Du 15 octobre au 24 novembre 1984
15.10.84 - FORCE 7 s’implante à BEZONS. Dirigée par Pierre-Yves Lahier, cette jeune équipe remercie beaucoup de gens de l’avoir aidée à monter son spectacle, la Maison de la Culture de Nevers, qui a prêté un nez d’avion, le TNS, qui a fourni des cadavres, une dame, qui a été « aide financière » ; mais « a le regret de ne pouvoir remercier le Ministère de la Culture auquel nous ne devons rien du tout ». (Sic !) Ceci est injuste. Incontestablement, FORCE 7 mérite le soutien de l’État, et j’espère que sa présentation de LA GRANDE IMPRÉCATION DEVANT LES MURS DE LA VILLE, dans le cadre des « RENCONTRES CHARLES DULLIN » de Villejuif, l’aidera à entrer dans le circuit des subventionnés.
Pierre-Yves Lahier prouve en effet qu’il a un sens aigu du climat sonore et visuel d’un spectacle. Sa transposition de la pièce de Tancred Dorst dans l’univers futuriste d’une guerre nucléaire, lui a permis de multiplier pendant la première demi-heure de la représentation des effets forts. Malheureusement, la bonne impression s’estompe au fil de la représentation parce que l’œuvre est beaucoup trop bavarde et, me semble-t-il, confuse.
On sait le sujet : une femme arrive au pied des murs d’une ville où réside l’Empereur, et réclame son mari qui a été enrôlé comme soldat. Les officiers lui promettent de libérer le garçon si elle le reconnaît au milieu des autres hommes en uniforme. Elle en désigne un, mais est-ce le vrai ? Pendant deux heures, l’homme et la femme, sous l’œil amusé et cruel de deux officiers, joueront au chat et à la souris. À la fin, la femme reste seule. « De quoi traite la pièce ? », a écrit Rischbieter dans THEATER HEUTE, « de l’ordre mondial troublé, et aussi comment homme et femme se manquent mutuellement, manquent le jeu l’un de l’autre, manquent leur vie ».
C’est exact, mais que c’est disert, que ça cause ! Et puis il faudrait pour faire passer ce torrent verbal une actrice prodigieuse. Or Hélène Ninerola n’est pas une actrice prodigieuse. Elle n’est que pas mal. On ne saisit pas bien tout ce qu’elle clame. On perd de son discours. Elle n’a pas la présence absolue. Quant au soldat, j’ai éprouvé que François Kuki était un peu trop rondouillard pour le rôle.
Je maintiens que FORCE 7 mérite l’aide nationale. Ce ne serait que justice. Mais la troupe a encore besoin de se perfectionner. N’apprend-on pas à communiquer à l’école du TNS d’où ces jeunes gens sont issus ?
16.10.84 - La nouvelle version Savary de LA PÉRICHOLE est exemplaire de l’évolution du metteur en scène. J’ai eu le privilège d’assister il y a pas mal d’années à Hambourg, à une PÉRICHOLE jouée par les comédiens de la Schauspielhaus. C’était la première fois que Savary s’attaquait au genre de l’opérette. C’était aussi le temps où l’esthétique du Grand Magic Circus était toujours au service d’un contenu. Aucune image n’était gratuite. Cette Périchole-là n’était pas très bien chantée, mais elle dénonçait avec évidence l’arbitraire du vice-roi du Pérou et elle mettait l’accent sur l’opposition entre une cour riche -encore que sa somptuosité avait quelque chose de provincial qui sonnait juste-, et un peuple pauvre de paysans -des poules et des dindons circulaient sur la scène- qui se « réjouissait » sur ordre, au commandement. L’oppression dans laquelle était tenue ce peuple n’était pas agressive. On ne retirait pas une leçon de la représentation. Simplement, Savary avait intuitivement fait une « lecture » du livret et l’avait replacé dans la réalité de son contexte historique. L’opérette en sortait dépoussiérée.
Aujourd’hui, pendant le premier acte, celui où la jeune saltimbanque va, somme toute, se prostituer, tout bêtement parce qu’elle meurt de faim, ce qui, tout de même, n’est pas innocent de la part de Messieurs Meilhac et Halevy, j’avais dans la tête le vers de Boileau : « Aimez-vous la muscade, on en a mis partout ». Car la fête est somptueuse. Quand le public pense : que c’est riche, le réalisateur en rajoute. C’est magnifique. Michel Dussarat a imaginé une nombre incommensurable de costumes, tous plus beaux (dans le baroque) les uns que les autres. Je ne sais plus quelle était la directrice d’un théâtre de boulevard qui m’expliquait que, pour sa clientèle, il fallait que les fourrures portées par les actrices en scène soient de vraies fourrures, et les tapis jonchant le sol, des vrais tapis de prix. Ici, Savary a jeté l’argent par la fenêtre et ça avait pour but que ça se voie ! Eh bien c’est réussi. Ca saute aux yeux et, ne gâchons pas notre plaisir, c’est une joie visuelle constante, nourrie par un sens unique de la virtuosité. Savary ne se contente jamais de montrer un tableau. Il le modifie tout le temps, soit que soudain un homme soutenu par des ballons apparaisse dans le ciel en faisant des mouvements gracieux, soit que un, deux, trois, quatre acrobates surgissent, le temps d’une traversée de scène, en faisant des galipettes impeccables. Que dis-je, quatre ? Vous croyez que ça y est, NON, un cinquième surgit et il est encore mieux que les quatre d’avant… et tout est comme cela, sans jamais une baisse de tension. Ah ! Il n’est pas question de somnoler. C’est efficace.
Cela dit, c’est devenu, absolument sans aucune signification, et, débarrassée de son aspect ringard, de l’opérette à l’état pur. C’est-à-dire que plus rien n’a de signifiance, et que même ce qui ne peut pas être gommé dans le texte est escamoté dans la légèreté sautillante. Cette Périchole-là plairait à Moscou. C’est assez dire qu’elle sent sa droite à plein nez !
Pourquoi pas ? Tout est beau. La musique est parfaitement dirigée, même si parfois les chœurs se donnent rendez-vous aux points d’orgue. Les chanteurs sont lyriques, c’est-à-dire qu’ils ont des voix superbes et ne se donnent pas trop la peine de jouer juste, ou de se faire comprendre ! Et les décors de Michel Lebois, construits sur scène tournante, sont riches en couleur et foisonnants en détails cocasses. Ses portraits du vice-roi, suspendus un peu partout sur la place coquette du village propret, où chante et danse le peuple sans soucis, rappellent quelque part le temps où il peignait des palmiers dérisoires. Mais lui aussi a été investi par le réalisme du genre. Il a fait du solide, et, finissons sur ce mot car il résume toute l’entreprise, du RICHE !
19.10.84 - À l’occasion de la rencontre « informelle » des « cultureux » européens à Bruxelles, je suis convié à voir un spectacle monté par une toute jeune troupe flamande, le EPIGONTEATER, « COUTEAU OISEAU ».
Au début, sur un étal, il y a deux poules vivantes, une blanche et une noire. Très proprement, et très lentement aussi, mais ce n’est pas un rituel, c’est du banal boulot de boucher, un garçon prépare la cuvette, le couteau. Il lie les pattes de la poule blanche puis, carrément, il lui tranche le cou. Après quoi il la plume, la flambe, la ficelle et la fourre à la rôtissoire. Quand le poulet sera cuit, le spectacle s’achèvera, chacun des cinq humains de l’entreprise se partageant la chair de l’oiseau, assez ignoblement, avec les doigts.
C’est terrible d’avoir des références. Là où les jeunes peuvent s’extasier devant la nouveauté, moi je retrouve un zest de happening à la Jean-Jacques Lebel, à qui ce sacrifice aurait semblé bien peu cruel. En même temps que le boucher prépare le poulet, ceux qui vont être de la fête, deux couples, se préparent, et là, c’est au Living Théâtre que j’ai songé. Une femme va et vient pendant dix minutes de plus en plus vite, pendant qu’un homme martèle la rapidité progressive du rythme avec ses pieds. On admire leur endurance physique. En même temps, l’autre femme examine son corps d’un œil attentif et angoissé. C’est très pudique d’ailleurs. Les culottes masquent les nudités, et, quand à la fin, le mari de l’une violera la femme de l’autre sous la table dressée pour le repas, faisant valser verres et assiettes avec une frénésie dignes du 4 Litres 12, ce sera sans qu’aucune nudité n’ait été dévoilée. C’est plus érotique ? Me direz-vous ! NON, car cette timidité est en contradiction avec le réalisme de l’exécution du poulet. Entre-temps, on a assisté à des jeux mimés un peu trop prolongés. C’est flamand et puis, il faut bien gagner du temps pour que le poulet cuise. Une des femmes, celle qui n’est pas violée, campe assez justement l’épouse attirée par un autre homme et n’osant pas consommer. En vérité, tout cela ne va pas très loin, ne dit pas grand-chose. Mais ça se laisse voir. À la fin, la poule survivante salue avec la troupe.
23.10.84 - Tant qu’à faire de moderniser LA SURPRISE DE L’AMOUR, Élisabeth Chailloux aurait dû situer la pièce de Marivaux au Japon, où le rapport hiérarchique, qui oblige les employés à obtenir la permission du patron pour se marier, existe toujours. L’entreprise, avec courbettes et sourires énigmatiques, mériterait d’être tentée un jour… et exportée, encore que l’auteur n’ait injecté aucune contestation de cette règle dans l’œuvre. La nécessité pour Pierre et Jacqueline, comme pour Arlequin et Colombine, d’obtenir l’accord de leurs maîtres misogynes et misoandres pour convoler y est inscrite comme l’ordre naturel des choses, et ce n’est pas la réalisatrice qui y a infléchi quoi que ce soit. N’empêche que son spectacle est très agréable.
Le décor de Laurent Peduzzi montre un lieu informel. Au sol, du sable, à l’horizon, un ciel tourmenté que l’éclairage modifiera au gré des humeurs des personnages. Un plafond bas, plat, sans fioritures, repose sur six colonnes sans grâce, dont une, à la face, en plein milieu, qui cache aux spectateurs une partie de l’espace. Je mettrai cette volonté d’infliger une vision fragmentaire au public sur le compte d’une concession bénigne au parisianisme. Car je n’en accuserai point les costumes d’Agostino Cavalca, qui sont superbes dans leur contemporanéité baroque, extravagants, et très justement adaptés aux psychologies de ceux qui les portent.
Car tout est psychologie dans ce montage fin, qui traite des rapports de classe avec clarté mais sans lourdeur, qui ne cherche pas la signifiance appesantie, et ne dédaigne ni le rythme ni même le marivaudage, sans pourtant tomber dans le sautillant fade et dépourvu de contenu. Élisabeth Chailloux fait évoluer son petit monde au gré des idées fixes de chacun, à ce niveau du sol où tout est grave mais pas sérieux. C’est un traitement délicat, plein d’humour, où l’amour aussi est moderne : Jacqueline et Colombine ont avec leurs futurs des relations sans pudeur et, si l’on ne voit pas leurs ébats, du moins se reboutonnent-elles devant nous. Élisabeth Chailloux joue elle-même la comtesse désabusée et Gérard Touratier est un baron revenu de tout qui a le mérite, dans son excès de rejet du sexe féminin, de n’être pas ambigu.
On sait le sujet. Lelio de son côté, la Comtesse du sien, se sont retirés à la campagne pour fuir le sexe opposé à la suite de déboires amoureux. Leurs paysans d’abord, leurs serviteurs ensuite ayant besoin de leurs accords pour se marier, s’attacheront à les rapprocher pour les amener à consentir ce que d’abord ils refusent. Et c’est ainsi que le jeu s’installera, écrit d’avance mais si charmant, pour le plaisir des spectateurs qui retrouvent avec bonheur, dépoussiéré mais de nouveau léger, un Marivaux dont les traitements lassaliens terroristes les avaient privés depuis des lustres. Sans doute est-ce le mérite de cette réalisation : de rendre Marivaux au plaisir des spectateurs, sans qu’ils aient à rougir ou à se croire… de droite !
25.10.84 - Si j’étais prudent, j’attendrais pour écrire ces lignes de lire les critiques des journalistes qui font la mode. L’OUEST LE VRAI, présentée à l’Athénée par la Compagnie Berto - Ribes dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes, est en effet un spectacle typique sur ce plan : « ils » auront décidé que c’était épatant, ou le contraire, en toute gratuité, et peut-être à l’avance.
Le sort fait à la représentation permettra de mesurer si l’« ON » veut soutenir Josyane Horville, Ribes, et aussi une certaine forme de théâtre parlé où tout ce qu’il y a à dire l’est en clair, dans une langue sans guère de style, un langage bref, quotidien, cinématographique si l’on veut, (encore qu’au cinéma ce serait beaucoup trop causant) pas moderne en tous cas. Le cas Sam Shepard brouille un peu les cartes au moment où le film PARIS TEXAS vient d’avoir eu le prix à Cannes. Il s’agit donc aussi de savoir si la gloire du scénariste va servir ou desservir l’auteur anglo-saxon dans la tête de nos médiateurs avides d’originalité personnelle.
Deux frères, le bon et la mauvais, le rangé et le marginal, en tête-à-tête pendant quatre-vingt-dix minutes, échangent leurs personnalités. Voilà résumé, le thème. Le premier est un tâcheron de la plume. Le second ne sait pas écrire, mais il a le sens des idées débiles qui séduisent les producteurs. Il a surtout beaucoup plus de culot que le premier, il roule des épaules, il joue aux durs, mais ce n’est pas un loubard, quoiqu’il s’amuse à cambrioler les maisons. C’est plutôt un misanthrope qui n’en a rien à foutre de quoi que ce soit et qui a donc toutes les audaces. Pourquoi est-il passé par la maison de leur mère, lui, l’exilé, réfugié dans le désert et qui s’annonce nettement en transit ? La mère est absente, en voyage touristique, en Alaska. Le père est lui aussi, quelque part, dans le désert. Alcoolique. Ce désert-là est peut-être un hôpital. Les deux garçons, adultes, retrouvent un peu du rapport de leur enfance.
Mais ce sont leurs retrouvailles, après une très longue séparation, qui susciteront le processus de transformation, avec comme catalyseur un personnage de producteur archi-conventionnel, que l’acteur Michel Berto transforme en une amusante caricature. Richard Bohringer joue la brute, Roland Blanche le bon. Il est dommage qu’on doive prêter l’oreille pour les entendre. On ne peut pas s’empêcher de penser aux frères de PARIS TEXAS, qui disent tant de choses en si peu de mots et qui sont tellement plus convaincants. Là est le danger pour le tandem Ribes - Béraud. Ils n’ont pas su, comme Wim Wenders, me donner l’impression que Sam Shepard était un grand auteur. Comme quoi, un grand film, c’est d’abord un grand metteur en scène. Au théâtre, c’est différent.
Oui, il faudra de la bonne volonté à NOS critiques pour qu’ils n’écrivent pas qu’ils sont tombés de haut, allant du film à la pièce. Car le sujet n’est qu’anecdotique dans un cas comme dans l’autre, même s’il reflète par ricochet une certaine réalité américaine. Mais la vision en image du désert du Texas, c’est, bien sûr, autre chose qu’en causer. Une fois encore, la débilité de la civilisation américaine fait des clins d’yeux à l’Europe.
26.10.84 - Quand je pense que j’ai failli deux ou trois fois prendre le train ou l’avion pour aller à Toulouse voir un spectacle du THÉATRE DE L’ACTE, sur l’insistance épaisse des faire-valoir de cette troupe, je dois me réjouir d’avoir limité les dégâts à un voyage à Villejuif, encore que ce déplacement aurait dû m’être épargné ! Ce n’est certainement pas le représentation du BAL DES BLATTES qui me rendra le goût, hélas amenuisé, d’aller au hasard en éclaireur, me repaître du travail des jeunes théâtreux. Jeunes, ceux-là ? Voire ! Ils se réclament de soixante-huit, du Living Théâtre et de Grotowski. Ce sont des gens qui ont expérimenté la vie en communauté. Ils auraient dû en profiter pour apprendre leur métier, car leur spectacle sent l’amateurisme à plein nez.
Le sujet aurait pu être intéressant : les locataires d’un immeuble se réfugient sur le toit parce que leurs appartements sont envahis par des insectes devenus énormes. Ils cherchent à tromper leur angoisse à travers une série de jeux et de « parodies de leur vie sociale antérieure ». Bien !
L’ennui, c’est que ces jeux s’étirent tous quatre fois plus qu’il ne serait nécessaire, et que les textes, quand il y en a, sont soit débiles (ceux qu’on entend), soit inaudibles par « inarticulation » (un ou deux qu’on devine ne pas manquer de poésie). La « scénographie » a évidemment manqué d’un regardeur, qui aurait su inculquer aux faiseurs d’impros que ce qui leur plaisait tellement en exercices n’était pas forcément efficace. Chacun a sa spécialité gestuelle ou vocale et a pour préoccupation évidente qu’on le remarque. C’est une parodie de travail collectif, un détournement. Ce n’est pas UN POUR TOUS mais CHACUN POUR SOI. Il s’ensuit une irritante agitation à vide, un spectacle étiré au-delà de toute mesure et pour le spectateur l’ENNUI !
28.10.84 - L’IMPRESARIO ANDRESS NEUMANN VEUT LANCER SUR LE MARCHE UN NOUVEAU « PRODUIT » (SIC !) : ROMANO COLOMBAIONI, LACHE PAR MARIO QUI A DECIDE DE PRENDRE SA RETRAITE, S’EST ADJOINT DEUX FILS DE FRERES (ÇA S’APPELLE SAUF ERREUR DES NEVEUX), ALFREDO ET ROLANDO, ET PRESENTE AVEC EUX PATAPUMFETE, « TEXTE ET MISE EN SCENE DE DARIO FO ». IL EST VRAI QUE, PUBLICITAIREMENT PARLANT, L’ADDITION COLOMBAIONI - FO POURRAIT ETRE PAYANTE. L’IDEE M’A MEME INSPIRE D’ALLER VOIR LE SPECTACLE A TOULON, OU LE NOUVEAU SPECTACLE INAUGURAIT UNE STRUCTURE DE THEATRE MOBILE APPELE THÉATRE DE LA MÉDITERRANNÉE. QU’EST-CE QU’UN « THEATRE MOBILE » ? C’EST UN CHAPITEAU EN DUR RELATIF, PLUS PROPRE ET PLUS CONFORTABLE QU’UN CIRQUE, BEAUCOUP MOINS FACILEMENT DEPLAÇABLE. ANDRE NEYTON A PRIS LA DIRECTION DE CELUI-CI. IL EST PLANTE A LA GARDE, A HUIT KILOMETRES DE TOULON. IL Y EST SANS DOUTE POUR LONGTEMPS.
J’AI TROUVE LE « PRODUIT » TRES PENIBLE. JE VEUX BIEN CROIRE QU’IL PRENDRA DE L’AISANCE AVEC LE TEMPS, MAIS IL M’A FRAPPE PAR SON AMATEURISME. QU’EST-CE QUE L’APPORT DE DARIO FO ? CE SONT DES SKETCHS QUI CAUSENT (EN ITALIEN) ET QUI SONT JOUES PAR DES CLOWNS MAL A L’AISE HORS DE LEUR SPECIALITE. OU EST LA MISE EN SCENE DE DARIO FO ? JE N’AI VU QUE TROIS HOMMES LIVRES A EUX-MEMES ET RAMANT, EN EN FAISANT TROP, POUR ARRACHER DES RIRES A UN PUBLIC DE BONNE VOLONTE. ROMANO, LE VIEUX ROUTIER, DOIT SENTIR QUE QUELQUE CHOSE NE VA PAS ET IL MULTIPLIE SES TENTATIVES DE RACOLAGE AVEC SES TRUCS QUI, A FORCE, SEMBLENT ECULES. DU MOINS SON IMPRESSIONNISME OBTIENT-IL QUELQUES RESULTATS. LES DEUX AUTRES M’ONT PARU TOUT à fait insuffisants.
Mais, me direz-vous, l’idée est intéressante ? Les sketchs de Fo ont une signifiance ? N’est-il pas bien que Romano et ses neveux veuillent communiquer un art de clowns à contenu ? Certes, sauf que les textes choisis ne sont pas très explosifs : « du flipper au computer », ok, les même sont passés d’un jeu électrique à un jeu électronique, on n’arrête pas le progrès ! « De la chaîne de montage au robot », eh oui ! la machine remplacera l’homme de plus en plus ! et alors ? « La drogue » ? C’est vrai, elle fait des ravages etc… etc… Les clowns jouent comme au cabaret. Ils restent au premier degré. Ils ne transposent ni ne transcendent. Ils ne dépassent pas… Ce qui reste, ce sont les vieux numéros de Romano, injectés heureusement de-ci de-là. Il fabrique joliment sa Pulcinella avec un mouchoir et, en danseuse à pointes, il est charmant. Le dernier numéro, « Les Clochards », retrouve quelque chose du fellinisme de la COPPIA BUFFA. Quant à ROMÉO ET JULIETTE, qu’ils font incarner par un garçon et une fille pris dans la salle, j’ai déjà vu ça quelque part !
Déjà, les faiseurs de mode reprochaient à Romano et Mario de n’avoir pas la classe de Carlo et Alberto. Je crains que PATAPUMFETE lancé sur le marché français ne fasse qu’accentuer ce décalage. À moins que Carlo et Alberto eux-mêmes… Dont on dit qu’ils ont fait un nouveau spectacle… Ah ! si eux aussi ?... Alors les COLOMBAÏONI resteraient un grand NOM du passé.
29.10.84 - Il ne faut pas confondre ZÉRO DE CONDUITE et ZÉRO DE CONDUITE. Les premiers sont un groupe rock d’audience nationale qu’on a pu, entre autres, apercevoir de loin, à l’inauguration du ZÉNITH. Les seconds ont d’autres ambitions. Ils sont implantés à Montpellier. Quand je dis qu’ils ont d’autres ambitions, cela signifie qu’ils sont un groupe rock avec quelque chose en plus : « Les chanteurs se mettent à danser, les acteurs à swinguer, les rockers à jazzer et les jazzeux se laissent pousser la banane. Est-ce du théâtre, de la musique, du music-hall ? », s’interroge la feuille ronéotypée distribuée aux spectateurs. Ladite feuille conclut : « Le suspense créatif est à son comble. C’est la panique chez les critiques ».
En vérité, ce ZÉRO DE CONDUITE moderne et avec sa touche originale, dans la ligne de ces grands orchestres populaires qui, de Fred Addison en Ray Ventura, pour arriver au Grand Orchestre du Splendid, ont toujours théâtralisé la musique en la truffant de gags et de gestuelle. Ce qu’on a en face de soi, sur la scène, c’est une formation orchestrale installée sur différents niveaux praticables. Au premier plan, un micro, derrière lequel prend place le chanteur maison meneur du jeu, et puis, un espace, qui permet à deux nanas de s’agiter frénétiquement au rythme des musiques exécutées.
Ce qui fait l’originalité de la démarche, c’est que ces nanas n’arrivent pas vêtues de strass comme leurs consœurs du show-business. Elles ont l’air de clochardes felliniennes. Leurs jupes fendues laissent voir des bas de laine rapiécés. Elles trimballent les grands sacs des fouilleuses de poubelles. Le chanteur, lui, arrive en moto. Malheureusement, la théâtralisation s’arrête là et le « spectacle » consiste finalement à entendre une série de morceaux écrits, texte et musique, par LES CRACOS. Quand le chanteur fait « Atchoum ! », ça les fait démarrer ou stopper au quart de tour. Que chantent-ils ? Les Cambrioleurs, qu’il ne faut pas confondre avec les voleurs, et différentes choses que je ne me rappelle pas bien, mais qui se veulent toutes gentiment marginales. Tous se dépensent, se défoncent avec une remarquable rigueur. La musique, la gestuelle, la danse, les gags sont parfaitement synchronisés. Quelques parodies, celle de Serge Gainsbourg, celle des Compagnons de la Chanson, sont amusantes, comme l’est l’exercice de virtuosité qui consiste à exécuter un morceau classique de musique moderne, caractérisé par le fait qu’on n’entend que des notes éparses au milieu d’un désert de silence. Le synchronisme de ces instants audibles force l’admiration.
Beaucoup de talent et de maîtrise donc, MAIS au service de finalement pas grand-chose. Il semblerait que le groupe gagnerait à s’adjoindre un dramaturge qui imprimerait un contenu, une continuité signifiante, à toute cette agitation disparate, et qui, par moments, ne vole pas très haut. Il y a de-ci de-là, proférées par le chanteur meneur de jeu, des phrases qui se veulent drôles et qui rabaissent seulement le niveau. Bref, ce que j’ai vu à Montpellier valait seulement le détour dans la mesure où il y a là une équipe bourrée de talents et qui sait faire plein de choses, mais à qui il manque un Savary pour que ces choses prennent une dimension. À suivre pourtant avec attention, car le jour où ce groupe se trouvera un tel « directeur », l’audience nationale ne sera pas loin.
30.10.84 - Je ne suis pas Docteur ès Danse, et c’est sans doute pour cela que je n’ai pas su apprécier TROMPE CŒUR, chorégraphie de Anne-Marie Reynaud par la compagnie du FOUR SOLAIRE, qui m’avait été si chaudement signalée par Dominique Bruschi, qu’ayant débarqué du TGV de Montpellier à dix-huit heures cinquante et une, je me suis fait propulser par Monique au milieu d’embarras de voitures exceptionnels, jusqu’à Colombes, où se produisait, à vingt heures trente, la prétendue merveille.
Comme d’habitude avec les ballets, le discours qu’on voulait me tenir était illisible. Généralement, le programme livre aux néophytes quelques clefs en leur dévoilant l’anecdote ayant inspiré la chorégraphie, mais ici, ledit programme se bornait à exposer qu’il s’agissait d’une variation autour des œuvres de Balthus, telles qu’elles avaient été montrées récemment au Centre Pompidou. Malheureusement, c’est très vilain de ma part, je n’avais pas vu cette exposition, et c’est donc en référence à mes souvenirs lointains que j’ai reçu cette mise en mouvements.
Soyons justes, le cul nu de la danseuse étoile, qui ouvrait la représentation, rappelait avec fidélité celui qui ornait l’affiche annonçant ladite exposition. Ensuite, il y avait des couleurs, des drapés, des groupes qui me rappelaient des images jadis entrevues. Le programme cite beaucoup Artaud et l’inspiration du spectacle tient évidemment dans ces mots : « Il invite à l’amour mais ne dissimule pas ses dangers. C’est la notion de trompe-l’œil prise sous l’angle de sa splendeur et non sous celui de sa servitude. » En effet, c’est bien ce que j’ai vu, avec une gestuelle qui rejetait les pas conventionnels, mais ne pas semblé très renouvelée dans l’invention, ni toujours parfaitement assumée. En regardant ces tableaux animés -ce que n’avait pas en son temps demandé l’artiste-, ces danseuses mimant les chats ou esquissant des actes sexuels toujours pudiques, (sauf un instant trop court, quand la frénésie s’empare soudain d’un couple), je pensais -c’est honteux !- que cette danse moderne-là, heureusement appuyée sur une musique inspirée par des musiques de films, m’évoquait irrésistiblement la nouvelle cuisine… Avec des cuisinières pas très propres, car que penser des dessous de pieds noirs de saleté que nous exhibaient les danseuses ? Mais fi ! Seuls les ignorants remarquent ces choses-là. N’est-ce pas ?
31.10.84 - Décidément, il était doué, Mozart. Penser qu’il a écrit LUCIO SILLA à l’âge de seize ans laisse rêveur, car il s’agit d’un long opéra où le compositeur a multiplié pour les chanteurs les difficultés, comme aurait pu le faire un vieux professionnel, chargé à l’occasion d’un concours, de pondre en musique l’équivalent de la dictée de Mérimée.
Le premier éloge à décerner dans la représentation mise en scène à Nanterre par Patrick Chéreau, va donc aux chanteurs… et surtout aux chanteuses, car certains rôles masculins ayant été écrits pour des castrats, ce sont des femmes qui, dans cette réalisation, les assument. Il paraît que j’ai assisté à la « Générale » de la distribution bis. Que devait alors être la distribution numéro un, tant celle-ci m’a semblé remarquable, et par la qualité des voix, et, fait rare à l’opéra, par la capacité à JOUER : ils prouvent que, pris en main par un metteur en scène inventif, les chanteurs savent JOUER. Il est vrai que Chéreau ne les a pas pris à rebrousse-poil. Ils se meuvent en déplacements vifs, impulsés par les sentiments qu’ils ont à exprimer, les prolongeant par une gestuelle souvent à la limite de l’excès, comme on la pratiquait naguère au mélo… Mais ce drame musical ne fait-il pas songer à ce genre, même si -jeunesse de l’auteur ?- le tyran par qui tout le mal arrive, abandonnant de façon inattendue mais opportune, le POUVOIR, à la dernière scène, évitant au proscrit le châtiment suprême?
En vérité, cette histoire (chantée en italien) du dictateur romain Sylla et de son adversaire Cinna (qui avait inspiré Corneille), mêlée à des intrigues amoureuses et transportée du premier siècle avant Jésus-Christ au dix-huitième siècle austère, est assez peu lisible à la représentation, mais pour une fois, ça ne m’a pas gêné. J’ai assisté à un beau spectacle de trois heures.
Deuxième éloge à décerner : j’ai rarement vu un chef d’orchestre comme Sylvain Cambreling. Le regarder diriger l’orchestre de l’Opéra National de Belgique qui le suit au quart de tour, avec sensibilité, est un plaisir, même si l’éclairage de son pupitre fait un peu trop tâche de lumière, en avant des pénombres qui dominent sur la scène. Sous sa baguette, nul, jamais, ne court après le point d’orgue. Et les chanteurs ne le regardent pas : c’est LUI qui les suit, avec son ensemble. Il atteint à la perfection. « Trop de perfection », disait un grincheux à la sortie. Peut-être ce spectacle dans sa globalité souffre-t-il en effet de manquer d’imperfections.
Derrière tout cela, il y a l’œil de Chéreau qui n’a pas beaucoup évolué depuis L’HÉRITIER DU VILLAGE, mais qui n’a pas vieilli. Il a toujours cet art unique à composer des tableaux qui se modifient constamment et toujours avec harmonie. Ici, le décor est partie prenante vivante de l’entreprise. Il est de Richard Peduzzi. D’abord, c’est un grand mur sombre, pas très beau, un des ces grands pans qu’on longe parfois dans les ruelles italiennes, très hauts, et qu’aucune fenêtre ne perce. Et puis voilà que le mur se laisse trouer par un obscur passage. Les personnages s’engouffrent dans du noir. Et voici que des fragments de mur se détachent de la masse compacte, et s’avancent vers nous, créant sur la scène naguère volume unique, des zones d’espaces qui correspondent à des lieux de l’action. Quelle simplicité et quelle efficacité. Et soudain, voici que l’éclairage, venu du haut, et qui créait des ombres mouvantes au gré des déplacements de bouts de mur, change brusquement, arbitrairement. Hors de toute logique ? Que non, cela me hérisserait. Je crois que je ne me trompe pas en disant que ces éclairages, dus à Daniel Delannoy et Jean-Luc Chanonat, (qu’Alain Poisson aille se rhabiller avec sa vulgarité clinquante), suivent la dramatique de l’ACTION, j’ai envie de dire : des SENTIMENTS. On a beaucoup dit que les spectacles de Chéreau se passaient dans le noir. C’est vrai qu’il ne privilégie pas les visages. Mais faut-il des points plus brillants que d’autres sur une scène où l’UNITÉ de lumière n’est contrariée que par des obstacles SOLIDES ? Je n’en suis pas sûr. Pour mettre en gros plan ses acteurs chanteurs, Chéreau a trouvé d’autres moyens, entre autres une passerelle, qui enjambe l’orchestre. C’est là qu’il leur fait pousser leurs vocalises les plus racoleuses. Ils sont sûrement très contents, même si, pour le public, c’est à l’état de silhouette plutôt que de visages à traits précis qu’ils resteront… Silhouettes au demeurant que ne différencient aucun costumes. Jacques Schmidt a fait dans le noir austère. Et là encore, il y a un miracle de perfection car tout le monde est vêtu pareil, un style mâle, un style femelle, et on n’a pas pourtant l’impression d’uniformes, sauf quand il le faut pour signifier les soldats.
C’est une coproduction avec la SCALA de Milan et l’Opéra National de Belgique. Le coproducteurs n’ont pas lieu de se plaindre !
01.11.84 - J’VEUX DU BONHEUR qui se joue à L’ESCALIER D’OR, est une pièce de Michel Viala, auteur helvétique, mise en scène par un petit bonhomme que « nouvelle cuisine » n’a pas investi, Pierre Olivier Scotto.
Cela se passe dans un de ces clubs de rencontres, où des hommes et des femmes esseulés se rendent pour essayer de trouver l’âme sœur. L’écrivain suisse a curieusement situé son établissement à Bourges, en 1947, je n’ai pas bien compris pourquoi. Ces clubs sont-ils, dans son esprit, une spécialité de la province française ? Voulait-il signifier que, trois ans après la fin de la guerre, être juive vous y faisait montrer du doigt ? Sa « France profonde » ne m’a pas paru être évoquée très amicalement. Il est vrai que le microcosme de société fréquentant ce genre de lieu ne pouvait refléter que des personnages un peu bizarres, excessivement timides ou obsédés, ou marginaux, traumatisés par quelque chose.
Au jour choisi, deux des membres du club fêtent leurs fiançailles. Ce qui aurait pu être un joyeux événement tournera au vinaigre. Chacun se retrouvera dans sa solitude après un simulacre de bombance et de multiples tentatives avortées de communications. On pense à ce qu’un Pradinas aurait, avec sa rigueur, fait d’un tel sujet. Ici, on ne quitte le ton boulevard qu’à la toute fin, quand les choses se déglinguent. Un petit souffle de drame passe alors sur la scène. Mais l’ensemble est flou, monté mollement, chaque actrice ou acteur fait son numéro.
Pierre Olivier Scotto a a été pensionnaire à la Comédie-Française. Ce travail-là est du niveau des ménages. C’est dommage. Car l’œuvre est certainement concernante pour un certain public. Hélas, rares sont devenus les réalisateurs qui, refusant le style mode « mesguicho théophilidien », savent encore traiter du quotidien en se distinguant du premier degré. J’ai cité Pradinas. Stéphanie Loïk vient aussi à l’esprit. Pierre Olivier Scotto n’est qu’une mouche tâcheronne.
06.11.84 - Vu le show d’Eddy Mitchell. Beaucoup de bruit. Dans la salle du Palais des Sports, l’ambiance était chaude. L’artiste paye incontestablement de sa personne et mouille sa chemise, qu’il offre à un spectateur en fin d’exhibition. Son metteur en scène, Jérôme Savary, a déployé toutes les ficelles de la putasserie pour faire valoir la vedette. Pourtant, sa « mise en scène » n’est pas très inventive pour qui a vu d’autres de ses spectacles. L’orchestre qui accompagne le rocker est remarquable.
09.11.84 - Depuis ALBERT, Michel Boujenah avait connu un échec, ANATOLE, parce qu’il avait voulu « oublier » que, pour son public, il était un Juif Tunisien émigré, et que c’était ça, rien d’autre, qui faisait son succès. Pour avoir voulu être aimé en tant qu’artiste déraciné, le jeune homme a bu une coupe amère. Pris en main par des impresarii judicieux, les Marouani, il est revenu à sa spécialité… et au succès, avec LES MAGNIFIQUES, qu’a mis en scène son frère, le cinéaste Paul Boujenah.
14.11.84 - Quand je dis que le THÉATRE, c’est d’abord un acteur en danger sur une scène face à des spectateurs eux aussi en chair et en os, cela ne veut pas dire, naturellement, n’importe quel acteur. À Saint-Brieuc, sous le chapiteau du THÉATRE DU RADEAU, un certain Jacques Coudert montre, je cite, « un spectacle sculptural dont le mime, la danse et les arts martiaux sont autant de codes pour une syntaxe physique ». Cette « PASSION » recréée ne manque pas d’ambitions, je dirai plutôt de vanité. L’exercice gymnique est assumé, quoique sans beaucoup de renouvellements. C’est un travail qui ne justifie pas l’exécution en public. À noter toutefois, la pointe d’humour en la personne d’un garde qui porte une hallebarde toute la soirée avec l’air de dire, parlant de l’exhibitionniste, « regardez-moi ce fada ! »
15.11.84 - Et voici, dans la grande salle mal chauffée du CAC de Saint-Brieuc, le THÉATRE DU RADEAU lui-même, dans un grand machin sans paroles intelligibles et sans modestie, appelé L’EDEN ET LES CENDRES, qui se veut « représentations symboliques de notre misérable condition humaine ».
La bande-son est très belle. C’est elle qui conduit l’action, ou plutôt les actions qui se répètent, différentes et semblables, images de bonheur rétro sans cesse contrariées, comme s’il y avait des bombardements, ou des radiations « surgissantes ». La lumière, très sophistiquée, se fait dès lors très sombre tandis que des bruits, craquements, ou gouttes d’eau insolites, rendent inquiétant le silence, en attendant que des musiques, de plus en plus brillantes et nettes, viennent annoncer le retour d’une tentative de vie.
En regardant ces tableaux trop lents (Oh ! Bob Wilson !) mais beaux, j’ai pensé à STALKER, le merveilleux film de Tarkovski, et aussi, pour le thème , au PEPE de Polivka. C’est malheureusement interminable (deux heures trente) et le fait que les protagonistes ne soient que quatre finit par faire peu à la longue, seulement parce qu’à force de rêver autour de ce qui nous est montré, nous finissons par chercher la petite bête.
Le THÉATRE DU RADEAU avait montré, il y a deux ans, un DOM JUAN bizarre mais intéressant. Est-ce le goulag qu’il a voulu suggérer dans ce second spectacle ? On pourrait le penser, car les phrases inintelligibles entendues ont en majorité des consonances russes. On a encore envie de parler d’une chose très intéressante. Ah ! Que le RADEAU n’est-il natif de Cracovie ! Venant seulement du MANS, quelles chances a-t-il ?
14.11.84 - La veille au soir, au joli Théâtre Municipal de Saint-Brieuc, j’ai enfin vu le QUAND J’AVAIS CINQ ANS JE M’AI TUÉ, du Théâtre Galion.
C’est, d’après une nouvelle anglo-saxonne d’Howard Buten, l’histoire d’un garçon de huit ans, qui est enfermé dans une clinique psychiatrique pour avoir tué la petite fille qu’il aime. Il ne se rend pas compte, bien sûr, qu’elle est morte, il la réclame, il ne comprend pas qu’elle ne vienne pas le voir, quand le docteur lui parle, il s’enferme dans le mutisme. C’est tendre, drôle, le thème n’est pas traité tragiquement. L’œuvre procède par touches légères, à l’Américaine. C’est tout à fait bien assumé par une troupe de bonne humeur.
15.11.84 - Dans un mauvais coin du CAC, histoire sans doute de faire toucher du doigt aux invités les possibilités multiples de l’édifice, le THÉATRE MANARF a présenté une jolie exhibition pour un homme et une femme appelées INTIMES INTIMES. L’intérêt réside dans les tout petits objets manipulés.
18.11.84 - Les rapports entre l’Égypte ancienne et le cosmos ont, de tous temps, fasciné les observateurs de cette civilisation. Les DARU ont imaginé avec « DISPARUS DANS LA LUMIÈRE TEMPS », un spectacle interstellaire qui se confond avec une descente du Nil en felouque. Ce sont des marionnettes « modernes ». Ils ont donc mis une technique contemporaine -y compris la vidéo- au service de leur entreprise, qui n’est pourtant jamais si belle que quand des petites figurines de profil (Égypte oblige) y sont très artisanalement déplacées manuellement, se découpant sur un vide étrange. Il faut souligner le rôle de Philippe Augrand : musique et espace sonore emplissent les oreilles, donnant aux spectateurs une plénitude d’impression, que les seuls éléments visuels ne leur auraient peut-être bien pas procurés.
24.11.84 - PHOENIX - PARK correspond à la période où James Joyce cherchait à appréhender la réalité de l’au-delà de la conscience, utilisant des formes de langages en métamorphose permanente, aspirant « à recréer le monde en le délivrant », disait Roland Purnal, « de ce poids qu’est la vieille notion du temps. Au Théâtre du Quai de la Gare, hangar glacé qui ne doit pas être très rassurant le soir, deux filles pas belles éprouvent cette littérature avec par instants de beaux éclats, mais dans l’ensemble un phrasé irritant et un rythme sans concessions. L’absence absolue de programme m’empêche de citer un seul nom. (Renseignements pris, c’est monté et joué par Anne Zénour, avec H. Lassalle).
Pierre-Yves Lahier prouve en effet qu’il a un sens aigu du climat sonore et visuel d’un spectacle. Sa transposition de la pièce de Tancred Dorst dans l’univers futuriste d’une guerre nucléaire, lui a permis de multiplier pendant la première demi-heure de la représentation des effets forts. Malheureusement, la bonne impression s’estompe au fil de la représentation parce que l’œuvre est beaucoup trop bavarde et, me semble-t-il, confuse.
On sait le sujet : une femme arrive au pied des murs d’une ville où réside l’Empereur, et réclame son mari qui a été enrôlé comme soldat. Les officiers lui promettent de libérer le garçon si elle le reconnaît au milieu des autres hommes en uniforme. Elle en désigne un, mais est-ce le vrai ? Pendant deux heures, l’homme et la femme, sous l’œil amusé et cruel de deux officiers, joueront au chat et à la souris. À la fin, la femme reste seule. « De quoi traite la pièce ? », a écrit Rischbieter dans THEATER HEUTE, « de l’ordre mondial troublé, et aussi comment homme et femme se manquent mutuellement, manquent le jeu l’un de l’autre, manquent leur vie ».
C’est exact, mais que c’est disert, que ça cause ! Et puis il faudrait pour faire passer ce torrent verbal une actrice prodigieuse. Or Hélène Ninerola n’est pas une actrice prodigieuse. Elle n’est que pas mal. On ne saisit pas bien tout ce qu’elle clame. On perd de son discours. Elle n’a pas la présence absolue. Quant au soldat, j’ai éprouvé que François Kuki était un peu trop rondouillard pour le rôle.
Je maintiens que FORCE 7 mérite l’aide nationale. Ce ne serait que justice. Mais la troupe a encore besoin de se perfectionner. N’apprend-on pas à communiquer à l’école du TNS d’où ces jeunes gens sont issus ?
16.10.84 - La nouvelle version Savary de LA PÉRICHOLE est exemplaire de l’évolution du metteur en scène. J’ai eu le privilège d’assister il y a pas mal d’années à Hambourg, à une PÉRICHOLE jouée par les comédiens de la Schauspielhaus. C’était la première fois que Savary s’attaquait au genre de l’opérette. C’était aussi le temps où l’esthétique du Grand Magic Circus était toujours au service d’un contenu. Aucune image n’était gratuite. Cette Périchole-là n’était pas très bien chantée, mais elle dénonçait avec évidence l’arbitraire du vice-roi du Pérou et elle mettait l’accent sur l’opposition entre une cour riche -encore que sa somptuosité avait quelque chose de provincial qui sonnait juste-, et un peuple pauvre de paysans -des poules et des dindons circulaient sur la scène- qui se « réjouissait » sur ordre, au commandement. L’oppression dans laquelle était tenue ce peuple n’était pas agressive. On ne retirait pas une leçon de la représentation. Simplement, Savary avait intuitivement fait une « lecture » du livret et l’avait replacé dans la réalité de son contexte historique. L’opérette en sortait dépoussiérée.
Aujourd’hui, pendant le premier acte, celui où la jeune saltimbanque va, somme toute, se prostituer, tout bêtement parce qu’elle meurt de faim, ce qui, tout de même, n’est pas innocent de la part de Messieurs Meilhac et Halevy, j’avais dans la tête le vers de Boileau : « Aimez-vous la muscade, on en a mis partout ». Car la fête est somptueuse. Quand le public pense : que c’est riche, le réalisateur en rajoute. C’est magnifique. Michel Dussarat a imaginé une nombre incommensurable de costumes, tous plus beaux (dans le baroque) les uns que les autres. Je ne sais plus quelle était la directrice d’un théâtre de boulevard qui m’expliquait que, pour sa clientèle, il fallait que les fourrures portées par les actrices en scène soient de vraies fourrures, et les tapis jonchant le sol, des vrais tapis de prix. Ici, Savary a jeté l’argent par la fenêtre et ça avait pour but que ça se voie ! Eh bien c’est réussi. Ca saute aux yeux et, ne gâchons pas notre plaisir, c’est une joie visuelle constante, nourrie par un sens unique de la virtuosité. Savary ne se contente jamais de montrer un tableau. Il le modifie tout le temps, soit que soudain un homme soutenu par des ballons apparaisse dans le ciel en faisant des mouvements gracieux, soit que un, deux, trois, quatre acrobates surgissent, le temps d’une traversée de scène, en faisant des galipettes impeccables. Que dis-je, quatre ? Vous croyez que ça y est, NON, un cinquième surgit et il est encore mieux que les quatre d’avant… et tout est comme cela, sans jamais une baisse de tension. Ah ! Il n’est pas question de somnoler. C’est efficace.
Cela dit, c’est devenu, absolument sans aucune signification, et, débarrassée de son aspect ringard, de l’opérette à l’état pur. C’est-à-dire que plus rien n’a de signifiance, et que même ce qui ne peut pas être gommé dans le texte est escamoté dans la légèreté sautillante. Cette Périchole-là plairait à Moscou. C’est assez dire qu’elle sent sa droite à plein nez !
Pourquoi pas ? Tout est beau. La musique est parfaitement dirigée, même si parfois les chœurs se donnent rendez-vous aux points d’orgue. Les chanteurs sont lyriques, c’est-à-dire qu’ils ont des voix superbes et ne se donnent pas trop la peine de jouer juste, ou de se faire comprendre ! Et les décors de Michel Lebois, construits sur scène tournante, sont riches en couleur et foisonnants en détails cocasses. Ses portraits du vice-roi, suspendus un peu partout sur la place coquette du village propret, où chante et danse le peuple sans soucis, rappellent quelque part le temps où il peignait des palmiers dérisoires. Mais lui aussi a été investi par le réalisme du genre. Il a fait du solide, et, finissons sur ce mot car il résume toute l’entreprise, du RICHE !
19.10.84 - À l’occasion de la rencontre « informelle » des « cultureux » européens à Bruxelles, je suis convié à voir un spectacle monté par une toute jeune troupe flamande, le EPIGONTEATER, « COUTEAU OISEAU ».
Au début, sur un étal, il y a deux poules vivantes, une blanche et une noire. Très proprement, et très lentement aussi, mais ce n’est pas un rituel, c’est du banal boulot de boucher, un garçon prépare la cuvette, le couteau. Il lie les pattes de la poule blanche puis, carrément, il lui tranche le cou. Après quoi il la plume, la flambe, la ficelle et la fourre à la rôtissoire. Quand le poulet sera cuit, le spectacle s’achèvera, chacun des cinq humains de l’entreprise se partageant la chair de l’oiseau, assez ignoblement, avec les doigts.
C’est terrible d’avoir des références. Là où les jeunes peuvent s’extasier devant la nouveauté, moi je retrouve un zest de happening à la Jean-Jacques Lebel, à qui ce sacrifice aurait semblé bien peu cruel. En même temps que le boucher prépare le poulet, ceux qui vont être de la fête, deux couples, se préparent, et là, c’est au Living Théâtre que j’ai songé. Une femme va et vient pendant dix minutes de plus en plus vite, pendant qu’un homme martèle la rapidité progressive du rythme avec ses pieds. On admire leur endurance physique. En même temps, l’autre femme examine son corps d’un œil attentif et angoissé. C’est très pudique d’ailleurs. Les culottes masquent les nudités, et, quand à la fin, le mari de l’une violera la femme de l’autre sous la table dressée pour le repas, faisant valser verres et assiettes avec une frénésie dignes du 4 Litres 12, ce sera sans qu’aucune nudité n’ait été dévoilée. C’est plus érotique ? Me direz-vous ! NON, car cette timidité est en contradiction avec le réalisme de l’exécution du poulet. Entre-temps, on a assisté à des jeux mimés un peu trop prolongés. C’est flamand et puis, il faut bien gagner du temps pour que le poulet cuise. Une des femmes, celle qui n’est pas violée, campe assez justement l’épouse attirée par un autre homme et n’osant pas consommer. En vérité, tout cela ne va pas très loin, ne dit pas grand-chose. Mais ça se laisse voir. À la fin, la poule survivante salue avec la troupe.
23.10.84 - Tant qu’à faire de moderniser LA SURPRISE DE L’AMOUR, Élisabeth Chailloux aurait dû situer la pièce de Marivaux au Japon, où le rapport hiérarchique, qui oblige les employés à obtenir la permission du patron pour se marier, existe toujours. L’entreprise, avec courbettes et sourires énigmatiques, mériterait d’être tentée un jour… et exportée, encore que l’auteur n’ait injecté aucune contestation de cette règle dans l’œuvre. La nécessité pour Pierre et Jacqueline, comme pour Arlequin et Colombine, d’obtenir l’accord de leurs maîtres misogynes et misoandres pour convoler y est inscrite comme l’ordre naturel des choses, et ce n’est pas la réalisatrice qui y a infléchi quoi que ce soit. N’empêche que son spectacle est très agréable.
Le décor de Laurent Peduzzi montre un lieu informel. Au sol, du sable, à l’horizon, un ciel tourmenté que l’éclairage modifiera au gré des humeurs des personnages. Un plafond bas, plat, sans fioritures, repose sur six colonnes sans grâce, dont une, à la face, en plein milieu, qui cache aux spectateurs une partie de l’espace. Je mettrai cette volonté d’infliger une vision fragmentaire au public sur le compte d’une concession bénigne au parisianisme. Car je n’en accuserai point les costumes d’Agostino Cavalca, qui sont superbes dans leur contemporanéité baroque, extravagants, et très justement adaptés aux psychologies de ceux qui les portent.
Car tout est psychologie dans ce montage fin, qui traite des rapports de classe avec clarté mais sans lourdeur, qui ne cherche pas la signifiance appesantie, et ne dédaigne ni le rythme ni même le marivaudage, sans pourtant tomber dans le sautillant fade et dépourvu de contenu. Élisabeth Chailloux fait évoluer son petit monde au gré des idées fixes de chacun, à ce niveau du sol où tout est grave mais pas sérieux. C’est un traitement délicat, plein d’humour, où l’amour aussi est moderne : Jacqueline et Colombine ont avec leurs futurs des relations sans pudeur et, si l’on ne voit pas leurs ébats, du moins se reboutonnent-elles devant nous. Élisabeth Chailloux joue elle-même la comtesse désabusée et Gérard Touratier est un baron revenu de tout qui a le mérite, dans son excès de rejet du sexe féminin, de n’être pas ambigu.
On sait le sujet. Lelio de son côté, la Comtesse du sien, se sont retirés à la campagne pour fuir le sexe opposé à la suite de déboires amoureux. Leurs paysans d’abord, leurs serviteurs ensuite ayant besoin de leurs accords pour se marier, s’attacheront à les rapprocher pour les amener à consentir ce que d’abord ils refusent. Et c’est ainsi que le jeu s’installera, écrit d’avance mais si charmant, pour le plaisir des spectateurs qui retrouvent avec bonheur, dépoussiéré mais de nouveau léger, un Marivaux dont les traitements lassaliens terroristes les avaient privés depuis des lustres. Sans doute est-ce le mérite de cette réalisation : de rendre Marivaux au plaisir des spectateurs, sans qu’ils aient à rougir ou à se croire… de droite !
25.10.84 - Si j’étais prudent, j’attendrais pour écrire ces lignes de lire les critiques des journalistes qui font la mode. L’OUEST LE VRAI, présentée à l’Athénée par la Compagnie Berto - Ribes dans une mise en scène de Jean-Michel Ribes, est en effet un spectacle typique sur ce plan : « ils » auront décidé que c’était épatant, ou le contraire, en toute gratuité, et peut-être à l’avance.
Le sort fait à la représentation permettra de mesurer si l’« ON » veut soutenir Josyane Horville, Ribes, et aussi une certaine forme de théâtre parlé où tout ce qu’il y a à dire l’est en clair, dans une langue sans guère de style, un langage bref, quotidien, cinématographique si l’on veut, (encore qu’au cinéma ce serait beaucoup trop causant) pas moderne en tous cas. Le cas Sam Shepard brouille un peu les cartes au moment où le film PARIS TEXAS vient d’avoir eu le prix à Cannes. Il s’agit donc aussi de savoir si la gloire du scénariste va servir ou desservir l’auteur anglo-saxon dans la tête de nos médiateurs avides d’originalité personnelle.
Deux frères, le bon et la mauvais, le rangé et le marginal, en tête-à-tête pendant quatre-vingt-dix minutes, échangent leurs personnalités. Voilà résumé, le thème. Le premier est un tâcheron de la plume. Le second ne sait pas écrire, mais il a le sens des idées débiles qui séduisent les producteurs. Il a surtout beaucoup plus de culot que le premier, il roule des épaules, il joue aux durs, mais ce n’est pas un loubard, quoiqu’il s’amuse à cambrioler les maisons. C’est plutôt un misanthrope qui n’en a rien à foutre de quoi que ce soit et qui a donc toutes les audaces. Pourquoi est-il passé par la maison de leur mère, lui, l’exilé, réfugié dans le désert et qui s’annonce nettement en transit ? La mère est absente, en voyage touristique, en Alaska. Le père est lui aussi, quelque part, dans le désert. Alcoolique. Ce désert-là est peut-être un hôpital. Les deux garçons, adultes, retrouvent un peu du rapport de leur enfance.
Mais ce sont leurs retrouvailles, après une très longue séparation, qui susciteront le processus de transformation, avec comme catalyseur un personnage de producteur archi-conventionnel, que l’acteur Michel Berto transforme en une amusante caricature. Richard Bohringer joue la brute, Roland Blanche le bon. Il est dommage qu’on doive prêter l’oreille pour les entendre. On ne peut pas s’empêcher de penser aux frères de PARIS TEXAS, qui disent tant de choses en si peu de mots et qui sont tellement plus convaincants. Là est le danger pour le tandem Ribes - Béraud. Ils n’ont pas su, comme Wim Wenders, me donner l’impression que Sam Shepard était un grand auteur. Comme quoi, un grand film, c’est d’abord un grand metteur en scène. Au théâtre, c’est différent.
Oui, il faudra de la bonne volonté à NOS critiques pour qu’ils n’écrivent pas qu’ils sont tombés de haut, allant du film à la pièce. Car le sujet n’est qu’anecdotique dans un cas comme dans l’autre, même s’il reflète par ricochet une certaine réalité américaine. Mais la vision en image du désert du Texas, c’est, bien sûr, autre chose qu’en causer. Une fois encore, la débilité de la civilisation américaine fait des clins d’yeux à l’Europe.
26.10.84 - Quand je pense que j’ai failli deux ou trois fois prendre le train ou l’avion pour aller à Toulouse voir un spectacle du THÉATRE DE L’ACTE, sur l’insistance épaisse des faire-valoir de cette troupe, je dois me réjouir d’avoir limité les dégâts à un voyage à Villejuif, encore que ce déplacement aurait dû m’être épargné ! Ce n’est certainement pas le représentation du BAL DES BLATTES qui me rendra le goût, hélas amenuisé, d’aller au hasard en éclaireur, me repaître du travail des jeunes théâtreux. Jeunes, ceux-là ? Voire ! Ils se réclament de soixante-huit, du Living Théâtre et de Grotowski. Ce sont des gens qui ont expérimenté la vie en communauté. Ils auraient dû en profiter pour apprendre leur métier, car leur spectacle sent l’amateurisme à plein nez.
Le sujet aurait pu être intéressant : les locataires d’un immeuble se réfugient sur le toit parce que leurs appartements sont envahis par des insectes devenus énormes. Ils cherchent à tromper leur angoisse à travers une série de jeux et de « parodies de leur vie sociale antérieure ». Bien !
L’ennui, c’est que ces jeux s’étirent tous quatre fois plus qu’il ne serait nécessaire, et que les textes, quand il y en a, sont soit débiles (ceux qu’on entend), soit inaudibles par « inarticulation » (un ou deux qu’on devine ne pas manquer de poésie). La « scénographie » a évidemment manqué d’un regardeur, qui aurait su inculquer aux faiseurs d’impros que ce qui leur plaisait tellement en exercices n’était pas forcément efficace. Chacun a sa spécialité gestuelle ou vocale et a pour préoccupation évidente qu’on le remarque. C’est une parodie de travail collectif, un détournement. Ce n’est pas UN POUR TOUS mais CHACUN POUR SOI. Il s’ensuit une irritante agitation à vide, un spectacle étiré au-delà de toute mesure et pour le spectateur l’ENNUI !
28.10.84 - L’IMPRESARIO ANDRESS NEUMANN VEUT LANCER SUR LE MARCHE UN NOUVEAU « PRODUIT » (SIC !) : ROMANO COLOMBAIONI, LACHE PAR MARIO QUI A DECIDE DE PRENDRE SA RETRAITE, S’EST ADJOINT DEUX FILS DE FRERES (ÇA S’APPELLE SAUF ERREUR DES NEVEUX), ALFREDO ET ROLANDO, ET PRESENTE AVEC EUX PATAPUMFETE, « TEXTE ET MISE EN SCENE DE DARIO FO ». IL EST VRAI QUE, PUBLICITAIREMENT PARLANT, L’ADDITION COLOMBAIONI - FO POURRAIT ETRE PAYANTE. L’IDEE M’A MEME INSPIRE D’ALLER VOIR LE SPECTACLE A TOULON, OU LE NOUVEAU SPECTACLE INAUGURAIT UNE STRUCTURE DE THEATRE MOBILE APPELE THÉATRE DE LA MÉDITERRANNÉE. QU’EST-CE QU’UN « THEATRE MOBILE » ? C’EST UN CHAPITEAU EN DUR RELATIF, PLUS PROPRE ET PLUS CONFORTABLE QU’UN CIRQUE, BEAUCOUP MOINS FACILEMENT DEPLAÇABLE. ANDRE NEYTON A PRIS LA DIRECTION DE CELUI-CI. IL EST PLANTE A LA GARDE, A HUIT KILOMETRES DE TOULON. IL Y EST SANS DOUTE POUR LONGTEMPS.
J’AI TROUVE LE « PRODUIT » TRES PENIBLE. JE VEUX BIEN CROIRE QU’IL PRENDRA DE L’AISANCE AVEC LE TEMPS, MAIS IL M’A FRAPPE PAR SON AMATEURISME. QU’EST-CE QUE L’APPORT DE DARIO FO ? CE SONT DES SKETCHS QUI CAUSENT (EN ITALIEN) ET QUI SONT JOUES PAR DES CLOWNS MAL A L’AISE HORS DE LEUR SPECIALITE. OU EST LA MISE EN SCENE DE DARIO FO ? JE N’AI VU QUE TROIS HOMMES LIVRES A EUX-MEMES ET RAMANT, EN EN FAISANT TROP, POUR ARRACHER DES RIRES A UN PUBLIC DE BONNE VOLONTE. ROMANO, LE VIEUX ROUTIER, DOIT SENTIR QUE QUELQUE CHOSE NE VA PAS ET IL MULTIPLIE SES TENTATIVES DE RACOLAGE AVEC SES TRUCS QUI, A FORCE, SEMBLENT ECULES. DU MOINS SON IMPRESSIONNISME OBTIENT-IL QUELQUES RESULTATS. LES DEUX AUTRES M’ONT PARU TOUT à fait insuffisants.
Mais, me direz-vous, l’idée est intéressante ? Les sketchs de Fo ont une signifiance ? N’est-il pas bien que Romano et ses neveux veuillent communiquer un art de clowns à contenu ? Certes, sauf que les textes choisis ne sont pas très explosifs : « du flipper au computer », ok, les même sont passés d’un jeu électrique à un jeu électronique, on n’arrête pas le progrès ! « De la chaîne de montage au robot », eh oui ! la machine remplacera l’homme de plus en plus ! et alors ? « La drogue » ? C’est vrai, elle fait des ravages etc… etc… Les clowns jouent comme au cabaret. Ils restent au premier degré. Ils ne transposent ni ne transcendent. Ils ne dépassent pas… Ce qui reste, ce sont les vieux numéros de Romano, injectés heureusement de-ci de-là. Il fabrique joliment sa Pulcinella avec un mouchoir et, en danseuse à pointes, il est charmant. Le dernier numéro, « Les Clochards », retrouve quelque chose du fellinisme de la COPPIA BUFFA. Quant à ROMÉO ET JULIETTE, qu’ils font incarner par un garçon et une fille pris dans la salle, j’ai déjà vu ça quelque part !
Déjà, les faiseurs de mode reprochaient à Romano et Mario de n’avoir pas la classe de Carlo et Alberto. Je crains que PATAPUMFETE lancé sur le marché français ne fasse qu’accentuer ce décalage. À moins que Carlo et Alberto eux-mêmes… Dont on dit qu’ils ont fait un nouveau spectacle… Ah ! si eux aussi ?... Alors les COLOMBAÏONI resteraient un grand NOM du passé.
29.10.84 - Il ne faut pas confondre ZÉRO DE CONDUITE et ZÉRO DE CONDUITE. Les premiers sont un groupe rock d’audience nationale qu’on a pu, entre autres, apercevoir de loin, à l’inauguration du ZÉNITH. Les seconds ont d’autres ambitions. Ils sont implantés à Montpellier. Quand je dis qu’ils ont d’autres ambitions, cela signifie qu’ils sont un groupe rock avec quelque chose en plus : « Les chanteurs se mettent à danser, les acteurs à swinguer, les rockers à jazzer et les jazzeux se laissent pousser la banane. Est-ce du théâtre, de la musique, du music-hall ? », s’interroge la feuille ronéotypée distribuée aux spectateurs. Ladite feuille conclut : « Le suspense créatif est à son comble. C’est la panique chez les critiques ».
En vérité, ce ZÉRO DE CONDUITE moderne et avec sa touche originale, dans la ligne de ces grands orchestres populaires qui, de Fred Addison en Ray Ventura, pour arriver au Grand Orchestre du Splendid, ont toujours théâtralisé la musique en la truffant de gags et de gestuelle. Ce qu’on a en face de soi, sur la scène, c’est une formation orchestrale installée sur différents niveaux praticables. Au premier plan, un micro, derrière lequel prend place le chanteur maison meneur du jeu, et puis, un espace, qui permet à deux nanas de s’agiter frénétiquement au rythme des musiques exécutées.
Ce qui fait l’originalité de la démarche, c’est que ces nanas n’arrivent pas vêtues de strass comme leurs consœurs du show-business. Elles ont l’air de clochardes felliniennes. Leurs jupes fendues laissent voir des bas de laine rapiécés. Elles trimballent les grands sacs des fouilleuses de poubelles. Le chanteur, lui, arrive en moto. Malheureusement, la théâtralisation s’arrête là et le « spectacle » consiste finalement à entendre une série de morceaux écrits, texte et musique, par LES CRACOS. Quand le chanteur fait « Atchoum ! », ça les fait démarrer ou stopper au quart de tour. Que chantent-ils ? Les Cambrioleurs, qu’il ne faut pas confondre avec les voleurs, et différentes choses que je ne me rappelle pas bien, mais qui se veulent toutes gentiment marginales. Tous se dépensent, se défoncent avec une remarquable rigueur. La musique, la gestuelle, la danse, les gags sont parfaitement synchronisés. Quelques parodies, celle de Serge Gainsbourg, celle des Compagnons de la Chanson, sont amusantes, comme l’est l’exercice de virtuosité qui consiste à exécuter un morceau classique de musique moderne, caractérisé par le fait qu’on n’entend que des notes éparses au milieu d’un désert de silence. Le synchronisme de ces instants audibles force l’admiration.
Beaucoup de talent et de maîtrise donc, MAIS au service de finalement pas grand-chose. Il semblerait que le groupe gagnerait à s’adjoindre un dramaturge qui imprimerait un contenu, une continuité signifiante, à toute cette agitation disparate, et qui, par moments, ne vole pas très haut. Il y a de-ci de-là, proférées par le chanteur meneur de jeu, des phrases qui se veulent drôles et qui rabaissent seulement le niveau. Bref, ce que j’ai vu à Montpellier valait seulement le détour dans la mesure où il y a là une équipe bourrée de talents et qui sait faire plein de choses, mais à qui il manque un Savary pour que ces choses prennent une dimension. À suivre pourtant avec attention, car le jour où ce groupe se trouvera un tel « directeur », l’audience nationale ne sera pas loin.
30.10.84 - Je ne suis pas Docteur ès Danse, et c’est sans doute pour cela que je n’ai pas su apprécier TROMPE CŒUR, chorégraphie de Anne-Marie Reynaud par la compagnie du FOUR SOLAIRE, qui m’avait été si chaudement signalée par Dominique Bruschi, qu’ayant débarqué du TGV de Montpellier à dix-huit heures cinquante et une, je me suis fait propulser par Monique au milieu d’embarras de voitures exceptionnels, jusqu’à Colombes, où se produisait, à vingt heures trente, la prétendue merveille.
Comme d’habitude avec les ballets, le discours qu’on voulait me tenir était illisible. Généralement, le programme livre aux néophytes quelques clefs en leur dévoilant l’anecdote ayant inspiré la chorégraphie, mais ici, ledit programme se bornait à exposer qu’il s’agissait d’une variation autour des œuvres de Balthus, telles qu’elles avaient été montrées récemment au Centre Pompidou. Malheureusement, c’est très vilain de ma part, je n’avais pas vu cette exposition, et c’est donc en référence à mes souvenirs lointains que j’ai reçu cette mise en mouvements.
Soyons justes, le cul nu de la danseuse étoile, qui ouvrait la représentation, rappelait avec fidélité celui qui ornait l’affiche annonçant ladite exposition. Ensuite, il y avait des couleurs, des drapés, des groupes qui me rappelaient des images jadis entrevues. Le programme cite beaucoup Artaud et l’inspiration du spectacle tient évidemment dans ces mots : « Il invite à l’amour mais ne dissimule pas ses dangers. C’est la notion de trompe-l’œil prise sous l’angle de sa splendeur et non sous celui de sa servitude. » En effet, c’est bien ce que j’ai vu, avec une gestuelle qui rejetait les pas conventionnels, mais ne pas semblé très renouvelée dans l’invention, ni toujours parfaitement assumée. En regardant ces tableaux animés -ce que n’avait pas en son temps demandé l’artiste-, ces danseuses mimant les chats ou esquissant des actes sexuels toujours pudiques, (sauf un instant trop court, quand la frénésie s’empare soudain d’un couple), je pensais -c’est honteux !- que cette danse moderne-là, heureusement appuyée sur une musique inspirée par des musiques de films, m’évoquait irrésistiblement la nouvelle cuisine… Avec des cuisinières pas très propres, car que penser des dessous de pieds noirs de saleté que nous exhibaient les danseuses ? Mais fi ! Seuls les ignorants remarquent ces choses-là. N’est-ce pas ?
31.10.84 - Décidément, il était doué, Mozart. Penser qu’il a écrit LUCIO SILLA à l’âge de seize ans laisse rêveur, car il s’agit d’un long opéra où le compositeur a multiplié pour les chanteurs les difficultés, comme aurait pu le faire un vieux professionnel, chargé à l’occasion d’un concours, de pondre en musique l’équivalent de la dictée de Mérimée.
Le premier éloge à décerner dans la représentation mise en scène à Nanterre par Patrick Chéreau, va donc aux chanteurs… et surtout aux chanteuses, car certains rôles masculins ayant été écrits pour des castrats, ce sont des femmes qui, dans cette réalisation, les assument. Il paraît que j’ai assisté à la « Générale » de la distribution bis. Que devait alors être la distribution numéro un, tant celle-ci m’a semblé remarquable, et par la qualité des voix, et, fait rare à l’opéra, par la capacité à JOUER : ils prouvent que, pris en main par un metteur en scène inventif, les chanteurs savent JOUER. Il est vrai que Chéreau ne les a pas pris à rebrousse-poil. Ils se meuvent en déplacements vifs, impulsés par les sentiments qu’ils ont à exprimer, les prolongeant par une gestuelle souvent à la limite de l’excès, comme on la pratiquait naguère au mélo… Mais ce drame musical ne fait-il pas songer à ce genre, même si -jeunesse de l’auteur ?- le tyran par qui tout le mal arrive, abandonnant de façon inattendue mais opportune, le POUVOIR, à la dernière scène, évitant au proscrit le châtiment suprême?
En vérité, cette histoire (chantée en italien) du dictateur romain Sylla et de son adversaire Cinna (qui avait inspiré Corneille), mêlée à des intrigues amoureuses et transportée du premier siècle avant Jésus-Christ au dix-huitième siècle austère, est assez peu lisible à la représentation, mais pour une fois, ça ne m’a pas gêné. J’ai assisté à un beau spectacle de trois heures.
Deuxième éloge à décerner : j’ai rarement vu un chef d’orchestre comme Sylvain Cambreling. Le regarder diriger l’orchestre de l’Opéra National de Belgique qui le suit au quart de tour, avec sensibilité, est un plaisir, même si l’éclairage de son pupitre fait un peu trop tâche de lumière, en avant des pénombres qui dominent sur la scène. Sous sa baguette, nul, jamais, ne court après le point d’orgue. Et les chanteurs ne le regardent pas : c’est LUI qui les suit, avec son ensemble. Il atteint à la perfection. « Trop de perfection », disait un grincheux à la sortie. Peut-être ce spectacle dans sa globalité souffre-t-il en effet de manquer d’imperfections.
Derrière tout cela, il y a l’œil de Chéreau qui n’a pas beaucoup évolué depuis L’HÉRITIER DU VILLAGE, mais qui n’a pas vieilli. Il a toujours cet art unique à composer des tableaux qui se modifient constamment et toujours avec harmonie. Ici, le décor est partie prenante vivante de l’entreprise. Il est de Richard Peduzzi. D’abord, c’est un grand mur sombre, pas très beau, un des ces grands pans qu’on longe parfois dans les ruelles italiennes, très hauts, et qu’aucune fenêtre ne perce. Et puis voilà que le mur se laisse trouer par un obscur passage. Les personnages s’engouffrent dans du noir. Et voici que des fragments de mur se détachent de la masse compacte, et s’avancent vers nous, créant sur la scène naguère volume unique, des zones d’espaces qui correspondent à des lieux de l’action. Quelle simplicité et quelle efficacité. Et soudain, voici que l’éclairage, venu du haut, et qui créait des ombres mouvantes au gré des déplacements de bouts de mur, change brusquement, arbitrairement. Hors de toute logique ? Que non, cela me hérisserait. Je crois que je ne me trompe pas en disant que ces éclairages, dus à Daniel Delannoy et Jean-Luc Chanonat, (qu’Alain Poisson aille se rhabiller avec sa vulgarité clinquante), suivent la dramatique de l’ACTION, j’ai envie de dire : des SENTIMENTS. On a beaucoup dit que les spectacles de Chéreau se passaient dans le noir. C’est vrai qu’il ne privilégie pas les visages. Mais faut-il des points plus brillants que d’autres sur une scène où l’UNITÉ de lumière n’est contrariée que par des obstacles SOLIDES ? Je n’en suis pas sûr. Pour mettre en gros plan ses acteurs chanteurs, Chéreau a trouvé d’autres moyens, entre autres une passerelle, qui enjambe l’orchestre. C’est là qu’il leur fait pousser leurs vocalises les plus racoleuses. Ils sont sûrement très contents, même si, pour le public, c’est à l’état de silhouette plutôt que de visages à traits précis qu’ils resteront… Silhouettes au demeurant que ne différencient aucun costumes. Jacques Schmidt a fait dans le noir austère. Et là encore, il y a un miracle de perfection car tout le monde est vêtu pareil, un style mâle, un style femelle, et on n’a pas pourtant l’impression d’uniformes, sauf quand il le faut pour signifier les soldats.
C’est une coproduction avec la SCALA de Milan et l’Opéra National de Belgique. Le coproducteurs n’ont pas lieu de se plaindre !
01.11.84 - J’VEUX DU BONHEUR qui se joue à L’ESCALIER D’OR, est une pièce de Michel Viala, auteur helvétique, mise en scène par un petit bonhomme que « nouvelle cuisine » n’a pas investi, Pierre Olivier Scotto.
Cela se passe dans un de ces clubs de rencontres, où des hommes et des femmes esseulés se rendent pour essayer de trouver l’âme sœur. L’écrivain suisse a curieusement situé son établissement à Bourges, en 1947, je n’ai pas bien compris pourquoi. Ces clubs sont-ils, dans son esprit, une spécialité de la province française ? Voulait-il signifier que, trois ans après la fin de la guerre, être juive vous y faisait montrer du doigt ? Sa « France profonde » ne m’a pas paru être évoquée très amicalement. Il est vrai que le microcosme de société fréquentant ce genre de lieu ne pouvait refléter que des personnages un peu bizarres, excessivement timides ou obsédés, ou marginaux, traumatisés par quelque chose.
Au jour choisi, deux des membres du club fêtent leurs fiançailles. Ce qui aurait pu être un joyeux événement tournera au vinaigre. Chacun se retrouvera dans sa solitude après un simulacre de bombance et de multiples tentatives avortées de communications. On pense à ce qu’un Pradinas aurait, avec sa rigueur, fait d’un tel sujet. Ici, on ne quitte le ton boulevard qu’à la toute fin, quand les choses se déglinguent. Un petit souffle de drame passe alors sur la scène. Mais l’ensemble est flou, monté mollement, chaque actrice ou acteur fait son numéro.
Pierre Olivier Scotto a a été pensionnaire à la Comédie-Française. Ce travail-là est du niveau des ménages. C’est dommage. Car l’œuvre est certainement concernante pour un certain public. Hélas, rares sont devenus les réalisateurs qui, refusant le style mode « mesguicho théophilidien », savent encore traiter du quotidien en se distinguant du premier degré. J’ai cité Pradinas. Stéphanie Loïk vient aussi à l’esprit. Pierre Olivier Scotto n’est qu’une mouche tâcheronne.
06.11.84 - Vu le show d’Eddy Mitchell. Beaucoup de bruit. Dans la salle du Palais des Sports, l’ambiance était chaude. L’artiste paye incontestablement de sa personne et mouille sa chemise, qu’il offre à un spectateur en fin d’exhibition. Son metteur en scène, Jérôme Savary, a déployé toutes les ficelles de la putasserie pour faire valoir la vedette. Pourtant, sa « mise en scène » n’est pas très inventive pour qui a vu d’autres de ses spectacles. L’orchestre qui accompagne le rocker est remarquable.
09.11.84 - Depuis ALBERT, Michel Boujenah avait connu un échec, ANATOLE, parce qu’il avait voulu « oublier » que, pour son public, il était un Juif Tunisien émigré, et que c’était ça, rien d’autre, qui faisait son succès. Pour avoir voulu être aimé en tant qu’artiste déraciné, le jeune homme a bu une coupe amère. Pris en main par des impresarii judicieux, les Marouani, il est revenu à sa spécialité… et au succès, avec LES MAGNIFIQUES, qu’a mis en scène son frère, le cinéaste Paul Boujenah.
14.11.84 - Quand je dis que le THÉATRE, c’est d’abord un acteur en danger sur une scène face à des spectateurs eux aussi en chair et en os, cela ne veut pas dire, naturellement, n’importe quel acteur. À Saint-Brieuc, sous le chapiteau du THÉATRE DU RADEAU, un certain Jacques Coudert montre, je cite, « un spectacle sculptural dont le mime, la danse et les arts martiaux sont autant de codes pour une syntaxe physique ». Cette « PASSION » recréée ne manque pas d’ambitions, je dirai plutôt de vanité. L’exercice gymnique est assumé, quoique sans beaucoup de renouvellements. C’est un travail qui ne justifie pas l’exécution en public. À noter toutefois, la pointe d’humour en la personne d’un garde qui porte une hallebarde toute la soirée avec l’air de dire, parlant de l’exhibitionniste, « regardez-moi ce fada ! »
15.11.84 - Et voici, dans la grande salle mal chauffée du CAC de Saint-Brieuc, le THÉATRE DU RADEAU lui-même, dans un grand machin sans paroles intelligibles et sans modestie, appelé L’EDEN ET LES CENDRES, qui se veut « représentations symboliques de notre misérable condition humaine ».
La bande-son est très belle. C’est elle qui conduit l’action, ou plutôt les actions qui se répètent, différentes et semblables, images de bonheur rétro sans cesse contrariées, comme s’il y avait des bombardements, ou des radiations « surgissantes ». La lumière, très sophistiquée, se fait dès lors très sombre tandis que des bruits, craquements, ou gouttes d’eau insolites, rendent inquiétant le silence, en attendant que des musiques, de plus en plus brillantes et nettes, viennent annoncer le retour d’une tentative de vie.
En regardant ces tableaux trop lents (Oh ! Bob Wilson !) mais beaux, j’ai pensé à STALKER, le merveilleux film de Tarkovski, et aussi, pour le thème , au PEPE de Polivka. C’est malheureusement interminable (deux heures trente) et le fait que les protagonistes ne soient que quatre finit par faire peu à la longue, seulement parce qu’à force de rêver autour de ce qui nous est montré, nous finissons par chercher la petite bête.
Le THÉATRE DU RADEAU avait montré, il y a deux ans, un DOM JUAN bizarre mais intéressant. Est-ce le goulag qu’il a voulu suggérer dans ce second spectacle ? On pourrait le penser, car les phrases inintelligibles entendues ont en majorité des consonances russes. On a encore envie de parler d’une chose très intéressante. Ah ! Que le RADEAU n’est-il natif de Cracovie ! Venant seulement du MANS, quelles chances a-t-il ?
14.11.84 - La veille au soir, au joli Théâtre Municipal de Saint-Brieuc, j’ai enfin vu le QUAND J’AVAIS CINQ ANS JE M’AI TUÉ, du Théâtre Galion.
C’est, d’après une nouvelle anglo-saxonne d’Howard Buten, l’histoire d’un garçon de huit ans, qui est enfermé dans une clinique psychiatrique pour avoir tué la petite fille qu’il aime. Il ne se rend pas compte, bien sûr, qu’elle est morte, il la réclame, il ne comprend pas qu’elle ne vienne pas le voir, quand le docteur lui parle, il s’enferme dans le mutisme. C’est tendre, drôle, le thème n’est pas traité tragiquement. L’œuvre procède par touches légères, à l’Américaine. C’est tout à fait bien assumé par une troupe de bonne humeur.
15.11.84 - Dans un mauvais coin du CAC, histoire sans doute de faire toucher du doigt aux invités les possibilités multiples de l’édifice, le THÉATRE MANARF a présenté une jolie exhibition pour un homme et une femme appelées INTIMES INTIMES. L’intérêt réside dans les tout petits objets manipulés.
18.11.84 - Les rapports entre l’Égypte ancienne et le cosmos ont, de tous temps, fasciné les observateurs de cette civilisation. Les DARU ont imaginé avec « DISPARUS DANS LA LUMIÈRE TEMPS », un spectacle interstellaire qui se confond avec une descente du Nil en felouque. Ce sont des marionnettes « modernes ». Ils ont donc mis une technique contemporaine -y compris la vidéo- au service de leur entreprise, qui n’est pourtant jamais si belle que quand des petites figurines de profil (Égypte oblige) y sont très artisanalement déplacées manuellement, se découpant sur un vide étrange. Il faut souligner le rôle de Philippe Augrand : musique et espace sonore emplissent les oreilles, donnant aux spectateurs une plénitude d’impression, que les seuls éléments visuels ne leur auraient peut-être bien pas procurés.
24.11.84 - PHOENIX - PARK correspond à la période où James Joyce cherchait à appréhender la réalité de l’au-delà de la conscience, utilisant des formes de langages en métamorphose permanente, aspirant « à recréer le monde en le délivrant », disait Roland Purnal, « de ce poids qu’est la vieille notion du temps. Au Théâtre du Quai de la Gare, hangar glacé qui ne doit pas être très rassurant le soir, deux filles pas belles éprouvent cette littérature avec par instants de beaux éclats, mais dans l’ensemble un phrasé irritant et un rythme sans concessions. L’absence absolue de programme m’empêche de citer un seul nom. (Renseignements pris, c’est monté et joué par Anne Zénour, avec H. Lassalle).