur, est un peu plus pesante. Le DON JUAN de Tirso de Molina est également un peu diffus, moins clair que celui de Molière, avec un « Sganarelle » qui manque gravement : le contrepoint à Don Juan existe, mais sans une présence constante et vigoureuse. Mais bon : ce contact est utile et bienvenu. Et puis encore, c’est un bon spectacle…
23.11.91 - De spectacle en spectacle, j’ai assisté à la dégradation de LA MIE DE PAIN. STAR JOB contenait un discours sur le sort réservés aux jeunes de notre temps qui tombait à point et certains moments étaient forts, mais déjà une certaine complaisance au scatologique et, il faut bien le dire, à la vulgarité, entachait le propos qui n’en avait pas besoin pour délivrer son message d’un monde impitoyable, où seuls surnagent les plus féroces des battants. À laisser chacun s’exprimer devant l’examinateur supposé avec sa nature profonde, Yves Kerboul n’a pas fait son métier de flic juguleur. Il a trop laissé s’exprimer d’une manière au-dessous de la ceinture certains acteurs, à qui il aurait fallu vigoureusement interdire l’expression d’une libido sans universalité.
Il a été encore plus faible avec LES PLOMBS D’OR. Déjà, le thème retenu était loin d’être aussi intéressant que le précédent. Mais bon, la notion provocatrice en ces temps écologiques, d’un trophée délivré au chasseur le plus méritant n’était pas insignifiante. Hélas, dans le spectacle, l’argument est à peine une toile de fond. On n’a pensé qu’à faire rire, ce qui est le meilleur moyen de ne pas y parvenir, à travers des gags qui sont tous tellement téléguidés qu’on en connaît la chute à tous les coups d’avance, ce qui les désamorce. Le seul qui m’ait surpris, c’est quand le projecteur dans lequel on a mis le poulet à rôtir s’enflamme, parce que, on s’attend bien à ce que le poulet crame, mais pas à ce qu’il foute le feu au four ! Comment est-il possible qu’un vieux routier comme Kerboul ne leur ait pas dit qu’un gag attendu n’en est plus un…
Et comment a-t-il pu laisser Laurent Carovana incarner ce personnage repoussant et repoussoir de chef machiniste feignant, vicieux, glouton, odieux, caricature outrée de personnages existant certes, mais pas à ce point, et n’étant de toute manière connus que d’un certain nombre de professionnels de notre bord. Ici, la vulgarité est poussée à son comble, elle rase le dessous des pâquerettes. Je la trouve sans intérêt aucun. De surcroît, elle ne provoque chez moi aucune répulsion, ce qui serait une qualité. Je la contemple navré, c’est tout.
Gérard Chabanier a quelques bons moments quand il sniffe n’importe quelle poudre et s’éclate ensuite avec tout ce qu’il sait faire. Mais son burlesque vire vite à l’agitation. Stéphane Gallot, en Arabe souffre-douleur esclave obéissant mais qui ne fait jamais rien comme il faudrait, a plus de consistance dans son personnage. Il tire une petite épingle de ce jeu digne des plus médiocres cafés-théâtres. Son appétit de culture est estimable, et l’assassinat par lui de la poupée Desdémone à la fin pourrait être un grand moment si ce qui précède ne le desservait pas tant.
Ajoutons que le texte est important dans ce spectacle. On y cause beaucoup, sans poésie, sauf en citations. Quand Gérard commence son discours, on espère un instant qu’il le rendra quelque part inintelligible, qu’il y aura une transposition. Mais non. À part qu’il parle vite, on comprend tout.
Bref ce « produit » n’est ni fait ni à faire, et surtout il rend éclatant le fait que LA MIE DE PAIN a perdu ses meilleurs éléments : Élisabeth Cauchetiez qui avait tant de poésie, Philippe Barrier qui trimballait son contrepoint lunaire sur le burlesque.
14.01.92 - Le seul lien entre les scènes de CARTON PLEIN, c’est le rapport entre les deux locataires de ce lieu étrange où ils habitent, l’un, petit, qui ne sort jamais et reste en permanence vêtu de son pyjama, l’autre, le grand, sapé comme pour une soirée et qui, entre deux séquences, est supposé faire des courses. Le petit, c’est Maxime Lombard, le grand, Bruno Raffaelli. Serge Valetti, l’auteur, a voulu que le petit ait pouvoir sur le grand, qui lui obéit avec bonne volonté. Gabriel Monnet, vieux routier de la mise en scène honnête et efficace, les a dirigés en laissant leurs natures s’exprimer. Maxime Lombard est bien. Bruno Raffaelli est remarquable.
L’œuvre est comme toutes celles de Valetti, faite de touches drôles et sensibles. Deux sketchs se détachent, celui des compères au début qui cherchent à se rappeler le nom de leur propriétaire, et celui de l’emballage laborieux d’une œuvre d’art qu’il s’agit d’envoyer à un concours. Une soirée qui ne cherche pas midi à quatorze heure, mais qui est bien plaisante.
15.01.92 - Jean-Claude Penchenat propose en trilogie un cycle consacré « à la comédie », qui commence par un assemblage appelé « comédies griffues », qui est composé de quatre oeuvrettes d’Henri Monnier, une de Georges Darien et Lucien Descaves et une de Jean-Claude Grumberg. Disons tout de suite que cette dernière, « Les Gnoufs », est parfaitement conne et nulle. Il s’agit d’une contestation d’un certain snobisme qui rappelle, mille pieds en dessous, LE VERNISSAGE de Vaclav Havel.
Par contre, LES CHAPONS de Darien et Descaves est excellent dans le genre tranche de bifsteack saignant. Et Geneviève Rey Penchenat est très crédible dans un personnage de servante du dix-neuvième siècle tellement aliénée à ses maîtres qu’elle demande à les embrasser comme cadeau d’adieu, lorsque, par lâcheté, ils la congédient.
UN AGONISANT, UNE NUIT DANS UN BOUGE À LA BELLE ÉTOILE et MENUS PROPOS d’Henri Monnier sont à prendre comme des pièces de musée. J’ai été un peu déçu. Dans mes souvenirs, Henri Monnier était plus percutant.
16.01.92 - Une petite bonne femme pleine d’abattage et de présence, pianiste de son état mais remarquable actrice bien en chair, boudinée dans une robe trop étroite, Susy Firth, et un garçon terne qui joue du violon et du violoncelle, Gilles Petit, essayent de nous bailler un concert classique en hommage à Mozart, mais ils sont dérangés par une accordéoniste, Michèle Guigon, qui préfère Fernandel, Fréhel, Mouloudji, Edith Piaf, à Gabriel Fauré. C’est gentil. Ca ne casse pas les briques.
17.01.92 - La résidence de Christian Rist à l’Athénée se poursuit avec LA VEUVE, comédie en cinq actes, en vers, de Pierre Corneille. C’est une reprise avec une nouvelle distribution, mais de toute manière je n’ai pas vu la première, et, de surcroît, François Frappat étant souffrant, c’est Christian Rist en personne qui joue le rôle de Philiste. La comédie d’intrigue est un peu laborieuse, mais le metteur en scène a réussi à la clarifier. Les vers sont bien respirés. Chantal Neuwirth dans un personnage de nourrice pleine de duplicité est haute en couleur. Il y a de l’imagination dans les décors conçus par Rudy Sabounghi avec humour, à gros traits simplifiés. Patricia Diney, l’héroïne enlevée, ressemble à Marie Bonnel. La soirée se supporte malgré sa longueur.
24.01.92 - LA DANSE DE CIGURI, au Théâtre du Lierre, est un spectacle du Quatuor Nomade dans la droite ligne du PATIO. On y retrouve les deux garçons et les deux filles qui affectionnent les chants orientaux mi-iraniens mi-orthodoxes, et qui les chantent admirablement en prononçant des paroles dans les langues aux consonances parfois rudes, parfois roucoulantes, toujours étranges aux oreilles.
Point de décor, cette fois-ci, mais des éclairages très sophistiqués qui tracent sur le sol des trajets et cernent une aire de jeu rectangulaire d’un trait de sable blanc. À l’intérieur de cet espace, Farid Paya fait quasiment entrer ses artistes en religion. C’est beau quoiqu’un peu monotone. Finalement, tous les morceaux sont sur un même registre, même si les uns sont vifs et les autres davantage « largo moderato ». Pour moi, cela a fini par ronronner un peu, harmonieusement certes, mais sans surprise, d’autant plus que je n’ai décelé dans l’entreprise aucune anecdote. Ces gens vont et viennent, somptueusement vêtus, avec des gestes nobles et lents (le plus souvent), mais pourquoi bougent-ils ? Et que veulent-ils me dire ? Mystère. Y a-t-il une clef ? Peut-être. Pas sûr. Je n’ai rien su lire en tous cas.
29.01.92 - Ne me demandez pas de vous parler de CHAMBRES que j’ai vu au Théâtre Paris-Villette dans une mise en scène de Hans Peter Cloos ! L’œuvre de Minyana est composée de six monologues que les trois filles de la distribution, Nathalie Dontcheva, Mona Heftre (eh oui !) et Catherine Jacob s’ingénient à nous servir en tunnels impitoyables, débités avec une volubilité qui les rend inaudibles à mes oreilles, habituées à des ponctuations plus logiques. Rien n’est fait pour aider le spectateur à éprouver chose ; si ce n’est une intense absence de communication.
Ces filles sont là, sur une pelouse (pourquoi ? ) entourée de hauts murs percés de trois portes étroites en grillagées. Au-dessus d’elles, parfois, un dessin se projette. Parfois aussi, des lumières s’allument sur ce qui semble être des chambres à l’étage supérieur (mais va savoir si c’est ça). Et elles causent, causent, interminablement sans jamais ME causer. Heureusement, de temps en temps, un morceau de musique du genre « Bonnie and Clyde », Dutronc, Rita Mitsouko, Brigitte Bardot etc. vient secouer la torpeur d’un public sommeillant en attendant que ça se passe.
Fanny Auguiac est une bonne organisatrice. Les quatre représentations qu’elle a achetées pour sa salle du CMAC, dont l’épitaphe « foyer » dit bien l’origine, étaient pleines à craquer, deux d’entre elles, il faut le préciser, de scolaires peu enclins à respecter l’univers de Camus. Elles furent galères pour les comédiens. Fanny Auguiac a fait du chemin depuis le temps où la mairie de Fort-de-France stigmatisait en elle les « spectacles de la Préfecture ». Il est vrai qu’entre-temps, elle s’est mise à représenter un pouvoir de gauche, et non plus de droite comme lors de son arrivée.
Quoi qu’il en soit, elle a pu cette année organiser avec le Centre Dramatique Régional d’Elie Pennont une table ronde, prélude à des « états généraux » sur le théâtre dans les Caraïbes. J’ai été chargé de besogne, à savoir, expliquer à ces messieurs et dames que le marché français était super encombré ; je leur ai suggéré d’ouvrir en Avignon pendant le festival un espace « Caraïbes », où on mangerait du boudin créole en buvant du Planteur, où on écouterait de la musique créole (dans ce domaine ils font le poids), et où on donnerait des spectacles. Bien sûr, ai-je ajouté, ils faudrait qu’ils soient extraordinaires au sens littéral… Mais ça n’inquiète pas Elie Pennont, qui va monter prochainement LA TEMPETE, version Aimé Césaire. Il est sûr de son génie. En tous cas, maintenant, ils brodent tous dans leurs têtes. Moi, j’ai fait un tabac très personnel.
Et, je dois l’avouer, mon séjour en Martinique a été reposant en ce sens que le pays est magnifique. On y trouve toutes les commodités occidentales. Il y a des pauvres, certes, mais pas des miséreux et, je ne sais pas si on apprend aux enfants que leurs ancêtres les Gaulois avaient les cheveux blonds (je ne le crois pas), en tout cas ils sont tous scolarisés et on n’en voit aucun mendiant ou exerçant des petits métiers dans la rue. Et puis, ce colloque a été fructueux en liens établis, par exemple Syto Cavé, que je ne connaissais pas… ou rétablis, comme Marie-Hélène Falcon, directrice canadienne du Festival des Amériques qui a convenu qu’il faudrait bien que nous fassions quelque chose ensemble.
L’arrivée en Haïti m’a remis les pieds sur terre : nous étions là depuis une demi-heure dans la salle de livraison des bagages de l’aéroport de Port aux Princes quand, enfin, Monsieur Minetti, sous-directeur de l’Institut Français, s’est pointé. Entre-temps, j’avais essayé de téléphoner, mais le téléphone ne marchait pas. J’avais arpenté le trottoir, par trente-trois degrés à l’ombre, demandant à tous les véhicules qui paraissaient avoir été envoyés par lui si c’était le cas. J’avais eu largement le temps de m’énerver et je le lui ai fait sentir, ce qui ne lui a pas plu. Là dessus, il nous a emmenés à son institut et Jacky a été obligé de poireauter deux heures en attendant que le comptable veuille bien se pointer pour payer les défraiements. Quand il lui a été demandé s’il rembourserait les visas, il a eu l’audace de répondre que ce n’était pas dans le contrat. « Et pourquoi pas le test sur le sida ? ». Vous voyez la classe. Pendant qu’on glandait, le Directeur, Vandercruisse (ou quelque chose comme ça), est venu voir, en ayant bien l’intention qu’on lui réponde que « oui », si tout allait bien. C’est le sosie de Robert Georgin avec constamment à la bouche une pipe. Sa femme fait fonction de relations publiques. Elle a arrangé pour demain trois interviews radio et deux TV, dont une en scène jouée. Je dois dire que les gens du THÉATRE EN PIÈCES sont vraiment en or, car ils s’exécuteront sans rechigner, et même avec une bonne humeur, tandis que Jacky et Béatrice Rousseau s’échineront à un montage difficile avec l’aide d’un personnel disparaissant sans cesse et se demandant visiblement pourquoi il fallait se donner tant de mal. Le soir, cent cinquante spectateurs environ, bien sapés, à dix-huit heure trente, assisteront avec recueillement au spectacle, et lui feront, à la fin, un accueil très chaleureux.
J’ai pris quelques photos de l’Hôtel Olaffson, parce que c’est une assez extraordinaire bâtisse en style colonial, dont les chambres ont été, au fil des ans, occupées par des hôtes illustres. Graham Green y a écrit, paraît-il, quelques œuvres en contemplant de sa terrasse une végétation luxuriante, écran bien utile pour séparer les hôtes privilégiés de ce palais (au demeurant assez inconfortable si on s’en tient aux étoiles NN de notre temps, mais le cadre vaut qu’on passe sur des robinets fantaisistes et des ampoules vacillantes, voire fréquemment en panne), d’une réalité haïtienne vraiment monstrueuse. La misère de ce peuple vous saute à la gorge dès la route entre l’aéroport et la ville, avec au bord des bidonvilles d’immenses tas d’ordures accumulées, brûlant vaguement en lâchant une fumée grisâtre. Juste à côté, des femmes vendent des nourritures en chassant vaguement des essaims de mouches. Ca vous atteint d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un quartier isolé, mais de l’ensemble de la ville basse, celle qui, quand il pleut, reçoit en prime les déjections de la ville haute qui dévalent comme elles peuvent en l’absence de tout-à-l’égout. C’est dans cette ville basse, sorte d’énorme marché aux puces (sans folklore), qu’est situé l’Institut Français, « mal placé » par rapport à sa clientèle qui habite plutôt, tiens donc, sur les hauteurs (qui sont réellement hautes). L’hôtel Olaffsonn est à mi-pente. La seule note un peu gaie, ce sont des petits autobus très brillamment coloriés, et qui, tous, sont « baptisés » du genre de « Dieu t’aime », « Souviens-toi que tu es poussière », « Dans la main du Seigneur », « Dieu est ton maître », j’en passe et des meilleurs, l’obscurantisme chrétien est ici à la fête permanente.
Après la soirée du vendredi 3, Monsieur Vandermachin s’est fendu d’une invitation à dîner pour la troupe, et pour une bande de cinéastes africains qui participent, dans son Institut, à une « semaine du Cinéma Africain », dont le programme m’a paru intéressant. Cela m’a valu de faire la connaissance d’un gros Monsieur très sympathique, qui est l’auteur du film « De Hollywood à Tamanrasset ». Je lui ai dit tout le bien que je pensais de son film. Il était très content.
Samedi matin, la troupe se met en veine de faire ses achats pour les cadeaux. Nous marchons dans un soleil qui devient au fil des heures de plus en plus redoutable.
La première halte est pour un musée de l’art haïtien qui est surtout une boutique de vente, tenue, étonnez-vous, par une dame toute blanche au verbe haut. Nos amis auraient pu y trouver tout ce dont ils avaient besoin, mais nous fûmes rejoints par Patrick Potot et sa nouvelle conquête, un beau Noir nommé Frédéric, qui affirme posséder un château dans le Poitou-charentes et vouloir y monter un festival avec au programme LA TRAGÉDIE DU ROI CHRISTOPHE. Et ce mentor nous entraîna au Musée de l’Histoire d’Haïti, très bel endroit qui jouxte le Palais Présidentiel, très instructif bien sûr, et de là au marché des artisans, où nous nous trouvâmes plongés dans une ambiance de type souk arabe à la puissance dix tant il y avait de gens serrés les uns contre les autres, qui tous avaient quelques chose à vendre. Des choses curieuses d’ailleurs, allant de la peinture naïve à des objets grossiers peinturlurés sur métal ou sur papier mâché. Haïti aurait été le paradis pour le Douanier Rousseau. Malheureusement, on ne pouvait rien contempler. L’agression finissait par devenir obsédante. Nous avons fui, nous frayant un passage dans des allées super étroites, jusqu’à ce qu’un taxi brinquebalant veuille bien nous charger tous les cinq et nous ramener dans le havre de l’hôtel Olaffson. Certains avaient les bras très chargés d’objets, dont je me demande ce qu’ils en feront une fois rendus à Paris. Il faut dire que dans ce marché les touristes n’étaient pas légions. C’est la raison pour laquelle nos cinq gueules blanchâtres ont déchaîné tant d’empressements.
Je suis resté à l’hôtel, cette soirée du samedi, pendant que la troupe jouait cet ÉTRANGER que je vais finir par savoir par cœur. Ils sont remontés vers vingt-et-une heure trente, contents d’avoir eu, cette fois-ci, une salle pleine (le bouche-à-oreille a donc bien fonctionné) et chaleureuse.
Les Directeurs de l’Institut se sont excusés : il y avait à l’Ambassade une réception en l’honneur de Monsieur Péteuil, du Ministère de la Coopération, en tournée d’inspection.
RETOUR EN FRANCE
Vers le 15 mai, j’ai fait un saut à La Villette pour voir RADIX, cette coproduction franco-soviétique qui avait déplacé tant de structures au niveau du soutien. Bizarre comme les gens se laissent doper par les discours d’un type, plus entreprenant pour faire mousser son projet qu’habile à le réaliser. La liste des partenaires financeurs est impressionnante. Résultat : ce que les Allemands appellent une « bunte Abend », soirée colorée, avec un petit peu de tout, sauf qu’ici, il est clair qu’ON a eu les moyens. Une seule chose intéressante : un coureur qui, pendant toute la soirée, court un marathon devant un travelling sans césures de la ville de Leningrad. On finit pas ne plus regarder que ça.
29.05.91 - Les Piétons présentent à IVRY une réflexion en images et en son de ce qu’est la ville. Un peu du projet sur LA FOULE dont avait rêvé Michèle Guigon, peut-être. On pense aussi à Star – Job, à un certain automatisme gestuel par moments. Vingt personnes, garçons et filles, vont et viennent devant une palissade et font et refont des gestes et des choses comme dans HELTER SKELTER qu’on évoque aussi. Beaucoup de réminiscences, donc, quand on voit ce spectacle trop long mais beau, qui fait souvent rire, mais qui comporte des banalités, comme cette scène sur la plage qui est hors du sujet, où l’on voit un avion mitrailler les baigneurs de soleil.
Ca s’appelle ESCALE À BABYLONE, une « pièce » de Jean-Marie Maddeddu, qui s’est attribué un rôle de flic au sifflet impératif. Une ambitieuse tentative qui laisse le spectateur un peu sur sa faim. C’est dommage, on n’est pas loin d’une grande chose.
05.06.91 - Lille - Enfin j’assiste à une représentation du Théâtre de Prato. Ca s’appelle VARIETA. L’origine de l’appellation est la même que celle qui avait inspiré les MACLOMA il y a quelques années.
Le jour où Gilles Defacque apprendra à moins éclater ses improvisations, qui rendent son spectacle pesant et interminable, au moins pour un non Lillois comme moi car le public du crû paraît prendre son pied à ses méandres pleins d’expressions locales, il aura, je crois, en main, quelque chose de très bien, et surtout, ce qui m’a surpris, au niveau des textes qui sont d’une très jolie plume, fins en diable, drôles à souhait et cependant tendres. Je n’ai pas regretté le voyage à cause de ces perles, malgré, par moments, une forte irritation.
08.10.91 - Je n’ai pas été convaincu par la lecture du MISANTHROPE de Christian Rist à l’Athénée. D’abord, parce que rien ne me paraît justifier qu’on joue la pièce en costumes d’aujourd’hui. L’alexandrin, le discours, les caractères, le procès qui est fait à Alceste et même le comportement de l’allumeuse Célimène, veuve à vingt ans, tout situe la pièce dans son époque et le déracinement temporel est gratuit. Et puis le décor de Rudy Sabounghi fait de cadres dans lequel on n’a pas accroché les portraits, m’a paru, quoiqu’il ne soit pas laid, trimballer une symbolique simpliste. Ajoutez à cela que le générique prend soin de préciser qu’Irène Jacob a été prix d’interprétation à Cannes 91. Je me demande bien avec quoi car je l’ai trouvée nulle en Célimène, inexistante, fade, sans aucun brillant. Sans doute, en la choisissant, Christian Rist a-t-il songé à ces petites nanas du show-biz qui trimballent une idiotie visible et qui couchent à droite et à gauche pour passer le temps. Mais Célimène, c’est bien autre chose. Sans l’éclat, on la trahit et c’est le cas ici. Seuls à tirer leur épingle de cette ennuyeuse soirée, Christian Rist lui-même, qui est un honnête Philinte, et Serge Lelay qui incarne un Oronte très classique avec un bon brio. Philippe Müller en Alceste n’existe guère.
09.10.91 - Patricia Niedzwiecki est, comme son nom ne l’indique pas, un auteur belge. Elle a écrit un texte qui se veut une réhabilitation de Marie-Antoinette, Reine de France. Bernard Debroux, Directeur de la Maison de la Culture de Namur, a voulu infléchir le propos. Il s’agit, selon lui, d’un spectacle sur la femme, les femmes. Nicole Colchat, qui incarne MADAME ANTOINE avec talent, essaye de l’aider à porter sur l’héroïne un regard « critique et actuel ». J’ai appris quelques détails historiques sur le couple que formait l’Autrichienne et Louis XVI. Je ne me suis pas trop ennuyé. Je n’ai pas perçu de discours général sur la femme. (Centre Wallonie-Bruxelles)
10.10.91 - Le titre « LE TEMPS ET LA CHAMBRE » indique exactement la propos de Botho Strauss. Les gens qui vont et viennent dans cet espace conçu par Richard Peduzzi n’existent que pour ce qu’ils font dans ce lieu, le temps de leur séjour. D’où surgissent-ils quand ils y entrent, où vont-ils quand ils en sortent, et d’ailleurs sont-ils toujours les mêmes ? Oui, sans doute, pour ceux qui ont un nom, Julius et Olaf, Franck Arnold, et surtout Maria Steuber, dont on découvrira à la fin que cette maison était probablement la sienne… au moment où elle la quitte. Mais Julius et Olaf y paraissaient pourtant bien installés. Parbleu : Julius et Marie ont sans doute été ensemble jadis, mais elle est partie et Julius s’est mis avec Olaf. Homosexuellement ? Rien ne l’indique mais c’est probable. « Peut-être, sans doute, probable ».
Le spectateur est entraîné dans une série de scènes, dont certaines sont des joyaux en soi, dont le thème est la fragilité, l’incertitude, l’incommunication. Anouk Grinberg est superbement Marie Steuber. Elle est le pilier du va-et-vient, présente pratiquement dans toutes les scènes, drôle, vibrante, présente. Je raconte son arrivée. Julius (Bernard Verley) et Olaf (Pascal Gréggory) sont enfouis dans des fauteuils. Julius commente ce qui se passe dans la rue et c’est le premier morceau de bravoure d’un texte qui en comportera bien d’autres. Il décrit entre autres une fille dont la tenue lui paraît indécente. Et voici que la fille surgit. Elle a tout entendu du trottoir. Elle est furieuse. Elle devait être attendue à l’aéroport. Mais elle était impatiente. Alors au lieu d’attendre sa valise, elle a pris n’importe laquelle, et au lieu d’attendre l’homme qui devait venir la chercher, elle est partie avec n’importe lequel. Le ton est donné. Arrivent alors « l’homme sans montre » (Marc Betton), « l’impatiente » (Bulle Ogier), « l’homme au manteau d’hiver » (Jean-Pierre Moulin, qui aura plus tard avec Marie une scène grandiose, quand elle se jette à son cou et qu’il ne comprend pas que ce puisse être pour lui-même, tant il se sent laid. Ce ne peut donc être que pour son « petit » pouvoir de donner un « job »), « la femme sommeil », et le « parfait inconnu ». Un vrai capharnaüm autour d’une colonne qui, elle-même, cause à l’occasion. La scène se répètera une deuxième fois. Marie Steuber aura trouvé à l’aéroport l’homme qui l’attendait. C’est Franck Arnold (Roland Blanche) qui l’amène timidement dans cette chambre. Et elle est prête à dormir dans le même lit que lui, mais il n’ose pas. Sa timidité est touchante.
Y a-t-il une Marie Steuber dans la vie de Botho Strauss ? Difficile de ne pas le penser : on n’invente pas ce modèle de femme. Et pourtant, que je la sens évidente. Elle a recoupé ma sensibilité.
Autre question, est-ce Patrice Chéreau qui a voulu que tous les hommes de sa distribution soient mûrs ou âgés en face de Marie, jeune et vivante, mais aussi de « l’impatiente » épanouie et de la « femme sommeil » très désirable ? Patrice Chéreau signe là une très belle mise en scène. Son art de la mise en place des acteurs ne s’est pas amoindri et aucun ne paraît jamais en rade, en dépit de longs silences lorsqu’ils ne sont, très fréquemment, que témoins d’actes des autres. Lorsqu’ils forment des groupes, c’est toujours un tableau.
Bref, une grande soirée qui rend rêveur.
14.10.91 - Après avoir pendant cinq minutes sacrifié à ce qui commence, me semble-t-il, à ne plus être à la mode, à savoir qu’il y a sur la vaste scène du Théâtre des Amandiers de Nanterre quatre messieurs vêtus de noir et se ressemblant comme des frères, qui murmurent le poème de façon aussi inaudible que possible, Jean-Pierre Vincent nous offre avec son FANTASIO un spectacle plein de santé. Certes, le dispositif, un gigantesque piano à queue, sous lequel évoluent les personnages, qui a été conçu par Jean-Pierre Chambas, m’a personnellement semblé gratuit. Peut-être voulait-il symboliser quelque part le Romantisme. En tous cas il n’est pas gênant. La distribution est excellente. N’est-ce pas l’essentiel ?
Et nous avons droit à des acteurs qui jouent leurs rôles sincèrement. Remarqué surtout Claude Bouchery, merveilleux roi de Bavière, Madeleine Marion, excellente gouvernante, et François Clavier, ambigu Duc de Mantoue. Sans doute les ai-je distingués parce qu’ils m’ont fait rire. Il faut pourtant rendre hommage à Philippe Uchan (Fantasio) et Etienne Lefeulou (Spark), qui ont su nous livrer la fameuse scène de toutes les auditions avec une fraîcheur savoureuse.
Mais la mélancolie du propos n’a pas débouché sur l’émotion. Le spectacle « passe » facilement, mais sa dimension essentielle, celle d’une jeunesse qui se perd dans l’inaction, sans rêves concrets, sans illusions, révoltée mais sans projet, est édulcorée. Même quand Fantasio, grimé en bouffon, lâche quelques piques qui dénoncent l’ordre social, c’est traité avec légèreté, l’effet étant recherché pour l’effet en soi. Mais bon, on est sortis contents. Savary aurait-il pu monter FANTASIO autrement ? Je me le demande.
15.10.91 - Plus misogyne que ça, tu meurs. Dans DES BABOUINS ET DES HOMMES, mis en scène par Jean-Louis Hourdin d’après Albert Cohen, la femme n’est pas désignée autrement que comme l’idiote. L’idiote parce que, selon ce schéma, elle est crédule, et fantasme ses rapports amoureux. Elle préfère l’amant au mari parce qu’elle ne vit pas avec le premier au quotidien. Elle imagine des différences là où il n’y en a pas. En somme, elle est victime permanente par sottise. Bien sûr, on peut retourner le discours. Le cynisme de l’homme est certes exposé avec complaisance, mais il recèle sa propre critique. L’homme est un salaud, en somme. La femme aime, mais LUI ?... À la fin, l’ensemble m’a semblé refléter un certain mépris pour ces babouins que sont les hommes. Ici, j’englobe les deux sexes et je crois qu’il faut toujours réfléchir sur la très grande jeunesse de l’aventure humaine sur cette terre. Quelque part, ce discours à deux, quête mutuelle de quelque harmonie toujours introuvable, m’a fait repenser à ces quatre à six mille ans qui sont si peu de chose par rapport à l’ancienneté de ce monde. Et c’est une source d’optimisme, car que serons-nous devenus dans quatre ou six mille autres années ? Dommage que nous soyions si éphémères.
François Chattot est engoncé dans un ample manteau qui cache une échelle sur laquelle, à divers niveaux, se perche Clotilde Mollet. Il dissèque le texte, l’articule, l’assène. Elle est plus fine, plus délicate, liane tendre et même un peu acrobatique. Difficile de la trouver idiote. Au niveau de l’interprétation, c’est un spectacle parfait, d’une grande économie de décor de surcroît. Un environnement noir nu suffit. Je crois qu’il me faut pénétrer dans « le monde d’Albert Cohen ».
20.10.91 - Hélas ! Hélas ! Hélas !... Qu’est devenu le Savary d’antan ? MARILYN MONTREUIL, dont je n’ai vu que la première partie, est un spectacle débile au niveau du texte et du contenu, médiocre au niveau de la musique, pauvre au niveau de l’environnement… Curieusement, on sent un produit fait à l’économie. Bref, assez de discours, c’est nul. D’ailleurs la salle n’était pas pleine, c’est un signe, camarade, reprends-toi.
22.10.91 - Revu LE BOUFFON ET LA REINE au Ranelagh. Bolek est toujours magnifique. J’espère, vraiment, qu’il va trouver à Paris le succès qu’il mérite. Les méthodes de Madona Bouglione sont, au niveau de la promotion, inquiétantes. Elle n’a pas d’argent. Si j’étais croyant, je ferais des prières…
23.10.91 - Les MACLOMA sont au TRISTAN BERNARD. Joli théâtre, vétuste avec charme.
Ils ont retravaillé leur « TRIO » et il y a plein de nouveautés dans leur spectacle. Que dire ? Globalement, c’est bien… Ou plutôt, ce n’est pas mal. Il y a des numéros séduisants… Et puis, Guy est quand même un grand acteur. Mais des scories restent : Philippe est faible en cantatrice. Le numéro de la prise de courant est repris de DARLING DARLING, mais il est moins signifiant. Son passage en avion pendant le numéro du piano défiant les lois de l’apesanteur est médiocre et surtout cousu de corde à puits : il s’agit de bloquer Guy au moment où il va, croit-on, commencer à nous livrer quelques notes sur son violon délabré… Je maintiens que la séquence de la bonne sœur qui chie et du seau qui inonde d’immondices la tête de Guy n’est pas intéressante. Bon Dieu, pourquoi tiennent-ils tous tellement à ce pipi caca sans envergure ? La fin, avec la destruction du dispositif, est intéressante au niveau de la conception mais laborieuse à celui de l’exécution. Alain, comme d’habitude, est modeste par rapport aux autres. N’empêche que son apparition en Grock est riche de poésie. Bon, cela dit, ce n’est quand même pas mal. Je n’ai pas honte de ma collaboration avec ces têtus pleins de talents et de blocages. Il leur faudrait un metteur en scène.
25.10.91 - J’avais différé de parler du spectacle d’Ewa Lewinson, L’AMOUR… suivi de NUIT DE NOCE, parce que je ne voulais pas écrire n’importe quoi sur ce discours « soviétique » en deux périodes, et voici que le hasard m’a apporté une justification à ce délai.
Je suis allé à Liège assister à une représentation de LA PUNAISE de Maïakovski, transformée en « opéra populaire » par O. Koudriachov sur une musique de V. Dachkevitch. Disons-le très vite, c’est un magnifique spectacle, un de ceux qui te font deux heures et demi durant nager dans le bonheur, avec des trouvailles permanentes, une troupe qui sait tout faire et tout faire bien, chanter, danser, jouer, sous une mise en scène vigoureuse, rigoureuse, mouvementée, rythmée, sachant isoler l’individu au milieu d’un ensemble…
Mais là n’est pas la question : ce que Maïakovski dénonçait… en 1922, 1923, pendant la période de la NEP, l’impossibilité pour un couple de vivre SA vie de couple dans un contexte où le POUVOIR s’arrogeait tous les pouvoirs, mais où les démerdards trouvaient toujours à se démerder, c’est exactement ce que cinquante ans plus tard, à peine autrement, raconte Ludmilla Petrouchevskaia.
Et dans le spectacle modeste (car l’autre a l’air richissime à la soviétique, ils sont vingt sur la scène) d’Ewa, il est étonnant de voir qu’après la Perestroïka qui a permis à l’auteur d’écrire son deuxième volet, rien, ou pas grand-chose n’a bougé dans ce pays qui est étouffé par la bureaucratie, dont il est erroné de croire qu’elle soit le fruit du communisme : relisez Gogol, LE RÉVIZOR… L’URSS a hérité des structures tsaristes… et c’est contre ces structures que se bat aujourd’hui (je crois) un Gorbatchev. Bon vent camarade ! La lutte sera chaude.
Revenons au spectacle d’Ewa Lewinson. Elle écrit : « L’avenir radieux s’annonce sombre, mais la comédie garde sa force. Et à la fin de cette nuit qui dure deux heures et demi et treize ans résonne timidement la déclaration d’amour ». Dans LA PUNAISE, celle d’Yvan pour Zoé passe par la lâcheté de l’homme qui choisit, mais s’en repent, la facilité du confort et par le suicide de la fiancée trahie. Si Ludmilla Petrouchevskaia écrit un troisième volet, aura-t-elle un autre choix que de laisser son héros, ou son héroïne succomber à une tentation… et si nous la qualifiions d’occidentale ?
27.10.91 - Geneviève de Kermabon avait avec Freaks réuni une bande assez étonnante de ratés de la nature, qui tous s’étaient fait un trou dans la vie grâce à une volonté quelque part admirable. L’exhibition qui tenait lieu de spectacle était assez dérangeante, voire insupportable, mais il y avait des performances qui frappaient l’imagination, et on pouvait se dire que le fait de montrer ce qu’ils savaient faire était bénéfique pour ces déshérités. La démarche de cette jeune femme ne m’avait pourtant pas semblé très saine ; et c’est cette impression que je retrouve accrue avec son nouveau produit qu’elle présente à Gémier : MORITURI, ou « Mes Marins dans l’arène ». Disons tout de suite que rien ne justifie ce titre, si ce n’est que les cadavres de jeunes femmes s’accumulent, un étrangleur, au demeurant charmant d’apparence, fréquentant le bistrot… (c’est le programme qui dit que c’est un bistrot) où les disgraciés sont, cette fois-ci, en minorité. Il n’y a que le petit homme tronc très poétique dont FREAKS avait fait une vedette, et qui se livre, ici, à une stance sur sa malformation d’un racoleur qui m’a gêné. À part lui, et, si on veut, une grosse dame (mais enfin est à deux jambes, deux bras, une poitrine et tout ce qu’il faut), ce sont des êtres normaux qui s’agitent en paroxysme près de deux heures durant pour ne me tenir aucun discours cohérent. Ca n’a ni queue ni tête. C’est chiant à la longue. Bref, c’est très mauvais.
28.10.91 - Le Théâtre des Déchargeurs est un lieu convivial. La hall a de l’atmosphère. Il faut le dire, ce n’est pas si courant.
Vicky Messica incarne, seul, dans un environnement d’écrivain sans surprise, BLAISE COMME CENDRARS, ce qui signifie qu’il dit des textes de cet auteur, des poèmes, et aussi de la prose, celle qui raconte la vie et surtout les tentations de mort du personnage. Dirigé par Philippe Azema, je l’ai trouvé trop confidentiel dans la première partie, mais convaincant dans la seconde. Il est vrai que la MORT est un thème qui ne laisse pas indifférent, même quand il baigne dans l’aliénation de l’enculturation judéo-chrétienne, ce qui, hélas, est le cas.
31.10.91 - Revu « Le Bouffon et la Reine ». Je fais toujours des prières pour que ça décolle. La presse vient et paraît. Il y a du public… enfin, ce n’est pas bourré, « ça monte », comme on dit.
Mais j’ai peur que Bolek n’ait pas compris le rythme parisien. À côté de moments très forts, il y a des scories, où ça traîne. Et surtout, pourquoi s’étale-t-il au point de le répéter dix fois, sur le fait que la Reine « ne maîtrise pas la langue française » ? D’une façon générale, je n’aime pas trop quand il fait des astuces parlées. Pour un Tchèque, ça doit être exaltant de connaître une langue au point de savoir le sens de « être à côté de ses pompes », mais franchement, ça ne vole pas trop haut quand il le fait. Je crois que ce BOUFFON ET LA REINE est tellement ancré dans son habitude qu’il y navigue à vue sans assez de rigueur, et c’est dommage car on passe à côté du très grand spectacle, du fait de complaisances et de facilités. Que ne se jugule-t-il ? Chantal Poullain par contre, figée dans quatre ou cinq attitudes dont elle ne peut se départir sous peine de perdre son personnage, tient la route avec fermeté. N’empêche que, même elle, vit le spectacle en routine, comme si, quelque part, tout y était gommé, estompé ! Ramolli ! Il n’y a plus de surprises.
06.11.91 - Le SIROCCO THÉATRE est invité par le Campagnol et présente LE BOUC de Fassbinder, dans une mise en scène d’Anita Picchiarini. Au début, j’ai craint que la réalisation ne soit très sophistiquée, car la mise en place des personnages devant une sorte de rideau d’avant-scène palissade était extrêmement lente. Cette lenteur se retrouvera tout au long du spectacle, au demeurant court, mais elle finira par me sembler nécessaire à l’installation de la violence.
On connaît le sujet. Le « bouc » est un immigré turc, un des premiers sans doute car l’immigration telle que l’éprouvent les loubards de Fassbinder ne semble pas encore être banalisée : les bougres découvriront que cet étranger est à la fois un (trop) bon ouvrier et un (trop) gaillard baiseur. Le racisme passe par les machos cocufiés et les nanas éconduites par le « bouc ». On va donc lui couper les couilles.
L’œuvre comme la mise en scène laissent planer un doute sur la concrétisation de la chose. Mais l’atmosphère lourde des prémisses de la violence est bien montrée. Anita a réalisé là un spectacle utile qui pose opportunément une grande question contemporaine, et elle l’a fait avec une grande maîtrise.
09.11.91 - Dominique Pitoiset est quelqu’un qu’on aime bien en haut lieu culturel. Je n’avais jamais vu son travail. J’ai donc jugulé ma crainte d’une longue soirée shakespearienne et je suis allé, en voisin, à l’Athénée, où il présentait Timon d’Athènes.
L’œuvre est singulièrement simpliste : le brave bourgeois Timon tient table ouverte. Sa générosité est sans borne, ses amis sont innombrables. Et puis, la fortune l’abandonne et il ne rencontre plus qu’ingratitude auprès de ceux qu’il a comblés de bienfaits, tandis que les huissiers le traquent en un temps où le crime de dette entraînait la peine de mort ! Le voilà donc en fuite dans un désert, le cœur gonflé de rancœur et d’esprit de vengeance. L’or, qu’il trouve dans le sol qu’il racle pour chercher des racines, l’aidera à assouvir ces desseins, mais sans esprit de retour.
Pitoiset a choisi Hervé Pierre pour incarner Timon. C’est un acteur replet, pour ne pas dire un petit gros. Il fait très « bourgeois ». Je pense que c’est un parti. À part Nadia Fabrizio qui joue son intendant (sans doute le choix d’une femme a-t-il été dicté par la tendresse que voue cet esclave à son maître), la distribution est exclusivement masculine.
Le décor d’Alain Chambon fait très « décentralisation ». C’est une boîte cyclo rigide qu’on peut poser telle quelle sur un praticable, à l’intérieur duquel il y a la terre que grattera le devenu misanthrope. À l’entracte, on enlève les plaques de bois qui forment le sol de la maison de Timon du temps de sa richesse, et voilà l’astuce bonne pour les tournées. Le même Alain Chambon, aidé d’Évelyne Poisot, a inventé des costumes sobres et austères qui ne sont d’aucune époque, sauf justement celui de Timon.
L’entreprise se laisse voir et entendre, mais il n’y a pas de quoi se battre les flancs. Elle s’intègre dans le cycle que Josyane Horville consacre à la misanthropie. Ce choix aurait-il à voir avec les états d’âme de la directrice ?
14.11.91 - À la Rotonde de Melun-Sénart, Jean-Luc Paliès propose le DON JUAN D’ORIGINE de Louise Doutreligne, d’après Tirso de Molina en deux versions : une française avec un peu d’espagnol, une espagnole avec un peu de français. Il y a donc deux Don Juan, ou plutôt deux Don « Juanes », car la distribution est intégralement féminine, la représentation étant supposée être donnée par les Demoiselles de Saint-Cyr en l’honneur de Madame de Maintenon, patronne du lieu, dont il s’agit d’égayer les vieux jours.
Je n’ai vu, bien sûr, que la version française et je confesse y avoir pris quelque plaisir. Ces jeunes filles sont charmantes, fraîches, joyeuses. Leur entrée en jeu sont fort bien orchestrées par deux gamines extrêmement sérieuses qui mettent en place sur l’escalier en spirale, qui sert d’aire de jeu, les quelques objets nécessaires. Jean-Luc Paliès a mené rondement, vivement son affaire, au moins dans la première partie. La deuxième, avec l’apparition du commandeur, est un peu plus pesante. Le DON JUAN de Tirso de Molina est également un peu diffus, moins clair que celui de Molière, avec un « Sganarelle » qui manque gravement : le contrepoint à Don Juan existe, mais sans une présence constante et vigoureuse. Mais bon : ce contact est utile et bienvenu. Et puis encore, c’est un bon spectacle…
23.11.91 - De spectacle en spectacle, j’ai assisté à la dégradation de LA MIE DE PAIN. STAR JOB contenait un discours sur le sort réservés aux jeunes de notre temps qui tombait à point et certains moments étaient forts, mais déjà une certaine complaisance au scatologique et, il faut bien le dire, à la vulgarité, entachait le propos qui n’en avait pas besoin pour délivrer son message d’un monde impitoyable, où seuls surnagent les plus féroces des battants. À laisser chacun s’exprimer devant l’examinateur supposé avec sa nature profonde, Yves Kerboul n’a pas fait son métier de flic juguleur. Il a trop laissé s’exprimer d’une manière au-dessous de la ceinture certains acteurs, à qui il aurait fallu vigoureusement interdire l’expression d’une libido sans universalité.
Il a été encore plus faible avec LES PLOMBS D’OR. Déjà, le thème retenu était loin d’être aussi intéressant que le précédent. Mais bon, la notion provocatrice en ces temps écologiques, d’un trophée délivré au chasseur le plus méritant n’était pas insignifiante. Hélas, dans le spectacle, l’argument est à peine une toile de fond. On n’a pensé qu’à faire rire, ce qui est le meilleur moyen de ne pas y parvenir, à travers des gags qui sont tous tellement téléguidés qu’on en connaît la chute à tous les coups d’avance, ce qui les désamorce. Le seul qui m’ait surpris, c’est quand le projecteur dans lequel on a mis le poulet à rôtir s’enflamme, parce que, on s’attend bien à ce que le poulet crame, mais pas à ce qu’il foute le feu au four ! Comment est-il possible qu’un vieux routier comme Kerboul ne leur ait pas dit qu’un gag attendu n’en est plus un…
Et comment a-t-il pu laisser Laurent Carovana incarner ce personnage repoussant et repoussoir de chef machiniste feignant, vicieux, glouton, odieux, caricature outrée de personnages existant certes, mais pas à ce point, et n’étant de toute manière connus que d’un certain nombre de professionnels de notre bord. Ici, la vulgarité est poussée à son comble, elle rase le dessous des pâquerettes. Je la trouve sans intérêt aucun. De surcroît, elle ne provoque chez moi aucune répulsion, ce qui serait une qualité. Je la contemple navré, c’est tout.
Gérard Chabanier a quelques bons moments quand il sniffe n’importe quelle poudre et s’éclate ensuite avec tout ce qu’il sait faire. Mais son burlesque vire vite à l’agitation. Stéphane Gallot, en Arabe souffre-douleur esclave obéissant mais qui ne fait jamais rien comme il faudrait, a plus de consistance dans son personnage. Il tire une petite épingle de ce jeu digne des plus médiocres cafés-théâtres. Son appétit de culture est estimable, et l’assassinat par lui de la poupée Desdémone à la fin pourrait être un grand moment si ce qui précède ne le desservait pas tant.
Ajoutons que le texte est important dans ce spectacle. On y cause beaucoup, sans poésie, sauf en citations. Quand Gérard commence son discours, on espère un instant qu’il le rendra quelque part inintelligible, qu’il y aura une transposition. Mais non. À part qu’il parle vite, on comprend tout.
Bref ce « produit » n’est ni fait ni à faire, et surtout il rend éclatant le fait que LA MIE DE PAIN a perdu ses meilleurs éléments : Élisabeth Cauchetiez qui avait tant de poésie, Philippe Barrier qui trimballait son contrepoint lunaire sur le burlesque.
14.01.92 - Le seul lien entre les scènes de CARTON PLEIN, c’est le rapport entre les deux locataires de ce lieu étrange où ils habitent, l’un, petit, qui ne sort jamais et reste en permanence vêtu de son pyjama, l’autre, le grand, sapé comme pour une soirée et qui, entre deux séquences, est supposé faire des courses. Le petit, c’est Maxime Lombard, le grand, Bruno Raffaelli. Serge Valetti, l’auteur, a voulu que le petit ait pouvoir sur le grand, qui lui obéit avec bonne volonté. Gabriel Monnet, vieux routier de la mise en scène honnête et efficace, les a dirigés en laissant leurs natures s’exprimer. Maxime Lombard est bien. Bruno Raffaelli est remarquable.
L’œuvre est comme toutes celles de Valetti, faite de touches drôles et sensibles. Deux sketchs se détachent, celui des compères au début qui cherchent à se rappeler le nom de leur propriétaire, et celui de l’emballage laborieux d’une œuvre d’art qu’il s’agit d’envoyer à un concours. Une soirée qui ne cherche pas midi à quatorze heure, mais qui est bien plaisante.
15.01.92 - Jean-Claude Penchenat propose en trilogie un cycle consacré « à la comédie », qui commence par un assemblage appelé « comédies griffues », qui est composé de quatre oeuvrettes d’Henri Monnier, une de Georges Darien et Lucien Descaves et une de Jean-Claude Grumberg. Disons tout de suite que cette dernière, « Les Gnoufs », est parfaitement conne et nulle. Il s’agit d’une contestation d’un certain snobisme qui rappelle, mille pieds en dessous, LE VERNISSAGE de Vaclav Havel.
Par contre, LES CHAPONS de Darien et Descaves est excellent dans le genre tranche de bifsteack saignant. Et Geneviève Rey Penchenat est très crédible dans un personnage de servante du dix-neuvième siècle tellement aliénée à ses maîtres qu’elle demande à les embrasser comme cadeau d’adieu, lorsque, par lâcheté, ils la congédient.
UN AGONISANT, UNE NUIT DANS UN BOUGE À LA BELLE ÉTOILE et MENUS PROPOS d’Henri Monnier sont à prendre comme des pièces de musée. J’ai été un peu déçu. Dans mes souvenirs, Henri Monnier était plus percutant.
16.01.92 - Une petite bonne femme pleine d’abattage et de présence, pianiste de son état mais remarquable actrice bien en chair, boudinée dans une robe trop étroite, Susy Firth, et un garçon terne qui joue du violon et du violoncelle, Gilles Petit, essayent de nous bailler un concert classique en hommage à Mozart, mais ils sont dérangés par une accordéoniste, Michèle Guigon, qui préfère Fernandel, Fréhel, Mouloudji, Edith Piaf, à Gabriel Fauré. C’est gentil. Ca ne casse pas les briques.
17.01.92 - La résidence de Christian Rist à l’Athénée se poursuit avec LA VEUVE, comédie en cinq actes, en vers, de Pierre Corneille. C’est une reprise avec une nouvelle distribution, mais de toute manière je n’ai pas vu la première, et, de surcroît, François Frappat étant souffrant, c’est Christian Rist en personne qui joue le rôle de Philiste. La comédie d’intrigue est un peu laborieuse, mais le metteur en scène a réussi à la clarifier. Les vers sont bien respirés. Chantal Neuwirth dans un personnage de nourrice pleine de duplicité est haute en couleur. Il y a de l’imagination dans les décors conçus par Rudy Sabounghi avec humour, à gros traits simplifiés. Patricia Diney, l’héroïne enlevée, ressemble à Marie Bonnel. La soirée se supporte malgré sa longueur.
24.01.92 - LA DANSE DE CIGURI, au Théâtre du Lierre, est un spectacle du Quatuor Nomade dans la droite ligne du PATIO. On y retrouve les deux garçons et les deux filles qui affectionnent les chants orientaux mi-iraniens mi-orthodoxes, et qui les chantent admirablement en prononçant des paroles dans les langues aux consonances parfois rudes, parfois roucoulantes, toujours étranges aux oreilles.
Point de décor, cette fois-ci, mais des éclairages très sophistiqués qui tracent sur le sol des trajets et cernent une aire de jeu rectangulaire d’un trait de sable blanc. À l’intérieur de cet espace, Farid Paya fait quasiment entrer ses artistes en religion. C’est beau quoiqu’un peu monotone. Finalement, tous les morceaux sont sur un même registre, même si les uns sont vifs et les autres davantage « largo moderato ». Pour moi, cela a fini par ronronner un peu, harmonieusement certes, mais sans surprise, d’autant plus que je n’ai décelé dans l’entreprise aucune anecdote. Ces gens vont et viennent, somptueusement vêtus, avec des gestes nobles et lents (le plus souvent), mais pourquoi bougent-ils ? Et que veulent-ils me dire ? Mystère. Y a-t-il une clef ? Peut-être. Pas sûr. Je n’ai rien su lire en tous cas.
29.01.92 - Ne me demandez pas de vous parler de CHAMBRES que j’ai vu au Théâtre Paris-Villette dans une mise en scène de Hans Peter Cloos ! L’œuvre de Minyana est composée de six monologues que les trois filles de la distribution, Nathalie Dontcheva, Mona Heftre (eh oui !) et Catherine Jacob s’ingénient à nous servir en tunnels impitoyables, débités avec une volubilité qui les rend inaudibles à mes oreilles, habituées à des ponctuations plus logiques. Rien n’est fait pour aider le spectateur à éprouver chose ; si ce n’est une intense absence de communication.
Ces filles sont là, sur une pelouse (pourquoi ? ) entourée de hauts murs percés de trois portes étroites en grillagées. Au-dessus d’elles, parfois, un dessin se projette. Parfois aussi, des lumières s’allument sur ce qui semble être des chambres à l’étage supérieur (mais va savoir si c’est ça). Et elles causent, causent, interminablement sans jamais ME causer. Heureusement, de temps en temps, un morceau de musique du genre « Bonnie and Clyde », Dutronc, Rita Mitsouko, Brigitte Bardot etc. vient secouer la torpeur d’un public sommeillant en attendant que ça se passe.