Du 8 janvier au 24 février 1986

Publié le par André Gintzburger

08.01.86 - J’avais conservé le souvenir d’une très belle pièce. C’est par elle que j’avais découvert Marie-José Weber, quand elle l’avait exhumée triomphalement au Studio des Champs-Élysées vers les années 1969. Je pense que « nous » avons changé, car je n’ai pas retrouvé ma béatitude d’alors à l’Athénée, où Alain Bézu reprend VINCENT ET L’AMIE DES PERSONNALITÉS de Robert Musil. Est-ce parce qu’Isabelle Janier ne vaut pas Laurence Bourdil qui incarnait Alpha, espèce de Lulu prostituée de luxe pour messieurs haut placés et protecteurs ? Sans doute son interprétation est-elle moins forte. Mais surtout son personnage, quelque part, ne m’intéresse plus qu’anecdotiquement tant le scandale de telles mœurs s’est banalisé.
Sans doute aussi le metteur en scène a-t-il trop tiré les « personnalités » vers la caricature. Et puis, pourquoi a-t-il tiré vers le contemporain les costumes et l’environnement, qui m’a rappelé, par son modernisme détonnant, le traitement infligé jadis à la MÉNAGERIE DE VERRE par Antoine Bourseiller ? La gratuité de l’univers montré, avec lunette astronomique, squelette préhistorique et objets désignés m’a gêné, comme m’ont frappé les insuffisances dans ce genre d’une troupe qui avait excellé dans des comédies de Corneille, qu’elle avait su rendre intelligible. Il est vrai que pour clarifier MELITE ou LA PLACE ROYALE, il suffisait de mettre en harmonie une analyse littéraire rigoureuse, avec une façon de jouer non conventionnelle. Musil est autrement confus, incernable. Dans le programme du spectacle, l’accent est mis, à juste titre, sur la difficulté à identifier Alpha et son « presque » frère », peut-être amant, (sûrement dans cette mise en scène qui, au contraire, rejette demi-teintes et insinuations au profit d’affirmations) « chercheur en relations sociales ! » En vérité, il est certain que la lecture du Théâtre des Deux Rives manque de branche. Jean-Pierre Klein en Vincent n’est qu’un petit maquereau escroc sans classe  et Isabelle Janier n’a ni grandeur, ni morgue, ni insolence. En un mot, ces personnages ne valent que par la dimension que peuvent leur inculquer leurs interprètes. Ils doivent être ambigus, mystérieux, dangereux. Bézu a voulu nous les rendre clairs et il les a affadis, rapetissés. Ainsi livrés à notre voyeurisme, ils n’atteignent pas. Mais peut-être aussi leur déracinement par rapport à une époque précise, l’entre-deux guerres, l’émergence d’une petite Autriche privée tout récemment de sa famille impériale, de ses processions territoriales et de sa puissance, joue-t-il dans la désaffection que j’éprouve. Cette version manque de poussière. Bref, je crois que Bézu s’est fourvoyé de fond en comble.
N’accusons pas Musil trop vite. Il pourrait bien être de ceux qui ne supportent pas les « traitements », qu’il faut jouer, simplement, en les distribuant bien. Ce qu’avait fait Marie-José Weber, qui n’avait que trop prouvé ensuite qu’elle n’était pas géniale. 

12.01.86 - Ce n’est plus la distribution d’opium aux intellectuels. C’est de la débilité à l’état pur : une gestuelle volontairement étriquée. Un texte dit de façon neutre et pressée, aussi monocorde que possible. Mais c’est de la débilité impeccable. La maladresse heurtée des mouvements est organisée avec une rigueur toute professionnelle. Le travail montré par Pascale Murtin et François Hiffler est parfait. Le parti est assumé.
Et puis, ce qui est dit a une référence absolument exacte culturellement : Géorgie Vasari, peintre, architecte médiocre du seizième siècle florentin, écrivit un livre d’histoire de l’art qui reste un ouvrage précieux pour les chercheurs en la matière. Il y parle, et c’est ce qu’il en dit que nous livre LE GRAND MAGASIN, d’un certain Paolo Ucello, peintre, mosaïste, décorateur et marqueteur florentin des débuts du quinzième siècle qui finit, après des années de recherche dans diverses voies, par se consacrer exclusivement à l’étude de la perspective !
En une heure minimaliste, « La vie de Paolo Uccello » survole cette destinée avec un « langage » irritant, qui doit sûrement recouper une ligne de force puisque la salle du Théâtre de la Bastille était bourrée en ce dimanche après-midi. Il est vrai qu’à la fin les applaudissements n’étaient pas trop nourris. Avant de condamner toutefois cette production Coquet-Penin, il faut réfléchir à la signifiance d’une démarche qui étaye aussi solidement un produit qui, à la livraison, a l’air, quelque part, de se foutre de la gueule du public. Attention de ne pas réagir en vieux con !
 
13.01.86 - « Refusant l’analyse psychologique et l’introspection, Dos Passos », nous dit LE ROBERT, « se définit comme le romancier du comportement humain dans la société, observant les réactions et les gestes, leur donnant un sens par la complexité des angles de vision et la structure même de l’œuvre ».
Très passionné par l’univers cinématographique, il avait fait de New York le personnage principal de son roman MANHATTAN TRANSFER. Ca se résume à peu de choses : les émigrants d’Europe y arrivent plein d’espoir (on est dans la période de 1910-1920), ils se heurtent à une jungle impitoyable et, au terme d’une lutte sans merci pour le « bonheur » identifié à « l’argent », la plupart sont investis par le désespoir et l’idée de suicide s’insinue en eux.
Je n’ai pas assisté à cette phase finale intitulée « La Party », dans le spectacle que Christian Peythieu a tiré de ce roman, se défendant d’ailleurs d’en avoir proposé une adaptation, se vantant au contraire de l’avoir trahi ! Quand, au bout d’une heure et demi de représentation, l’animateur du Studio Berthelot de Montreuil a annoncé le quart d’heure d’entracte, j’ai fui, et je ne saurai donc jamais quel traitement LES CORPS ÉLECTRIQUES, (c’est le titre du spectacle) infligeait aux personnages inconsistants que j’avais sous les yeux pendant quatre-vingt dix minutes, dont une certaine Jane apparemment indifférente aux sollicitations dont les hommes l’accablent, et dont ces mâles ne cessent de prononcer le nom, avec l’accent anglais, toujours sur un ton quémandeur plaintif. Ceci dans un dispositif d’une certaine Pascaline Riccardi, d’une pauvre laideur.
La trahison de l’adaptateur metteur en scène n’a consisté qu’à réduire le texte de l’auteur à quelques phrases citations signifiantes, et à montrer des gens pressés qui vont en tous sens dans une agitation qui aurait une signification si elle était justifiée, explicitée. On comprend vaguement que ces errantes se cherchent sans se trouver. Bon, ce n’est pas très original et c’est confusément présenté.
Après PAQUES À NEW YORK, AMÉRIQUE AMÉRIQUE, et même LA STATUE DE LA LIBERTÉ, cette nouvelle incursion dans la psychanalyse U.S. ne s’imposait pas.
À noter tout de même que les acteurs et actrices ne sont pas mauvais, et qu’ils dansent bien. 

14.01.86 - Quand on lit le générique du T.G.P. new-look, dirigé par Daniel Mesguich, on constate que, sur un effectif de vingt-cinq permanents, il y a deux préposés au « marketing », une préposée à la « promotion » et une attachée de presse. Imaginez par là quelle part du budget doit être consacrée au faire-valoir de l’entreprise. Il y a aussi trois dramaturges, dont on peut se demander en quoi ils ont éclairé Daniel Mesguich metteur en scène sur le personnage de Lorenzo de Médicis, tant l’aspect principal de sa démarche est illisible dans le LORENZACCIO qui inaugure la nouvelle gestion : de tous temps, j’avais cru qu’il s’agissait d’un jeune homme vertueux qui, pour délivrer Florence d’un tyran vicieux, avait choisi de se salir, de s’avilir, de devenir le compagnon de débauche du potentat, afin de capter sa confiance et de pouvoir ainsi l’assassiner. Son dessein était POLITIQUE. Dans le dictionnaire, je lis : « L’échec dérisoire de la Révolution de 1830 dont ce drame est la pathétique illustration, la personnalité complexe de Lorenzo, reflet fidèle de l’âme de l’auteur, et surtout la grandeur tragique de l’épisode, font de cette pièce un des chefs-d’œuvre du théâtre français ! »
Est-ce dû au fait que Redjep Mitrovitsa, à qui le rôle a été confié, n’est pas un grand acteur ? Faut-il incriminer la direction qui lui a été infligée ? Je n’ai RIEN perçu de sa déchirante ambiguïté. Toute sa trajectoire m’est parvenue froide, désincarnée, lointaine, avec des moments gratuitement parodiques. On sait que je n’ai rien, bien au contraire, contre les démystifications. Encore faut-il que les mythes soient lisibles pour que leur contestation soit perceptible. Or ici, les jeux de la révolution et du pouvoir, de l’arbitraire et de la générosité sont réduits à une vision parodique, et les stances du héros, juste avant qu’il commette son crime, le font apparaître comme un débile infantile bien plus que comme un justicier troublé, ayant, au fil d’une amitié nouée à son insu, perdu le goût de l’acte qu’il va pourtant commettre. Le dessein d’une vie contestée dans cette scène superbe est ici ridiculisé, avili, si bien qu’on ne comprend plus du tout pourquoi l’assassin court, une fois la chose accomplie, au-devant d’une mort certaine au lieu de prendre à son tour le pouvoir pour conduire, ainsi qu’il l’avait rêvé, le peuple du Duché vers le bonheur.
Dans un décor unique assez beau dû à Alain Batifoulier, qui signe aussi des costumes souvent magnifiques, les personnages s’agitent au fil d’une mise en scène qui, formellement, est brillante mais qui est beaucoup trop visible avec d’étranges gratuités. Jérôme Angé, qui joue Alexandre de Médicis, a la bougeotte et, dans les scènes à deux, il laisse son partenaire en plan sur la scène, va en coulisse, revient d’un pas jamais psychologique par une autre issue, dit sa réplique, ressort, revient par ailleurs et ainsi de suite sans raison apparente.
D’une façon générale, tous vocifèrent ou chuchotent. Ils n’ont les uns et les autres aucune PRESENCE, ne trimballent aucun ROMANTISME. Ils ne trahissent pas Musset, ILS JOUENT AUTRE CHOSE, à côté de la plaque ! « C’est ce qui est désespéré qui est le plus beau », disait l’amant de George Sand. La désespérance ne transparaît qu’un instant dans les phrases de Philippe Strozzi, quand sa fille Louise meurt empoisonnée. Il faut dire que Sarah Mesguich, qui joue le rôle de l’enfant, doit sans doute à sa parenté avec le metteur en scène d’avoir eu le droit de jouer son petit personnage avec simplicité. Elle dit « je vais mourir » sans connotation psychanalytique. Tout au plus est-elle un peu grassouillette, comme cela arrive parfois aux fillettes de son âge. Mais soyons juste, le père qui lui donne la réplique, Denis Gravereaux, réussit de son côté à être un peu émouvant.
Ah, comme je voudrais être sûr que Mesguich a voulu nous bâiller un canular. Mais non. Ah ! J’allais oublié de dire qu’il a pratiqué des coupures, ce qui aurait été une bonne chose si elles n’allaient pas toutes dans le sens d’une désincarnation du contenu de l’œuvre.

21.01.86 - Ne vous droguez pas, sinon, vous finirez comme « Jeff », déchet d’humanité en manque sur un quai de métro désaffecté, abandonné de tous, y compris  d’une copine en « voyages » qui, sous l’influence d’une bonne « Marie » distributrice de cafés aux clochards, rentrera au bercail malgré l’amour que continue de lui inspirer le paria.
L’auteur, Yves Heurté, se plaint dans le programme des coupures pratiquées à son insu dans son texte par les metteurs en scène Antoine Liebayle et Maryse Degoutin. C’est une production de la Comédie de Lorraine.

22.01.86 – Elles sont deux, ils sont trois, et en vérité ils sont n’importe qui, vous et moi, invités à un repas entre amis, où il faut meubler la conversation, avoir l’air content, joyeux, tout en restant suffisamment superficiels pour que ça se passe sans vagues. Les répliques fusent entre ces cinq personnes qui s’affublent de prénoms changeants et qui bouffent, dans le désordre, un pantagruélique repas, en réalité plusieurs repas, car dans cette BAIE DE NAPLES, la notion de temps est oubliée, on nage dans une irréalité intemporelle.
Evidemment, le spectacle de Joël Dragutin fait penser à L’APOLOGUE d’Azerthiope, mais la charge critique est chez lui moins violente. Il ne dépasse pas, lui, l’aimable niveau d’un divertissement pour bourgeois se chinant entre eux. On s’amuse, on rit, on admire la solidité apparente des estomacs des acteurs. L’absurde gentil de l’univers illustré est plaisant. Ca n’est pas vulgaire. Ca n’est pas loin du boulevard. Ca manque peut-être d’anecdotes en contrepoints. (Petit Mathurin)

PROMENADES  CULTURELLES

23.01.86 – J’ai dû aller jusqu’à l’Espace Tonkin, à Villeurbanne, pour assister au dernier spectacle d’Hector Malamud, Benito Gutmacher et Carlos Trafic : THE PROVOCATION OF SHAKESPEARE, traduit en français par LE DEFI A SHAKESPEARE !
Interprétant et s’échangeant tous les rôles, les trois lascars jouent HAMLET. Dans un coin, il y a un téléphone qui, de temps en temps, sonne. C’est l’auteur qui intervient pour se plaindre qu’on le trahit. En effet, les bougres s’en donnent à cœur joie avec un irrespect plein de santé, accumulant les gags avec, généralement, beaucoup de bonheur. Loin des pièges du one-man-show, leurs personnalités différentes se complètent et s’épanouissent en un délire collectif qui passe très bien.
Il est seulement dommage que la régie du spectacle ne soit pas impeccablement propre, ce qui fait que les enchaînements manquent de rigueur. Le fait que la salle soit un gymnase pour basketteurs plutôt qu’un théâtre, et qu’ils soient venus les mains dans les poches avec seulement une valise d’accessoires et seulement à quatorze heures, et qu’ils n’aient pas eu le temps de répéter alors qu’ils n’avaient pas joué depuis trois semaines, n’est pas une excuse. J’aimerais qu’ils fassent subir le même traitement à une de ces œuvres de Shakespeare que nos docteurs veulent rendre signifiantes à contre intentions, telles LA TEMPETE, LE MARCHAND DE VENISE,  CORIOLAN, LES  RICHARDS et autres… Bref, une de ces pièces où il y ait le « peuple » et les « grands ».

24.01.86 - Pour la deuxième fois me voici à Grenoble. Cette fois-ci, c’est au Théâtre Municipal qu’Yvon Chaix propose à un public singulièrement clairsemé (j’assiste à la deuxième d’une série de cinq séances en « reprise ») Italie RACONTE, quelque chose qui ressemble, a justement écrit un critique, à « un bout à bout de rushes de films italiens des années cinquante »…
À lire ce que le réalisateur a fait imprimer dans son programme, je m’attendais à une exploration des nouvelles annoncées, paraît-il, de Pasolini, Sciascia, Moravia, Pirandello, etc., dans un style de type VARIETA ; mais Yvon Chaix n’est pas Ascaride, et son entreprise, beaucoup plus exigeante, vise plus haut. S’il avait, lui-même, davantage de présence, et si les textes qu’il joue avec Elena Pastore avaient été choisis plus politiques, on trouverait plutôt comme référence un Dario Fo… en moins drôle, car on ne rit pas beaucoup durant la séance qui, après un monologue de douze minutes devant le rideau, nous amène, dans un décor de campagne dénudée, à suivre les méandres d’un couple à bord d’une Fiat spectaculaire, sous les ordres d’un metteur en scène, dont la voix étonnamment sonnante arrive de derrière les spectateurs.
L’entreprise saucissonne malheureusement les anecdotes et fait beaucoup trop appel à la culture, supposée acquise à l’avance, des auditeurs. Ce qui m’est raconté ne m’a pas paru très lisible et le discours tenu ne m’est guère parvenu. Je garderai de cette affaire le souvenir de quelques belles images, rendues « brouillardeuses » par trois rangées de rideaux de tulle, et celui de la ressemblance d’Yvon Chaix avec Buster Keaton. J’ai été agacé plutôt par l’exubérance italienne d’Elena Pastore, quand elle incarne la star sur le retour ou l’inévitable prostituée romaine. Une scène de pantomime sur une musique guillerette, dans le style Roman-Photo du Royal de Luxe, est réussie. Dans l’ensemble, l’affaire ne valait pas le voyage. Elle ne s’est pas suffisamment souciée de « rapprochement » (en opposition à « distanciation »). Elle sent un peu son « complot ».

25.01.86 - Au Théâtre de la Platte, à Lyon, le public n’est pas clairsemé et, une demi-heure à l’avance, la petite salle commence à se remplir. Vers vingt-et-une heures, l’administrateur ne sait plus où donner de la tête pour placer les gens et on en assoit même sur le plateau. Il faut dire que Capezzone reprend ici un de ses grands succès, et qu’il joue une œuvre en français lyonnais. Le chauvinisme joue donc son rôle dans cet engouement. À part ces gens, il y a sur la scène un piano, une machine à coudre, quelques oripeaux suspendus à des cintres, un meuble avec quelques objets et un portrait. Le tout de style rétro, comme est rétro la cage suspendue aux cintres et le rideau rouge replié dont on devine qu’il va tomber plus tard, pendant le spectacle. Pas d’autre décor. Le mur noir du théâtre en fait office.
À l’heure dite, on voit entrer par la salle une femme de ménage affublée en Madame Michu et avec la tête de Benny Hill, le comique anglais de la télé. Elle a l’air surprise de voir du monde : « On vous a laissés entrer ? », s’étonne-t-elle ! C’est que son ménage n’est pas fini et qu’il faut qu’elle fasse vite avant l’arrivée du comédien qui va jouer la pièce et qui ne saurait tarder, vu l’heure qu’il est. C’est le sujet de BENOIST MARY STORY. Pendant quatre-vingt-dix minutes, nous allons attendre l’arrivée de cet artiste qui est supposé jouer une œuvre « qu’il faut avoir fait des études pour comprendre », et la matrone va s’épancher dans notre giron en nous racontant des histoires, son histoire, des anecdotes, dont quarante pour cent sont empruntées à des textes lyonnais de la fin du dix-neuvième siècle, écrite par Benoist Mary, et soixante pour cent du crû de Christian Capezzone, qui incarne, en travesti, la truculente jacassière. Ce parler lyonnais, en vérité, c’est surtout un accent qui n’est pas loin du vaudois et en a la saveur. Capezzone y ajoute des déraillements verbaux, un peu comme fait Muche.
Et le tout est incontestablement très drôle, parfois à la limite du boulevard et du chansonnier, mais jamais vulgaire, et surtout ne donnant jamais l’impression du one-man-show. Capezzone ne joue pas à la performance. Il incarne tout bonnement son personnage, avec naturel, dialoguant avec le public tout simplement. Il a l’air d’être chez lui. Il y est en vérité. C’est un bel acteur qui n’a rien à voir avec ceux du complot.

28.01.86 - Slawamir Mrozek appartient à cette catégorie de dissidents des Pays de l’Est qui doivent au fait d’avoir choisi de vivre exilés en Occident, de bénéficier de la faveur des comploteurs parisiens. Sa dernière pièce, LE RÉSIDENT, ne répond en effet à aucune des règles exigées par nos médiateurs ordinaires : son intrigue est ultra lisible, je dirai même qu’elle est simpliste, et la mise en scène de Georges Werles, dans un décor sans ambiguïtés d’André Acquart, est d’une honnêteté décourageante pour les détecteurs de deuxième et de troisième degré. Par-dessus le marché, les acteurs jouent avec simplicité, comme si ni Vitez ni Mesguich n’avaient jamais enseigné. Il est vrai que cela se passe au Théâtre des Mathurins, à la frontière du boulevard.
Quoi qu’il en soit, Maurice Barrier, qui s’est fait la tête de Lech Walesa, a été arrêté par les autorités, mais Victor Garrivier, qui s’occupe personnellement de ce prisonnier spécial, ne l’a pas enfermé comme ses camarades dans une prison infecte, mais dans un somptueux château, où il a tous les biens de ce monde qu’il pourrait rêver : alcools, bouffe, nanas. Et le vilain, tout en profitant de ces plaisirs, n’est quand même pas content. Il faut dire que son privilège est forcément suspect aux yeux de son vieux compagnon André Weber, qu’on sort de sa cellule entre deux séances de torture pour lui rendre visite, comme à ceux de Monseigneur Igor Tyezka, qui subodore quelque chose de pas très catholique dans son comportement. En effet, le héros a péché. Il a succombé au charme très offert et, avouons-le, diaboliquement tentant, de la petite pute, Marianne Basler. Heureusement pour la morale, la jeune personne a des états d’âme psychologique, quand elle découvre une lettre dans laquelle son amant avoue à sa femme légitime son moment d’égarement ! Elle s’enfuit dans le parc. Il s’aperçoit alors qu’il l’aime et court derrière elle. Mais c’était justement par là qu’il ne fallait pas aller. Les gardes tirent. Au cours d’une sobre cérémonie funèbre, le souvenir du grand homme sera évoqué avec émotion. Voilà ! L’ai-je bien raconté ? Que dire de plus ?

07.02.85 - Je l’avoue avec honte : j’ai craqué ! J’étais venu à midi sur la pelouse de Reuilly dans l’esprit d’assister à l’intégrale de WALLENSTEIN, qu’Anne Delbée présente sous un chapiteau en annonçant clairement que cela dure de midi à minuit ! J’ai vu la première partie, qui dure environ trois heures et qui s’appelle LE CAMP DE WALLENSTEIN, sur quoi on nous a octroyés un entracte d’une heure, pendant lequel j’ai fait une ballade au bord du lac de Daumesnil gelé.
J’ai vu la deuxième partie qui dure seulement une heure et demi et qui s’appelle LES PICCOLOMINI ! Quand on nous a annoncés après ça un entracte de deux heures au cours duquel on nous servirait du veau aux olives, une endive au jambon, une tarte aux pommes et un quart de vin rouge, j’ai renoncé. Quelques heures plus tard, bien au chaud dans mon lit, j’ai eu un frisson en pensant que je pourrai y être encore. Il était vingt-trois heures. Je venais d’éteindre ma télé sur la vision de Bébé Doc Duvalier arrivé dans sa résidence d’exil sur les bords du lac d’Annecy, gelé lui aussi !
Pourquoi ai-je ainsi fui ? D’abord, sans doute, parce qu’il faisait sous la tente édifiée par la compagnie un froid d’autant plus rigoureux qu’il faisait moins sept dehors et que le chauffage avait… gelé ! Aucun spectacle au monde ne justifierait que je crève d’une pneumonie. « Voir Naples et mourir », déjà j’exprime des réserves, mais « voir Wallenstein et trépasser », je suis formel, c’est NON ! Et d’abord parce que je ne suis pas sûr qu’il était justifié de ressusciter cette grande machine de Schiller, drame historique construit autour d’un héros « providentiel » qui voulait détacher à son profit la Bohême de l’empire germanique, non pas, soyons clair, pour arracher le peuple tchèque au joug de l’oppresseur allemand, mais tout bonnement par ambition personnelle. Autour du noble sûr de soi et plein de morgue, les vassaux s’offrirent en gages d’inconditionnelle fidélité, mais quand l’empereur, qui n’est pas si con, commence à réagir, on voit bien que le puzzle des trahisons probables commence à s’assembler.
Le titre annoncé de la troisième partie interdit d’ailleurs tout suspense et le moindre doute puisqu’elle s’intitule : LA MORT DE WALLENSTEIN ! Sauf erreur, cette partie-là dure quatre heures trente ! A part une curiosité culturelle, cette affaire ne me concernait donc en rien. Du moins aurais-je pu être conquis par la mise en scène. Or là, c’est une déception gravissime qui m’a envahi car le spectacle est mauvais, mal joué par des acteurs ringards qui ont été dirigés de façon ringarde, complètement classique comme on l’entend dans les matinées scolaires. C’en était même incroyable de les voir hurler en cachetonneurs peu investis par ce qu’ils faisaient. Cela avait mal commencé dès le début par une manipulation assez maladroite de marionnettes conçue par Alain Recoing, signifiant les armées en présence, leurs chocs et les charniers qui en résultaient. Cette exposition de la situation politique n’est malheureusement pas seulement montrée, mais explicitée par un discours que profère Alain Recoing lui-même. Il est à chier. Ca ne dure pas très longtemps. Mais ensuite rien ne se rachète. C’est bien triste.
N’y a-t-il rien de positif à dire ? Si : le dispositif en éperon est beau, sombre et brillant, malheureusement glissant (nous avons eu droit à quelques chutes) et les tentes de l’armée, au fond, ont l’air de pyramides. Et puis Pascal Tedes, qui joue le personnage de Wallenstein, a son propre style de jeu dans le registre de la suffisance. Il a, lui, de la présence. Il dégage une certaine force.
J’allais oublier de dire que nous étions une trentaine de spectateurs vers midi trente… Et que je ne suis pas le seul à m’être tiré vers dix-sept heures trente…

08.02.86 - Il était amusant d’aller revoir LES NONNES de Eduardo Manet, lors même que HAITI tient le haut du pavé de notre actualité.
La pièce, en effet, y a été située par l’auteur cubain dissident, en 1791, au moment de la fameuse révolte des esclaves. Une riche propriétaire veut fuir la ville de Port-Au-Prince que les révoltés ont mis à feu et à sang. Trois obligeantes religieuses lui ont proposé leur aide. Cette nuit, un bateau les emmènera toutes les quatre vers des contrées moins agitées. La Seniora est venue avec toutes ses richesses transportables. Le vrai dessein des charitables nonnes était de la dépouiller et de l’assassiner, ce qu’elles font effectivement.
L’exposition écrite par le poète n’est pas limpide. Le contexte est supposé connu du public. De même que je n’ai pas repéré dans le texte s’il s’agit d’authentiques porteuses de cornettes saisies par l’appétit du lucre, ou de repris de justice mâles déguisés pour perpétuer leur forfait. Quoi qu’il en soit, dès sa création il y a près de vingt ans au Théâtre de Poche, l’œuvre a été jouée par des hommes, et c’est encore le cas dans la mise en scène de Jean-Manuel Florensa, directeur du THÉATRE DE FEU de Mont-de-Marsan, celui dont j’avais dit il y a quelques années que ce qu’il avait de plus remarquable était son attachée de presse !
Ce n’est pas une réalisation géniale. Le trou à rats dans lequel sont réfugiées les fuyardes n’est pas assez sordide, et pourtant sur ce point la pièce est très explicite. L’atmosphère de danger investissant l’espace clos de l’action n’est pas bien mise en gros plan. Elle manque de présence. La femme riche n’est pas montrée assez terrorisée, et le fait qu’elle soit incarnée par la belle Marie Rouvray me semble une erreur. Il faudrait une grosse femme, suant de peur, accrochée à ses bijoux et non pas cette calme personne, très proprement vêtue, qui trimballe avec elle une sérénité de bonne conscience authentique. Pendant la première demi-heure, j’ai eu peur car les trois acteurs me paraissaient en faire trop et assez malhabilement.
Et puis, je dois l’avouer, la démesure de Jean-Claude Falet en Sœur Angela, de Didier Roset en Sœur Inès, et surtout de Jean Darie, incroyable Mère Supérieure, a eu raison de mes réserves et, surtout dans le deuxième acte de la Parabole, je me suis laissé porter avec plaisir par l’anecdote au premier degré, si bien qu’en fin de compte, j’ai applaudi avec sincérité à cette lecture sans surprises ni génie de la pièce, tant ses serviteurs acteurs ont su l’assumer en payant comptant. Finalement, le spectacle du Théâtre de Feu est honnête, efficace. Il sert l’œuvre. Il paraît que Manet, qui a vu le spectacle, en était content. Ca ne m’étonne pas. Il n’y a aucun « complot » là-dedans.



13.02.86 - Arrivé à Nantes, je constate que le Théâtre Équipe joue aussi LES NONNES, mais ce n’est pas ça que je suis venu voir. LA CHAMAILLE m’a convoqué pour me montrer sa dernière création collective qu’elle a appelée « APRES DISSIPATION DES BRUMES MATINALES », discours, sinon réflexion, sur le théâtre, ou plutôt sur les questions que se posent les comédiens de la troupe.
On peut en gros résumer la démarche par les célèbres mots de Godard : « Je ne sais pas quoi faire, qu’est-ce que je peux faire ? » Chacun y va de sa recherche, parfois en solo, le plus souvent en scènes d’ensemble, à travers des textes de Shakespeare, Flaubert, Lewis Carroll et quelques autres. Le spectateur est soumis au petit jeu bien connu d’essayer de trouver quel écrivain se cache sous les répliques, tâche d’autant plus difficile cette fois-ci que les textes de liaison et les rajouts  écrits par Claudine Hunault, Yvon Lapous et Hervé Tougeron sont beaux, poétiques, et comme écrits avec une plume d’auteur. Ceci est un grand compliment, puisque d’habitude la faiblesse de ce genre d’entreprise, ce sont justement les choses dites en langage ordinaire.
Il paraît qu’en se questionnant ainsi, la Chamaille a exorcisé ses doutes et qu’elle est prête maintenant à aborder des œuvres contemporaines. Dont acte et tant mieux, car sur le fond je ne suis pas trop d’accord avec le propos, qui ne manque pas de suffisance. Si ces jeunes gens n’ont rien à dire (il y a une réplique qui s’exprime à peu près ainsi : « Que peut-on dire et comment le dire bien ? »), on est tenté de leur suggérer de se taire.
Mais il serait injuste de contester le spectacle qu’ils proposent, qui d’ailleurs est assez réjouissant pour un vieux professionnel de l’art drama pour qui les hésitations d’un acteur en répétition, les états d’âme d’un metteur en scène et les frustrations d’un régisseur sont monnaie familière. Remarquables bêtes de théâtre, avec un sens aigu de l’efficacité, les trois susnommés plus Gilles Blaise et Serge Le Lay impriment à la représentation un rythme sans temps morts. Ils ont l’art des ruptures. Ils tiennent leur public en haleine, MOI y compris, sans failles, quatre-vingt minutes durant. Décors, costumes, travail de maquillage, tout est remarquable. Cette équipe a vraiment atteint un haut niveau de professionnalisme. Maintenant qu’elle a raconté l’histoire de sa relation au théâtre, on l’attendra sur un thème plus fort.

15.02.85 - Admirable, sublime, concernant, bouleversant par instants, drôle, c’est du théâtre à l’état pur et du théâtre exemplaire, ramené à sa réelle dimension que je ne cesse de rabâcher comme étant sa seule issue d’avenir : l’acteur en chair et en os, VIVANT, en danger sur une scène devant des spectateurs eux aussi vivants.
Ne croyez pas que les SEPT LECONS DE LOUIS JOUVET À CLAUDIA SUR LA SECONDE SCENE D’ELVIRE DU DOM JUAN DE MOLIERE, soient touchantes seulement pour les professionnels de l’art dramatique. Ils y puisent, naturellement, des plaisirs particuliers, surtout ceux qui, âgés comme moi, ont connu le « Maître », qui était fort bavard et aimait s’écouter parler. Le rapport « professeur à élève » tel qu’il existait au Conservatoire il y a une cinquantaine d’années, fait de respect du jeune pour le monstre sacré distillant une parole jamais contestée, introduit déjà une notion plus universelle.
Le professeur oriente. Il sait. Ou plutôt sa recherche, si elle engendre des doutes, n’est périlleuse que pour lui, intimement. L’élève, le disciple, déploie des trésors de bonne volonté pour LUI plaire, LUI obéir. En fait, tout le spectacle est une dialectique entre le cas particulier : il s’agit d’une élève comédienne qui cherche à incarner le personnage complexe d’Elvire sous la direction d’un Jouvet qui approfondit peu à peu son approche du rôle. Et une réalité plus générale : un hymne à l’effort, à la lutte avec soi-même vers la recherche d’une perfection aux limites toujours reculées. Il y a de l’ascèse, du religieux dans l’entreprise. À travers une « lecture » de sa scène à chaque fois enrichie et parfois modifiée, c’est le modelage de l’élève par lui-même, ne se contentant JAMAIS du but atteint tant que la réalité absolue n’est pas obtenue, qui est ici montrée. L’élève comédienne y est comparable à une nonne recherchant l’extase et finissant par là trouver à force d’emprise sur soi-même. Naturellement, la période de ces leçons, l’hiver 1940, puis mai 1940, enfin septembre 1940, le fait que l’apprentie soit juive, ajoutent une importante dimension, car il est extraordinaire de voir ces êtres entièrement investis par cette quête alors que les spectateurs savent ce qui se passe à l’extérieur.
Jamais cette volonté de maintenir l’Art à sa place ne semble dérisoire. Il n’en est d’ailleurs pas question. Le maître Jouvet et son élève Claudia font abstraction de tous les autres problèmes que celui dont il s’agit expressément ici. Comme s’ils n’existaient pas. Brigitte Jacques, qui a mis en scène ces leçons avec une rigueur, une pudeur et une économie de moyens admirables, s’est contentée d’un exposé neutre des dates et, à un moment, lointaine, derrière la porte un instant entrouverte du rideau de fer, de la voix d’Hitler, vociférant devant ses foules célèbres, pour que soit située cette étonnante ascension vers l’accomplissement d’une entreprise pathétiquement stérile quelque part. C’est prodigieusement, une reconnaissance de la volonté humaine à tenir sa barre ferme malgré les orages. C’est la devise : je maintiendrai. Quand, dans la dernière leçon, l’élève va enfin jusqu’au bout de sa scène, et la joue de façon convaincante, émouvante et présente pour nous, le maître dit simplement « c’est bien », et on a les larmes aux yeux parce que c’est la plus belle récompense qu’il pouvait accorder.
Bien sûr, il y a aussi pour les gens de théâtre, une leçon à tirer, à l’heure où tant de comploteurs ont détourné l’enseignement de sa voie véritable, malhonnêtement, « suicidairement ». Car tout dans cette appréhension du rôle est HONNETE, vise à la sincérité. Le triomphe fait au spectacle a valeur de d’avertissement pour tous les docteurs en obscurantisme. Comme si, quelque part, ce spectacle sobre annonçait le renouveau du vrai théâtre.
Philippe Clévenot incarne Jouvet en grand acteur. Il n’est pas tombé dans le piège de l’imitation vocale caricaturale. Tel  son personnage, il s’est refusé la facilité. Mais a la silhouette de Jouvet, ses gestes, ses attitudes, et, peut-on dire, sa pédanterie. Il dégage l’aura d’un grand acteur, de ceux qui s’imposent par un rayonnement inexplicable. Et il faut rendre hommage à Maria de Medeiros, qui sait admirablement jouer, de l’imperfection à la perfection, d’une trajectoire certainement très difficile. Les deux comparses sont médiocres, donnant en répliques Dom Juan et Sganarelle sans s’investir, à dessein certainement.

18.02.86 - Le TERMINUS HOPITAL de la Mie de Pain a pris du poids depuis deux mois. Ce qui manquait au spectacle quand j’en avais vu un filage d’approche à Antony le sept décembre dernier, à savoir qu’il soit non seulement divertissant, mais quelque part important, s’est installé. Maintenant on rit beaucoup, mais en vérité on assiste à un spectacle singulièrement méchant, à la limite à un spectacle sur la torture. Je me demande s’il ne serait pas interdit dans certains pays. Car ce médecin cinglé qui cherche la « Panacéïne » en l’expérimentant sur des malades éternellement victimes avec l’aide d’une infirmière impitoyable, on ne peut pas s’empêcher d’y voir quelque chose du fameux Docteur Mengele. Il suffirait d’habiller le toubib en SS, et les patients en pyjamas rayés (ce qui est presque le cas), et vous auriez la même représentation dans l’esprit du DICTATEUR de Chaplin.
Je veux dire par là que ce TERMINUS HOPITAL, au terme d’une recherche partie des fantasmes de chacun, est devenu FORT. Plus jamais le gag n’y semble être fait pour le gag en soi. Tout y est justifié. Le trop-plein d’accessoires a été liquidé. Le discours est devenu presque entièrement gestuel, avec des morceaux de bravoure superbes. À ce niveau, j’avais détaché du groupe en son temps l’étonnante prestation poétique de Philippe Barrier. Presque aussi efficace est maintenant celle du « clown » Gérard Chabannier : il a affiné son personnage en en faisant un fumeur impénitent, que seules soulagent d’un cancer terrifiant les cigarettes qu’il planque. Il a une étonnante scène de commedia dell’arte, où il s’auto interdit de toucher à un paquet de cigarettes en se tapant sur les doigts avec une baguette, qui est du grand art. Léa Coulange n’a pas, par contre, réussi à transcender son personnage de pétomane. Du moins parle-t-elle moins, minaude-t-elle peu. Mais omniprésente, elle introduit un élément de gêne qui, devenu mineur, se ramène à un contrepoint discret. Quant à Jean-Marie Molines, le gros plan de son opération à crâne ouvert donne de la consistance à son personnage auto-meto. Bref, le petit monde sur lequel règnent les médicastres n’est plus composé de farceurs, mais de gens qui résistent, et le font de telle sorte que cela NOUS fait rire.
Une dimension continue toutefois à manquer : la souffrance de ces « malades » n’est guère perceptible. Certes, ils ne pètent plus de santé comme il y a deux mois, mais on ne les sent pas avoir MAL. C’est peut-être dommage. Mais ne soyons pas chiens. TERMINUS HOPITAL classe LA MIE DE PAIN à un haut niveau. Tant mieux !

23.02.86 - Pas très exaltant D’AMOUR ET D’EAU FRAICHE, du « Théâtre à Bretelles », accueilli au Lierre. Une entreprise dont on imagine mal comment elle a pu être entreprise. Non que le thème du vieux gardien de musée qui cherche à se rappeler sa vie écoulée soit sans possibilités d’intérêt. Mais justement, son passé de matelot est évoqué sans art, et on a vraiment envie de penser que, s’il ne se rappelle rien, c’est parce qu’il n’a que du vide à faire ressurgir !
Pourtant, il y a des moyens mis en œuvre. Anne Quesemand qui a fait le texte et la mise en scène, s’est entourée d’un peintre scénographe, Laurent Berman, qui a créé un environnement laborieux mais pas sans astuces, et d’un musicien compositeur, Luc Le Masne, qui appartient à l’école que j’affectionne particulièrement de Paul Dessau ! Annick Hémon et Annie Papin chantent les « songs » avec des voix justes et fortes, contenues par un orchestre de six musiciens, pas moins. Marie Marczakne ne semble pas s’amuser beaucoup dans le rôle de la sirène, et Serge Bourrier encore moins dans celui du vieil amnésique.
Voilà une affaire qui ne se prend pas pour de la merde, et dont l’inutilité est pathétique. Cette « poésie »-là est celle de gens qui n’ont rien à dire.

24.02.86 - Voici qu’au Théâtre Marie Stuart, les places sont maintenant numérotées. Un placeur rémunéré au pourboire, précise une pancarte à l’entrée, vous impose un siège, mais ceux-ci ne sont pas pour autant devenus plus confortables qu’avant et ils requièrent de la part des spectateurs, vues les positions qu’ils imposent aux jambes à qui toute détente est interdite, des colonnes vertébrales en béton.
Le THEATRE DE JARNISY, compagnie implantée en Lorraine, côté mines et sidérurgie, s’amuse sur la petite scène à jouer CASSE PIPE, « plongée dans la langue de Céline », celle du provocateur verbal, tellement drue, imagée, argotique, qu’il a semblé nécessaire aux réalisateurs de distribuer un glossaire aux spectateurs. En vérité, cet instrument serait sans doute moins utile si Didier Patard et Yves Thouvenel, dirigés par Bernard Beuvelot (ce ne sont pas des noms très mosellans) n’étaient pas aussi… parisiens. Car ils cèdent à ce qu’ils croient être la mode, s’échangeant les rôles et les multipliant sous leurs épaules. Cela passerait si l’un d’entre eux seuls incarnait avec clarté les partenaires de l’engagé volontaire dans l’armée, qui se retrouve coincé par la vulgarité régnante au dix-septième cuirassiers en 1912, Céline lui-même en fait, agressé par ses incorporateurs, victime d’un bizutage cruel. Mais c’est alternativement que l’un et l’autre sont le Maréchal des logis Rancette, le brigadier Le Meheu et tout le corps de garde… qui a oublié le mot de passe pour accéder à la Poudrière du quartier La Trémouille. Ce jeu d’alternance inutile vise, bien sûr, à signifier que cette violente dénonciation de l’univers militaire part d’un texte littéraire et non théâtral. J’aurais préféré des voies plus astucieuses, et notamment que l’incorporé ait l’âge de son personnage. Car ces deux acteurs-là, vêtus en cuirassiers à cheval, comme on en voit encore sous la vocable de gardes républicains, ne sont pas des jeunes gens. Un rapport essentiel de l’œuvre me paraît ainsi avoir été sacrifié. Reste que ce « voyage au bout de la connerie » se laisse voir et entendre. Il ne dure que soixante-dix minutes.

Publié dans histoire-du-theatre

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