Du 19 octobre 1987 au 4 février 1988

Publié le par André Gintzburger

COMMENTAIRE a POSTERIORI :

A partir de cette fin d’année 1987 vous allez contater que mon assiduité à fréquenter ce que je me suis mis à appeler « le théâtre comme d’habitude » va se raréfier. Mon intérêt s’est porté vers une nouvlle ligne de force avec ce qu’on appelle « le nouveau cirque » et « les spectacles hors les murs ». La lassitude ressort des compte rendus que vous allez peut être survoler plutôt que les lire en profondeur. La plupart seront d’ailleurs d’une briéveté à laquelle je n’avais pas habitué mes lecteurs.  Bien sûr, il y aura des exceptions.
 
19.10.87 - Jacques Weber joue Don Juan avec placidité. Francis Huster, mince et petit, incarne un Sganarelle plein de vivacité. Fanny Ardant en Elvire n’a rien pour inspirer l’amour et on s’étonne même que le célèbre séducteur ait eu envie d’en tâter. Ca se passe au Rond-Point.

20.10.87 - Claude Nicot raconte à sa « REINE MÈRE » (Tsilla Chelton qui, sous le baguette de José Quaglio, a appris à articuler) qu’il a mangé sa femme. C’est une pièce italienne d’un certain Santanelli. J’ai un peu dormi.

22.10.87 - Avec MILLÉSIME 49, Sylvie Chenus qui, depuis son départ du 4 L 12 ne m’avait pas semblée avoir tiré beaucoup de leçons de son séjour chez Massé, trouve, me semble-t-il, une voie personnelle intéressante aux confins de l’absurde, voire du surréalisme, mais selon un rythme calme qui lui est propre. Son exploration dans le monde des dégustateurs, à travers une sombre histoire de faux vin fabriqué par un chimiste à la papille géniale, est à la fois soûlante et rigolote. On sort du Théâtre de Vanves de bonne humeur. Comme si on avait bu !

05.11.87 - Alors voilà : pour moi, le mystère est complet. Qu’est-ce qui explique, qu’est-ce qui justifie que les mêmes qui boudent un spectacle prometteur comme BAMBINO - BAMBINO s’esclaffent devant LES FILLES DU CHEF de la troupe nommée GRAND MAGASIN. Je redirai ce que j’ai dit pour le précédent spectacle de Pascale Murtin (aux lèvres minces et au front buté : elle doit être méchante à la manière pincée) et François Hiffler, (dadais bêta), « c’est impeccable, mais c’est débile ».
Ajouterai-je que les deux complices sous jouent tout ce qu’ils font et usent de procédés (petits gadgets, voix haut perchée systématique pour souligner leurs gros plans, en un chant monotone ou à note unique) qui, une fois explorés, ne se renouvellent pas ?… mais, suis-je con, c’est sans doute volontaire ! L’anecdote (si j’ose dire ! Vous pensez bien qu’ils ne s’abaissent pas à la rendre lisible !) semble indiquer qu’il s’agit d’enfants qui s’amusent à travers les dédales de ces trajets compliqués, dont les enfants ont le secret. S’agit-il d’un spectacle pour enfants ? Je me le suis demandé. Peut-être les huit - douze ans se trouveraient-ils en phase avec ces « artistes » qui ne tiennent aucun discours. Au fait, c’est peut-être parce qu’ils ne tiennent aucun discours et donc qu’ils ne dérangent personne, mais qu’ils le font professionnellement, je dirai « conscieusement avec ostentation », qu’ils plaisent aux distributeurs d’opium, aux intellectuels. Quand j’évoque la débilité qu’en son temps la « majorité » prêtait à un Ionesco, je vois que cette débilité-là est à l’image du monde que l’ON nous prépare. (Théâtre de la Bastille, évidemment)
 
08.11.87 - Claude Confortès, dont j’ai oublié (pardon) de dire qu’il avait supervisé le travail de Sylvie Chenus pour MILLESIME 49, a pondu, sous le titre « L’ÉPROUVETTE », une série de sketchs sur le thème des mères porteuses, bébés congelés etc. Il a présente deux fois vingt minutes de ce travail à la Conciergerie (lieu sublime mais imparfait du point de vue de la visibilité) devant huit cents médecins qui étaient venus là pour banqueter au pot au feu. J’ai eu le plaisir de partager leurs agapes. ILS se sont beaucoup éclatés au spectacle qui, soyons justes, les chatouillaient dans le sens professionnel sans les contraindre à des réflexions profondes.

09.11.87 - Il paraît que le Carrefour de la Différence va être exproprié. Encore donc un de ces lieux informels de Paris (où l’espace scénique est honorable) qui va disparaître.
LE DEMI THÉATRE DE BASILE y présentait un « tableau en quatre actes » de Claire Mosser sous le titre « Le temps le fou ». Deux filles, l’auteur et Sylvie Dageon, qui se revendiquent « comédiens danseurs », s’y investissent d’une façon fort gestuelle pas trop lisible, vêtues et enveloppées de sacs plastiques à tel point que je les en ai crues sponsorisées. Mais leur exhibition se laissait voir…

11.11.87 - Il ne faut pas prendre au pied de la lettre le titre « L’Age d’or du genou féminin » que Simon Bakhouche et Béatrice Camurat proposent aux professionnels au Théâtre de la Jacquerie. Tout au plus s’agit-il d’une citation fugitive, dans la bouche d’un détenu, qui vit son incarcération sous l’aile protectrice d’une hirondelle voyeuse. L’actrice, qui mime l’oiseau avec la gestuelle qui convient, devient parfois la compagne du prisonnier, qui s’évadera à l’occasion d’une petite fête organisée dans la prison à titre de distraction.
Marc Adjadj a mis en scène cette anecdote joliment poétisée en utilisant au maximum le local. C’est frais, point ennuyeux et même distrayant.

13.11.87 - La Compagnie Melpomène qui présente au Palais des Glaces un spectacle appelé KLEEN travaille sur le même registre, exactement, que LA MIE DE PAIN, avec toutefois moins de rigueur professionnelle et d’invention créatrice. Cela dit, ces six personnages typés, qui vivent en rythme sous la baguette d’un chef de bureau la monotonie d’une salle d’administration, avec de temps en temps le fracas d’un train qui passe, rêve d’évasion inatteignable, sont assez crédibles pour être de temps en temps sinon drôles, comme ils le voudraient, du moins intéressants, quoique peu originaux.

13.11.87 - Dans l’autre salle du Palais des Glaces, la petite, bourrée et surchauffée, trois nanas de toute évidence gouines, s’éclatent pour le plus grand bonheur d’un public épanoui dans un tour de chant qui s’appelle PIANO PANIER « création musicale ». Leur groupe se nomme DEUX QUI + EST, ce qui n’est pas gratuit car en fait Aïda Sanchez (« compositeur interprète pianiste ») et Brigitte Monseur (« auteur interprète ») sont seules à s’exhiber, il faut le dire avec abattage, talent et dynamisme. La troisième, Isadora, peint pendant ce temps-là des feuilles de plastique, qu’elle vend trois cents francs à la sortie. C’est, bien sûr, une fille, Nathalie Bensard, qui a fait la mise en scène, vive et cocasse, autant que le permet le plateau minuscule du lieu. Tout ce monde avoue des âges dans les vingt-cinq, vingt-six ans. Je les ai trouvées bien tapées pour une telle jeunesse. Sans doute cela vient-il d’une sexualité fatigante. 

14.11.87 - Plus prétentieux que ça, plus nul, tu meurs ! Albert Delpy l’a échappé belle, lui qui se faisait scrupule d’aller tourner un film alors que Gérard Gelas lui avait fait l’honneur de le distribuer dans son MAIS NE TE PROMÈNE DONC PAS TOUTE NUE !
Saviez-vous que le petit vaudeville de Feydeau se passait dans un cuirassé ? À moins que ce ne soit, ce que j’ai cru d’abord, un sous-marin ! Mais peut-être est-ce un phare ? À moins que ce ne soit un blockhaus de la guerre de 14, ce qui est probablement l’explication puisqu’on entend périodiquement le bruit du canon et qu’à la fin le journaliste du FIGARO s’habille en bleu horizon. Dans cette acception, Clemenceau, le voyeur des exhibitions (d’une extrême pudicité) de Clarisse, doit être posté avec des jumelles sur la Forêt Noire ! Saviez-vous aussi que l’oeuvrette était une tragédie ? En tous cas on n’y rit pas une seule fois. Et saviez-vous qu’Auguste, l’enfant du couple Clarisse - Ventroux était un handicapé moteur idiot ? Ô Gelas, qu’es-tu devenu, à baigner dans cette gratuité, dans cette inutilité, dans cette VANITÉ VAINE ? Pourquoi, après tous les terroristes qui ont rendu chiants les Marivaux, les Beaumarchais et les Musset, veux-tu faire entrer Feydeau dans le cercle des auteurs, tel Labiche, à tuer dans l’esprit du public ? Tout ça pour TE faire remarquer. Mais tenir un discours ne suffit pas. Encore faut-il qu’il soit intelligent.

21.11.87 - Le rapport du théâtre au cinéma semble fasciner les Belges d’aujourd’hui. L’ÉTRANGE MONSIEUR KNIGHT réalisé par le THÉATRE DE LA MANDRAGORE, nous montre, comme l’avait fait naguère le Royal de Luxe, des acteurs en chair et en os jouant un faux film muet à l’accéléré, ce qui suppose, en pantomime, une belle performance. Mais ici, l’illusion est poussée à l’extrême, puisque ce que les spectateurs ont devant eux au Centre Culturel Belge, c’est un écran qui alternativement est vrai avec d’authentiques morceaux de films, et à d’autres moments simple membrane transparente permettant aux artistes présents de s’exhiber physiquement. C’est un travail de jonction, de juxtaposition, qui suppose une remarquable exactitude. Ce « Cinémodrame » intéresse donc, amuse, remplit d’admiration. Mais est-ce une bonne voie « théâtrale » ? Je ne sais pas.

30.10.87 - J’avais parlé à Strasbourg des ACTEURS DE BONNE FOI et j’avais négligé de dire que la pièce de Marivaux montée par Lassalle ne constituait que le lever de rideau d’un spectacle dont l’essentiel, après une demi-heure d’entracte, était LA CONQUETE DU PÔLE SUD de Manfred Karge, dans une mise en scène de quelqu’un que j’estime, Philippe Van Kessel.
Hélas ! Hélas ! Que n’a-t-il coupé dans le texte interminable de l’auteur allemand, dont le rythme de pensée ne correspond aucunement à la vivacité latine ? Avec une anecdote savoureuse et qui ne manque pas de contenu, il nous livre un produit souverainement ennuyeux. Cinq jeunes gens mordus d’histoire et de géographie s’imaginent revivre l’épopée d’Amundsen, marchant jusqu’au Pôle en 1911, et leur délire finit par frôler l’aliénation, tant est grand leur besoin de s’évader du monde quotidien (qu’incarnent, ce qui ne manque pas de sens, les femmes !). Ils ne quittent jamais, en vérité, leur mansarde. Le trajet de chacun est malheureusement trop exploité.
L’auteur veut tout boucler dans le détail des psychologies individuelles et en vérité on s’en fout. Dommage : je serai moins inconditionnel de Van Kessel désormais.

24.11.87 - L’hôtel Lutétia s’ouvre au théâtre, et Gilles Gleizes a édifié dans un de ses salons un décor à l’intérieur duquel les spectateurs prennent place, soit sur des chaises de bistrot autour de petites tables rondes, soit sur des banquettes disposées tout autour. Nous sommes dans un café hongrois du début des années trente. Un garçon surveille le va-et-vient d’un personnage qui n’a sans doute pas de quoi payer ses consommations et qui parle, racontant des histoires, pendant soixante-quinze minutes. LE TRADUCTEUR KLEPTOMANE est le titre de l’œuvre. L’auteur s’appelle Deszo Kosztolànyi. Le bavard, qui malheureusement ne fait pas tout à fait le poids, est Robert Lucibelle. Il y a aussi un dormeur, Gilles Baladou, qui écoute le discoureur. L’œuvre sent son époque mais se laisse écouter avec plaisir.

25.11.87 - Jean Louis Martin Barbaz a monté BAROUF À CHIOGGIA de Goldoni, avec bonne humeur et santé. Cela plaît beaucoup à un public que les extrapolations des docteurs sur le contenu social des œuvres de Goldoni n’effleurent plus. Nous sommes pourtant à la galerie de la Cité U. Je dois dire que j’ai pris plaisir à cette représentation qui ne cherche pas midi à quatorze heure, mais qui est jolie, enlevée, jouée avec verve par des actrices et des acteurs qui, un peu « ringards syndiqués » au début, je veux dire « coincés », se laissent peu à peu entraîner à s’amuser eux-mêmes, pour le bonheur des spectateurs. Il faut dire que le côté « faiseuse de salades » des femmes, et celui « macho » des hommes qui partent au quart de tour pour défendre leurs honneurs, sont croustillants. Le metteur en scène joue lui-même sans insister sur l’aspect trouble d’un personnage qui a le pouvoir, le juge, à qui étourdiment les petites gens ont conté leurs différents ; il y a juste la suffisance qui le distingue et il a l’air de s’amuser. Sans appuyer sur le contenu.

29.11.87 - BIG BANG BANLIEUE est un petit festival qui essaie d’animer un peu la ville de MANTES-LA-JOLIE ( !). J’ai assisté dans l’ex-magasin Parunis, (un supermarché désaffecté), qui offre des espaces de jeu considérables, à un espace antiraciste mis en scène par Ahmed Madani, composé de deux pièces de Grumberg, la première « Les Rouquins », où l’on voit grandir une situation de terreur dans un monde où le POUVOIR a décidé de faire disparaître les hommes et les femmes ayant le poil roux (la transposition est transparente), la seconde, « RIXE », qui est complètement au premier degré, montre un Français moyen qui a eu un accrochage de bagnole avec un Arabe, et qui se monte, se monte, se faisant tout un cinéma, se croyant poursuivi, jusqu’à tirer au fusil dans le tas d’un groupe qui n’est peut-être même pas de « bougnoules ».
Grumberg a un peu beaucoup tiré à la ligne dans cette oeuvrette, mais c’est superbement joué par Claude Barrichasse et Jean-Pierre Durand (qui fait une étonnante composition de femme soumise) et, pour les rouquins, par Christian Pouquet. Des amateurs du crû et un architecte Pop jouent des rôles complémentaires signifiants.

30.11.87 - Dans le cadre sublime de l’Orangerie du Parc de Sceaux, Jacques Nichet présente une adaptation pour le théâtre du REVE DE D’ALEMBERT de Diderot, et c’est un vrai plaisir que d’entendre ce texte, qui date de 1769 et qui est vraiment prérévolutionnaire, dans la mesure où il parle, en des termes très neufs, de l’évolution des espèces et de la situation de l’homme dans le concert de la création. Surtout quand ce sont Mademoiselle de l’Espinasse (Emmanuelle Grangé) et le Docteur Bordeu (appelé au chevet du philosophe délirant - Jacques Échantillon), remarquablement incarné par le vieux Gabriel Monnet, que c’est un vrai bonheur de voir ÉCOUTER sa partenaire, réagissant de l’intérieur à chaque proposition (rien que pour lui, le spectacle mérite l’attention), qui dissertent.
Je me souviens d’avoir entendu Cournot jadis affirmer qu’il détestait Diderot. Comment un « grand » critique peut-il ainsi stigmatiser cette « jubilation de l’intelligence » ? J’emploie cette formule parce qu’elle rend compte, je crois, exactement de ce qu’on ressent en regardant Monnot… J’y ajouterai pourtant une nuance de vice dans le regard. Certaines répliques sont d’ailleurs de l’audace de Sade ou de Crébillon fils. Il est un peu dommage que Marc Berman soit un peu fade en Diderot. J’avoue que, pendant le premier quart d’heure, j’ai eu un peu peur car son dialogue avec Échantillon n’avait pas de présence. Mais ce dernier est ensuite très bien en dormeur agité.
Bref l’ensemble, dans une belle, sobre et presque abstraite scénographie d’Alain Chambon donne un spectacle de haute qualité.

15.12.87 - Cette fois-ci, avec L’EMBALLAGE THÉATRE, les spectateurs ne sont point conviés à se balancer. Pourtant les actrices et les acteurs que dirigent Éric Da Silva dans un dispositif que j’ai envie de dire « en sept stations », sont toujours aussi agités. Ils se sont vus refuser le droit de jouer OFF LIMITS d’Adamov, qu’ils avaient commencé à répéter. Alors ils ont pondu un montage qui s’en inspire, qui n’est pas sans qualités, mais qui nécessite formellement, pour que le spectateur s’y retrouve, qu’il se réfère au guide qui est publié dans le programme, donnant un titre à chaque séquence et une idée de ce qu’on a voulu dire ! Ca s’appelle « Nous sommes si jeunes, nous ne pouvons pas attendre ». Via la médiation d’Adamov, ça rappelle le « Je voulais dire quelque chose mais quoi ? » d’Isabelle Pousseur … en moins étonnant.

03.01.88 - Il y a quelques années, Alexis Nitzer avait sous le titre « UN certain Plume… et quelques textes », proposé un récital Henri Michaux, dont la simplicité, la sobriété, la finesse dans un jeu sans ostentation, avaient fait merveille pour illustrer l’œuvre du poète révolté contre le monde et contre le langage.
J’aime beaucoup moins le montage à trois personnages qu’a réalisé Jean Loup Philippe sous le titre « La nuit remue ». Je veux bien que le décor imaginé par Daniel Louradour réponde, comme l’a détecté Pierre Marcabru, aux « Paysages secrets » que suggéraient les tableaux de l’auteur. Qu’on me pardonne de n’avoir pas trop aimé cette grotte verdâtre qui m’a rappelé le décor de Yannis Kokkos pour MACBETH à l’Opéra, mais ô ! combien en moins fou. Avec des éclairages qui se veulent savants et qui sont trop souvent des pénombres « endormissantes », Jean Loup Philippe et Annie Bertin murmurent les textes à la limite de l’audible, tandis qu’au contraire José Valverde les tonitrue de sa voix rave, qu’il affecte de telle sorte que sa fabrication sonne constamment faux.
Je ne le cacherai pas : cette version prétentieuse ne m’a pas atteint, les textes ne me sont point parvenus, et c’est sans doute parce que les intonations inculquées par le metteur en scène viennent toujours en paraphrases pléonastiques de ce qu’a écrit Michaux POUR QU’ON LE LISE, ou pour qu’on le récite SANS TÉLÉGUIDER les intentions. Bref, je me suis fort ennuyé, et plus particulièrement quand Annie Bertin avait la parole. Je l’ai trouvée très mauvaise.

05.01.88 - Le jour où Tout-Paris « inaugure » le « Théâtre de la Colline » avec LE PUBLIC de Federico Garcia Lorca, mise en scène de Jorge Lavelli, l’homme des scandales calculés, je vois au THÉATRE DE LA VILLE la reprise de « La Savetière prodigieuse » du même Lorca. Difficile d’imaginer qu’il s’agisse du même auteur, ou même de celui de YERMA ou de BERNARDA, tant il s’agit d’une oeuvrette légère, à vocation comique, dont le scénario aurait pu avoir été inventé par un Goldoni, un Lope de Vega, ou un Shakespeare au petit pied. Je dis « au petit pied » car la pièce est plutôt mal bâtie, un genre de MÉGÈRE APPRIVOISÉE sans suc ni panache.
Comment de surcroît un auteur du vingtième siècle a-t-il pu ressortir la tradition du type qu’on ne reconnaît pas parce qu’il s’est affublé d’une fausse barbe et déguisé en gitan ? J’avais vu jadis cette petite chose jouée par Madeleine Ozeray, et Rellys dans le rôle du Savetier. Olivier Perrier y est moins crédible, question âge et classe. Mais il est charmant et en vérité Nichet a su monter l’ouvrage avec beaucoup de finesses, d’intelligence et de trouvailles, dans un décor et des teintes goyesques, si bien qu’on passe une bonne soirée.

06.01.88 - Jacky Viallon est fasciné par les rats. À chacun sa passion, n’est-ce pas. Celle-ci lui a inspiré une pièce assez joliment écrite, qu’il joue seul avec pour partenaire un joli rat blanc apprivoisé, au terme de laquelle le héros, représentant en mort-aux-rats, se transforme peu à peu en vendeur de rats, puis en ami des rats, enfin en rat lui-même. Cela pourrait être du Kafka, ce n’est que du Jacky Viallon, mais cela se laisse voir et entendre sans qu’il soit nécessaire de se laisser envahir par la pensée philosophique de l’auteur acteur. (Essaïon)

07.01.88 - Sur la grande scène de la Maison de la Culture de Créteil, devant une toile de fond d’opéra, le Théâtre de l’Unité a installé une espèce de petit Kiosque, à l’intérieur duquel une quarantaine de privilégiés sont admis à la faveur de s’asseoir autour d’un petit espace douillet, style dix-huitième siècle, dont le meuble principal est un piano. Ces spectateurs ont été choisis à l’entrée, et priés d’incarner un familier de Mozart, ou une notoriété de son époque. Personnellement, j’ai été invité à être Beethoven. Des hublots tout autour du Salon permettent au surplus de spectateurs de se muer en « voyeurs ».
Selon Hervée de Lafond, maîtresse des lieux, tous les personnages sont des morts ressuscités le temps d’une soirée viennoise, au cours de laquelle on verra Mozart faire ses pitreries et jouer, tout en dégustant un délicieux chocolat (d’où le titre MOZART AU CHOCOLAT), et sur la fin une boisson plus forte qui m’a semblé être du Cointreau. Ca donne un mélange de concert, parfaitement assumé par un virtuose du piano, une excellente chanteuse et un chanteur (Pierre Benusiglio, Francis Vidi et Mélanie Jackson) plus Hervée de Lafond bien sûr, et Jacques Livchine, qui signifie le Directeur de l’Opéra de Vienne, bien sûr oublié par la postérité ; et d’autre part c’est un ramassis de vulgarités qui sortent de ces gosiers sublimes, comme si on avait voulu mettre l’accent entre le sublime des notes divines, et le voler bas des réflexions de pauses.
Bref, ce spectacle est exquis, encore que les spectateurs acteurs du troisième rang apprécieraient que celui-ci soit un peu surélevé. La vision fragmentaire ne va pas avec le propos.

11.01.87 - QUARTETT de Heiner Muller est une œuvre singulièrement peu positive qui met face-à-face deux désespérés, un homme et une femme (mais l’auteur travaille dans l’ambiguïté des sexes et il assez croustillant de voir Albert Delpy ouvrir sa chemise pour montrer ses seins en déclarant « Je suis une femme »), qui se disent des choses fort crues au seuil de leur mort.
À mon avis, l’écoute attentive des choses dites indique que l’humour n’est pas absent du texte. À plusieurs reprises, il m’a semblé qu’il aurait été nécessaire de se marrer. Mais le metteur en scène de ces « répétitions privées » ne l’a pas voulu ainsi et il a inculqué à ses deux interprètes, Delpy déjà cité et Sylvie Artel, un jeu en demi-teintes plein de retenue, de pudeur, ce qui est un comble, vu le texte de l’ouvrage, dont on ne perçoit que des bribes quand c’est l’actrice qui parle, comme si elle avait honte de son vocabulaire et de son discours. Au demeurant, j’ai trouvé Sylvie Artel fort mauvaise et inécoutable, pas seulement parce qu’on ne l’entendait point. Et puis laide aussi, je n’ai pas eu de plaisir à la regarder.
Bizarre entreprise que ces prestations du Théâtre OFF SHORE à la Maison de l’Allemagne de la Cité U, sans autre décor qu’une grande baie vitrée donnant sur le parc. Tout l’environnement du spectacle avait un petit côté amateur. Albert Delpy bridé, guindé, coincé, proférant des horreurs sans les asséner, les éprouver, les régurgiter, ne semblant même pas les déguster, valait pourtant le détour.

13.01.88 - François Roy s’est lancé, en montant LE CANDIDAT de Flaubert, dans une entreprise ambitieuse que je ne suis pas sûr qu’il ait pleinement maîtrisée. Il n’y a pas une ligne directrice dans le jeu des dix-huit acteurs qui incarnent les personnages de l’intrigue, qui date, n’en déplaise au promoteur qui s’est éclaté à l’idée de montrer à la veille de nos présidentielles un magouillage d’il y a cent ans. Elle date parce que les antagonistes ne représentent pas des INTÉRETS mais des appétits individuels, et parce que de nos jours un marchandage autour d’une fille à marier serait problématique dans la plus conservatrice des sociétés.
Il me semble qu’il aurait fallu davantage caricaturer certains traits. Yamina Hachémi le fait, pour ce qui la concerne, mais trop d’acteurs jouent « vrai », sans transposer. On assiste à une honnête représentation là où il aurait fallu des plans successifs de transpositions contrariées. Facile à dire, m’objecterez-vous. Sans doute, mais je l’ai senti ainsi. Je n’ai pas pu m’empêcher d’évoquer Benno Besson qui aurait sûrement su tirer autre chose de ce texte.

14.01.87 - Je ne suis pas certain que Stéphanie Loïk ait été bien inspirée en montant LES RACINES DE LA HAINE, d’un certain Suédois NIKLAS RADSTRÖM, qui s’est demandé comment l’éducation du jeune Adolphe l’avait conduit à devenir Hitler, c’est-à-dire un monstre.
D’abord parce que, à mon avis, le thème relève beaucoup plus d’un traité de psychanalyse que d’une pièce de théâtre. Ensuite parce que le traitement qu’elle a infligé à l’œuvre, constamment en jeu vocalement paroxystique et en gestuelle au ralenti rigoureux, rend la représentation irritante, voire insupportable. Et puis, c’est dangereux le théâtre, à force de voir le garçon humilié, battu, terrorisé par son père, douanier obtus, sous l’œil passif d’une mère qui semble morte avant d’avoir fini de vivre, on risquerait de se prendre de sympathie pour lui et de se dire qu’on le comprend de s’être vengé plus tard.
Stéphanie Loïk a transposé le réalisme probable de la pièce en enveloppant la représentation dans une atmosphère lourde, pesante, où tout est figé, où seul le hurlement est admis comme mode de discours, où les déplacements sont presque chorégraphiques. Elle a assumé un gros travail. Mais Denise Peron a beau articuler avec énergie ce qu’a été plus tard l’antisémitisme du « plus grand assassin de l’Histoire », et l’intention globale de l’entreprise étant, n’en doutons pas, pure, l’ambiguïté suinte de partout, rendant suspect le projet. Mais surtout, soyons clairs, on se fait chier. 

15.01.88 - Il y a des troupes qui rament pour déplacer les « médiateurs », mais ce n’est pas le cas du Théâtre du Radeau. En ce vendredi soir à Cergy-Pontoise, on rencontrait Bernard Dort, venu là ès qualité du T.N.S., Marie Dunglas, représentant La Salamandre, et puis, signe de mode, Viviane Théophilidès accompagnant le critique branché de l’Huma, Léonardini. Et je suis resté avec eux, Monique Bertin et beaucoup d’autres, à regarder et à écouter pendant deux heures et demi, un « Jeu de Faust » parfois fort beau, mais trop long, beaucoup trop long.
Au surplus, pour qui a vu le MYSTÈRE BOUFFE, on ne peut s’empêcher de penser que les trucs de Tanguy sentent un peu le procédé : murmures indistincts des personnages masqués ou sur grimés, vêtus d’oripeaux étranges et affublés de postiches. Gestuelle lente et prolongée, souvent acrobatique, toujours parfaitement assumée. Tableaux soutenus par des musiques brillantes, qui aident à les apprécier. Absence totale voulue de progression dramatique, le parcours intime de l’équipe exigeant d’être décrypté par des spectateurs auxquels « on » refuse les repères. Le titre du spectacle indique bien qu’il s’agit d’une variation autour du thème de Faust, selon un itinéraire RADEAU qui a sûrement son système de références. Mais comme le programme nous invite à oublier nos souvenirs culturels, il reste des images et des sons qui par moments sont forts, malgré un goût excessif du metteur en scène pour les déménagements à vue de chaises.
Bref, ce RADEAU à la mode, qui rejoint quelque part le théâtre de figure, mérite certainement qu’on s’intéressé à lui. De là à un engouement inconditionnel qui donnerait la grosse tête à un Tanguy terroriste, il y a un pas que je ne franchirai pas.

18.01.88 - Ne cherchez pas un sens au titre « La Rue où l’éléphant est tombé ». Un groupe qui s’appelle « La Fabrique d’Utopies fantaisistes », qui œuvre à Reims et qui, selon le programme, bénéficie de nombreux soutiens, a créé ce spectacle sans queue ni tête, mais qui se laisse voir avec plaisir… au Centre Culturel de Kinshasa. L’A.F.A.A, l’Alliance Française, l’Événement du Jeudi, Hutchinson, le F.IC.A., l’Office Régional, Radio France, Polaroïd, U.T.A. et quelques autres semblent, selon le programme, avoir sponsorisé l’entreprise. Je l’ai visionné à la Maison de la Culture de Reims sur les injonctions très fermes et vachement militantes de Pierre Ménasché.
Eh bien, ce n’est pas mal, mais ça ne vaut pas le détour, d’abord parce qu’il ne s’agit que d’une série de sketchs malheureusement sans fil conducteur « lisible » ; (je mets « lisible » entre guillemets parce que, paraît-il, il y en aurait un dans la tête de l’auteur, le parcours montré serait celui d’un itinéraire intérieur, et ce serait la raison pour laquelle Jean-Michel Bruyère est présent sur la scène du début à la fin de la représentation, opérant comme une espèce de chef d’orchestre deus ex machina, un brin agaçant à la longue) ; ensuite parce que ce n’est pas impeccable au niveau de l’exécution gestuelle. Ce ne l’était pas non plus au temps du MAGIC CIRCUS des origines, mais il y avait dans les imperfections de Savary un contenu, une dynamique, qui sont absents ici. Les « allégories de la mort de l’enfance et de son souvenir » (sic) ne sont porteuses d’aucun discours qui m’atteigne, même si le programme m’indique qu’il s’agirait de « Jéricho », enfant qui joue, qui rêve et qui meurt. Cet enfant-là, à mes yeux, ne recoupe pas l’universel. Cela dit, on ne s’ennuie pas et même on s’amuse parfois. On a envie de dire qu’on reverra le groupe quand ses membres auront passé une heure de leur vie à se demander où et comment ils se situent dans ce monde. Quand ils seront vraiment des Zartans, et non pas des Tarzans de série télévisée.

02.02.88 - En ses ateliers du Boulevard Victor Hugo à Clichy, Dominique Houdart propose à quelques amis ou acheteurs potentiels, la PHÈDRE qu’il a montée en mars 86 dans la salle des Subsistances du Fort de Dogneville, transformée en catacombes. L’itinéraire initiatique pour accéder au lieu du spectacle a été tant bien que mal suggéré. Nous passons par des couloirs que des tombeaux ornementent, de ceux au-dessus desquels se sculptaient les défunts au Moyen Age.
Six de ces corps empierrés encadrent l’aire de jeu sur laquelle va évoluer, seule, une heure cinquante durant, Jeanne Heuclin, Phèdre, et quelque part Oenone. Les autres personnages, auxquels elle prête les tessitures diverses de sa voix par sono interposée, lui renvoient des répliques raccourcies. Certains, comme Aricie, sont carrément supprimés. Un petit Bonzaï frémissant quand il cause signifie Thésée. Un rai de lumière suffit à symboliser les autres. Une statuette, Hyppolite. La performance de l’actrice est admirable. Jeanne Heuclin s’y confirme tragédienne à part entière. Elle a la puissance, le souffle, le sens du balancement des vers, la sensibilité et, plus que tout, le professionnalisme. Raison de plus, à mon avis, pour regretter qu’elle ne joue pas vraiment le rôle avec d’authentiques partenaires. Car on pourra m’objecter tout ce qu’on voudra, c’est à un « one-man-show » que j’ai assisté, à une exhibition exhibitionniste, d’autant plus que le metteur en scène lui a inculqué des mignardises gestuelles d’inspiration nippone qui sont hors du sujet, car elles sont plaquées gratuitement, sans justification, sur la tragédie.
Ajouterai-je que le Requiem de Gilles qui ponctue le discours ne m’a pas semblé FORT. Il surgit par moments gentiment, ne soutenant en rien le drame. Bref, mon impression est que, pour mettre en valeur sa vedette maison, qui est, répétons-le, une valeur inestimable, qu’elle doit sans doute à son art de contrôler sa respiration, (un peu selon la vieille méthode Ligier, m’a-t-il semblé), Dominique Houdart a accumulé des recettes qu’il affectionne et maîtrise, sans JUSTIFIER en profondeur leur emploi en l’espèce. Une crypte magique, une grotte que seuls des candélabres illumineraient, transformerait peut-être mon impression. Celle que j’ai aujourd’hui est que TOUT LE TRAJET n’a été imaginé que pour des raisons économiques. Ce rituel païen qui est peut-être une « messe janséniste » n’en est pas moins prenant. La critique se situe à un niveau élevé.

02.02.88 - Ô Federico Garcia Lorca, que ne laisse-t-on dormir les œuvres que tu n’avais pas, lorsque tu vivais, livrées au PUBLIC ? De quel droit des fouille-merde ont-ils publié en 1976 un texte écrit en 1929, remanié en 1936, et JAMAIS ÉDITÉ du vivant de l’auteur, un texte surréaliste beau par instants, mais informe, ni fait ni à faire, et surtout (mais c’est bien sûr ce qui leur a plu, bien plus que l’engagement « politique » de YERMA ou de BERNARDA), baignant dans l’angoisse sexuelle qui a été la tienne, dans ta pédérastie, qu’ils s’annexent, brandissent comme leur drapeau et comme si elle était essentielle de ce que tu fus.
Jorge Lavelli, pour inaugurer son nouveau THÉATRE DE LA COLLINE, a trouvé dans ce relatif non texte un matériau grâce auquel il a monté une somptuosité baroque. On croirait revoir les GOMBROWICZ de ses débuts, sauf que les nudités masculines et féminines ne choquent plus personne aujourd’hui. Un moment, Maria de Medeiros, qui incarne Juliette dans ce discours où l’héroïne changera de sexe, fait passer un souffle de charme et de fraîcheur sur le spectacle. Il faut aussi citer Jean-Jacques Scheffer, qui incarne une sorte de Christ agressif très rigolo. Autrement, c’est spectaculaire, c’est du théâtre dans le théâtre, c’est « audacieux » avec mesure. Avec Lavelli, Léotard a fait un choix judicieux. D’entrée de jeu dans cette promotion, il se situe comme agitateur « raisonnable ».

03.02.88 - Le Grand Duché du Luxembourg, terminus de l’horreur pour Brigitte Fontaine, a, depuis trois ans un nouveau théâtre, le THÉATRE DES CAPUCINS, qui n’est autre que l’ancien Théâtre Municipal, celui dont tout un côté était occupé par la somptueuse loge de la Grande Duchesse, en face duquel une brasserie était restée célèbre dans ma mémoire par les spaghettis à l’oignon qu’on y servait. Le lieu rénové a rendu ses droits à l’ancienne chapelle qui fut en cet emplacement l’édifice primitif. En plus froid, plus moderne, on se croirait au Chêne Noir d’Avignon.
Marc Olinger, presque aussi massif que son voisin de Liège Jacques Deck, essaye d’y avoir une politique de création avec la conscience affichée d’œuvrer dans un pays qui « sort à peine à peine du Moyen-Âge. » Le Centre Culturel Français lui apporte avec dévouement un appui paternel, quasi-colonialiste, qui semble être accepté sans complexes. Pendant trois jours, Marc Olinger a organisé une sorte d’exposition de ce qui se fait à Luxembourg en matière de théâtre vivant.
Pour la première soirée, il propose un BALCON de Genêt dont la représentation sera malheureusement interrompue vers le milieu de la deuxième partie par un accident. L’actrice qui joue Irma, Claudine Pelletier, s’est fait sectionner quatre doigts de pied par un élévateur du plateau. 
J’ai quand même eu largement le temps de me rendre compte du fait que le spectacle, mise en scène par Olinger, manquait singulièrement de professionnalisme. L’amateurisme de bonne volonté suintait à la fois du jeu, très conventionnel, des artistes, et de la mise en scène, sans imagination et souvent maladroite. Toutefois j’ai vu un mérite dans ces imperfections en ce sens que, pour une fois, au lieu de noyer cette œuvre dans la brillance d’un environnement qui la masquait, on me l’a proposée à nu, telle qu’en son verbe elle fut écrite, « ternement », et cela m’a aidé à ne pas la trouver très bonne. Et même à me demander où était écrit le « cérémonial rituel » dont il est bon ton de l’entourer.

04.02.88 - Philippe Noesen est un ancien pensionnaire de la Comédie-Française qui a choisi de s’installer (j’allais écrire « se retirer ») au Grand Duché du Luxembourg et d’y diriger une troupe qui s’appelle THÉATRE DU CENTAURE. Il présente ce soir une pièce d’un certain Marc Phéline, que L’AVANT-SCÈNE a jugé bon de publier, qui fut primée au Concours National de L’ACTE à Metz, tranche de bifsteack saignant qu’Adamov aurait qualifiée de Bould’hum : URGENCES.
Ca se passe dans le hall d’entrée d’un hôpital. Une petite vieille devenue dingue à la suite de la mort de ses deux fils, insomniaque mais douce, ce qui explique que l’infirmière chef Caporal énergique chargée de la surveillance de nuit (pour la dernière fois, car elle part à la retraite le lendemain matin) soit indulgente avec elle, y téléphone interminablement à une famille imaginaire. Un couple de fêtards débarque avec une minette victime, croient-ils, d’une overdose, en vérité d’une méningite cérébrospinale. Le médecin de service a « l’habitude » de tout ça. Ces personnages s’empoignent selon des schémas psychologiques prévus. Ca ne dure qu’une heure.

Et puis, divine surprise, voici qu’en deuxième partie de cette soirée, Marc Olinger propose sous le titre « L’INTERRUPTEUR » une pièce d’une inconnue, Claire Hinschberger, qui en une minute s’impose, grâce, il faut bien le dire, surtout, à l’interprète unique qui est en scène, une grosse dame, qui ressemble à Christine Pignet (de chez Jérôme Deschamps), qui s’appelle Christine Faber, dont j’apprendrai plus tard qu’elle est une amatrice, épouse de l’Ambassadeur du Luxembourg auprès des Nations Unies de Strasbourg. Elle incarne en trois séquences une petite fille demeurée (mais de bonne volonté) qui cherche en vain la communication avec une mère toujours absente ou occupée à la cuisine. Jamais cette mère, qu’on entend parler et s’agiter en coulisses, n’apparaîtra et peut-être n’existe-t-elle plus qu’à travers les fantasmes de la petite fille handicapée.
Chaque séquence répète la précédente. Apparemment le temps remonte, puisque la taille des meubles et des objets augmente de l’une à l’autre. La continuité est signifiée par un interrupteur qui terrorise la gamine car il y a « un fil qui pend », et qui, en même temps, la fascine au point qu’elle ne cesse de jouer avec. Et puis elle se souvient qu’elle doit prendre des médicaments, de plus en plus gros, sortis de boîtes de plus en plus imposantes rangées dans une armoire de plus en plus gigantesque, et dures à atteindre.
L’actrice joue admirablement cette difficulté croissante de chaque geste. Elle ne se déplace qu’à petits pas maladroits. Attraper les pilules, les poser sur la table sont pour elle une escalade laborieuse. Et quand elle s’assoit sur son gros cul, c’est une souffrance insupportable qu’elle éprouve et communique. Le tout avec une parfaite rigueur, une totale maîtrise. L’œuvre, beckettienne et minimale, lui doit tout ainsi qu’à Olinger. Ce spectacle-là (cinquante-cinq minutes) valait le détour.

Publié dans histoire-du-theatre

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article