Du 28 aout au 13 octobre 1984
28.08.84 - Et voilà ! Un mois d’arrêt. Fin août. Et déjà les invitations commencent à pleuvoir. Je me tiendrai cette saison à un rythme raisonnable. Trop, c’est trop, surtout quand RIEN ne surgit qui soit exaltant !
Si je m’en tiens à de vieux principes, c’est-à-dire qu’une équipe ne devrait rien entreprendre sans une motivation intime, je devrais saluer VIE ET MORT DE PIER PAOLO PASOLINI, qui déplace vers le TOURTOUR la frange intellectuelle des auditeurs de Radio Gay, et sans doute une partie du public de l’ex-Marette ! La pédale militante y célèbre l’illustre cinéaste poète pédophile italien, à travers un texte bien construit de Michel Azema. Jean Menaud a fait la mise en scène et joue Pasolini avec une conviction qui n’est pas feinte. De toute évidence, il admire l’artiste, l’homme, le marginal, le « différent », et il y a, certes, quelque complaisance, dans le portrait qu’il trace à grand renfort d’étreintes viriles et d’attouchements à l’audace précise calculée. Les bons moments du spectacle sont ceux où le héros est confronté -à de nombreuses reprises- à la société moralisante. Ses démêlés avec le parti Communiste (dont il fut exclu), avec la justice et avec la censure, donnent lieu à des scènes flashs claires et vigoureuses. Michel Derville incarne avec sobriété tous les représentants de l’ordre et de la normalité. Les moins bons moments sont ceux où Pasolini « crée », dans un enthousiasme romantique assez peu plausible, et ceux où il s’ « exprime » avec des jeunes garçons. Les homosexuels masculins, décidément, me hérissent quelque part et mon dégoût a sûrement quelque chose de raciste. Ah ! Que ne trouvons-nous de semblables militants pour de meilleures causes.
01.09.84 - Le nouveau spectacle des MACLOMA s’appelle QQQ ( ?) et pendant sa première demi-heure, il est très chouette : les trois clowns ont eu, cette fois-ci, le souci de jouer ensemble. Ils vont jusqu’au bout de l’idée, puisqu’ils incarnent des frères siamois, d’abord, dans le prologue, sous la forme baroque et bariolée de trois êtres aux corps et aux jambes entremêlés (cela fait un peu exercice de style un brin laborieux, mais l’aisance viendra sans doute avec la répétition), ensuite, sous celle de trois garçons liés par les hanches et voulant se coucher. Ici, le laborieux est voulu et drôle. Il est évident que les petites choses de la vie ne peuvent être que compliquées pour des personnages ainsi handicapés. Pour faire pipi, se déplacer, trouver la position dans le lit, tout pose problème et il y a toujours un troisième qui est victime. Peut-être les clowns auraient-ils dû explorer davantage ce domaine. Trop vite, à mon avis, l’un d’eux, Guy, excédé par les ronflements des deux autres, s’empare d’une scie et se sépare… sans dommage apparent ni souffrance. Avec son éloignement, s’achève une continuité qui était touchante par l’éternelle bonne humeur visible malgré l’adversité, de ses déchets humains. La méthode chère aux MACLOMA, de passer d’une anecdote à l’autre par glissements, amène les deux qui sont restés liés à se transformer en une grosse dame, qui sera l’objet des attentions d’un homme doté du don de s’élever dans les airs. Cette fois-ci, c’est Guy qui remplace Alain pour la performance. Il va joliment cueillir une fleur apparue au premier étage du théâtre. Il disparaît dans les cintres avec une certaine anxiété apparente qui, bien sûr, disparaîtra avec l’habitude. Malheureusement, avant le dernier tableau, où Philippe incarne une écuyère de cirque avec beaucoup de charme et des dents très longues, procurant au spectacle un dénouement enlevé. Il y a un long passage chiant où, une fois encore, nos clowns miment des évolutions sous-marines, avec beaucoup trop de passages à vide et une lisibilité imparfaite. Philippe, né des œuvres de la grosse dame déjà citée, y joue un bébé bibendum, avec un joli petit robinet à la place du zizi et un cordon de survie qui le lie aux deux autres. C’est trop long et un peu chiant. À mon avis, cette partie-là ne s’arrangera pas, même si des gags supplémentaires sont trouvés. C’est curieux, cet amour des clowns MACLOMA pour l’univers aquatique. C’est peut-être parce que les mouvements sont ralentis, qu’il y a donc difficulté à les exécuter, que nos clowns les affectionnent. Comment ne se rendent-ils pas compte qu’ils ne sont pas comiques dans ce ramollissement ? Or, comiques, c’est tout ce qu’ils disent maintenant : j’ai beau me creuser la cervelle, je ne trouve plus le moindre contenu, la moindre subversion dans QQQ. Nous sommes loin de la violence de HÉROZERO ou de DELIMELO. Tout au plus subsiste-t-il du temps où les MACLOMA n’étaient pas bourgeois un goût pour le scatologique. Un scatologique qui n’est lui-même pas de tellement mauvais aloi : le pipi, après tout, c’est naturel !
05.09.84 - Le doux contestataire anarchiste Guénolé Azerthiope, avait, vers les années soixante-dix montré au SIGMA de Bordeaux, sous le titre « L’APOLOGUE », un spectacle stigmatisant les grands principes et les grands sentiments qui, en son temps, avait fait quelque bruit, dérangeant les bourgeois, et ravissant les émigrés de mai soixante-huit. À deux reprises, Azerthiope, qui, par ailleurs, dans un créneau proche de celui de Jean-Paul Farré, ne réussissait guère, a repris cette réalisation que tous s’accordaient à considérer comme son chef-d’œuvre. En 1975, Savary l’invitait à la Porte Saint-Martin où, de son côté, il jouait le raté GOOD BYE MISTER FREUD !
Guénolé Azerthiope nous a fait la surprise de réafficher L’APOLOGUE en cette rentrée 84 / 85, au Café de la Gare. Distribution ni meilleure ni pire qu’il y a quatorze ans. Spectacle sans aucune modification, dont les imperfections apparaissent davantage parce que les jeunes technocrates qui font le théâtre aujourd’hui n’ont peut-être rien à nous dire, mais beaucoup nous ont habitués à une excellente présentation audiovisuelle de leurs produits. Or, force est de constater que le cérémonial figé du dîner de famille, le dialogue entre les participants, faits de textes qu’on inculquait aux enfants des écoles à la fin du dix-neuvième siècle, ne passent plus de la même façon. La dérision des grandes valeurs semble ne plus faire rire que les vieux cons de ma génération. Le dérangement facétieux n’intervient plus identiquement. Le public a appris la patience. L’absence de mythes manque peut-être aux jeunes gens actuels, que sais-je ?... De « mythes » ou de « mystifications »… « il nous faut des mystifications nouvelles », clamait le prophète Ionesco. Peut-être avait-il raison. Quoi qu’il en soit, L’APOLOGUE n’est pas reçu au Café de la Gare avec le même impact que naguère. On a envie de dire méchamment qu’Azerthiope a maintenant beaucoup d’avenir derrière lui. Mais est-ce sa faute si le monde a changé ? Oui ! Il aurait dû, et moi aussi, s’en apercevoir.
06.09.84 - Revu LE PRINCIPE DE SOLITUDE repris par Jean-François Delacour à la Péniche. Cadre étroit. Angle de visibilité terrible pour les spectateurs. Rafaël Rodriguez a repris son interprète en mains et il a apparemment réussi à se faire obéir. Le résultat : moins de folie, plus de clarté dans le récit mais aussi, pour moi en tous cas, moins de communication. Le spectacle m’a semblé asséché, comme si, à force d’être exact, Delacour en oubliait d’être présent. Par exemple, à Bruxelles, quand il se mettait nu, cela coulait d’une évidence. Ici, cela m’a semblé gratuit. À Sarrebruck, quand il était debout sur le lit, il était dans un tel état que le risque d’effondrement existait. Rien de tel à la péniche. Peut-être craint-il de heurter le plafond du crâne !
10.09.84 - Il y a des gens dont on suit l’activité, qu’on va voir à chaque fois qu’ils font quelque chose, avec l’envie de se déranger. C’est devenu si rare qu’ils n’ont pas le droit de décevoir. Or, LA BRASSERIE DU BONHEUR, qu’Antoine Campo présente dans des locaux culturels tout neufs du quartier de l’hôtel Nikko, est apparemment le fruit d’ateliers réalisés avec des apprentis comédiens. Autour d’un thème commun, le bistrot, des groupes se sont formés et chacun y est allé de son improvisation.
Catherine Rimbaud a figé les textes, avec, sans doute, un très grand respect des mots dits par les stagiaires, car, ce qui frappe gravement, c’est le premier degré permanent dans lequel baigne l’entreprise, l’absence de transposition poétique, le manque d’écriture. Là où il aurait fallu traduire le résultat des observations faites par les élèves en termes de théâtre, on n’a qu’une photographie de la réalité, sans aucune écriture.
Pourtant, il y a par instants quelques perles. La première scène, par exemple, où l’on voit deux Allemandes échanger un dialogue à moitié audible en consonances germaniques tout en mimant le fait de manger, avec sur leur table un seul objet réaliste, un pot de moutarde ; la scène où l’on voit trois femmes du monde s’empiffrer de gâteaux est également joyeuse, grâce surtout à la composition de l’une d’elles. Il y a une scène de repas de noces, sans le marié, avec la mariée enceinte et triste, qui pourrait, mieux assumée, atteindre à une réelle dimension.
LE bistrot n’est pas, à la manière du COSMOS de La Courneuve, l’histoire d’un bistrot. C’est une série de scènes qui se succèdent autour de l’idée de bistrot, mais chacun a SA personnalité, étendue jusqu’au self et au restaurant à l’heure du coup de feu. Ces scènes, malheureusement, ne sont pas assez flashs ! Beaucoup s’étalent excessivement et gagneraient à être réduites en durée. Dommage. On passe à côté d’un spectacle qui aurait pu être grand comme LE BAL, car, après tout, il a le mérite de décrire des scènes de notre vie quotidienne, d’être contemporain. J’ai, par moments, pensé au Campagnol. Justement : Penchenat avait su trouver la dimension « transposante », donc « dépassante ». Pas Campo. Il est vrai que Penchenat n’était pas asservi par un texte. Celui de Catherine Rimbaud est tellement plat que je n’hésite pas à le responsabiliser de l’échec du spectacle.
21.09.84 - Revu L’OPÉRA NOMADE, au Lierre, en vision frontale, dans la version que signe le seul Farid Paya. Par rapport à la première mouture, le spectacle a gagné en perfection musicale. Il a acquis des bribes d’humour. Il a perdu en émotion. Je me souviens d’une ébauche d’idylle très pure. C’est cette fois une attirance sexuelle qui pousse l’un vers l’autre un homme et une femme. L’aspect « misère » de ces êtres bivouaquant, est aussi moins présent. Le nouveau travail aboutit à un spectacle excellent… mais asséché.
25.09.84 - Le Centre Dramatique de La Courneuve a peut-être réussi sa réapparition avec GENS DE DUBLIN, courtes nouvelles écrites par James Joyce au début du vingtième siècle, que Christian Dente rêvait depuis longtemps, si nous en croyons le programme, de porter au théâtre. Pour qui a suivi Dente depuis longtemps, cette passion n’est pas étrange car son peuple de Dublin, à part quelques détails exotiques, rappelle beaucoup celui de SON Paris du vingtième arrondissement, tel qu’il le raconte dans son tour de chant. Ce sont des petites gens, des braves gens simples, ceux qu’aimaient chanter les Communistes au temps où il y avait encore des Communistes. Je veux dire à l’époque de la vieille garde qui ne se croyait pas obligée de plaire aux médias bourgeoises en étant, tel un Léonardini, plus « parisien » que les « Parisiens ».
Dans un dispositif qui est tout à fait semblable à celui qu’a imaginé le Théâtre de l’Aquarium l’année dernière -sauf qu’ici il y a deux rails de tram au lieu d’un rail de train, mais l’atmosphère est semblable-, nos amis retrouvent leur goût, et leur aisance, à s’adresser aux spectateurs de plusieurs côtés à la fois. S’ils ont renoncé à l’acrobatie et, quelque part, à la truculence, ils ont nettement progressé en musique et ne donnent plus du tout l’impression d’une fanfare des Beaux-Arts peu soucieuse de jouer sans couacs. Il est vrai qu’ils se sont adjoints avec Robert Suhas un musicien qui a su inventer des notes irlandaises sans folklore, et avec Bruno Barré un comédien dont c’est aussi le métier d’être violoniste.
D’autre part, il faut noter qu’ils ont beaucoup progressé aussi comme comédiens. Jean-Pierre Rouvellat, débarrassé de sa truculence, est devenu touchant par moments. Je mentionnerai surtout Dominique Brodin, qui avait déjà, dans le COSMOS, montré sa virtuosité dans la composition. Il récidive ici dans des registres proches. Et puis il y a Damiène Giraud. Il n’est pas douteux que quand cette petite bonne femme ouvre la bouche, un courant passe. Elle a LA présence. Il est dommage que ce soit moins le cas de Maria Gomez, qui se taille deux parts de lion dans le spectacle, en patronne stricte sur la morale d’une pension de famille, et en amoureuse qui hésite à émigrer avec son amant.
J’ai écrit au début de ce topo quelques mots qui pourraient, mal interprétés, faire croire que je pense que Dente n’a pas montré des gens de Dublin, mais des gens de SON Paris. Il ne s’agit, bien sûr, que d’une parenté. Ses Irlandais sont bien sûr de chez eux, quoique la caricature facile à la manière de « L’HOMME TRANQUILLE » ait été gommée. C’est une question de classe sociale… et de pluie. Le monde irlandais décrit est original, mais familier, convivial. C’est pourquoi il touche…
01.10.84 - Le chemin parcouru par Antonio Diaz Florian depuis les premiers spectacles de l’Atelier de l’Épée de Bois, est proprement stupéfiant. Je crois qu’il est le seul réalisateur, à ma connaissance, qui ait évolué à tel point qu’il en ait totalement changé de genre.
Son montage du PARADOXE SUR LE COMÉDIEN de Diderot est aux antipodes de MYTHUS, SEXUS, MARTYRS, TERRE, LOGOS, TORO et YURO d’avant 1975, quand quatre spectateurs éperdus nageaient sans programme écrit pour s’accrocher, devant des visions apocalyptiques de larves geignantes et de débris d’humanité torturés. Ici, il ne manque que le feu de bois crépitant dans la cheminée pour qu’on se croie dans le grand salon d’un château cossu. Les tables, où l’on sert du vin aux spectateurs, les tentures rouges, les escaliers de bois conduisant aux mezzanines, la moquette, tout contribue à donner au lieu un air de convivialité confortable, de tranquillité chaleureuse, dès lors que soixante « invités » vont assister à un divertissement littéraire de bon goût : deux comédiens disant, jouant, commentant, et illustrant d’exemples le célèbre texte de Diderot qui démontrait, bien avant Brecht, que les acteurs ne s’identifient jamais totalement à leurs rôles et que leurs sensibilités ne livrent, au théâtre, que les marques extérieures de ce qu’ils ressentent.
Ces deux discoureurs de bon loi, qui évoluent au milieu des convives, sont incarnés inégalement par Patrick Petot et Christian Neupont. Le premier a une diction parfaite, se fait bien entendre, a de la présence. Il est d’autant plus remarquable que c’est à lui qu’échoit la tâche redoutable de rendre concret l’abstrait du discours. Le second fait rire assez souvent, par ses mimiques et sa façon outrancière d’incarner les personnages des morceaux choisis. Malheureusement, il articule mal et on perd beaucoup quand il parle.
C’est dommage car l’ensemble du spectacle baigne dans un humour, dû évidemment à la marque du metteur en scène, qui clarifie le contenu de l’exposé classique, tout en gardant une distance. On ne s’ennuie jamais. Je ne sais si c’est un compliment : ce PARADOXE est exemplaire de ce que devraient être les matinées littéraires du Palais Royal. Il constitue pour les tournées un produit pour scolaires de grande qualité. Ah ! si l’on pouvait imaginer économiquement de telles scolaires pour soixante élèves -pas plus- à la fois ! J’ai peur que la loi du profit ne le permette pas. En attendant, Jean-Pierre Vincent devrait faire un tour à l’ÉPÉE DE BOIS. Il engagerait peut-être Antonio Diaz Florian à la Comédie-Française.
03.10.84 - C’est une affaire d’hommes ! La seule femme du spectacle, nue d’ailleurs, est une découpe en carton ! LE CHIEN MEXICAIN n’est pas misogyne ! Il se contente de jeter sur la femme un regard de potache de collège de garçons ! Toute la représentation a ce parfum-là, illustré par le retour périodique de sketchs qui semblent avoir été inventés par les élèves dudit établissement, pour chiner leur professeur à la fête de fin de l’année !
Certains de ces sketchs sont drôles. Ils sont tous fondés sur une utilisation de la logique au-delà du raisonnable. Ils sont généralement assez intellectuels, sans pourtant élever le débat bien haut. Quel débat, du reste ? Ces « scissionnaires » du Hauser Horkater se situent dans une marginalité qui, en Hollande, doit, quelque part, refléter l’univers des squatters contestataires. Mais ces punks-là sont bien vêtus, très bien élevés, et l’absurde obtenu par leur façon de pousser à fond les raisonnements, n’est pas le moins du monde inquiétante. Le divertissement est de bon ton.
Ce qui en fait le charme, c’est que tous les mots sont dits en français de façon monocorde, avec l’accent savoureux qu’avait Laurel dans les films doublés. Ainsi tous les propos sont-ils proférés avec flegme. Ils sont assénés à coup d’accents toniques déplacés ! Quelques chansons ponctuent le show. Elles ne sont pas traduites -sinon dans le programme- ce qui nous permet de savourer les harmonies de la langue néerlandaise. Ah !
J’oubliais : ça s’appelle LA LOI DE LUISMAN. Un des huit garçons incarne, selon le programme, un nommé Luisman ! Ca doit être le professeur. Le titre voulait signifier, dans ce cas, qu’il cherche à imposer sa loi à ses farceurs d’élèves. LE CHIEN MEXICAIN a une réputation européenne. Il ne me soulève pas d’enthousiasme mais il ne m’endort pas. Quelque part, son univers est celui d’un Jérôme Deschamps, dans le minimal. En tellement moins cruel ! En tellement moins signifiant… Mais en tellement plus flamand !
09.10.84 - L’auteur est martiniquais. Je ne sais si Julius Amedo Laou est noir ou café au lait. Il n’est sûrement pas blanc, puisque dans le délire que traverse son personnage devenu folle, cette question de la négritude joue un rôle essentiel. Le titre, FOLIE ORDINAIRE D’UNE FILLE DE CHAM, est d’ailleurs révélateur : Cham, celui de la bible, fut en effet puni par Jahweh pour avoir découvert à ses sœurs la nudité de son père ivre. Les Blancs seraient ainsi devenus Nègres par châtiment. L’héroïne regarde sa peau avec horreur et ne cesse d’implorer le Seigneur pour qu’il lui rende une peau de lait. Elle n’a jamais transgressé SA loi, n’ayant jamais vu son père nu. Le seul pénis dont elle se souvienne est celui de Théodore, son bien-aimé, mort en 1924, l’année justement où elle est entrée en folie.
L’œuvre est écrite avec une grande abondance verbale riche en images, ce qui renforce ma conviction que l’auteur soit un Noir. Daniel Mesguich, le metteur en scène, a choisi de faire débiter le texte à toute vitesse de façon monocorde. Ca doit encore être à la mode, puisque tous ceux qui somnolaient autour de moi au Théâtre de la Bastille, à commencer par Michel Cournot, ont bien applaudi à la fin.
Il est vrai que la pièce est servie par une actrice remarquable, pas celle qui joue Madame Amélie, la vieille folle, Jenny Alpha qui, au demeurant, n’est pas mal, l’autre, qui est à la fois son amie Fernande et son infirmière supposée, Sylvie Laporte. C’est une petite « Mûlatresse » claire qui trimballe tant de présence intérieure, qu’elle arrive à faire passer son discours malgré le traitement que lui a imposé -infligé- le réalisateur. Sylvie Laporte, il faut retenir ce nom, ce qu’elle arrive à faire dans le cadre du handicap imposé est admirable.
10.10.84 - Il y a les Communistes déçus qui cherchent leur refuge dans l’Art pour l’Art ultrasophistiqué. José Valverde, lui, se planque dans l’univers merveilleux, magique et plein de « sagesse », des contes. Une morale paradoxale baigne ceux qu’il a choisis et qu’il dit, avec humour et convivialité, accompagné par Alida Latessa qui est un peu plus terne, assez conventionnelle, mais a de l’abattage, et lui donne la réplique ou lui répond avec gentillesse.
TRANCHE DE CONTE est le titre de ce voyage dans les histoires nordiques, arabes, juives et nippones d’autrefois, qui se joue à douze heures trente pour remplacer, nous explique l’hôte quand il vient servir des boissons écologiques à son public, la tranche de jambon du lunch. Ici, les morceaux de pain du sandwich sont les deux moitiés de la journée de travail. Soit ! La chose se pratique dans nombre de pays où le repas du milieu de la journée n’est pas considéré comme sacré. Il doit être assez détendant en effet, de s’évader ainsi dans un univers qui fait rêver… surtout pour les hommes, car les morceaux choisis exaltent quasi tous une conception du rapport mâle - femme qui ne peut qu’inspirer des réserves aux militantes du féminisme. Il est vrai que les contes nous viennent d’un autre monde, dans le temps comme dans l’espace. Évasion, évasion, vous dis-je !
13.10.84 - Anne-Marie Lazarini a monté LA VILLE MARINE, de Jacques Guimet : belle scénographie en décors simultanés autour d’une plage méditerranéenne, mais peut-être tahitienne, qui investit tout l’ARTISTIC. Brillante distribution avec Monique Fabre, Josette Boulva, Edith Scob, Philippe Lebas, Raymond Jourdan, Claude Guedj. J’allais oublier d’écrire que les décors sont de François Cabanat. La pièce cause dans le style poétique. Les personnages s’affrontent violemment, s’épient, se violent, se font peur et une des filles se mue en Notre Dame de la Garde. D’après le programme, Marseille jouerait son rôle dans l’affaire, mais l’auteur n’a pas daigné expliciter son propos. Au spectateur à se démerder pour y comprendre quelque chose. Comme vous le savez, je suis feignant.
Si je m’en tiens à de vieux principes, c’est-à-dire qu’une équipe ne devrait rien entreprendre sans une motivation intime, je devrais saluer VIE ET MORT DE PIER PAOLO PASOLINI, qui déplace vers le TOURTOUR la frange intellectuelle des auditeurs de Radio Gay, et sans doute une partie du public de l’ex-Marette ! La pédale militante y célèbre l’illustre cinéaste poète pédophile italien, à travers un texte bien construit de Michel Azema. Jean Menaud a fait la mise en scène et joue Pasolini avec une conviction qui n’est pas feinte. De toute évidence, il admire l’artiste, l’homme, le marginal, le « différent », et il y a, certes, quelque complaisance, dans le portrait qu’il trace à grand renfort d’étreintes viriles et d’attouchements à l’audace précise calculée. Les bons moments du spectacle sont ceux où le héros est confronté -à de nombreuses reprises- à la société moralisante. Ses démêlés avec le parti Communiste (dont il fut exclu), avec la justice et avec la censure, donnent lieu à des scènes flashs claires et vigoureuses. Michel Derville incarne avec sobriété tous les représentants de l’ordre et de la normalité. Les moins bons moments sont ceux où Pasolini « crée », dans un enthousiasme romantique assez peu plausible, et ceux où il s’ « exprime » avec des jeunes garçons. Les homosexuels masculins, décidément, me hérissent quelque part et mon dégoût a sûrement quelque chose de raciste. Ah ! Que ne trouvons-nous de semblables militants pour de meilleures causes.
01.09.84 - Le nouveau spectacle des MACLOMA s’appelle QQQ ( ?) et pendant sa première demi-heure, il est très chouette : les trois clowns ont eu, cette fois-ci, le souci de jouer ensemble. Ils vont jusqu’au bout de l’idée, puisqu’ils incarnent des frères siamois, d’abord, dans le prologue, sous la forme baroque et bariolée de trois êtres aux corps et aux jambes entremêlés (cela fait un peu exercice de style un brin laborieux, mais l’aisance viendra sans doute avec la répétition), ensuite, sous celle de trois garçons liés par les hanches et voulant se coucher. Ici, le laborieux est voulu et drôle. Il est évident que les petites choses de la vie ne peuvent être que compliquées pour des personnages ainsi handicapés. Pour faire pipi, se déplacer, trouver la position dans le lit, tout pose problème et il y a toujours un troisième qui est victime. Peut-être les clowns auraient-ils dû explorer davantage ce domaine. Trop vite, à mon avis, l’un d’eux, Guy, excédé par les ronflements des deux autres, s’empare d’une scie et se sépare… sans dommage apparent ni souffrance. Avec son éloignement, s’achève une continuité qui était touchante par l’éternelle bonne humeur visible malgré l’adversité, de ses déchets humains. La méthode chère aux MACLOMA, de passer d’une anecdote à l’autre par glissements, amène les deux qui sont restés liés à se transformer en une grosse dame, qui sera l’objet des attentions d’un homme doté du don de s’élever dans les airs. Cette fois-ci, c’est Guy qui remplace Alain pour la performance. Il va joliment cueillir une fleur apparue au premier étage du théâtre. Il disparaît dans les cintres avec une certaine anxiété apparente qui, bien sûr, disparaîtra avec l’habitude. Malheureusement, avant le dernier tableau, où Philippe incarne une écuyère de cirque avec beaucoup de charme et des dents très longues, procurant au spectacle un dénouement enlevé. Il y a un long passage chiant où, une fois encore, nos clowns miment des évolutions sous-marines, avec beaucoup trop de passages à vide et une lisibilité imparfaite. Philippe, né des œuvres de la grosse dame déjà citée, y joue un bébé bibendum, avec un joli petit robinet à la place du zizi et un cordon de survie qui le lie aux deux autres. C’est trop long et un peu chiant. À mon avis, cette partie-là ne s’arrangera pas, même si des gags supplémentaires sont trouvés. C’est curieux, cet amour des clowns MACLOMA pour l’univers aquatique. C’est peut-être parce que les mouvements sont ralentis, qu’il y a donc difficulté à les exécuter, que nos clowns les affectionnent. Comment ne se rendent-ils pas compte qu’ils ne sont pas comiques dans ce ramollissement ? Or, comiques, c’est tout ce qu’ils disent maintenant : j’ai beau me creuser la cervelle, je ne trouve plus le moindre contenu, la moindre subversion dans QQQ. Nous sommes loin de la violence de HÉROZERO ou de DELIMELO. Tout au plus subsiste-t-il du temps où les MACLOMA n’étaient pas bourgeois un goût pour le scatologique. Un scatologique qui n’est lui-même pas de tellement mauvais aloi : le pipi, après tout, c’est naturel !
05.09.84 - Le doux contestataire anarchiste Guénolé Azerthiope, avait, vers les années soixante-dix montré au SIGMA de Bordeaux, sous le titre « L’APOLOGUE », un spectacle stigmatisant les grands principes et les grands sentiments qui, en son temps, avait fait quelque bruit, dérangeant les bourgeois, et ravissant les émigrés de mai soixante-huit. À deux reprises, Azerthiope, qui, par ailleurs, dans un créneau proche de celui de Jean-Paul Farré, ne réussissait guère, a repris cette réalisation que tous s’accordaient à considérer comme son chef-d’œuvre. En 1975, Savary l’invitait à la Porte Saint-Martin où, de son côté, il jouait le raté GOOD BYE MISTER FREUD !
Guénolé Azerthiope nous a fait la surprise de réafficher L’APOLOGUE en cette rentrée 84 / 85, au Café de la Gare. Distribution ni meilleure ni pire qu’il y a quatorze ans. Spectacle sans aucune modification, dont les imperfections apparaissent davantage parce que les jeunes technocrates qui font le théâtre aujourd’hui n’ont peut-être rien à nous dire, mais beaucoup nous ont habitués à une excellente présentation audiovisuelle de leurs produits. Or, force est de constater que le cérémonial figé du dîner de famille, le dialogue entre les participants, faits de textes qu’on inculquait aux enfants des écoles à la fin du dix-neuvième siècle, ne passent plus de la même façon. La dérision des grandes valeurs semble ne plus faire rire que les vieux cons de ma génération. Le dérangement facétieux n’intervient plus identiquement. Le public a appris la patience. L’absence de mythes manque peut-être aux jeunes gens actuels, que sais-je ?... De « mythes » ou de « mystifications »… « il nous faut des mystifications nouvelles », clamait le prophète Ionesco. Peut-être avait-il raison. Quoi qu’il en soit, L’APOLOGUE n’est pas reçu au Café de la Gare avec le même impact que naguère. On a envie de dire méchamment qu’Azerthiope a maintenant beaucoup d’avenir derrière lui. Mais est-ce sa faute si le monde a changé ? Oui ! Il aurait dû, et moi aussi, s’en apercevoir.
06.09.84 - Revu LE PRINCIPE DE SOLITUDE repris par Jean-François Delacour à la Péniche. Cadre étroit. Angle de visibilité terrible pour les spectateurs. Rafaël Rodriguez a repris son interprète en mains et il a apparemment réussi à se faire obéir. Le résultat : moins de folie, plus de clarté dans le récit mais aussi, pour moi en tous cas, moins de communication. Le spectacle m’a semblé asséché, comme si, à force d’être exact, Delacour en oubliait d’être présent. Par exemple, à Bruxelles, quand il se mettait nu, cela coulait d’une évidence. Ici, cela m’a semblé gratuit. À Sarrebruck, quand il était debout sur le lit, il était dans un tel état que le risque d’effondrement existait. Rien de tel à la péniche. Peut-être craint-il de heurter le plafond du crâne !
10.09.84 - Il y a des gens dont on suit l’activité, qu’on va voir à chaque fois qu’ils font quelque chose, avec l’envie de se déranger. C’est devenu si rare qu’ils n’ont pas le droit de décevoir. Or, LA BRASSERIE DU BONHEUR, qu’Antoine Campo présente dans des locaux culturels tout neufs du quartier de l’hôtel Nikko, est apparemment le fruit d’ateliers réalisés avec des apprentis comédiens. Autour d’un thème commun, le bistrot, des groupes se sont formés et chacun y est allé de son improvisation.
Catherine Rimbaud a figé les textes, avec, sans doute, un très grand respect des mots dits par les stagiaires, car, ce qui frappe gravement, c’est le premier degré permanent dans lequel baigne l’entreprise, l’absence de transposition poétique, le manque d’écriture. Là où il aurait fallu traduire le résultat des observations faites par les élèves en termes de théâtre, on n’a qu’une photographie de la réalité, sans aucune écriture.
Pourtant, il y a par instants quelques perles. La première scène, par exemple, où l’on voit deux Allemandes échanger un dialogue à moitié audible en consonances germaniques tout en mimant le fait de manger, avec sur leur table un seul objet réaliste, un pot de moutarde ; la scène où l’on voit trois femmes du monde s’empiffrer de gâteaux est également joyeuse, grâce surtout à la composition de l’une d’elles. Il y a une scène de repas de noces, sans le marié, avec la mariée enceinte et triste, qui pourrait, mieux assumée, atteindre à une réelle dimension.
LE bistrot n’est pas, à la manière du COSMOS de La Courneuve, l’histoire d’un bistrot. C’est une série de scènes qui se succèdent autour de l’idée de bistrot, mais chacun a SA personnalité, étendue jusqu’au self et au restaurant à l’heure du coup de feu. Ces scènes, malheureusement, ne sont pas assez flashs ! Beaucoup s’étalent excessivement et gagneraient à être réduites en durée. Dommage. On passe à côté d’un spectacle qui aurait pu être grand comme LE BAL, car, après tout, il a le mérite de décrire des scènes de notre vie quotidienne, d’être contemporain. J’ai, par moments, pensé au Campagnol. Justement : Penchenat avait su trouver la dimension « transposante », donc « dépassante ». Pas Campo. Il est vrai que Penchenat n’était pas asservi par un texte. Celui de Catherine Rimbaud est tellement plat que je n’hésite pas à le responsabiliser de l’échec du spectacle.
21.09.84 - Revu L’OPÉRA NOMADE, au Lierre, en vision frontale, dans la version que signe le seul Farid Paya. Par rapport à la première mouture, le spectacle a gagné en perfection musicale. Il a acquis des bribes d’humour. Il a perdu en émotion. Je me souviens d’une ébauche d’idylle très pure. C’est cette fois une attirance sexuelle qui pousse l’un vers l’autre un homme et une femme. L’aspect « misère » de ces êtres bivouaquant, est aussi moins présent. Le nouveau travail aboutit à un spectacle excellent… mais asséché.
25.09.84 - Le Centre Dramatique de La Courneuve a peut-être réussi sa réapparition avec GENS DE DUBLIN, courtes nouvelles écrites par James Joyce au début du vingtième siècle, que Christian Dente rêvait depuis longtemps, si nous en croyons le programme, de porter au théâtre. Pour qui a suivi Dente depuis longtemps, cette passion n’est pas étrange car son peuple de Dublin, à part quelques détails exotiques, rappelle beaucoup celui de SON Paris du vingtième arrondissement, tel qu’il le raconte dans son tour de chant. Ce sont des petites gens, des braves gens simples, ceux qu’aimaient chanter les Communistes au temps où il y avait encore des Communistes. Je veux dire à l’époque de la vieille garde qui ne se croyait pas obligée de plaire aux médias bourgeoises en étant, tel un Léonardini, plus « parisien » que les « Parisiens ».
Dans un dispositif qui est tout à fait semblable à celui qu’a imaginé le Théâtre de l’Aquarium l’année dernière -sauf qu’ici il y a deux rails de tram au lieu d’un rail de train, mais l’atmosphère est semblable-, nos amis retrouvent leur goût, et leur aisance, à s’adresser aux spectateurs de plusieurs côtés à la fois. S’ils ont renoncé à l’acrobatie et, quelque part, à la truculence, ils ont nettement progressé en musique et ne donnent plus du tout l’impression d’une fanfare des Beaux-Arts peu soucieuse de jouer sans couacs. Il est vrai qu’ils se sont adjoints avec Robert Suhas un musicien qui a su inventer des notes irlandaises sans folklore, et avec Bruno Barré un comédien dont c’est aussi le métier d’être violoniste.
D’autre part, il faut noter qu’ils ont beaucoup progressé aussi comme comédiens. Jean-Pierre Rouvellat, débarrassé de sa truculence, est devenu touchant par moments. Je mentionnerai surtout Dominique Brodin, qui avait déjà, dans le COSMOS, montré sa virtuosité dans la composition. Il récidive ici dans des registres proches. Et puis il y a Damiène Giraud. Il n’est pas douteux que quand cette petite bonne femme ouvre la bouche, un courant passe. Elle a LA présence. Il est dommage que ce soit moins le cas de Maria Gomez, qui se taille deux parts de lion dans le spectacle, en patronne stricte sur la morale d’une pension de famille, et en amoureuse qui hésite à émigrer avec son amant.
J’ai écrit au début de ce topo quelques mots qui pourraient, mal interprétés, faire croire que je pense que Dente n’a pas montré des gens de Dublin, mais des gens de SON Paris. Il ne s’agit, bien sûr, que d’une parenté. Ses Irlandais sont bien sûr de chez eux, quoique la caricature facile à la manière de « L’HOMME TRANQUILLE » ait été gommée. C’est une question de classe sociale… et de pluie. Le monde irlandais décrit est original, mais familier, convivial. C’est pourquoi il touche…
01.10.84 - Le chemin parcouru par Antonio Diaz Florian depuis les premiers spectacles de l’Atelier de l’Épée de Bois, est proprement stupéfiant. Je crois qu’il est le seul réalisateur, à ma connaissance, qui ait évolué à tel point qu’il en ait totalement changé de genre.
Son montage du PARADOXE SUR LE COMÉDIEN de Diderot est aux antipodes de MYTHUS, SEXUS, MARTYRS, TERRE, LOGOS, TORO et YURO d’avant 1975, quand quatre spectateurs éperdus nageaient sans programme écrit pour s’accrocher, devant des visions apocalyptiques de larves geignantes et de débris d’humanité torturés. Ici, il ne manque que le feu de bois crépitant dans la cheminée pour qu’on se croie dans le grand salon d’un château cossu. Les tables, où l’on sert du vin aux spectateurs, les tentures rouges, les escaliers de bois conduisant aux mezzanines, la moquette, tout contribue à donner au lieu un air de convivialité confortable, de tranquillité chaleureuse, dès lors que soixante « invités » vont assister à un divertissement littéraire de bon goût : deux comédiens disant, jouant, commentant, et illustrant d’exemples le célèbre texte de Diderot qui démontrait, bien avant Brecht, que les acteurs ne s’identifient jamais totalement à leurs rôles et que leurs sensibilités ne livrent, au théâtre, que les marques extérieures de ce qu’ils ressentent.
Ces deux discoureurs de bon loi, qui évoluent au milieu des convives, sont incarnés inégalement par Patrick Petot et Christian Neupont. Le premier a une diction parfaite, se fait bien entendre, a de la présence. Il est d’autant plus remarquable que c’est à lui qu’échoit la tâche redoutable de rendre concret l’abstrait du discours. Le second fait rire assez souvent, par ses mimiques et sa façon outrancière d’incarner les personnages des morceaux choisis. Malheureusement, il articule mal et on perd beaucoup quand il parle.
C’est dommage car l’ensemble du spectacle baigne dans un humour, dû évidemment à la marque du metteur en scène, qui clarifie le contenu de l’exposé classique, tout en gardant une distance. On ne s’ennuie jamais. Je ne sais si c’est un compliment : ce PARADOXE est exemplaire de ce que devraient être les matinées littéraires du Palais Royal. Il constitue pour les tournées un produit pour scolaires de grande qualité. Ah ! si l’on pouvait imaginer économiquement de telles scolaires pour soixante élèves -pas plus- à la fois ! J’ai peur que la loi du profit ne le permette pas. En attendant, Jean-Pierre Vincent devrait faire un tour à l’ÉPÉE DE BOIS. Il engagerait peut-être Antonio Diaz Florian à la Comédie-Française.
03.10.84 - C’est une affaire d’hommes ! La seule femme du spectacle, nue d’ailleurs, est une découpe en carton ! LE CHIEN MEXICAIN n’est pas misogyne ! Il se contente de jeter sur la femme un regard de potache de collège de garçons ! Toute la représentation a ce parfum-là, illustré par le retour périodique de sketchs qui semblent avoir été inventés par les élèves dudit établissement, pour chiner leur professeur à la fête de fin de l’année !
Certains de ces sketchs sont drôles. Ils sont tous fondés sur une utilisation de la logique au-delà du raisonnable. Ils sont généralement assez intellectuels, sans pourtant élever le débat bien haut. Quel débat, du reste ? Ces « scissionnaires » du Hauser Horkater se situent dans une marginalité qui, en Hollande, doit, quelque part, refléter l’univers des squatters contestataires. Mais ces punks-là sont bien vêtus, très bien élevés, et l’absurde obtenu par leur façon de pousser à fond les raisonnements, n’est pas le moins du monde inquiétante. Le divertissement est de bon ton.
Ce qui en fait le charme, c’est que tous les mots sont dits en français de façon monocorde, avec l’accent savoureux qu’avait Laurel dans les films doublés. Ainsi tous les propos sont-ils proférés avec flegme. Ils sont assénés à coup d’accents toniques déplacés ! Quelques chansons ponctuent le show. Elles ne sont pas traduites -sinon dans le programme- ce qui nous permet de savourer les harmonies de la langue néerlandaise. Ah !
J’oubliais : ça s’appelle LA LOI DE LUISMAN. Un des huit garçons incarne, selon le programme, un nommé Luisman ! Ca doit être le professeur. Le titre voulait signifier, dans ce cas, qu’il cherche à imposer sa loi à ses farceurs d’élèves. LE CHIEN MEXICAIN a une réputation européenne. Il ne me soulève pas d’enthousiasme mais il ne m’endort pas. Quelque part, son univers est celui d’un Jérôme Deschamps, dans le minimal. En tellement moins cruel ! En tellement moins signifiant… Mais en tellement plus flamand !
09.10.84 - L’auteur est martiniquais. Je ne sais si Julius Amedo Laou est noir ou café au lait. Il n’est sûrement pas blanc, puisque dans le délire que traverse son personnage devenu folle, cette question de la négritude joue un rôle essentiel. Le titre, FOLIE ORDINAIRE D’UNE FILLE DE CHAM, est d’ailleurs révélateur : Cham, celui de la bible, fut en effet puni par Jahweh pour avoir découvert à ses sœurs la nudité de son père ivre. Les Blancs seraient ainsi devenus Nègres par châtiment. L’héroïne regarde sa peau avec horreur et ne cesse d’implorer le Seigneur pour qu’il lui rende une peau de lait. Elle n’a jamais transgressé SA loi, n’ayant jamais vu son père nu. Le seul pénis dont elle se souvienne est celui de Théodore, son bien-aimé, mort en 1924, l’année justement où elle est entrée en folie.
L’œuvre est écrite avec une grande abondance verbale riche en images, ce qui renforce ma conviction que l’auteur soit un Noir. Daniel Mesguich, le metteur en scène, a choisi de faire débiter le texte à toute vitesse de façon monocorde. Ca doit encore être à la mode, puisque tous ceux qui somnolaient autour de moi au Théâtre de la Bastille, à commencer par Michel Cournot, ont bien applaudi à la fin.
Il est vrai que la pièce est servie par une actrice remarquable, pas celle qui joue Madame Amélie, la vieille folle, Jenny Alpha qui, au demeurant, n’est pas mal, l’autre, qui est à la fois son amie Fernande et son infirmière supposée, Sylvie Laporte. C’est une petite « Mûlatresse » claire qui trimballe tant de présence intérieure, qu’elle arrive à faire passer son discours malgré le traitement que lui a imposé -infligé- le réalisateur. Sylvie Laporte, il faut retenir ce nom, ce qu’elle arrive à faire dans le cadre du handicap imposé est admirable.
10.10.84 - Il y a les Communistes déçus qui cherchent leur refuge dans l’Art pour l’Art ultrasophistiqué. José Valverde, lui, se planque dans l’univers merveilleux, magique et plein de « sagesse », des contes. Une morale paradoxale baigne ceux qu’il a choisis et qu’il dit, avec humour et convivialité, accompagné par Alida Latessa qui est un peu plus terne, assez conventionnelle, mais a de l’abattage, et lui donne la réplique ou lui répond avec gentillesse.
TRANCHE DE CONTE est le titre de ce voyage dans les histoires nordiques, arabes, juives et nippones d’autrefois, qui se joue à douze heures trente pour remplacer, nous explique l’hôte quand il vient servir des boissons écologiques à son public, la tranche de jambon du lunch. Ici, les morceaux de pain du sandwich sont les deux moitiés de la journée de travail. Soit ! La chose se pratique dans nombre de pays où le repas du milieu de la journée n’est pas considéré comme sacré. Il doit être assez détendant en effet, de s’évader ainsi dans un univers qui fait rêver… surtout pour les hommes, car les morceaux choisis exaltent quasi tous une conception du rapport mâle - femme qui ne peut qu’inspirer des réserves aux militantes du féminisme. Il est vrai que les contes nous viennent d’un autre monde, dans le temps comme dans l’espace. Évasion, évasion, vous dis-je !
13.10.84 - Anne-Marie Lazarini a monté LA VILLE MARINE, de Jacques Guimet : belle scénographie en décors simultanés autour d’une plage méditerranéenne, mais peut-être tahitienne, qui investit tout l’ARTISTIC. Brillante distribution avec Monique Fabre, Josette Boulva, Edith Scob, Philippe Lebas, Raymond Jourdan, Claude Guedj. J’allais oublier d’écrire que les décors sont de François Cabanat. La pièce cause dans le style poétique. Les personnages s’affrontent violemment, s’épient, se violent, se font peur et une des filles se mue en Notre Dame de la Garde. D’après le programme, Marseille jouerait son rôle dans l’affaire, mais l’auteur n’a pas daigné expliciter son propos. Au spectateur à se démerder pour y comprendre quelque chose. Comme vous le savez, je suis feignant.